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VOUS AVEZ DIT « DEMOCRATIE » ?
Qu’est-ce que la démocratie ? La France est-elle une démocratie ? La démocratie en France
est-elle contestée ? Comment donner au citoyen sa place naturelle dans notre démocratie ?
Qu’est-ce que la démocratie ?
La démocratie est un système politique, une forme de gouvernement.
Le mot est apparu à Athènes 507 ans avant JC et vient de dêmos (le peuple) et krátos (le
pouvoir). La démocratie est donc le pouvoir du peuple.
Dans la cité d’Athènes l’assemblée des citoyens (Ecclésia) était composée de tous les
citoyens (R1) et tous les citoyens pouvaient assister aux réunions, prendre la parole,
proposer des amendements, faire les lois. L’Ecclésia se réunissait 4 fois par ans sur la place
principale du village (l’Agora).
L’administration était assurée en collégiale par des citoyens volontaires tirés au sort pour
un an non renouvelable, les « magistrats ».
Les magistrats étaient soumis à une double surveillance, constante, de la part de
l’assemblée et des tribunaux. Tout citoyen pouvait déposer une motion de censure contre
eux ; si une censure recevait un vote favorable le magistrat était immédiatement suspendu
et déféré devant le tribunal qui pouvait soit l’acquitter soit le bannir pour dix ans
(ostracisme).
Une magistrature particulière (La stratégie) assurait à la fois des fonctions militaires
(Généraux) et des fonctions politiques. Elle était constituée de 10 membres, les stratèges, et
pouvait présenter directement des projets à l'assemblée du peuple et les faire voter. La
stratégie était particulière parce qu’elle était la seule magistrature élue (pour un an) et que
ses membres pouvaient se représenter sans limite du nombre de mandats.
La magistrature la plus haute était le Conseil des 500 ou Boulé. Elle préparait et exécutait les
décisions de l’Ecclésia, assurait les relations extérieures, nommait aux fonctions militaires,
supervisait toute l’administration. Les membres de la Boulé (rémunérés lorsqu’ils siégeaient)
était tirés au sort pour un an (renouvelable une fois). Les sièges étaient attribués
proportionnellement à la population de la circonscription ou regroupement de villages (le
Dème) dont les candidats étaient issus.
(Les magistrats de la Boulé bénéficiaient d’une exception au principe de la censure : ils ne
pouvaient être mis en accusation que par la Boulé elle-même).
1
Un tribunal du peuple (L'Héliée) composé de 6000 citoyens tirés au sort, assurait le
fonctionnement de la justice.
La démocratie d’Athènes a toujours été portée en modèle mais il semble qu’elle ait eu
quand même un petit défaut : Bien que, par principe, chaque citoyen pouvait prendre la
parole, dans les faits les discours était souvent tenus par les mêmes personnes : les
« orateurs ». « Orateur » n’était pas une fonction, il s’agissait de citoyens parmi les autres, à
un détail près, il détenait un pouvoir particulier, celui que leur conférait « l’art de la parole ».
Maitrisant la rhétorique, les orateurs avaient un pouvoir immense dans l’Ecclésia et devant
les tribunaux. Les orateurs étaient craints des citoyens qui reconnaissent leur pouvoir de
persuasion. Leurs pratiques étaient encadrées mais dans les faits ces règles étaient peu
respectées.
Le système français est-il une démocratie ?
Si derrière le terme démocratie on entend système de gouvernement semblable à celui
d’Athènes qui fait la part belle au tirage au sort, à la limitation des fonctions, au contrôle des
pouvoirs et limite l’élection aux seules fonctions d’exécution… bien évidemment la France
n’est pas une démocratie.
Pourtant nous sommes en démocratie ! D’ailleurs c’est écrit dans notre Constitution. Dans
son article 1 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale » et
dans son article 2 : « Son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple et pour le
peuple. »
Alors démocratie ou pas démocratie ? Pourquoi parlons-nous de démocratie en évoquant la
France (ou d’autres grand pays tout autant démocratiques) plutôt que de République qui
serait un terme plus approprié ?
En fait derrière ce glissement de sens il y a un grand tour de passe-passe !
C’est ce qu’on apprend dans « Démocratie, histoire politique d’un mot » de Francis DupuisDéri (A1).
Lors de la révolution française les révolutionnaires ne défendaient pas la démocratie. « Le
terme était péjoratif, négatif, il servait à délégitimer l’adversaire, on l’accusait d’être
démocrate. En effet le démocrate était par définition un jeune de 20, 22 ans, un peu
idéaliste, qui n’avait pas encore de responsabilité dans la vie, qui voulait trop de liberté, qui
aimait un peu l’aventure et n’était pas très sérieux politiquement. Le démocrate était
considéré comme voulant des transformations trop radicales au niveau politique et surtout
au niveau économique : il était du côté du pauvre et voulait un système économique
2
égalitaire. Bien entendu les élites républicaines, qui étaient aussi les élites financières, se
sentaient menacées par la démocratie. » (L3.)
Au sortir de la révolution et même si quelques voix d’ici et de là évoquaient le besoin de
démocratie, notamment dans le peuple, les principaux acteurs politiques se disaient
« républicains ».
Pourtant dans les années 1830 le sens du mot démocratie évolue : la république américaine
est qualifiée de « démocratique » ; les manuels scolaires décrivent l’assemblée de la
démocratie d’Athènes comme une chambre des représentants simplement plus nombreuse
que la nôtre ; les socialistes et radicaux utilisent le terme « démocratique » pour se
distinguer des modérés ou conservateurs…
Le terme démocratie commence peu à peu à devenir populaire. L’élite politique découvre
que la valeur démocratie « parle » aux électeurs et s’en empare. L’écrivain et homme
politique Alexis de Tocqueville qui avant 1848 amalgamait démocratie et socialisme change
radicalement de discours à partir de là et dit espérer une république « complétement
démocratique sans être socialiste ». Les socialistes ne sont bientôt plus les seuls à se dire
démocrates, tous les partis utilisent cette étiquette.
Le mot démocratie a de fait subi un détournement de sens tout à fait populiste. Il est
désormais synonyme du mot république et personne (ou presque) ne remet en cause ce
sens.
Pour « parler vrai » il faudrait cependant toujours préciser de quelle démocratie on parle :
démocratie directe (comme à Athènes), démocratie représentative (la République),
démocratie participative (un mixte des deux) et même « démocratie continue » principe
défendu par Dominique Rousseau (A2 L5)
La démocratie en France est-elle contestée ?
Alors que de nombreux peuples nous envient notre système politique il serait malvenu de
dénigrer la démocratie.
Et puis « Démocratie » est devenue synonyme de liberté : liberté de conscience, liberté de la
presse…
Pourtant de nombreuses voix s’élèvent contre ce système dont beaucoup disent qu’il
permet au peuple « de se donner des maitres ».
 Notre démocratie serait en fait une oligarchie : « gouvernement dans lequel le pouvoir
est réservé à un petit groupe de personnes qui forment une classe dominante » ; une
minorité de citoyens détient le pouvoir et impose sa loi à la majorité. (L4)
3
 Notre démocratie serait en fait une aristocratie : « régime politique dans lequel le
pouvoir est officiellement détenu par une élite ». C’est pour ainsi dire « le pouvoir des
meilleurs » : on distingue par l’élection certains citoyens parmi de nombreux autres, on
estime qu’ils sont les plus aptes à gouverner, donc les meilleurs.
 Notre démocratie serait en fait une monarchie : « le pouvoir d’un seul ». La 5ème
république donne en effet un pouvoir exorbitant au président de la république qui peut
imposer sa loi à l’assemblée.
Comment donner au citoyen sa vraie place dans la démocratie ?
Si la démocratie directe semble la plus apte à donner réellement sa souveraineté au peuple,
une démocratie de type athénienne est pourtant difficile à mettre en place dans des
sociétés de plusieurs dizaines de millions de citoyens. Car même si seulement 10% des
citoyens souhaitaient participer aux assemblées il faudrait réunir en un même lieu plus de 6
millions de personnes, 74 fois le stade de France !
D’autres solutions doivent être inventées et sont actuellement inventées ! Ce besoin de
démocratie directe est invisible dans les média traditionnels (collusion avec l’oligarchie au
pouvoir ?) L’internet lui, est un espace de liberté qui relaie toutes les paroles. On peut y
découvrir de nombreux textes et vidéos qui prônent la démocratie dans son sens rigoureux.
On peut ainsi découvrir des revendications peu réformistes comme le référendum
permanent et la prise en compte du vote blanc, et d’autres idées plus « révolutionnaires »
comme le tirage au sort, les assemblées de citoyens, les référendums d’initiative populaire.
La prise en compte du vote blanc
Voter « blanc » c’est poser un bulletin dans l’urne sans faire état d’aucun choix. N’étant pas
comptabilisés ces votes blancs sont « invisibles », ne « disent rien » ! Depuis de nombreuses
années des citoyens réclamaient la prise en compte de ces votes blancs.
Et (oh ! miracle laïque) le vote blanc est désormais pris en compte en France ! La loi qui
l’instaure a été publiée au Journal officiel du 22 février 2014.
Mais (désillusion) : « Les bulletins blancs sont décomptés séparément et annexés au procèsverbal. Ils n'entrent pas en compte pour la détermination des suffrages exprimés, mais il en
est fait spécialement mention dans les résultats des scrutins. Une enveloppe ne contenant
aucun bulletin est assimilée à un bulletin blanc. »
Retour à la case départ. On sait combien de citoyens refusent de choisir mais leurs voix ne
comptent toujours pas et ne peuvent pas bloquer une décision !
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Référendums permanents
Actuellement le recours au référendum n’est pas obligatoire et il est limité à certains
domaines de la vie publique (R2). Un recours régulier et obligatoire au référendum
permettrait aux citoyens de donner leur avis dans tous les domaines pour ne pas se sentir
prisonnier de décisions qui se prennent ailleurs.
Cependant le référendum a une limite importante : la décision d’engager un référendum ne
vient pas du peuple mais de l’oligarchie, elle n’ouvre pas d’autre voie que d’accepter ou
rejeter le choix ; les débats pré-référendums, sont partisans, loin de la base, ils n’ouvrent
pas la voie à une vraie participation des citoyens.
Assemblées tirées au sort
Certains penseurs suggèrent de remplacer le parlement par une assemblée citoyenne tirée
au sort. Cette assemblée pourrait être une chambre unique ou coexister avec une chambre
élue. N’étant ni professionnels ni soumis à des intérêts particuliers ces parlementaires
n’auraient en vue que l’intérêt général de la nation et des citoyens.
L’idée du tirage au sort est largement critiquée dans la sphère politique et dans les média car
ce tirage au sort remettrait en cause le principe oligarchique et donnerait le pouvoir à de
simples citoyens. On le dit absurde car le peuple est paresseux et préférerait se laisser
gouverner. La critique la plus virulente étant que ce système amènerait au pouvoir des
personnes qui n’ont pas les qualités, les connaissances nécessaires des rouages de l’état
(limite s’ils ne seraient pas trop idiots !).
Mais est-il nécessaire d’avoir des connaissances particulières pour définir l’intérêt général ?
Comme actuellement les députés, les sénateurs, les ministres, l’assemblée citoyenne
pourraient être secondée par de hauts fonctionnaires pour la partie « technique ». Une
assemblée tirée au sort et qui ne doit rien à personne serait plus « libre » qu’une assemblée
élue qui doit tout à ses électeurs (à flatter dans le sens du poil) et aux groupes de pressions
(qui proposent des amendements tout rédigés aux parlementaires et les soutiennent
financièrement !)
Jurys citoyens, conventions de citoyens, conférences de citoyens, conférences de consensus…
Ces diverses assemblées citoyennes portent la même idée de faire préparer les décisions
par des groupes de citoyens. Pour se forger une opinion les membres de ces organes
auraient à entendre les avis de toutes les parties (les pour, les contre) sur le sujet traité ; ils
pourraient réclamer de nouvelles expertises s’ils l’estimaient nécessaire. Leurs délibérations
se tiendraient en toute indépendance et impartialité.
Dans la proposition de « convention de citoyens » de Jacques Testard (A3) les membres de
la convention seraient tirés au sort mais auraient le droit de refuser la fonction et ne
seraient pas rémunérés. Ces trois critères introduiraient une notion de bénévolat qui
permettrait au groupe d’être réellement impliqué. (L6)
5
Référendum d’initiative populaire, référendum abrogatif ou referendum véto, référendum
révocatoire
- Le référendum d’initiative populaire, c’est-à-dire initié par un certain nombre de citoyens,
permettrait aux citoyens de déposer des propositions de loi. Il pourrait être la seule
source de décisions ou coexister avec le référendum traditionnel. En Suisse et en
Californie, une fraction du corps électoral peut, par référendum, demander l'adoption de
textes législatifs.
- Inversement le référendum abrogatif ou référendum véto permettrait de proposer
l’annulation d’une loi en place. Avec le recueil d’un certain nombre de signatures un
référendum permettrait aux citoyens de se prononcer pour ou contre la mise en place de
la mesure concernée. En Italie, les lois en vigueur peuvent être abrogées par un
référendum d'initiative populaire.
- Le référendum révocatoire permettrait de révoquer un élu. Le référendum révocatoire de
mi-mandat est un droit civique qui existe au Venezuela.
Qu’est-ce qui pourrait permettre de mettre en place des institutions réellement
démocratiques ?
Etienne Chouard (A4) pense qu’il est possible de passer à une démocratie citoyenne sans
heurt. Pour lui il suffirait que les citoyens élisent un président qui a la volonté, avec le
pouvoir que lui donnent les institutions actuelles, de mettre en place une assemblée
constituante tirée au sort et qui s’engagerait à quitter son poste à l’issue du processus
constituant. (L2)
Malheureusement le candidat qui porterait un tel programme aurait toute l’oligarchie contre
lui et peu de chance d’accéder au pouvoir !
Pour Yvan Blot(A5) seule une crise majeure, économique et sociale, permettrait de changer
les institutions. (L2) Cette hypothèse (qui nécessiterait cependant que les citoyens soient
plus désespérés qu’actuellement) est plus probable que celle d’un changement d’institution
« doux ». La grogne devenant colère puis révolution pourrait imposer le changement par la
force.
Malheureusement si cette « révolution » advenait on peut craindre comme Etienne
Chouard, que les citoyens ne soient pas prêts, pas assez alertés, pour écrire une constitution
réellement démocratique. Ils choisiraient certainement de s’en remettre à une assemblée
constituante élue qui serait, il y a peu de doute, issue de l’oligarchie sortante « qui
organiserait notre impuissance ».
Même si ces toutes ces idées sont certainement perfectibles il est bien que la réflexion
existe, que des petites voix s’élèvent pour que le citoyen se réapproprie enfin la politique et
ne se contente plus de bouder les élections ou de voter aux extrêmes (ces deux options
étant pour l’une bien inefficace et pour l’autre, dangereuse)
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Pour reprendre son pouvoir le citoyen doit commencer par éteindre sa télé qui ne véhicule
que la pensée unique oligarchique, créer des clubs de réflexion, se demander quelles
institutions il aimerait, étudier toutes les idées qui s’élèvent par la voix de nombreux
penseurs, voir ce qui est inventé dans d’autres pays en matière de démocratie citoyenne…
Ce n’est qu’à ce prix que, lorsque le moment sera propice, que la petite lumière que l’on
entraperçoit actuellement deviendra l’étincelle de la démocratie.
Les renvois (R)
(R1) Qu’est-ce qu’un citoyen ?
Dans la cité d’Athènes : Pour être citoyens il fallait être né de parents athéniens, être un
homme et avoir suivi l'éphébie (qui comporte notamment une instruction aux armes) ; les
femmes, les esclaves et les étrangers étaient donc exclus de la citoyenneté.
Dans la France moderne : hommes et femmes de plus de 18 ans, habiter en France (ou être
ressortissant de l’union européenne pour certaines élections) et jouissant de ses droits civils
et politiques.
(R2) Domaines du recours au référendum : réviser la Constitution ou faire adopter une loi
sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes concernant la politique
économique, sociale ou environnementale du pays et les services publics qui y participent,
ou pour permettre la ratification d’un traité ayant des incidences sur le fonctionnement des
institutions).
Les auteurs cités (A)
(A1) Francis Dupuis-Déri professeur de sciences politiques à l’Université du Québec à
Montréal (UQAM). Il est spécialiste des idées politiques et des mouvements sociaux
et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet.
(A2) Dominique Rousseau est professeur de droit constitutionnel à l'Université Paris 1, ancien
membre du Conseil supérieur de la magistrature, co-directeur de l'École de droit de la
Sorbonne . Ses recherches portent principalement sur le contentieux constitutionnel et la
notion de démocratie.
(A3) Jacques Testard est biologiste de formation, docteur en sciences, directeur de recherche
honoraire à l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) il est
impliqué dans la réflexion sur la nécessaire démocratisation des choix sociotechniques.
(A4) Etienne Chouard est enseignant dans un lycée à Marseille.
(A5) Yvan Blot est haut fonctionnaire, homme politique, essayiste et consultant français.
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Les livres, sites et vidéos qui m’ont servi à écrire cet article (L)
L1. Vidéo : entretien entre Etienne Chouard et Yvan Blot
http://etienne.chouard.free.fr/Europe/forum/index.php
youtube.com/watch ?v=OwKLNxPLbqU
L2. Livre : Démocratie histoire politique d’un mot aux états unis et en France
Vidéo : www.les-crises.fr/democratie-histoire-malentendu
(Francis Dupuis-Déri)
L3. Livre : L’oligarchie ça suffit, vive la démocratie. (Hervé Kemp)
L4. Vidéo : Entretien avec Dominique Rousseau sur Médiapart : Radicaliser la
démocratie, proposition pour une refondation youtube.com/watch ?v=shL5X-Vj-nw
L5. : Livre : L’humanitude au pouvoir ou comment les citoyens peuvent décider du bien
commun (Jacques Testard)
L6. La citoyenneté d’Athènes : http://www.cndp.fr/archivemusagora/citoyennete/citoyennetefr/presentation.htm
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