PsicoticMusic`Hall,musicaletpoétique

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PsicoticMusic`Hall,musicaletpoétique
L ' I N D E P E N D A N T
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ingt-cinq ans que Pascal
Comelade partage sa vie
avec la musique, et depuis
le premier album très électronique (1975), il a multiplié les expériences, les rencontres et les aventures, sans jamais renier ni sa catalanité, ni sa culture rock, tout en
préservant farouchement sa liberté de créateur de musique instrumentale.
Aujourd’hui, il est sous licence
chez Delabel (Virgin), "C’est un
luxe pour moi d’être chez Virgin depuis dix ans et de ne pas m’être fait
éjecter", et son dernier opus, porté
par une large couverture médiatique et un concert à la Cigale, fait
partie des événements de cette
rentrée discographique.
Pourtant, Pascal Comelade de-
V
meure inclassable et totalement
hors norme dans le marché du
disque. "Je suis un type totalement
tributaire de la promotion. Je fais
une musique sans image, une musique très facile d’accès et très difficile
à véhiculer. Ce n’est pas du jazz, ni
du classique, ni du traditionnel, ni
de la world. Au Megastore de
Montpellier, mes disques se retrouvent au rayon musiques de relaxation… Ça peut paraître exaltant
d’être inclassable, mais la réalité,
c’est que la musique instrumentale
se retrouve dans les ascenseurs et les
halls d’hôtel."
Inspiré par des pionniers comme
le Penguin Café Orchestra, se reconnaissant une filiation avec les
Cramps, Pascal Comelade revendique 35 ans d’obsession musica-
le et un profond attachement à la
période la plus instrumentale de
l’histoire du rock. "Ce n’est pas de
la nostalgie, mais je suis d’une certaine époque, ma culture, c’est la radio, la musique en direct et le vinyle avec une face A et une face B. Je
ne me préoccupe ni du passé, ni du
présent, ni du futur. Ma musique
n’est pas en phase, mais je ne suis
pas le seul, il y a des milliers de musiciens qui ne sont pas en phase, et
on ne parle que de musique occidentale. La notion d’avant-garde
est purement occidentale."
Dimension populaire. A sa façon de pratiquer une musique
complètement humaine, le compositeur touche à l’universel, trouvant même une écoute au Japon
où il donna plusieurs concerts.
PsicoticMusic’Hall,musical et poétique
왎
Après deux années d’éclipse, Pascal Comelade
nous offre certainement avec "Psicotic Music’Hall"
son meilleur album, tout du moins le plus dense
et le plus abouti. Quatorze titres comme quatorze
éclats d’un petit bijou parfaitement ciselé.
Un enregistrement fait en une prise au Studio Octave de Canohès par Jérôme Wahart et auquel ont
participé quelques musiciens amis, car Pascal
Comelade est un artisan de la musique, travaillant
chez lui. "J’essaye de tout faire seul, et après je fais appel aux instrumentistes. Au début je travaillais avec
un Revox, maintenant, je n’ai plus qu’un piano et
un minicassette, mais ma manière n’a pas changé.
Quant au studio, j’utilise à peine 1 % de ses capacités. La partie intéressante de mon boulot, c’est lorsque c’est le plus direct, le plus brut possible. Mon rapport avec le rock est là, dans cet archaïsme."
Pour cet autodidacte qui se dit un "non technicien
de la musique", la composition commence par des
listes de choses à ne pas faire. Sinon, pas de partition, pas d’orchestration, juste quelques indications d’accords pour mémoire.
Une mélodie naît sur le piano et avec l’inspiration,
viennent se rajouter des instruments, des couleurs,
des sonorités. Les musiciens qui l’accompagnent
doivent être capables de s’adapter immédiatement, à l’oreille, au feeling.
Pascal Comelade, grand consommateur de livres
d’images, se dit très influencé par la peinture et pas
du tout inspiré par le paysage, les scènes de la vie
quotidienne ou les ambiances.
Et c’est toute la quintessence de ce monde intérieur, de cette secrète alchimie que l’on retrouve
dans "Psicotic Music’Hall".
Plus que jamais décalé, toujours à la limite de la
dissonance, Pascal Comelade réussit un magnifique concentré de sa culture musicale.
Flonflons de fête foraine et de cirque, accordéon
triste de la chanson réaliste, guitare acide du bon
vieux rock and roll, trompette bouchée, clarinette
sensuelle pour un mambo caliente, le compositeur
réalise un kaléidoscope chatoyant où l’on passe
d’un slow déchiré à un ska tonique, d’une valse à
l’accent italien à un rock éraillé.
Pascal Comelade superpose les sons et les couleurs, construit un labyrinthe de références sans
pour autant tomber dans le piège du catalogue.
En quarante secondes ou en trois minutes, le musicien catalan place un décor, une ambiance et déclenche la mécanique de notre imaginaire. D’une
unique note de triangle, il ouvre d’immenses brèches dans notre mémoire collective, faisant affluer
les images de notre petit cinéma intérieur.
Et avec ce dernier recueil d’émotions, Pascal
Comelade nous donne sa vision poétique du
music-hall, lieu un peu désuet et populaire, à la
croisée de beaucoup d’expressions artistiques.
"Psicotic Music’Hall", l’album le plus personnel
d’un auteur hors norme qui continue d’enrichir le
patrimoine de la musique instrumentale.
J.-M.C.
De son expérience de la scène,
Pascal Comelade tire une certaine satisfaction : "Ce qui me sauve,
c’est qu’au bout de 20 ans, je fais
quand même des concerts et que je
peux le faire partout, et ça, c’est très
intéressant. Il y a là une vraie pratique populaire de la musique car elle peut se jouer dans un théâtre à
l’italienne, sur une place, dans un
café, dans la rue, dans un hôpital
psychiatrique. Ce qui me sauve aussi, c’est que toute ma vie, j’ai fréquenté des musiciens sans entraves,
ayant une pratique libertaire."
La musique de Pascale Comelade
est immédiatement identifiable,
dès les premières notes, comme
Nino Rota pour lequel il nourrit
une grande admiration. "Être géographiquement situable, avoir une
écriture personnelle et créer à partir
de musiques populaires de son époque ou du passé, voilà le rêve absolu, inventer son propre langage,
deux notes et on te reconnaît."
Paris-Barcelone. Le Catalan n’a
pas l’âme voyageuse même s’il
avoue être stable seulement depuis la naissance de sa fille. Il
vient de quitter son fief de Vernet- les-Bains afin d’être plus près
de tout, "Je me déplace de plus en
plus", en s’installant du côté de Céret. Et même si Montpellier et Paris ont été des ports d’attache, Barcelone reste sa ville. "Je ne me suis
jamais vraiment fixé quelque part,
mais Barcelone a toujours été ma
capitale, la première grande ville
où je suis allé étant enfant et en
1974, j’ai fait le choix d’y vivre.
80 % de mon activité se fait là-bas.
J’y ai habité à 4 ou 5 reprises et si
j’avais été moins chaotique, je m’y
serais installé définitivement."
Dernièrement, il donnait un concert sur le parvis de la cathédrale
de Barcelone devant 6 000 personnes.
Equilibriste. Quiconque a assisté à un concert de Comelade a le
sentiment d’avoir vécu un moment à l’équilibre précaire, où le
dérapage, l’accident est possible à
chaque instant. "Je n’aime pas les
tournées, je n’aime pas répéter, je
ne suis pas un musicien de scène. Si
on s’installe dans une espèce de
fonctionnement, il n’y a aucun intérêt à être sur scène. Chaque concert
se fait dans la douleur, il peut y
avoir l’accident à tout moment. La
part instrumentale de ce que je
peux faire est générée par cette mise
en danger. Le fait d’avoir de bons
musiciens me permet d’être plus à
l’aise sur scène, je crois que j’ai évacué une part du trac, de la peur de
se planter."
Il reste l’éternel problème de son
impossibilité à communiquer
avec le public. "C’est quasiment politique ce refus du piédestal. En fait
je gamberge trop par rapport à la situation de scène, la mise en représentation. Je suis un grand paranoïaque, le concert n’est pas une
chose normale, des gens qui payent
pour voir un numéro… Je n’envisage pas la musique d’un point de
vue sportif, je garde une pratique
artisanale, j’évacue tout ce qui est
spectaculaire."
Pascale Comelade envisage pourtant de plus en plus de jouer en
public, ayant trouvé les musiciens
idéaux. En attendant, il nous reste une collection d’enregistrements pour mettre en branle notre boîte à images personnelle et
son cortège d’émotions.
Jean-Michel Collet
Inclassable et immédiatement reconnaissable, Pascal Comelade demeure un orfèvre du son. Thierry Grillet