Le poids des banques étrangères en Belgique:
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Le poids des banques étrangères en Belgique:
Visitez notre site web: http://www.pechesbancaires.eu Le poids des banques étrangères en Belgique: questions/réponses Philippe Lamberts, Député européen Ecolo - Date: 22.04.2013 1. Comment le paysage bancaire belge a-t-il évolué depuis la crise? Comme le montre le graphique présenté en annexe, une large part du secteur bancaire belge est aujourd’hui dominée par cinq grandes banques étrangères. Quatre d’entre elles (Deutsche Bank, BNP Paribas, ING, et Crédit Agricole Group) sont désignées par les régulateurs financiers comme ‘systémiques’: c’est-à-dire qu’en raison de leur grande taille, elles représentent un danger pour l’ensemble de l’économie en cas de faillite. Ce processus d’internationalisation du système bancaire belge s’est par ailleurs accéléré depuis le déclenchement de la crise financière de 2007. 2. Pourquoi les groupes bancaires étrangers s’intéressent-ils autant au marché belge? Les banques étrangères sont intéressées par le marché belge principalement parce que le pays se caractérise par une épargne abondante, qu’elles peuvent récolter et investir ailleurs. En effet, les Belges épargnent plus que la moyenne européenne : fin 2012, ils disposaient de 230,6 milliards sur leurs comptes épargne, un record historique ! 3. Quels sont les effets pervers liés à l’internationalisation du système bancaire belge? La présence de banques étrangères sur le marché belge ne constitue pas un mal en soi. Au contraire, l’économie belge n’étant pas en mesure d’absorber la totalité de l’excédent d’épargne des ménages, il est plutôt utile que des banques étrangères investissent une partie de l’épargne collectée en Belgique ailleurs en Europe ou dans le monde. En outre, disposer d’une appellation “Blanc-Bleu Belge” est loin d’être un gage de bonne gestion dans le secteur bancaire (pensons aux récents déboires financiers de Fortis, Dexia ou KBC). Néanmoins, l’internationalisation du système bancaire belge pose problème aujourd’hui pour deux raisons principales: d’une part, l’ampleur prise par le phénomène est inédite; d’autre part, la nature des activités des grandes banques étrangères présentes en Belgique pose un risque pour la stabilité du système financier belge. Plus précisément, cinq effets pervers découlent du poids démesuré des grandes banques étrangères en Belgique: • L’éloignement des centres de décision. Selon Febelfin, plus de 80% des banques présentes en Belgique ont désormais leurs centres de décision situés à l’étranger1. Or, un tel processus peut nuire aux intérêts économiques de la Belgique. Exemples: (a) concernant la réduction de son réseau d’agences, BNP Paribas a décidé de passer à l’acte d’abord en Belgique, en procédant d’ici trois ans à la fermeture de 150 agences; (b) un certain nombre d’entreprises belges observent depuis 2010 que, suite à la restructuration par les banques de leurs services aux entreprises et au transfert de ceux-ci à Paris ou à Amsterdam, elles éprouvent des difficultés à trouver une banque chef de file pour le financement de leurs opérations importantes2. 1 VINCENT, Anne, 2012, “La recomposition du paysage bancaire belge depuis 2008”, CRISP, Numéro 2158/2159 2 Interview de Pierre Mottet, administrateur délégué d’IBA, L’Echo, 17 mars 2012, cité par VINCENT, Anne, 2012, op. cit. • L’augmentation du risque de transferts massifs de fonds depuis les filiales/succursales belges vers leur société-mère. Ce risque est particulièrement aigu en période de crise où, confrontée au resserrement du crédit interbancaire, une société-mère en difficulté est encline à transférer massivement des liquidités depuis ses filiales ou succursales vers ses propres comptes et ce, afin de rembourser ses dettes venues à échéance. Ces liquidités ne peuvent plus être à leur tour utilisées par les filiales et/ou succursales concernées pour faire face à leurs propres engagements financiers3. Certes, dans le cas d’une filiale, celle-ci est légalement obligée de maintenir un seuil minimum de fonds propres, ce qui limite les transferts potentiels vers la société-mère. Par contre, dans le cas d’une succursale, les fonds peuvent être délocalisés plus facilement, dans la mesure où celle-ci n’est généralement pas contrainte de respecter des exigences minimales de fonds propres. Concernant le contexte belge, plusieurs exemples illustrent le risque de transferts massifs évoqué ci-dessus. Fin 2010, Deutsche Bank Belgique (succursale du groupe Deutsche Bank) a irrigué en liquidités sa maison-mère allemande pour un montant avoisinant les 10 milliards d’euros. Il s’agissait à l’époque de quasi 95% du bilan de Deutsche Bank Belgique et de 29 fois ses fonds propres4! En octobre 2011, la Banque nationale de Belgique (BNB) s’est montrée préoccupée par l’ampleur des transferts de Fortis Banque (filiale belge du groupe BNP Paribas) - de l’ordre de 30 milliards d’euros - vers sa maison-mère française, qui était alors secouée sur les marchés financiers en raison de la crise grecque. Des transferts de même ampleur - de l’ordre de 30 à 40 milliards d’euros - avaient été observés également par le passé entre Dexia Banque et la branche française Dexia Crédit local de France5. • L’accroissement des risques de contagion transfrontalière. L’exposition de la maisonmère à des risques excessifs peut mettre en danger la santé financière de ses filiales et/ ou succursales. L’expérience récente montre en particulier que les banques qui se livrent de manière excessive à des activités de marché (activités de “trading” en anglais) sont vulnérables aux chocs soudains et aux réactions extrêmes des marchés financiers6. Or, dans le cas du secteur bancaire belge, quatre des cinq groupes bancaires qui le dominent (Deutsche Bank, BNP Paribas, ING, Crédit Agricole) se livrent - dans des proportions non négligeables - à ce type d’activités [voir le péché “Perversion”]. Si ces banques devaient à l’avenir enregistrer des pertes massives sur les marchés financiers, leurs filiales et/ou succursales établies en Belgique en paieraient directement les frais. Deux remarques peuvent être formulées à ce sujet. Tout d’abord, rappelons que les succursales sont théoriquement plus vulnérables aux risques de contagion transfrontalière que les filiales, dans la mesure où elles ne sont pas légalement distinctes de leur maison-mère et, par conséquent, n’ont aucune obligation de capital. Deuxièmement, il convient de noter qu’en cas de transmission de chocs financiers de la maison-mère vers la filiale belge, c’est à l’Etat belge qu’il incombe in fine d’en supporter les couts éventuels. Voilà un paradoxe inquiétant: bien que les orientations stratégiques des banques belges soient aujourd’hui majoritairement le fruit de décisions prises à l’étranger, les risques qui y sont associés sont toujours supportés en dernier ressort par l’Etat belge. • L’aggravation du risque d’utilisation des dépôts des épargnants belges à des fins spéculatives. Comme nous l’avons souligné ci-dessus, les grands établissements bancaires étrangers actifs en Belgique se livrent - dans des proportions non négligeables - à des activités de marché, dont l’utilité économique est douteuse, parfois même négative. A travers leurs filiales et/ou succursales établies en Belgique, elles ont un accès direct à des liquidités abondantes qui, de surcroît, bénéficient de la garantie de l’Etat belge (du moins dans le cas des dépôts des filiales belges). • L’affaiblissement de la supervision exercée au niveau national. La Banque Nationale de Belgique (BNB) – en charge du contrôle prudentiel – n’est en mesure d’exercer une supervision directe que sur les filiales belges des groupes transfrontaliers, et non sur l’ensemble de leurs activités. En outre les succursales de groupes étrangers qui sont établies en Belgique échappent totalement à son contrôle. Autrement dit, la Banque nationale n’a pas les moyens d’empêcher les sociétés-mères de groupes étrangers de prendre des positions risquées qui peuvent mettre en danger la santé financière de leurs filiales ou succursales établies 3 BREI, Michael, mars 2013, note interne 4 Trends tendances, 18 novembre 2011, “Deutsche Bank Belgique continue d’abreuver sa maison-mère”, http://trends.levif.be 5 VINCENT, Anne, op. cit. 6 BREI, Michael, mars 2013, op. cit. en Belgique. Néanmoins, suite à l’accord européen de mars 2013 sur la mise en place d’un mécanisme de supervision unique des banques (premier pas vers l’Union bancaire), la Banque centrale européenne (BCE) sera désormais directement en charge de la supervision des plus grands établissements bancaires et systémiques (dont BNP Paribas, Crédit Agricole, Deutsche Bank, et ING). Il faut donc espérer – bien que la BCE ait tendance à servir d’abord les intérêts du secteur bancaire – que l’établissement d’une supervision intégrée des établissements à haut risque limite à l’avenir les risques de contagion transfrontalière. L’enjeu est particulièrement important pour la Belgique. 4. En cas de faillite de la maison mère, qui garantit les dépôts des clients belges de la filiale et/ou succursale? Le régime appliqué varie selon qu’il s’agisse d’une filiale ou d’une succursale. Dans le cas d’une filiale, c’est à l’Etat qui accueille la filiale de garantir les dépôts (à hauteur de maximum 100 000 euros) des clients nationaux en cas de faillite. Par exemple, en cas de faillite de BNP Paribas, ce serait à l’Etat belge de garantir les dépôts de BNP Paribas Fortis (filiale belge du groupe BNP Paribas). A l’inverse, lorsqu’il s’agit d’une succursale, c’est à l’Etat dans lequel est basé la maison-mère du groupe d’indemniser les clients. Par exemple, en cas de faillite du groupe Deutsche Bank, ce serait à l’Etat allemand de garantir les dépôts des clients de Deutsche Bank Belgique (succursale du groupe Deutsche Bank). Le cas islandais met néanmoins en question l’application d’une telle règle. Le 28 janvier 2013, la cour de l’Association européenne de libre-échange (AELE) a en effet tranché en faveur l’Islande, en lui reconnaissant le droit – suite à l’effondrement de ses banques survenu en octobre 2008 - de refuser de rembourser les épargnants étrangers7. 5. Comment limiter les effets pervers liés à l’internationalisation du système bancaire belge? Les dispositions suivantes peuvent être envisagées : • Limiter les expositions intragroupes. Il est nécessaire de plafonner le montant des prêts octroyés par les filiales bancaires établies en Belgique à leur société-mère. À ce propos, la Belgique a précisément prévu de limiter dès cette année à 100 % des fonds propres les expositions aux risques des filiales opérant en Belgique sur leur société-mère ou sœur. Une telle disposition vise à réduire deux risques principaux: (i) la propagation à une filiale établie en Belgique des difficultés subies par la société mère ou d’autres filiales; (ii) la cession - à la société mère ou à d’autres filiales - d’actifs bilanciels importants de la filiale. Néanmoins, certains économistes estiment que ce pourcentage demeure encore trop élevé8. En effet, dans les cas de BNP Paribas Fortis et d’ING Belgique, le seuil de 100% des fonds propres représentent tout de même respectivement 25,5 milliards d’euros et 10,4 milliards d’euros (chiffres 2011). En outre, les succursales bancaires de droit étranger (ex. Deutsche Bank Belgique) échappent à la limitation des prêts par les filiales bancaires belges à leur société mère. • Renforcer la transparence sur les investissements réalisés au moyen de l’épargne collectée en Belgique. Il convient d’imposer aux banques une traçabilité de l’épargne collectée, comme le font déjà actuellement des banques telles que Triodos9. • Contraindre les banques actives en Belgique à commercialiser un livret vert orienté vers le financement de projets à haute valeur environnementale et sociale. L’objectif d’une telle disposition - qui s’inspire du modèle du Livret A français - est d’injecter rapidement des dizaines de milliards d’euros dans l’économie belge et dans la création d’emplois, pour la construction ou la rénovation de logements à haute efficacité énergétique, pour le financement des investissements des PME ou des collectivités locales. Pour rappel, le député fédéral Ecolo Georges Gilkinet a déposé le 6 septembre 2012 une proposition de loi relative à la création d’un livret d’épargne vert10. 7 Le Monde, 28.01.2013, “L’AELE donne raison à l’Islande face aux épargnants étrangers”, http://www.lemonde.fr 8 AGEFI, 10 novembre 2011, “L’atout envié des dépôts bancaires belges”, http://www.agefi.fr/articles/l-atout-envie-des-depotsbancaires-belges-1198889.html 9 http://www.triodos.be/fr/la-banque-triodos/votre-epargne-a-la-trace/ 10 Proposition de loi du 6 septembre 2012, déposée par G.Gilinet, M. Almaci et consorts (chambre des représentants). Doc 53 2410/001, Lien vers le texte officiel: http://www.georgesgilkinet.be/IMG/pdf/20120906_PL_Livret_Vert.pdf • Promouvoir une “désintermédiation” de l’activité financière11. Rien ne garantit aujourd’hui que l’argent collecté par les banques via les livrets d’épargne soit prêté à l’économie belge. Dans le cas de certaines grandes banques, les crédits à l’économie belge représentent en effet moins de 20 ou 30 % du bilan12. En outre, en raison du manque de concurrence, les banques sont en mesure de réduire leur disponibilité à financer à long terme et d’augmenter leurs marges bénéficiaires sur les crédits octroyés. D’où la nécessité d’encourager le financement direct de l’Etat ou de l’économie belge par les épargnants. Comment? De nombreux experts suggèrent de procéder à une réforme de la fiscalité sur l’épargne, en étendant l’exonération de précompte mobilier (impôt forfaitaire sur les revenus du capital) - dont ne bénéficient actuellement que les livrets d’épargne et les “bons d’assurance” - à d’autres instruments d’épargne. Ces derniers pourraient, par exemple, inclure les bons d’Etat, les obligations d’entreprise, ou encore certains fonds de placement et instruments collectifs d’épargne de type sicav spécialisés dans l’investissement en créances de PME ou en crédit hypothécaire. L’impact d’une telle disposition sur les recettes fiscales de l’Etat devrait néanmoins faire l’objet d’une étude plus approfondie. • Favoriser une “relocalisation financière”13. Il est nécessaire d’encourager la réémergence de banques publiques et de banques coopératives locales et régionales focalisées sur le financement de l’activité économique et des particuliers. A ce sujet, la création annoncée de la banque coopérative “NewB” doit être saluée. De même, l’Etat belge devrait maintenir Belfius sous contrôle public, à condition de redéfinir les objectifs de la banque belge en matière d’intérêt public et de transparence de ses activités. Enfin, la création d’”associations de crédit” - s’inspirant des anciens “comptoirs d’escompte” - pourrait également être envisagée14. Visitez notre site web: http://www.pechesbancaires.eu Tableau 1. Quelle est la différence entre une filiale et une succursale ? Une filiale est une société disposant d’une personnalité juridique distincte de la sociétémère. Elle doit maintenir un ratio minimum de fonds propres ; Une succursale est un centre d’activités, dénué de personnalité juridique propre. Bien qu’elle constitue une entité économique séparée, il s’agit avant tout d’une extension de la maison-mère. Une succursale n’a aucune obligation de capital, dans la mesure où elle peut fonctionner avec le compte de la maison-mère. Autrement dit, contrairement à une filiale, la maison mère et la succursale ont une comptabilité commune ; 11 DE KEULENEER, Eric, avril 2013, “Les banques: constat et propositions”, note interne 12 Idem 13 Idem 14 Eric De Keuleneer entend par “associations de crédit” des associations locales rassemblant un ensemble d’individus et d’institutions locales qui mettent ensemble des capitaux en vue de garantir des crédits octroyés localement à des entreprises petites et moyennes et même à des particuliers. Le financement de ces crédits serait assuré par des banques ou des sicav de crédit spécialisées (voir le point “désintermédiation” de l’activité financière ci-dessus). Les grandes banques étrangères actives en Belgique et leurs filiales/succursales Les grandes banques étrangères actives en Belgique et leurs filiales/succursales Belgique Succursale du Groupe Deutsche Bank Bilan en 2011 : 11,2 milliards d’euros Division indépendante de BNP Paribas Fortis (100%), BE 11,2 milliards d’euros de dépôts en 2011 Maison mère, DE Bilan en 2011 : 2164 milliards d’euros Filiale détenue à 74% par BNP Paribas, BE - Bilan en 2011 : 346 milliards d’euros Ba Filiale détenue à 50% par BNP Paribas Fortis, BE Bilan en 2011 : 10,5 milliards d’euros nqu e systémiq ue en cours de rachat par Crédit Mutuel Arkéa (prévu pour 1er trimestre 2016) * Maison mère, FR Bilan en 2011 : 1965 milliards d’euros filiale détenue à 100% par Crédit Mutuel Arkéa Maison mère, FR Bilan en 2011 : 605 milliards d’euros Ba sys Maison mère, NL Bilan en 2011 : 731 milliards d’euros témique* * e ue n qu Banque s Filiale détenue à 100% par ING Belgique, bilan en 2011 : 17,5 milliards d’euros Belgique Filiale détenue à +50% par ING Group - Bilan en 2011 : 143,9 milliards d’euros ém yst iq Filiale détenue à 100% par Crédit Mutuel Nord Europe Bilan en 2011 : 3,3 milliards d’euros Filiale détenue à 100% par Crédit Mutuel Nord Europe Bilan en 2011 : 2,9 milliards d’euros *Banque systémique: banque qui, de par sa taille, représente un danger pour l’ensemble de l’économie en cas de faillite.