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INTERSPÉCIALITÉ
DÉPRESSION
DE LA PERSONNE ÂGÉE
Lorsque se cachent anorexie mentale
et volonté de mourir
La dépression est fréquente chez la personne âgée
et elle est souvent méconnue. Elle expose à un risque
suicidaire accru, ce qui implique la nécessité d’un
dépistage. L’identification et la prise en charge de
la dépression, du dépistage et de l’aide apportée
es hommes âgés sont plus à
risque de suicide que les
femmes, les célibataires que
les hommes mariés. Les suicides de
la population de 60 ans et plus représentent plus de 30 % du total des suicides. Le taux de suicides moyen
atteint même 35 % aux USA, chez les
plus de 75 ans. Il semble bien que les
suicides des vieillards, spécialement
ceux des hommes, augmentent dans
la majorité des pays développés (1).
Ce problème de santé publique est d’autant plus dramatique que 75 % des personnes âgées qui commettent un suicide ont pourtant consulté leur médecin
dans le mois précédant leur mort (2).
Anticiper la survenue de cette réalité
oblige à mieux analyser l’acheminement du meurtre de soi.
L
La dépression de la personne âgée
reste un ennemi acharné du bienêtre des aînés et de leur qualité de
vie. Parce qu’elle est souvent sousdiagnostiquée, sous-estimée et soustraitée, les patients et leurs proches peuvent ne pas être conscients de la
présence d’une dépression. Les symptômes sont souvent regardés comme
des stigmates normaux de l’avancée
* SHU Psychogériatrie, Limoges
** Psychiatrie, CH de Quimperlé
Repères en Gériatrie • N°55 • Novembre 2005
dans les situations à risque suicidaire, la prise en compte
du stress et le contrôle des comportements agressifs
sont ici essentiels.
Dr Philippe Thomas*,
Dr Cyril Hazif-Thomas**, Dr C ??? Bouché**
en âge et l’anticipation au troisième
et quatrième âge s’oriente encore
trop souvent vers des actes désespérés, ce dont témoigne largement la
trop grande fréquence du suicide des
hommes âgés.
La prise en charge est très souvent
individuelle, parfois conjugale, rarement familiale. Ce qui est regrettable
tant il est évident que la famille joue
un rôle de premier plan dans l’élaboration du lien affectif si douloureusement mis à mal par la pathologie
dépressive. La question de la mort est
par ailleurs si fréquente, même si c’est
souvent à l’arrière-plan, de toute prise
en charge des sujets vieillissants, qu’il
est n’est pas toujours facile de repérer
les idées noires en elles-mêmes et
qu’il est évidemment tentant de banaliser face à la ré-émergence du thème
de la“Dame à la Faux” dans les échanges
avec le malade, ne serait-ce que pour
éviter de gérer notre propre angoisse
face à cet épineux problème.
Si toute affection psychiatrique est
vécue dans le sillon de l’angoisse de
la folie, le soin psychique confronte
patients et familles à un démenti de
leur omnipotence narcissique, démenti
que la réalité leur inflige.
La dépression du sujet âgé suscite
donc, elle aussi, et pas seulement chez
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l’entourage, des attitudes de déni ou
de minimisation des troubles, de
même qu’une ambivalence ou bien une
sur-implication, voire une culpabilité devant la maladie. Il ne s’agit donc
de favoriser ni l’indifférence, ni la
déculpabilisation systématique dans
cet (in)ajustement familial, mais plutôt
d’aider chacun à voir entre ces deux
extrêmes, afin de canaliser ce qu’il en
est de la violence ressentie.
L’ANOREXIE MENTALE,
DÉPRESSION ET VOLONTÉ
DE MOURIR
■ L’anorexie mentale
L’anorexie mentale de la personne
âgée a été décrite en 1890, au Gui’s Hospital, sous le terme de séniles marasmus. Plus récemment, Morley (3) s’est
penché de nouveau sur ce syndrome,
soulignant sa gravité et son sombre pronostic.
Le médecin de famille, pour autant qu’il
soit prévenu de cette présentation
inhabituelle en terme de pathologie
psychiatrique chez la personne âgée,
l’évoque assez rarement. Sa gravité est
pourtant certaine, car elle conduit à
la mort dans près de 78 % des cas
selon certaines séries américaines.
Malheureusement, la plupart des
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études éludent les personnes âgées,
si bien que l’ampleur réelle de l’anorexie mentale de la personne âgée est
méconnue.
pour la recracher discrètement ensuite
lorsqu’un des aidants familiaux ou
les soignants n’y prennent plus garde
(syndrome du hamster).
L’apparition de l’anorexie est insidieuse. L’appétit peut fléchir progressivement, quand d’autres signes de
dépression sont absents ou masqués.
On notera toutefois la fréquence du
déni de la gravité de la maigreur
actuelle, déni ou indifférence caractérisée, la nuance est subtile, la
deuxième réaction se voyant peutêtre plus en cas d’apathie, lors d’une
clinique faite d’émoussement affectif à côté d’un refus de maintenir un
poids normal minimum.
Fait souvent de perte du besoin ressenti
de manger (faim), et surtout de perte
du désir de manger (appétit), ce syndrome s’inscrit au-delà du cadre nosographique dans lequel on voudrait
volontiers l’enfermer, et renvoie en
grande partie à l’histoire du sujet, de par
la dynamique régressive mise en jeu dans
les pathologies mentales du grand âge
(dépression et démence essentiellement), mais aussi en raison de toute la
symbolique liée à l’alimentation.
Cliniquement parlant, chez ces personnes, l’image perçue de leur corps
est altérée et, en particulier, elles ne
se sentent pas trop maigres. L’idée
suicidaire est déniée et à la question
de ce qu’il souhaite que l’on fasse, en
cas d’arrêt cardiaque, elles ne répondent pas : « être réanimé ». Il y a donc
chez elles, un recouvrement non
reconnu entre l’anorexie et la volonté
de mourir, quand bien même cette réalité devient peu à peu incontournable
du fait de leur comportement.
Quoi qu’il en soit, l’anorexie mentale,
comme la dépression, est encore insuffisamment repérée chez la personne
âgée. Il faut insister sur le fait que
l’anorexie et l’amaigrissement ont
ceci de particulier qu’ils sont niés par
le ou la patiente et qu’il y a fréquemment distorsion de l’image du corps.
C’est ce caractère franchement défensif qui est fondamental pour le diagnostic et qui permettra de faire la différence
avec un amaigrissement secondaire
à une pathologie organique. Si l’intensité de l’anorexie peut orienter vers le
caractère endogène de la dépression
(celle-ci pouvant alors s’inscrire dans
le sillon d’un trouble bipolaire), le
caractère transactionnel du trouble alimentaire n’en reste pas moins prégnant
chez nombre de patients. En effet,
certaines personnes âgées peuvent
accumuler par exemple de la nourriture dans leur bouche sans la déglutir,
La femme âgée est davantage concernée par cette pathologie et elle est
généralement touchée à un âge plus
jeune que l’homme (69 ans contre 80).
Les causes déclenchantes de l’anorexie
mentale de la personne âgée sont
multiples : retraite, réduction de revenus, décès du conjoint ou de l’époux...
La maladie physique, des handicaps
liés à l’âge, les atteintes sensorielles,
la polymédication qui altèrent parfois
les sensations gustatives, l’édentation
qui diminue le plaisir de manger en
contraignant à une alimentation mixée
ou hachée précipitent encore l’anorexie.
■ Le syndrome de glissement
Le syndrome de glissement représente encore une autre forme de l’anorexie mentale de la personne âgée. Il
s’agit d’une décompensation psychosomatique de mauvais pronostic qui
a été décrite par Carrie en 1956 et précisée par Maignan en 1991.
Le syndrome de glissement survient,
pour ces auteurs, généralement dans
les suites d’une pathologie grave aiguë
de la personne âgée, après un intervalle libre de quelques jours, sans
relation avec une complication de
cet état pathologique. On observe
une dégradation très rapide de l’état
général après quelques jours d’intervalle libre qui laissaient penser à une
amélioration de l’état du malade. Il
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apparaît alors une anorexie, une adipsie et un syndrome confuso-dépressif. La sidération sphinctérienne associée est quasi systématique et pose de
graves problèmes de prise en charge.
Malgré la thérapeutique, urgente, le
pronostic est sombre et 30 à 50 % des
malades décèdent. Pour ces auteurs,
le syndrome de glissement peut être
liée à des pathologies graves sousjacentes méconnues, fréquentes chez
la personne très âgée, dont le diagnostic est malaisé, ou qu’il est difficile
parfois d’explorer.
■ Le “failure to thrive
syndrome”
Des auteurs américains, notamment
Roy B Verdery en 1998, ont rapporté
une affection spécifique du grand âge
(4), issue cependant de l’observation
pédiatrique (Braun, 1989) : le failure
to thrive syndrome. Il réalise une
triple symptomatologie avec anorexie,
déclin fonctionnel, perturbation biologique avec déshydratation, hypoalbuminémie et hypocholestérolémie, hyperglycémie et augmentation
de la pression partielle artérielle en
gaz carbonique. Le failure to thrive
syndrome survient dans 25 à 40 % des
cas en maison de retraite et dans 50 à
60 % des cas en hôpital gériatrique. Il
est associé à différents états pathologiques chroniques. Le failure to thrive
syndrome survient dans les suites
d’une cascade événementielle dont
la première étape est l’anorexie, et qui
conduit à la mort du malade (5).
■ Au total
Il n’est pas exclu qu’à l’origine de ces
syndromes existe une volonté de mort
systémique, en particulier lorsque
des comportements hystériques,
jusque-là encore efficaces dans leur
portée défensive, sont mis en échec,
ou lorsqu’une relation fusionnelle est
devenue impossible, posant la question de savoir si l’anorexie n’a pas,
dans certains cas, à voir avec un chantage affectif et relationnel.
Le syndrome de glissement est fréquemment associé à différents troubles
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Tableau 1 - Les faux mythes parfois véhiculés par le corps médical
sur le suicide de la personne âgée (9).
• Si quelqu’un veut se suicider, personne ne peut l’en empêcher
• Les personnes qui se suicident ne cherchent pas d’aide
• Les sujets qui se suicident ont fatalement des problèmes psychiatriques,
probablement incurables
• Parler du risque de suicide à un dépressif, c’est faciliter son suicide
• La douleur croit avec l’âge et il n’y a rien à faire, d’autant que cela a
du sens pour la personne âgée
• Les vieux n’ont pas les mêmes conceptions que les jeunes et sont donc
prêts à mourir
• Lorsque l’on parle de suicide, c’est rarement parce que l’on veut mourir
de personnalité, du type B (DSM IV) :
histrionique, narcissique, limite, antisociale, ou du groupe C : passif/agressif.
Le syndrome de glissement et le failure
to thrive syndrome peuvent conduire
encore l’un et l’autre à une grabatisation du malade, avec développement
d’escarres, d’infections urinaires et
pulmonaires. Tous deux s’accompagnent de l’aggravation progressive
des constantes biologiques et à une
faillite générale qui finit souvent par
entraîner le décès.
DÉPRESSION ET SUICIDE
La majorité des dépressifs ne se suicident pas, mais la dépression en particulier celle qui est non prise en
charge est une cause fréquente de
suicide. Tous les suicides de la personne
âgée ne sont pas forcément liés à la
dépression, d’autres causes peuvent
intervenir, comme le refus de la perte
d’autonomie, le refus d’être une charge
pour sa famille ou même le désir de
laisser derrière soi ou de retrouver
une belle image de soi, ce qui peut expliquer certains suicides avec mise en
scène. L’absence de conflits n’est pas
forcément un signe d’apaisement en
pareil cas.
« Monsieur L. Mathurin, âgé de 72 ans,
est connu du service pour fréquentes
décompensations dépressives. Depuis
un an et demi, une détérioration intellectuelle s’était installée et un traitement anticholinestérasique introduit
dans l’idée de traiter une maladie
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d’Alzheimer comorbide, le patient
s’aggravant au plan adaptatif, ne parvenant plus par exemple à se raser, à
éteindre la lumière, à rester seul sans
aide à son domicile. Une première
hospitalisation pour épisode confusionnel avait été soldée par une réadaptation, mais le caractère répétitif des
dépressions explique qu’une évaluation ultérieure avec l’échelle de Mattis
ramène un score de 61 points sur 144,
ce qui impliquait d’être réservé quand
au pronostic général. Bien que l’hospitalisation améliore grandement le
patient, celui-ci se suicidera à domicile lors d’une absence de son épouse,
partie visiter un centre d’accueil pour
maladie d’Alzheimer. »
Sans doute n’avait-on pas assez pris
en compte les antécédents de suicide
maternel et du caractère non forcément rassurant de l’absence de reprise
de l’idéation suicidaire dans le discours.
Ce passage à l’acte a en tout cas un goût
de répétition atemporelle montrant
que les idées obsédantes de culpabilité ne s’effacent pas avec la maladie
démentielle, que celle-ci succède à
la dépression ou se complique d’un
trouble de l’humeur. Existaient également ici des sentiments de culpabilité chez l’amie qui se défendait
comme elle pouvait face aux fantasmes œdipiens d’abandon de son
compagnon.
Ces quelques remarques doivent
laisser plus que prudents quant à la
tendance médicale actuelle à rabattre
la dépression de l’Alzheimer à son seul
caractère “organique”. L’impression
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générale est ici que les proches et
peut-être les soignants ont partagé
ce que l’on peut appeler un faux
mythe relatif au suicide du sujet âgé :
« ceux qui se suicident ont fatalement
des problèmes psychiatriques, probablement incurables » (Tab. 1).
Environ 15 % des dépressifs se suicident. Dans un pays évolué comme
les USA, le suicide est la 8e cause de
décès et touche tout particulièrement
les personnes de race caucasienne, en
particulier chez l’homme (6). Le pic
de suicide concerne dans ce pays les
classes très âgées. En effet, après 85 ans,
le taux de suicide atteint 65/1 000. Il
faut rappeler que le ratio tentative de
suicide/suicide réussi est proche de
1 chez la personne âgée. Les facteurs
de risque de suicide diffèrent quelque
peu chez la personne âgée du sujet
jeune (7). Ils sont nombreux et volontiers intriqués en particulier chez elles :
• pathologies mentales ou cognitives,
ou expositions à certains médicaments ;
• risques majeurs si dépression, abus
d’alcool, addiction à la cocaïne ;
• impulsivité et agressivité à l’encontre
des autres ou de soi, comme par exemple
dans une dépression hostile ;
• événements douloureux et traumatisants de la vie, deuils, séparation ou
divorce, déménagements contraints ;
• histoire d’addiction familiale à des
drogues ;
• histoire familiale de maladie mentale ou de suicide ;
• maltraitance, violence familiale
incluant la violence relationnelle,
physique et les abus sexuels dans
l’enfance ;
• tentative antérieure de suicide ;
• armes à feu ou médicaments dangereux à domicile disponibles ;
• perte d’autonomie en particulier
chez des personnes âgées actives et
dynamiques, désafférentation sensorielle brutale, institutionnalisation
sans accord ;
• maladies chroniques débilitantes,
invalidantes, douleurs non contrôlées
ou mal prises en charge ;
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• exposition à une ou des tentatives
de suicide dans son voisinage, sa
famille ou ses amis, voire émissions
télévisées ou films mettant en scène
le suicide.
Tous ces facteurs de risque doivent être
dépistés et il est important de garder
en mémoire que la plupart des malades
âgés qui se suicident ont vu leur médecin dans les deux derniers mois précédant le suicide, un tiers d’entre eux
l’ayant vu dans la semaine précédant
leur décès (8).
Les signes d’alarme à dépister sont les
suivants (9) :
• perte d’intérêt pour les choses qui,
jusque là, motivaient et apportaient
du plaisir à la personne âgée ;
• retrait social, négligence nouvelle à
l’égard de soi ou de son intérieur ;
• arrêt de tout régime médical ou
diminution de la compliance médicamenteuse ;
• expérience ou exposition au risque
de perte d’un être cher, comme par
exemple une épouse ;
• sentiment d’inutilité (« Qui a besoin
de moi, maintenant ? ») et de désespoir ;
• mise en ordre, récente, de ses affaires,
don excessif de ses biens, modification récente du testament ;
• accumulation de médicaments
potentiellement dangereux.
LES DÉPRESSIONS HOSTILES
Celles-ci sont fréquemment considérées comme l’expression d’un
trouble de personnalité, comme illustré dans un film de Chatillez, « Tatie
Danielle », et donc ramenées plus
facilement à une pathologie caractérielle qu’à un réel trouble thymique.
En effet, les dépressions hostiles dominent la scène clinique par l’expression
colérique prédominante et les attitudes de cynisme et/ou d’hostilité.
La personne âgée réagit souvent à la
souffrance par une agressivité qui,
paradoxalement, éloigne ceux que sa
souffrance devrait rapprocher d’elle.
De nombreux signes itératifs peuvent
témoigner de l’ambivalence dépressive
fréquente dans ces situations. Le repli
sur soi, plus ou moins complémentaire
d’une attitude de mise à distance par la
famille, ou le refus de sortir de la chambre
en institution, est parfois une forme de
défense pour ne plus déranger, ou se
protéger de l’indifférence ambiante.Très
souvent, les personnes âgées sont
hypersensibles aux stimuli, y répondent par l’agressivité, ou la confusion.
A l’inverse de ce qui est observé chez
les plus jeunes, la verbalisation de la
culpabilité et l’auto-dépréciation sont
au second plan ou absents, quand la
déception de soi et des autres est fréquemment alléguée pour expliquer
la situation vécue et appeler la mort.
Il semble que la confusion puisse par
ailleurs se voir lorsque les sujets âgés
ne parviennent plus à dénier leur
“dégradation”, ce qui peut alors générer un passage à l’acte, là ou pour
d’autres une réaction plus projective
et de mise en accusation de l’entourage viendra tamponner l’insupportable douleur morale « d’exister encore
si mal et dans cet état-là ».
Cette déception est alors source de
colère et à considérer comme un
moyen de défense destiné à évacuer
la souffrance sur autrui. Ce faisant, la
personne âgée se laisse malheureusement entraîner par la situation et perd
encore plus l’espoir de contrôler son
angoisse. Elle rejette l’aide qui lui est
nécessaire par sa violence.
La dépression peut exister chez la
personne âgée selon un versant hostile, avec agressivité, colère, violence
verbale, et serait pour certains à rapprocher du syndrome orbito-frontal
de Cummings (10). Cette forme de
dépression est probablement liée à des
carences cérébrales en sérotonine.
PRÉVENTION DU SUICIDE
De nombreuses études ont montré
que la prévention du suicide passait
avant tout par le dépistage, l’identification et la prise en charge de la
dépression, et l’aide apportée dans les
situations à risque suicidaire, la prise
en compte du stress et le contrôle des
Tableau 2 - Processus suicidaire : messages directs et indirects.
Signes
comportementaux
• Isolement
• Pensées mortifères
• Mise en ordre
des affaires personnelles
• Abus de toxiques
• Diminution
des performances sociales…
• Négligence
• Lassitude,
démotivation
Signes
de nature affective
• Pessimisme
• Ennui
• Tristesse
• Indécision, désespoir
• Difficultés d’attention,
de concentration
• Pensées dépressives
récurrentes
• Sentiment de culpabilité
• Chaos émotionnel :
colères, pleurs, stupeurs…
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Messages verbaux
indirects
• « Je vais faire
place nette »
• « Je vais partir
pour un long voyage »
• « Des fois, je me dis
que je serais mieux morte »
• « Je te remets cela…
je n’en aurais plus besoin… »
Messages verbaux
directs
• « Je veux mourir,
j’en peux plus »
• « Ma vie n’a pas
de sens. Ce sera
bientôt fini »
• « Des fois, je
pense à me tuer »
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Tableau 3 - Idées suicidaires et état dépressif majeur (13).
• Idées de mort obsédantes dans la mélancolie, la mort apparaissant
comme la seule issue soulageant la douleur morale
• Désir impérieux de se faire du mal, de sombrer dans un sommeil
profond, de ne plus souffrir
• Combat entre la tentation d’en finir et la condamnation morale du geste
et des pensées qui y poussent
comportements agressifs. La prise en
charge ne saurait être ponctuelle mais
nécessite une continuité et un suivi
dans les soins.
La souffrance et le désespoir du sujet
âgé impliquent de donner au suicide
une vue plus large que la seule considération moralisatrice ou sociale.
Relié à l’idée de crise, le drame suicidaire peut alors prendre consistance
et se prêter à une analyse progressive
qui met en relief les différentes étapes
du processus suicidaire.
Tenir compte du nombre d’implications scientifiques croissantes des travaux actuels et de l’esprit des interventions de crise s’avère fondamental pour
autoriser des espoirs de prévention efficace, notamment si l’on estime profitable de revenir à une écologie des liens
plus ajustée à la vie de tous au sein des
“âges de la vie” et de leur “son de voix”.
certaine indulgence dans la voix, la sucre
en quelque sorte ; il est vrai que dans
bien des cas, elle l’aigrit aussi » comme
notait Nietzsche.
Il importe donc ici de bien se centrer
sur la notion de syndrome pré-suicidaire (proche de la crise suicidaire) et
de détecter les messages directs et
indirects qui viennent témoigner du
désir de se supprimer (Tab. 2). On ne
saurait non plus jamais insister suffisamment sur l’importance de repérerla souffrance mélancolique (Tab. 3)
et rappeler que la meilleure prévention du suicide reste le travail de
mémoire de sa vie, la mise en relief de
la trajectoire existentielle afin que
règne autre chose que l’arbitraire. Si
les stress familiaux, professionnels
et relationnels sont d’utiles indicateurs de l’état de crise suicidaire, ils
ne la résument pas à eux seuls car
c’est de l’adaptation du sujet en proie
aux idées suicidaires dont il s’agit (11).
CONCLUSION
Parce que le suicide du sujet âgé est
un problème de santé publique, il est
temps que le corps social investisse
dans la santé de ses seniors afin de
reconnaître que si « la vieillesse enfin
met souvent une certaine douceur, une
Il importe donc de rester vigilant face
à la tournure critique des événements
afin de mieux faire accoucher d’un
changement constructif en ce qui
concerne les représentations du suicide et les voies qui y mènent. En
orientant le travail de gestion de la
crise suicidaire vers un travail de liaison des forces de vie (pulsion de vie),
on peut alors espérer que le chemin
de la crise suicidaire deviendra plus
un chemin de guérison, ou au moins
une voie d’anticipation vers un avenir
moins tragique. C’est ce chemin difficile qui reste peu accepté socialement,
faisant que Madame Charazac (12)
n’hésite pas à parler de résistances
sociales face à la prévention du suicide
du sujet âgé, dans la mesure où dans
une vue à très court terme, le suicide
létal de la personne âgée peut représenter une économie pour les pouvoirs
publics, en termes d’économie pour
les assurances, de retraite en moins…
Les stratégies de prévention devraient
pouvoir s’incarner dans la volonté
politique et institutionnelle par la
création d’unités géronto-psychiatriques plus nombreuses, ainsi que de
structures de jour, de relais ambulatoires, sans oublier que nombre de
lieux publics seraient de bonnes cibles
de prévention (clubs du troisième
âge), mais aussi d’autres lieux plus
spécifiques, comme les cafés mémoire,
dans la mesure où ceux-ci pourraient
se développer et pas seulement dans
le cadre de la sollicitation des fonctions
intellectuelles. Peut-on en effet continuer de dissocier à ce point l’affectif
du cognitif ?
■
MOTS-CLÉS :
Dépression, Suicide, Anorexie
mentale, Prévention
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