PsicoticMusic`Hall,musicaletpoétique
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PsicoticMusic`Hall,musicaletpoétique
L ' I N D E P E N D A N T D I M A N C H E 1 7 N O V E M B R E 2 0 0 2 27 ingt-cinq ans que Pascal Comelade partage sa vie avec la musique, et depuis le premier album très électronique (1975), il a multiplié les expériences, les rencontres et les aventures, sans jamais renier ni sa catalanité, ni sa culture rock, tout en préservant farouchement sa liberté de créateur de musique instrumentale. Aujourd’hui, il est sous licence chez Delabel (Virgin), "C’est un luxe pour moi d’être chez Virgin depuis dix ans et de ne pas m’être fait éjecter", et son dernier opus, porté par une large couverture médiatique et un concert à la Cigale, fait partie des événements de cette rentrée discographique. Pourtant, Pascal Comelade de- V meure inclassable et totalement hors norme dans le marché du disque. "Je suis un type totalement tributaire de la promotion. Je fais une musique sans image, une musique très facile d’accès et très difficile à véhiculer. Ce n’est pas du jazz, ni du classique, ni du traditionnel, ni de la world. Au Megastore de Montpellier, mes disques se retrouvent au rayon musiques de relaxation… Ça peut paraître exaltant d’être inclassable, mais la réalité, c’est que la musique instrumentale se retrouve dans les ascenseurs et les halls d’hôtel." Inspiré par des pionniers comme le Penguin Café Orchestra, se reconnaissant une filiation avec les Cramps, Pascal Comelade revendique 35 ans d’obsession musica- le et un profond attachement à la période la plus instrumentale de l’histoire du rock. "Ce n’est pas de la nostalgie, mais je suis d’une certaine époque, ma culture, c’est la radio, la musique en direct et le vinyle avec une face A et une face B. Je ne me préoccupe ni du passé, ni du présent, ni du futur. Ma musique n’est pas en phase, mais je ne suis pas le seul, il y a des milliers de musiciens qui ne sont pas en phase, et on ne parle que de musique occidentale. La notion d’avant-garde est purement occidentale." Dimension populaire. A sa façon de pratiquer une musique complètement humaine, le compositeur touche à l’universel, trouvant même une écoute au Japon où il donna plusieurs concerts. PsicoticMusic’Hall,musical et poétique 왎 Après deux années d’éclipse, Pascal Comelade nous offre certainement avec "Psicotic Music’Hall" son meilleur album, tout du moins le plus dense et le plus abouti. Quatorze titres comme quatorze éclats d’un petit bijou parfaitement ciselé. Un enregistrement fait en une prise au Studio Octave de Canohès par Jérôme Wahart et auquel ont participé quelques musiciens amis, car Pascal Comelade est un artisan de la musique, travaillant chez lui. "J’essaye de tout faire seul, et après je fais appel aux instrumentistes. Au début je travaillais avec un Revox, maintenant, je n’ai plus qu’un piano et un minicassette, mais ma manière n’a pas changé. Quant au studio, j’utilise à peine 1 % de ses capacités. La partie intéressante de mon boulot, c’est lorsque c’est le plus direct, le plus brut possible. Mon rapport avec le rock est là, dans cet archaïsme." Pour cet autodidacte qui se dit un "non technicien de la musique", la composition commence par des listes de choses à ne pas faire. Sinon, pas de partition, pas d’orchestration, juste quelques indications d’accords pour mémoire. Une mélodie naît sur le piano et avec l’inspiration, viennent se rajouter des instruments, des couleurs, des sonorités. Les musiciens qui l’accompagnent doivent être capables de s’adapter immédiatement, à l’oreille, au feeling. Pascal Comelade, grand consommateur de livres d’images, se dit très influencé par la peinture et pas du tout inspiré par le paysage, les scènes de la vie quotidienne ou les ambiances. Et c’est toute la quintessence de ce monde intérieur, de cette secrète alchimie que l’on retrouve dans "Psicotic Music’Hall". Plus que jamais décalé, toujours à la limite de la dissonance, Pascal Comelade réussit un magnifique concentré de sa culture musicale. Flonflons de fête foraine et de cirque, accordéon triste de la chanson réaliste, guitare acide du bon vieux rock and roll, trompette bouchée, clarinette sensuelle pour un mambo caliente, le compositeur réalise un kaléidoscope chatoyant où l’on passe d’un slow déchiré à un ska tonique, d’une valse à l’accent italien à un rock éraillé. Pascal Comelade superpose les sons et les couleurs, construit un labyrinthe de références sans pour autant tomber dans le piège du catalogue. En quarante secondes ou en trois minutes, le musicien catalan place un décor, une ambiance et déclenche la mécanique de notre imaginaire. D’une unique note de triangle, il ouvre d’immenses brèches dans notre mémoire collective, faisant affluer les images de notre petit cinéma intérieur. Et avec ce dernier recueil d’émotions, Pascal Comelade nous donne sa vision poétique du music-hall, lieu un peu désuet et populaire, à la croisée de beaucoup d’expressions artistiques. "Psicotic Music’Hall", l’album le plus personnel d’un auteur hors norme qui continue d’enrichir le patrimoine de la musique instrumentale. J.-M.C. De son expérience de la scène, Pascal Comelade tire une certaine satisfaction : "Ce qui me sauve, c’est qu’au bout de 20 ans, je fais quand même des concerts et que je peux le faire partout, et ça, c’est très intéressant. Il y a là une vraie pratique populaire de la musique car elle peut se jouer dans un théâtre à l’italienne, sur une place, dans un café, dans la rue, dans un hôpital psychiatrique. Ce qui me sauve aussi, c’est que toute ma vie, j’ai fréquenté des musiciens sans entraves, ayant une pratique libertaire." La musique de Pascale Comelade est immédiatement identifiable, dès les premières notes, comme Nino Rota pour lequel il nourrit une grande admiration. "Être géographiquement situable, avoir une écriture personnelle et créer à partir de musiques populaires de son époque ou du passé, voilà le rêve absolu, inventer son propre langage, deux notes et on te reconnaît." Paris-Barcelone. Le Catalan n’a pas l’âme voyageuse même s’il avoue être stable seulement depuis la naissance de sa fille. Il vient de quitter son fief de Vernet- les-Bains afin d’être plus près de tout, "Je me déplace de plus en plus", en s’installant du côté de Céret. Et même si Montpellier et Paris ont été des ports d’attache, Barcelone reste sa ville. "Je ne me suis jamais vraiment fixé quelque part, mais Barcelone a toujours été ma capitale, la première grande ville où je suis allé étant enfant et en 1974, j’ai fait le choix d’y vivre. 80 % de mon activité se fait là-bas. J’y ai habité à 4 ou 5 reprises et si j’avais été moins chaotique, je m’y serais installé définitivement." Dernièrement, il donnait un concert sur le parvis de la cathédrale de Barcelone devant 6 000 personnes. Equilibriste. Quiconque a assisté à un concert de Comelade a le sentiment d’avoir vécu un moment à l’équilibre précaire, où le dérapage, l’accident est possible à chaque instant. "Je n’aime pas les tournées, je n’aime pas répéter, je ne suis pas un musicien de scène. Si on s’installe dans une espèce de fonctionnement, il n’y a aucun intérêt à être sur scène. Chaque concert se fait dans la douleur, il peut y avoir l’accident à tout moment. La part instrumentale de ce que je peux faire est générée par cette mise en danger. Le fait d’avoir de bons musiciens me permet d’être plus à l’aise sur scène, je crois que j’ai évacué une part du trac, de la peur de se planter." Il reste l’éternel problème de son impossibilité à communiquer avec le public. "C’est quasiment politique ce refus du piédestal. En fait je gamberge trop par rapport à la situation de scène, la mise en représentation. Je suis un grand paranoïaque, le concert n’est pas une chose normale, des gens qui payent pour voir un numéro… Je n’envisage pas la musique d’un point de vue sportif, je garde une pratique artisanale, j’évacue tout ce qui est spectaculaire." Pascale Comelade envisage pourtant de plus en plus de jouer en public, ayant trouvé les musiciens idéaux. En attendant, il nous reste une collection d’enregistrements pour mettre en branle notre boîte à images personnelle et son cortège d’émotions. Jean-Michel Collet Inclassable et immédiatement reconnaissable, Pascal Comelade demeure un orfèvre du son. Thierry Grillet