L`objection de conscience : le devoir de désobéir. Interview de

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L`objection de conscience : le devoir de désobéir. Interview de
Lettre d’inf ormation et d’analyse sur l’actualité bioéthiq u e
n°160 : novembre 2013
L’objection de conscience : le devoir
de désobéir. Interview de Jacques Suaudeau1
L’objection de conscience pose de plus en plus question aux professionnels de la santé notamment du fait de l’émergence
de droits fictifs, qui par abus de langage deviennent de véritables droits dans l’opinion publique : droit à disposer de
son corps, droit à l’avortement, droit à l’enfant… Pourquoi et comment les professionnels de santé doivent-ils objecter
en conscience ? Interview de Jacques Suaudeau, auteur du livre « L’objection de conscience ou le devoir de désobéir ».
G : Dans toute la première partie de votre
livre vous partez des exemples historiques
d’objecteurs de conscience, depuis Socrate
à Thomas More, pour définir l’objection de
conscience et la dissocier de la désobéissance civile. Pouvez-vous nous expliquer
la différence entre ces deux notions ?
J.S. : L’objection de conscience concerne
une loi particulière que se donne un pays. La
caractéristique de l’objecteur de conscience
c’est qu’il respecte et honore toutes les lois
de son pays, qu’il est un bon citoyen, mais
que pour une loi particulière, qui lui apparait contraire à la morale, il fait, à titre individuel, objection de conscience. En revanche
la désobéissance civile concerne un groupe
de personnes qui conteste la légitimité d’un
pouvoir et enfreint de ce fait certaines des
injonctions de ce pouvoir (l’exemple type
en est le mouvement mené par Gandhi). La
désobéissance civile peut avoir une teinte
éthique (Thoreau aux Etats-Unis), mais
est avant tout un effort de résistance à un
pouvoir. L’objection de conscience peut
être aussi le fait d’un groupe, dont tous les
membres s’opposent à une loi jugée immorale, donc non contraignante, mais chacun
dans le groupe fait objection personnellement (et non comme partie du groupe). L’objecteur de conscience, part d’une réflexion
personnelle qui l’oblige à s’opposer à la loi
jugée unique, évite tout désordre public, et
accepte les conséquences négatives que
peut entrainer son objection pour lui-même
(difficulté de carrière, isolement…).
G : Vous parlez d’un devoir de désobéir
lorsque sa conscience personnelle vient en
contradiction avec une loi « objectivement
» injuste. Encore faut-il savoir ce que signifie « conscience », et ce qu’est une « loi injuste ». Pouvez-vous nous éclairer ?
J.S. : La conscience est ce qui nous fait
percevoir l’existence du bien et du mal2.
Elle n’est pas un maître absolu, mais un
instrument à affiner. Il y a donc un travail
à faire en partant de sa culture, de sa religion, de ses limites, pour améliorer sa
conscience afin de repérer une loi injuste.
La difficulté est qu’il y a autant de facteurs
objectifs que subjectifs pour qualifier une
loi « d’injuste ». Le facteur objectif pour
l’avortement, par exemple, est la suppression du fœtus. Mais certaines personnes
ne qualifieront pas pour autant cette loi
d’injuste. L’objecteur de conscience se
trouvera donc en but avec d’autres qui
n’auront pas le même point de départ philosophique. Ce pluralisme philosophique
vient du fait que la loi morale naturelle,
qui permet à tout homme de distinguer
le bien du mal, a été contestée. Cela nous
a amené au relativisme, et à la rupture
entre droit positif et morale. C’est désormais le groupe d’un moment qui définit
le bien. Pour autant, il y a des éléments
de base pour qualifier une loi d’injuste :
lorsqu’elle ne respecte pas la valeur de la
vie humaine, ou la liberté de l’autre.
G : Le code de déontologie et la loi
française n’autorisent l’objection de
conscience que pour l’avortement ou la
stérilisation. Cependant certaines obligations légales peuvent poser problème
aux professionnels de santé sans qu’une
objection de conscience soit prévue.
J.S. : L’objection de conscience doit être
encadrée, car sous couvert d’objection
de conscience on pourrait aboutir à
l’anarchie. L’Etat doit donc préciser qui
peut faire objection de conscience, sur
quels points et dans quelles conditions.
Cela participe au bien commun. Mais cela
conduit aussi à de nombreuses inégalités.
Par exemple la loi ne prévoit pas d’objection de conscience pour les pharmaciens
ou les étudiants. Ceci dit, il n’y a véritable
objection de conscience que lorsqu’elle
n’est pas prévue par la loi.
Par exemple, le médecin qui est dans
l’obligation de proposer le diagnostic prénatal4 de la trisomie 21 à un couple dont
il connait les intentions abortives en cas
d’un diagnostic de trisomie 21, peut sentir qu’il coopère à l’avortement qui suivra
l’annonce de la trisomie. De même pour
le pharmacien qui a l’obligation de détenir en stock des pilules abortives. Or dans
ces deux cas la loi ne prévoit pas d’objection de conscience. Pour le DPN de la trisomie 21, si le médecin sait en prescrivant
les tests de dépistage que l’intention de la
femme est d’avorter le fœtus diagnostiqué
trisomique 21, sa coopération est établie.
Aussi le médecin qui souhaite objecter à
ce processus lorsqu’il connait l’intention
abortive des parents, a tout intérêt à préciser qu’il ne prescrit pas ces tests. Pour le
pharmacien, il peut tenter de contourner
les choses en disant à ses clients qu’il n’a
plus de pilule en stock.
Dans tous les cas, l’objecteur de conscience
a tout intérêt à faire connaître ses principes, à s’entourer, et à être un bon et
honnête praticien. Il sera ainsi moins exposé aux cas difficiles. Lorsque ceux-ci
se présentent, les professionnels, tout
en maintenant leur objection, se doivent
d’être dans l’accompagnement de la personne, en expliquant clairement pourquoi
ils n’accèderont pas à la demande d’IVG de
la femme par exemple.
G : Quelle est votre réaction sur la recommandation du HCEfh5 de supprimer l’objection de conscience pour affirmer un « droit
fondamental » à l’avortement, ainsi que du
processus législatif en cours sur l’extension du délit d’entrave à l’avortement ?
J.S. : La loi sur l’avortement est une loi
injuste. Alors le gouvernement peut faire
1. Monseigneur Jacques Suaudeau est docteur en médecine, et directeur scientifique de l’Académie Pontificale pour la Vie, auteur du livre « L’objection de conscience, ou le devoir de désobéir », aux
Editions « L’Evangile de la vie ». - 2. Le « daîmon » de Socrate, « la Conscientia » de Cicéron, ou encore « l’expression de la raison pratique » de Kant. - 3. En premier par Okham, le nominalisme. 4. DPN. 5. Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.
ce qu’il veut, mais ce n’est pas avec de
tels projets qu’il va dans un sens démocratique, qu’il a une base morale, ou qu’il
respecte les gens.
La suppression de l’objection de cons-
cience a été clairement rejetée par le
Parlement européen, et la France a ratifié
la convention d’Oviedo qui protège l’embryon, alors il faut que la France soit logique.
Sur ce plan là, la responsabilité de nos politiciens est grande. Si la loi est contraire à
la morale ils ont le devoir de la restreindre
avec des amendements et de dire qu’ils
sont contre cette loi.
Interruption volontaire de grossesse :
l’aveuglement français
L’objection de conscience qui est le plus souvent invoquée au sujet de l’avortement pourrait bien être supprimée du texte de loi actuellement en vigueur. Le 5 avril 2013, la Ministre des droits des femmes avait saisi le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et
les hommes (HCEfh) lui demandant de rendre un premier rapport dressant l’état des lieux de l’information dispensée sur internet en
matière d’Interruption volontaire de grossesse (IVG), ainsi qu’un rapport consolidé sur l’accès à l’IVG dans les territoires. Au mois de
septembre, le HCEfh avait rendu son premier rapport en préconisant 4 recommandations à la ministre allant de la création d’un site
institutionnel à une campagne nationale en faveur de l’IVG1. Le 7 novembre, ce sont 34 recommandations pour un meilleur accès à l’IVG
que le HCEfh a publiées.
Les recommandations du rapport
Dans ce rapport le HCEfh souhaite « actualiser le diagnostic sur la situation de
l’accès et de l’exercice à l’IVG », faire de
« l’avortement un droit […] garanti par
un service public » et de « l’IVG un acte
médical comme un autre, dénué de représentations moralisatrices », susciter des
« actions volontaristes pour réparer les
insuffisances du service public ».
Ainsi, le rapport recommande notamment
de :
▸ supprimer la condition de détresse
dans la disposition légale actuelle2 en
remplaçant celle-ci par « la femme qui ne
souhaite pas poursuivre une grossesse
peut demander à un médecin de l’interrompre » (n°1),
▸ supprimer le délai de réflexion de 7
jours séparant la consultation d’information, et la consultation de prescription de
l’IVG (n°2),
▸ supprimer la clause de conscience expressément visée dans la loi sur l’avortement (n°3),
▸ ouvrir aux infirmière, sage-femme,
conseiller conjugal la délivrance de la
première attestation d’IVG (n°9) ou mettre
en ligne cette attestation pour que les
femmes majeures puissent la remplir
elles-mêmes (n°10),
▸ imposer à tous les établissements
publics de pratiquer l’IVG jusqu’à 12 semaines de grossesses (n°12), assurer tous
les choix de méthode d’IVG dans ces éta-
blissements (n°21) et voter un moratoire
sur la fermeture des centres d’IVG (n°11).
▸ attribuer à l’IVG les moyens financiers
nécessaires (n°14)
▸ Inscrire la sexualité, la contraception,
et l’IVG dans la formation des professionnels de santé ou du secteur sanitaire, social, éducatif... (n°17)
▸ Créer un « plan national sexualitéscontraception-IVG » (n°25) et un « Observatoire national sexualités-contraceptionivg » permettant d’évaluer l’application
des dispositions légales et la généralisation des bonnes pratiques (n°26).
▸ Financer des recherches sur l’IVG (n°30).
Les réactions des associations
Réagissant à cette volonté politique de
faire de l’IVG « un droit », une « offre de
soin » rapide et accessible, et un enjeu de
santé publique, les associations ont manifesté leur désaccord.
La Fondation Jérôme Lejeune, en tant
qu’institution médicale et scientifique
rappelle que l’IVG est un « acte non médical » qui « consiste à tuer un être humain avant sa naissance ». Elle souligne
que le respect de la vie de l’être humain
est une valeur antérieure à la loi et que
les hommes aussi sont concernés par la
question. Pourtant seule la femme portera le poids de la culpabilisation et des
conséquences psychiques et somatiques
observées scientifiquement. La Fondation
Jérôme Lejeune demande un débat public
sur l’avortement nourri d’arguments ra-
tionnels et vidé d’approche idéologique,
au nom du bien commun et de la norme
morale élémentaire : ne pas tuer.
Alliance VITA, fort de leur service d’écoute
SOS Bébé, s’interroge sur la « profonde
méconnaissance de la réalité vécue par
les femmes que manifestent ces préconisations », réalité qu’ils connaissent grâce
à leur écoute, et au sondage IFOP réalisé
en 2010 auprès de 1000 femmes. Ce dernier sondage montrait que l’avortement
n’avait rien d’anodin, que ses conséquences étaient difficiles à vivre, que les
femmes attendent une politique de prévention qui les soutiennent et offre des
moyens d’éviter l’IVG, et enfin, que les
informations sur les alternatives à l’avortement devraient être plus développées,
et notamment l’adoption.
Alliance VITA conteste en outre la légitimité du Mouvement français pour le planning
familial (MFPF) qui « prône l’avortement
comme une solution à toute grossesse
imprévue ou difficile, y compris par des
filières clandestines d’avortements hors
délai à l’étranger ».
Tout porte à croire que les recommandations du HCEfh seront intégrées, par
le biais d’amendements, au « projet de
loi pour l’égalité entre les femmes et les
hommes » (n°1380), déjà voté au Sénat
le 17 septembre 2013, et qui passerait en
première lecture à l’Assemblée Nationale
en janvier 2014.
1. Les 4 recommandations sont les suivantes : Créer un site internet institutionnel dédié à l’avortement à destination des femmes et des professionnels ; Mettre en place un numéro à quatre chiffres
« guichet unique », anonyme et gratuit ; Mettre en place une « équipe IVG » de veille et d’animation ; Organiser la 1ère campagne nationale d’information concernant la question du droit à l’avortement.
2. «la femme enceinte que son état place dans une situation de détresse peut demander à un médecin l’interruption de sa grossesse ».
Lettre mensuelle gratuite, publiée par la Fondation Jérôme Lejeune - 37 rue des Volontaires 75725 Paris cedex 15
Contact : [email protected] - Tél. : 01 44 49 73 39 - Site : www.genethique.org - Siège social : 31 rue Galande 75005 Paris
Directeur de la publication : Jean-Marie Le Méné - Rédacteur en chef : Lucie Pacherie - Imprimerie : PRD S.A.R.L. - N° ISSN 1627.498