Le trésor caché de la cathédrale de Poitiers

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Le trésor caché de la cathédrale de Poitiers
13/5/2016
Le trésor caché de la cathédrale de Poitiers ­ La Croix
Le trésor caché de la cathédrale de Poitiers
Par Xavier Renard (à Poitiers), le May 12, 2016 14:25
Un chantier de restauration dans la chapelle sud de la cathédrale Saint­Pierre de Poitiers a révélé de magnifiques
décors gothiques, dissimulés sous un badigeon en 1783. D’autres investigations devraient intervenir sur l’ensemble de
l’édifice, construit à partir de 1160, sous le règne d’Aliénor d’Aquitaine, et qui participe cette année à la Nuit des
cathédrales (1).
Au pied du gigantesque échafaudage, déployé sur une hauteur de vingt mètres dans la chapelle sud de la cathédrale
Saint­Pierre de Poitiers, François Jeanneau, architecte en chef des monuments historiques, avait réuni les artisans du
chantier de restauration. Des journalistes avaient été conviés à cette visite.
« Vous allez en prendre plein les yeux », prévint, l’air goguenard, Brice Moulinier, conservateur restaurateur de décors
peints, établi en Loir­et­Cher. À l’origine, les travaux, qui ne concernaient que les vitraux vieillissants et une voûte de
l’édifice s’érodant à cause des infiltrations d’eau, ne présentaient pas de caractère exceptionnel.
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« Une simple opération de maçonnerie », expliquaient les services de la Direction régionale des affaires culturelles
(Drac), prescripteur de ce chantier, sous la houlette d’Anne Embs, conservatrice des monuments historiques de la
région Poitou­Charentes (aujourd’hui Aquitaine­Poitou­Charentes).
Des peintures connues depuis le XIXe siècle
Par acquit de conscience, des sondages avaient néanmoins été effectués en 2012. Cette intervention révéla au grand
jour un inestimable ensemble de peintures gothiques, réalisées entre 1260 et 1300. Elles avaient été recouvertes d’un
badigeon néoclassique, appliqué en 1783, sous Louis XVI, pour « blanchir la cathédrale » et effacer toutes les traces
et exubérances d’un lointain passé qui ne correspondaient plus au goût de l’époque.
> Diaporama : Les peintures retrouvées de la cathédrale de Lavaur
En réalité, cette découverte n’est qu’une demi­surprise. Dans le récent ouvrage Cathédrale Saint­Pierre de Poitiers,
enquêtes croisées (Geste Éditions), Claude Andrault­Schmitt, spécialiste d’architecture religieuse et directrice de
recherche au Centre d’études supérieures de civilisation médiévale de Poitiers, mentionnait l’existence de ce trésor
enfoui, datant non pas des Plantagenêts, mais du royaume de France.
« Les premières traces écrites de ces décors peints remontent à une monographie très intéressante d’un chanoine, un
érudit local du XIXe siècle. Il a été en quelque sorte le premier gratteur. Mais nous ne connaissions pas l’étendue
exacte de ces peintures, raconte l’architecte. Avec les premiers sondages, nous avons rapidement vu émerger les
décors figuratifs recouvrant les voûtes et les nervures, sur une surface totale de 900 m2. Ils étaient dans un état tel que
nous pouvions envisager d’entreprendre leur dégagement. »
Une semaine de travail par mètre carré
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Il a fallu à la fois dégager les peintures et, dans de nombreux cas, les restaurer et les consolider. /
Guillaume Souvant/AFP
Cette campagne de travaux change alors de nature, se transformant en une sorte de chasse au trésor grisante et
haletante. Émerveillés par l’intensité chromatique des œuvres originelles, les restaurateurs ont travaillé d’arrache­pied,
minutieusement, munis de petits scalpels comme simples outils. « Nous n’avons pas compté les heures », reconnaît, en
souriant, un artisan.
Brice Moulinier est plus précis : « Pour le dégagement, nous avions estimé au départ que chaque personne
travaillerait sur un mètre carré par jour. En réalité, chaque mètre carré a nécessité une semaine de travail par
personne. Nous avions le souci de consolider et de recoller la peinture au fur et à mesure de l’avancement, une
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seringue dans une main, un scalpel dans l’autre. »
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Ils ont œuvré tout en sobriété, réveillant la couleur par petites touches, à l’aquarelle, animés par la volonté de ne pas
dénaturer la pureté du graphisme. « Rien ne doit être définitif, chaque intervention doit pouvoir être effacée dans
cinquante ans, quand les prochains restaurateurs devront nous succéder. Nous sommes partisans de traiter les lacunes
pour retrouver l’esthétique originelle de l’œuvre sans jamais avoir à réinventer quoi que ce soit, explique François
Jeanneau. Quand les motifs sont très endommagés, nous appliquons une couleur neutre et réversible. »
Décors sacrés et motifs héraldiques
Proche de la retraite, Brice Moulinier achève sa carrière en apothéose. « C’est le chantier de ma vie ! Ce que nous
avons découvert est unique en France. En quarante ans d’activité, je n’avais jamais vu de décors semblables, de tels
sujets historiés du XIIIe siècle de cette qualité, avec cette finesse graphique. J’ai pourtant travaillé sur des chantiers
prestigieux », s’exclame cet artisan transporté par la passion du patrimoine ancien, montant quatre à quatre les
escaliers de l’échafaudage menant au sommet de la chapelle, au plus près de ces merveilles de l’art gothique.
Il présente d’abord les motifs héraldiques, floraux, animaliers, aux couleurs chaudes et lumineuses, obtenus pour la
plupart grâce à des pigments précieux, des bleus profonds de l’azurite ou des rouges sang du cinabre.
Ces ornements largement répandus habillent élégamment les décors sacrés, reprenant des thèmes de l’Ancien et du
Nouveau Testament, représentés sur les quatre voûtes de la chapelle. À l’est, le Christ du jugement dernier entouré de
la Vierge, de saint Jean et d’une myriade d’anges maniant les instruments de la Passion est ainsi représenté sous une
pluie d’étoiles que la feuille d’argent fait scintiller.
Au sud, le couronnement de la Vierge, sous le regard espiègle des quatre anges musiciens, est mis en scène. Et ce n’est
pas tout : les élus reçus dans le sein d’Abraham sont dessinés sur le voûtain ouest. Au nord figure, sous un Christ
monumental, un autre grand tableau reprenant le thème du jugement dernier et de la résurrection des morts.
Les fresques recouvrent une surface totale de 900 m2 sur les voûtes de la cathédrale. / Xavier Guilloteau/Diocèse de Poitiers
Une qualité graphique hors du commun
« Dans les parties médianes, sous des décors de fausse architecture gothique, apparaissent huit personnages en pied,
dont trois ont été formellement identifiés : saint Thomas Becket, saint Paul et saint Pierre. » Ils foulent à leurs pieds
des monstres, comme si ces grands personnages dominaient le péché et le mal.
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Les historiens d’art se penchent sur la signification de ces scènes « historiées » d’une grande rareté, caractéristiques de
la période du style gothique dit « rayonnant ».
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« Tous les chapiteaux sont peints. C’est très rare et excessivement riche », s’enthousiasme l’artisan, qui a été saisi par
le raffinement du trait et la qualité graphique des personnages réalisés par des artisans dont l’identité demeure
mystérieuse. Les restaurateurs ont aussi été impressionnés par les moyens employés par le riche commanditaire de ces
œuvres, sans doute le clergé.
D’autres découvertes à venir
Ce vaste chantier achevé, François Jeanneau et ses équipes espèrent que l’État décidera de poursuivre les travaux sur
les 200 m2 de la partie basse de la chapelle. La mise en perspective de cette chapelle n’est en effet, à leurs yeux,
qu’une « mise en bouche ».
La cathédrale recèle d’autres trésors enfouis. Des décors peints ont ainsi été découverts sur les voûtes du transept
central. « L’un d’eux est exceptionnel mais il est trop tôt pour en parler », confirme Brice Moulinier, qui doit remettre
prochainement un rapport détaillé à la Direction régionale des affaires culturelles.
Les élus de la municipalité militent à présent pour une poursuite du chantier. Il y a à la clé des retombées touristiques
considérables pour la ville et cette magnifique cathédrale injustement méconnue du grand public.
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Un trésor du XIIe siècle
• La cathédrale Saint­Pierre fait suite à un premier édifice du XIe siècle.
• La cathédrale actuelle est de style « gothique angevin » ou « plantagenêt », à l’exception de la façade qui, avec sa
rosace et ses trois portails à gâble, suit l’influence de l’architecture gothique de l’Île­de­France. Elle s’apparente aux
églises­halles par sa division en trois vaisseaux d’égale hauteur.
• Financée par Henri II d’Angleterre sous l’influence de sa femme, Aliénor d’Aquitaine, la construction de la
cathédrale commença vers 1160, et s’acheva en 1379, année de sa consécration.
• L’intérieur conserve des stalles du XIIIe siècle et une collection de vitraux historiés datant des XIIe et XIIIe siècles,
parmi lesquels une Crucifixion, comptant parmi les sommets de l’art du vitrail médiéval français.
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