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7 Les réécritures
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! page 371 du manuel
Gala et Angélus de Millet précédant l’arrivée
imminente des anamorphoses coniques, 1933,
Salvador Dali (1904-1989),
huile sur toile, 24 x 18,8 cm, galerie nationale du Canada, Ontario, Canada
Dali et le mythe de L’Angélus de Millet
• Le soleil se couche. Des champs se succèdent, couverts de gerbes de blé. Dans
le lointain brille le clocher de la petite église. On sonne l’angélus au village. Les
deux paysans qui travaillent la terre féconde déposent la bêche et la brouette.
L’homme se découvre, la femme se recueille. Sur le fond qui s’efface dans le lointain, les deux personnages, au centre du tableau, se dégagent avec précision, et
attirent notre regard.
• Peint en 1858, L’Angélus apporta à Millet la gloire. Le motif vulgarisé par la
photographie circulait dans toute la France. La scène de l’Angélus, visait plus
loin que le sujet. Elle jouait un rôle moralisateur, éducateur, social et politique.
• Stimulé par l’interprétation psychanalytique du tableau de Léonard de Vinci
La Vierge et sainte Anne où Freud décela la représentation d’un aigle comme
symbole sexuel, Dali fut frappé par L’Angélus et en fit un mythe tragique.
• Le Surréaliste écrit dans le premier numéro de la revue Minotaure du 18 avril
1933 un article intitulé : « Interprétation paranoïaque-critique de l’image
obsédante l’Angélus de Millet » : « Comment l’image, sublime d’hypocrisie symbolique de l’Angélus, obsession des foules, aurait-elle pu se soustraire à une si
flagrante furie érotique inconsciente ? »
• Dali demanda à ce que le tableau soit radiographié, persuadé que le couple de
paysans ne se recueillait pas en écoutant l’Angélus, mais devant la mort. On
constata avec surprise une forme géométrique ressemblant à un parallélépipède.
Invisible à l’œil nu, car recouverte de plusieurs couches de peintures, cette forme
selon Dali se révèle être l’esquisse d’un cercueil d’enfant, devant lequel les parents
se recueillent.
• « En juin 1932 se présente subitement à mon esprit, sans aucun souvenir proche ni association consciente, permettant une explication immédiate, l’image de
L’Angélus de Millet. Cette image constitue une représentation visuelle très nette
et en couleurs. Elle est presque instantanée et ne donne pas suite à de nouvelles
images. J’en éprouve une très grande impression, un grand soulagement car, bien
que dans ma vision de la dite image, tout « corresponde » exactement aux reproductions que je connais du tableau, elle « m’apparaît » néanmoins modifiée
et chargée d’une telle intentionnalité latente, que LAngélus de Millet devient
« subitement » pour moi l’œuvre picturale la plus troublante, la plus énigmatique, la plus dense, la plus riche en pensées inconscientes qui n’ait jamais été. »
Salvador Dali, Le Mythe tragique de l’Angélus de Millet, éditions Jean-Jacques Pauvert, 1936.
IMAGE D’OUVERTURE – 7. Les réécritures 1
Le tableau
À partir de ces écrits, il s’agit plus de donner des pistes, puisque cette réécriture
du tableau de Millet fait appel à l’inconscient et à une écriture imaginative.
• Les couleurs : le jaune est, bien sûr, la couleur dominante, échappée du tableau
de Millet et même des bords du cadre de celui-ci, ressortant sur le fond sombre.
À ce cadre éclairé sur deux côtés répondent les deux panneaux de la porte
entr’ouverte d’où surgit la figure inquiétante de gauche. Dali disait à propos des
deux personnages de L’Angélus qu’ils étaient des figures oppressantes. Le surgissement de la figure de gauche renforce cette impression. Trois parties de son visage
sont jaunes, les sourcils et la moustache ossifiés et coniques, motif récurrent chez
Dali, ainsi que le bout du nez.
• On retrouve la couleur jaune dans l’intérieur de la pièce où se trouve Gala :
jaune des poutres encadrant le plafond, du mur du fond sur lequel pèse une
ombre, jaune au-dessus d’une fausse cheminée, soutenue par une colonne
ionique. La couleur jaune, c’est la lumière, la couleur de la terre fertile, mais elle
est aussi annonciatrice du déclin, de la vieillesse, de la mort, associée en cela au
noir. Couleur de concorde et de discorde, d’harmonie et de trahison à la fois.
• Cette ambivalence est une constante dans le tableau : un tableau dans le
tableau, une porte entre deux mondes, un monde vivant et un monde mort. Le
personnage de droite face à Gala - souriante, colorée, la veste associant toutes les
couleurs du tableau, rose de la nappe, bleu de la robe décolletée du personnage
de gauche, jaune ambiant -, est entre deux mondes. Sa main est ossifiée, comme
la moustache du personnage dans l’ombre, son bras semble taillé dans la pierre
bleu-gris, les plis de la chemise s’estompant dans le reste du buste. On assiste à
une deuxième confrontation homme femme, après celle du tableau de Millet. Le
crâne de l’homme est trop jaune, ses proportions écrasent Gala coincée entre son
bras et une figure géométrique (cube, bille, aiguille). Gala sourit pourtant de la
démonstration (?) qu’il est en train de lui faire.
• La dualité homme femme est un autre axe. On le retrouve dans les bustes audessus de la cheminée et dans le personnage énigmatique de gauche : visage
d’homme, décolleté de femme, être diabolique qui semble épier le couple. Il est
l’homme des métamorphoses ; à la place des cheveux, un homard rose sort de
l’ombre, déformation peut-être du pic de pioche du tableau de Millet ?
La forme géométrique évoquée précédemment n’est-elle pas elle-même la transformation bleue de la brouette du tableau de Millet ?
Quel est alors le sens de cette réécriture ? Dénoncer l’hypocrisie de L’Angélus et
faire œuvre personnelle en jouant sur le délire et les associations… ?
On pourrait pour terminer, comme Dali l’avait proposé pour le mythe de
Narcisse, faire écrire un poème en vers libres sur ce nouveau mythe tragique de
Millet et ainsi écrire différemment du " sens ", le tableau s’y prêtant pleinement
dans sa mouvance surréaliste.
IMAGE D’OUVERTURE – 7. Les réécritures 2
Pour aller plus loin
La méthode « paranoïa-critique »
Dès l’enfance, Dali a souffert d’obsessions et de frayeurs, et sa méthode « paranoïaque-critique » est d’origine freudienne.
On sait ce qu’est la maladie appelée paranoïa. Elle consiste, chez le sujet qui en
est atteint, en un délire d’interprétation du monde, et de son moi auquel il donne
une importance exagérée. Mais ce qui distingue cette maladie des autres délires,
c’est une systématisation parfaite et cohérente, l’obtention d’un état de toutepuissance qui le conduit d’ailleurs souvent à la mégalomanie ou au délire de persécution.
Le sujet, loin de se soumettre au monde réel comme la plupart des gens « normaux », le domine au contraire et le façonne par son désir.
Mais que sera la paranoïa critique ?
Dali la définit dans La Conquête de l’irrationnel (1935) comme « une méthode
spontanée de connaissance irrationnelle basée sur l’objectivation critique et systématique des associations et interprétations délirantes ».
Il faut, pour lui, matérialiser avec une très grande précision les images de l’irrationalité concrète, qui provisoirement ne sont pas réductibles par des mécanismes
rationnels.
Dali coordonne son inconscient et systématise son délire par l’analyse.
Où et comment s’exerce cette activité ?
Partout, dans la poésie, où elle est le plus à l’aise, dans la peinture, le cinéma,
l’histoire de l’art...
Variations autour du thème de l’Angélus :
• Le Spectre de l’Angélus, 1934
• Les Atavismes du crépuscule (phénomène obsessif), 1933-34
• Réminiscence archéologique de l’Angélus de Millet ,1933
• Vestiges ataviques après la pluie, 1934
• L’Angélus architectonique de Millet, 1933
• New York ?, 1938
• Portrait de Gala ou l’Angélus de Gala, 1935
• La Gare de Perpignan, 1965…
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