Le discours d`Emmanuelle Cosse dans son intégralité : Discussion

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Le discours d`Emmanuelle Cosse dans son intégralité : Discussion
Ministre du Logement et de l’Habitat durable
Seul le prononcé fait foi
Paris, le lundi 27 juin 2016
DISCOURS d’Emmanuelle COSSE
Discussion générale du projet de loi Egalité Citoyenneté
Monsieur le Président,
Mesdames, Messieurs les rapporteurs,
Mesdames et messieurs les député-e-s,
A mon tour je viens vous présenter une des briques du grand édifice du projet de loi
Egalité et citoyenneté. Cet édifice est vaste parce que son ambition est grande : agir
concrètement pour le plus bel objectif politique qui soit, celui du vivre-ensemble.
Nous devons partager un constat : le goût de faire ensemble, l’esprit collectif, la
fraternité sont affaiblis et font l’objet d’attaques. Il y a bien sûr les formes extrêmes de
violence qui visent à effriter les fondements de notre démocratie et à nous ériger les
uns contre les autres. Mais se fait jour aussi un mouvement général de lassitude de
l’autre, qui n’est pas franco-français mais existe largement en Europe.
Ce qui fonde ce projet de loi et en l’espèce son titre II, c’est de trouver des réponses
face à cette tentation du repli et de l’entre-soi, car la manière dont nous faisons
société s’incarne particulièrement dans la façon dont nous occupons et partageons les
espaces publics qui relient les espaces intimes entre eux.
Ce texte a fait l’objet d’un travail approfondi en commission spéciale. Je tiens à ce titre
à remercier la présidente, les rapporteurs et l’ensemble des parlementaires qui ont
travaillé à l’enrichissement de ce texte. L’abondante production d’amendements en
commission et en séance atteste de votre engagement !
55 rue Saint Dominique – 75007 PARIS
www.territoires.gouv.fr
Nous devons être collectivement au rendez-vous du logement abordable et je suis
certaine que nos travaux le permettront. Le défi qui nous est posé est décisif et s’inscrit
dans une perspective de reconquête : faire du logement social le pivot d’un nouveau
pacte urbain.
Des premières lois sur l’habitat social à la fin du 19ème siècle jusqu’à la loi ALUR, en
passant par la loi Besson de 1990 ou la loi SRU dont nous avons fêté le 15e anniversaire, il
nous faut réaliser un nouveau pas vers la construction d’une société plus inclusive,
plaçant l’habitat abordable au cœur de son projet de développement.
En 1894, la loi Siegfried initie un pont inédit entre le travail et l’habitat pour loger la
classe ouvrière. Cet indissociable lien entre logement abordable et monde de l’emploi
ne cessera de se conforter tout au long du 20ème siècle jusqu’à la récente réforme
d’Action Logement, ici même il y a quelques semaines. Mais durant les années 1920 et
1930 la politique du logement est saisie par la question urbaine même s’il faut attendre
la période de reconstruction pour que l’Etat, poussé par la société civile et l’Abbé
Pierre, lance d’immenses chantiers afin de répondre à la crise des sans-logis et des
bidonvilles. Il fallait construire, construire en masse et pour tout le monde. Construire de
manière « industrielle » pour aller vite, au risque de créer des lieux qui deviendront plus
tard des lieux d’exclusion.
Hélas le chômage est passé par là, l’idéal des grands ensembles a tourné court et ce
qui devait être un urbanisme de rêve – sans voiture, avec un espace pour chaque
fonction, des logements spacieux et lumineux, l’abolition de la rue… - s’est mué en
relégation sociale. La diversité sociale qui était la clé du succès de ces quartiers s’est
peu à peu effacée. Les plus aisés sont partis. Puis les moins aisés mais qui en avaient
quand même la possibilité. Ne sont restés que ceux qui n’ont plus eu d’autre choix. Ce
n’est pas tout de construire, encore faut-il prendre soin du devenir des immeubles, des
quartiers, et surtout des familles qui y vivent.
L’histoire du logement social est ainsi le résultat d’une tension entre une vision
universaliste, idéaliste et qui fait la spécificité du modèle français, et une pratique
résiduelle, tendant à consacrer le logement social aux seuls pauvres. Au cœur de
cette tension : l’accession à la propriété privée qui est dans notre imaginaire le seul
parcours résidentiel réussi.
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Pour ma part, je crois que nous pouvons nous accorder sur une approche généraliste
qui est celle du logement social en France.
Oui le logement social a une vocation sociale. Non il ne doit pas rassembler qu’un seul
type de population. Oui il doit tenir l’impératif du droit au logement opposable ET de la
mixité sociale, comme le logement privé d’ailleurs.
Rappelons que le logement social est potentiellement le logement d’une grande
majorité de Français : 70% d’entre eux ont un revenu inférieur au plafond de
ressources : c’est-à-dire qu’ils gagnent par exemple moins de 2200 € à deux pour un
couple sans enfant, 2900 € en Ile de France.
Rappelons aussi que le logement social tient aussi un rôle économique majeur, contracyclique en période de crise : le secteur du bâtiment est le fer de lance de la reprise.
Je veux ici insister sur la qualité des bâtis et la performance thermique, de 30%
supérieure dans le parc social à l’ensemble du parc résidentiel. Le logement social
n’est pas un logement au rabais mais un logement de qualité et d’innovation.
Rappelons enfin que si l’attention porte tant sur le logement social aujourd’hui, c’est
que pendant trop longtemps, on a cru aux bienfaits d’un marché du logement qui
s’équilibrerait tout seul. Nous savons bien ce qu’il en est encore aujourd’hui : comme
l’a rappelé en 2013 le rapport de Louis Gallois sur les freins à la compétitivité, la cherté
du logement en France et le manque de logement abordable est un frein à la mobilité
professionnelle et donc à l’emploi. Les grandes vagues spéculatives ont eu des effets
fous sur les marchés locatifs, comme on a pu l’observer toutes les années 2000 dans les
métropoles. La production d’un logement abordable, en social comme dans le privé
est la clé pour sortir de cette crise du logement que nous connaissons.
C’est pourquoi, depuis 2012, le gouvernement a engagé une mobilisation générale
pour le logement. Récemment encore, le Gouvernement a tenu ses engagements et
sécurisé les financements : à côté des aides à l’accession et à l’investissement locatif, il
a consolidé les aides à la pierre par une participation affirmée de l’Etat et des bailleurs
sociaux et mis en place un dispositif de prêts de hauts de bilan pour accompagner les
bailleurs sociaux les plus volontaristes en matière de production et de réhabilitation.
Nous pouvons nous réjouir d’avoir atteint l’an dernier une production de 120 000
logements sociaux neufs et engagé la programmation de 140 000 pour l’année 2016.
Au total, social et privé, ce sont près de 398000 logements qui auront été autorisés
d’avril 2015 à avril 2016.
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Mesdames et Messieurs les député-e-s,
Aujourd’hui, nous inscrivons nos pas dans ceux de nos aînés. Ils ont – avec courage –
obligé toute les communes à participer à la solidarité nationale en construisant du
logement social partout où il y en a besoin. Je veux rendre hommage à Louis Besson et
à toutes celles et ceux qui ont œuvré à ses côtés à la loi Solidarité et renouvellement
urbains en 2000. Elle est un pilier de notre droit au logement abordable et un texte
fondateur en matière de mixité sociale.
Il nous revient désormais de la prolonger. Non plus seulement pour construire mais pour
habiter partout.
Tout est fait pour construire plus de logements. Il s’agit maintenant de renforcer les
leviers qualitatifs des politiques de l’habitat au bénéfice de ceux qui les occupent.
Nous pensions à la structure du logement, veillons désormais mieux à ce qui l’entoure :
le voisinage, les écoles, les services publics, les rues, les commerces. Intégrons les enjeux
de mobilité qu’elle soit quotidienne ou résidentielle.
Faire la ville ce n’est pas que construire des murs et des toits, c’est aussi contribuer aux
liens entre habitants. Or force est de constater que les fractures de notre société se
révèlent aussi dans ses murs et dans l’organisation spatiale de ses villes.
On peut vivre aujourd’hui en France dans une agglomération urbaine tout en étant
coupé du monde. Toutes les régions de France connaissent des quartiers enclavés où
les habitants se considèrent comme les grands oubliés de la République, où l’on vit
comme assigné à résidence… L’apartheid dont parlait le Premier ministre après les
attentats de Charlie est une réalité.
Il est non seulement la résultante des logiques urbaines datées mais également de
logiques de ségrégation entretenues parfois délibérément. Certains élus, aiguillonnés
par leur population, modèlent leur territoire avec autant de murailles invisibles mais bien
étanches, en bloquant des programmes de logements sociaux ou encore un projet de
transport en commun qui créerait un pont avec un quartier populaire.
J’ai noté que nombre d’amendements déposés par l’opposition visaient à démanteler
la loi SRU ou encore à rendre plus difficile la mise en place des aires d’accueil des gens
du voyage.
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Je vous le dis ici, et je le dis aux Français, l’objectif de ce projet de loi est justement de
renforcer les ressorts du vivre ensemble. Avec des logiques de solidarité qui doivent
s’imposer à toutes et tous, car il n’y a pas de ghettos de pauvres sans ghettos de riches.
Au moment où les échelles d’intervention publique évoluent, avec la mise en œuvre
d’une réforme intercommunale majeure, mon objectif est d’encourager les acteurs des
territoires, à commencer par les élus locaux, qui font de la diversité une richesse. Des
villes qui intègrent ceux qui sont « hors des circuits de la vie sociale », pour reprendre
une expression de Louis Besson.
Après la loi SRU, la loi Egalité et Citoyenneté est une étape supplémentaire vers la
constitution de bassins de vie équilibrés et hospitaliers. Dans la lignée de la loi ALUR qui
a consacré la responsabilisation accrue des acteurs locaux, mais également de la loi
de janvier 2013 relative à la mobilisation du foncier, elle vise à s’appuyer sur les points
forts des territoires pour mettre en place des politiques de peuplement en dentelle,
fines et adaptées aux besoins spécifiques des habitants en fonction des territoires.
En ce sens, ce projet de loi vous propose d’agir sur l’offre de logements, en veillant à sa
bonne répartition spatiale et sa diversité. Mais il propose aussi d’agir sur le parc social
existant, en réformant les attributions des logements sociaux et les politiques de loyers,
afin qu'elles constituent des leviers justes et équitables de mixité sociale.
Pour cela, un meilleur pilotage des attributions sera mis en place. 25% des attributions
réalisées en dehors des QPV devront être destinées aux 25% des ménages les plus
pauvres du fichier de demandeurs de logement social.
Cette mesure forte, qui vient s’ajouter à l’objectif, rehaussé par la loi Mobilisation
Foncier public, de production de 20 voire 25% de logements locatifs sociaux dans
chaque commune, permettra aux ménages modestes d’accéder à des quartiers qui
leurs sont aujourd’hui le plus souvent interdits.
Afin de tenir compte des spécificités locales et suite à un travail approfondi avec les
députés, le gouvernement a proposé en commission que ce taux de 25% puisse être
modulé,
avec
l’accord
des
représentants
de
l’Etat,
par
les
conférences
intercommunales.
Par ailleurs, un taux similaire de 25% s’appliquera également à Action Logement et aux
collectivités territoriales afin qu’ils consacrent 25% de leurs attributions aux ménages
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prioritaires et à ceux reconnus au titre du droit au logement opposable.
Sur ce point, veillons à ne pas opposer mixité sociale et droit au logement. La
nécessaire mixité que nous appelons de nos vœux passe bien, d’abord et avant tout,
par le fait de permettre aux ménages modestes de franchir des portes qui leur sont
aujourd’hui fermées.
Mais attention à ne pas faire de la mixité un paravent de l’exclusion : refuser un
logement à un ménage prioritaire dans les QPV revient à le laisser sans solution. Ce
n’est pas ma vision des combats de la gauche. Je veux ouvrir tous les quartiers à tous
les ménages. Je ne remplacerai pas une interdiction par une autre.
Pourtant, je comprends la volonté de certains d’entre vous de travailler à des moyens
de diversifier la population dans des quartiers fragiles. Travaillons ensemble à créer du
droit positif, du droit d’accès, et non du droit de séparation et d’exclusion. Ainsi, je vous
proposerai que l’on puisse s’accorder sur un principe de définition systématique, au
niveau local, d’objectifs de diversification pour l’ensemble des publics. Afin de
répondre aux besoins de mixité que vous exprimez tout en garantissant la valeur
inclusive du logement social.
Pour permettre un meilleur partage de l’effort de relogement des ménages prioritaires
entre les différents réservataires, le projet de loi vous propose également de pouvoir
retirer, après avis du CRHH, les délégations du contingent préfectoral. Ce point a fait
débat en commission. Et j’entends les craintes que cela peut susciter dans les territoires
volontaristes. Mais, soyons clairs, cette mesure ne procède pas d’une volonté de
recentralisation. C’est un choix de cohérence pour que l’Etat puisse mobiliser
pleinement son contingent au profit de ceux qu’il est dans l’obligation de loger, au
regard du droit au logement opposable.
Le gouvernement vous propose en outre d’aller vers une plus grande transparence
dans les attributions. Les conférences intercommunales devront définir publiquement
les orientations relatives aux attributions sur leurs territoires, ainsi que les modalités de
désignation des candidats par les réservataires. Les bailleurs sociaux seront aussi obligés
de publier les logements sociaux vacants d’ici 2020 (la date a d’ailleurs été avancée
en Commission).
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Pour favoriser l’atteinte de ces objectifs ambitieux, le projet de loi prévoit d’offrir des
libertés supplémentaires aux bailleurs sociaux, pour qu’à masse des loyers constante, ils
puissent s’extraire des règles de financement d’origine des immeubles sociaux et
davantage mixer les catégories de logements et donc les loyers au sein d’un
immeuble. L’ambition est bien, au plus près du terrain, d’aller vers une mixité non
seulement à l’échelle du quartier mais également à celle de l’immeuble.
Cela permettra aux bailleurs sociaux de créer une offre de logements à bas loyers en
compensant cette baisse par ailleurs pour respecter leur équilibre économique. Il s’agit
là d’un changement décisif.
Le supplément de loyer de solidarité pour les ménages dépassant fortement les
plafonds de ressources HLM a également été renforcé afin d’améliorer la mobilité dans
les parcours résidentiels. Nous avons, je crois, trouvé en commission un compromis
entre le renforcement du SLS et la nécessaire mixité sociale que nos élus veulent
maintenir dans leurs immeubles.
Enfin, parce que la mise en œuvre de la loi SRU demeure une exigence première, il est
proposé que des moyens supplémentaires soient donnés à l’Etat pour imposer des
programmes de logements sociaux, là où la volonté politique locale est insuffisante. Je
vous rappelle que si toutes les communes déficitaires respectaient leurs objectifs, 750
000 logements sociaux seraient construits d’ici 2025 !
La procédure de carence sera clarifiée et rendue cohérente au niveau régional et au
niveau national, afin de rendre la loi SRU plus pertinente et cohérente avec les besoins
et les réalités des territoires. Le périmètre d’application sera recentré afin de supprimer
certains écueils de la loi, ce qui permettra d’être d’autant plus légitime et ferme vis-àvis des communes réfractaires à l’objectif national de mixité sociale.
Voici, Mesdames et Messieurs les députés, l’objectif de ce titre II du projet de loi Egalité
et citoyenneté. Alors que nous entamons la dernière ligne droite de ce quinquennat,
vous avez là l’opportunité d’enrichir et de voter un projet de loi de justice et de
progrès.
N’oublions jamais que l’autonomie, la réussite scolaire ou professionnelle, le bien-être,
la vie de famille, sa construction personnelle sont d’autant plus faciles qu’on a accès à
un logement digne. Avoir un chez soi au-delà d’un simple toit, c’est une exigence
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quotidienne pour des millions de nos concitoyens à laquelle nous devons toute notre
mobilisation.
Dans un contexte difficile, nous pouvons ainsi consolider les valeurs républicaines
d’égalité et d’émancipation. Aux exigences accrues en matière d’efficacité des
politiques publiques, nous pouvons offrir un pacte territorial renforcé entre Etat,
collectivités, bailleurs et usagers. A travers un égal accès à un habitat mieux partagé,
nous pouvons faire en sorte que les Françaises et les Français puissent retrouver à la fois
confiance en l’autre, et confiance en l’avenir.
Je vous remercie.
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