A Athènes, un hôtel récupéré accueille les migrants

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A Athènes, un hôtel récupéré accueille les migrants
Grèce
A Athènes, un hôtel récupéré accueille les
migrants
Le City Plaza Hotel, dans le centre d'Athènes, a été récupéré par des militants
pour y loger plus de 400 migrants. Le bâtiment à l'abandon depuis des années
s'est transformé en lieu de vie collectif et autogéré, où les réfugiés trouvent
hébergement, nourriture et soins médicaux.
Maria-Christina Makrandreou depuis Athènes (17/10/2016)
De l’extérieur, c’est un hôtel normal. Seul le linge suspendu aux balcons indique que l’endroit est
spécial. Le 22 avril 2016, les sept étages du City Plaza Hotel, un établissement abandonné
depuis sept ans dans le centre d'Athènes, ont été récupérés par «solidarity2refugees», une
coalition de citoyens et de groupes de gauche pour y loger des migrants. De 115 personnes le
premier jour, le nombre de migrants hébergés est rapidement passé à 420 (dont 180 mineurs),
soit quatre ou cinq personnes par chambre. Des conditions d'accueil qui ne sont pas idéales pour
un séjour permanent mais qui restent bien meilleures que celles existant dans beaucoup des
camps installés en Grèce.
City Plaza fait partie de cette multitude d’initiatives citoyennes qui ont émergé en Grèce depuis
2015 pour protester contre la détention des migrants ou leur isolement dans des camps et pour
exiger que les réfugiés bénéficient d’un logement décent dans les villes, avec accès aux soins de
santé, à l'éducation et aux services sociaux. City Plaza se considère aussi comme «partie
prenante du mouvement de solidarité européenne et internationale qui défie la militarisation des
frontières et l'externalisation des politiques d'asile. Proposer des solutions peu coûteuses pour
des conditions de vie dignes est aussi une réponse politique à d’autres initiatives prises par l’Etat
et des ONG», insistent les membres du collectif.
Pas de ghettos
Un groupe de militants monte la garde au rez-de-chaussée, un autre se tient derrière le guichet
de la réception pour y accueillir les bénévoles – ils sont environ 70 à s’impliquer sur une base
régulière - et les visiteurs: Giorgos, chargé de la logistique, reçoit un groupe de Français qui est
déjà venu plusieurs fois pour filmer la vie au City Plaza. Juste à côté, autour d’une table, un
groupe prépare le «Journal de bord du City Plaza autogéré».
Au premier étage se trouvent la cuisine, la salle à manger et une salle à usages multiples:
garderie, salle de réunion et lieu de convivialité. Une centaine d'enfants, dont cinq nouveau-nés,
sont hébergés dans l'hôtel, avec leur famille. «C'est une de nos plus grandes préoccupations,
après la nourriture: comment faire tenir en place cent gamins», plaisante Giorgos. Depuis la
rentrée de septembre, certains vont à l’école et bénéficient le soir du soutien, surtout linguistique,
de bénévoles.
Les quelque 420 migrants hébergés dans l'hôtel sont principalement Syriens, Kurdes et Afghans,
mais certains viennent aussi d'Iran, d'Irak de Somalie et d’Erythrée. Seules 11 personnes ont été
relocalisées en Grèce depuis avril. La plupart n'ont pas de titre de séjour et une majorité d'entre
eux n'a pas déposé de demande d’asile car ils ne souhaitent pas rester en Grèce. Certains
d’entre eux ont déjà de la famille en étranger et souhaitent la rejoindre. S'ils restent ici, les
chances de trouver un emploi et de pouvoir subvenir à leurs besoins sont minces. Par ailleurs, le
passage de la frontière est de plus en plus difficile et de plus en plus coûteux, trop coûteux pour
les habitants de l'hôtel.
L'hôtel squatté accueille des personnes de nationalités mais aussi d’origines sociales variées:
avant de fuir leur pays, les Syriens appartenaient souvent à la classe moyenne, les Iraniens
étaient plutôt des ouvriers, les Kurdes syriens généralement des paysans. La vie commune ne va
donc pas sans quelques tensions, mais les conflits restent limités. Pour ne pas créer de ghettos,
chaque étage accueille plusieurs nationalités. Et les règles sont strictes: en cas de violence
domestique par exemple, les intéressés sont immédiatement expulsés de l’hôtel.
Des règles ont aussi été fixées quant aux relations avec la population du quartier. A l’entrée
principale, une grande affiche proclame en grec, en arabe et en farsi: «Ne pas faire de bruit et
respecter les voisins».
Autogestion
Dans le hall du premier étage, un impressionnant planning des tâches est affiché au mur, autour
d’un même slogan: «Tout le monde participe à tout». L'hôtel se veut être un lieu de vie collectif et
autogéré, avec une rotation des tâches et des règles de vie communes que migrants comme
bénévoles se doivent de respecter.
Les principes de cette autogestion «horizontale» sont les suivants: une équipe de coordination;
une «assemblée générale» hebdomadaire ouverte à tous, y compris aux autres collectifs
participants; une assemblée des réfugiés pour prendre des décisions sur le fonctionnement de
l’hôtel; plusieurs groupes de travail chargés respectivement de la logistique (nourriture et
approvisionnement divers), de l’accueil, de la surveillance, de l’entretien du bâtiment et de la
gestion financière.
Pour l'organisation de la vie quotidienne et pour les assemblées générales, des bénévoles
assurent la traduction en arabe et en farsi. La rotation des tâches se fait par chambre. Ceux qui à
trois reprises manquent à leur responsabilité doivent quitter l’hôtel. «On tient à faire passer le
message que ce n’est pas une structure d’assistanat où tout est payé par l’Etat, avec des
employés qui fournissent des services», précise Giorgos qui ajoute: «je dois dire que pour des
raisons culturelles les hommes ont parfois plus de mal à saisir le message».
Quelques chambres sont utilisées par les bénévoles qui dorment sur place et par les visiteurs
internationaux - Espagnols, Français et Allemands surtout - qui viennent observer et participer à
l’expérience. Les militants partagent les repas avec les migrants, ce qui représente plus de 1 000
portions à servir chaque jour. C'est l'enjeu le plus important pour le moment et la préoccupation
principale quotidienne de Giorgos - s'assurer qu'il y ait assez nourriture pour tout le monde.
«A la réception, il y a une tirelire pour ceux qui veulent donner de l’argent, mais c’est pour les
besoins immédiats», explique Giorgos. «En général, on préfère ne pas gérer d’argent. On laisse
cela aux internationaux qui organisent des financements participatifs dans leur pays. Ici, on
privilégie les contributions en nature et en services.»
Outre ces dons d'argent qui permettent d'acheter des provisions, certains commerçants des
marchés vendent leurs produits à des prix très bas en solidarité et des poissonniers donnent
leurs invendus.
L'hôtel fournit également des soins médicaux: chaque après-midi, des médecins, psychologues
et pédiatres bénévoles viennent consulter. La caravane de Solidarité France-Grèce pour la santé
a apporté des médicaments. Tout récemment, les enfants ont été vaccinés grâce à une donation.
Solidarité
Le projet a été longuement discuté parmi les militants: s'engager dans une telle opération
signifiait s'impliquer très fortement pour un temps indéfini et se confronter à de nombreux
problèmes qu'il est impossible d'anticiper (combien de migrants resteront? Combien de temps le
squat tiendra-t-il?). Le City Plaza Hotel était à l'abandon depuis sept ans, après que le
propriétaire ait fait faillite. Les employés de l'hôtel n'ont pas été payés pendant un an et demi
avant la fermeture. Légalement, si les murs sont restés au propriétaire, les meubles et
l'équipement appartiennent désormais aux anciens employés, en dédommagement des salaires
non perçus. Le jour de l'ouverture du squat, le propriétaire est venu sur les lieux pour menacer
les militants et a déposé une plainte en justice. Les anciens employés, quant à eux, se sont
rendus à l'hôtel pour se déclarer solidaires des migrants, en affirmant que leur propriété était
utilisée pour la bonne cause.
Pour l’exemple
L'hôtel est situé près de la place Victoria, dans un quartier déshérité d'Athènes qui compte
plusieurs autres bâtiments abandonnés. Tenir un squat pour y accueillir des migrants revêt un
sens particulier à cet endroit: il y a quelques années, c'était une des zones d'influence du parti
néo-nazi Aube Dorée, qui y a mené des ratonnades. Le climat a changé après l'assassinat du
rappeur militant Pavlos Fissas et les procès des dirigeants d'Aube Dorée, mais les bénévoles de
l'hôtel restent très vigilants et organisent des rondes toutes les nuits.
Les relations entre les occupants de l'hôtel et les habitants du quartier sont plutôt bonnes. Certes,
le jour de l'ouverture du squat, des riverains sont venus se plaindre et insulter les militants. Mais
l'hôtel semble maintenant plutôt bien accepté: le voisin qui était le plus virulent le jour de
l'ouverture du squat est même revenu quelques jours plus tard pour s'excuser et féliciter les
bénévoles!
Durant l’été, une grande fête musicale a été organisée sur la place principale du quartier pour
sensibiliser la population locale. Les gens du quartier apportent maintenant des vêtements et des
médicaments. En général, ils ne donnent pas d’argent, étant donné la crise et leur situation
défavorisée.
Mais combien de temps durera l’expérience du Plaza? Le squat pourrait être démantelé n’importe
quand. Le collectif aura-t-il alors encore assez d’énergie pour réinvestir un autre bâtiment et tout
recommencer? Quoi qu’il en soit, solidarity2refugees souhaite donner autant de publicité qu’il
peut au projet car plus il sera connu, moins il risquera de prendre fin.
La récupération du City Plaza n'est pas qu’une démarche humanitaire: elle permet d'offrir un
hébergement, mais aussi et surtout de «donner l’exemple» en ouvrant un lieu de vie collectif,
auto-organisé et transparent. En matière de migration, Giorgos résume ainsi la position commune
des bénévoles: «liberté de circuler et droit de rester».
Sources: visites sur place, interviews, solidarity2refugees, NPA.
Photos: solidarity2refugees, Patricia Fillat, Nicola Zolin/IRIN.