Lettre ouverte Blackface : il est temps d`en finir
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Lettre ouverte Blackface : il est temps d`en finir
Lettre ouverte Blackface : il est temps d’en finir Comment réussir à faire comprendre au monde du spectacle québécois et à l’une de ses institutions, en l’occurrence le Théâtre du Rideau Vert, qu’il n’est plus temps en 2015 de produire un spectacle avec un numéro, aussi court soit-il, qui s’apparente qu’on le veuille ou non à du blackface? Il est primordial de réagir à une telle pratique, même si elle semble innocente à ceux qui la produisent, car il est impossible de dissocier le maquillage - anodin comme tel - de la référence historique qui en a indéniablement redéfini la teneur. Il est temps de sortir de l’ornière et d’oser le débat. Nous méritons mieux, nous valons mieux. Il n’est nullement question, comme l’a affirmé Sophie Durocher dans ses deux articles sans profondeur du mois de décembre 2014 - peu en proie à comprendre la différence historique entre une rousse et un Noir - de traiter quiconque de raciste mais bien plutôt de dénoncer le recours à une pratique dont la connotation est raciste, indépendamment de la volonté de l'auteur. La question véritable s’apparente davantage à la symbolique que porte en lui cet acte. Vient-il blesser certaines personnes dans ou pour leur différence ? Il semblerait, au vu des réactions vives et nombreuses au sein du public, que la réponse est oui. Pourrait-on imaginer un numéro humoristique où l’étoile de David est portée sur un chandail pour référer à la communauté juive ? Ou une croix gammée, symbole du nazisme, pour se moquer de la communauté allemande ? Pourquoi persister à se farder de noir alors que la communauté noire (entre autres) ne cesse de dénoncer cette pratique ? L’Histoire fait mal, elle fait pleurer les chairs, ravive les souffrances, marque les corps et les esprits. Tout simplement. Et c’est tout ce qu’il faut comprendre ici. Pas question de « rectitude politique », ni d’« orthodoxie » (selon M. Bock-Côté dans son article de mai 2013 dans le Journal de Montréal). Non, rien de tous ces grands mots. Ça fait mal, c’est tout. Et c’est à l’effet produit par une pratique que nous devons juger celle-ci. Sans oublier que, comme le dit si bien Alexandre Cadieux dans Le Devoir, « ce n’est pas aux représentants de la majorité de décider si la colère, la douleur et l’indignation exprimées par une minorité sont légitimes ou non ». Les morsures les plus douloureuses sont parfois causées par des gens éclairés, avec en leur for intérieur la certitude absolue de ne pas être raciste, ou sexiste, ou homophobe, et n’ayant aucune intention de blesser quiconque. Même les gens les plus bienveillants peuvent parfois blesser autrui. Il faut comprendre que le blackface contribue historiquement à la déshumanisation de la population noire, que nous le voulions ou non. Et contrairement à ce que certains chroniqueurs ont affirmé, cette pratique n’est aucunement propre à l’histoire américaine. Ici même à Montréal, les minstrel shows et leurs blackface attiraient les foules (lire ici). Le blackface fait partie de l’histoire québécoise et doit être confronté comme tel. Un visage blanc peint en noir, c’est une image forte qui, à la différence de la parodie d'une personne rousse ou mince, est chargée du poids d’un passé auquel on ne peut échapper. Ce n’est jamais une « forme neutre de divertissement », pour reprendre l'expression de David J. Leonard 1. Malgré toutes les meilleures intentions, cette image joue un rôle dans la production et le maintien de stéréotypes destructeurs. Vouloir faire disparaître ce type de pratique, ce n’est pas un simple coup de gueule, mais un geste citoyen, une responsabilité civique. Nous demandons le respect de l’Histoire, le respect de nos communautés, le respect de notre diversité culturelle, le respect de notre dignité. Par cette lettre, nous demandons au Théâtre du Rideau Vert, qui n’a pas encore réagi publiquement aux critiques et qui produit encore aujourd’hui le numéro controversé, de poser un geste d’ouverture, de tendre une main. Le monde du spectacle en sortirait grandi. Si le théâtre est un miroir de la société, il peut et doit refléter la population qui la compose. Nous voulons d’un théâtre ouvert et à l’écoute de son public. Nous voulons de la dignité pour toutes et tous. Acceptons-nous comme nous sommes. Sans rouvrir les blessures. Il est temps d’en finir avec ces pratiques. Diversité artistique Montréal (DAM) David J. Leonard est professeur associé au Département des études critiques de la culture, du genre et de la race (Washington State University). Dans son article « Just Say No to Blackface: Neo-Minstrelsy and the Power to Dehumanize », paru dans le Huffington Post, il écrit « Blackface is never a neutral form of entertainment, but an incredibly loaded site for the production of damaging stereotypes ». 1 Cette lettre est appuyée par : Jérôme Pruneau, ethnologue et directeur général de DAM Fanny Guérin, directrice des communications de DAM Peter Farbridge, comédien et président de DAM Myriame El-Yamani, conteuse et viceprésidente de DAM Dorothée De Angelis, administratrice de DAM Gérard Chagnon, administrateur de DAM Ralph A. Maingrettte, artiste en arts visuels et administrateur de DAM Wissam Yassine, administrateur de DAM Anne Julien, travailleuse culturelle Marilou Craft, travailleuse culturelle Guy Rodgers, directeur exécutif, ELAN Québec Amy Macdonald, coordonnatrice des programmes, ELAN Québec Quebec Drama Federation Centre Segal des Arts de la scène Quincy Armorer, directeur artistique, Black Theatre Workshop Kina Konto, présidente, MAI (Montréal, arts interculturels) Théâtre Centaur Rahul Varma, Teesri Duniya Theatre Guy Sprung, directeur artistique, Infinthéâtre Janelle Cooper, directrice artistique, Ellipsis Tree Collective theatre company Michel Lefebvre, directeur général, Youtheatre Emma Tibaldo, directrice générale et artistique, Playwrights' Workshop Montréal Sarah Elkashef, dramaturge, Playwrights' Workshop Montréal Molly Maguire, coordinatrice générale, Playwrights' Workshop Montréal Mike Czuba, Dancing Monkey Laboratories Dean Patrick Fleming, Geordie Productions Kathryn Westoll, Geordie Productions Tableau D'Hôte Theatre The Community and Race Relations Committee of Peterborough Alison Darcy, Scapegoat Carnivale Theatre Joseph Shragge, Scapegoat Carnivale Theatre Melanie St-Jacques, Scapegoat Carnivale Theatre David Oppenheim, Scapegoat Carnivale Theatre Andreas Apergis, Scapegoat Carnivale Theatre Vanessa Sorce-Lévesque, compositrice Christine Rodriguez, comédienne et auteure Laïma Abouraja Gérard, travailleuse culturelle Amy Barratt Sonia Ghaya, journaliste et bloggeuse Gaëtan Charlebois, publisher, The Charlebois Post - Canada Tristan D. 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