Accompagner un journal lycéen : l`adulte est

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Accompagner un journal lycéen : l`adulte est
Accompagner un journal lycéen : l'adulte est-il (elle) biodégradable ?
Éducation aux médias
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gradable
Accompagner un journal
lycéen : l'adulte est-il (elle)
biodégradable ?
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Date de mise en ligne : mercredi 27 avril 2011
Description :
Marianne Acquaviva, professeure de sciences économiques et sociales, fait le bilan de cinq belles années d'accompagnement du Vilain Petit Canard...
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Accompagner un journal lycéen : l'adulte est-il (elle) biodégradable ?
Depuis 5 ans, je participe au Club journal du lycée Maurice-Genevoix de Montrouge (92). 5 ans, peut-être 19
numéros, c'est bien plus que la moyenne nationale.
Notre Club publie un journal, le Vilain Petit Canard que beaucoup dans notre lycée connaissent maintenant. Il sort,
vaille que vaille, presque tous les trimestres, à 300 exemplaires. Souvent 16 pages, soit 4 feuilles A3... Faites le
calcul et surtout n'en parlez pas à notre intendante ;-)
J'en suis fière, et je suis bien triste de devoir quitter cette aventure du fait de ma mutation en septembre. Mais
chaque départ est une nouvelle arrivée, et l'heure est donc au bilan pour mieux tirer profit de l'expérience (mais quel
blabla ! ).
Pour ce bilan, je souhaiterais répondre à la question que s'est posée une association qui oeuvre pour le journalisme
lycéen depuis plusieurs années, l'association Jet d'Encre : quel est le rôle de l'adulte dans un Club Journal ? Est-il
voué à disparaître ? Est-il (bio)dégradable ?
Les lycéens bénéficient depuis 20 ans de la liberté de la presse. Une circulaire du ministère de l'Éducation nationale
reconnaît depuis 1991 aux lycéens le droit de créer un journal dans leur lycée, grâce à un statut dérogatoire au cadre
général de la loi sur la liberté de la presse de 1881. Celui-ci permet à des lycéens mineurs ou majeurs d'exercer la
fonction de responsable de la publication, à condition que ces journaux ne soient diffusés que dans l'enceinte de
l'établissement scolaire. Ils sont affranchis de l'obligation de déclarations et de dépôts légaux, mais doivent envoyer
chaque numéro de leur journal au dépôt pédagogique du Clemi. Tout comme le reste la société, ces journaux
doivent respecter les lois sur la diffamation et la discrimination, Ainsi, tout en rappelant la Charte déontologique
propre au journalisme, cette circulaire ministérielle garantit une totale indépendance aux journaux lycéens, qui
peuvent donc être publiés « sans autorisation ni contrôle préalable » du chef de l'établissement.
Mais alors, pourquoi un adulte chez les lycéens ? Si donc ils ont la totale liberté de presse, qu'est donc venu faire
une professeure dans cette galère ? La présence d'une professeure au sein du Club Journal de notre lycée est-elle
une menace pour leur indépendance journalistique ?
J'ai pensé mon rôle sous 3 angles.
D'abord un rôle de fondatrice. Dès qu'un petit groupe d'élèves de 1re L ont voulu créer un journal en septembre
2006, on les a orientés vers moi, férue de presse et animatrice Clemi de l'Académie de Versailles. Il fallait tout
inventer : un mode de fonctionnement, un nom, des rôles... Tout obtenir : un local, un ordinateur, une imprimante,
puis plus tard une photocopieuse... Une ligne budgétaire de 300 euros par trimestre du FSE... Autre facette de ce
rôle : pour perdurer, un journal doit être visible dans le lycée, doit devenir une institution. D'où un panneau
d'affichage dans le hall, obtenu pour le Club journal, en partage avec l'Atelier cinéma. Un article sur le site du lycée
(bien caché malheureusement, sous la rubrique du FSE). Et puis aussi un site Internet hébergé par le CRDP.
Puis un rôle de facilitatrice. Évidemment, je me suis interdite, et pourtant cela me titillait, d'écrire un seul article dans
les 18 numéros (sauf un entrefilet annonçant l'arrivée en 1re position ex æquo au concours académique de journaux
lycéens... Il fallait bien les féliciter ! D'ailleurs, ils seront lauréats 3 fois à ce concours en 5 ans, bravo !.
L'idée est évidemment de les laisser libres, totalement libres du choix de leur sujet et de la façon de le traiter. La
relecture est confiée à la directrice de publication et aux relecteurs plus ou moins bons en orthographe. La maquette
aussi est laissée aux élèves... Mais alors, qu'est-ce que je pouvais bien faire à part me tourner les pouces et faire les
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mots croisés et autres sudoku qui agrémentaient le journal ? Je me suis attribuée le rôle pompeux de Directrice de
Communication Interne (DCI). Eh oui ! Je récupérais les emails, je rappelais les dates de réunions, de sortie du
journal, je rappelais à chacun ses promesses d'articles... Une vraie mouche du coche de la presse ! Quelques
affiches pour annoncer la prochaine réunion, pour recruter d'autres journalistes... Un rôle en retrait mais incitant
chacun à conserver le rôle qu'ils avaient choisi au début de l'année : rédacteur en chef, responsable de la
photographie, maquettiste, directeur de production (photocopier et plier 300 exemplaires, quel travail !), directeur
d'affichage pour annoncer le prochain numéro, responsable de la distribution.... Pas facile lorsque nos lycéens sont
surchargés de travail !
Enfin et surtout un rôle de défenseur. Fusible ? Punching ball ? L'équipe de rédaction a subi plusieurs attaques,
d'autres critiques plus constructives, des conseils d'amis, des remarques plus ou moins blessantes. C'est vrai que le
résultat n'était jamais très satisfaisant, parfois j'étais moi-même déçue de leur travail, manquant souvent de cet esprit
potache qui donne tout le sel d'une publication lycéenne. Mais je savais derrière chaque numéro l'énergie et
l'enthousiasme qu'y avaient mis nos lycéens... S'ils pouvaient rédiger leur dissertation de sciences économiques et
sociales avec la même motivation !
Tout d'abord, le but était de les défendre dans leur droit. La difficulté venait de l'administration, très méfiante au
départ. Souvent il suffisait d'aller aux devants pour informer sur les droits du journaliste lycéen. Au moment du
changement de proviseur, j'ai présenté le Club qui a remporté l'adhésion et l'enthousiasme du nouveau proviseur
(enfin !), en ajoutant : « et bien sûr, vous me présenterez le journal avant la publication ! ». Cela semble tellement
naturel... alors même que la loi depuis 20 ans rappelle que ce n'est pas une obligation ! Aucune autorisation
préalable de publication obligatoire. Il a suffit alors de rappeler le texte.
Et puis il a fallu les défendre (ou souvent faire le gros dos) face aux micro-scandales de la salle des profs. Ah les
fautes d'orthographe ! Ma chère Joëlle me manque car on avait chaque fois au moins un retour d'une grande
lectrice... impitoyable ! On m'a même rappelé : « mais que fais-tu ? C'est toi l'adulte ! ». Ah tiens, l'adulte,
biodégradable ? Eh oui, adulte mais ni rédactrice en chef, ni directrice de publication, encore moins relectrice (le
bénévolat a ses limites !). D'autres scandales sont venus de la cantine qui s'est sentie visée, de ce collègue qui n'est
pas d'accord avec telle opinion, de ce lycéen qui trouve la Une « toute pourrie », du collègue qui s'est vexé car les
journalistes lycéens écrivaient « prof » (si, si je vous assure), et non « professeur » (émérite, respectable, grand,
royal...).
Plus compliqué, mais aussi tellement formateur pour mes journalistes en herbe, fut mon rôle lors du scandale, cette
fois-ci plutôt macro, suscité par le numéro Spécial Sexe de mars 2008. Le numéro s'est retrouvé sur la table du
recteur, alerté par les parents d'élèves. L'article mis en question portait sur la masturbation et les pensées peu
respectueuses pour la femme qui surgissaient à ce moment à l'esprit de l'auteur de l'article. Le recteur nous a assuré
qu'il n'y avait aucune illégalité mais a demandé une médiation avec le Clemi pour rencontrer les élèves. Ceux-ci ont
longtemps débattu ensuite entre eux de la liberté de la presse, de son rôle dans la société, de ses limites éthiques...
Très riche !
Maintenant le temps est venu de partir. Déjà, lors de mon congé maternité en décembre pour le reste de l'année
scolaire, les lycéens avaient choisi de continuer sans adulte. Ils n'ont pas tenu la route, aucun numéro n'a réussi à
sortir sans adulte. Pourtant ils n'étaient pas loin du bouclage, du fameux B.A.T. (Bon à Tirer), j'ai retrouvé l'ébauche
d'une maquette avec de bonnes idées.
Le temps du lycéen est nécessairement court, disons 3 ans lorsque tout se passe bien. L'adulte a une temporalité
bien différente, c'est lui qui fait la permanence de ce type d'aventure car il reste dans l'établissement, génération de
lycéens après génération.
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Certes, si aucun adulte ne reprend le VPC, le Club risque de ne pas perdurer. Le record en France de longévité
actuellement est détenu par le journal Interpaul du lycée Paul Lavie de notre chère académie de Versailles : il a 20
ans ! Comme la loi ! Evidemment, il est encadré depuis 20 ans par le même professeur qui porte le projet depuis le
début. A Lakanal, en revanche, un journal Prométhé a été créé, totalement libre et indépendant de tout adulte, qui
publie parfois 1 numéro, parfois zéro dans l'année. Mais est-ce grave si le journal lycéen disparaît ? Finalement,
cela reste une possibilité offerte à des lycéens qui se disent un jour à la récré : « et si on faisait un journal ? » Et
l'aventure commence... Le journal va paraître 2 ou 3 fois, va vivoter 4 ou 5 ans, puis il disparaîtra. Jusqu'au jour où
une nouvelle équipe assez motivée et assez talentueuse se relancera dans l'aventure.
Alors que choisir ? Attendre des lycéens hyper motivés ? Les laisser faire tout tout seul ? Ou proposer chaque année
aux lycéens la possibilité de faire du journalisme, d'écrire dans le cadre d'un club accompagné par les adultes ?
Chaque formule est bonne. Mais soyons modeste. Dans notre lycée peu élitiste et dans un but de démocratisation,
n'oublions pas que beaucoup d'élèves n'ont ni le capital culturel ni les compétences pour s'organiser tout seul, face
aux adultes, spontanément. Offrons-leur le maximum de possibilité. La liberté de la presse aussi s'apprend, à l'école
surtout.
Marianne Acquaviva
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