Les plus marginaux des bénévoles - Centre d`action bénévole de

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Les plus marginaux des bénévoles - Centre d`action bénévole de
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Bénévolat extrême
Les bénévoles sont des denrées rares et précieuses au Québec, la province
qui a le plus faible taux d'engagement volontaire au pays. Alors qu'on se
bouscule aux portes d'organismes aux causes populaires comme l'aide à
l'enfance, les volontaires sont beaucoup moins nombreux à s'engager auprès
d'une clientèle marginalisée et stigmatisée comme les délinquants sexuels,
les détenus ou encore les gens atteints du VIH-sida. Malgré tout, certains
répondent à l'appel. Peut-on alors parler de bénévoles de l'extrême ?
PAR CATHERINE GIROUARD
S
elon Statistique Canada, les trois principales raisons
qui poussent les gens à faire du bénévolat sont le
désir de contribuer à la communauté (93 %), celui
de mettre à profit leurs compétences et leur expérience
(78 %), ou encore le fait d'être personnellement touchés
par une cause (59 %).
Mais, certaines causes sont plus populaires que
d'autres. «Nous manquons toujours de bénévoles pour
le soutien aux personnes âgées, les popotes roulantes,
les visites amicales et les accompagnements médicaux,
énumère François Lahaise, agent des communications
au Centre d'aide bénévole de Montréal, qui aide les
organismes à recruter des volontaires. Et lorsqu'on publie des annonces de bénévolat pour s'impliquer auprès
de délinquants sexuels avec le Cercle de soutien et de
responsabilité du Québec (CSRQ), par exemple, nous ne
recevons pas une tonne de réponses non plus.»
Pascal Bélanger, coordonnateur général de l'ARCAD, un
organisme qui offre des activités aux détenus dans les
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pénitenciers fédéraux, croit que ces difficultés à recruter pour des organismes
comme le sien sont inhérentes à la peur. Dans le cas des prisons, la peur
est amplifiée par la fausse représentation qu'en font les médias. «Je n'ai pas
encore vu un seul bénévole dans Unité 9, alors qu'il y en a 9000 impliqués dans
les prisons du pays», fait-il remarquer au passage.
«Il faut rappeler que le bénévolat n'est pas considéré comme séduisant en soi»,
ajoute M. Lahaise. Les Québécois ne sont d'ailleurs que 33 %, selon les statistiques, à répondre à l'appel. En plus d'être moins nombreux à s'y adonner que
dans le reste du pays, ils y consacrent aussi moins d'heures.
François Lahaise croit même que ces statistiques dressent un portrait plus
rose de la réalité qu'elle ne l'est. «Ça voudrait dire que plus de 2 millions de
Québécois font du bénévolat, souligne-t-il. Si c'était le cas, des centres de recrutement de bénévoles comme le nôtre n'existeraient pas.»
Selon M. Lahaise, notre faible taux d'engagement pourrait s'expliquer en
partie par la perte de notre esprit de «vivre ensemble», encouragé depuis
plusieurs années par la promotion de l'individualisme. «On se fait répéter jour
après jour à travers des centaines de messages publicitaires de penser à soi; ça
finit par avoir des répercussions sur nous.»
«Mais essayer le bénévolat, c'est l'adopter», assure l'agent des communica-
DOSSIER
Envie de vous engager?
Plus de 600 activités au sein
de plus de 400 organismes sont
offertes sur le site du Centre
d'action bénévole de Montréal.
cabm.net
Il n'est pas plus
difficile d'aider
une personne en
détention qu'un
élève en difficulté.
tions. Tous les bénévoles rencontrés dans le cadre de ce dossier étaient du même avis. Même des études le prouvent : le
bénévolat serait bon pour la santé psychologique et physique de ceux qui le pratiquent.
minceur – est passé de quelques dizaines
de milliers de dollars par année à zéro.
Pascal Bélanger,
Ces causes ne passant pas bien la rampe
coordonnateur général de l'ARCAD de l'opinion publique, elles peinent à trouver d'autres sources de financement. L'ARUne réputation à refaire
CAD et le CSRQ sont donc voués à une mort imminente –
«Il n'est pas plus difficile d'aider une personne en détention qu'un élève en quelques mois à peine – si rien ne change.
Il y a pourtant là un enjeu de santé publique important.
difficulté», fait valoir Pascal Bélanger. «Il n'y a, quant à moi, d'extrême que le
«Moins les gens pourront recevoir d'aide, plus la société sera
contexte; l'activité en tant que telle est pas mal plus soft qu'on peut l'imaginer.»
Tous sont encore une fois d'accord sur ce point. Leurs causes n'auraient donc malade», prévient M. Lahaise.
Ces compressions budgétaires coupent l'herbe sous le
d'extrêmes que leur réputation. «Les bénévoles qui travaillent chez Tel-Aide ou
Suicide Action ou auprès d'enfants gravement malades vivent à mon avis des pied de gens qui sont pourtant prêts à s'impliquer corps
et âme pour le bien-être de la société. «Ce qui me fait
situations plutôt extrêmes», nuance M. Lahaise.
peur, c'est que ces coupures m'enlèvent presque cette pasOrganismes et bénévoles en voie de disparition
sion et ce désir de m'engager. Ça finit par ronger», dira
Mais cette réputation qui colle à la peau d'organismes comme l'ARCAD ou le enfin Annick Lavogiez, bénévole engagée dans plusieurs
CSRQ n'est pas sans répercussions. Attirant peu de capital de sympathie poli- causes, dont le CSRQ. Et ces mots résonnent fort, quand
tique, surtout auprès des Conservateurs, ils sont maintenant victimes de coupures ils viennent de la bouche de la médaillée de la paix par les
financières majeures. Leur budget de fonctionnement – pourtant déjà au régime YMCA du Québec pour la qualité de son engagement...
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Une main tendue
entre les barreaux
Les mardis et jeudis soir, Jacques Fréchette est toujours occupé. Il
soupe en vitesse après le travail, pédale jusqu'au métro Saint-Michel
où il rejoint son groupe de covoiturage, direction Laval. Ce n'est pas
pour ses soirées hockey ou entre gars, mais plutôt pour ses soirées
de bénévolat où il anime des activités sociales dans des pénitenciers.
PAR CATHERINE GIROUARD
PHOTO : CATHERINE GIROUARD
J
acques Fréchette a commencé à faire du bénévolat en
prison par accident, raconte-t-il autour d'un café sur
la rue Masson. Un ami hongrois lui a lancé l'invitation
durant sa maîtrise. Déstabilisé par cette offre qui sortait
de l'ordinaire, il réfléchit pendant six mois avant de tenter
le coup.
Il était alors loin de se douter que la prison ferait dès lors
partie prenante de sa vie. 14 ans plus tard, le quinquagénaire qui travaille le jour à LEUCAN se rend encore aux
pénitenciers deux fois par semaine, un soir pour jouer à
des jeux de société, l'autre pour jouer au volleyball.
«Il y a parfois des choix qui nous choisissent, dit-il avec
philosophie en sirotant son double court. On ignore parfois pourquoi, mais il y a des choses qui nous interpellent et
le cœur répond à l'appel. J'ai simplement envie d'offrir une
main tendue.»
La réalité vs le préjugé : deux poids, deux mesures
Au début, Jacques ne savait pas du tout à quoi s'attendre. Il avait certaines craintes. Même si l'organisme
ARCAD, par l'entremise duquel il s'implique, prévient
les bénévoles que la réalité en prison est différente de
l'image véhiculée par les médias, le choc fut grand. «Il
y avait un fossé en moi entre la réalité et l'image que
je m'étais construite de la prison, se souvient-il. Quand
tu es à l'intérieur, la prison prend toute une dimension
humaine insoupçonnée.»
Ne pas porter de jugement sur les détenus qu'il côtoie
ne s'est pas fait du jour au lendemain. «Au début, je voulais
en savoir le moins possible sur ce qu'ils avaient fait pour ne
pas les juger. Moins j'en savais, mieux c'était», avoue-t-il.
Peu à peu, il a appris à voir l'homme derrière le crime.
«Quand tu connais l'histoire de ces gars-là, tu te rends
compte qu'ils ont manqué d'amour et qu'ils ont été laissés
à eux-mêmes trop jeunes, affirme-t-il. Ils étaient à la base
des victimes qui ne se savaient pas victimes.»
En tendant la main aux prisonniers durant des activités
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de socialisation où ils sont traités comme tout le monde,
Jacques et les autres bénévoles de l'ARCAD cherchent à
humaniser l'incarcération. «Le gouvernement Harper opte
plutôt pour la vieille approche punitive. Mais veut-on que les
détenus puissent fonctionner dans notre société à leur sortie
de prison, ou veut-on simplement leur mise aux fers?»,
questionne-t-il.
Aller au bout de son petit mystère
Inutile de chercher de midi à 14 h ce qui motive Jacques.
« Je n'ai d'autres explications à donner que mon désir de
faire ma petite part, de donner un sens à la vie », expliquet-il après un moment de silence, s'appliquant à trouver
les mots justes.
Ce dernier ne considère pas son bénévolat comme étant
extrême en soi. «Je suis sportif et compétitif de nature, je
m'amuse vraiment quand je vais en prison!, lâche-t-il. Pour
moi, ce qu'il y a d'extrême dans mon bénévolat, c'est de ne
rien attendre en retour.»
Son implication a-t-elle changé la personne qu'il est?
«Tout à fait, c'est comme si j'avais ouvert une toute petite
fenêtre en moi qui aère les pièces de mon intérieur»,
répond-il avec poésie.
Son bénévolat le rend-il plus heureux? «Plus entier», ditil plutôt.
Dans quelques heures, Jacques se rendra justement en
prison pour une partie de volleyball. Un soir de match
éliminatoire du Canadien. En enfilant son casque,
Jacques me dit qu'on devrait parler de sa passion pour
le vélo, lors d'une prochaine entrevue. Adepte depuis
ses 15 ans, il ne compte plus les kilomètres qu'il a parcourus sur deux roues. «J'habitais à la campagne durant
ma jeunesse; mon vélo me permettait de m'évader de ce
que je percevais comme étant ma prison. Mais je n'avais
pas compris que ma prison était dans ma tête.» Comme
quoi tous les outils sont bons pour faire tomber les
murs... même une main tendue.
DOSSIER
Pour moi,
ce qu'il y a
d'extrême dans
mon bénévolat,
c'est de ne rien
attendre en retour.
Je donne, mais
je plonge sans
attente.
- Jacques Fréchette
L'ARCAD
Depuis 1965, l'Association de rencontres culturelles avec
les détenus organise des activités de socialisation entre
des détenus et des citoyens libres. Des jeux de table, des
activités sportives ou artistiques servent de prétexte
pour permettre aux détenus d'agir dans un contexte plus
humanisant et où ils sont traités comme tout le monde.
L'organisme compte presque uniquement sur l'action de
bénévoles pour mener ses activités.
Budget annuel de l'organisme : 70 000 $
Mort annoncée : fin juillet, si le gouvernement ne
change pas son fusil d'épaule. « Avec mon budget annuel,
je fais voler un CF18 pendant deux heures », ironise le
coordonnateur de l'organisme, Pascal Bélanger.
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J'apporte
un peu de
tendresse à
ceux qui en
ont besoin.
- Marguerite Ronaldo
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Toucher pour guérir
Tous les jeudis après-midi, Marguerite Ronaldo se rend
à la Maison d'Hérelle. Depuis 1994, la massothérapeute
aujourd'hui à la retraite offre bénévolement des massages
aux résidents atteints du VIH-sida.
PAR JULIE LEVASSEUR
PHOTO : JULIE LEVASSEUR
A
u troisième étage du centre d'hébergement se do fait régulièrement des bilans avec les intervenants
trouve une petite pièce chaleureuse aux lumières et les usagers. Certains bénéficiaires se surprennent
tamisées et à l'atmosphère de détente. C'est là eux-mêmes lorsqu'ils remarquent l'amélioration de leur
que Marguerite Ronaldo reçoit les bénéficiaires de ses qualité de vie et sont très reconnaissants envers la bénéséances de «thérapie émotionnelle et corporelle», comme vole. «Ils n'ont pas toujours les mots pour le dire, mais on le
elle les décrit.
sent», confie-t-elle souriante.
La massothérapie est complémentaire aux traitements médicaux, explique la bénévole. «Le toucher a un S'aider en aidant
pouvoir à mi-chemin entre la psychologie et la médecine. La massothérapeute en apprend beaucoup sur elle-même
Les massages permettent aux clients de faire le point, de dans le cadre de son implication. La Maison d'Hérelle lui
donne, entre autres, l'occasion de confronter
prendre conscience de leur corps et de profiter
ses préjugés. «J'ai appris qu'il n'existe pas de
aussi du moment.»
clientèle type; le VIH-sida peut toucher n'imMme Ronaldo donne aux personnes séroJe
ne
veux
porte qui dans la société. Ma mission est d'aipositives l'occasion de prendre soin d'elles
et de se sentir mieux dans leur peau. «C'est
pas changer der les gens plus démunis et rejetés pour leur
apporter un peu de richesse humaine.»
un acte d'amour pour leur donner un second
le monde,
Après 20 ans de bénévolat, l'expérience
souffle», résume-t-elle.
est
toujours aussi gratifiante pour Marguejuste faire rite Ronaldo.
Un baume sur la maladie
«Il y a une forme de liberté dans
ma part.
Au-delà des massages, le bénévolat de
l'acte d'aider les autres sans rien attendre en
Marguerite Ronaldo repose en grande parretour», estime-t-elle. Son implication lui
tie sur l'écoute active. «Les clients ont connu
procure un équilibre et lui permet de satisun cheminement difficile et ont eu plusieurs deuils à faire faire son côté humanitaire. «Je me soigne en soignant les
à la suite de leur diagnostic : leur santé, leur emploi, leur autres. C'est un travail à la chaîne où chacun donne au
entourage qui les rejette, etc.», révèle-t-elle.
suivant pour améliorer la situation sociale.»
Son défi est d'apprivoiser la «clientèle» parfois difficile
d'approche. Elle les accompagne dans les différentes
étapes de la maladie, que ce soit vers la rémission ou la
fin de leur combat. Pour bien des «clients», il s'agit d'une
Située en plein cœur de Montréal, la
première expérience de massage. «Il y en a qui n'ont
Maison d'Hérelle est un centre
jamais été touchés comme ça dans leur vie», révèle Mme
d'hébergement communautaire adapté
Ronaldo, qui doit être patiente et y aller étape par étape.
aux besoins des personnes atteintes du
«Tout est dans la façon de désamorcer les peurs, afin de
créer un lien de confiance.»
VIH-sida. Depuis sa fondation en 1990,
Au fil des séances, la massothérapeute établit une relala Maison d'Hérelle a accompagné près
tion de proximité avec les résidents de la Maison d'Héde 1000 personnes séropositives.
relle, qui sont «comme une grande famille». Mme Ronal-
La Maison d'Hérelle
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Bénévoles et marginaux
Leur engagement et leur mobilisation rendraient jaloux plusieurs employeurs.
Pour preuve : ils sont quatre bénévoles à accompagner leur coordonnateur –
lui aussi bénévole depuis peu en raison des coupes budgétaires du fédéral – à
venir rencontrer L'Itinéraire. Leur cause n'est pourtant pas des plus séduisantes :
soutenir et responsabiliser des délinquants sexuels à haut risque de récidive.
PAR CATHERINE GIROUARD
PHOTO : CATHERINE GIROUARD
D
ifficile de dresser un portrait type du bénévole du
Cercle de soutien et de responsabilité du Québec
(CSRQ) après un tour de table. Maxime Falardeau,
un policier membre de l'équipe de soutien aux urgences
psychosociales. Fernand Bessette, Frère et doyen de l'organisme du haut de ses 71 ans. Christophe De Muylder,
venu de Belgique pour apprendre les méthodes avantgardistes de justice réparatrice des CSR. Et Annick Lavogiez, une jeune femme dans la trentaine, très impliquée
dans plusieurs causes. Leur trait commun : ils se sentent
tous investis d'une double mission.
«En aidant ces délinquants sexuels à se reprendre en
main, ce n'est pas juste leur vie qu'on aide à remettre sur le
droit chemin, c'est aussi plein de victimes potentielles qu'on
essaie d'éviter », explique d'entrée de jeu Annick Lavogiez.
Une fois par semaine, ces quatre bénévoles et des dizaines d'autres prennent le temps d'écouter, de soutenir,
de rassurer et de conseiller des délinquants sexuels qui
ont terminé de purger leur peine, mais qui sont toujours
considérés à haut risque de récidive. Ils deviennent les
confidents de ces hommes marginalisés, leur apportent
un soutien et les aident à lutter contre leurs démons intérieurs. Cette aide n'est pas banale quand on sait que
l'isolement social est l'une des plus grandes causes de
récidive pour ces hommes stigmatisés et rejetés.
Des bibittes rares
L'implication de ces bénévoles fait parfois l'objet de discussions animées. Pas étonnant : la délinquance sexuelle
est considérée comme étant le crime suprême. Mais l'impopularité de leur cause explique en quelque sorte une
des raisons de leur implication.
«J'avais envie de m'impliquer auprès d'eux parce que ces
hommes sont négligés par le système, affirme le policier
Maxime Falardeau. Les alcooliques, les hommes violents,
les femmes abusées, tout le monde a son service d'aide,
sauf eux.»
«Ça convient aussi à mon goût personnel d'être dans la
marge, avoue pour sa part Christophe De Muylder. Il faut
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bien que quelqu'un soit là où personne n'a envie d'aller.»
Mais l'histoire de ces hommes n'est-elle pas des plus
lourdes à partager ? Oui, parfois. Le Frère Bessette se souvient d'avoir quitté un cercle un soir, attristé et préoccupé
par l'état d'un des hommes. Ce dernier était révolté d'être
habité par des envies qu'il savait malsaines. «Il se sentait
comme harcelé, agressé par ses pulsions», se souvient-il.
Relation donnant-donnant
Malgré tout, ces bénévoles disent recevoir autant qu'ils
donnent, sinon plus, de la relation qu'ils développent
avec les membres du Cercle. «On est tous un peu égoïstes;
si ça ne nous faisait pas plaisir, on ne le ferait pas», fait
remarquer Annick Lavogiez, un sourire en coin.
«Je pensais que j'étais vivant en Inde, où j'ai habité
pendant plusieurs années, mais je me rends compte à 71 ans
que ces hommes me donnent vie, raconte le Frère Fernand
Bessette. Quand je vois la volonté qu'ils ont de s'en sortir
malgré tout, ça ne peut que me donner vie à moi aussi. La
recette de mon bonheur, c'est ça.»
Ces hommes sont la preuve vivante de notre capacité
à évoluer et nous battre, avancent-ils. «C'est paradoxal
que ce soient les pires criminels qui nous donnent foi en
l'humanité!», commente Maxime Falardeau. Paradoxal
en effet, mais leur bénévolat auprès de ces délinquants
sexuels a bel et bien quelque chose d'apaisant, disent-ils.
«Je suis toujours impressionné par leur faculté à regarder
ce qu'ils sont et ce qu'ils ont fait, souligne Christophe. Ils
m'apprennent à me regarder tel que je suis et à essayer de
parler des vraies affaires.»
«Ça a quelque chose de recadrant de venir ici», conclut Annick.
Quelque chose d'extrême, aussi? «Quand je viens au Cercle,
je viens discuter; c'est tout sauf extrême, comme bénévolat!»,
répond-elle sous l'approbation générale de ses pairs.
Les femmes majoritaires
On pourrait croire que la proportion de
femmes bénévoles auprès des délinquants
sexuels est à peu près représentative de
notre tablée – une femme pour trois hommes.
Au contraire, deux tiers des bénévoles du
CSRQ sont des femmes, et 88 % d'entre elles
ont moins de 30 ans.
De gauc he à
droite : le Frère
Fernand Bessette,
le policier Maxime
Falardeau, le
coordonnateur
du CSRQ Maxime
Janson et
Christophe De
Muylder. Annick
Lavogiez préférait
ne pas être
photographiée.
DOSSIER
Je vois les cercles
de soutien comme
la cordée en
escalade. Pour
des délinquants
sexuels, réinsérer
la société, c'est
pire que de gravir
la plus haute des
montagnes. Faire
ça seul, ce serait
suicidaire. - Le Frère Fernand Bessette
Ce que ces hommes ont
de plus monstrueux, on l'a
en nous aussi. La ligne est
tellement ténue entre la
part monstrueuse et la part
lumineuse en nous.
- Christophe De Muylder
Le Cercle de soutien
C'est le seul organisme
à offrir des services aux
délinquants sexuels. Il vise
notamment à accroître la
sécurité des collectivités
et à diminuer le nombre de
victimes d'actes criminels
en accompagnant, en aidant
et en responsabilisant des
personnes qui ont commis
des infractions de nature
sexuelle et qui retournent
dans la collectivité, afin qu'ils
mènent une vie responsable
et productive.
Mort annoncée : L'organisme devrait
être déjà mort. Depuis le 31 mars
dernier, il ne reçoit plus aucun
financement public. Si ce n'était
pas du don personnel du Frère
Fernand Bessette, pris à même son
héritage familial, l'organisme aurait
déjà cessé ses activités. L'équipe
peut assurer ses activités jusqu'en
septembre prochain, mais après
cette date, si rien ne change, le
CRSQ n'existera plus. Des dizaines
de délinquants sexuels à haut
risque de récidive se retrouveront
donc sans aucun soutien.
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