Onde P50 dans la schizophrénie - Psychologie

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Onde P50 dans la schizophrénie - Psychologie
¶ 37-285-A-14
Onde P50 dans la schizophrénie
E. Houy, F. Thibaut
Certains troubles cognitifs présentés par les patients schizophrènes sont interprétables en termes de
dysfonctionnement du traitement de l’information au sein de réseaux neuronaux. À cette même échelle
neuronale, ces troubles sont la conséquence d’anomalies élémentaires neurochimiques ou
électrophysiologiques. Plusieurs marqueurs électrophysiologiques ont été largement étudiés à ce titre
dans la schizophrénie : l’anomalie de la poursuite oculaire lente, le paradigme des antisaccades, l’onde
P300 et enfin le défaut d’inhibition de l’onde P50 des potentiels évoqués auditifs. Ce dernier paradigme
présente un intérêt plus particulier car il est actuellement le seul dont les bases neuroanatomiques,
neurochimiques et génétiques semblent mieux appréhendées. Ce défaut d’inhibition neuronale pourrait
être à l’origine d’un certain nombre de symptômes schizophréniques positifs tels que les hallucinations.
Tenter d’approcher la physiopathologie d’une maladie si hétérogène que la schizophrénie par des
marqueurs associés élémentaires définis par une cascade biologique simple représente une réelle
alternative aux études menées jusque dans les années 1980. Le défaut de filtrage sensoriel mesuré par le
paradigme de l’onde P50 des potentiels évoqués auditifs est l’un de ces endophénotypes. Le gène codant
pour la sous-unité a-7 du récepteur nicotinique semble impliqué dans ce mécanisme d’inhibition
neuronale au niveau de l’hippocampe. Cette anomalie de filtrage semble indépendante du cours évolutif
de la maladie, lorsqu’il s’agit de la schizophrénie. Une association significative entre un polymorphisme
situé sur le gène CHRNA7-like (issu pour partie d’une duplication du gène CHRNA7 codant la sous-unité
a-7 du récepteur nicotinique) et le défaut d’inhibition de l’onde P50 a pu être montrée alors que ce même
polymorphisme ne semble pas associé au phénotype « schizophrénie ». Ces résultats montrent à quel
point la schizophrénie relève probablement d’interactions complexes entre de nombreux
neuromédiateurs.
© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
Mots clés : Électrophysiologie ; Schizophrénie ; P50 ; Potentiels évoqués auditifs ; Génétique ;
Endophénotype ; Récepteur nicotinique
■ Introduction
Plan
¶ Introduction
1
¶ Notion d’endophénotype
2
¶ Paradigme expérimental : filtrage sensoriel et onde P50
Modèle expérimental
Hypothèses neurofonctionnelles
2
2
2
¶ Paradigme de l’onde P50 chez les sujets normaux
4
¶ Paradigme de l’onde P50 chez les sujets schizophrènes
Déficit d’inhibition de l’onde P50
Onde P50 et tests cognitifs
Onde P50 et symptomatologie clinique
Onde P50 et traitements neuroleptiques
Stabilité du paradigme chez les schizophrènes
Filtrage sensoriel chez les apparentés de patients schizophrènes
Onde P50 et pathologies du spectre schizophrénique
4
4
4
5
5
6
6
6
¶ Onde P50 et autres pathologies psychiatriques
6
¶ Déterminisme génétique du filtrage sensoriel mesuré
par l’onde P50
Récepteurs a-7 nicotiniques
Gène CHRNA7, gène candidat pour l’endophénotype
« défaut d’inhibition de l’onde P50 »
8
¶ Conclusion
9
Psychiatrie
7
7
L’enregistrement de l’activité électrique cérébrale par électroencéphalographie s’est développé dès le début du XXe siècle.
L’étude des modifications des potentiels évoqués chez les
patients souffrant d’affections psychiatriques s’est développée au
cours des années 1970. Il s’agissait d’un moyen privilégié pour
cartographier et quantifier l’activité cérébrale d’états physiologiques ou pathologiques. Le développement des techniques
électrophysiologiques durant ces dernières décennies a permis
d’explorer les activités cognitives dont certaines semblent
défaillantes au cours de la schizophrénie. Dans le cadre des
schizophrénies, ces études ont eu pour but essentiel d’élaborer
des hypothèses physiopathologiques sous-tendant la maladie.
L’étude des relations entre la clinique et les anomalies électrophysiologiques a permis de montrer que certains troubles
électrophysiologiques répondaient à la définition de marqueurs
traits, utiles aux études génétiques et au diagnostic de la
schizophrénie. Les sujets schizophrènes présenteraient une
capacité déficiente à filtrer les informations en provenance de
l’extérieur. Parallèlement, les patients souffrant de pathologies
du spectre de la schizophrénie (personnalité schizotypique), les
enfants considérés à haut risque de développer la maladie, les
apparentés de patients schizophrènes présenteraient les mêmes
difficultés cognitives. Ces déficits cognitifs sont interprétables en
termes de dysfonctionnement du traitement de l’information au
1
37-285-A-14 ¶ Onde P50 dans la schizophrénie
sein de réseaux neuronaux, eux-mêmes conséquences d’anomalies élémentaires au niveau neurochimique ou électrophysiologique. Le défaut d’inhibition électrophysiologique de l’onde
P50 des potentiels évoqués auditifs répondrait à cette définition
de marqueur trait ou « endophénotype » pour la schizophrénie.
Les déterminismes neurobiologique et génétique de cette
anomalie semblent par ailleurs en lien avec certains symptômes
psychotiques.
■ Notion d’endophénotype
Les descriptions cliniques de Bleuler et Kraepelin soulignaient
déjà la présence de troubles de l’attention et du traitement des
informations chez les patients schizophrènes. Kraepelin notait
une « certaine instabilité » attentionnelle chez les schizophrènes
et Bleuler un « déficit d’attention aiguë ». Les stimuli sont traités
et encodés dans le système nerveux central afin de faciliter leur
perception, leur mémorisation, et de permettre au sujet de
donner un sens aux informations qu’il reçoit de l’extérieur. Les
patients schizophrènes présenteraient des difficultés à appréhender, à traiter les informations venues de l’environnement
extérieur et à produire une réponse adaptée.
Les déficits cognitifs observés chez les schizophrènes sont
interprétables en termes de dysfonctionnement du traitement
de l’information au sein de réseaux neuronaux, eux-mêmes
conséquences d’anomalies élémentaires au niveau neurochimique ou électrophysiologique. À ces derniers niveaux, il est
possible de définir des marqueurs phénotypiques, on parle alors
« d’endophénotypes », par opposition au phénotype clinique
qui est directement observable et dont les caractéristiques sont
les suivantes : il s’agit d’un marqueur associé à la maladie,
présent chez les apparentés sains du patient, mesurable expérimentalement, indépendant de l’évolution et des traitements de
la maladie.
Plusieurs marqueurs biologiques répondant à des degrés
divers aux critères de marqueurs de vulnérabilité génétique à la
schizophrénie ont été décrits ces dernières années. Les paradigmes permettant d’évaluer certaines anomalies du filtrage
sensoriel dont souffrent les patients schizophrènes constituent
des supports intéressants à l’étude de certains endophénotypes.
Les perturbations de l’inhibition de l’onde P50 des potentiels
évoqués auditifs ont été étudiées à ce titre. Il a été suggéré que
ce marqueur se comporte comme un trait mendélien latent,
dont le mode de transmission serait autosomique dominant.
■ Paradigme expérimental :
filtrage sensoriel et onde P50
Les nombreux travaux des années 1980 ont abouti à l’hypothèse selon laquelle certains symptômes schizophréniques
résulteraient d’une anomalie du filtrage sensoriel, cette surcharge d’informations sensorielles se traduisant secondairement
par un déficit attentionnel et des troubles cognitifs [1].
Les mécanismes cérébraux intervenant dans le filtrage des
informations sensorielles répétitives, connus sous les termes de
« sensory gating » ou contrôle inhibiteur de la réponse neuronale
peuvent être évalués à l’aide de paradigmes expérimentaux [2].
Modèle expérimental
Un paradigme connu pour évaluer le filtrage des informations
sensorielles répétitives a été développé par l’équipe de Freedman. Afin de tester l’hypothèse de Braff, l’équipe de Freedman
a développé un paradigme expérimental fondé sur l’étude des
mécanismes inhibiteurs neuronaux mis en jeu au cours de deux
stimulations auditives identiques appliquées à très court
intervalle [3]. Les potentiels évoqués auditifs dits de moyenne
latence, de survenue automatique en réponse à un stimulus
auditif bref (clic) sont mesurables par la présence d’une onde
positive, dite onde P50 car elle survient 40 à 80 ms après le
stimulus.
Le protocole expérimental consiste à stimuler les sujets sur le
plan auditif par la répétition de paires de « clics » à intervalles
2
Ratio P50 normal
(< 50 % )
Ratio P50 anormal
( > 50 % )
S1
S1
a
D1
18 µV
20 ms
p30
a
5 µV
p30
20 ms
D1
p50
p50
S2
S2
a
5 µV
E2
a
E2
p50
5 µV
20ms
20 ms
p30 p50
p30
20 ms/div
20 ms/div
20 ms/div
20 ms/div
Ratio T/C =
Amplitude S2
Amplitude S1
Figure 1. Exemple de tracé moyenné des potentiels évoqués auditifs
enregistrés (Louchart de la Chapelle et al., couverture de l’American
Journal of Psychiatry, mars 2005).
réguliers. Une paire de clics se décompose en un premier clic dit
« S1 », ou « conditionnant », et un deuxième « clic », dit « S2 »,
ou « test ». Lorsque les paires de stimuli auditifs identiques sont
présentées de façon répétée et régulière à un sujet, on observe
une diminution de l’amplitude de l’onde P50 d’au moins 50 %
après le second stimulus chez le sujet normal. Cette diminution
d’amplitude est maximale lorsque l’intervalle entre les deux
stimuli d’une même paire est de 500 ms. L’intervalle de temps
qui sépare deux paires de clics doit être supérieur à 8 secondes
pour permettre la récupération de l’excitabilité corticale dont la
période réfractaire serait évaluée à 8 secondes.
La diminution de l’onde P50 après S2 s’évalue par le calcul
du rapport de l’amplitude de l’onde P50 générée par S2 sur
l’amplitude de l’onde P50 générée par S1 (S2/S1 ou T/C ratio)
(Fig. 1) :
Amplitude de P50 après le second stimulus (testing)/Amplitude
de P50 après le premier stimulus (conditionning).
Chez les sujets schizophrènes, comparativement à un sujet
contrôle, on observe une moindre diminution, voire une
absence de diminution d’amplitude du potentiel survenant
après le second stimulus. Freedman et al. [4] ont montré que si
l’on exprime ces résultats en ratio de l’amplitude, 94 % des
sujets normaux ont un ratio inférieur à 0,50 alors que 91 % des
schizophrènes ont un ratio supérieur à 0,50. Le ratio moyen
pour un sujet normal est de 0,18 plus ou moins 0,17, alors que
pour les schizophrènes, il est de 1,0 plus ou moins 0,32. En
outre, plusieurs études ont montré qu’une proportion significative, environ 50 % des apparentés du premier degré (symptomatiques ou non) de sujets schizophrènes présentent une
défaillance des mécanismes de filtrage sensoriel [5, 6], ce qui
suggère que ce trait serait sous contrôle d’un (ou de différents)
gène(s) transmis de façon dominante. Le déficit d’inhibition de
l’onde P50 a pu être corrélé au déficit attentionnel mesurable
par des tests neuropsychologiques chez les sujets
schizophrènes [7-9] , à partir de neuf familles comportant
chacune plusieurs sujets schizophrènes. Ces corrélations apportent des arguments en faveur d’un contrôle génétique de ce
trait.
Hypothèses neurofonctionnelles
L’hypothèse d’une hyperdopaminergie responsable des
symptômes schizophréniques est apparue avec la découverte de
Psychiatrie
Onde P50 dans la schizophrénie ¶ 37-285-A-14
l’efficacité et du mécanisme d’action des neuroleptiques
classiques, antagonistes des récepteurs dopaminergiques D2.
Issue de cette même hypothèse, une explication du déficit
d’inhibition de l’onde P50 des potentiels évoqués auditifs par
une hyperexcitabilité neuronale a été émise. Cette hyperexcitabilité neuronale secondaire à une hyperdopaminergie empêcherait une réponse synchrone nécessaire à la production de l’onde
P50. Les neuroleptiques classiques augmentent l’amplitude de
l’onde P50 et sa latence d’apparition, sans toutefois normaliser
les capacités d’inhibition. De plus, ces améliorations semblent
corrélées à une diminution du taux d’acide homovanilique
plasmatique (principal métabolite de la dopamine) chez ces
schizophrènes traités [10]. À l’inverse, les mécanismes inhibiteurs
mis en jeu chez les sujets sains ne semblent pas sous-tendus par
les mêmes profils neurobiologiques. L’efficacité du filtrage
sensoriel mesurée par un faible ratio T/C (inférieur à 50 %)
serait corrélée chez ces derniers à une diminution des taux
plasmatiques de 3-méthoxy-4-hydroxy phénylglycol (MHPG
= principal métabolite noradrénergique), ce qui n’est pas le cas
chez des schizophrènes traités par neuroleptiques [11]. Chez les
patients souffrant d’un accès maniaque, le défaut transitoire de
filtrage de l’onde P50 est corrélé positivement à une augmentation des taux de MHPG plasmatique [10].
L’étude de modèles animaux a permis de mieux appréhender
la physiopathologie de cette onde P50 et des mécanismes
inhibiteurs cérébraux mis en jeu lors du paradigme expérimental. Chez le rat, l’onde négative N40 (équivalent de l’onde
P50 chez l’homme) diminue également à la présentation du
second stimulus auditif, témoignant d’un mécanisme inhibiteur
similaire à l’homme [12, 13]. Plusieurs équipes ont localisé les
mécanismes cérébraux de filtrage de l’onde N40 au niveau des
régions CA3 et CA4 de l’hippocampe du rat [14-16].
Krause et al. [17] ont récemment étudié l’implication possible
des neurones thalamiques dans les processus de filtrage sensoriel
chez le rat. Chez l’homme, le thalamus est un centre sensoriel
et sensitif du cerveau dit automatique qui reçoit des afférences
des aires corticales et sous-corticales impliquées dans les
émotions et la mémoire : l’hippocampe et l’amygdale, et des
aires corticales associatives. Il joue un rôle important dans le
filtrage, la modulation, le traitement et la transmission des
informations sensorielles. À ce titre, le thalamus pourrait être
impliqué dans la physiopathologie des symptômes schizophréniques. Les neurones du noyau réticulé thalamique semblent
répondre à un processus d’inhibition neuronale chez le rat
soumis à des paires de stimuli auditifs. L’administration de
D-amphétamine à ces mêmes rats bloque l’activité de filtrage
sensoriel des neurones de la région CA 3 de l’hippocampe et des
neurones du noyau réticulé thalamique, blocage levé par
l’administration d’un antagoniste dopaminergique de type
neuroleptique classique. Il s’agit de l’unique étude qui rapporte
une activité d’inhibition neuronale issue de neurones
thalamiques.
L’hypothèse d’une hyperactivité dopaminergique dans le
noyau accumbens des patients schizophrènes a été émise. Cette
hypothèse a été testée chez l’animal. Elle pourrait être un
facteur causal du trouble du filtrage sensoriel mesurable par
l’onde N40 chez le rat [18] . Les micro-injections d’agoniste
dopaminergique (quinpirole : agoniste dopaminergique des
récepteurs D3) dans le noyau accumbens de rats produisent une
diminution d’amplitude de la réponse à un premier stimulus
auditif S1, et un défaut d’inhibition des ondes N40. Cet effet est
probablement médié par les récepteurs D2 puisque l’halopéridol
normalise totalement les anomalies induites au niveau cortical
par l’injection de quinpirole dans les noyaux accumbens. En
revanche, les altérations induites par la quinpirole au niveau de
l’hippocampe ne sont pas améliorées par un traitement préalable avec de l’halopéridol. Les interactions entre les différents
neurotransmetteurs mis en cause dans ces processus attentionnels au niveau de l’hippocampe semblent donc complexes.
Wilson et al. décrivaient en 1984 [19] des neurones sensibles
aux stimuli auditifs dans l’hippocampe humain dont la réponse
décroît lors de la répétition d’un stimulus. Chez l’homme,
Psychiatrie
plusieurs équipes ont cherché à localiser les « sources génératrices cérébrales » de l’onde P50. Lors d’interventions neurochirurgicales, la pose d’électrodes profondes a permis de mettre en
évidence une localisation au niveau de l’hippocampe [20].
Différentes études se sont développées pour trouver une
relation entre les anomalies de l’onde P50 et les récepteurs
nicotiniques de l’hippocampe. Cependant, l’origine anatomique
exacte de l’onde P50, chez l’homme, reste incertaine. Les
capacités d’habituation de cette onde des potentiels auditifs
semblent altérées par des lésions préfrontales latérales [21]. Chez
des patients souffrant d’épilepsie temporale isolée, l’amplitude
de l’onde P50 apparaît diminuée, sans aucune contribution de
la région frontale, suggérant la localisation temporale des
générateurs de cette composante électrophysiologique [22] .
Jusqu’ici, l’onde P50 des potentiels évoqués auditifs n’a jamais
été enregistrée directement au niveau de l’hippocampe humain.
Les enregistrements profonds des potentiels évoqués réalisés
chez des patients souffrant d’une épilepsie focale temporale
résistante ont montré des réponses d’amplitude réduite dans les
régions hippocampique et parahippocampique. Une étude a été
menée par Grunwald et al., en 2003, [23] chez 32 patients
souffrant d’une épilepsie focale résistante aux traitements et mal
définie en termes de localisation. Ce travail a permis de montrer
la capacité d’habituation des neurones de l’hippocampe issus du
lobe temporal normal, enregistrés grâce à des électrodes intracrâniennes, lorsqu’un sujet est soumis à des paires de stimuli
auditifs. Cependant, ces données ont été décrites pour des
latences supérieures à celles qui nous intéressent, de 50 ms : les
réponses mesurées par Grunwald et al. [23] interviennent 250 ms
après le stimulus auditif. La capacité d’habituation mise en
évidence ne semble pas liée, selon les auteurs, à l’activité
épileptogène du lobe temporal controlatéral. L’hippocampe
pourrait donc effectivement participer au filtrage sensoriel.
L’inhibition de l’onde P50 des potentiels évoqués auditifs n’a
été enregistrée que dans quelques régions corticales particulières,
ce qui souligne la spécificité de ce processus cognitif. Les régions
corticales temporopariétales périsylviennes (aires 2 et 22 de
Brodmann) et préfrontales (aires 6 et 24 de Brodmann) participent à cette inhibition neuronale précoce de l’onde P50. Les
auteurs [23] justifient ce résultat par la proximité qui existe entre
l’aire auditive primaire et la région temporopariétale. Ces
données sont en accord avec les observations préalables de
Knight et al. [21], concernant les lésions dorsolatérales préfrontales à l’origine d’un défaut d’habituation de l’onde P50.
Néanmoins, les résultats issus d’enregistrements de potentiels
évoqués réalisés chez des patients épileptiques restent à considérer avec certaines précautions inhérentes à la pathologie et
aux traitements médicamenteux antiépileptiques. Toutefois, de
telles méthodes de mesures invasives ne peuvent être éthiquement envisagées chez des sujets sains.
Ainsi, les processus attentionnels pourraient se décomposer
en plusieurs étapes soumises à la régulation de régions cérébrales spécifiques à chacune d’entre elles. Le dysfonctionnement de
l’un ou l’autre de ces réseaux neuronaux pourrait expliquer des
troubles attentionnels plus ou moins précoces, voire globaux
prédisposant un sujet à développer des troubles psychotiques.
L’hypothèse de Grunwald et al. est d’ailleurs soutenue par les
résultats des études d’imagerie cérébrales effectuées chez les
patients schizophrènes, impliquant une hypoactivité du cortex
préfrontal [24] et une diminution significative du volume de
l’hippocampe comparativement à des sujets sains [25].
Les fonctions cognitives telles que l’attention, la mémoire de
travail font appel chez l’homme, comme chez l’animal, aux
voies cholinergiques [26] . Les projections cholinergiques du
septum innervent les interneurones de l’acide gammaaminobutyrique (GABA)-ergiques inhibiteurs de l’hippocampe
ainsi que les neurones glutamatergiques excitateurs de l’hippocampe, assurant ainsi la coordination de l’activité d’un grand
nombre de cellules et la régulation de l’activité hippocampique.
Plusieurs auteurs ont montré que l’activation des récepteurs
cholinergiques nicotiniques pouvait stimuler les interneurones
GABAergiques dans l’hippocampe, mais pas les cellules pyramidales ou granulaires. L’expérimentation animale a permis à
Leonard et al. [3] d’élaborer un modèle de l’inhibition neuronale
3
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AC
Septum
Glu
Cortex enthorinal
Voie perforante
Glu
Gaba
Cellules granulaires
Gyrus dentelé
Fibres moussues
Récepteur
α−7 nicotinique
Glu
Cellules pyramidales CA3
Collatérales
de Schafer
Voie inhibitrice
Glu
Cellules pyramidales CA1
Figure 2. Modèle neuroanatomique.
qui s’effectue dans l’hippocampe. Les entrées d’informations
sensorielles proviennent, pour l’essentiel, du cortex enthorinal
via la voie perforante. Ces afférences arrivent au gyrus dentelé
et aux cellules pyramidales de la région CA3 de l’hippocampe
qui véhiculent leurs informations jusqu’à la région CA1 via les
collatérales de Schaffer. Les efférences de la région CA1 de
l’hippocampe sont ensuite destinées au cortex frontal. Le
traitement des informations se produirait dans les régions
CA3 et CA4 de l’hippocampe, la région CA1 étant destinée à
transmettre des données modulées. Les neurones des régions
CA3 et CA4 portent des récepteurs modulateurs de type
a-7 nicotiniques. L’arrivée d’informations sensorielles auditives
activerait d’abord les synapses glutamatergiques des fibres
moussues, de la voie perforante, du gyrus dentelé pour ensuite
stimuler les interneurones GABAergiques inhibiteurs. Ces
processus sont capables de produire une inhibition d’environ
500 ms (Fig. 2).
Ces interneurones reçoivent en outre une stimulation cholinergique du noyau septal médian. Les études pharmacologiques
ont montré qu’un antagoniste spécifique des récepteurs
a-7 nicotiniques, l’a-bungarotoxine, bloque l’inhibition neuronale dans l’hippocampe, conférant à ces récepteurs un rôle de
filtrage des informations sensorielles auditives. Cellules pyramidales et interneurones seraient stimulés par les synapses
cholinergiques venant du septum via le fornix (ou trigone). Le
blocage de cette innervation cholinergique septale lève l’effet
des interneurones et permet aux cellules pyramidales de
répondre au second stimulus d’une paire de clics auditifs. Ainsi,
le premier clic serait suivi d’une stimulation des interneurones
inhibiteurs responsables de la diminution de la réponse neuronale après le deuxième clic.
Cette anomalie de modulation de réponse à des stimuli
auditifs impliquerait des régions cérébrales totalement étrangères aux processus sensoriels qui pourraient ainsi produire
d’autres anomalies de modulation de filtrage [27] . Certains
auteurs ont ainsi fait l’hypothèse que le cortex préfrontal,
région inhibitrice et modulatrice de multiples régions corticales
et sous-corticales pourrait être à l’origine de telles anomalies. Les
auteurs ont pu reproduire les résultats préalables concernant
l’anomalie de filtrage sensoriel mesurée par le ratio de l’onde
P50 chez 27 patients schizophrènes mais n’ont pu valider leur
hypothèse initiale. Toutefois, des études à la fois structurales
cérébrales et électrophysiologiques apporteraient des arguments
explicatifs intéressants pour la compréhension des mécanismes
de filtrage sensoriel en général.
■ Paradigme de l’onde P50
chez les sujets normaux
Lorsqu’un sujet normal est soumis à des paires de stimuli
auditifs, on observe, selon le paradigme décrit par Freedman,
4
une diminution d’au moins 50 % de l’amplitude de leur
réponse électrophysiologique enregistrée environ 50 ms après le
deuxième stimulus. Cette diminution s’exprime par un ratio
T/C (amplitude de la réponse au deuxième stimulus « test » sur
l’amplitude de la réponse au premier stimulus « conditionnant ») inférieur à 0,50. Un ratio inférieur à 0,50 témoigne de
mécanismes de filtrage sensoriel fonctionnels : le sujet normal
inhibe le traitement de cette information sensorielle déjà
connue qu’il ne considère donc plus comme pertinente. Il
s’agirait d’un processus attentionnel précoce involontaire,
automatique. Cette inhibition permet en revanche au sujet de
rester disponible pour recevoir et traiter d’autres informations.
Ce modèle électrophysiologique est pertinent pour mener des
études scientifiques car il est reproductible. L’onde P50 des
potentiels évoqués auditifs n’est pas modifiée par le niveau
d’attention sélective du sujet [28, 29], ni par le niveau d’intensité
du bruit émis [30]. Le niveau de vigilance du sujet n’aurait pas
non plus d’effet sur cette onde P50 [31]. Cependant, certains
états de stress aigus semblent altérer les capacités de filtrage des
sujets sains [32, 33].
Le ratio T/C issu de l’enregistrement des ondes P50 pourrait
être influencé par le sexe de l’individu testé. Les femmes
présenteraient des réponses d’amplitudes significativement
supérieures à celles mesurées chez les hommes [34].
L’âge pourrait modifier le filtrage sensoriel mesuré par l’onde
P50 si l’on considère qu’il résulte de la maturation du cortex
frontal. Les divers travaux menés chez l’adolescent n’ont pas
permis de mettre en évidence de différence significative de
filtrage comparativement aux sujets adultes lorsque l’intervalle
inter-clic est supérieur ou égal à 500 ms. En revanche, chez
l’adulte, les capacités de filtrage pourraient diminuer et le ratio
T/C augmenter progressivement avec l’âge [35].
■ Paradigme de l’onde P50
chez les sujets schizophrènes
Déficit d’inhibition de l’onde P50
L’ensemble des études réalisées chez les patients schizophrènes confirment le défaut d’inhibition neuronale qui pourrait
sous-tendre les troubles attentionnels des patients. Quatre-vingtdix pour cent des patients schizophrènes auraient un ratio de
l’amplitude de la deuxième onde sur l’amplitude de la première
onde P50 supérieur à 50 %, ratio significativement supérieur à
celui décrit chez des sujets sains [4, 36-39]. La morphologie des
ondes P50 analysées chez les patients est comparable à celle des
ondes P50 de sujets normaux ; les latences observées seraient
également comparables entre les deux groupes mais cela est
controversé [39-41]. Le nombre de paires de clics utilisées pour
valider la méthode ne semble pas non plus influencer les
valeurs des ratios.
Onde P50 et tests cognitifs
Erwin et al. [8] ont étudié les relations possibles entre les
ondes P50 (mesurées en réponse à des paires de clics, à raison
de 10 par seconde) et certains indices neuropsychologiques ou
cliniques. Il s’agissait de comparer les scores obtenus à une
batterie de tests neuropsychologiques évaluant la vigilance, les
capacités d’abstraction, le quotient intellectuel verbal, les
mémoires sémantique et visuelle, les capacités d’apprentissage,
les fonctions sensorimotrices, le langage dans deux groupes de
patients : ceux présentant une forte anomalie des P50 versus de
faibles anomalies. Les auteurs, selon la même catégorisation de
patients, ont tenté d’établir un lien entre les scores cliniques
obtenus à la scale of the assessment of positive symptoms (SAPS),
la scale of the assessment of negative symptoms (SANS) et la brief
psychiatric rating scale (BPRS) et l’anomalie de filtrage. L’altération de filtrage semble inversement corrélée au niveau d’attention (mesuré par le continuous performance test), et non aux
autres tests neuropsychologiques. Concernant les variables
cliniques, seul le sous-score attentionnel de la SANS serait
négativement corrélé aux anomalies de filtrage de l’onde P50.
Psychiatrie
Onde P50 dans la schizophrénie ¶ 37-285-A-14
Onde P50 et symptomatologie clinique
Louchart de la Chapelle et al. [42] ont recherché une éventuelle corrélation entre le défaut de filtrage sensoriel mesuré par
l’onde P50 (selon le paradigme décrit par Freedman) et la
symptomatologie clinique de patients schizophrènes. Quatrevingt-un patients ont été catégorisés en sous-type négatif et
positif de la schizophrénie à l’aide des sous-scores obtenus à la
positive and negative syndrome scale for schizophrenia (PANSS [43]).
Les patients souffrant du sous-type négatif de la schizophrénie
présentent des latences moyennes et des ratios T/C significativement plus élevés que les patients souffrant du sous-type
positif de la maladie. Cependant, les différentes études cherchant à corréler anomalie de l’onde P50 et symptomatologie
clinique n’ont apporté jusqu’ici que peu de résultats homogènes. Pour certains, ce défaut pourrait être prédictif d’une
schizophrénie non paranoïde [44], pour d’autres, il serait sans
rapport avec la symptomatologie schizophrénique négative
définie selon la dichotomie positive/négative d’Andreasen [10].
Light et Braff [45] ont émis l’hypothèse que les patients présentant une pensée très désorganisée et une faible capacité de
filtrage sensoriel pouvaient présenter des difficultés à rapporter
leurs perceptions, ce qui pourrait être à l’origine de ces résultats
hétérogènes. La revue récente et très exhaustive de Potter et
al. [46] permet de souligner ce défaut de résultats probants quant
aux corrélations cliniques avec l’onde P50 dans la schizophrénie. Concernant les troubles cognitifs, la seule donnée intéressante serait la corrélation entre troubles de l’attention et défaut
de filtrage de l’onde P50, mais la plupart de ces études souffrent
d’un effectif réduit de patients inclus. Les études contradictoires
relatives aux symptômes positifs ou négatifs de la maladie se
heurtent peut-être à l’absence de corrélation directe entre le
défaut de filtrage sensoriel et l’expression des symptômes. Le
manque de puissance statistique des études, l’absence de
relation évidente entre l’anomalie des ondes P50 mesurée chez
les patients schizophrènes et les symptômes cliniques, les biais
méthodologiques de recrutement des patients ou l’absence de
prise en compte du rôle de la nicotine au cours des études
expliquent probablement cette absence de résultats objectifs et
compromettent d’autant les pistes pharmacologiques en aval.
Cette anomalie de filtrage pourrait résulter d’une hypodopaminergie, situation similaire aux modifications de filtrage
mesurées chez les consommateurs chroniques de cocaïne en
situation d’abstinence (Fein et al.) [47]. Ces anomalies dopaminergiques pourraient s’associer à une hypernoradrénergie si l’on
se réfère aux taux élevés de métabolite noradrénergique mesurés
chez les patients bipolaires en cours d’accès maniaque qui
présentent eux aussi une diminution d’inhibition de leur onde
P50. Ce faisceau d’arguments en faveur du rôle des catécholamines dans le défaut de filtrage sensoriel est compatible avec les
travaux préalables de Thibaut et al. [48] qui rapportaient
l’association de fortes concentrations plasmatiques de
3-méthoxy-4-hydroxyphenylglycol (MHPG), métabolite de la
noradrénaline et de faibles concentrations d’acide homovanilique, métabolite de la dopamine chez les patients schizophrènes
déficitaires comparativement aux non-déficitaires (selon les
critères de Carpenter).
Certains auteurs contestent toute relation objective entre
filtrage sensoriel mesuré par l’onde P50 et symptomatologie
clinique de la schizophrénie, objectivant le rôle de nombreux
facteurs confondants et plus particulièrement celui du tabagisme
comme biais d’interprétation des données électrophysiologiques
des potentiels évoqués auditifs (PEA) chez les patients. En effet,
Crawford et al. [49] puis Croft et al. [50] ont montré que le
tabagisme chronique améliorait la capacité de filtrage de l’onde
P50 chez les sujets sains. Les patients schizophrènes présentent
un tabagisme plus important que la population générale et
fument en plus grand nombre. La relation entre symptômes et
onde P50 est donc rendue très complexe chez ces patients, à la
fois du fait de leur pathologie elle-même et du rôle probable de
leur consommation chronique de nicotine. L’idée que « s’il
existait une relation entre la schizophrénie et l’inhibition de
l’onde P50, cette relation aurait été démontrée depuis longtemps », semble beaucoup plus complexe et en partie fausse. En
Psychiatrie
effet, l’équipe de Croft et al. [50] a pu reproduire les résultats de
Crawford [49], et ses propres résultats concernant la relation
entre schizotypie et faible inhibition de l’onde P50 chez les
fumeurs « légers » présentant des scores faibles à modérés
d’« irréalité » (personality syndrome questionnaire) tandis que cet
item semble corrélé à une amélioration de l’inhibition de l’onde
P50 chez les grands fumeurs. Ces résultats montrent à quel
point il est difficile de corréler le filtrage sensoriel mesuré par
l’onde P50 aux symptômes de la schizophrénie.
Des équipes ont tenté d’expliquer le rôle de la nicotine sur le
filtrage sensoriel mesuré par les potentiels évoqués auditifs dans
les modèles murins présentant des anomalies similaires aux
patients schizophrènes. Les effets de l’administration aiguë de
nicotine concordent avec les effets observés chez l’homme : la
nicotine améliorerait le filtrage sensoriel en agissant essentiellement sur l’amplitude de l’onde en réponse au premier stimulus
auditif. En revanche, l’administration chronique de nicotine
chez la souris n’a pas de répercussions sur le filtrage sensoriel et
atténuerait même l’effet d’une administration aiguë de nicotine,
suggérant une désensibilisation des récepteurs nicotiniques
soumis à une exposition chronique de nicotine et notamment
que cette désensibilisation implique les récepteurs nicotiniques
localisés dans les régions cérébrales générant l’onde N40
(équivalent de l’onde P50 chez la souris) [51]. Metzger et al. ont
également mis en évidence la stabilité des effets de la nicotine
sur deux lignées génétiques différentes de souris, suggérant
qu’une telle stabilité pourrait exister chez l’homme, bien que
cette extrapolation reste à confirmer par des études ultérieures.
Cette désensibilisation des récepteurs nicotiniques remet en
question le potentiel thérapeutique des agonistes nicotiniques
spécifiques des récepteurs nicotiniques a-7 [52].
Onde P50 et traitements neuroleptiques
Le défaut d’inhibition de l’onde P50 des potentiels évoqués
auditifs en réponse à des stimuli répétés est observé aussi bien
chez les sujets schizophrènes non traités [29] que chez les sujets
traités par neuroleptiques classiques et ce, quelle que soit la
dose prescrite [53]. Cependant, les traitements neuroleptiques
améliorent l’amplitude et la latence de l’onde P50, habituellement diminuées chez les patients non traités, comparativement
aux sujets témoins [4]. Cette amélioration obtenue sous traitement neuroleptique ne permet pourtant pas de normaliser le
ratio T/C mesuré. Cette normalisation de l’amplitude de l’onde
P50 a pu être corrélée à une diminution significative des taux
d’acide homovanilique plasmatique (principal métabolite de la
dopamine), suggérant que les propriétés antagonistes dopaminergiques des neuroleptiques puissent jouer un rôle dans ce
mécanisme. Pourtant, ce contrôle dopaminergique ne suffit pas
à expliquer le défaut d’inhibition présenté par les
schizophrènes.
Les neuroleptiques dits atypiques semblent d’ailleurs agir de
façon différente sur l’onde P50. Nagamoto et al. [54, 55], Becker [56], observent une amélioration du ratio T/C des ondes
P50 chez des sujets schizophrènes traités par de la clozapine,
molécule dont le profil réceptologique est très différent des
neuroleptiques classiques, faisant intervenir de nombreux
systèmes de neuromédiateurs autres que le système dopaminergique (sérotoninergique, noradrénergique, cholinergique). Light
et al. [45] ont comparé les ratios d’onde P50 obtenus chez
13 patients schizophrènes traités par des neuroleptiques atypiques (clozapine, olanzapine, rispéridone) avec ceux de
13 patients traités par des neuroleptiques classiques. Les
neuroleptiques atypiques semblent normaliser le ratio T/C dans
le premier groupe de patients qui, par ailleurs, ne diffère pas du
second groupe quant à ses caractéristiques démographiques et
cliniques. Plus récemment, Adler et al. [57] ont étudié l’effet de
différents neuroleptiques atypiques sur le ratio T/C de l’onde
P50, comparativement à un groupe de sujets témoins. Leurs
résultats concernant l’anomalie de filtrage sensoriel chez les
patients schizophrènes sont conformes aux données de la
littérature (91 % des témoins présentent un ratio normal, versus
23 % des patients schizophrènes quel que soit leur traitement
ou l’absence de traitement et seulement 10 % des schizophrènes
traités par neuroleptiques classiques ou non traités). Leurs
5
37-285-A-14 ¶ Onde P50 dans la schizophrénie
résultats sont concordants avec ceux de Light et al. [45], à savoir
que les antipsychotiques atypiques améliorent de façon significative le ratio T/C comparativement aux neuroleptiques classiques. Cependant, seule la clozapine se démarque de manière
significative par rapport aux autres antipsychotiques atypiques
testés par les auteurs (rispéridone, olanzapine, quétiapine). La
clozapine est la seule en capacité de normaliser le ratio T/C
mesurant le filtrage de l’onde P50 chez les patients schizophrènes, ratio non significativement différent du groupe de sujets
témoins. Cette exception d’efficacité de la clozapine apparaît
également dans l’étude d’un autre paradigme expérimental de
filtrage sensoriel qu’est l’inhibition de la réaction de sursaut [58].
Toutefois, cette normalisation pourrait n’apparaître que relative
puisqu’elle est due à une augmentation d’amplitude de l’onde
S1 et sans diminution d’amplitude de l’onde S2 [46]. La réduction du ratio P50 obtenue grâce à la nicotine fait intervenir une
diminution d’amplitude de l’onde S2 via l’activation des
récepteurs nicotiniques a-7 et semble donc un bon reflet de la
restauration du filtrage sensoriel. En revanche, la normalisation
du ratio obtenue sous clozapine pourrait ne pas impliquer les
mêmes mécanismes neurobiologiques et ne permet pas de
conclure quant à son efficacité sur l’amélioration du filtrage
sensoriel.
Stabilité du paradigme
chez les schizophrènes
Le défaut des mécanismes de filtrage objectivé par un ratio
d’ondes P50 anormal est observé chez les patients schizophrènes
quel que soit le stade de leur maladie : phase aiguë ou en
relative rémission [10]. Ces arguments sont en faveur du caractère « marqueur trait » d’une telle anomalie. L’anomalie mise en
évidence par l’enregistrement des ondes P50 semble assez
spécifique de la pathologie schizophrénique. Aucune étude du
filtrage sensoriel mesuré par le ratio de l’onde P50 n’a
jusqu’alors été menée au cours d’un premier épisode schizophrénique. Cependant, les tests de métarégression utilisés par
Bramon et al. [39] au cours de leur méta-analyse portant sur
17 études n’ont pas retrouvé d’effet significatif de la durée de
la maladie sur les mesures de l’onde P50, suggérant la stabilité
de ce marqueur. Seules des études prospectives longitudinales de
patients inclus lors d’un premier épisode permettraient d’établir
strictement cette définition de marqueur « trait ».
Filtrage sensoriel chez les apparentés
de patients schizophrènes
[5]
Siegel et al.
ont tenté de démontrer que ce défaut de
filtrage sensoriel répondait à un déterminisme génétique simple
qui pourrait permettre de mener des études génétiques de la
schizophrénie de façon reproductible. Les apparentés de premier
degré des sujets schizophrènes inhibent cinq fois moins l’onde
relative au second stimulus que les sujets témoins : 11 % des
témoins ont un ratio anormal, comparativement à 57 % des
apparentés de premier degré de sujets malades et 86 % des
patients. Waldo et al. [9] ont étudié les enregistrements des
ondes P50 au sein de 17 familles de patients schizophrènes. Les
ratios T/C mesurés dans les familles sans histoire familiale de
schizophrénie sont normaux et significativement inférieurs aux
ratios obtenus chez le descendant malade ou aux ratios des
parents ayant connaissance d’une histoire familiale de schizophrénie. Ces résultats suggèrent que la perte d’inhibition de
la réponse P50 à des stimuli auditifs répétés pourrait être
soumise à un déterminisme génétique. Cette même équipe a
montré que le défaut d’inhibition de l’onde P50 était présent
chez 50 % des individus de la fratrie des patients schizophrènes [59]. Ces résultats ont, par la suite, été répliqués [6, 40] : les
capacités d’inhibition de l’onde P50 chez les apparentés sains de
premier degré de patients schizophrènes, s’avèrent en moyenne
supérieurs aux ratios mesurés chez les sujets sains, et inférieurs
aux ratios calculés chez les patients. Parmi les différents
marqueurs biologiques et électrophysiologiques connus, le
6
paradigme de l’onde P50 et les anomalies de la poursuite
oculaire (antisaccades) semblent les plus stables et pourraient
représenter des outils diagnostiques prédictifs de la maladie
surtout lorsqu’ils sont associés, bien que sous-tendus par des
mécanismes neurobiologiques différents [40].
Myles-Worsley et al. [53] décrivent des données similaires dans
une population non caucasienne : 51,8 % des apparentés de
premier degré de patients schizophrènes ont un ratio T/C
anormal, comparativement à 10,3 % seulement chez les sujets
témoins.
Deux études de jumeaux plaident également en faveur du
déterminisme génétique du ratio P50 [53, 60]. Les ratios mesurés
dans les paires de jumeaux monozygotes sont significativement
plus homogènes que les ratios mesurés dans les paires de
jumeaux dizygotes. Ces arguments permettent d’envisager la
réalisation d’études en génétique classique, l’inhibition de
l’onde P50 des potentiels évoqués auditifs se comportant
comme un phénotype transmis selon un modèle mendélien.
Onde P50 et pathologies du spectre
schizophrénique
Les sujets présentant un trouble de la personnalité de type
schizotypique partagent de nombreuses caractéristiques cognitives avec les patients schizophrènes. Ce trouble de la personnalité est considéré comme faisant partie du spectre de la maladie.
À ce titre, le paradigme de l’onde P50 a été étudié chez les sujets
présentant une personnalité schizotypique afin de confirmer la
nature génétique de l’anomalie électrophysiologique. Ces
derniers présentent le déficit d’inhibition de l’onde P50 décrit
chez les patients schizophrènes [61]. Croft et al. [62] ont non
seulement répliqué ces résultats, mais aussi montré que le ratio
d’onde P50 mesuré est corrélé avec le score « irréalité » de
l’échelle de schizotypie utilisée dans l’étude, et non avec les
scores de « retrait » ou d’« hyperactivité ». Ce score d’irréalité
s’apparente à la symptomatologie positive schizophrénique, ce
qui encourage les auteurs à penser que le défaut d’inhibition de
l’onde P50 est probablement corrélé à certains symptômes
schizophréniques.
■ Onde P50 et autres pathologies
psychiatriques
Le profil anormal décrit chez les patients schizophrènes
soumis au paradigme de l’onde P50 semble stable, obéit à un
déterminisme génétique plus simple. Cependant, pour répondre
à la définition d’un endophénotype et permettre la réalisation
d’études génétiques à la recherche d’un marqueur de vulnérabilité génétique à la schizophrénie, ce trait doit être spécifique de
la maladie. Les capacités attentionnelles et les mécanismes
inhibiteurs cérébraux ont été étudiés dans nombre de pathologies psychiatriques.
Le syndrome d’hyperactivité associé à des troubles de l’attention : attention deficit/hyperactivity disorder (ADHD), au même
titre que la schizophrénie se caractérise par des troubles
attentionnels, notamment évalués par le « continuous performance test », test qui évalue la vigilance et la capacité à détecter
un signal parmi d’autres stimuli distracteurs. Il serait donc
tentant de penser que l’ADHD puisse être associé à une anomalie de filtrage de l’onde P50. Olincy et al. [63] ont comparé les
résultats des ratios d’ondes P50 obtenus dans trois populations :
16 sujets schizophrènes, 16 adultes souffrant d’ADHD, 16 sujets
témoins. Il s’agit là d’effectifs réduits qui permettent cependant
de répliquer les données antérieures, à savoir le défaut d’inhibition de l’onde P50 chez les schizophrènes. En revanche, les
patients souffrant d’ADHD ne se comportent pas de façon
significativement différente des sujets sains.
Plusieurs pathologies psychiatriques sont associées au défaut
d’inhibition de l’onde P50, mais de façon transitoire.
Psychiatrie
Onde P50 dans la schizophrénie ¶ 37-285-A-14
Au cours de l’accès maniaque, les patients présentent une
sensibilité accrue aux stimuli extérieurs, comparable à l’hypervigilance des sujets schizophrènes. Adler a montré que les
patients en phase maniaque ont un déficit d’inhibition de leur
onde P50 uniquement durant l’épisode, totalement réversible
lors de l’amendement des symptômes [64]. Ce défaut ne semble
pas médié par les mêmes neurotransmetteurs que chez les sujets
schizophrènes : le trouble électrophysiologique observé durant
l’accès maniaque serait lié à un dysfonctionnement noradrénergique (le déficit est corrélé à un taux plasmatique élevé de
3-méthoxy-4-hydroxyphénylglycol, principal métabolite de la
noradrénaline). L’existence d’un continuum sémiologique et
nosographique entre schizophrénie et trouble bipolaire est
discutée par de nombreux auteurs. Au-delà de symptômes
communs tels que le délire, les hallucinations, ces deux pathologies partagent des anomalies du traitement de l’information
mises en évidence par plusieurs paradigmes expérimentaux
(inhibition de l’onde P50, latence et amplitude de l’onde P300,
paradigme d’inhibition de la réaction de sursaut). Olincy et
Martin [65] ont tenté d’établir un lien entre le défaut d’inhibition de l’onde P50 des potentiels évoqués auditifs et les
symptômes psychotiques présents dans les deux types de
pathologies que sont les schizophrénies et les troubles bipolaires
de l’humeur. Il semble que les patients souffrant de trouble
bipolaire avec symptômes psychotiques présentent un défaut
d’inhibition de l’onde P50 similaire au défaut observé chez les
patients schizophrènes et les patients souffrant de troubles
schizoaffectifs, par opposition aux patients souffrant d’un accès
aigu de trouble bipolaire sans symptômes psychotiques et aux
sujets sains, ces deux derniers groupes ne présentant pas de
différence significative quant à leurs ratios T/C.
Au cours de la dépression, les patients présentent également
une anomalie de filtrage sensoriel négativement corrélée à la
sévérité de l’épisode [66]. Ainsi, même si le déficit d’inhibition de
l’onde P50 est commun à d’autres pathologies psychiatriques
que la schizophrénie, il n’y est généralement pas stable et serait
sous-tendu par des mécanismes neurobiologiques distincts et
répondant plus volontiers à la définition de marqueurs d’état,
c’est-à-dire dépendants de la symptomatologie, qu’à celle de
marqueurs traits.
Dans le cas des états de stress post-traumatiques chroniques,
de nombreux marqueurs électrophysiologiques ont été étudiés :
onde P300, onde P200, onde P50. Le paradigme expérimental
décrit par Freedman concernant le filtrage de l’onde P50 appliqué à cette pathologie s’avère également en faveur d’un déficit
d’inhibition de la seconde onde [67].
Les patients toxicomanes ont également été étudiés concernant leur statut électrophysiologique. Les consommateurs
chroniques de cannabis présentent un déficit d’inhibition de
l’onde P50 qui semble être corrélé à la fréquence et à la dose
cumulative du produit fumé [68, 69]. Pour certains auteurs, le
défaut d’inhibition présent chez d’anciens consommateurs de
cocaïne semble corrélé aux doses de produit administrées
considérées comme facteur de risque pour le développement de
troubles psychotiques. Boutros [70] interprète la diminution
d’amplitude de l’onde P50 chez des sujets cocaïnomanes sevrés
depuis 2 semaines comme une conséquence de l’hypodopaminergie secondaire au sevrage au décours d’une consommation
chronique de cocaïne. L’auteur insiste sur le rôle de la dopamine dans les processus de filtrage sensoriel chez l’homme
comme chez le rat. Boutros et al. [71] notent essentiellement une
diminution d’amplitude de l’onde P50 chez les patients dépendants de la cocaïne, témoignant d’une dysrégulation dopaminergique sans altération majeure des processus inhibiteurs, en
l’absence de complications psychiatriques.
Les patients souffrant d’une maladie de Parkinson présentent
un défaut d’habituation au paradigme électrophysiologique
positivement corrélé à la sévérité de la maladie.
Dans la démence d’Alzheimer, l’anomalie de filtrage de l’onde
P50 pourrait être associée à la perte de récepteurs cholinergiques
nicotiniques au cours de la maladie [72].
Psychiatrie
■ Déterminisme génétique
du filtrage sensoriel mesuré
par l’onde P50
Récepteurs a-7 nicotiniques
Les récepteurs nicotiniques cholinergiques appartiennent à
une superfamille de canaux ioniques ligand-dépendants qui
regroupe également les récepteurs glutamatergiques de type
AMPA et kaïnate, certains récepteurs GABAergiques, les récepteurs glycinergiques [73]. Jusqu’alors, six sous-unités a (a2, a3,
a4, a5 a6, a7) et trois sous-unités b (b2, b3, b4) présentes dans
le cerveau humain ont été identifiées et clonées. Les récepteurs
cérébraux sont constitués de cinq sous-unités transmembranaires. Au niveau du système nerveux central, on distingue deux
classes neuronales de récepteurs nicotiniques : les récepteurs
sensibles à l’a-bungarotoxine (a-BTX), peu sensibles à la
nicotine, constitués de cinq sous-unités a-7 dans le cerveau
humain [74], et les récepteurs de basse affinité à l’a-BTX. Les
récepteurs cérébraux de basse affinité à l’a-BTX ont une structure d’hétéropentamères comprenant obligatoirement deux
sous-unités a associées à trois sous-unités b (sous-type
b2/a4 majoritairement exprimé au niveau du système nerveux
central). Sur le plan fonctionnel, ces deux types de récepteurs,
« b2/a4 » et « a7 » semblent les plus sensibles aux phénomènes
de désensibilisation et d’« up-regulation » générées respectivement par l’administration chronique de nicotine ou l’arrêt
d’exposition à la nicotine secondairement à une exposition
chronique (mécanisme inverse de la réceptologie classique). En
effet, le récepteur nicotinique subit une « up-regulation » en
présence de son agoniste, la nicotine, car il semble que la
nicotine modifie la configuration du récepteur lorsqu’elle s’y
fixe, celui-ci devenant alors incapable d’être stimulé pendant un
certain temps (phénomène de désensibilisation). Ces données
permettraient d’expliquer le phénomène de tolérance chez les
sujets tabagiques.
Des techniques d’autoradiographie utilisant l’a-BTX comme
ligand ont permis de localiser les récepteurs a-7 nicotiniques
dans des cerveaux humains en post-mortem dans de nombreuses régions cérébrales. Ces récepteurs sont fortement exprimés
dans des structures cérébrales impliquées dans les processus
sensoriels : hippocampe (plus particulièrement au niveau des
régions CA1-CA3 et du gyrus dentelé), amygdale, tronc cérébral [3], noyau réticulé thalamique et noyau accumbens. En
revanche, les récepteurs a-7 nicotiniques ne sont que faiblement
représentés dans les régions corticales. Quatre-vingt-dix pour
cent des sites de fixation de la nicotine sont représentés par des
récepteurs de haute affinité constitués des sous-unités a4 et
b2 et participent aux échanges d’informations corticocorticales.
Les modulations dopaminergique et glutamatergique par la
stimulation cholinergique sont spécifiques à chaque région
cérébrale et à chaque type de récepteur nicotinique. L’administration aiguë de nicotine accroît les taux de dopamine du cortex
préfrontal et du striatum dorsal tandis que l’administration
chronique ne produit aucun effet, quelle que soit la région
cérébrale. Une administration aiguë après un traitement chronique de nicotine produit une augmentation du taux de
dopamine dans le cortex préfrontal mais pas dans le noyau
accumbens. La régulation nicotinique des voies glutamatergiques (augmentation de transmission glutamatergique dans
l’hippocampe) est moins bien connue mais semble plus spécifique des récepteurs nicotiniques a-7 de l’hippocampe. L’hyperdopaminergie des régions corticales semble plus sensible à
l’administration chronique de nicotine que les régions souscorticales, tentant de corriger la dissociation dopaminergique
cortico-sous-corticale présente chez les patients schizophrènes.
De même, le système dopaminergique mésolimbique semble
plus sensible à la nicotine que le système moteur extrapyramidal. Concernant le système glutamatergique [75], la nicotine
pourrait augmenter son activité dans les régions limbiques
(cortex frontal et hippocampe surtout) impliquées dans la
schizophrénie, ce qui pourrait expliquer la correction partielle
7
37-285-A-14 ¶ Onde P50 dans la schizophrénie
de l’hypofrontalité et du déficit de filtrage sensoriel par
l’administration de nicotine chez les sujets schizophrènes [76].
Le rôle de ces récepteurs a-7 dans les processus attentionnels
et dans certaines fonctions cognitives spécifiques a été étudié à
l’aide de modèles animaux [77] puis chez l’homme [78]. Chez
l’animal, les agonistes nicotiniques augmentent les capacités
mnésiques, quel que soit leur mode d’administration, aigu ou
chronique. La diminution des capacités fonctionnelles de la
mémoire de travail liée à une lésion cérébrale ou à l’âge est
également améliorée par les agonistes nicotiniques chez le rat.
Chez l’homme, les effets cognitifs des agonistes nicotiniques
restent mal connus : l’administration de nicotine a le plus
souvent été étudiée via le tabagisme. D’une façon générale, la
nicotine augmente les capacités d’éveil, de perception, d’attention visuelle et pourrait prévenir les déficits cognitifs induits par
la fatigue. La nicotine améliore la mémoire à court terme en
facilitant le stockage des informations reçues [79]. À l’inverse, la
mécamylamine, antagoniste des récepteurs nicotiniques, altère
les capacités mnésiques et d’apprentissage. Ces résultats expérimentaux et l’observation d’une perte significative de récepteurs
cholinergiques nicotiniques dans l’hippocampe et le cortex
frontal de patients atteints de maladie d’Alzheimer confèrent à
cette famille de récepteurs un rôle majeur dans les fonctions
cognitives humaines [80]. Quatre-vingt-dix pour cent des patients
schizophrènes sont tabagiques, comparativement à 30 % de la
population générale et ils inhalent une quantité de nicotine par
cigarette supérieure à celle d’un sujet fumeur non schizophrène [76]. Cette consommation permet aux patients de modifier
l’intensité de certains symptômes et interagit par ailleurs avec
les traitements neuroleptiques, qu’ils soient typiques (potentialisation du risque de dyskinésies tardives) ou atypiques (diminution de la consommation de tabac).
Dans le modèle animal, l’administration d’antagonistes
muscariniques ne modifie pas l’onde N40. En revanche, le
blocage des récepteurs nicotiniques par un antagoniste spécifique de la sous-unité a-7 nicotinique, l’a-BTX, entraîne une
diminution de l’inhibition de l’onde N40 générée par S2. Le
blocage sélectif des récepteurs cholinergiques nicotiniques et en
particulier des récepteurs a-7 diminue l’efficacité des mécanismes inhibiteurs, mimant les résultats obtenus chez les
patients [81]. Ces récepteurs nicotiniques sont situés au niveau
des interneurones GABAergiques de l’hippocampe et du thalamus (rôle dans le filtrage des informations sensorielles à
destination du cortex). Dans une étude post-mortem réalisée
chez l’homme, Freedman et al., 1995 [82] ont objectivé une
diminution de 40 % de la liaison de l’a-BTX (ligand de la sousunité a-7) dans la région CA3 de l’hippocampe chez des
schizophrènes comparés à des sujets témoins. Plus récemment,
d’autres équipes ont mis en évidence une diminution de liaison
de l’a-BTX chez les schizophrènes, comparativement aux sujets
sains, de 25 % dans le noyau réticulé thalamique [83], de 50 %
dans le cortex cingulaire [84].
L’expression de la protéine constituant la sous-unité
a-7 nicotinique apparaîtrait également diminuée dans le cortex
frontal des patients schizophrènes [85], dans le cortex dorsolatéral préfrontal de ces patients selon Martin-Ruiz et al. [86]. Cette
dernière étude suggère que cette diminution d’expression
protéique n’est pas corrélée aux troubles cognitifs ou aux
symptômes démentiels développés dans la schizophrénie.
Les études pharmacologiques ont permis de soutenir le rôle
des récepteurs nicotiniques dans le filtrage sensoriel humain.
L’administration de nicotine (inhalée ou ingérée) aux sujets
schizophrènes et à leurs apparentés présentant un ratio T/C ≥
0,5, a permis une amélioration transitoire des phénomènes
inhibiteurs [87, 88].
Il était donc tentant de spéculer que, chez l’homme, une
anomalie d’expression ou de structure du gène codant cette
sous-unité a-7 puisse jouer un rôle dans la défaillance des
mécanismes cérébraux inhibiteurs. Le locus du gène codant
pour cette sous-unité est situé en 15q13-14. Une étude portant
sur neuf familles présentant plusieurs sujets schizophrènes a fait
état d’une liaison génétique entre un polymorphisme situé à
proximité de ce gène et l’absence de diminution ou la faible
diminution de l’onde P50 après le second stimulus [89]. Cette
8
liaison n’est pas retrouvée lorsque le phénotype « schizophrénie » est considéré [90] , ce qui est compréhensible si l’on
considère que l’anomalie électrophysiologique n’est qu’un trait
prédisposant à la maladie. Un faisceau d’arguments convergents
conférait donc à ce gène le statut de gène candidat responsable
du déterminisme de l’endophénotype.
Gène CHRNA7, gène candidat
pour l’endophénotype « défaut d’inhibition
de l’onde P50 »
Considérant le rôle du récepteur a-7 nicotinique comme
majeur dans la physiopathologie du filtrage sensoriel et des
troubles attentionnels présentés par les patients schizophrènes,
de nombreux auteurs ont tenté de répliquer les résultats de
l’équipe de Freedman [89]. Leonard et al. [91] ont réalisé une
étude de liaison non paramétrique, a priori plus puissante
qu’une étude de liaison classique pour l’étude d’une maladie au
déterminisme complexe telle que la schizophrénie. Cette
analyse de paires de germains au sein de 20 familles a permis
de montrer que le polymorphisme D15S1360 [89] était plus
souvent hérité par ces individus que ne l’aurait voulu le hasard.
Cependant, l’analyse de liaison génétique entre ce polymorphisme et la pathologie schizophrénique parmi les 20 familles
incluses se révéla, là encore, négative.
De nombreuses études de liaison ont confirmé l’implication
de la région chromosomique 15q14 dans le déterminisme
génétique de la schizophrénie, au sein de populations très
diverses [92-95].
Deux autres équipes ont échoué à répliquer cette liaison
génétique entre des marqueurs polymorphiques proches du
gène CHRNA7 et le phénotype de schizophrénie ou trouble
schizoaffectif [90, 96]. De telles difficultés de réplication peuvent
s’expliquer par la méthodologie utilisée : les études paramétriques de liaison qui reposent sur une connaissance préalable des
relations génotype/phénotype, ce qui n’est pas le cas pour la
schizophrénie, ne semblent pas statistiquement valides pour
l’étude des maladies à hérédité complexe [97].
En revanche, aborder la recherche du déterminisme génétique
par l’étude d’un endophénotype tel que le défaut d’inhibition
de l’onde P50 des potentiels évoqués auditifs permet de
s’affranchir de ces difficultés et autorise l’utilisation des
méthodes de génétique classique, considérant ce trait comme
issu d’une transmission plus classique, voire mendélienne [97]. À
partir de la description du gène codant pour la sous-unité
a-7 [98] du récepteur nicotinique CHRNA7, dans notre équipe,
Raux et al. [99] ont recherché la possibilité d’une association
entre un polymorphisme situé sur ce gène et l’anomalie du
filtrage sensoriel mesurée par le ratio T/C chez des patients
schizophrènes caucasiens comparativement à des sujets témoins
appariés. Ces auteurs ont pu montrer une association significative entre un polymorphisme porté par le gène CHRNA7-like
(issu pour partie d’une duplication du gène CHRNA7) et le
défaut d’inhibition de l’onde P50, alors que ce même polymorphisme ne semble pas associé au phénotype « schizophrénie ».
Cette étude fut la première à rechercher une telle association
entre un gène candidat et l’anomalie électrophysiologique
mesurée chez des patients schizophrènes. Cette étude souligne
la complexité de la cascade biologique impliquée dans le
déterminisme de cet endophénotype mais permet d’appréhender plus finement la physiopathologie de la maladie et les
mécanismes neurobiologiques à l’origine de certains symptômes. Deux autres études d’association plus récente se sont
intéressées à la région promotrice du gène codant pour la sousunité a-7 du récepteur nicotinique. Leonard et al. [100] rapportent l’association de polymorphismes situés dans la région
promotrice du gène CHRNA7 (et non le gène CHRNA7-like) avec
le ratio anormal de l’onde P50. Houy et al. [101] ont tenté de
reproduire ces résultats dans une population plus importante. À
l’inverse de Leonard et al. [100], ce second travail serait en faveur
d’un effet protecteur d’un polymorphisme décrit comme
délétère par la première équipe, soulignant une fois de plus la
complexité du déterminisme génétique de l’anomalie électrophysiologique présentée par les patients schizophrènes. Plusieurs
Psychiatrie
Onde P50 dans la schizophrénie ¶ 37-285-A-14
gènes ont par ailleurs été identifiés ou étudiés dans cette région
chromosomique 15q14 et se révèlent impliqués dans des
pathologies neurologiques, des retards mentaux congénitaux
associés à des troubles du comportement, des épilepsies congénitales ou encore le trouble bipolaire de l’humeur [102]. Un seul
autre gène de cette région, codant pour un récepteur nicotinique semble associé à la schizophrénie dans une étude de liaison
(haplotype CHRM5/CHRNA7) jusqu’ici non répliquée.
[9]
[10]
[11]
[12]
■ Conclusion
Ce faisceau d’arguments permet de penser que le paradigme
de l’onde P50 des potentiels évoqués auditifs décrit par Freedman répond effectivement à la définition de phénotype intermédiaire, ou endophénotype, notion particulièrement
intéressante pour mener des études en génétique de la schizophrénie. Les mécanismes inhibiteurs mis en jeu pourraient
faire intervenir les synapses cholinergiques de l’hippocampe, en
référence au modèle animal. Les récepteurs cholinergiques
nicotiniques de type a-7 y semblent plus particulièrement
impliqués.
L’inhibition de l’onde P50 des potentiels évoqués auditifs
mesurable en électrophysiologie pourrait résulter d’interactions
complexes entre plusieurs neurotransmetteurs (GABA, noradrénaline, dopamine...). De plus, les afférences glutamatergiques et
GABAergiques des interneurones de l’hippocampe semblent
largement modulées par des récepteurs cholinergiques nicotiniques, ce qui ouvre aussi des perspectives intéressantes en termes
de pharmacologie clinique tant dans les pathologies neurologiques (maladie de Parkinson, maladie d’Alzheimer, maladie de
Gilles de la Tourette) que dans les schizophrénies. Sur un plan
fondamental, parvenir à définir la cascade biologique à l’origine
de ce phénotype permettra d’ouvrir le champ des gènes candidats impliqués dans certains symptômes cognitifs de la schizophrénie et d’enrichir les données de la recherche en génétique
de la schizophrénie.
Outre l’intérêt étiopathogénique d’un tel endophénotype,
l’utilisation de tests attentionnels, électrophysiologiques, voire
biologiques génétiquement déterminés pourrait, dans l’avenir,
guider les cliniciens dans leurs stratégies diagnostiques précoces
dans la définition de populations « à risque » de développer la
schizophrénie, identifiées grâce à ces marqueurs associés à des
symptômes prodromiques.
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F. Thibaut ([email protected]).
Service hospitalo-universitaire de psychiatrie, Inserm U614, CHU Charles-Nicolle et CH du Rouvray, UFR de Médecine, 1, rue de Germont, 76000 Rouen,
France.
Toute référence à cet article doit porter la mention : Houy E., Thibaut F. Onde P50 dans la schizophrénie. EMC (Elsevier Masson SAS, Paris), Psychiatrie,
37-285-A-14, 2007.
Disponibles sur www.emc-consulte.com
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