pierre hamp dans le journal d`andre gide
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pierre hamp dans le journal d`andre gide
Extrait de la Revue Nord’ N°50 – Pierre Hamp – www.revue-nord.com PIERRE HAMP DANS LE JOURNAL D’ANDRE GIDE : L’ALLIANCE DES CONTRAIRES Paul RENARD Le Journal qu’André Gide écrivit de 1887 à 1950 fourmille de patronymes, au point que l’Index de l’édition de la Pléiade (qui, il est vrai, rassemble aussi les noms de personnages de romans ou de pièces de théâtre, les titres d’œuvres et de revues) comporte 125 pages. Parmi les personnes que Gide a fréquentées et les écrivains qu’il a lus, Pierre Hamp figure en quatre occurrences, qui nous permettent de mieux connaître ces deux hommes et la nature de leurs rapports. 22 novembre 1912 : une discussion où Gide est en état d’infériorité Hier, vers la fin du jour, après un travail assez bon, j’avais été chez Paul Desjardins ; Thierry se trouvait là et bientôt est arrivé Pierre Hamp. Thierry n’a rien dit de toute la visite. Paul Desjardins nous a lu l’admirable sonnet de Milton sur la cécité. Pierre Hamp a commencé d’attaquer les « tendances » de La N.R.F. que j’ai défendue assez âprement et beaucoup trop longuement, perdant pied (ou tête) à plusieurs reprises, surtout que Pierre Hamp a fait allusion à une nouvelle attaque de Variot dans L’Indépendance, à propos de l’article de Ghéon sur Francis Jammes. Je ne connaissais rien de cette attaque et, pendant quelques instants, ai cessé de pouvoir prêter attention à Pierre Hamp. Tout ceci m’entraînant, j’ai prolongé ma visite au-delà des limites décentes, n’ayant pas aussitôt compris que Hamp et Thierry restaient à dîner1. Rien d’étonnant à ce que Hamp soit invité chez Desjardins2, car ce dernier, ancien élève de l’École Normale Supérieure, professeur aux Écoles Normales de Saint-Cloud et de Sèvres, fondateur en 1892 de l’Union pour l’action morale (qui devint en 1905 l’Union pour la Vérité), aida Hamp à sortir de sa condition d’ouvrier en lui offrant le poste de secrétaire de l’Union pour la Vérité, ce qui permit à ce dernier de préparer le concours de l’inspection du travail ; de plus, Desjardins favorisa les débuts littéraires de son protégé en publiant en 1908 dans le bulletin de son organisation Marée fraîche et Vin de champagne3. Hamp, malgré ses origines simples (il est fils d’un cuisinier et d’une couturière) et sa culture 1 — Les citations de Gide sont empruntées aux éditions suivantes : André Gide, Journal I 1887-1925, Édition établie, présentée et annotée par Éric Marty, Bibliothèque de la Pléiade, 1996 ; II 1926-1950, Édition établie, présentée et annotée par Martine Sagaert, Bibliothèque de la Pléiade, 1997. 2 — Voir dans Dictionnaire des intellectuels français. Les personnes, les lieux, les moments, sous la direction de Jacques Julliard et Michel Winock, Éditions du Seuil, 2002, les entrées « Desjardins (Paul) » et « Pontigny/Cerisy »). 3 — Hamp exprima à plusieurs reprises sa reconnaissance envers Desjardins, par exemple dans le chapitre « MON MAÎTRE Paul Desjardins » de Il faut que vous naissiez de nouveau, Gallimard, 1935. Extrait de la Revue Nord’ N°50 – Pierre Hamp – www.revue-nord.com d’autodidacte, acquise alors qu’il travaillait dans la pâtisserie, puis dans la restauration, enfin dans les chemins de fer, se trouve à l’aise, chez Desjardins, avec des « héritiers », bourgeois et intellectuels plus âgés que lui (il a 36 ans, Gide en a 44 et Desjardins 53). Il est vrai qu’il a connu une ascension sociale fulgurante, puisqu’en 1912 il est inspecteur du travail à Lille. Cette aisance lui permet d’« attaquer » le groupe de la N.R.F. qui, pourtant, le publie régulièrement depuis 1912 et qui est un des pôles de la vie culturelle française, lié de près à l’Union pour la Vérité, en particulier par les Décades de Pontigny (1910-1913), qui réunissent, sous la houlette de Desjardins, la fine fleur des intellectuels européens. Si Hamp manifeste de l’aisance, Gide, au contraire, éprouve de la gêne et se trouve même en état d’infériorité vis-à-vis de Hamp, puisqu’il se réfugie finalement dans l’abstention….