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COMPTE-RENDU
RAPPORT DU HAUT CONSEIL POUR L'AVENIR DE L'ASSURANCE MALADIE
Le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie a été mis en place en septembre 2003 sur le
modèle du Conseil d'Orientation sur les Retraites (COR). Il est formé par les représentants des
confédérations syndicales (donc à l'exclusion des syndicats qui ne sont pas des confédérations, tels
que la FSU ou SUD), des organisations patronales, des représentants de la CNAM, des mutuelles,
des médecins, des représentants de l'Etat, des personnes qualifiées et des parlementaires. Il a rendu
public son rapport le 23/01/2004.
Le rapport est précédé d'une synthèse (pp. 7-29). Il est constitué d'un 1er chapitre sur les principaux
paramètres financiers et économiques du système de santé; le 2ème chapitre porte sur la qualité du
système de soins; le 3ème et dernier chapitre traite la "gouvernance" du système.
Etant donnée la composition du Conseil, le rapport est doublement codé, d'une part dans le langage
économique et gestionnaire des technocrates, et d'autre part en raison des compromis que constitue
sa rédaction. Le rapport se présente comme un diagnostic partagé, mais c'est en même temps un
pronostic sur les réformes à entreprendre sur les faits, réels ou supposés, qui sont mis en évidence.
Pour éviter autant que possible longueurs et redites, seuls seront retenus les éléments du"diagnostic"
qui donnent lieu à des orientations de réformes.
Des compléments sur la LOLF ( loi organique relative aux lois de finance ) ainsi qu'un compte-rendu
du rapport Chadelat sur le financement de l'assurance maladie sont accessibles sur le site :
http://appeldu6mai.free.fr, soit à la rubrique commission LOLF soit à la rubrique comptes-rendus.
Afin de permettre à chacun de juger par soi-même, les remarques, le plus souvent critiques, sont
indiquées en italique.
Remarques introductives.
Le Haut Conseil reconnaît à plusieurs reprises que des mesures quantitatives précises de l'état
sanitaire ou des effets de tel soin sur la santé sont difficiles et incertaines. Il ignore délibérément la
relation humaine et sociale qui est au cœur de la maladie et des relations entre soignant et patient. Il
se situe sur le terrain de la technique (bio)médicale, de la transformation du patient en objet de
contrôle et de traitement thérapeutiques. La vraie prévention (qu'il ne faut pas confondre avec le
dépistage), fondée sur la transformation en profondeur des conditions de vie et de travail, n'est pas
envisagée, si ce n'est en renvoyant à la responsabilité des individus. Outre cette position qui est
implicite mais gouverne l'architecture du rapport, la santé publique et les systèmes de soins, le risque
maladie, sont abordés uniquement du point de vue économique, et cela sous l'angle de l'équilibre
financier entre prestations et cotisations. Quel est le problème de l'assurance maladie? Son
endettement, qui est structurel.
Les réformes engagées ces vingt dernières années (budget global de l'hôpital en 1983, CSG, etc. )
n'ont pas permis d'enrayer la croissance des dépenses de santé.
Quelle solution propose le rapport? Des réformes structurelles.
- Appliquer les règles de management "néo-libéral" à l'ensemble des systèmes de soins, c'est-àdire (1) passer d'une logique de moyens à une logique de résultats et de performances, (2) passer
d'un accès libre et solidaire aux soins à une logique de contrat individuel, tant du côté des
patients que du côté des médecins et (3) définir a priori l'enveloppe financière globale affectée aux
soins d'une part comme mesure pour atténuer la croissance des dépenses et d'autre part en
application de la LOLF (loi organique relative aux lois de finances) qui fait obligation d'un
programme triennal de stabilité des dépenses (Rapport de la Cour des Comptes 2003 sur la
Sécurité Sociale, cité par le Haut Conseil, p. 129).
- Renforcer le contrôle de l'Etat dans l'organisation des soins et l'évaluation des performances.
- Enfin, les assurances privées, déjà présentes dans la CMU complémentaire, ne sont pas exclues
explicitement.
Quel est l'objectif visé par le Haut Conseil? En insistant lourdement sur le fait que depuis 30 ans les
dépenses de santé croissent plus vite que le PIB, le Haut Conseil dit implicitement qu'il faut ramener
cette croissance des dépenses de santé au niveau de la croissance du PIB.
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I.
Les principaux paramètres financiers et économiques.
Le Haut Conseil reconnaît la bonne qualité du système de soins, son universalité,
l'amélioration de la santé publique, même si des inégalités sociales persistent quant à l'espérance de
vie et à l'accès égal aux soins en particulier au niveau géographique. Mais il insiste sur l'idée que
l'efficience du système ( le rapport qualité/prix ) n'est pas optimale.
Les facteurs structurels d'alourdissement des dépenses sont mis en avant : le
vieillissement de la population, le progrès technique, les exigences des malades et les exigences
réglementaires, spécialement en matière de sécurité et de contentieux. Les dépenses de santé, qui
absorbent 8,9% du PIB, et 9,6% si on y ajoute les indemnités journalières, les dépenses de formation
et de recherche, et d'administration, sont donc appelées à croître si rien n'est fait.
Les défauts du système de prise en charge concourent à une croissance incontrôlée des
dépenses. Quant au périmètre de prise en charge aucune analyse n'est faite pour vérifier le "taux de
retour sur investissement" ( p. 40 ), c'est-à-dire les effets sur la santé publique et la prévention. [ sousentendu : si une prise en charge meilleure d'un soin ou d'un nouveau soin améliore la santé de
manière infime, elle doit être exclue du remboursement. ] En outre, l'évolution des techniques de soins
rend nécessaire l'actualisation du périmètre des soins remboursables. [ La synthèse affirme qu'il ne
doit pas y avoir rationnement des soins, en l' interprétant comme une diminution de la liste des soins (
p. 11 ), mais il y a bien rationnement dans le sens d'un périmètre constant des soins remboursables,
à son niveau actuel : si de nouveaux soins ou de nouvelles techniques sont intégrées dans le
périmètre, des soins anciens doivent en sortir. ] En outre, il n'y a pas de consensus sur la liste des
charges : certains veulent que les congés maternité soient transférés à la branche famille, que
certaines dépenses le soient à la branche accidents du travail, que les dépenses de formation et de
recherche ne relèvent pas de l'assurance maladie, ou que les exonérations patronales de cotisations
non compensées ne soient pas affectées aux comptes de l'assurance maladie mais au budget de
l'Etat. Le taux de prise en charge ( environ 96% ) est pour certains commentateurs trop élevé, et
entraîne une surconsommation, d'autant plus que les gains en termes de santé ne sont pas
significatifs, sauf pour les ménages les plus modestes. Les arrêts de travail ont fortement augmenté
ces dernières années. En ce qui concerne la gestion, la superposition de deux payeurs ( sécurité
sociale et complémentaire) sur les mêmes actes est coûteuse et le manque de coordination entre les
deux tend à accroître les dépenses [ sou-entendu : ce qui est rationnel, c'est qu'il n'y ait qu'un
gestionnaire, soit sécurité sociale, soit complémentaire, à l'exemple de la MGEN dans l'Education
nationale. ]
Quant au financement le Haut Conseil remarque que l'Etat, hors même le comblement du
déficit par l'impôt, contribue au financement de l'assurance maladie, en prenant en charge les
exonérations de cotisations patronales, et par un régime fiscal favorable des régimes
complémentaires d'entreprise.
Une marge de financement existe dans la mesure où pour les 3 fonctions publiques les
primes ne sont pas soumises à cotisation ( p. 53 ).
Ce qu'il faut viser, c'est une meilleure maîtrise des dépenses, [ ce qui en langage
technocratique signifie une diminution des dépenses.]
II.
LA QUALITE DU SYSTEME DE SOINS.
Partie I. Périmètre des biens et services et qualité médicale des actes.
En France le périmètre du remboursable est défini par l'assurance maladie obligatoire. Ce
périmètre est l'objet de choix collectifs. Se pose alors le problème de la définition des priorités entre
pathologies et entre traitements.
Le Haut Conseil procède à une définition des critères d'inscription dans le périmètre des soins
remboursables ( pp. 70-76 ). Ce sont des critères managériaux d'évaluation des résultats. Ce qui
est visé, c'est l'introduction de l'évaluation, ou son renforcement là où elle existe. (1) La sécurité de
l'acte ou du produit. Actuellement il n'y a pas d'approche quantitative de la qualité ou de la non-qualité
des soins. (2) L'efficacité désigne les effets thérapeutiques mesurables. Certains actes ou produits
sont inefficaces ( exemples : homéopathie, soins thermaux ). [ sous-entendu : ils ne doivent pas être
remboursés. Pour les médicaments homéopathiques cela vient d'être fait. ] (3) L'utilité, qui est
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collective : c'est le service médical rendu. Mais tout ce qui est utile ne doit pas être pris en charge par
l'assurance obligatoire. Comment contrôler l'utilité? Par la contractualisation d'un standard de
pratique incontestable. (4) L'efficience, c'est-à-dire le rapport qualité/prix, permet de comparer des
alternatives de soins et leurs coûts et surcoûts respectifs et donc de fixer des priorités. En pratique,
l'efficience n'est pas prise en compte, d'autant plus qu'il n'y a pas d'obligation de réexamen
systématique et régulier du périmètre. (5) La pertinence ( le rapport utilité/efficience ) présente une
très grande difficulté de mesure.
A partir de ces critères, le Haut Conseil aborde le problème de la rémunération des services.
Le paiement à l'acte fixe le prix unitaire de chaque service, mais le tarif opposable porte uniquement
sur le prix final : aucune réglementation ne se réfère à tous les achats intermédiaires des producteurs
de soins. Ainsi certaines rémunérations sont fixées sans considérations des coûts réels. En outre le
contrôle s'exerce sur les prix unitaires mais non sur les volumes ( par exemple : nombre de
consultations ou d'examens pour une thérapeutique ). Ainsi la rémunération finale n'est pas
administrativement encadrée, sauf pour l'hôpital public (fonctionnaires). L'introduction progressive de
la tarification à l'acte ( T2A ), inscrite dans le plan hôpital 2007, vise à une réduction des coûts en
décomposant un traitement en actes thérapeutiques séparés afin d'éliminer les actes qui ne sont pas
strictement liés au traitement. Un schéma de rémunération obéit au critère d'efficience, si la
rémunération couvre les seuls coûts de production, dans le respect des coûts relatifs des biens et
services intermédiaires, et s'il incite à l'organisation la plus efficace. Or, actuellement, dans une même
profession des inégalités de revenus injustifiées apparaissent entre le décile le moins bien rémunéré
et le décile le mieux rémunéré : de 1 à 9 chez orthophonistes, de 1 à 18 chez les radiologues
(tableau, p. 80).
Quant aux pratiques médicales et aux instruments effectifs d'amélioration, le Haut Conseil
note que l'acte médical est soumis à une obligation de moyens et non à une obligation de résultats.
Une partie des professionnels manifeste une ignorance ou méconnaissance des référentiels, un
manque de sensibilité à l'évaluation et à la formation continue, et/ou cède à la pression des patients.
Les indices en sont la hausse ininterrompue des arrêts de travail de puis 1997 ( 9% par an ) et la
surconsommation médicale. Les mesures adoptées jusqu'ici sont un échec et les méthodes de
surveillance exclusivement extérieures entraînent de fortes résistances. Il ne faut pas non plus
attendre de résultat de méthodes purement optionnelles. Donc il faut mettre en œuvre une incitation
financière liée à une contrainte de résultat, sur le modèle de l'accord de bon usage des soins ( AcBUS
) et du contrat de pratique professionnelle ( CPP ). La convention de branche n'y suffisant pas, il reste
la contractualisation individuelle entre médecin et l'assurance maladie obligatoire. Cette
contractualisation serait liée en même temps aux référentiels de "bonnes pratiques", aux standards de
pratique médicale
Partie II. L'efficacité dans le système de soins.
La mesure de l'efficacité, c'est-à-dire de l'impact du système de soins sur l'état sanitaire de la
population, est très difficile. Une chose est sûre : la croissance quantitative des moyens n'est pas la
seule réponse aux besoins. Il faut des réformes structurelles afin d'obtenir une répartition optimale des
moyens sur le territoire et la capacité de leur redéploiement.
Il faut agir en même temps du côté de l'offre et du côté de la demande de soins.
Quant à l'offre de soins, la répartition territoriale n'est pas optimale. La médecine de ville (
généralistes et spécialistes plus encore ) manifeste des surdensités d'installation dans les villes et
selon les régions ( Provence sur-équipée par rapport au Nord, par exemple ). Les redéploiements
hospitaliers n'ont pas été menés à leur terme. Pour la médecine de ville, il faut une régulation plus
active et plus incitative : la contractualisation individuelle, qui lierait installation et conventionnement.
L'hôpital public n'est pas sorti de sa crise : défauts d'organisation interne, mauvaise répartition des
dotations, lourde charge en personnel non médical ( 3,65 pour 100 000 points ISA, contre 1,43 dans
le privé, p. 108 ). En outre, la gestion des ressources humaines présente les rigidités ( non
reconnaissance des responsabilités, de la performance et de la pénibilité ) d'une direction centralisée
et du statut de fonction publique. L'hôpital accueille des demandes non médicales ( personnes âgées
) et des recours aux urgences qui ne répondent pas à un besoin médical, mais social ( ménages trop
pauvres pour effectuer l'avance de frais ). Les solutions ici sont organisationnelles. Il faut une
coordination entre médecine de ville et hôpital, un partenariat entre généraliste et hôpital, et une
"traçabilité" des parcours de soins ( p. 111 ). Plus généralement, le système de soins doit être un
véritable système, en vertu d'une coordination entre soins de ville, soins hospitaliers et soins
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ambulatoires. Il faut donc d'une part établir des filières ou réseaux de soins ( sous-entendu :
suffisamment contraignants pour les médecins et les patients ) et d'autre part un dossier médical
partagé.
Par rapport à la demande de soins, l'usager doit devenir acteur de sa prise en charge, il doit
manifester une responsabilité individuelle qui, actuellement, n'existe pas. Le choix du médecin et de la
"trajectoire" de soin est libre, mais il faut orienter ce choix. Comment? Par une information
indépendante, distincte des professionnels et industriels, par une forme de ticket modérateur qui
oriente la consommation vers la qualité et l'efficience, et par la modulation du remboursement en
fonction de la démarche de prévention et de soin réalisée par l'assuré : sur cette dernière mesure,
le Haut Conseil cite l'exemple de l'Allemagne et d'une compagnie d'assurance qui pratiquent un
remboursement plus favorable des soins dentaires au patient s'il fait preuve de prévention. Mais il
faut penser aussi à la contractualisation avec un médecin référent.
III. La gouvernance du système d'assurance maladie.
Certains mots ne sont pas neutres. La "gouvernance" ( de l'anglais "governance" ) désigne le
mode néo-libéral de gestion des grandes entreprises transnationales et sa transposition aux
institutions politiques et sociales.
Contrairement à ce qu'on pourrait croire d' une approche néo-libérale du financement des
soins, l'Etat est renforcé dans les rôles de contrôle et d'évaluation des performances.
Le système actuel est mal gouverné ou ingouvernable comme le montrent les échecs
successifs de maîtrise des dépenses. Pour rendre le système gouvernable, il faut une définition claire
des missions et des objectifs, ainsi que des champs de compétence, et de responsabilité. Dans cette
clarification, on peut soit partir des institutions et des acteurs pour arriver à une définition de leurs
rôles ( c'est-à-dire améliorer le système actuel ), soit partir des fonctions essentielles pour arriver à
une définition des acteurs ( c'est-à-dire restructurer le système actuel).
C'est la deuxième solution que choisit le Haut Conseil. Les fonctions du système d'assurance
maladie sont : (1) le cadrage, (2) l'organisation du système de soins, (3) la gestion du risque maladie
et (4) l'allocation des ressources.
La fonction de cadrage concerne l'équilibre financier du système. La CNAM doit veiller à cet
équilibre et son devoir est de réaliser les ajustements nécessaires soit par une modification du taux de
prise en charge, soit par une modification des cotisations, soit les deux. Dans cette régulation la place
limitée des assureurs complémentaires, l'absence des professionnels de santé et des usagers prête à
discussion. En outre la mise en œuvre de la LOLF impose une nouvelle contrainte : un programme
triennal de stabilité de la dépense publique. Une clarification des relations financières entre l'Etat et la
sécurité sociale est nécessaire. La définition du périmètre du remboursable doit être de la compétence
de l'Etat. Quant à la fonction d'organisation du système de soins, la responsabilité ultime en
revient aux autorités publiques, Etat et collectivités territoriales. L'organisation est la résultante des
choix de santé publique et de la gestion du risque. Le partage entre l'Etat organisateur et l'assurance
maladie payeur n'est plus envisageable ( sous-entendu : l'Etat doit définir ou contribuer à définir les
soins remboursables ). La fonction de gestion du risque maladie est double : l'établissement de la
réglementation, et le contrôle ou évaluation des résultats. L'évaluation actuelle est collective et trop
générale, peu transparente en raison du grand nombre d'intervenants. ( sous-entendu : elle doit être
plus rigoureuse, mieux organisée et dirigée ). La fonction d'allocation des ressources est de
compétence mixte entre l'Etat et la CNAM. Le vote de l'ONDAM ( objectif national de dépense
d'assurance maladie ) par le parlement induit une répartition institutionnelle entre soins de ville et
secteur hospitalier et entre secteur public et secteur privé. Les tarifs des actes résultent de
conventions entre les professions de santé et la CNAM. Cette répartition se traduit par un
cloisonnement et non par des décisions d'ensemble. Certes, les conventions deviennent
réglementaires si elles sont approuvées par le gouvernement, mais les professionnels gardent la
liberté de ne pas s'y soumettre. Les conventions doivent devenir des contrats, à trois étages,
interprofessionnel, professionnel et individuel.
Quels principes doivent guider l'exercice de ces fonctions? La responsabilité : pour chaque
fonction et à chaque niveau ( local, régional, national ) il doit y avoir un responsable unique.
L'évaluation : une fois fixés les objectifs quantitatifs connus de tous et les pouvoirs correspondants,
la responsabilité des résultats doit être exercée et contrôlée.
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