apprendre - par Imagine
Transcription
apprendre - par Imagine
apprendre Bruno Devoghel enquête Les syndicats entre vents et marées 18 imagine 114 - mars / avril 2016 A la veille des élections sociales fixées du 9 au 22 mai, les temps sont durs pour les syndicats. Confrontés à un gouvernement fédéral hostile, dénigrés dans les médias et dans l’opinion, traversés par des tensions internes, ils font face. Mais que pèsent exactement les organisations syndicales en Belgique ? Sont-elles encore en mesure d’influencer les décisions politiques ? Quel avenir pour cet indispensable contre-pouvoir ? Imagine a mené l’enquête. Une enquête d’Hugues Dorzée – Photos : Bruno Devoghel (sauf mention contraire) «L utter ou subir, il faut choisir » : l’immense calicot affiché ce matin-là à l’entrée de la gare de Liège est éloquent. Ce 6 janvier, une large majorité des cheminots… francophones ont choisi leur camp : ce sera celui de la « lutte ». La grève menée en front commun par la CGSP et la CSC est d’ailleurs un succès : pas un train ne circule. « Non, le syndicat n’est pas mort ! », proclame Thierry Moers, secrétaire permanent CGSP. « Le gouvernement veut casser la solidarité, nous affaiblir et imposer une concertation de façade ? Nous ne céderons pas ! », ajoute Marc Eyen, permanent régional à la CSC-Transcom. Mais derrière les mines réjouies, l’heure est aussi aux doutes et aux critiques : « Depuis l’automne 2014, peste Frédéric Gillot, ex-délégué FGTB chez ArcelorMittal et député wallon PTB venu soutenir les camarades, on n’a rien engrangé. On manque d’une vision globale, d’un objectif commun. Il faut repartir de la base et relancer le combat. » Avec une série d’actions fin octobre, 110 000 personnes dans les rues le 6 novembre, une grève générale le 15 décembre, la fin d’année 2014 fut effectivement synonyme de succès pour les trois organisations (FGTB, CSC, CGSLB). « Ce sont les attentats contre Charlie Hebdo survenus dans la foulée (le 7 janvier) qui ont clairement sauvé le gouvernement Michel », analyse Paul Lootens, président sortant de la Centrale générale FGTB. Jusque-là, on avait un mouvement massif, déterminé, une opinion publique à nos côtés, et soudain tout a basculé. On est entré dans une logique d’unité nationale et d’obsession sécuritaire. » Dans la foulée, la FGTB rejette l’accord social du Groupe des 10, la CSC l’approuve à une courte majorité (52 %), la CGSLB suit. Le front commun se lézarde. La mobilisation retombe alors comme un soufflé. Les mois passent, et face à « ce gouvernement de la rupture et à la solde du patronat », dixit Jean-François Tamellini, secrétaire fédéral FGTB, les syndicats peinent à faire entendre leur voix. Ils ont pour eux le poids du nombre (3,488 millions d’affiliés en 2014, selon les derniers chiffres obtenus par Imagine), une présence massive dans les entreprises et dans les organes d’avis (Onem, Inami, CNT…), des relais politiques au sein de chaque pilier (socialiste, chrétien, libéral), un énorme travail de terrain, mais cela ne suffit pas ou plus. Les syndicats sont désormais attaqués de toutes parts : par la NV-A, le MR et l’Open VLD, dans les médias, sur les réseaux sociaux. En interne, ça bouillonne : tensions entre le Nord et le Sud, entre la base et l’appareil, entre les centrales ouvrières et les employés, entre les tenants d’un syndicalisme « de combat » ou « de négociation »… Et de plus en plus de voix s’élèvent pour dénoncer les échecs sur le fond (la vision et la force de proposition), comme sur la forme (la communication et l’image). « Les militants sont à la fois déboussolés et sans perspectives », résume un cadre CGSP. « On traverse une grosse crise de confiance », reconnaît un permanent CGSLB. « C’est une période difficile, admet Marie-Hélène Ska, secrétaire générale de la CSC. Mais c’est aussi une opportunité à saisir pour avancer. » Avec, d’un côté, la bureaucratie, les luttes d’influence et d’egos, et de l’autre, d’immenses défis pour faire face aux nouvelles réalités économiques (globalisation, évolution du monde du travail…), voici les syndicats au pied du mur. Contraints de faire leur autocritique ou de se réinventer. Pour demeurer, plus que jamais, ce contre-pouvoir indispensable de notre démocratie. — H.Do. « Une grosse crise de confiance » Saut d’index, allongement des carrières, réforme fiscale, exclusions du chômage… « Le gouvernement est passé en force partout et on ne nous écoute plus », se désole Mario Coppens, président du syndicat libéral. « Jusqu’ici, on était dans un cadre clair, historique, celui de la concertation sociale, dénonce Felipe Van Keirsbilck, secrétaire général de la CNE. Ils ont désormais changé les règles : c’est comme si on jouait encore aux échecs et qu’ils étaient passés au karaté ! » Ce fameux « modèle belge » qui, comme le rappelle Carl Devos, politologue à l’Université de Gand, a apporté depuis des décennies « la prospérité et la stabilité », a désormais du plomb dans l’aile. imagine 114 - mars / avril 2016 Le making-off P our réaliser cette enquête, nous avons recueilli l’avis de 23 permanents, délégués et militants syndicaux au sein des trois organisations, ainsi que celui de 16 autres témoins qui ont souhaité rester anonymes. Nous avons interviewé 6 experts universitaires, 3 acteurs issus de la société civile, et obtenu nombre d’informations auprès de différentes sources publiques (Onem, ministères, BanqueCarrefour des entreprises…). — 19 apprendre enquête Un contre-pouvoir légitime et une large base 1. Qui sont leurs affiliés ? E n Belgique, il n’existe pas de statistiques officielles. Rien de suspect en soi : « L’adhésion à un syndicat est une démarche d’ordre privé, dont les autorités n’ont pas à avoir connaissance », rappelle Jean Faniel, directeur du Crisp. Mais les organisations syndicales sont plutôt avares en la matière, à l’exception de la CSC qui est la plus transparente des trois. Selon les dernières données disponibles qu’Imagine a pu se procurer, on totalisait 3,488 millions de syndiqués fin 2014. Ce taux de syndicalisation figure parmi les plus élevés d’Europe (+ de 50 % de la population active). « Si l’on regarde l’évolution dans le temps, ce taux reste globalement élevé et même en légère croissance », ajoute le politologue. En 2014, la CSC dénombrait 1,647 million d’affiliés effectifs en ordre de cotisation (dont L 2. Comment sont-ils organisés ? es syndicats sont de véritables machines de guerre ou des usines à gaz, c’est selon. Avec une architecture plus ou moins pyramidale qui s’appuie sur un ensemble de structures fédérales et régionales, un pilier interprofessionnel (qui défend les intérêts collectifs), des centrales (10 à la CSC, 6 à la FGTB) qui représentent les travailleurs par secteur, des milliers de délégués dans les entreprises, mais aussi des groupes spécifiques (femmes, jeunes, travailleurs sans emploi…), des ASBL satellites (éducation permanente, Enfance formations…) et différents services tournés vers leurs affiliés (conseils, aide juridique…). « Ce sont des organisations à la fois lourdes et bureaucratisées, ce qui fait leur force et leur fai- 20 1,021 million en Flandre). Ceux-ci sont en majorité des « actifs » (67 %), avec une part de cotisants « non actifs » (chômeurs, invalides, prépensionnés) qui grandit année après année (33 % en 2014). La CSC est organisée en dix centrales, mais trois forment à elles seules la moitié du contingent : la centrale flamande des employés (LBC-NVK, 322 989 membres), la CSC bâtiment-industrieénergie (270 801) et la CSC alimentation et services (268 388). La deuxième organisation du pays, c’est la FGTB. Qui, pour l’année 2014, revendique 1,547 million d’affiliés (100 000 de moins que la CSC). Près de 50 % (731 384) sont flamands et dépendent donc de la Vlaams ABVV. Deux centrales réunissent la moitié des affiliations : la Centrale générale (16 sections, 437 492 cotisants), suivie de près par le Setca/ BBTK (les employés, cadres et techniciens, 425 422). La CGSP services publics (309 874) et la FGTB métal (164 070) arrivent derrière. Au niveau géographique, trois régionales dominent : Liège-Huy-Waremme (175 438), blesse, résume Jean Faniel. Grâce à cela, elles peuvent soutenir des actions de masse, assurer un grand nombre de services et se perpétuer. » « Le syndicat est le fruit d’une longue histoire, rappelle Daniel Richard, secrétaire régional FGTB, où l’autonomie des centrales reste un principe sacro-saint. C’est une confédération regroupant des entités autonomes qui défendent des intérêts communs. Elle est théoriquement centrée sur les militants qui décident en toute légitimité. Même si, dans les trois organisations, Santé la démocratie interne est possible, elle n’est pas forcément automatique. » Les syndicats vivent grâce à leurs affiliés (lire ci-contre), mais s’appuient également sur leurs délégués élus dans les entreprises la Flandre orientale (158 919) et Anvers (154 753). Concernant la part d’affiliés « actifs » et « inactifs », la FGTB n’a pas été en mesure de nous transmettre ces données. « C’est géré au niveau des centrales », nous précise sa porte-parole. Malgré nos demandes répétées auprès des 6 centrales, seule la Centrale générale nous a transmis l’information : en 2014, elle enregistrait 41 % de non-actifs et 59 % d’actifs. A la CGSLB, enfin, on a comptabilisé en 2014 un total de 293 952 affiliés pour l’ensemble du syndicat libéral. « Environ 35 % d’entre eux ne sont pas des travailleurs actifs », nous indique son secrétaire national, Olivier Valentin, sans nous donner davantage de précisions. Une frilosité statistique qui cache aussi la réalité à laquelle les syndicats doivent désormais faire face, avec une base militante en pleine mutation (moins de travailleurs actifs, plus de chômeurs et de prépensionnés). Ce qui n’est pas sans effet sur les organisations : moins de recettes financières, des difficultés à fédérer ces exclus du monde du travail, des services en plus à offrir et de nouveaux modes d’actions à inventer. — lors des élections sociales qui se tiennent tous les quatre ans. Ils sont 27 400 à la CSC (auxquels il faut ajouter 8 300 délégués pour la centrale des services publics), et environ 5 000 à la CGSLB. Pour la FGTB, nous n’avons pas reçu de chiffres. Enfin, les syndicats sont aussi de gros employeurs avec un personnel éclaté (permanents, employés dans les bureaux de chômage, formateurs, services juridiques, ASBL, etc.). La CSC emploie 3 500 travailleurs (temps pleins et temps partiels confondus). Au syndicat libéral, ils étaient 624 travailleurs sous contrat en 2015. A la FGTB, on compte 2 200 permanents (dont 166 à la FGTB fédérale) répartis dans les 15 régionales. A cela, il faut évidemment ajouter le personnel des six centrales. Seule la Centrale générale nous a transmis son cadre : 556 collaborateurs en 2014, dont 124 attachés à la CG fédérale. — 1. Co-auteur du Courrier hebdomadaire n° 2146/7, consacré à l’implantation syndicale entre 2000 et 2010. imagine 114 - mars / avril 2016 Bruno Devoghel Avec 3,488 millions d’affiliés en 2014, la Belgique affiche un taux de syndicalisation parmi les plus élevés d’Europe. 3. Comment sont-ils financés ? L eur première source de financement, ce sont les cotisations. Elles sont versées mensuellement, mais le montant varie d’une organisation à l’autre et d’un secteur à l’autre (sauf à la CGSLB où tout est centralisé). Chaque syndicat fixe par ailleurs des tarifs différenciés en fonction de la situation de l’affilié (travailleur, chômeur, - 21 ou 25 ans, prépensionné…). Un membre « actif » payera, en moyenne, une cotisation complète de 14,7 euros par mois à la FGTB, 15,85 euros à la CGSLB et 16,10 euros à la CSC. A l’inverse, la cotisation la plus basse (celle des pensionnés) est de 3,2 euros à la FGTB, 5,52 euros à la CSC et 5 euros à la CGSL (une cotisation dite « de solidarité »). « C’est notre commission financière qui détermine le plafond minimal et maximal par catégorie », indique-t-on à la FGTB. Des règles similaires sont prévues dans les deux autres syndicats. Une cotisation savamment répartie au sein des organisations. A chaque « entité » sa part de recettes. A la CSC, la clé de répartition est la suivante : 34 % de l’affiliation d’un ouvrier vont à sa centrale professionnelle, 35 % à la fédération imagine 113 - janvier / février 2016 régionale, 11 % à la CSC fédérale, 7,5 % sont destinés à alimenter les caisses de grève et 12,5 % servent à financer des projets (le journal L’Info, MOC, Solidarité mondiale…). A la FGTB et à la CGSLB, la ventilation n’est pas rendue publique. L’autre source de financement, ce sont les Fonds de sécurité d’existence. Il y en a 180 en Belgique. Ils sont organisés par secteur, financés par les cotisations patronales et gérés de façon « autonome et paritaire » par les syndicats et les employeurs. Ces fonds permettent d’octroyer certains avantages sociaux (pécule de vacances, assurance hospitalisation…), mais aussi de prendre en charge des formations et des primes syndicales dans certaines entreprises, dont le montant varie d’une commission paritaire à l’autre (entre 50 et 100 euros par an environ). Pour se financer, les organisations reçoivent également des subsides publics pour des activités syndicales bien déterminées (formation permanente, coopération au développement, jeunesse…). « Mais ils sont limités », insiste-t-on en interne, afin de « garder une certaine indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics ». Ils proviennent essentiellement du Fédéral et des entités fédérées. Par ailleurs, comme on le lira en p.22, les organisations disposent de recettes propres : intérêts sur leurs placements financiers, ventes d’immeubles, loyers, hôtellerie, jetons de présence dans diverses instances de gestion (à la CSC ceux-ci sont reversés au syndicat), etc. Enfin, en tant qu’employeur et via leurs différentes associations, elles peuvent aussi bénéficier d’aides à l’emploi et sont exonérées de la TVA sur les ASBL. — H.Do. • La Confédération générale des syndicats chrétiens et libres de Belgique voit le jour en 1912. • Elle est composée d’un pilier interprofessionnel avec 14 fédérations (8 en Wallonie, 1 à Bruxelles, 5 en Flandre) et 10 centrales professionnelles. 1 647 500 affiliés déclarés en 2014 (67 % d’actifs, 33 % de non-actifs). • Depuis son congrès de 1994, elle s’affiche comme un « syndicat de valeur(s) » et défend « le respect de la digité humaine » , le travail « comme nécessité pour la subsistance de l’homme et de la société », la justice « à travers l’économie de marché corrigée socialement », la solidarité, etc. — • La Fédération générale du travail de Belgique (FGTB) est née en 1945 de la Commission syndicale (créée en 1898) et de la CGTB (1937), qui sont l’émanation du Parti ouvrier belge (POB) fondé en 1885 au départ de 56 sociétés ouvrières. • Elle est composée de 3 interrégionales (Bruxelles, Wallonie, Flandre), 16 régionales et 6 centrales professionnelles : Centrale générale (CG), Employés, techniciens et cadres (SETCa), Services publics (CGSP), Métal (MWB), Alimentation-Horeca-Services (Horval), Transport (UBT). 1 547 172 affiliés déclarés en 2014. • Dans l’article 1 de son statut, la FGTB précise qu’elle est « l’émanation des forces laborieuses organisées ». Elle vise « l ’idéal syndicaliste » qui « s ’accomplira par une transformation totale de la société » . — • La Centrale générale des syndicats libéraux de Belgique (CGSLB) a vu le jour en 1939. • Une organisation centralisée, 17 zones, une centaine de secrétariats. Une structure interprofessionnelle (le SLFP). 293 952 affiliés déclarés en 2014. • Pour la CGSLB, le libéralisme constitue « l a b ase de [son] action syndicale ». Avec 4 mots clés : « l iberté » , « s olidarité » , « responsabilité » et « t olérance ». — 21 Une galaxie juridique et financière apprendre enquête L es syndicats ne sont pas des entreprises comme les autres. Ce sont des personnes morales, sans personnalité juridique. Ils ne sont donc pas tenus de publier leurs comptes annuels. Cette nécessaire protection leur permet de défendre, avec une certaine liberté, les intérêts individuels et collectifs des travailleurs. « Ce statut les protège par exemple d’astreintes d’envergure que pourraient être tentés de réclamer des employeurs en cas d’actions, rappelle Jean Faniel (Crisp). Par ailleurs, ils ne sont pas tenus de révéler le montant de leurs caisses de grève pour éviter, ici aussi, d’être asphyxiés financièrement. » La réalité est autrement plus complexe. Comme le montre notre cadastre inédit publié ci-dessous, chaque organisation forme une véritable galaxie juridique et financière1. Avec, au-delà de ce statut de personne morale, des dizaines d’entreprises, non lucratives pour la plupart, reliées ou non entre elles, répondant à un objet social plus ou moins défini et avec des comptes publiés et agréés (ou pas). Rien d’illégal en soi. Mais la preuve que ce contre-pouvoir s’organise aussi à partir d’une constellation d’entreprises aux formes diverses. — H.Do. La FGTB Au départ de ses 17 sièges sociaux francophones (6 centrales, 9 régionales, 2 interrégionales) nous avons recensé 1 98 entreprises ou unités d’établissements qui se trouvent dans le giron de la FGTB, parmi lesquelles : • 62 Associations sans but lucratif (ASBL), dont 39 ont leur siège à Bruxelles, 9 à Namur, 4 à Verviers, 2 à Liège, etc. Elles sont spécialisées dans la formation (Focades Catering, Cepag, For.a.bra, Dewez Afico, ACCI, Borinage 2000…), la lutte contre l’exclusion sociale (Habiter Bruxelles, Bol d’espoir…), le conseil en économie sociale (Propages), l’analyse financière des entreprises (AFIN-A), etc. • 7 Sociétés coopératives à responsabilité limitée (SCRL), dont deux radiées en 2013 et 2015 pour « non-dépôt des comptes » : Fosoder (n° d’entreprise 0423.170.913, créée à Verviers le 5.2.1982 avec un capital de départ de 30 987 euros, spécialisée dans « l e conseil des affaires » ) et Atefa Metal (n° 0454.078.081, 21.12.1994, Verviers, 1,25 million de capital de départ). Les 5 autres SCRL sont : la Maison de l’employé (Bruxelles) gérée par le Setca (1,19 million de capital de départ), la Maison syndicale wallonne à Namur (qui assure la « gestion immobilière » de la FGTB wallonne), Immo Symbat (Saint-Gilles) qui gère les biens immobiliers du Setca (2,218 millions de capital de départ), Traits d’union (le fonds de licenciement de la FGTB Hainaut) et Haut comme trois pommes (fondée à Liège le 26.6.2015) qui gère une crèche et une garderie d’enfants. 22 • 2 Sociétés coopératives agréées (SC) : la Maison des syndicats (fondation le 24.11.1932, capital social : 5,597 millions) qui loue et exploite les bâtiments de la FGTB (en 2014, elle détenait 37,485 millions d’actifs immobiliers, dont 15,912 millions de « t errains et constructions », et affichait un compte de résultats en boni de 3 80 454 euros) et le Centre local syndical de la Centrale générale à Charleroi (n° 0422.588.022, pas de comptes disponibles). • 2 Sociétés anonymes (SA). * Née de la dissolution de CMB-Finance créée à Bruxelles le 26.7.2006, la MWB-Finance/ MVL-Finance (capital social : 5,384 millions d’euros) a son siège à la centrale de la FGTB Métal (49 rue de Namur, à Namur). 45 % de son capital sont détenus par la SA Castel de Pontà-Celles (Dinant) qui gère un hôtel 3 étoiles et 25 hectares de terrain. En 2014, elle affiche une perte de 11 224 euros. * Fondée le 20.12.12, la SA SOFITRA exerce des activités de gestion de holdings. Son siège est situé 9, place Saint-Paul, à Liège. En 2014, elle disposait de 3,146 millions d’immobilisations financières et elle a terminé l’année en léger boni (+ 2 478 euros). • 2 Sociétés privées à responsabilité limitée (SPRL), dont une (la Maison Gauquie) est en faillite depuis 1985. Reste le Domaine des sources fondé le 1.1.1979 et qui gère un complexe touristique (camping, commerce, Horeca) pour les affiliés de la Centrale générale de la FGTB au départ d’un capital social de 620 000 euros. • 4 organismes immatriculés par l’Office national des pensions (Bruxelles, Charleroi, Liège et Mons). — La CGSLB La CGSLB (n° BE 0850.330.011) a été fondée le 1er janvier 1939. Au départ de ses deux sièges principaux (Anderlecht et Gand), nous avons recensé 83 entreprises ou unités d’établissements. Parmi cellesci, on dénombre : • 9 Associations sans but lucratif * Le Bien-être des salariés (n° 0416.291.831, pas de compte déposés à la BNB) et Competent in engagement (n° 0413.768.049) qui affiche, en 2014, un déficit de - 95 832 euros. Ces 2 ASBL sont reconnues comme organisations d’éducation permanente. * Keerpunt, spécialisée dans l’activation des chômeurs en Flandre (un déficit affiché en 2014 de - 54 703 euros). * Mouvement pour la solidarité internationale (MSI), active dans le domaine de l’aide au développement (1,074 million de cotisations, dons, legs et subsides en 2014, et un bénéfice affiché de + 34 euros). * Senioren (n° 0443.088.674, pas de comptes disponibles), qui s’occupe des + de 50 ans non actifs professionnellement. * L’Association du tourisme libéral, créée en 1982 (pas de comptes disponibles). Sylva (n° 0410.645.936), qui gère les bâtiments et les ressources matérielles du syndicat libéral (pas de comptes disponibles). * 2 ASBL chargées de la « promotion du tourisme social » en faveur de ses affiliés : Maisons de vacances (créée en 1988) qui, en 2014, disposait de 20,616 millions d’euros de terrains et constructions et de placements pour 1,398 millions euros. Elle a achevé l’exercice avec un déficit de - 483 774 euros. Et Vacances Ardennes (9,115 millions d’actifs immobiliers, 1,875 million de placements et un déficit affiché de - 209 906 euros en 2014). — 1. Pour réaliser ce cadastre – non disponible auprès des organisations –, nous avons examiné en détail la BanqueCarrefour des entreprises, le Moniteur belge, la centrale des bilans et le répertoire des employeurs au départ des différents sièges sociaux des syndicats. Il s’agit d’un recensement non exhaustif tant leurs structures sont très éclatées, notamment dans les régions. imagine 114 - mars / avril 2016 La CSC A partir de son principal siège social situé chaussée de Haecht, 579, à Schaerbeek, nous avons recensé 118 entreprises ou unités d’entreprises qui se trouvent dans le giron de la CSC. Parmi lesquelles : • 54 Associations sans but lucratif (ASBL) dont les activités sont tournées vers la formation et l’emploi (Educo, Solid’emplois, CIEP…), la programmation informatique (Medsoc), la promotion de la santé (Fonds national d’entraide), les voyages ou le tourisme (Okma, Service intersocial, Carrefour Europe…), la diffusion de programmes radio (ACV), le sport pour handicapés (Altéosport), la coopération (Animation solidarité mondiale, Wereld Solidariteit…), l’aide aux aînés (Ceneo), le conseil en gestion (Procura), l’économie sociale (Syneco), les soins résidentiels (Interfédérale mutualiste chrétienne), la gestion de biens immobiliers (MDT Exploitation) ou de terrains de camping (Kompas), le planning familial (FCPC), etc. Parmi ces ASBL dont le siège social se situe à la CSC nationale, il y a aussi le CHU MontGodinne (n° 0408.028.619, fondé en 1928) qui, en 2014, disposait d’actifs immobiliers (terrains, bâtiments, mobiliers) pour 114,612 millions d’euros et affiche une perte pour cet exercice de 701 383 euros. • 1 Société mutuelliste (personne morale) : MC Assure • 4 Sociétés coopératives à responsabilité limitée (SCRL) : Mouvement social (n° 0473.574.982, fondée en 2000, 125 000 euros de capital social) qui a pour mission de fournir des « moyens financiers, humains et matériels » au MOC ; Patrimonialilon (n° 0500.535.440, 2012, 500 000 euros de capital social) tournée vers l’économie sociale ; Qualias (n° 0462.424.833, 1998, 157 487 euros de capital social) spécialisée dans la location de matériel médical, et Social engagement (n° 0473.574.289, 2000, 6 200 euros de capital social), chargée d’effectuer des activités syndicales. • 1 caisse commune d’assurances de droit privé : Com-Zorgkas Vlaanderen, fondée en 2001. • 1 organisme de paiement agréé par l’Office national des pensions. —H.Do. Des caisses de chômage transparentes A en croire la N-VA, et dans une moindre mesure le MR et l’OpenVLD, le système actuel de paiement des allocations de chômage assumé par les syndicats serait « coûteux » et « inefficace ». Pire, ceux-ci seraient « indulgents face à la fraude ». Des accusations qui sont largement infondées. Depuis 1963, la FGTB, la CSC et la CGSLB sont agréées en tant qu’organismes de paiement. Ceux-ci introduisent les dossiers pour leurs affiliés, assurent le suivi et les contrôles préalables. Mais c’est l’Onem qui décide de l’octroi ou non d’une allocation de chômage, ainsi que du montant octroyé. En 2014, 7,7594 milliards d’euros ont ainsi été versés (+ 1,5482 milliard d’euros d’allocations de chômage avec complément d’entreprises). Pour assurer ce service, les syndicats reçoivent une « indemnité pour frais d’administration », versée annuellement par l’Onem et calculée à partir de plusieurs critères : le nombre de paiements traités (11,203 millions en 2014), la logistique, le personnel nécessaire, mais aussi les ajustements structurels et l’évolution du coût des salaires. Ainsi, en 2014, la CSC a perçu 80,802 millions d’euros d’indemnités, la FGTB 79,139 millions et la CGSLB 15,764 millions. Une enveloppe en hausse depuis quelques années. « Ce qui s’explique notamment par un accroissement important de la complexité imagine 114 - mars / avril 2016 des dossiers de chômage, nous précise-t-on à l’Onem, l’introduction de la dégressivité des allocations, les modifications des allocations d’insertion, etc. ». Par ailleurs, comme le souhaite le gouvernement Michel, les syndicats doivent aussi lutter contre la fraude. « Ceux-ci participent de manière effective aux mesures préventives. Une indemnité couvrant leurs frais leur est donc allouée », ajoute-t-on à l’Onem. Un système scrupuleusement contrôlé : en 2014, l’Onem a procédé à 570 contrôles concernant le versement de ces allocations et à 159 autres portant sur les frais de gestion (avec rapport à son comité de gestion, tutelle du ministre et rapport de la Cour des comptes). Les attaques de la NV-A et des libéraux sur un prétendu laxisme financier sont donc infondées. « Pas leur core business » Un système coûteux ? Là encore, nos chiffres démontrent le contraire. A côté des syndicats, il existe un quatrième organisme de paiement (public quant à lui) : la Caisse auxiliaire de paiement des allocations de chômage. En 2014, la Capac a géré environ 10 % des dossiers de chômage (1,3 million de paiements) et perçu 43,685 millions d’avances. Aussi, si l’on compare les 4 caisses, un dossier géré par la FGTB a coûté à l’Etat 17,03 euros, contre 17,41 euros par la CSC, 23,22 euros par la CGSLB et 33,33 euros via la Capac. Qui est donc deux fois plus chère et offre, par ailleurs, moins de services que les syndicats (accueil, personnel plus spécialisé, etc.). Sont-ils pour autant « moins efficaces » ? C’est plus difficile à objectiver. Une certitude : entre les chômeurs et les syndicats, c’est une longue histoire. « Les organisations sont constituées par et avant tout pour les travailleurs avec emploi », rappelle Jean Faniel (Crisp). « On ne fait pas partie de leur core business, confirme Bruno, chômeur de longue durée. On ne vote pas aux élections sociales, on n’a pas de délégué attitré, pas de déduction fiscale pour notre cotisation ni de prime syndicale. » Un permanent FGTB acquiesce : « La majorité des chômeurs s’affilient chez nous non pas par adhésion ou conviction, mais pour le service qui est plus complet qu’à la Capac. » « Les syndicats sont en première ligne face à un public de plus en plus sous pression et en détresse, relève-t-on au sein du Collectif solidarité contre l’exclusion. Ils doivent tout faire : payer, suivre, contrôler, annoncer une exclusion… ça n’est pas simple pour eux. » « Ces matières sont de plus en plus complexes, conclut Thierry Muller, du collectif Riposte. La législation change tout le temps. Qui a droit à quoi ? Les chômeurs n’y comprennent plus rien. Et comme partout, il y a des gens très compétents et ouverts dans les syndicats, et d’autres moins. » — H.Do. 23 apprendre Bruno Devoghel enquête Pourquoi les syndicats sont devenus moins forts Entre un syndicalisme militant en déclin, le poids écrasant d’une Europe néolibérale, les coups de boutoir du gouvernement Michel, des organisations sous tension et un certain lynchage médiatique, les syndicats ont perdu une partie de leur pouvoir. Voici comment et pourquoi. Ils sont au « service de l’Etat » « Sans les syndicats, rappelle Corine Gobin, politologue et maître de recherches au FNRS, et dans ce système capitaliste qui est le nôtre, le monde serait dans un état plus effroyable encore en termes d’acquis sociaux et d’inégalités de richesse. Mais force est de constater qu’avec le temps, les organisations syndicales ont été modelées par la socialdémocratie. » Né des combats ouvriers à la fin du 19e siècle, ce syndicalisme militant, engagé dans la « lutte des classes », va très vite se structurer dans une Belgique à trois piliers (socialiste, chrétien et libéral), pour devenir progressivement un syndicalisme « d’accompagnement » ou d’« adaptation ». 24 « Depuis leur origine, les syndicats sont traversés par la dialectique entre action directe et négociation, radicalité et modération, confirme Jean Faniel, directeur du Crisp. Comme l’écrivait en 1948 déjà le sociologue américain Charles Wright Mills, ils sont devenus des “gestionnaires du mécontentement”. Ils défendent les intérêts spécifiques et immédiats de leurs membres et ne sont plus dans l’esprit de transformer la société, mais plutôt de la préserver, de renforcer le système actuel d’économie capitaliste. » « C’est devenu un syndicalisme de services, de concertation, moins militant, à forte capacité de mobilisation, mais très dépendant de ses relais politiques », ajoute Bruno Bauraind, chercheur-formateur au Gresea. « Avec un partage des tâches – à toi la rue, à moi le Parlement – et une approche pragmatique : ils doivent négocier, donner un visage humain au marché, et quand ça n’est plus possible, on passe à l’action », confirme Corine Gobin. Désormais, les syndicats sont tenus de jouer leur rôle essentiel et légitime de « partenaires sociaux ». « Mais ils ont complètement intégré le système en siégeant dans un grand nombre d’organes d’avis et de décision [Conseil central de l’économie, Onem, Inami, etc. NDLR], ce qui rend plus difficile d’exercer un rôle critique. » Fortement implantés dans les entreprises, ils proposent par ailleurs à leurs affiliés une gamme de services très précieux (protection juridique, aide sociale…), mais sont imagine 114 - mars / avril 2016 Face aux diktats de l’Europe néolibérale et aux nouvelles réalités économiques, les syndicats sont de plus en plus désarmés. loin d’être des « organisations homogènes et monolithiques, rappelle Corine Gobin. On y retrouve des niveaux de compétence et de militance très différents. Avec un fossé entre une base souvent conscientisée, au plus près de la réalité sociale, et des dirigeants très impliqués dans les appareils de pouvoir ou alors des technocrates, fascinés par les experts en économie, formés dans les grandes écoles de gestion qui suivent forcément la voie du marché ». En jouant leur rôle de caisse de chômage (lire en p.22), les syndicats sont aussi devenus des « serviteurs de l’Etat, ajoute la chercheuse du FNRS. Ils tirent leur force, leurs moyens et leur légitimité des pouvoirs publics. Ils sont porteurs d’une autorité qui à la fois les protège et les affaiblit, ce qui est parfois schizophrénique ». Cette évolution se traduit, in fine, par une perte progressive de leur capacité d’influence. « Leur pouvoir réel est très difficile à évaluer, tempère Bernard Conter, politologue et chargé de recherches à l’IWEPS. On peut additionner le nombre de manifestants dans la rue, examiner les résultats des élections sociales, compter le nombre d’affiliés… L’essentiel, c’est leur capacité à produire des résultats pour améliorer la vie des citoyens au travers d’accords, parfois peu visibles, mais essentiels, dans les entreprises. Mais au niveau national, force est de constater que, depuis les années 80, les syndicats ne sont plus en mesure de peser sur les grandes politiques publiques. » Ils subissent l’Europe des marchés Leur deuxième difficulté, c’est l’Europe. « Les syndicats ont toujours été pro-européens, rappelle Bruno Bauraind. Une Europe imparfaite, certes, mais qu’il fallait soutenir. » « Cette Europe unie, rempart contre le fascisme et le communisme et porteuse d’humanisme », ajoute Corine Gobin. « Aujourd’hui, ils subissent les foudres du néolibéralisme, peinent à créer un réel contre-pouvoir et sont confrontés à une base militante très critique, voire eurosceptique », note l’expert du Gresea. « Après avoir contribué de façon imagine 114 - mars / avril 2016 consentie ou non à l’émergence de l’Europe des marchés, ils se sentent aujourd’hui floués », abonde sa collègue. « C’est un échec collectif de la gauche progressiste, reconnaît volontiers Thierry Bodson, secrétaire fédéral à la FGTB. Partis, syndicats, monde associatif, on s’est tous laissés imprégner par la social-démocratie. Or, après la crise financière de 2008, nous avions un boulevard devant nous. On n’a pas su peser assez fort et aujourd’hui les idées néolibérales, à l’origine de cette même crise, se renforcent partout en Europe. » « 70 % des décisions sont prises au niveau européen et c’est effectivement là que tout se joue », admet Marie-Hélène Ska, secrétaire générale de la CSC. Et pourtant, l’eurosyndicalisme est lent et lourd à mettre en place. Il faut composer avec des cultures syndicales aux antipodes les unes des autres – du modèle allemand de cogestion aux syndicats de combat (France, Espagne…), en passant par la concertation scandinave –, une Confédération européenne des syndicats qui manque de moyens et d’indépendance (70 % de son financement vient de la Commission), un puissant lobbying patronal… « Alors on cherche le plus petit dénominateur commun », constate Corine Gobin. « L’Europe des marchés avance bien plus vite que nous, admet Felipe Van Keirsbilck, secrétaire fédéral de la CNE. A l’exception des dockers qui ont su faire bloc pour empêcher la libéralisation des ports, on court tous derrière. En même temps, l’unité syndicale, c’est compliqué : il faut du temps, des moyens, tout traduire en 10 ou 15 langues, dépasser nos différences. » « Comment parler à un patron que vous ne voyez jamais ?, s’interroge par ailleurs Jean-François Ramquet, secrétaire régional à la FGTB. Quand il faut négocier un plan de restructuration, on envoie le numéro 3 ou le numéro 4 du groupe, sans mandat fort ni l’expérience qui va forcément avec. On s’attaque à la représentativité des syndicats, mais nous, on a une base légitime. Les patrons, ils parlent au nom de qui ? Ils défendent les intérêts de qui ? » Ils dépendent du contexte économique Chômage de masse, fermetures d’industries, émergence du secteur tertiaire, mondialisation et digitalisation de l’économie : voilà désormais les nouvelles réalités économiques auxquelles sont confrontés les syndicats. « Avec un rythme du capital tou- jours plus rapide que celui du travail », insiste Bruno Bauraind. Le monde de l’entreprise est également en pleine mutation, avec une forte présence de PME, un recours régulier à la soustraitance, des tâches externalisées, des emplois précaires (CDD, temps partiels, travail intérimaire, emplois subsidiés), etc. Ce qui rend de plus en plus complexe le combat syndical. « Pour des syndicats qui ont longtemps été productivistes, attachés à la croissance et au plein emploi, c’est un bouleversement énorme. » Si le travail change de visage, ses militants aussi. « Historiquement, résume Jean Faniel, l’affilié type était un ouvrier qualifié, adulte, de sexe masculin, autochtone, en activité, occupant un emploi stable, à durée indéterminée, à temps plein, dans une grande entreprise. » Aujourd’hui, environ un tiers des affiliés sont des « non-actifs ». Et la place laissée aux chômeurs, aux femmes, aux immigrés, aux jeunes et aux pensionnés reste minoritaire au sein des organisations. « On ne pourra pas lutter contre l’exclusion en excluant continuellement les exclus du débat », admet Philippe Parmentier, de la CSC, pourtant assez active dans ce domaine. « Il nous faut d’un côté défendre de nouveaux types de travailleurs et de l’autre être la voix des sans-voix, ce n’est pas simple », admet Olivier Valentin, secrétaire national de la CGSLB. « Les syndicats doivent ouvrir les yeux : les chômeurs ne sont pas tous des inactifs, malheureux, non intégrés, ils ont des choses à dire, à proposer, il serait temps de les écouter ! », insiste Thierry Müller, du collectif Riposte. Ils font face à un gouvernement hostile Autre difficulté : le contexte politique au fédéral. Un gouvernement de droite et majoritairement flamand (NV-A, libéraux, CD&V). « Avec une marge de manœuvre ultra-limitée, analyse Bernard Conter, politologue. Proche du patronat, l’exécutif fixe l’agenda, passe en force, ne joue plus son rôle d’arbitre, mais devient le décideur ultime. » « On peut agir à la marge, en adoucissant certaines mesures via le Groupe des 10. Ce qui n’est pas rien sur certains dossiers, mais cela reste insuffisant, se désole Thierry Jacques, secrétaire fédéral de la CSC Namur-Dinant. Nous sommes sans cesse confrontés à des décisions injustes, idiotes ou indécentes. » « Ils usent tout le temps du même vocabulaire : des charges sociales trop “lourdes”, des réformes “inéluctables”, des budgets de l’Etat 25 apprendre enquête qui “explosent”, dénonce Marie-Hélène Ska. Nous devons composer avec une nouvelle génération politique qui estime qu’elle est seule maîtresse à bord et qu’elle peut tout décider. » « La NV-A et son ventriloque, le MR, ne visent qu’une chose : détricoter notre modèle social, affaiblir les syndicats, casser les actions collectives », enchaîne Jean-François Ramquet. Un modèle belge de concertation désormais en panne. « On a placé 160 fois le mot concertation dans le déclaration gouvernementale. Une profession de foi ! En pratique, c’est : “écrasez-vous, renoncez à vos acquis et tout ira bien !” », dénonce Felipe Van Keirsbilck. « Le gouvernement impose tout, fixe ses règles, cherche à diviser pour régner », abonde Mario Coppens, président de la CGSLB. « La concertation a permis pendant des décennies de partager les gains de la productivité, c’était du win-win. Les années 80 ont été le temps des concessions sociales. Et là, on ouvre une nouvelle ère, celle de la rupture », s’inquiète aussi Jean-François Tamellini, secrétaire fédéral FGTB. « Au niveau wallon, c’est pareil, constate Thierry Bodson. Le patronat, c’est le banc des pleureuses : on n’en fait jamais assez ! Ils cèdent tout du bout des lèvres et les syndicats ont toujours bon dos. » Que ce soit sous la forme de propositions de loi ou de déclarations d’intention, la NV-A, l’Open VLD et le MR cherchent, depuis de longs mois, à limiter drastiquement le pouvoir des syndicats en restreignant le droit de grève, en imposant le service minimum, en réduisant la portée des négociations collectives, en s’attaquant à leur personnalité juridique, en voulant réduire les primes syndicales et les budgets de formation, etc. « D’un côté, il y a un exécutif poussé dans le dos par le patronat qui cherche à limiter les droits et libertés soit en optant pour la voie législative, soit en étant dans l’idéologie pure autour, par exemple, de la “grève politique” ou du “droit au travail”, constate Jan Buelens, professeur de droit à l’Université d’Anvers. De l’autre, on cherche à judicia- riser davantage les conflits sociaux. Autrefois, ces dossiers se soldaient souvent par des acquittements ou des condamnations symboliques. Voyez récemment le procès des ouvriers de Goodyear en France : neuf mois ferme. Ce contexte pousse les syndicats à la prudence, voire à l’autocensure, ce qui est inquiétant en démocratie. » Et les amène à rediscuter prochainement avec le gouvernement du gentlemen’s agreement, un accord tacite qui depuis 2004 encadre une certaine « paix sociale » en Belgique. Un climat politique qui, ici encore, affaiblit les organisations syndicales. « On paye 30 ans d’offensive néolibérale et on récolte le fruit de notre inertie et de notre aveuglement ! », rétorque un cadre de la CGSP. « On a trop vite capitulé ! », approuve un métallo ACV. « Quand vous êtes face à un parti tout-puissant au Nord, prêt à casser les corps intermédiaires pour arriver à ses fins, vous n’êtes pas en position de force », tempère Eugène Ernst, de la CSC enseignement. « Si nous n’étions pas là, ce serait pire, défend Thierry Bodson. On continue Bruno Devoghel Des travailleurs pressés de toutes parts, mais également traversés par le doute et la colère face au lynchage médiatique qui frappe leurs organisations syndicales. 26 imagine 114 - mars / avril 2016 malgré tout à peser dans les organes de gestion, pour changer les législations, créer de la jurisprudence, dire non aux politiques quand ils se trompent ». Et tous sonnent l’alarme : « Voyez ce qui se passe en Grèce, en Pologne, en GrandeBretagne… On touche aux libertés syndicales, à la presse, aux droits fondamentaux. Plus nos élus se sentent impuissants face à la domination des marchés, plus ils se replient sur leur petite parcelle d’autorité avec des slogans chocs et des coupes budgétaires qui mettent en péril la cohésion sociale », s’inquiète Marie-Héléne Ska. « Avec un grand risque, prévient Olivier Valentin (CGSLB), que les citoyens se referment sur eux-mêmes, s’éloignent du militantisme et se tournent vers les partis extrémistes. » Ils sont traversés par des tensions internes « A quoi sert-on encore ?, s’interroge, amer, un délégué CGSP de Bruxelles. Nos appareils sont devenus d’une mollesse incroyable. On dirait des généraux qui ne veulent plus se battre ! » « On s’est installés dans la routine », abonde un délégué CGSLB de Charleroi. « On a trop vite capitulé. Les manifs, ces processions de Nord à Midi, c’est inefficace », tranche un permanent de la CSC-Textile. « Soit on accepte notre mort lente, soit on rebondit », prévient un affilié Setca. « Nos cadres fréquentent les mêmes restos, conduisent les mêmes grosses voitures. Nous sommes allés trop loin dans les logiques de pouvoir. Il n’y a plus d’idéal commun », peste un délégué de la FGTB Métal. « La lutte des places a remplacé la lutte des classes. On vise son petit intérêt, son plan de carrière », renchérit un délégué CNE. « On veut plaire davantage à la presse qu’à nos affiliés ! », enchaîne un permanent de la CSC Bâtiments. Des témoignages comme ceux-ci – souvent critiques, mais sous couvert d’anonymat –, nous en avons recueilli bien davantage. Le ton général ? Amertume à certains étages et moral en berne. L’objet des critiques ? Le projet syndical, la bureaucratie, les moyens d’action, la communication… « Ça fait 20 ans qu’on dit les syndicats au bord de l’implosion !, sourit Jean Faniel, du Crisp. Mais, en période de crise, c’est sûr, les tensions internes se font beaucoup plus fortes. » Et des tensions, il y en a. Entre les ailes flamandes et francophones. Entre les centrales ouvrières et les employés. Entre l’appareil syndical et la base. Entre partisans du confédéralisme et régionalistes. Entre adeptes du business as usual imagine 114 - mars / avril 2016 et radicaux. « Nos militants sont effectivement déboussolés, reconnaît Felipe Van Keirsbilck (CNE). Ils attendent un agenda, un mot d’ordre, un cap à suivre. » « Tout ça pour ça, se dit la base en dressant notre bilan quasi nul au niveau interprofessionnel », admet Jean-François Tamelini (FGTB). « Un syndicat, c’est un lieu de vie et de débat, rappelle Paul Lootens, président sortant de la Centrale générale, et la conjoncture ne joue pas en notre faveur. Mais nous devons aussi être capables de faire notre autocritique. » « Le moment est venu de balayer devant notre porte, de réinterroger nos stratégies et nos structures », abonde Joël Thiry, secrétaire régional de la FGTB Luxembourg. « Nous avons besoin de sang froid, de recul, de profondeur dans la réflexion », insiste Thierry Jacques, l’ex-président du MOC. « On entend évidemment tous ces appels du pied, réagit Marie-Hélène Ska. Mais notre difficulté, c’est d’être à la fois dans l’action, la réaction, et le temps long, avec des revendications de fond pour plus d’égalité et d’émancipation, une meilleure redistribution des richesses. Ce qui, dans cette société de l’urgence et de l’image est devenu très compliqué. » L’image, il en est souvent question dans les critiques. « On ne parvient plus à construire un contre-discours, à incarner un message d’espoir, positif, tourné vers tous les citoyens », résume ce cadre de la FGTB wallonne. A cela s’ajoutent des turbulences internes au sein du syndicat socialiste (la démission de deux secrétaires fédéraux, les tensions entre les centrales ouvrières et le Setca, le leadership et l’état de santé de son secrétaire général Marc Goblet…), des divergences Nord-Sud réapparues lors de la grève de la SNCB, la restructuration au sein de la CSC-ACW liée à la liquidation d’Arco, son bras financier, emporté dans la faillite de Dexia en 2011, etc. Enfin l’autre critique porte sur l’indépendance syndicale. « Qu’on arrête de coller aux baskets du PS qui n’a plus rien de socialiste ! » plaide un cadre FGTB. « Notre force, c’est aussi notre liberté », insiste un collègue libéral. « Les relais politiques, c’est une arme à double tranchant, dit un ponte de la CSC. Quand le moteur contre pouvoir se grippe, ça se retourne en dépendance ». Ils sont victimes de syndicalisme bashing Enfin, dernier écueil et pas des moindres : le syndicalisme bashing qui sévit dans la presse et sur les réseaux sociaux. « Il y a une lame de fond, confirme Bernard Conter, politologue. On disqualifie l’action syndicale, délégitime la grève, met en avant les actions violentes menées par une minorité, oppose de façon fallacieuse le droit de grève et le droit de travailler et relaye abondamment le message patronal en calculant, par exemple, le coût de la grève en divisant le PIB par 365 jours, ce qui est totalement absurde ». « La presse mainstream, celle qui pétrit l’opinion, renvoie en continu l’image de syndicats pas assez constructifs, peu créatifs, hostiles aux changements », se désole Daniel Richard (FGTB). « Désinformation, petites phrases sorties de leur contexte, informations anecdotiques… Voilà aussi dans quel univers nous devons évoluer » déplore Marie-Hélène Ska. « Ce déferlement médiatique est d’autant plus détestable qu’il vise aussi des personnes. Voyez comme on traîne Marc Goblet dans la boue : valet du PS, fort en gueule, inculte… Sudpresse s’en est même pris à sa vie privée, en montant en épingle un conflit familial », s’indigne Paul Lootens. « Les médias veulent sans cesse du spectaculaire, du court, du clash. Si vous n’êtes pas en grève, on ne parlera pas de vous. Les messages modérés, c’est évidemment moins sexy à vendre », relève Didier Seghin, attaché de presse à la CGSLB. « Martelé de toutes parts, le message selon lequel c’est la crise et qu’il faut faire des efforts est entré petit à petit dans la tête des gens », constate Aïcha Magha, sa collègue de la FGTB Wallonne. « Un discours lisse, simple, caricatural sur fond de culte de l’individualisme, déplore Eugène Ernst (CSC). Et nous, nous sommes dans le temps long, dans la complexité, dans des dossiers de fonds ». « Sur les réseaux sociaux, c’est souvent injuste et truffé d’erreurs, mais il faut relativiser, tempère enfin Thierry Jacques (CSC). Il s’agit de professionnels de l’injure, une minorité hyperagissante. Les citoyens ne sont pas dupes, notamment les jeunes, qui font aussi preuve d’esprit critique ». Une critique de bon ou de mauvais aloi face à un contre pouvoir essentiel en démocratie aujourd’hui désarmé, dénigré et en quête de lendemains meilleurs. — H.Do. www.imagine-magazine.com Barrage de Cheratte : info et intox Lire sur notre site www.imagine-magazine.com les dessous de la controverse autour de ce piquet de grève du 19 octobre 2015 organisé par la FGTB sur l’autoroute de Cheratte. 27 apprendre enquête Quel syndicalisme pour demain ? Voici les six grands défis auxquels sont désormais confrontées les organisations syndicales. « Le combat interprofessionnel est perdu. Il faut déjà penser à l’après et miser sur un changement de majorité », lance Felipe Van Keirsbilck (CNE). « Ce gouvernement est anti-social, illégitime en Wallonie. Il menace la Sécu, casse la solidarité fédérale, détricote les services publics. Notre seul salut, c’est qu’il tombe ! », attaque de son côté Daniel Richard (FGTB). « Nous maintiendrons la pression, sans autocensure, mais en restant légalistes et responsables », promet pour sa part Olivier Valentin (CGSLB). Trois visions claires et un même calendrier : les élections communales de 2018, le super-scrutin régional et fédéral de 2019, plusieurs congrès syndicaux et avant ça les élections sociales (du 9 au 22 mai prochains). « D’ici là, quelques coups vont se perdre entre nous, comme de coutume », prédit un cadre de la CSC. « Au bout du compte, l’intérêt supérieur du front commun primera », calcule un secrétaire fédéral FGTB. Avec ce dilemme : « opter pour la chaise vide, refuser de négocier et repartir au front ou se contenter de coquilles vides », synthétise le patron de la CNE. Résister ou, comme le résume Christian Lochet, secrétaire régional à la CGSLB, « engranger un maximum d’aménagements raisonnables ». 2. Réformer leurs structures Les syndicats sont devant deux grands enjeux : d’un côté, la 6e réforme de l’Etat, le transfert de compétences et les velléités régionalistes, et de l’autre l’harmonisation du statut ouvrier/employé. Avec de nombreuses questions en suspens : faut-il aller vers une régionalisation plus grande ? Un renforcement des centrales ? Une struc- 28 CGSLB-ACLVB 1.Préparer l’après-2019 Les syndicats doivent-ils opter pour un syndicalisme plus « pédagogique » ? C’est l’avis de la CGSLB, présente lors de la marche de l’avenir, en novembre 2012 à Genk. ture interprofessionnelle unique ? Vu le contexte évoqué plus haut, « on est davantage devant un risque de fragmentation », constate Bruno Bauraind, du Gresea. « Si fusion il y a, il faudra aussi partager les cotisations et les caisses de grève entre tous. Un enjeu de taille » ajoute Jean Faniel, du Crisp. Quoi qu’il en soit, les trois organisations ne pourront plus faire l’économie d’une réflexion de fond sur leurs structures. « Aux élections sociales de 2020, il y aura des listes uniques ouvriers/employés, nous devrons forcément nous adapter », enchaîne Jean-François Tamellini (FGTB). « On a à la fois besoin d’un ancrage sur le terrain et d’une interprofessionnelle forte pour défendre des enjeux transversaux », insiste Joël Thiry (FGTB). Il s’agit, par ailleurs, de repenser la démocratie interne, rajeunir les cadres, faire davantage de places aux chômeurs, aux immigrés, aux pensionnés… Car, comme expliqué plus haut, « leur poids va en grandissant, rappelle Philippe Parmentier, de la CSC. Nous devons continuer à défendre nos affiliés isolés, dispersés, peu structurés ; tisimagine 114 - mars / avril 2016 ser des liens structurels avec les étudiants, les navetteurs, les usagers. ». La démocratie interne ? « Les syndicats sont des lieux vivants, avec beaucoup d’espaces de débat, mais les militants ne les connaissent plus forcément et ne savent plus où se faire entendre », constate Bruno Bauraind. « On doit repartir du bas vers le haut », insiste Frédéric Guillot, ex-délégué FGTB. « Il faut offrir des espaces de contestation », renchérit le secrétaire de la CNE. « On a besoin de se réoxygéner, confirme Paul Lootens. Retourner sur le terrain, dans les quartiers, sur les marchés. Ecouter notre base. Etre dans un esprit d’éducation populaire. Et réarmer idéologiquement nos militants. » 3.(Re) devenir des lieux laboratoires « On vit le nez sur le guidon pour faire face aux urgences sociales : toujours plus d’exclusions, de temps partiels, de violence dans les relations de travail… » constate Jean-François Ramquet. « Les temps sont durs, renchérit Felipe Van Keirsbilck. Il faut gérer la régionalisation de grosses compétences, les restructurations, la précarité… ». « Les syndicats ne prennent plus le temps pour réfléchir à la société. S’ils veulent rebondir, ils doivent redevenir des porteurs de changements autour de la redistribution des richesses, du temps de travail, des nouveaux systèmes de finances publiques socialisées, etc. », ajoute Corinne Gobin (FNRS). « On doit effectivement sortir de certains combats défensifs, surprendre, avancer des propositions innovantes, comme on le fait déjà au niveau régional » réagit Thierry Bodson. Des laboratoires d’idées ? « On l’est déjà, insiste Marie-Hélène Ska, avec des chantiers passionnants en vue : quel projet de société veut-on pour demain ? Quel sera notre rapport au travail ? Comment conserver nos acquis et défendre un autre modèle économique ? Comimagine 114 - mars / avril 2016 ment construire des utopies crédibles ? » « Il a fallu deux générations pour abolir le travail des enfants, réduire la durée du travail, obtenir des congés payés…, rappelle Jean-François Ramquet. Nos victoires se gagnent aussi sur la durée. Mais, c’est vrai qu’il faut parfois aussi s’arrêter pour pouvoir mieux repartir. » « Un syndicat, c’est un gros paquebot lent à manœuvrer, mais rempli de ressources. A condition que l’on crée les conditions d’un débat large et ouvert », insiste Joël Thiry. 4.Elargir le front Depuis quelques années, certaines branches des syndicats se sont ouvertes aux questions de société, via les Forums sociaux, la Coalition climat, le Réseau Justice fiscale… Elles ont initié ou suivi de nouvelles initiatives citoyennes (lire en p.30). « Mais ça n’est pas la tendance générale, admet Jean-François Tamellini. Or, c’est aussi là que nous trouverons notre salut, en élargissant au maximum notre champ d’action. » Felipe Van Keirsbilck confirme : « Le pouvoir partagé démontre chaque jour ses limites. On doit redevenir un syndicat des mouvements sociaux, sortir des sentiers battus ». « Il faut redonner de l’espoir aux gens, sortir des entreprises, retourner dans les chaumières car la frontière entre travail et vie privée est plus que jamais perméable », prône Constant Koumbounis, de la FGTB. « Créer des alliances, faire converger nos luttes, s’allier au monde culturel pour se régénérer sans perdre notre identité et notre raison d’être », ajoute Myriam Djegham, secrétaire générale du MOC Bruxelles. « On ne peut plus vivre en vase clos », renchérit Thierry Bodson. « On doit intégrer plus encore la question environnementale, précise Paul Lootens, car si le capitalisme tue l’homme, il détruit aussi la nature. Il faut aussi redonner de l’espoir aux générations futures, travailler plus avec nos jeunes. » 5.Repenser les moyens d’actions « On ne peut pas rester sourds aux messages des citoyens, on doit aussi se réinventer », lance Christian Lochet, de la CGSLB. « En Flandre, on défend un syndicalisme positif et pédagogique qui parle aux gens : tournées en bus, café partagé sur les marchés... », ajoute son collègue Mario Coppens. « Ça fait 40 ans qu’on cherche et expérimente ! », réagit Philippe Parmentier (CNE). Le moyen le plus direct et efficace, ça reste la grève ». « Pétitions, infos aux usagers, actions ludiques, on a tout essayé, ajoute Marc Eyen (CSC Cheminots). A un moment, il faut passer à la vitesse supérieure ! » La grève, ce droit fondamental inscrit dans la Constitution (art. 26 et 27 sur la liberté d’association) que d’aucuns cherchent à restreindre : « On peut réfléchir à de nouvelles formes d’action, mais ce moyen là, on y touche pas. Il est bétonné dans des textes internationaux (OIT, Conseil de l’Europe…) et ils ne feront pas ce qu’ils veulent ! », prévient Jean-François Tamellini. « Une société sans heurts, sans conflits, sans débat, c’est un Etat muselé, non démocratique », rappelle Marie-Hélène Ska. « Le monde tourne carré depuis 30 ans, poursuit Thierry Bodson, et on ne va pas réinventer la roue ! Hier, on mobilisait la FN, c’était 10 000 personnes dans la rue. Aujourd’hui, combien de PME faut-il mobiliser pour arriver à ça ? Le droit de grève, oui, c’est sacré. On ne bloque plus la sortie d’usine, on bloque le rond point du zoning. Et alors ? Il faut arrêter de crier aux gréviculteurs, le nombre de jour de grève en Belgique n’est pas en hausse ! ». 6.Redorer leur image Les syndicats se sont professionnalisés en matière de communication, mais le syndicalisme 2.0 est encore à la traîne. Et dans cette société de l’image, « la tâche est énorme », admet-on enfin dans les trois QG. « On se bat contre des murs. Les médias et la pensée unique sont contre nous » se désole un cadre de la FGTB. « Dans cette guerre de l’info/intox, on doit aussi répliquer par des faits, des chiffres, des arguments objectifs, pas idéologiques » insiste Thierry Jacques (CSC). « Rappeler l’immense travail de l’ombre réalisé par nos délégations sur le terrain, l’essence même de notre action », ajoute Eugène Ernst (CSC). « Casser le cliché du syndicaliste basique, hostile à tout », ajoute un permanent du Secta. « Et en même temps, conclut un chargé de communication, arrêtons de nous autoflageller. On ne pourra jamais se construire une image policée avec des délégués ouvriers en costume Armani et un langage châtié ! Arrêtons d’être obsédés par cette question de l’apparence, soyons nous-mêmes ! ». — H.Do. 29 apprendre enquête Esteban Martinez (ULB) : «Ils sont par nature des acteurs dynamiques» A côté de l’action, les organisations syndicales sont aussi des espaces d’innovations sociales. Comme nous l’explique Esteban Martinez, sociologue du travail, chargé de cours à l’ULB et attaché au centre Metices, qui a notamment travaillé sur le concept de syndicalisme « d e réseau » ou « g lobal ». En dehors de l’action, les syndicats sont-ils aussi dans l’innovation ? - Clairement. Ce ce sont par nature des acteurs dynamiques, qui doivent sans cesse s’adapter à des nouvelles réalités économiques et sociales. Car le pouvoir ne leur appartient pas. Il est soit dans le champ politique, mais de moins en moins, soit du côté des entreprises. Les syndicats doivent donc suivre, anticiper, construire sans cesse de nouvelles solidarités, pratiquer ce que j’appelle un syndicalisme de plus en plus « inclusif ». C’est-à-dire ? - Un syndicalisme qui n’est pas figé et doit intégrer des nouveaux profils de travailleurs : précarisés, sans emploi, immigrés, mais aussi des cadres fortement sous pression et évalués sur leurs résultats, et s’ouvrir à d’autres champs de la société (les petits indépendants, les agriculteurs, le monde de la culture…). Cette innovation, elle se traduit déjà dans les faits. Prenez le secteur du non-marchand. Il y a 15, 20 ans, il n’y avait pratiquement pas de relations collectives. Aujourd’hui, les employeurs se sont organisés en fédérations, il y a de nouvelles commissions paritaires, ça bouge. identifié. Ce qui pose énormément de problèmes aux syndicats pour construire des solidarités, défendre des intérêts collectifs. C’est là que se construit le syndicalisme de réseau. A l’échelle d’un territoire, plusieurs délégations relevant de commissions paritaires parfois très différentes, s’unissent, échangent, pour travailler sur la santé, la sécurité, les horaires, la soustraitance… Il y a des exemples positifs à la centrale de Tihange (lire ci-contre), sur le zoning d’Anvers, à l’aéroport de Charleroi, dans des centres commerciaux, à l’ULB… Ça n’est jamais simple à réaliser, ce sont des projets fragiles menés sur base volontaires, entre délégués motivés, mais ça donne des résultats positifs. Transposables au-delà des frontières ? - Oui, et on entre là dans le syndicalisme « global » qui consiste à développer des solidarités et des alliances au niveau européen. Au-delà de la Confédération européenne des syndicats, qui manque de moyens et reste très formelle, ce syndicalisme global vise à échanger des informations, concevoir des moyens d’action en commun, pousser les entreprises à créer des comités d’entreprises européens. C’est un chantier immense, mais passionnant. Le syndicalisme de demain, n’est-il pas aussi celui de l’ouverture ? mais éclaté avec le recours à l’intérim, à la sous-traitance, à l’externalisation. Les centres de décision sont de plus en plus loin et imprécis. Avec deux éléments : d’un côté, une concentration des capitaux et des sociétés de plus en plus transnationales, et de l’autre une dispersion des forces de travail. Qui décide ? Où est le pouvoir ? L’employeur est de moins en moins unique et 30 D.R. Une autre évolution, c’est le syndicalisme dit de « réseau ». - Oui. Le monde de l’entreprise est désor- - Si, bien entendu. Même si au sein des organisations, il y a déjà différentes initiatives qui vont dans ce sens. Mais on sent que ça bouge. Pour des raisons à la fois pragmatiques et médiatiques, les syndicats vont devoir s’ouvrir, se (re)connecter avec la société civile, casser cette image « corporatiste » à la fois juste et dépassée, aller vers les non syndiqués, élargir leur champ d’action au monde de la culture, aux exclus… De plus en plus de militants syndicaux ont un engagement pluriel et attendent cela. Avec leur force de frappe et leur base populaire, les syndicats sont pleinement capables d’élargir ce champ de la contestation. — Propos recueillis par H.Do. imagine 114 - mars / avril 2016 Trois exemples d’innovations Et si les syndicats trouvaient aussi leur salut en explorant d’autres modes d’actions, comme ici, lors de l’Alter Summit organisé à Athènes ? Actions en réseau à Tihange «L e syndicalisme ne peut plus être sédentaire, confiné dans l’entreprise, il faut plus que jamais travailler en réseau, préconise Constant Koumbounis, délégué FGTB chez Fabricom-GTI. Mise en concurrence de sous-traitants, dumping social, pressions sur les travailleurs… La réalité, elle est là. On ne peut plus se permettre de travailler sur notre seul petit pré carré ». A Tihange, sur le site de la centrale nucléaire, où pendant les périodes d’arrêts, plusieurs centaines de sous-traitants (sécurité, nettoyage, maintenance…) sont amenés à travailler sur un même site, un bureau syndical commun a été ouvert pendant quelques temps. « On pouvait ainsi grouper les demandes, répondre aux besoins des travailleurs non affiliés, sous contrat dans des PME, venus de l’étranger. C’était très riche. On a pu échanger de l’info, avancer sur la sécurité, les conditions de travail, les abus », poursuit Constant Koumbounis. « L a stratégie du capital, c’est de mettre les travailleurs en concurrence, de les diviser, rappelle Geoffrey Goblet, de la FGTB Huy-Waremme, qui a édité, en 2008, une brochure Travail en réseau, syndicalisme d’avenir. Pour faire face à l’avenir, notre seule force, c’est de renforcer cette solidarité entre tous les travailleurs, peu importe leur statut » . — imagine 114 - mars / avril 2016 Une alliance D19-20 A griculteurs, syndicalistes, activistes, membres des ONG… Ils ont décidé d’unir leurs forces pour dénoncer d’une seule voix les politiques d’austérité menées par l’Union européenne, ainsi que les différents traités de libre-échange. Le 19 décembre 2014, ils ont mobilisé 4 000 personnes dans les rues de Bruxelles. Le 7 octobre dernier, lors de la manifestation nationale, l’Alliance D19-20 était également de la partie. Et quelques jours plus tard, cette union sacrée et inédite lançait d’autres actions autour de la réduction de la dette, de la justice climatique, de la souveraineté alimentaire, etc . « Ce sont à chaque fois des moments forts et collectifs », se réjouit Myriam Djegham, secrétaire fédérale du MOC Bruxelles. Pour les acteurs syndicaux issus de la CNE, de la CSC et de la CGSP investis depuis la création de D19-20, c’est aussi un pari de taille : « O n sort clairement des sentiers battus , se réjouit Felipe Van Keirsbilck, secrétaire général de la CNE. Il faut tout réinventer. Organise-t-on une manif le week-end ou en semaine ? Qui fait quoi ? Qui décide et comment ? Entre l’agriculteur, le délégué en entreprise et l’employé dans une ONG, chacun a des contraintes de temps, une histoire, une culture de la résistance différentes. » « Au bout du compte, c’est passionnant. On est dans le débat permanent, l’argumentation, l’échange et on ouvre sans cesse de nouveaux champs de réflexion. C’est un travail de fourmis qui, à terme, c’est certain, va porter ses fruits », ajoute Myriam Djegham. — www.d19-20.be cc Stéphane Burlot Des Acteurs des temps présents Q ue peuvent bien avoir en commun un métallo, un agriculteur, un comédien et un chercheur universitaire ? Rien, a priori. Et pourtant, depuis le printemps 2014, ils font front commun via Les Acteurs des temps présents1. Lancée à l’initiative de la centrale FGTB Métal, ce mouvement réunit, ici aussi, un large panel de citoyens issus d’horizons divers, mais également un syndicat agricole (Fugea), des artistes, des collectifs de chômeurs, des économistes… « Tout est parti de la réflexion de nos militants qui, fatigués, nous disaient : on en a marre de faire gare du Midi-gare du Nord, puis gare du Nord-gare du Midi, sans obtenir les résultats escomptés », rappelle Nico Cué, secrétaire général de la FGTB Métal, cheville ouvrière du projet. Au travers d’une charte commune, ces Acteurs des temps présents dénoncent notamment « la compétitivité et la rentabilité à tout prix [qui] nous tue à petit feu », la démocratie « confisquée », la « dégradation de notre qualité de vie », le « manque de perspective pour les jeunes » et prônent « un renversement du modèle économique actuel ». Et, depuis deux ans, ils multiplient les marches collectives, les conférences-débats, les animations et les actions de terrain. Avec des succès et des petites avancées, mais une envie commune, là encore, de réinventer un syndicalisme résolument ancré au cœur des luttes citoyennes. — 1. www.acteursdestempspresents.be, lire Imagine n°102, mars-avril 2014 En savoir + • Le site www.gracos.be, du Groupe d’analyse des conflits sociaux (Gracos) qui réunit des chercheurs universitaires (politologues, criminologues, juristes…) spécialisés dans ces matières (syndicalisme européen, droit social, criminalisation des mouvements sociaux…). • Plusieurs Cahiers hebdomadaires du Crisp consacrés aux organisations syndicales (www.crisp.be). • Les sites des trois principales organisations syndicales : www.fgtb.be, www.csc-en-ligne.be, www.cgslb.be, ainsi que ceux de leurs différentes régionales et centrales. 31