Exploration et prise en charge des hyperprolactinémies
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Exploration et prise en charge des hyperprolactinémies
gm_06_Touraine_bat3_jm_cngof09 12/11/13 12:46 Page115 Exploration et prise en charge des hyperprolactinémies P. TOURAINE (Paris) Résumé L’hyperprolactinémie est une pathologie fréquente à l’origine d’un retentissement sur l’axe gonadotrope. L’aménorrhée, les troubles du cycle et la galactorrhée prédominent chez la femme, tandis que chez l’homme, du fait de la fréquence des macro-adénomes, les troubles de la libido ou en rapport avec le volume tumoral sont souvent au premier plan. L’existence d’un dosage radio-immunologique performant rend aisé le diagnostic des hyperprolactinémies. Néanmoins, il est nécessaire d’éliminer les causes secondaires, et en particulier médicamenteuses, d’hyperprolactinémie avant de poursuivre les explorations à la recherche d’une tumeur hypophysaire par IRM. En fonction de l’étiologie, la question du choix du traitement se pose fréquemment. Le traitement de première intention des adénomes à prolactine repose sur l’utilisation d’agonistes dopaminergiques, en particulier de la cabergoline, du fait de leur très bonne efficacité et des risques de récidive après chirurgie. La prise en charge des adénomes chez une patiente présentant un désir de grossesse est maintenant bien codifiée, avec poursuite de l’agoniste dopaminergique Hôpitaux universitaires Pitié-Salpêtrière Charles Foix - Service d’endocrinologie et médecine de la reproduction - 47-83 boulevard de l’Hôpital - 75651 Paris cedex 13 Correspondance : [email protected] 115 gm_06_Touraine_bat3_jm_cngof09 12/11/13 12:46 Page116 TOURAINE pendant la grossesse en cas de macro-adénomes et arrêt de celui-ci en cas de microadénomes. Le traitement des hyperprolactinémies induites par les traitements antipsychotiques reste encore peu consensuel et nécessiterait une évaluation plus poussée. Mots clés : prolactine, hyperprolactinémie, adénome hypophysaire, agonistes dopaminergiques, chirurgie trans-sphénoïdale Déclaration publique d’intérêt L’auteur déclare n’avoir aucun intérêt direct ou indirect (financier ou en nature) avec un organisme privé, industriel ou commercial, en relation avec le sujet présenté. INTRODUCTION L’hyperprolactinémie est une situation fréquemment observée chez la femme en activité génitale et, qu’elle soit d’origine médicamenteuse ou tumorale hypophysaire, s’accompagne le plus souvent de troubles du cycle menstruel et d’une anovulation. Les traitements de l’hyperprolactinémie sont bien codifiés dans leur ensemble et sont surtout très efficaces, l’utilisation des agonistes dopaminergiques étant la classe médicamenteuse de référence. Sous traitement médical, tout comme lors de la cure chirurgicale d’un adénome, la normalisation des taux de prolactine (PRL) s’accompagne d’une restauration de la cyclicité menstruelle et donc du caractère ovulatoire des cycles. En cas d’absence de désir de grossesse, l’instauration d’une contraception est donc à préconiser chez ces femmes jeunes. Pour autant, malgré la grande faiblesse de la littérature, il a été très longtemps considéré que l’utilisation de contraceptions œstroprogestatives, quelles qu’elles soient, n’était pas indiquée dans ces situations, de peur de l’effet stimulateur bien connu des œstrogènes sur la synthèse et la sécrétion de prolactine. 116 gm_06_Touraine_bat3_jm_cngof09 12/11/13 12:46 Page117 EXPLORATION ET PRISE EN CHARGE DES HYPERPROLACTINÉMIES I. RAPPELS PHYSIOLOGIQUES ET ÉTIOLOGIES La synthèse et la sécrétion de prolactine, hormone peptidique, par les cellules lactotropes de l’hypophyse est sous le contrôle inhibiteur dominant dopaminergique qui agit en se fixant sur des récepteurs D2 situés au niveau hypophysaire. Cette synthèse de prolactine est en outre aussi sous l’influence de facteurs centraux ou périphériques, stimulateurs ou inhibiteurs, les plus importants étant la TRH et les œstrogènes comme facteurs stimulateurs. Les relations entre œstrogènes et prolactine sont connues depuis longtemps en physiologie et le rôle stimulant de l’œstradiol sur la sécrétion des cellules à prolactine par les cellules lactotropes ainsi que sur leur croissance est établi par un ensemble d’arguments expérimentaux et cliniques. Il existe ainsi des différences dans les taux plasmatiques de prolactine entre les hommes et les femmes et chez les femmes, ce taux est fonction de leur activité ovarienne. En effet, le taux de prolactine circulant est supérieur chez la femme après la puberté au taux retrouvé chez l’homme. Au cours du cycle menstruel, la prolactinémie augmente en restant dans les limites de la normale pour atteindre un maximum de 20 ng/ml autour de l’ovulation, c’est-à-dire quand le taux d’œstradiol est maximum. Au cours de la grossesse, situation d’hyperœstrogénie physiologique, le taux de prolactine est multiplié en moyenne par un facteur 10 et la taille de l’hypophyse augmente (taille normale jusqu’à 12 mm) par hyperplasie des cellules lactotropes [1]. La grossesse et la lactation sont donc les deux grandes situations physiologiques au cours desquelles les taux de prolactine sont augmentés, la première étant le modèle par excellence de définition du rôle de la prolactine, la seconde le témoin de l’action stimulatrice des œstrogènes. En dehors de cette action physiologique sur le sein au moment de la lactation, les hyperprolactinémies peuvent être dues à des adénomes lactotropes ou prolactinomes, qui représentent 40 % des adénomes hypophysaires [2]. Lorsqu’elle est d’origine tumorale, elle est en rapport le plus souvent avec un microprolactinome (< 10 mm, 90 % des cas), plus rarement avec un macroprolactinome. L’utilisation de médicaments antidopaminergiques (à visée digestive ou les neuroleptiques) s’accompagne également quasi constamment d’une élévation des taux de prolactine. La prévalence des hyperprolactinémies peut être estimée de différentes façons ; dans des séries d’autopsies, il a été identifié jusqu’à 12 % d’adénomes hypophysaires [3]. Sinon la plupart des études identifient l’hyperprolactinémie dans 30 à 90 cas/100 000 femmes, avec 117 gm_06_Touraine_bat3_jm_cngof09 12/11/13 12:46 Page118 TOURAINE un pic autour de la trentaine. L’incidence annuelle est de 23,9 nouveaux cas pour 100 000 personnes-années [4]. II. MANIFESTATIONS CLINIQUES Elles sont généralement en rapport avec son influence sur l’axe gonadotrope, plus rarement avec les risques liés au volume tumoral de l’adénome. Chez la femme en période d’activité génitale, les circonstances de découverte de l’hyperprolactinémie sont généralement en rapport avec son influence sur l’axe gonadotrope, à l’origine d’une aménorrhée secondaire le plus souvent ou d’une infertilité [5]. Une galactorrhée est présente dans 80 % des cas. Ce qui signifie que l’absence de galactor rhée ne doit pas empêcher de faire un tel diagnostic. Certaines femmes ayant une hyperprolactinémie se présentent avec une spanioménorrhée, voire des cycles réguliers. Il convient alors d’affirmer la qualité ovulatoire en dosant la progestérone vers le 20e jour du cycle. Dans la majorité des cas, l’hyperprolactinémie est en rapport avec un microadénome, sans retentissement sur le champ visuel. Chez l’homme, l’hyperprolactinémie est responsable d’une impuissance, d’une infertilité ou d’une diminution de la libido, mais ces symptômes sont rarement à l’origine de la découverte de l’hyperprolactinémie [6]. En effet, celle-ci est souvent en rapport avec un macro-adénome, qui peut être à l’origine d’un syndrome tumoral, de perturbations du champ visuel ou d’un pan-hypopituitarisme. L’existence d’une galactorrhée ou la gynécomastie est exceptionnelle. Dans les deux sexes, lorsque l’hyperprolactinémie est ancienne, une déminéralisation osseuse peut être aussi observée. Son mécanisme au cours de l’hyperprolactinémie semble corrélé non pas tant à l’élé vation des taux de prolactine qu’au degré d’hypogonadisme observé. III. DIAGNOSTIC Avec un dosage de prolactine fiable, le diagnostic est le plus souvent aisé. Il n’y a plus, dans ce contexte, de place pour réaliser des 118 gm_06_Touraine_bat3_jm_cngof09 12/11/13 12:46 Page119 EXPLORATION ET PRISE EN CHARGE DES HYPERPROLACTINÉMIES tests de stimulation comme le test à la TRH ou au Primperan®. Il repose uniquement sur le dosage de prolactine basale qui doit être demandé devant chacun des signes cliniques évoqués. Si l’hyperprolactinémie est modérée (< 50 ng/ml), il faut répéter les dosages de prolactine, voire rechercher la présence d’une big-big prolactine en l’absence de tableau clinique évocateur (fruit probable d’une liaison entre la prolactine glycosylée et des immunoglobulines, à l’origine de « fausses » hyperprolactinémies) [7]. Il n’y a pas de nécessité absolue à ce que cet examen soit réalisé stricto sensu à jeun, et après une période de repos prolongée. De même, il faut s’assurer de l’existence d’une grossesse ou non, d’une hypothyroïdie ou d’une insuffisance rénale. Cela est fondamental afin d’éviter des bilans et des mises en route de traitements intempestifs chez des femmes. L’élévation des taux de prolactine est habituellement en rapport avec la taille du prolactinome. En cas de macroprolactinome, les taux plasmatiques de prolactine sont en général supérieurs à 200 µg/l [8]. L’imagerie de référence est l’IRM, centrée sur l’hypophyse avant et après injection de gadolinium. Elle permet le diagnostic des prolactinomes de plus de 2 mm. Cet examen, qui doit être pratiqué devant toute hyperprolactinémie confirmée, peut aussi révéler une volumineuse tumeur de la région hypothalamo-hypophysaire à l’origine d’une hyperprolacti némie de déconnexion, en général modérée, inférieure à 50 ng/ml. Lorsqu’aucune cause d’hyperprolactinémie n’est identifiée, on parle alors d’hyperprolactinémie idiopathique ou non tumorale. Celleci pourrait être en rapport avec un microprolactinome, trop petit pour être détecté à l’IRM. Sa prise en charge est identique à celle du microadénome. IV. TRAITEMENT Le traitement médical de l’hyperprolactinémie fait appel aux agonistes dopaminergiques : bromocriptine (Parlodel ®), lisuride (Dopergine®), quinagolide (Norprolac®), cabergoline (Dostinex®). Dans plus de 80 % des cas, une prolactinémie normale et des cycles ovulatoires sont obtenus [6, 8, 9]. Une fois la prolactinémie normalisée (surtout si celle-ci est très basse), on tend actuellement à diminuer la posologie (ou la fréquence d’administration si l’on utilise la 119 gm_06_Touraine_bat3_jm_cngof09 12/11/13 12:46 Page120 TOURAINE cabergoline) de façon à obtenir la moindre dose permettant de maintenir une prolactinémie normale [10]. Dans 5 à 10 % des cas, une résistance à la bromocriptine oblige à avoir recours à un autre agoniste dopaminergique (dont le succès à normaliser la prolactinémie est variable). Beaucoup des patients résistants à la bromocriptine sont sensibles au quinagolide et surtout à la cabergoline [10-13]. Il faut parfois attendre plusieurs mois ou années avant de voir se normaliser la PRL sous cabergoline dans les cas d’adénomes « résistants » et l’on peut observer, chez certains patients porteurs d’un macroprolactinome, une dissociation de l’effet thérapeutique avec réduction significative du volume tumoral malgré une efficacité biologique médiocre. En pareil cas, l’objectif est au moins d’obtenir un retour de cycles normaux (et une stabilisation du volume tumoral), et ne doit pas tenir compte de la PRL. Lorsqu’aucun agoniste dopaminergique n’est efficace, on a toujours la possibilité de se tourner vers la chirurgie qui, même si elle ne normalise pas la prolactinémie (c’est particulièrement vrai en cas de macro-adénomes et/ou d’adénomes invasifs), peut permettre de réduire la masse tumorale et le taux de prolactine. On peut alors envisager de refaire l’essai d’un agoniste dopaminergique qui permettra peut-être, partant d’une prolactinémie inférieure, d’atteindre un meilleur objectif thérapeutique. La tolérance aux agonistes dopaminergiques est parfois médiocre (malaises, nausées, hypotension orthostatique...) en particulier avec la bromocriptine qui semble moins bien tolérée que le quinagolide qui lui-même est moins bien toléré que la cabergoline [6, 10]. En cas d’intolérance digestive à un agoniste dopaminergique, il faut en essayer un autre, en commençant à faible dose et en proposant une ascension posologique progressive jusqu’à obtenir une prolactinémie normale. Si les doses normalisant la PRL sont mal tolérées, on pourra diminuer la posologie permettant au moins d’obtenir un retour de cycles normaux, sans tenir compte alors de la PRL. IV.1. Quel suivi neuro-radiologique sous traitement médical ? Le suivi neuro-radiologique doit tenir compte, bien évidemment, des situations particulières. L’expérience prouve néanmoins que les modifications de volume sont généralement très progressives (à l’échelon des mois, mais rarement au-delà de deux ans), que les microadénomes restent dans l’immense majorité des cas des micro-adénomes (a fortiori s’ils sont traités par des agonistes dopaminergiques !) et qu’une fois obtenues, les réductions de volume sont stables, en particulier si les 120 gm_06_Touraine_bat3_jm_cngof09 12/11/13 12:46 Page121 EXPLORATION ET PRISE EN CHARGE DES HYPERPROLACTINÉMIES traitements agonistes dopaminergiques sont poursuivis ! Le suivi neuroradiologique doit donc tenir compte de tous ces éléments [6]. Ainsi, en cas de macroprolactinome : la première IRM pourra être faite après 3 mois de traitement, puis après un an de traitement, puis tous les ans pendant 5 ans et une fois tous les 5 ans lorsque le volume obtenu est stable (à condition d’un contrôle annuel de la PRL). En cas de microprolactinome, la plupart des experts considèrent qu’un contrôle est peu utile sous traitement ; toutefois on peut préconiser une première IRM à 1 an puis tous les 3 ans suivant la taille initiale du micro-adénome. IV.2. Si le traitement par cabergoline est mieux toléré et plus efficace que les autres agonistes dopaminergiques, pourquoi ne pas le prescrire en première intention ? Tout semble effectivement porter à prescrire d’emblée de la cabergoline en cas d’hyperprolactinémie… mais deux arguments peuvent faire discuter cette prescription de première intention : le prix et le désir de grossesse à brève échéance, qui devraient logiquement inciter à remettre à la bromocriptine par sécurité, même si les données épidémiologiques existent sur l’absence d’effets tératogènes de la cabergoline. Dans la pratique la cabergoline est effectivement, en toutes circonstances, le traitement prescrit de première intention. IV.3. Peut-on interrompre le traitement par agoniste dopaminergique ou faut-il le poursuivre à vie ? Il n’y a pas d’argument pour penser qu’un traitement agoniste dopaminergique très prolongé ait des inconvénients (la bromocriptine étant disponible depuis les années 70-80, certaines femmes ont ce traitement depuis plus de 20 ans !). Néanmoins, la tendance actuelle est d’essayer d’interrompre le traitement chez les patients dont la prolactinémie a été normalisée au long cours (quelques années), surtout depuis qu’on a l’expérience du traitement par cabergoline. En effet, après traitement prolongé par la bromocriptine, son interruption n’entraîne une ré-ascension de la PRL et un retour des symptômes de l’hyperprolactinémie que dans 20 à 30 % des cas environ [8]… mais après traitement prolongé par cabergo line, cela se produit également [14]. La persistance, sous traitement, d’un résidu adénomateux constituerait un facteur de risque de récidive 121 gm_06_Touraine_bat3_jm_cngof09 12/11/13 12:46 Page122 TOURAINE après interruption. Il est donc licite d’interrompre de temps en temps (une fois tous les 2 ans ?) le traitement agoniste dopaminergique afin de vérifier que le patient en a encore besoin. Mais attention, en particulier quand c’est un traitement par cabergoline qui a été prescrit pendant longtemps, du fait de sa demi-vie très longue, il faut parfois plusieurs mois voire années pour que la prolactinémie remonte : un suivi avec des dosages de PRL très à distance (plusieurs années) est donc indispensable avant d’affirmer la guérison d’un prolactinome par le traitement médical. Une autre solution afin de savoir si l’on pourra essayer d’interrompre le traitement consiste, lorsque la prolactinémie est normalisée (et éventuellement que la diminution de volume d’un macro-adénome est stable), à diminuer de façon progressive, par paliers (tous les 6 mois ? tous les ans ?) la posologie de l’agoniste de façon à obtenir la moindre dose efficace permettant la normalisation de la PRL et le maintien d’un volume stable de l’adénome [6]. IV.4. Que faire en cas de symptômes d’hyperprolactinémie lorsque celle-ci est d’origine médicamenteuse ? La présence d’une hyperprolactinémie sous neuroleptiques n’est pas synonyme de signes cliniques : la majorité des femmes sous neuroleptiques et qui présentent une hyperprolactinémie n’en ont pas de conséquences [15, 16] : c’est donc bien en cas de symptômes secondaires à l’hyperolactinémie (oligoménorrhée ou aménorrhée, sécheresse vaginale, troubles sexuels voire ostéoporose) que doit se poser la question d’une intervention thérapeutique. En cas de symptômes, il est logique, plutôt que de prescrire un agoniste dopaminergique (qui sera d’ailleurs souvent inefficace), d’interrompre le médicament hyperprolactinémiant. C’est parfois difficile, voire dangereux, en particulier chez les psychotiques traitées par neuroleptiques (heureusement les neuroleptiques de nouvelle génération dits « atypiques » semblent moins souvent responsables d’hyperprolactinémie que les neuroleptiques classiques [17, 18]). Dans ces cas, on peut essayer un traitement agoniste dopami nergique, mais il est malheureusement souvent inefficace [19]. On préférera alors, de façon systématique, vérifier par un scanner ou une IRM qu’il n’existe pas d’adénome hypophysaire associé, dont l’hypersécrétion de PRL aurait été amplifiée par le traitement antidopaminergique et qui serait potentiellement curable par un geste chirurgical simple (la valeur de la prolactinémie n’est pas indicative 122 gm_06_Touraine_bat3_jm_cngof09 12/11/13 12:46 Page123 EXPLORATION ET PRISE EN CHARGE DES HYPERPROLACTINÉMIES puisque des prolactinémies allant jusqu’à 400 ng/ml ont été observées sous neuroleptiques [17]. Si l’on met en route un traitement par agoniste dopaminergique, l’objectif chez ces patientes ne sera pas la normalisation à tout prix de la PRL mais le retour de cycles spontanés (ou provoqués par un traitement progestatif prescrit durant 10 jours chaque mois), témoin d’une imprégnation œstrogénique satisfaisante. Si l’on n’y parvient pas (ce d’autant qu’il peut être indispensable d’assurer une contraception), il est souvent nécessaire, en particulier chez la femme en aménorrhée par carence œstrogénique, à risque de développement précoce d’une ostéoporose, d’avoir recours à un traitement œstroprogestatif substitutif ou contraceptif (qui ne résoudra pas, cependant, le problème de la galactorrhée, si elle existe). Si l’intérêt du traitement médical de première intention peut être discuté dans les microprolactinomes en raison des bons résultats de la chirurgie (85 % de guérison), il ne fait aucun doute, en cas de macroprolactinome, lorsque la nature prolactinique de la lésion tumorale est prouvée (en général parce que la prolactinémie est très supérieure à 150-200 ng/ml). En effet, dans ces macroprolactinomes, les résultats du traitement chirurgical sont souvent décevants (persistance, en postopératoire, d’une hyperprolactinémie dans plus de 60 % des cas, car l’exérèse de la tumeur est rarement complète) [6, 20]. Surtout, le traitement par les agonistes dopaminergiques permet non seulement la normalisation des concentrations de prolactine mais, dans 70 % des cas environ, une régression souvent spectaculaire du volume tumoral (permettant de régler rapidement, s’ils existent, les problèmes visuels liés à la compression du chiasma par la tumeur) [6, 20]. Lorsque le prolactinome est découvert chez un enfant ou un adolescent au stade prépubertaire, le traitement médical de première intention permet, dans la majorité des cas grâce à la normalisation de la prolactinémie, la restauration de la fonction gonadotrope et un développement pubertaire satisfaisant [21, 22]. IV.5. En cas de macroprolactinome traité médicalement par les agonistes dopaminergiques, faut-il utiliser d’emblée de fortes doses, ou de faibles doses ont-elles le même effet ? On ne dispose pas de données permettant actuellement de recommander telle ou telle attitude. L’introduction du traitement à doses progressives est susceptible, par ailleurs en limitant les effets secondaires initiaux, d’améliorer l’adhésion au traitement. 123 gm_06_Touraine_bat3_jm_cngof09 12/11/13 12:46 Page124 TOURAINE IV.6. Le traitement préalable par les agonistes dopaminergiques pose-t-il des problèmes pour la qualité d’un geste chirurgical éventuel ultérieur ? Après un premier article retentissant faisant état de difficultés opératoires après traitement préalable par les agonistes dopaminergiques [23] diminuant le taux de succès de la chirurgie et des publications notant, à l’examen anatomopathologique, des remaniements fibreux des adénomes [24], s’est répandue l’idée que le traitement préalable par les agonistes dopaminergiques ne devait pas être utilisé si un geste chirurgical était envisagé. En fait plusieurs études prospectives, contrôlées, dans lesquelles le chirurgien ne savait pas si le patient avait ou non été préalablement traité par les agonistes dopaminergiques, ont montré que ni le caractère « fibreux » des adénomes, ni le taux de succès de la chirurgie n’étaient influencés par un traitement médical préalable en cas de microprolactinome [6, 25-29]. Tout au plus peut-on admettre qu’il est plus difficile au chirurgien, au moment de l’intervention, de reconnaître un adénome lorsque son image a « disparu » sur l’IRM, après un traitement préalable par les agonistes dopaminergiques. En cas de macro-adénome, le traitement par bromocriptine, s’il est prolongé au-delà de 6 à 12 semaines, peut favoriser le développement d’une fibrose chez quelques patients qui peut limiter la qualité de l’exérèse... mais il est rare qu’on soit amené à proposer un traitement chirurgical en cas de macroprolactinome de nos jours ! IV.7. Faut-il traiter un microprolactinome après la ménopause ? On peut interrompre le traitement agoniste dopaminergique après la ménopause en cas de microprolactinome pour 2 raisons : 1) on ne dispose d’aucun argument pour un effet délétère sur la santé d’une hyperprolactinémie en dehors de l’effet sur la fonction gonadotrope (et donc sur la fonction ovarienne avec les problèmes d’infertilité et de carence œstrogénique… qui ne se posent donc que pendant la période d’activité génitale), en particulier, il n’y a pas d’arguments épidémiologiques convaincants d’une association entre hyperprolactinémie et cancer du sein. La plupart des études ne trouvent pas d’association ou trouvent une association positive non significative entre l’incidence du cancer du sein après la ménopause et la prolactinémie ; cependant une mise au point récente souligne le potentiel rôle de la prolactine sur la tumorogenèse mammaire [30]. 124 gm_06_Touraine_bat3_jm_cngof09 12/11/13 12:46 Page125 EXPLORATION ET PRISE EN CHARGE DES HYPERPROLACTINÉMIES L’hyperprolactinémie après la ménopause ne semble donc pas exposer à un risque de cancer du sein ; 2) la seconde raison est la normalisation spontanée progressive très fréquente de la PRL après la ménopause (44 % des cas dans une étude [31]). Le traitement hormonal substitutif de la ménopause n’est pas contre-indiqué. Le traitement pourra être repris en cas de galactorrhée gênante. IV.8. Y a-t-il des indications de traitement médical en cas de macroprolactinémie ? A priori, la macroprolactinémie ne relève pas d’un traitement par agoniste dopaminergique si elle est asymptomatique (autrement dit si elle a été découverte par hasard et que la patiente n’a ni trouble des règles, ni galactorrhée) ou si les troubles des règles relèvent d’une autre cause [32, 33] (par exemple dystrophie ovarienne polykystique, dont on connaît la prévalence dans la population générale [34, 35]) car alors, le traitement médical sera inefficace… voire même pourra retarder la recherche d’une autre cause aux troubles gonadiques ou sexuels ou à l’infertilité [36]. Néanmoins d’authentiques micro- (ou macro) prolactinomes s’accompagnent d’une authentique hyperprolactinémie, majorée par une macroprolactinémie [37] Dans ces cas il ne faut bien sûr pas s’arrêter à la découverte de la macroprolactinémie et traiter médicalement comme toute hyper prolactinémie : le retour de cycles normaux et/ou d’une fertilité normale constitueront, de manière pragmatique, la preuve de la responsabilité d’une authentique hyperprolactinémie dans les troubles présentés par la patiente. CONCLUSION Les possibilités de traitement des adénomes à prolactine sont donc variées, visant à la fois à guérir les signes cliniques, à rétablir un équilibre hormonal et contrôler l’éventuelle masse tumorale que présente le patient. Grâce au respect de ces principes, les hyper prolactinémies, qui sont un motif fréquent de consultation, peuvent être adéquatement contrôlées dans la très grande majorité des cas par un traitement médicamenteux maintenant bien toléré. 125 gm_06_Touraine_bat3_jm_cngof09 12/11/13 12:46 Page126 TOURAINE Bibliographie [1] Christin-Maitre S, Delemer B, Touraine P, Young J. Prolactinoma and estrogens: pregnancy, contraception and hormonal replacement therapy. Ann Endocrinol 2007; 68:106-112. [2] Castinetti F, Brue T. Hyperprolacitnémie In Traité d’Endocrinologie, Ph Chanson et J Young, Éditeurs, Med Sciences, Flammarion 2007:938-942. [3] Buurman H, Saeger W. Subclinical adenomas in post-mortem pituitaries: classi fication and correlations to clinical data. Eur J Endocrinol 2006;154:753-758. [4] Kars S, Souverein PC, Herings RM, Romijn JA, Vandenbroucke JP, de Boer A, Dekkers OM. Estimated age and sex-specific incidence and prevalence of dopamine agonisttreated hyperprolactinemia. 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