Rapport Lextrait sur les « lieux intermédiaires »
Transcription
Rapport Lextrait sur les « lieux intermédiaires »
Rapport Lextrait sur les « lieux intermédiaires » - juin 2001 Objectif du rapport : trouver les nouvelles modalités d’une intervention publique en faveur de ces pratiques émergentes. Permettre aux services de l’Etat de mieux connaître et d’accompagner ces projets artistiques qui se développent en dehors des institutions culturelles. Origine de ces pratiques artistiques : elles ne sont pas des marges alternatives et radicales à un système artistique institué. Elles sont un processus et un projet revendiquant leurs propres natures artistiques et professionnelles. Les « lieux intermédiaires » existent depuis quinze ans en France. C’est une évolution qui dure. Questions : comment repérer ces expériences sans les normaliser ? Comment aider sans fossiliser ? Comment répondre sans récupérer ? A la différence du modèle administratif, les pratiques artistiques sont en perpétuelle évolution. Octobre 2000 : mission d’analyse confiée par Michel Duffour. Etudier les cadres et limites de l’intervention de l’Etat et des collectivités locales face à une pratique artistique par définition libre et transversale. « Penser globalement et agir localement ». Résultat de l’enquête : montre un foisonnement de projets qui ne se reconnaissent pas dans les pratiques artistiques traditionnelles. Michel Duffour se défend d’emblée de vouloir les « institutionnaliser, les enfermer dans les catégories ou créer un nouveau label ». Chapitre I : Fondements communs des projets : I – Questionnement politique : refus d’un certain fatalisme et construction d’un espace politique où l’art est interrogé dans sa capacité à reproduire du lien social et à rénover la cité. Nouvelle approche du développement culturel : l’œuvre, le produit, ne peuvent plus être les seules valeurs appréhendées, les seules valeurs recherchées. Les créateurs et les publics cherchent d’autres formes de relations fondées sur la permanence artistique dans la cité. Chaque territoire génère ainsi son propre processus actif, en s’appuyant sur des logiques différentes. ⇒ Réinscription de l’artiste dans la cité. ⇒ Une autre définition de l’art. Nouveauté des approches : représentation contemporaine du monde et pas reproduction des classiques. ⇒ Questionnement de notre temps. Une approche éminemment politique. Situation paradoxale à l’égard du public : vide constaté et surabondance de l’offre culturelle. Les gens sont insatisfaits et pointent un vide, en terme d’espaces, et un manque, en termes politiques. Nouvelles relations : les créateurs et les publics cherchent d’autres formes de relations fondées sur la permanence artistique dans la cité. Par ailleurs, un désir d’amateurisme se développe, d’où une ré interrogation sur le couple amateur-professionnel. → Expérience inédite entre les artistes et la population. Terme « amateur » au sens large : citoyen entretenant un rapport à l’art qui passe par une autre pratique que celle de la consommation (elle n’est pas fondatrice de sa démarche) : un rapport ouvert et curieux, qui amène le citoyen à participer à des actions collectives et individuelles. Ces expériences se construisent sur d’autres bases que les valeurs strictement professionnelles, en revendiquant simultanément la reconnaissance de la rigueur, de leurs démarches et le droit à l’erreur. Les tentatives produites dans ces espaces sont d’abord une critique de la société de consommation. Territoires : expérimentations locales. Ces projets s’inscrivent dans un contexte ⇒ Ils ne cherchent pas à imposer une vision du monde mais à susciter d’autres propositions complémentaires, parfois contradictoires avec elles-mêmes. De plus, le mouvement doit primer. Décentralisation : depuis cinq ans, ce mouvement s’est accéléré : cela trouve en partie une explication dans la décentralisation culturelle : des acteurs ont mis en place des actions, sans attendre une quelconque validation nationale. Ces initiatives sont nées dans un contexte local, sans que l’Etat ait joué un rôle central. Le rôle de l’Etat est désormais perçu et souhaité comme un contre-pouvoir régulateur, soutenant et appuyant le développement engendré par un territoire et porté par des acteurs locaux. La revendication ainsi portée est de permettre un rééquilibrage entre les formes instituées et les formes instituantes, ainsi qu’un rééquilibrage entre le centre et la périphérie : Paris/ province ; centre historique/quartier… ⇒ enjeu : équilibre entre le principe d’égalité républicaine et l’indispensable adaptation aux contextes réels. Le rôle de l’Etat est déterminant : les opérateurs, tout en revendiquant l’implication réelle des élus dans les projets, ne veulent pas d’un face à face qui risquerait d’altérer la liberté de chaque projet. L’implication des élus locaux est essentielle à la réussite des projets car, au delà du soutien porté par les collectivités publiques à l’expérience en tant que telle, la démarche de ces initiatives questionne l’ensemble de la politique culturelle locale. Trop souvent encore, le soutien apporté par les collectivités locales peut être appréhendé comme « alibi ». Pour la première fois en matière de décentralisation culturelle : première vague de projets qui n’auront pas été préalablement légitimés nationalement par le ministère de la Culture. II – Fondements territoriaux, espaces physiques : Si ces pratiques se sont multipliées, c’est aussi parce que des espaces abandonnés étaient disponibles. Elles ont toutes un rapport avec un territoire en friche : le vide, l’absence d’autres interventions, ont ouvert un champ aux porteurs de ces projets. Le territoire urbain est dominant. Il a libéré des initiatives qui ne trouvaient pas auparavant d’espaces d’expression. Elément supplémentaire : nouvelle approche de la ville : elle devient le théâtre du conflit social. Depuis 15 ans en France, les artistes ont suivi la voie ouverte par les européens du nord 10 ans plus tôt. Ils ont su squatter, en pionniers, des espaces urbains dont la valeur sociale était devenue négative. Ces expériences ont peu à peu ouvert le débat sur les modes de production des territoires. Une lutte urbaine s’est installée autour de ces lieux : tensions avec les propriétaires privés ou publics, qui n’apprécient pas l’immixtion de citoyens « incompétents » dans des affaires foncières. Deux grands ensembles : • Territoires inclus dans les centres urbains prospères : ils sont, à l’intérieur des villes, des réserves spéculatives marquées (ou non) par une valeur patrimoniale forte. L’occupation, souvent illégale, des bâtiments, manifeste l’expression d’un refus citoyen de la spécialisation des centres villes autour des fonctions commerciales et de services. Réappropriation du centre ville. La mobilisation des habitants et des artistes prend une valeur politique forte. Ex : agitation politique des squatters. Intérêt pour les propriétaires : les propriétaires privés évitent des coûts liés à la nonoccupation du site. Les propriétaires publics que sont les collectivités, gagnent une valeur sociale et artistique de proximité. Ex : Grenoble : les squats figurent dans le contrat de plan de la région, qui valorise ses squats comme une innovation sociale. De plus, mobilisation des habitants, menacés d’expulsion par la spéculation foncière et la transformation urbaine. L’utilisation d’un site, par des squatters peut être légalisée dans le cadre d’une convention d’occupation précaire. • Territoires frappés par la crise économique des trente dernières années, par la désindustrialisation, par l’exode rural ou par un abandon politique et économique. Deux logiques se rencontrent : celle qui met les décisionnaires en situation de commande d’une action à un artiste ou à un opérateur, et celle qui émerge du terrain civil. Une transformation d’espaces parfois gigantesques, témoins de restructurations économiques et politiques s’effectue (ex : Marseille : restructuration de l’industrie du tabac ; Roubaix : restructurations de l’industrie textile ; Perpignan : restructuration de la Défense nationale…). De plus, occupation de surfaces libérées, localisées dans les faubourgs, dans des quartiers populaires, où la pression immobilière est faible (ex : TNT à Bordeaux). L’intervention artistique et sociale dans ces espaces, qu’elle soit l’initiative de la société civile ou des décideurs, fait naître un espoir et un débat sur la nouvelle destination du site. Cœur de la problématique d’espaces intermédiaires : ce n’est pas pareil quand l’intervention artistique et sociale préfigure la transformation urbaine, et quand la transformation en site culturel est préméditée et planifiée : dans ce cas, la nature du projet culturel qui en découle prête à plus d’attention. Problématique : distinction entre opérations de réhabilitation urbaine et pratiques qui posent l’in définition du site, la non-programmation architecturale, la préfiguration et le nomadisme comme principes de transformation. III – Fondements culturels, espaces historiques : La conception de l’artiste moderne est née au début du XIXème siècle, par la reconnaissance de la part intellectuelle de son activité, qui le valorise et le distingue de l’artisan. Cela aboutit à une réflexion politique. De plus, cette conception lui permet de revendiquer la possibilité d’exercer une activité gratuite dans autre fin qu’elle-même, de produire des œuvres uniques et singulières loin de la reproduction de masse que permet l’industrie. Elle s’accompagne de la quête individualiste de la singularité et de l’autonomie. Trois positions : position de conformité sociale ; position en retrait ; position de transformation. Trois grandes lignes-force : Décentralisation théâtrale et expériences fondatrices de l’après-guerre : elles ont ouvert des espaces de rencontre entre les œuvres et le public, mais aussi entre les artistes et leurs territoires (ex : Planchon). Il s’agissait déjà de développer, d’innover, de créer quelque chose qui n’existait pas auparavant. Dans les années 70, création par des artistes de lieux uniques, se démarquant du maillage territorial mis en place par le ministère de la Culture et les collectivités locales, parce que déjà, le schéma institutionnel ne convenait pas à leurs démarches. Ex : théâtre du Soleil d’Ariane Mnouchkine : innovations dans l’accueil du public, utilisation de l’espace et organisation de la troupe. A la fin des années 70 en France (dix ans avant dans l’Europe du nord), des alternatifs ont initié des expériences sociales et culturelles contestataires : ils ont effectué un travail de défrichage sur le terrain des musiques actuelles et sur la relation au monde associatif militant (ex : Stanislas Nordey). En réalité, le phénomène n’est pas « nouveau » : pendant des années, des acteurs ont mené un travail qui a longtemps existé à la marge et qui devient visible. Il y a donc une histoire. Ce mouvement n’est pas une éclosion spontanée ou une simple étape du développement culturel. C’est la combinaison de plusieurs courants qui se rencontrent. IV – Fondements institutionnels : le rapport à l’institution : De nombreuses initiatives sont situées dans un cercle ayant un rapport direct avec l’institution. Elles font ainsi très vite référence pour d’autres actions qui veulent soit se repositionner à l’intérieur du champ labellisé, soit pénétrer le réseau des lieux et projets soutenus par la puissance publique. Parallèlement, émergent des alternatives aux systèmes institués : des squats artistiques se multiplient dans les villes, notamment. Les squatters affichent le besoin de ne pas entrer dans des processus d’institutionnalisation. Positionnement commun de ces projets : recherche d’une légitimité politique, seule voie possible à la pérennisation des initiatives. Le rapport à l’institution est paradoxal. La critique, pour les espaces intermédiaires, de l’institution, s’inscrit dans un rapport de transformation de la société. Beaucoup de projets savent que leurs espaces se sont aussi construits dans un rapport à l’existant, dans un rapport à l’histoire. La prise en compte par le ministère de la Culture de ce rapport à l’institutionnel sera un élément déterminant. V – Fondements locaux : dans quel contexte local émergent et se développent ces expériences ? Ce qui se joue, c’est la tension, le rapport entre le paysage local et les porteurs de l’initiative. Des villes très pourvues en institutions et qui connaissent des pratiques culturelles très développées semblent tout autant « prédisposées » à générer des lieux intermédiaires ou à les rejeter que des villes peu institutionnalisées en matière de politique culturelle. Jack Ralite (maire d’Aubervilliers) et Pierre Bédier (maire de Mantes-la-Jolie) soutiennent fortement les friches qui existent sur leur territoire. Il n’existe pas de caractéristiques communes qui se retrouveraient d’une ville à l’autre. Mais ce qui importe est le rapport entre l’environnement local et le projet. Même si la plupart des projets sont localisés dans des villes, de plus en plus d’expériences émergent de territoires ruraux. De plus, certains projets trouvent aujourd’hui de nouveaux échos, alors même qu’ils existent depuis de nombreuses années. Ex : projet d’Uzeste de Bernard Lubat. Ce qui est important pour les opérateurs et les artistes qui décident de s’investir dans le développement culturel local, c’est de « travailler le pays » (expression de Bernard Lubat). La notion de développement durable rejoint la notion d’écologie artistique et d’équilibre territorial. Le positionnement commun est le refus de modèles d’aménagement et l’affirmation des singularités. VI – Fondements structurels : qui est à l’origine de ces initiatives ? Diversité : plus de la moitié doivent leur naissance à des artistes, généralement regroupés en compagnies, groupes ou collectifs. 1/3 sont impulsées par une ou plusieurs collectivités locales. Moins d’1/5 sont lancées par des opérateurs culturels et des membres de la société civile. Quand un projet est initié par une collectivité publique, il est tout de suite confié à une équipe qui sera à même de le fonder réellement. L’ « origine » du projet est l’association de l’initiative et de la mise en œuvre. C’est donc la mixité. Ex : Friche de la Belle de Mai, la Laiterie : initiative municipale et fondation portée par des opérateurs culturels. En ce qui concerne le fonctionnement de ces espaces : absence de personnalisation du pouvoir. Il n’y a pas de parcours-types. De plus, plusieurs statuts et presque toutes les disciplines artistiques coexistent. Cette interdépendance vis à vis des milieux politiques et culturels est souvent l’une des explications de la difficulté d’intégration des projets dans la politique de la collectivité locale. Les synergies se retrouvent plus facilement par les actions de terrain que par une coordination des politiques publiques. VII – Fondements artistiques : Cette nouvelle étape du développement culturel repose sur des expériences qui ont permis à des artistes et à des publics d’inventer ce qu’ils ne trouvaient pas dans les lieux et les pratiques institués. Initialement, les artistes et les producteurs ont cherché à réunir les conditions de production élémentaires à leur travail. Par ailleurs, des groupes de publics ont tenté de faciliter l’accès à des formes artistiques et culturelles négligées dans les équipements traditionnels. Ce mouvement, qui a toujours existé, est plus difficile à appréhender dans un univers d’industrialisation culturelle et d’hyperspécialisation des genres. Aujourd’hui, l’industrie multiplie les stratégies pour qu’aucun domaine, aussi singulier soit-il, ne lui échappe. C’est ce qu’on appelle l’ « occupation des niches ». Les nouvelles pratiques sont nées d’une insatisfaction de l’existant. les nouvelles formes d’engagement sont plus basées sur la défense des « pratiques » ou sur le désir d’une autre relation aux artistes. Cette approche pose aux politiques publiques mises en place dans ces secteurs de graves questions politiques ex : le domaine des musiques actuelles est profondément touché par cette évolution. Des espaces se repositionnent sur leurs territoires en tant qu’espaces « intermédiaires ». Revendication des artistes : des conditions de travail adéquates au temps vécu. Elles ne sont pas revendiquées en tant qu’outil, mais en tant que dispositif artistique articulé à une pensée politique. La revendication est le repositionnement du dispositif à partir du projet artistique, dans une relation de confiance mutuelle entre le producteur et l’artiste, entre l’artiste et le public, entre le public et la population… a) Les temps de travail : ils sont incompatibles avec le rythme programmatique des lieux institutionnels. Revendication d’une autonomie réelle vis à vis des institutions. Ré interrogation de tous les temps : celui de la formation, de la transmission, de la recherche, de la construction, de l’exposition, de la représentation, de l’exploitation. Ce rapport au temps pose donc très concrètement la question de la valeur. Idée que la valeur créée par les artistes ne se réduit pas aux seules productions, et que le temps de travail est lui-même porteur de valeurs intermédiaires. b) Les espaces de travail et de diffusion : les lieux de l’expérience ont toujours été particulièrement difficiles à trouver. Paradoxalement, lorsqu’ils existent, ils ne correspondent pas souvent aux besoins réels, car ils sont dans leurs conceptions et leur fonctionnement en décalage avec leur époque. Friches : possibilité d’investir des lieux libres, souples, ouverts. Ces espaces ont été pris simultanément comme des espaces d’investigation scénographique, comme des espaces de travail et comme des espaces de rapport politique aux populations. Les friches sont des lieux de mixité d’utilisation : ce sont des espaces physiques artistiques et politiques ouverts. Ils imposent une approche pragmatique de la production artistique : une conception globale de la production, qui concerne l’ensemble du processus et fait intervenir une multitude d’acteurs. Il y a également une dimension collective avec une interaction permanente. c) Les modes relationnels aux populations : L’ouverture de ces espaces a permis de rompre avec une certaine figure de l’artiste refusant de se préoccuper du public. La relation cherche à sortir de l’événementiel pour tenter une réarticulation entre les pratiques artistiques et les groupes sociaux concrets situés dans un territoire. Les artistes ouvrent, dans les espaces qu’ils se sont appropriés, les processus de création à la population. VIII – Fondements économiques et affectifs : a) économiques : question de la valeur qui peut être attribuée individuellement ou collectivement à une démarche, à un produit, à un service. Importance politique de ce débat économique. b) affectifs : il est rare que des porteurs de projet revendiquent aussi fortement, dans un processus de développement culturel local, la dimension affective et l’alea qui lui est associé. Chapitre II – La problématique artistique et publique : La production est enjeu d’autonomie. le rôle des intermédiaires à la production est vivement mis en question. Remise en cause du monopole tenu aujourd’hui dans toutes les disciplines par une certaine technocratie culturelle. L’ensemble des règles établies depuis 40 ans ne permet plus aujourd’hui de régénérer le système. La demande est celle d’une évolution progressive qui permette les expérimentations en cours et conforte des initiatives qui n’ont pas les moyens de consolider leurs nouvelles démarches de production artistique. Le principe de production recoupe ici les notions de projet. Le projet culturel naît de la rencontre entre le projet politique et le projet artistique. Le statut de l’œuvre est remis en question : elle n’est plus le seul objectif poursuivi, que ce soit en termes de création ou de diffusion L’enjeu est de créer des croisements. Dans ce cas, le projet artistique est la mise en visibilité d’étapes de travail, qui intègre plus ou moins le regard public. Cette démarche est intimement liée au désir de l’artiste, du producteur et de la population de se rencontrer. Le public est invité au processus plutôt qu’à la présentation de quelque chose qui sera fini demain. Désir de revenir sur une fracture historique considérée par tous comme une fracture grave du rapport entre l’art et la société. Pour ces équipes, il n’y a pas d’opposition entre le travail artistique et l’action culturelle. Il n’y a plus délégation. La question de la diffusion : Les espaces intermédiaires jouent un rôle important quant à la diffusion de la création régionale et, plus globalement, quant à la diffusion de la jeune création. La résidence artistique : elle tend notamment, dans les politiques de réinscription territoriale de l’acte artistique, à valoriser le travail des artistes. Il existe deux grandes familles de résidence : • Pour les artistes ou équipes artistiques qui sont sur un territoire pour y développer un projet sur un temps déterminé en vue d’une création, et qui réunissent les moyens nécessaires à leur travail ; ex : travail sur la mémoire. Les projets impliquent souvent un lien fort au territoire. Certains projets de cette nature se réalisent d’ailleurs dans une relation aux institutions (opérateurs ou/et collectivités) qui mobilisent pour ce faire des politiques territoriales spécifiques. • Pour les artistes, les équipes artistiques ou les opérateurs qui s’installent dans un territoire pour y développer un projet plus large, à moyen et long terme. Pour certains, la résidence est un abri, un lieu de la permanence du travail. La possibilité de mobiliser des moyens de production est alors un des atouts principaux de l’association entre les artistes et le territoire. La disponibilité de ces capacités de production permet de déclencher un véritable processus de développement culturel local. S’ajoute le cas des squats : c’est la forme la plus précaire des résidences. Exigence et excellence artistique : Le mouvement en tant que tel ne porte aucune valeur esthétique. Il n’est pas l’incarnation d’une école ou d’un courant. Ce qui est systématiquement attaqué par ces projets, c’est la confiscation par un petit nombre, sous couvert d’excellence artistique, de la plus grande partie des moyens de la production, moyens déjà réduits, puisque dans le cadre des politiques culturelles, la principale manne concerne le patrimoine. C’est la confrontation entre les tenants d’une approche essentialiste du phénomène artistique et ceux d’une approche relationnelle et événementielle de la pratique artistique. Il y a plusieurs rapports à l’art. Problème : aujourd’hui, aucun espace de travail sur ces enjeux n’existe au sein de la sphère publique. Peu à peu, seul le marché occupe l’espace de l’élaboration de la valeur, en forgeant ses propres critères. Les espaces intermédiaires, par la relation directe qu’ils ont su créer entre la société civile, les institutions, les experts et les artistes, maintiennent un espace de débat sur ces questions essentielles. Chaque projet a mis en place ses propres dispositifs pour faire travailler des artistes. La rigueur de la démarche passe dans ces projets par l’engagement individuel et collectif des acteurs, approche refusée dans l’orthodoxie professionnelle. La revendication majoritaire de ces lieux concerne les moyens de production et leur ordonnancement. Transversalité artistique et/ou culturelle : L’aménagement du territoire qui s’est fait en France depuis 50 ans en matière culturelle n’a jamais réussi, même avec les maisons de la Culture par exemple, à installer dans la durée les croisements de pratiques hétérogènes. Le lieu labellisé est le lieu de synthèse. La friche est le lieu de l’amont. Les lieux intermédiaires ont su, depuis 15 ans , mettre en place des passerelles qui ont permis d’expérimenter des plate-formes. Pluridisciplinarité, démarches pragmatiques, décloisonnement des pratiques de création, interdisciplinarité et transversalité culturelle remettent les artistes en contact avec les réalités sociales. L’écriture des lieux et les lieux de l’écriture : Même s’ils ont été d’abord investis du fait de leur disponibilité foncière, ils incarnent très vite, même pour ceux dont la valeur patrimoniale peut être controversée, des supports d’écriture. Au contact physique du lieu, les artistes et leurs accompagnateurs essaient de rendre acceptables les conditions de travail, puis les conditions d’accueil du public. La logique liée au mouvement et à l’indétermination du projet est particulièrement difficile à conserver lors des transformations architecturales lourdes souvent imposées par les règlements de sécurité. Les artistes doivent parfois, avant les architectes, démontrer la capacité d’espaces qui semblent sans valeur, qui sont perçus comme ingrats et peu confortables. Ce sont des espaces réversibles, non-spécialisés. Les réseaux : c’est plus l’échange que la « circulation ». L’action est pensée en fonction du contexte. Relations interpersonnelles. Ce sont des réseaux interconnectés. Ce sont des rapprochements autour d’objectifs. Les publics, les populations, les pratiquants : La substitution du terme de population à celui du public est le signe d’une démarcation recherchée vis à vis d’une approche mercantile de la notion de public. Rejet des publics considérés comme des consommateurs. Mais cela ne signifie pas le rejet d’une relation à l’œuvre, qui reste essentielle. « Population » : la parole artistique concerne ce qui est produit dans l’ensemble du processus artistique. Ces nouveaux espaces ne sont pas des « équipements culturels » au sens habituel du terme. Dans la relation au territoire, les formes d’appropriation et de rejet sont liées au contexte. La réutilisation d’un patrimoine désaffecté, la réalisation d’actions associant des publics très différents sont toujours perçus comme des facteurs de développement local par la population. Le public est considéré comme un « partenaire artistique » à part entière. Les acteurs du projet sollicitent une attention différente du public, qui repose à la fois sur un engagement, un investissement différent de celui de la consommation et une réflexion commune sur le plaisir partagé dans l’acte culturel. Il existe dans ces espaces des publics différents dont les comportements évoluent très vite dans le temps. Trois catégories de publics : Les publics specActeurs : ils participent aux propositions événementielles des projets. Ce sont des publics qui se retrouvent autour de la spécialisation d’un projet. Ce sont également les publics de proximité. Cette proximité se noue également lors de projets spécifiques qui associent directement des amateurs à des créations. S’ajoutent les publics occasionnels. Les publics pratiquants : ex : temps scolaire, loisirs. Les publics internes : ils fréquentent le lieu très régulièrement dans le cadre d’une activité professionnelle ou amateur. La question des amateurs : Apparition des pratiques amateurs intermédiaires. Dans certaines disciplines, la frontière entre amateurs et professionnels a tendance à disparaître. Croisement des pratiques amateurs et professionnelles. Les amateurs sont souvent des praticiens. Le triangle dynamique amateur-professionnel-public est le moteur du trajet artistique. Les choses sont intimement liées. Simultanéité de toutes ces pratiques qui se combinent et se confrontent dans un même espace. Principe de base des friches : Elles souhaitent que soient mieux utilisés les moyens disponibles afin de retrouver une adéquation entre les équipements, les équipes et les projets artistiques, dans un contexte qui est, soit moins doté financièrement que les réseaux labellisés, soit inscrit dans une certaine illégalité. Le rapport à la loi est un élément déterminant de l’organisation de ces structures : c’est souvent une approche hors du droit commun : approche de l’exceptionnel, du dérogatoire, de l’alternatif. Une confrontation permanente entre la réflexion sur la légitimité de l’action et l’analyse du risque pris se développe. Mobilisation de ruses et d’astuces diverses. Ex : dérogation aux règlements de sécurité, basée sur le caractère exceptionnel de l’activité. D’autre part, souvent, les ressources sont insuffisantes pour explorer toutes les voies légales. De plus, on ne peut transférer d’une expérience à l’autre des solutions qui ont pu être trouvées sur un territoire. Souvent, l’organisation mise en place autour d’objectifs qui semblent essentiels à leurs initiateurs, n’accepte pas d’être empêchée dans son action par une succession d’impossibilités qui seront de tous ordres. Elle sera souvent prête à contourner ces obstacles, au risque de l’illégalité. Ex : utilisation de locaux dans des conditions de sécurité non-normalisés ; non-respect du code du travail ; absence d’autorisation pour l’exploitation d’un débit de boissons. La supériorité de l’objectif prime, sans que le comportement des acteurs soit résolument fondé sur l’illégalité. La consolidation de la structure permettra de contourner ces obstacles de la façon la moins illégale possible. Ces évolutions attestent de la reconnaissance de la légitimité d’un cadre légal et de la nécessité de s’y conformer. Autre rapport à la loi : refus d’une situation qui peut être le résultat d’un règlement. Ex : revendication des squatters d’espaces de travail mobilisant un patrimoine non utilisé, qui se rapproche d’autres mouvements sociaux revendicatifs actuels. Dans ce cas, l’approche est liée à une revendication collective qui n’est pas fondée sur le corporatisme mais sur une certaine conception de l’intérêt général. La démarche s’inscrit dans une dynamique de participation à d’autres dispositifs. Ex : participation à des politiques partenariales dans le cadre de la politique de la ville ou de contrats de pays. Diriger, piloter ? Globalement, c’est la fonction même de la direction d’un projet qui est remise en question. C’est le contraire des projets labellisés. Dans cette nouvelle démarche, les acteurs sont autonomes à l’intérieur du système : directions collégiales, collectifs de direction, régies mutualisées, principes d’autogestion. Ces pratiques posent des problèmes aux institutions car elles manquent de lisibilité. Ce qui est contesté par les institutions, c’est l’impossible contrôle des projets qui, par leurs démarches pragmatiques, ont installé un système qui, malgré une dépendance très forte à la relation institutionnelle (ex : éviter l’expulsion ou se faire augmenter ses subventions), a garanti une certaine autonomie politique. Les capacités de pression, formelles ou informelles, sont moins fortes sur ces expériences que sur celles qui sont labellisées. Programmation : Hétérogénéité, qui est le résultat de deux phénomènes complémentaires : Les structures opératrices, lorsqu’elles sont programmatrices, travaillent à la singularisation de leur démarche par l’ancrage d’actions dans leur territoire, en mobilisant leurs ressources propres et en invitant des propos aptes à nourrir leur problématique territoriale. Les structures associées ont chacune des spécialisations qui, même si elles sont réorientées par le projet collectif, continuent d’explorer leur discipline, leur esthétique, leur engagement. De multiples réseaux de programmation sont donc recoupés par ces projets. Organisation de ces lieux : Jean Nouvel : « Les friches sont des équipements culturels construits à 80% ». Statut des lieux : les cas où le statut empêche toute utilisation avant transformation lourde du site sont nombreux. Ex : questions liées à la réglementation et à la responsabilité du propriétaire et du maître d’ouvrage. Dans le cadre d’une convention précaire avec un propriétaire public ou privé, les accords qui peuvent être trouvés prennent en compte la destination future du bâtiment. La précarité de l’installation peut limiter l’investissement réalisé. Les logiques d’équipement se substituent à des logiques d’aménagements. Les équipements ne sont pas forcément construits pour durer. C’est une logique de mobilité et de réversibilité. Une nouvelle économie culturelle : Tiers-secteur : secteur économique qui n’est ni du ressort exclusif du marché, ni du ressort exclusif de l'économie publique administrée et planifiée. Ces lieux mettent en place de nouveaux espaces économiques : les « marchés transitionnels ». Fonction par fonction, sujet par sujet, les équipes doivent trouver des correspondances avec des financements publics et privés qui solvabiliseront leur besoin. Pour l’aménagement de l’espace, un chantier d’insertion peut être inventé avec le quartier, ou une expérimentation architecturale initiée avec des architectes. L’approche économique des espaces intermédiaires doit également pouvoir être faite par les interlocuteurs institutionnels, ce qui passe obligatoirement par la définition commune des champs d’intervention, de la responsabilité des différents opérateurs sur chaque champ, et du mode de financement de ces interventions. Les espaces intermédiaires sont par ailleurs en relation avec les sphères de l’économie sociale et de l’économie industrielle. Les deux partenaires financiers les plus importants sont les communes et l’Etat, qui financent en moyenne chacun un quart du budget. La totalité de la part des collectivités locales est de 39% (chiffres de 2000-2001). L’Etat répartit son soutien entre le ministère de la Culture (15%), principal financeur étatique, le ministère de l’Emploi (7%) et la politique de la ville (2%). Les ressources propres représentent environ 30% de l’activité. L’enjeu de beaucoup de ces expériences est de pouvoir sortir de la précarité et de conserver dans des organisations de taille plus importante, les conditions de la créativité. Les lieux intermédiaires permettent de réaliser des économies d’échelle par la mutualisation de moyens et de compétences. Expérimentation d’une politique publique : Ces espaces posent des questions politiques sur : les squats ; la maîtrise foncière des terrains industriels abandonnés par des administrations, des entreprises publiques ou des multinationales ; la transformation physique des espaces urbains et leur valorisation patrimoniale et sociale. Il s’agit donc pour l’Etat de proposer une gestion différente du patrimoine immobilier en attente d’affectation. • Soutenir l’utilisation provisoire de bâtiments à des fins culturelles : les expériences menées par des propriétaires privés comme par les collectivités, de mise à disposition précaire se sont presque toutes déroulées positivement et ont prouvé que l’on pouvait transformer une situation favorable en dynamique positive. Permettre l’utilisation provisoire de surfaces vides depuis plus de deux ans, entraînant un coût économique, urbain et social. Développer des « contrats de confiance ». Intervenir au niveau du conseil, de la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre afin de garantir l’intérêt économique des pratiques, basées sur le nomadisme, et d’assurer des conditions de sécurité. L’intervention des collectivités publiques et des partenaires économiques privés pourrait porter sur quatre points : Etablissement de conventions ; Soutien à la mise en conformité en partenariat avec les services chargés de l’application des règlements ; Financement d’une partie des coûts de fonctionnement en fonction des échanges négociés et des services proposés par le collectif. Conseil pour l’organisation et le développement des activités. Cela implique d’identifier un intérêt collectif. • Réinscrire fortement le développement culturel au cœur des problématiques de développement local : Donner à la culture une véritable fonction transversale. Réinscrire ces « nouveaux projets » dans les procédures d’aménagement, grâce aux contrats en développement social urbain, aux grands projets de ville, aux contrats de pays, d’agglomération, aux établissements publics d’aménagement. Valoriser le double processus de décentralisation et de déconcentration des politiques culturelles afin que les élus délégués à la culture et les techniciens représentant l’Etat puissent être « au centre » des dispositifs. Il faut donc soutenir les projets structurants initiés au sein de ces expériences. L’initiative du ministère de la Culture doit être relayée en d’autres lieux (ex : collectivités locales, autres dispositifs de l’Etat). Au niveau des collectivités locales, il semble que les partenaires naturels de ces expériences soient les communes, les communautés de communes, les agglomérations ou les pays. Les départements et les régions sont également concernés. Au sein de l’Etat, de nombreux ministères sont concernés : ex : ministère de l’Equipement ; Grands établissements publics d’Euroméditerranée ; ministère de la Ville ; ministère des Affaires sociales et de l’Emploi ; ministère de l’Education National (relation entre les établissements scolaires et les espaces intermédiaires ; contrats éducatifs locaux) ; ministère de la Jeunesse et des Sports. Au niveau du ministère de la Culture, le rôle des DRAC et de la Direction au développement et à l’action territoriale a été très important, lors du premier soutien. Intervention également de l’échelon européen. Cela implique la constitution d’une « mission » ad hoc pour générer la forte mutualisation indispensable.