Baccalauréat blanc de français
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Baccalauréat blanc de français
1/3 Baccalauréat blanc de français Séries générales ES - S - L Durée : 4 heures e Objet d’étude : Le personnage de roman, du XVII siècle à nos jours. TEXTES : Texte A : Cyrano de Bergerac, Les États et Empires de la Lune, 1657. Texte B : Alphonse Daudet, "La Légende de l'homme à la cervelle d'or" (Lettres de mon moulin, 1866). Texte C : Émile Zola, Au Bonheur des Dames, 1883. Texte A : Cyrano de Bergerac, Les États et Empires de la Lune, 1657. e Cyrano de Bergerac a écrit en plein XVII s. un véritable roman de science-fiction : dans Les États et Empires de la Lune, il raconte en effet qu'il a inventé une machine qui lui a permis d'aller sur la Lune, où il est accueilli par des extra-terrestres, dont il décrit les coutumes. 5 10 15 20 25 30 Je n'eus pas achevé d'arpenter la rue située en face de notre maison que je rencontrai à l'autre bout une troupe assez nombreuse de personnes tristes. Quatre d'entre elles portaient sur leurs épaules une espèce de cercueil enveloppé de noir. Je demandai à un spectateur ce que signifiait ce convoi semblable aux pompes funèbres de mon pays. Il me répondit qu'il s'agissait d'un homme méchant, désigné par le peuple d'une chiquenaude sur le genou droit (1), convaincu d'envie et d'ingratitude, qu'il était décédé d'hier, et que le Parlement l'avait condamné, il y avait plus de vingt ans, à mourir de mort naturelle dans son lit, puis à être enterré après sa mort. Je me mis à rire de cette réponse et comme il était surpris de ma réaction : "Vous m'étonnez, lui répliquai-je, de dire que ce qui est une marque de bénédiction dans le monde d'où je viens, comme une longue vie, une mort paisible, un enterrement accompagné d'un cortège, serve en celui-ci de châtiment exemplaire. - Quoi ! vous prenez un enterrement pour une marque de bénédiction, me repartit cet homme. Eh ! Si vous êtes sincère, pouvez-vous concevoir quelque chose de plus épouvantable qu'un cadavre marchant sur les vers dont il regorge, à la merci des crapauds qui lui mâchent les joues, enfin, la peste revêtue du corps d'un homme ? Bon Dieu ! La seule idée d'avoir, quoique mort, le visage embarrassé d'un drap et sur la bouche une pique de terre (2) me donne de la peine à respirer ! Ce misérable a été condamné non seulement à être jeté dans une fosse, ce qui est une infamie, mais à être assisté dans son convoi de cent cinquante de ses amis auxquels il est ordonné, en punition d'avoir aimé un envieux et un ingrat, de paraître à ses funérailles avec le visage triste. Et, si les juges n'en avaient pas eu pitié, imputant en partie des crimes à sa stupidité, ils leur auraient ordonné d'y pleurer. Hormis les criminels, tout le monde est brûlé. Aussi est-ce une coutume très décente et très raisonnable, car nous croyons que le feu ayant séparé le pur et l'impur, et réuni par sa chaleur les éléments de l'âme, qui ont quelque chose de commun avec lui, il donne la force à cette dernière de s'élever toujours en montant jusqu'à quelque astre, la terre de certains peuples plus immatériels que nous, plus intellectuels, parce que leur tempérament doit correspondre et participer à la pureté du globe qu'ils habitent, et que cette âme, cette flamme essentielle, s'étant encore améliorée par la subtilité des éléments de ce monde qu'elle rejoint, finit par donner naissance à un des habitants de ce pays enflammé." Cyrano de Bergerac, Les États et Empires de la Lune (1657). _______________________________ 1. Manière utilisée par le peuple de la Lune pour exprimer sa réprobation. 2. La hauteur de terre correspondant à la dimension d'une pique. 2/3 Texte B : Alphonse Daudet, "La Légende de l'homme à la cervelle d'or" (Lettres de mon moulin, 1866). Alphonse Daudet, retiré dans son moulin de Provence, vient d’apprendre la mort de l’un de ses amis, un artiste ruiné. Il écrit à une Parisienne une lettre en forme de conte. 5 10 15 20 25 30 35 40 45 Il était une fois un homme qui avait une cervelle d'or ; oui, madame, une cervelle toute en or. Lorsqu'il vint au monde, les médecins pensaient que cet enfant ne vivrait pas, tant sa tête était lourde et son crâne démesuré. Il vécut cependant et grandit au soleil comme un beau plant d'olivier ; seulement sa grosse tête l'entraînait toujours, et c'était pitié de le voir se cogner à tous les meubles en marchant... Il tombait souvent. Un jour, il roula du haut d'un perron et vint donner du front contre un degré(1) de marbre où son crâne sonna comme un lingot. On le crut mort, mais en le relevant, on ne lui trouva qu'une légère blessure, avec deux ou trois gouttelettes d'or caillées dans ses cheveux blonds. C'est ainsi que les parents apprirent que l'enfant avait une cervelle en or. La chose fut tenue secrète ; le pauvre petit lui-même ne se douta de rien. De temps en temps, il demandait pourquoi on ne le laissait plus courir devant la porte avec les garçonnets de la rue. - On vous volerait, mon beau trésor ! lui répondait sa mère... Alors le petit avait grand'peur d'être volé ; il retournait jouer tout seul, sans rien dire, et se trimballait(2) lourdement d'une salle à l'autre... A dix-huit ans seulement, ses parents lui révélèrent le don monstrueux qu'il tenait du destin : et, comme ils l'avaient élevé et nourri jusque-là, ils lui demandèrent en retour un peu de son or. L'enfant n'hésita pas ; sur l'heure même, - comment ? par quels moyens ? la légende ne l'a pas dit, - il s'arracha du crâne un morceau d'or massif, un morceau gros comme une noix, qu'il jeta fièrement sur les genoux de sa mère... Puis, tout ébloui des richesses qu'il portait dans la tête, fou de désirs, ivre de sa puissance, il quitta la maison paternelle et s'en alla par le monde en gaspillant son trésor. Du train dont il menait sa vie, royalement, et semant l'or sans compter, on aurait dit que sa cervelle était inépuisable... Elle s'épuisait cependant, et à mesure on pouvait voir les yeux s'éteindre, la joue devenir plus creuse. Un jour enfin, au matin d'une débauche folle, le malheureux, resté seul parmi les débris du festin et les lustres qui pâlissaient s'épouvanta de l'énorme brèche qu'il avait déjà faite à son lingot : il était temps de s'arrêter. Dès lors, ce fût une existence nouvelle. L'homme à la cervelle d'or s'en alla vivre à l'écart, du travail de ses mains, soupçonneux et craintif comme un avare, fuyant les tentations, tachant d'oublier luimême ces fatales richesses auxquelles il ne voulait plus toucher... Par malheur, un ami l'avait suivi dans sa solitude, et cet ami connaissait son secret. Une nuit, le pauvre homme fut réveillé en sursaut par une douleur à la tête, une effroyable douleur ; il se dressa éperdu, et vit, dans un rayon de lune, l'ami qui fuyait en cachant quelque chose sous son manteau... Encore un peu de cervelle qu'on lui emportait !... A quelque temps de là, l'homme à la cervelle d'or devint amoureux, et cette fois tout fut fini... Il aimait du meilleur de son âme une petite femme blonde, qui l'aimait bien aussi, mais qui préférait encore les pompons, les plumes blanches et les jolis glands mordorés ( 3) battant le long des bottines. Entre les mains de cette mignonne créature, - moitié oiseau, moitié poupée, - les piécettes d'or fondaient que c'était un plaisir. Elle avait tous les caprices ; et lui ne savait jamais dire non ; même, de peur de la peiner, il lui cacha jusqu'au bout le triste secret de sa fortune - Nous sommes donc bien riches ? disait-elle. Le pauvre homme lui répondait : - Oh ! oui... bien riches ! Et il souriait avec amour au petit oiseau bleu qui lui mangeait le crâne innocemment. ________________________________ 1. degré de marbre : marche d'un escalier. 2. trimballait : argot pour se déplacer. 3. mordorés : d'un brun chaud aux reflets dorés. 3/3 5 Texte C : Émile Zola, Au Bonheur des Dames, 1883. Denise est une jeune provinciale qui a été engagée dans un grand magasin parisien, Au Bonheur des Dames. Une nuit, elle doit traverser le grand magasin pour regagner sa chambre, qui se trouve sous le toit. 5 10 15 20 25 La pensée lui (1) vint qu'il existait, en haut, une autre porte de communication, conduisant aux chambres. Seulement, il fallait traverser tout le magasin. Elle préféra ce voyage, malgré les ténèbres qui noyaient les galeries. Pas un bec de gaz ne brûlait, il n'y avait que des lampes à huile, accrochées de loin en loin aux branches des lustres ; et ces clartés éparses, pareilles à des taches jaunes, et dont la nuit mangeait les rayons, ressemblaient aux lanternes pendues dans des mines. De grandes ombres flottaient, on distinguait mal les amoncellements de marchandises, qui prenaient des profils effrayants, colonnes écroulées, bêtes accroupies, voleurs à l'affût. Le silence lourd, coupé de respirations lointaines, élargissait encore ces ténèbres. Pourtant, elle s'orienta : le blanc (2), à sa gauche, faisait une coulée pâle, comme le bleuissement des maisons d'une rue, sous un ciel d'été ; alors, elle voulut traverser tout de suite le hall, mais elle se heurta dans des piles d'indienne (3) et jugea plus sûr de suivre la bonneterie (4), puis les lainages. Là, un tonnerre l'inquiéta, le ronflement sonore de Joseph, le garçon, qui dormait derrière les articles de deuil (5). Elle se jeta vite dans le hall, que le vitrage (6) éclairait d'une lumière crépusculaire ; il semblait agrandi, plein de l'effroi nocturne des églises, avec l'immobilité de ses casiers et les silhouettes des grands mètres (7), qui dessinaient des croix renversées. Maintenant elle fuyait. À la mercerie, à la ganterie, elle faillit enjamber encore des garçons de service, et elle se crut seulement sauvée, lorsqu'elle trouva enfin l'escalier. Mais, en haut, devant le rayon des confections, une terreur la saisit en apercevant une lanterne, dont l'œil clignotant marchait : c'était une ronde, deux pompiers en train de marquer leur passage aux cadrans des indicateurs. Elle resta une minute sans comprendre, elle les regarda passer des châles à l'ameublement, puis à la lingerie, épouvantée de leur manœuvre étrange, de la clef qui grinçait, des portes de tôle qui retombaient avec un bruit de massacre. Quand ils approchèrent, elle se réfugia au fond du salon des dentelles, d'où le brusque appel d'une voix la fit aussitôt ressortir, pour gagner la porte de communication en courant. Elle avait reconnu la voix de Deloche, il couchait dans son rayon, sur un petit lit en fer, qu'il dressait lui-même tous les soirs ; et il n'y dormait pas encore, il y revivait, les yeux ouverts, les heures douces de la soirée. Émile Zola, Au Bonheur des Dames, ch. V, 1883. _______________________________ 1. Il s'agit de Denise. 2. Le linge blanc : le magasin vend essentiellement des tissus. 3. Une sorte de e tissu. 4. Articles d'habillement comme les chaussettes, les bas, la lingerie. 5. Au XIX s., des employés pouvaient dormir, la nuit, dans le magasin où ils travaillaient. 6. Le toit est pourvu d'une verrière. 7. Utilisés pour mesurer le tissu par les vendeurs. ÉCRITURE I. QUESTION (4 points) En quoi ces trois textes surprennent-ils le lecteur ? II. Vous traiterez ensuite un de ces trois sujets au choix (16 points) : 1. Commentaire : Vous commenterez le texte C (Émile Zola, Au Bonheur des Dames, 1883). 2. Dissertation : Les romans doivent-ils proposer des mondes ou des personnages déconcertants pour intéresser le lecteur ? Vous répondrez à cette question en vous appuyant sur les textes du corpus et sur vos lectures personnelles. 3. Écriture d'invention : À la manière de l'un des textes du corpus, vous évoquerez un personnage ou une situation surprenants dans une séquence narrative complète, comportant un début, un milieu et une fin.