plusieurs niveaux de généralités en jeu dans l`article de poincaré
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PLUSIEURS NIVEAUX DE GÉNÉRALITÉS EN JEU DANS L’ARTICLE DE POINCARÉ « SUR LES LIGNES GÉODÉSIQUES DES SURFACES CONVEXES (1905)» Anne ROBADEY Rehseis, UMR CNRS & Université Denis Diderot –Paris7 Dominique Flament (dir) Série Documents de travail (Équipe F2DS) Histoires de géométries : textes du séminaire de l’année 2003, Paris, Fondation Maison des Sciences de l’Homme, 2004 Un niveau de généralité en jeu dans l’article de Poincaré Sur les lignes géodésiques des surfaces convexes (1905) Anne Robadey 17 mars 2003 Introduction Le but de cet exposé est de mettre en évidence une caractéristique de l’article de 1905 de Poincaré Sur les lignes géodésiques des surfaces convexes [2], liée au thème de la généralité. Nous serons bien loin cependant d’épuiser la richesse de ce texte de Poincaré. Commençons par un rappel mathématique : il y a deux façons de caractériser une géodésique sur une surface. Une géodésique est d’abord une courbe telle qu’entre deux de ses points suffisamment proches, elle réalise le minimum de la distance. On peut aussi fixer un point initial P et une direction initiale D : il existe alors une unique géodésique passant par ce point et tangente à la direction donnée, c’est la courbe suivie par un mobile abandonné en P avec une vitesse dirigée par D, s’il n’est soumis à aucune autre contrainte que celle de rester sur la surface. Une géodésique est dite fermée lorsque le mobile, dans cette deuxième caractérisation, revient au point initial avec la même vitesse au bout d’un certain temps. Ce temps peut être très long ; dans ce cas, le mobile tourne autour de la surface, et recoupe sa trajectoire un grand nombre de fois avant de revenir à son point de départ avec la même vitesse (c’est-à-dire avec une vitesse dirigée par D, puisque, en l’absence de forces extérieures, la vitesse scalaire du mobile est constante). Les points où la géodésique se recoupe avant de se refermer sont dits points doubles, et Poincaré s’intéresse ici aux géodésiques sans point double. Présentons brièvement les grandes lignes de l’article que nous commentons. En voici le plan : 1. Introduction 2. Foyers et caustiques 3. Géodésiques d’un spéroïde 4. Le principe de continuité analytique 5. Stabilité et instabilité 6. De quelques types de géodésiques fermées 7. Existence d’une géodésique fermée 47 8. discussion du minimum Le théorème principal auquel nous nous intéresserons est le suivant : Théorème 1. Sur une surface convexe quelconque, il y a toujours au moins une géodésique fermée sans point double et il y en a toujours un nombre impair. La démonstration occupe les parties 3 et 4 de l’article de Poincaré ; il donne ensuite les grandes lignes d’une seconde démonstration de l’existence d’une géodésique fermée sans point double sur une surface convexe (sans la mention de la parité), que nous laisserons de côté ici. Que le mathématicien ne s’étonne pas s’il a l’impression que ce théorème est trivialement faux. Certes, sitôt par exemple que la surface considérée possède une symétrie de révolution, le nombre de géodésiques fermées sans point double est infini (tous les méridiens en sont) ; c’est sans doute qu’il faut comprendre « une surface convexe quelconque » non comme « toute surface convexe », mais plutôt comme « une surface convexe suffisamment générale ». Je ne parlerai pas plus ici de cette question de la généralité de l’objet mathématique étudié. C’est un autre niveau de généralité, « métamathématique », pourrait-on dire, qui est au cœur de mon propos : il s’agit de relever les indices qui révèlent la portée de la démonstration, au-delà de sa formulation dans le cadre du problème particulier des géodésiques. La première partie de mon exposé vise ainsi à mettre en évidence la surprise suscitée par l’étude approfondie de la rédaction de cette démonstration : toute la première partie de la démonstration est inutile pour établir le théorème annoncé. Je montrerai ensuite que pour comprendre ce paradoxe, il faut lire le problème des géodésiques sur les surfaces convexes comme un paradigme 1 grâce auquel Poincaré expose une méthode de démonstration dont la visée est plus générale. Cette méthode était déjà présentée, sous une forme plus abstraite, mais moins précise et moins aboutie par certains points, dans le premier volume des Méthodes nouvelles de la mécanique céleste, publié en 1992. Nous proposerons une lecture comparée détaillée de ces deux textes, afin de montrer la continuité, mais aussi l’approfondissement, qui se dessine entre eux. 1 Le problème des géodésiques comme paradigme Qu’est-ce qui me fait dire que c’est la démonstration qui intéresse Poincaré, plus que le théorème, et que cette démonstration a une portée plus large que le seul problème des géodésiques ? La démonstration du théorème 1 se déroule en deux temps, qui correspondent au deux parties 3 et 4 de l’article de Poincaré. Dans la partie 4, Poincaré considère une famille analytique de surfaces convexes, paramétrée par t. Cette famille est définie par une équation analytique 1 Ce terme est à prendre dans le sens qu’il a en grammaire, où l’on donne la conjugaison des verbes en -er sur le paradigme qu’est le verbe chanter : ce n’est pas la conjugaison du verbe chanter qu’on donne quand on écrit « je chante, tu chantes, etc », mais bien la conjugaison des verbes en -er. 48 f (x, y, z, t) = 0 : pour chaque valeur de t, cette équation définit une surface analytique Σt dans l’espace R3 , surface qui se déforme analytiquement lorsque le paramètre t varie. On suppose que toutes les surfaces Σt sont convexes. Poincaré montre que si l’on repère une géodésique fermée sans point double sur une surface Σt0 de la famille, on peut suivre cette géodésique fermée lorsqu’on déforme la surface en faisant varier t. Il y a alors deux situations possibles (voir figure 1 ; c’est moi qui fait cette figure pour permettre de visualiser ce que Poincaré exprime seulement avec des mots) : soit on peut faire correspondre à notre géodésique de départ une géodésique (toujours fermée et sans point double) proche sur chaque surface Σt pour t dans un voisinage de t0 ; soit la géodésique sur la surface Σt0 provient de la rencontre de deux géodésiques fermées des surfaces Σt pour t < t0 , qui se confondent lorsque t = t0 , et disparaissent pour t > t0 (ou l’inverse). Première situation t < t0 t0 t > t0 t : paramètre de la déformation de la surface t > t0 t : paramètre de la déformation de la surface Deuxième situation t < t0 t0 Fig. 1 – Comportement d’une géodésique fermée lorsqu’on déforme la surface en faisant varier t : chaque point de la courbe représente une géodésique fermée sur la surface Σt indexée par l’abscisse. Ainsi, le nombre de géodésiques fermées sans point double sur la surface lorsqu’on fait varier t ne peut varier que de deux unités à la fois ; sa parité est donc constante. Reste à calculer cette parité ; si l’on parvient à montrer que pour une certaine surface, le nombre de géodésiques fermées sans point double est impair, ce 49 nombre restera impair sur toute surface obtenue en déformant analytiquement la première. Il sera a fortiori non nul, ce qu’on cherche à démontrer. C’est la partie 3, « Géodésiques d’un sphéroïde », qui permet à Poincaré de calculer cette parité. Dans cette partie 3, Poincaré étudie les géodésiques d’un sphéroïde, c’està-dire d’une surface obtenue en perturbant très légèrement la sphère. Les géodésiques de la sphère, on le sait, sont les grands cercles ; elles sont donc toutes fermées et sans point double. Par ailleurs, on peut repérer une géodésique de la sphère grâce à deux paramètres, l’inclinaison i par rapport à l’équateur, et la position θ de l’intersection avec l’équateur (voir figure 2). O i θ Fig. 2 – Paramétrage des géodésiques de la sphère (qui sont les grands cercles). Poincaré montre que les géodésiques qui restent fermées (et sans point double) lors d’une perturbation de la sphère correspondent aux points critiques d’une fonction R(i, θ). Il utilise un résultat d’analysis situs démontré dans un mémoire précédent pour conclure que les géodésiques d’un sphéroïde sont en nombre impair. Le théorème suit donc : étant donnée une surface convexe Σ1 quelconque, on peut la déformer par une famille analytique jusqu’à un sphéroïde Σ0 ; le nombre de géodésiques de ce dernier est impair, il ne change pas de parité au cours de la déformation, il est donc également impair pour la surface Σ1 . Voici la fin de la démonstration, i.e. la fin de la partie 4 telle que la rédige Poincaré : « Donc le nombre total des géodésiques fermées sans point double est toujours pair ou toujours impair. Or nous avons vu que pour un sphéroïde ce nombre est impair. De plus, on peut passer d’un sphéroïde à une surface convexe quelconque d’une manière continue2 . 2 Ce résultat de connexité est n’est pas démontré par Poincaré. 50 Donc, sur une surface convexe quelconque, il y a toujours au moins une géodésique fermée sans point double et il y en a toujours un nombre impair. Par exemple, pour un ellipsoïde nous avons les trois sections principales par les plans de symétrie. » ([2], p. 60 dans l’édition des Œuvres) Ainsi, Poincaré choisit d’invoquer la partie 3 sur le sphéroïde pour conclure sur la parité du nombre des géodésiques fermées sans point double des surfaces convexes. Pourtant, la remarque qu’il fait ensuite montre qu’il connaît le résultat pour l’ellipsoïde. Effectivement, Jacobi avait montré qu’on peut intégrer explicitement les équations des géodésiques sur les ellipsoïdes : on constate ainsi que seules les trois ellipses contenues dans les plans de symétrie sont des géodésiques fermées sans point double (pour un ellipsoïde à trois axes inégaux). Poincaré aurait donc pu utiliser ce résultat qu’il connaît pour déterminer la parité, et conclure sans avoir besoin de la partie 3, relativement technique et compliquée. C’est d’ailleurs cette démarche qu’il suit à un autre endroit dans le même article, à propos des problèmes de stabilité des géodésiques : « Donc, si sur une surface convexe quelconque on envisage toutes les géodésiques fermées sans point double, l’excès du nombre de celles qui sont stables sur le nombre de celles qui sont instables est constant ; il est donc le même que pour l’ellipsoïde, il est donc égal à 1. Sur une surface convexe, il y a donc toujours au moins une géodésique fermée stable sans point double. » ([2], p. 66) L’argument est du même type que celui de la démonstration qui nous intéresse : un principe de continuité analytique permet à Poincaré de montrer que lorsqu’on suit une géodésique fermée au cours de la déformation d’une surface, sa stabilité ne varie pas ; lorsque deux géodésiques viennent à se confondre puis disparaître comme nous l’avons vu plus haut, il y en a toujours une qui est stable et l’autre instable. La différence entre le nombre de stables et le nombre d’instables est donc constante ; reste seulement à calculer cette différence pour une surface, et dans ce cas Poincaré utilise le cas de l’ellipsoïde dont on connait les géodésiques. La comparaison de ces deux citations met en évidence deux faits : d’une part la première partie de la démonstration, qui correspond à la partie 3 de l’article de Poincaré, n’était pas nécessaire, puisque l’exemple de l’ellipsoïde suffisait à conclure ; d’autre part, Poincaré en est parfaitement conscient, puisqu’il a recours à cet exemple de l’ellipsoïde pour un problème similaire dans le même article. Il y a donc de la part de Poincaré un choix explicite de présenter le calcul perturbatif de la partie 3, grâce auquel il étudie les géodésiques fermées sans point double du sphéroïde, et d’appuyer sur ce calcul perturbatif le résultat de parité, en ne laissant à l’ellipsoïde que la place d’exemple illustratif. Ce sont les motivations de ce choix, l’objectif que poursuit Poincaré en présentant ce calcul perturbatif, que nous allons chercher à comprendre. La thèse que je propose est que cet article sur les géodésiques des surfaces convexes vient compléter le chapitre des Méthodes nouvelles qui traite des solutions périodiques des équations de la dynamique. Ceci à deux titres : 51 – Poincaré développe ici un point laissé en attente dans l’exposé des Méthodes nouvelles, à savoir l’étude des trajectoires fermées qui subsistent lorsqu’on perturbe un système dont toutes les trajectoires sont fermées. – De plus, il explicite l’importance que peut avoir l’étude d’un tel cas particulier, puisqu’il permet d’initier un principe de continuité analytique à partir d’un cas qu’on sait intégrer ; or les cas qu’on sait intégrer sont souvent des cas très particuliers comme celui de la sphère, qui possèdent beaucoup de symétries, et donc beaucoup de trajectoires périodiques : le fait qu’on sache intégrer complètement les équations des géodésiques de l’ellipsoïde est à ce titre un hasard heureux mais non habituel. Pour présenter les arguments qui me conduisent à cette lecture, je vais commencer par présenter le chapitre III des Méthodes nouvelles, qui me semble essentiel pour comprendre la portée de l’article de 1905. Je rentrerai ensuite dans les détails de ce dernier, de façon à montrer d’une part la continuité entre les deux démarches, qui justifie le fait de parler de développement à propos de l’article de 1905, et d’autre part ce qu’apporte de nouveau cet article. Nous verrons ainsi que c’est bien comme un paradigme qu’il faut lire le problème des géodésiques, puisqu’il ne s’agit pas seulement de mettre en œuvre une méthode exposée ailleurs, mais bien de continuer à développer cette méthode dans le cadre d’un nouveau problème. 2 2.1 L’article de 1905 à la lumière des Méthodes nouvelles Le chapitre III des Méthodes nouvelles J’ai déjà présenté les très grandes lignes de l’article de 1905, mais je reviens maintenant à l’ordre chronologique en présentant la théorie des trajectoires périodiques élaborée plus tôt par Poincaré. Cette théorie est déjà présente dans le mémoire sur le problème des trois corps et les équations de la Dynamique, couronné par le prix du roi de Suède, et publié en 1890. Elle est présentée à nouveau, dans des termes très proches, dans le premier tome des Méthodes nouvelles de la mécanique céleste, publié en 1892. C’est cette dernière présentation sur laquelle je m’appuie ici. Dans ce chapitre consacré aux trajectoires périodiques, Poincaré commence par préciser ce qu’il entend par trajectoires périodiques, et souligner l’importance que revêt à ses yeux l’étude de ces trajectoires particulières : « D’ailleurs, ce qui nous rend ces solutions périodiques si précieuses, c’est qu’elles sont, pour ainsi dire, la seule brèche par où nous puissions essayer de pénétrer dans une place jusqu’ici réputée inabordable. » ([1], chap III, § 36) Il annonce ensuite la problématique selon laquelle il propose de mener cette étude : « Le problème que nous allons traiter est le suivant : i Supposons que, dans les équations [ dx dt = Xi ], les fonctions Xi dépendent d’un certain paramètre µ ; supposons que dans le cas de µ = 0 on ait pu intégrer les équations, et qu’on ait reconnu un certain 52 nombre de solutions périodiques. Dans quelles conditions aura-t-on le droit d’en conclure que les équations comportent encore des solutions périodiques pour les petites valeurs de µ ? » ([1], chap III, § 36) Il s’intéresse d’abord au cas3 où les Xi sont fonctions des xi , de µ, et périodiques de période 2π par rapport à t. L’hypothèse de départ est qu’on connaît une solution φi des équations lorsque µ = 0, périodique de période 2π, c’est-à-dire telle que φi (2π) = φi (0). Poincaré considère ensuite, lorsque µ n’est plus nécessairement nul, la trajectoire xi issue du point xi (0) = φi (0) + βi , c’est-à-dire une trajectoire proche de la trajectoire périodique connue pour µ = 0. Au bout d’une période, la position atteinte par cette trajectoire est xi (2π) = φi (0) + βi + ψi , formule qui définit des fonctions ψi des βi et de µ. Les théorèmes de régularité des solutions par rapport aux conditions initiales démontrés par Poincaré dans le chapitre précédent des Méthodes nouvelles assurent que les ψi sont holomorphes. De plus l’hypothèse de départ sur les φi se traduit par le fait que ψi (0, 0) = 0. Enfin, la condition de périodicité pour la trajectoire issue du point de coordonnées φi (0) + βi s’écrit ψi (βi , µ) = 0 (qui doit être vérifiée pour tout i entre 1 et n, où n est la dimension de l’espace considéré). Ces équations définissent les βi comme fonctions implicites de µ. Pour s’assurer que, lorsque µ est non nul, il existe des βi qui annulent les ψi , c’est-à-dire qu’il existe encore une trajectoire périodique proche de celle donnée par l’hypothèse de départ pour l’équation perturbée, il faut appliquer le théorème des fonctions implicites. La condition usuelle d’application de ce dernier est que le déterminant fonctionnel des ψi par rapport aux βi soit non nul en µ = 0. Dans ce cas, βi = 0 est une solution simple des équations ψi = 0 en µ = 0, et le théorème des fonctions implicites assure l’existence de fonctions βi (µ) univoques, qui associent à chaque valeur de µ dans un voisinnage de µ = 0 une solution périodique variant continuement. Ainsi, la solution périodique donnée initialement se déforme progressivement au fur et à mesure qu’on perturbe l’équation étudiée en faisant varier µ. Lorsque βi = 0 n’est plus une solution simple, mais une solution multiple des équations ψi = 0, Poincaré applique une version améliorée du théorème des fonctions implicites, qu’il a démontrée dans le chapitre précédent. Il montre que, suivant la multiplicité, on est dans l’une des deux situations suivantes : soit on a, comme précédemment, une solution périodique pour chaque valeur de µ suffisamment proche de 0 ; soit il existe, pour les valeurs négatives suffisamment petites de µ, deux solutions périodiques qui se rapprochent, se confondent en µ = 0, puis disparaissent (ou l’inverse : aucune solution pour µ négatif, puis la solution donnée par l’hypothèse de départ en µ = 0 donne deux solutions pour les valeurs positives de µ). Poincaré conclut : « En d’autres termes, les solutions périodiques disparaissent par couples à la façon des racines réelles des équations algébriques. » Il signale ensuite qu’en éliminant les variables entre les équations du système 3 Dans le deuxième cas, où les X ne dépendent pas de t, Poincaré suit le même plan i d’étude, mais les choses sont un peu plus compliquées. Même si dans sa formulation naturelle, le problème des géodésiques est dans ce deuxième cas, nous n’aurons pas besoin de l’examiner, puisque le changement de variables introduit par Poincaré lui permet de se ramener au premier cas. 53 ψi (βi , µ) = 0 on peut se ramener à une seule équation Φ(βn , µ) = 0. Cette équation peut s’interpréter comme l’équation d’une courbe dans le plan βn , µ ; les cas possibles se reconnaissent alors à la forme de cette courbe au voisinage de l’origine. Poincaré se contente de faire cette remarque ; on peut la mettre en œuvre : la figure 3 illustre les trois cas possibles. βn solution simple µ=0 µ solution multiple avec multiplicité impaire βn µ=0 µ solution multiple avec multiplicité paire βn µ=0 µ Fig. 3 – Allures possibles de la courbe Φ(βn , µ) = 0. Poincaré signale ensuite un cas particulier : « Un cas particulier intéressant est celui où, pour µ = 0, les équations différentielles admettent une infinité de solutions périodiques. » (chap III, § 37) 54 Il étudie plus précisément le cas où il existe une famille continue de solutions périodiques, xi = φi (t, h) : h est le paramètre qui décrit la famille ; pour chaque valeur de h, (φ1 (t, h), . . . , φn (t, h)) est un vecteur 2π-périodique en t, qui est solution (en tant que fonction de t) des équations du mouvement pour µ = 0. Dans ce cas, Poincaré remarque que les équations ψi = 0 définies précédemment ne sont plus distinctes, et que la procédure d’élimination des variables proposée précédemment aboutit à une fonction Φ(βn , µ) qui est identiquement nulle lorsque µ = 0. Il en déduit que Φ doit contenir µ en facteur et se réduire à µΦ1 , de telle façon que la courbe Φ(βn , µ) = 0 se décompose en une droite µ = 0, et une courbe Φ1 = 0. C’est donc l’étude de Φ1 = 0 qui est intéressante. Il faut donc d’abord connaître une solution de Φ1 = 0 avec µ = 0. Or, si la définition même des φi , et donc de Φ, assurait que βn = 0, µ = 0 était solution de Φ = 0, il n’en est plus de même pour Φ1 : la courbe Φ1 = 0 ne passe pas toujours par l’origine. Poincaré conclut donc : « Nous devons donc avant tout disposer de la constante arbitraire h de façon que cette courbe passe par l’origine. » Voici donc posé le cadre dans lequel je propose de lire la démonstration de 1905. Ce que nous allons maintenant constater, c’est que : – les idées maîtresses des Méthodes nouvelles sont reprises et constituent la trame de la démonstration de 1905 ; – la démonstration de 1905 vient compléter le chapitre des Méthodes nouvelles concernant les solutions périodiques. 2.2 2.2.1 L’article de 1905 La problématique suivie par Poincaré On peut relever deux orientations dont l’importance est très nette dans cet article de Poincaré, et qui montrent le lien entre son propos en 1905 et les travaux de mécanique céleste que nous venons d’étudier. Tout d’abord, Poincaré choisit d’étudier les géodésiques des surfaces dans le but explicite de mieux comprendre les difficultés rencontrées dans les problèmes de dynamique, et particulièrement dans le problème des trois corps. Le problème des géodésiques, en effet, « est encore un problème de dynamique, de sorte que la difficulté principale subsiste ; mais c’est le plus simple de tous les problèmes de dynamique ; d’abord il n’y a que deux degrés de liberté, et puis, si l’on prend une surface sans point singulier, on n’a rien de comparable avec la difficulté que l’on rencontre dans les problèmes de dynamique aux points où la vitesse est nulle ». Après avoir rappelé les travaux récents de Hadamard sur les géodésiques des surfaces à courbures opposées, il précise encore son objet en notant que « ce n’est pas aux géodésiques des surfaces à courbures opposées que les trajectoires du problème des trois corps sont comparables ; c’est, au contraire, aux géodésiques des surfaces convexes. » Telle sera donc l’orientation de son étude : mieux comprendre les géodésiques des surfaces convexes, dans le but d’avancer dans la compréhension des trajectoires du problème des trois corps, principal sujet de ses recherches en mécanique céleste. 55 Outre cette orientation explicite vers la mécanique céleste, par la considération de surfaces convexes, on peut noter une caractéristique supplémentaire de ce travail sur les géodésiques. Poincaré ne la relève pas lui-même, mais elle s’inscrit dans la problématique donnée au début du chapitre des Méthodes nouvelles sur les trajectoires périodiques. Dans l’article de 1905, Poincaré s’intéresse en effet exclusivement aux géodésiques fermées des surfaces convexes, alors que Hadamard par exemple, quelques années plus tôt, avait étudié tous les types topologiques des géodésiques des surfaces à courbures opposées. Cette différence d’approche est un indice supplémentaire du fait que l’article de 1905 n’est pas d’abord conduit dans une perspective topologique d’étude des géodésiques, comme l’était celui de Hadamard, mais dans la perspective de la mécanique céleste, en prenant acte de la thèse énoncée dans les Méthodes nouvelles, selon laquelle les trajectoires périodiques sont « la seule brèche par où nous puissions essayer de pénétrer dans une place jusqu’ici réputée inabordable », à savoir la compréhension des trajectoires du problème des trois corps. 2.2.2 La démonstration de 1905 Nous venons de voir comment Poincaré relie son travail de 1905 à ceux de mécanique céleste. Il pourrait s’agir surtout d’une motivation du travail sur les géodésiques, qui serait mené ensuite par une méthode nouvelle, et destiné à éclairer de l’extérieur les recherches sur les trajectoires en mécanique céleste. Mais le lien est beaucoup plus fort, et nous allons voir maintenant que c’est bien la même méthode qui est exposée dans les Méthodes nouvelles et développée en 1905. — Le résultat local : géodésiques d’un sphéroïde — Poincaré commence par « chercher les géodésiques d’une surface très peu différente de la sphère », en utilisant « la méthode de variation des constantes de Lagrange ». Il écrit d’abord les équations des géodésiques dans des coordonnées (u, v) quelconques sur la surface considérée. Si l’élément d’arc est ds2 = Edu2 + 2F dudv + Gdv 2 dans ces coordonnées, l’énergie cinétique s’écrit T = 21 (Eu02 + dT dT 2F u0 v 0 + Gv 02 ). En définissant U = du 0 et V = dv 0 , on obtient un système de coordonnées canoniques u, v, U, V où les équations des géodésiques sont sous la forme canonique de Hamilton : du dT dv dT dU dT dV dT = ; = ; =− ; =− . (1) dt dU dt dV dt dv dt du Dans le cas d’une sphère ronde, où u, v sont les coordonnées polaires géodésiques (voir figure 4), on peut expliciter les fonctions E, F, G de u et v intervenant dans l’expression de l’élément d’arc, ce qui donne l’expression explicite suivante de l’énergie cinétique : 1 1 T0 = (U 2 + V 2) 2 sin2 u . Si l’on considère maintenant une surface très peu différente de la sphère, on peut choisir des coordonnées très peu différentes des coordonnées polaires géodésiques, et l’expression de l’énergie cinétique sur la nouvelle surface sera très 56 O u M v Fig. 4 – Coordonnées polaires géodésiques sur la sphère. peu différente de celle sur la sphère : on pourra l’écrire T = T0 +µT1, où µ est un paramètre qu’on peut prendre aussi petit qu’on veut à condition de considérer une surface suffisamment proche de la sphère. La suite de la démonstration est un travail au premier ordre par rapport à µ. Lorsqu’on reprend les équations (1) avec cette expression pour T , on voit que Poincaré a formulé le problème des géodésiques du sphéroïde exactement dans les termes du problème étudié dans le chapitre III des Méthodes nouvelles (voir page 53). Les seconds membres des équations (1) contiennent en effet un paramètre µ, tel que dans le cas µ = 0 on sait intégrer les équations (ce sont les équations des géodésiques de la sphère, qui sont les grands cercles), et qu’on y a « reconnu un certain nombre de solutions périodiques ». En effet les géodésiques de la sphère sont toutes fermées, donc leur parcours à vitesse constante constitue des solutions périodiques des équations (1). L’objectif de la suite de la démonstration est, comme dans les Méthodes nouvelles, de chercher dans quelles conditions ces trajectoires périodiques subsistent quand µ n’est plus nul, i.e. dans quelles conditions il existe encore des géodésiques fermées sur une surface peu différente de la sphère. Poursuivons notre lecture de la démonstration. Poincaré effectue un changement de coordonnées (voir figure 5) grâce auquel les grands cercles de la sphère (i.e. les solutions des équations pour µ = 0) ont une expression plus simple, le caractère canonique des équations des géodésiques étant conservé. Il peut de plus exploiter le fait que la vitesse de parcours d’une géodésique est toujours constante pour les solutions des équations (1), ce qui permet de supprimer une variable dans les nouvelles équations, après avoir remplacé les fonctions T0 et T1 par des fonctions S0 et S1 qui leur sont liées. Une autre coordonnée, λ, du nouveau système peut servir de variable à la place du temps. Enfin, Poincaré remplace T0 , donc S0 , par sa valeur connue, si bien que le système d’équations se simplifie en : µ dS1 dS1 dθ µ dS1 di = − µ cotg i ; =− , (2) dλ sin i dθ dλ dλ sin i di où i, θ, λ sont les nouvelles coordonnées, angulaires, i.e. définies à 2π près (voir figure 5). 57 O i M λ θ ω Fig. 5 – Nouvelles coordonnées (i, θ, λ, ω). D’autre part, comme on considère µ petit, on constate que i et θ varient très lentement ; ainsi, le temps d’une révolution, c’est-à-dire lorsque λ augmente de 2π, on peut supposer i et θ constants dans les membres de droite des équations (2), lesquels deviennent alors de simples fonctions de λ, périodiques en vertu de la remarque précédente. Pour une solution de ces équations, i et θ sont donc obtenus, pendant une période de λ, en intégrant ces fonctions. La condition de fermeture pour une géodésique définie par les équations (2) (au premier ordre en µ), est donc que la valeur moyenne des seconds membres sur une période de λ soit nulle : alors leur primitives i et θ reviendront à leur valeur initiale au bout d’une période. Si l’on note R (fonction de i et θ) la valeur moyenne de S1 , les valeurs µ dR µ dR moyennes des seconds membres sont respectivement sin i dθ et − sin i di . La dR condition de nullité s’écrit donc, lorsque µ est non nul, dR dθ = di = 0. Nous avons vu que Poincaré met son problème sous la même forme que celui qui sert de trame au chapitre des Méthodes nouvelles traitant des solutions périodiques : des équations qui dépendent d’un paramètre µ supposé petit ; pour µ = 0, on sait les intégrer, et on obtient entre autres des solutions périodiques ; pour µ non nul, on cherche à savoir si il y a encore des solutions périodiques. Ici, lorsque µ = 0, toutes les géodésiques sont fermées ; autrement dit, toutes les trajectoires sont périodiques. Nous sommes donc dans le cadre du cas que Poincaré signalait en dernier lieu dans les Méthodes nouvelles, le « cas particulier intéressant [...] où, pour µ = 0, les équations différentielles admettent une infinité de solutions périodiques. » Mon propos maintenant est de montrer comment le calcul mené en 1905 dR par Poincaré, qui le conduit à la condition dR dθ = di = 0 pour les géodésiques fermées qui subsistent lorsque µ est non nul, suit exactement l’ébauche d’analyse donnée dans les Méthodes nouvelles pour ce cas. Dans les coordonnées (x1 , x2 ) = (i, θ), λ étant utilisé comme variable à la place du temps, la famille de solutions connue pour µ = 0 est la famille des grands cercles parcourus à vitesse normalisée, c’est donc une famille à deux paramètres i et θ : x1 (= i) = φ1 (λ, i0 , θ0 ) = i0 ; x2 (= θ) = φ2 (λ, i0 , θ0 ) = θ0 ; 58 où il faut bien comprendre que i et θ jouent ici le rôle du paramètre h des Méthodes nouvelles, tandis que λ joue le rôle du temps, ces trois quantités étant simultanément4 les coordonnées dans lesquelles les équations sont étudiées : c’est là l’intérêt du changement de variable effectué par Poincaré, que de prendre comme coordonnées les paramètres des trajectoires périodiques connues. Si l’on part d’une géodésique fermée sur la sphère caractérisée par i0 et θ0 , le calcul effectué par Poincaré permet de donner l’expression (au premier ordre en µ) des fonctions ψi introduites dans les Méthodes nouvelles 5 (voir 2.1) : µ dR ψ1 (β1 , β2 ) = sin(i0µ+β1 ) dR dθ (i0 + β1 , θ0 + β2 ) et ψ2 (β1 , β2 ) = − sin(i0 +β1 ) di (i0 + β1 , θ0 + β2 ). Ici β1 et β2 désignent de petites variations des valeurs initiales i0 et θ0 de i et θ respectivement6 . Comme Poincaré le remarque dans le chapitre cité des Méthodes nouvelles, l’existence d’une famille continue de trajectoires périodiques dans le cas µ = 0 se traduit par le fait que µ se trouve en facteur dans le système d’équations ψ1 = ψ2 = 0. Après cette remarque, il montrait que l’équation intéressante à cnsidérer était celle obtenue en divisant par µ. C’est bien ce qu’il fait ici, puisqu’en divisant ces équations par µ, on obtient, à un facteur près, les deux dR équations dR dθ = di = 0. La seule différence entre la démarche de 1905 et celle indiquée dans les Méthodes nouvelles est qu’il n’a pas fait l’élimination des variables permettant de se ramener à une seule équation en i seul ou θ seul. C’est qu’une telle élimination ne peut être effective, puisqu’on ne connaît pas l’expression de R (laquelle dépend de la déformation infligée à la sphère pour donner le sphéroïde dont on cherche les géodésiques fermées). Dans ce cas, il est donc plus pratique de garder le système de deux équations, qui fait intervenir la fonction R, laquelle a un sens géométrique, comme Poincaré le montre plus loin. Après la division par µ, Poincaré indique dans les Méthodes nouvelles : « Nous devons donc avant tout disposer de la constante arbitraire h de façon que cette courbe [la courbe Φ1 = 0] passe par l’origine. » Voyons ce que signifie ceci dans le cas qui nous intéresse. Nous avons vu que la constante arbitraire h correspond pour nous aux paramètres i0 et θ0 qui repèrent le grand cercle de la sphère au voisinage duquel on cherche une géodésique fermée sur le sphéroïde. Quant à la courbe Φ1 = 0, nous n’en avons pas d’équivalent exact, puisque Poincaré n’a pas procédé, en 1905, à l’élimination des variables. Cependant, nous pouvons considérer la courbe — définie cette fois dans un espace à trois 4 Pour mieux distinguer i et θ en tant que coordonnées variant en fonction de λ (i.e. en fonction du temps), et i et θ considérés comme paramètres de la famille de grands cercles, j’ai noté i0 et θ0 pour les paramètres. 5 Pour être tout à fait précis, puisque Poincaré travaille dans toute cette démonstration au µ dR µ dR premier ordre en µ on a en fait ψ1 (i, θ, µ) = sin + O(µ2 ) et ψ2 (i, θ, µ) = sin + O(µ). i dθ i di À la fin de la démonstration, Poincaré renvoie aux Méthodes nouvelles pour le passage du raisonnement au premier ordre en µ au résultat effectif ; il faut effectivement appliquer ensuite le théorème des fonctions implicites, qui est un des outils principaux des Méthodes nouvelles. 6 J’ai repris à dessein les notations introduites dans les Méthodes nouvelles, mais on pourrait aussi préférer des notations plus explicites, telles ∆i0 et ∆θ0 . 59 dimensions7 (β1 , β2 , µ) — donnée par les équations 1 1 ψ1 = ψ2 = 0. µ µ Nous pouvons maintennt comprendre ce que signifie dans ce problème « disposer de la constante arbitraire h de façon que cette courbe passe par l’origine » : il faut choisir des valeurs de i0 et θ0 telles que 1 1 ψ1 (β1 = 0, β2 = 0, µ = 0) = ψ2 (0, 0, 0) = 0, µ µ i.e. telles que 1 dR 1 dR (i0 , θ0 ) = − (i0 , θ0 ) = 0 : sin i0 di sin i0 dθ c’est bien ainsi que conclut Poincaré. Nous voyons donc après cette comparaison détaillée, que la démarche suivie dans l’article sur les géodésiques suit exactement la trame indiquée succintement dans les Méthodes nouvelles. Le rapport entre les deux travaux n’est pas seulement un rapport entre des problèmes un peu similaires, il y a une continuité réelle dans la méthode suivie, jusque dans les détails. Il nous faut maintenant dire quelques mots de la deuxième partie de la démonstration de 1905, celle qui montre que le résultat de parité obtenu pour le sphéroïde s’étend à une surface convexe quelconque. — Le résultat global : géodésiques d’une surface convexe quelconque — J’ai présenté dans le détail la continuité entre les Méthodes nouvelles et la première partie de la démonstration ; c’est le rapport qui est le moins évident à première lecture. Pour la deuxième partie de la démonstration, le lien avec les Méthodes nouvelles est plus immédiatement visible, je serai donc plus brève. Poincaré considère une famille de surfaces paramétrée par t. Ce paramètre t jouera un rôle similaire au paramètre µ précédemment ; mais, alors que µ était un paramètre proche de 0, t varie entre 0 et 1 et décrit une déformation continue de la surface Σ0 en Σ1 . Poincaré considère un système de paramètres (y0 , z0 , y00 , z00 , t) permettant de décrire toutes les géodésiques de toutes les surfaces de la famille. La condition de fermeture d’une géodésique est une condition analytique, l’ensemble des géodésiques fermées des surfaces de la famille peut donc être représenté par une courbe analytique dans l’espace des paramètres (y0 , z0 , y00 , z00 , t). Comprendre comment les géodésiques fermées se comportent lorsqu’on déforme peu à peu la surface en faisant varier t, c’est donc comprendre l’allure de cette courbe analytique au voisinage de chacun de ses points, en particulier par rapport à la direction où t varie. 7 Nous verrons que dans la deuxième partie de la démonstration de 1905, Poincaré introduit ainsi des courbes dans des espaces de dimension plus grande que le plan auquel il se ramenait par élimination des variables dans les Méthodes nouvelles. C’est précisément là un des points sur lesquels il développe la méthode esquissée dans les Méthodes nouvelles en lui donnant plus d’ampleur. 60 Poincaré montre, comme nous l’avons déjà dit, qu’il y a deux possibilités, soit on peut suivre la géodésique fermée qui se déforme avec la surface, soit on a d’abord deux géodésiques fermées qui se rapprochent, se confondent et disparaissent au cours de la déformation de la surface. L’argument qu’il donne pour montrer cette alternative reprend un argument exposé dans le chapitre II des Méthodes nouvelles, pour justifier le théorème des fonctions implicites raffiné utilisé dans le chapitre sur les solutions périodiques pour montrer que les trajectoires périodiques disparaissent par couples. Nous voyons à nouveau que la démonstration de 1905 non seulement utilise des méthodes mises au point pour la mécanique céleste, mais que ce sont précisément les mêmes qu’au chapitre sur les solutions périodiques. Un autre point de rapprochement est l’introduction d’une courbe analytique dont l’allure représente le comportement des trajectoires périodiques. Dans les Méthodes nouvelles, ceci apparaît seulement comme une remarque, et dans le cas réduit où toutes les variables ont été éliminées sauf une, si bien qu’il s’agit d’une courbe dans le plan. Ici nous voyons que cette idée déjà présente dans les Méthodes nouvelles a été amplement développée : la construction de la courbe analytique vient dès le début de cette partie de la démonstration, et dans un espace de paramètres plus grand. 3 Continuité et développement La comparaison que nous venons de mener entre le chapitre des Méthodes nouvelles sur les solutions périodiques et l’article sur les géodésiques nous a permis de mettre à jour la grande continuité, tant dans la problématique que dans la méthode suivie, jusque dans ses détails, entre ces deux démarches. Poincaré étudie les géodésiques des surfaces convexes comme un cas d’application des méthodes qu’il a commencé à exposer dans les Méthodes nouvelles. Mais il ne s’agit pas seulement d’une application d’une théorie puissante à un nouveau problème, qui permet de démontrer des résultats nouveaux sur les géodésiques. Ce qui ressort de la comparaison que nous venons de faire, c’est que l’apport est réciproque : le problème des géodésiques lui permet d’approfondir, de développer, d’exposer plus en détail une méthode qui n’est encore, sur certains points, qu’ébauche et programme dans les Méthodes nouvelles. C’est ce constat qui va nous permettre de donner sens à la disproportion que nous avons relevée entre le développement compliqué de la première partie de la démonstration, pour montrer que les géodésiques d’un sphéroïde sont en nombre impair, et l’utilisation qui en est faite, pour laquelle il aurait suffit d’invoquer le résultat connu pour l’ellipsoïde. Nous avons noté le développement, dans l’article de 1905, de la représentation par une courbe analytique des trajectoires périodiques, avec l’étude de la correspondance entre l’allure de la courbe et le comportement des trajectoires périodiques. Poincaré montre qu’on peut développer cet argument y compris avec un nombre élevé de paramètres, en se plaçant dans un espace convenablement choisi, tandis que, dans les Méthodes nouvelles, il ne faisait qu’évoquer l’illustration possible, par une courbe dans le plan, des phénomènes décrits. Il y a un autre point dont je n’ai pas encore parlé, c’est qu’il étudie les variations possibles du nombre de points doubles pour les géodésiques fermées 61 représentées par une même branche de la courbe analytique. En effet, le théorème 1 porte sur les géodésiques fermées sans point double ; celles de la sphère possèdent cette propriété, mais il faut ensuite s’assurer que la conservation de la parité qu’on a démontrée est valable également quand on se restreint aux géodésiques sans point double. Il y a donc toute une étude sur les particularités topologiques des géodésiques appartenant à une même branche de la courbe analytique, et donc un grand approfondissement des prorpiétés de cet outil qu’est la courbe analytique qui représente les trajectoires périodiques, seulement introduit au détour d’une remarque dans les Méthodes nouvelles. La première partie présente un apport peut-être plus grand encore, et en tous cas d’autant plus crucial que c’est la seule raison d’être de cette partie, puisque nous avons montré qu’elle n’est pas nécessaire pour la démonstration. Concernant en effet le cas particulier où il y a une famille infinie de solutions périodiques, les Méthodes nouvelles ne contenaient que l’analyse des conséquences de cette particularité sur la forme des fonctions introduites pour l’étude. Elles s’arrêtaient à ce constat : « Nous devons donc avant tout disposer de la constante arbitraire h de façon que cette courbe passe par l’origine. » Les moyens d’y arriver n’étaient pas indiqués. D’autant que cette courbe était définie implicitement, si bien que son étude n’a, a priori, rien d’évident. Dans l’article sur les géodésiques, en revanche, Poincaré donne une méthode pour traiter ce cas particulier, en montrant qu’on peut s’inspirer de la méthode de variation des constantes de Lagrange et choisir un système de coordonnées adapté dans lequel les différentes étapes indiquées dans les Méthodes nouvelles trouvent une expression assez simple. De plus, le caractère géométrique du problème qu’il traite lui permet de donner au fur et à mesure de la démonstration une interprétation géométrique des étapes du calcul. Par ailleurs, il élargit la description qu’il avait donnée de ce cas particulier dans les Méthodes nouvelles, puisqu’il traite en 1905 un cas où la famille continue de solutions périodiques est une famille à deux paramètres. Enfin, l’articulation qu’il donne volontairement aux deux parties de sa démonstration montre l’intérêt que peut présenter l’étude d’un cas où il y a une infinité de trajectoires périodiques. Dans les Méthodes nouvelles, ce cas apparaissait comme un « cas particulier intéressant », sans justification de ce qualificatif. Ici nous voyons que c’est le cas qui se présente le plus couramment dans les problèmes que nous savons intégrer : la présence de symétries aide à effectuer l’intégration complète des équations, mais introduit de telles familles continues de solutions périodiques. Pour les géodésiques des surfaces convexes, on sait intégrer les équations sur un ellipsoïde, mais il s’agit là d’une circonstance heureuse plutôt exceptionnelle. Dans un problème de dynamique quelconque, on sera amené à partir d’un cas particulier intégrable qui possède de nombreuses solutions périodiques, à faire l’étude locale en utilisant une méthode analogue à la méthode de variation des constantes, avant d’étendre les résultats aux cas quelconques par continuité, comme Poincaré le fait ici, exploitant la disparition par couples des solutions périodiques. Nous voyons donc que l’étude des géodésiques des surfaces convexes est pour Poincaré l’occasion de développer, de donner une plus grande extension à la 62 théorie qu’il avait commencé à exposer dans les Méthodes nouvelles. Qu’il le fasse dans le cadre d’un paradigme ne change rien à la généralité de la méthode qu’il présente, puisqu’il a soin de ne pas exploiter les circonstances particulières — la connaissance des géodésiques de l’ellipsoïde — à ce cas. On remarque au contraire un gain de généralité dans la démonstration de 1905, puisqu’il utilise des espaces de paramètres de plus grandes dimensions. Ainsi, la généralité n’est nullement conditionnée au degré d’abstraction — plus important dans les Méthodes nouvelles—, mais peut également caractériser une démonstration effectuée sur un paradigme. Références [1] Henri Poincaré. Méthodes Nouvelles de la Mécanique Céleste. GauthierVillars, Paris, 1892–1899. Abrégé en Méthodes Nouvelles. [2] Henri Poincaré. Sur les lignes géodésiques des surfaces convexes. Transactions of the American Mathematical Society, 6 : p. 237–274, 1905. Œuvres [3], t. 6 : p. 38–84. C’est la pagination de l’édition des Œuvres que j’utilise. [3] Henri Poincaré. Œuvres. Gauthier-Villars, 1916–1954. 63