Six personnages

Transcription

Six personnages
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PIRANDELLO
Six personnages
en quête d’auteur
Présentation par
Nadia Ettayeb
Étonnants Classiques, n˚ 2181
ur une scène de théâtre où une troupe répète sans convic-
S tion une pièce de Pirandello (Le Jeu des rôles) surgissent
six personnages égarés. Leur auteur a refusé de leur donner
vie et les a condamnés à errer, inachevés, dans les limbes de la
création. Cette intrusion dans l’univers de l’illusion sème le
trouble, suscite colère, rire et conflits. Sous le regard fasciné et
sceptique de la troupe d’acteurs et de leur directeur devenus
spectateurs, les six personnages plaident leur cause et jouent
leur existence.
D’AUTEUR
?
Cette pièce n’appartient pas aux corpus des classiques
français généralement étudiés au lycée. Elle présente cependant plusieurs aspects en rapport avec les objets d’étude inscrits au programme de Première.
Œuvre originale, Six personnages en quête d’auteur soulève des questions importantes concernant les enjeux de la
représentation au théâtre. La mise en abyme permet de mener
une réflexion sur l’illusion théâtrale. Le drame « vécu » par
les personnages se heurte sans arrêt aux limites sclérosantes
de sa mise en scène, posant ainsi indirectement la question du
rapport entre texte (celui que les personnages portent en eux
mais qui ne peut être que transcrit par bribes) et représentation. La relation entre l’œuvre et la mise en scène peut aussi
Six personnages
I. P O U R Q U O I É T U D I E R
SIX PERSONNAGES EN QUÊTE
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être envisagée sous un autre angle, puisque la pièce a fait l’objet
de nombreuses représentations, dont une de Jean Prat, disponible en vidéo à l’ADAV (Ateliers de diffusion audiovisuelle) 1.
Pirandello affirme dans sa préface : « De ces six personnages, j’ai […] accueilli l’être, en refusant la raison d’être. »
C’est pourquoi nous avons privilégié cette approche et délimité des extraits en rapport avec la question de la représentation et du conflit qu’elle suscite entre personnages « vivants »
et professionnels du théâtre, c’est-à-dire maîtres de l’illusion,
toujours en quête d’effets à produire.
L’acharnement dont font preuve les six personnages dans
leur désir de vivre leur drame donne lieu à des dialogues où
se déploie avec force l’art de convaincre et de persuader, ce
qui constitue un second objet d’étude inscrit au programme.
II. P I S T E S
POUR UNE
SÉQUENCE PÉDAGOGIQUE
SÉANCE 1
LA MISE EN ABYME
Objectif : cerner les enjeux de la mise en abyme dans l’œuvre,
par une lecture cursive de la présentation des personnages
et de la didascalie initiale.
Travail préparatoire : on pourra envisager de comparer la liste
des personnages et la didascalie initiale de Six personnages en quête d’auteur avec celles d’une autre pièce, par
exemple Ruy Blas de Victor Hugo.
• Liste des personnages (• p. 40)
– Lieu : l’univers du théâtre.
– Sujet : l’écriture théâtrale.
– Personnages : distinction entre « personnages de la pièce
à faire » et « comédiens de la troupe », entre pièce cadre et
pièce enchâssée. Les personnages ne portent pas de nom (sauf
Mme Pace) ; ils sont désignés par leurs liens familiaux ou
leur âge, ou encore par leur fonction dans l’univers théâtral.
1. ADAV, 41, rue des Envierges, 75020 Paris.
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– Thème de l’inachèvement suggéré par l’expression
« pièce à faire », qui fait écho au titre de l’œuvre.
– Structure particulière de la pièce : diptyque, sans acte ni
scène, n’obéissant à aucune règle du théâtre classique. Les
interruptions sont dictées par les tâtonnements des gens de
théâtre, désorientés.
– Description minutieuse ; scène de théâtre non apprêtée,
qui se dévoile au public dans sa « réalité » quotidienne. Lecteurs et spectateurs doivent oublier qu’il s’agit d’une représentation théâtrale.
– Abondance de mots renvoyant à l’univers théâtral (« salle »,
« rideau », « coulisses », « décor », « scène », « lumière », etc.),
tous assortis d’attributs ou de privatifs qui soulignent l’aspect
naturel (« levé », « tel qu’il est de jour », « sans lumière », « à
moitié caché »).
– Éléments du décor fonctionnant comme des métonymies :
couvercle du trou du souffleur, fauteuil du chef de troupe dont
le dossier, « tourné vers le public », suggère la présence d’un
quatrième mur.
– Importance des indicateurs spatiaux (« çà et là » ; couvercle déplacé) : désordre consciencieusement orchestré par
le dramaturge qui crée de l’illusion.
– Le premier personnage entre en scène presque par
hasard, pour bricoler ; il s’agit d’un machiniste, fonction qui
renvoie à l’envers du décor habituellement dissimulé au spectateur pour que fonctionne la magie théâtrale.
→ Paradoxe de la pièce : Pirandello se sert du théâtre pour
en souligner les limites.
• Prolongement : mise en abyme du théâtre dans le théâtre
Support : Dossier, • p. 135-142.
Exercice : répondre aux questions qui se trouvent • p. 140 et
• p. 142.
Shakespeare, Hamlet
1. – Typographie distinguant le texte des personnages de
celui de la pièce cadre.
– Commentaires d’Hamlet, metteur en scène. Scène désignée avec ironie comme une « pièce » (• p. 138) puis comme
Six personnages
• La didascalie initiale (• p. 41)
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un « jeu » (• p. 139), terme équivoque (jeu des comédiens et
jeu de la dénonciation indirecte).
– Texte écrit en alexandrins ; images et références mythologiques (• p. 136, • p. 139) ; emphase peu naturelle (cf. le
serment de la reine de comédie qui précède l’entrée de
Lucianus, • p. 138) ; langage alambiqué (« trente fois douze
lunes », « douze fois trente tours », • p. 136).
– Double énonciation : ressort de l’accusation. Ex : tirade
du roi (• p. 137-138) = réquisitoire d’outre-tombe dirigé
contre la reine.
2. Dénonciation de l’inconstance, la duplicité et la concupiscence de la reine :
– Répétition suspecte du mot « amour » comme si elle
avait besoin de se convaincre elle-même des sentiments
qu’elle porte à son époux.
– Le personnage qui la représente prononce des serments
qui jurent avec la situation (« La lune et le soleil fassent
autant de voyages/Avant que notre amour quitte ce rivage » ;
« Or, malgré mon tourment/il ne faut, monseigneur douter
aucunement », • p. 136). Peu de crédibilité des serments mis
en évidence par la comparaison avec un « fruit vert »
(• p. 137).
– La reine de comédie est comme un miroir accusateur
tendu par Hamlet à sa mère coupable de trahison (« Qui en
prend un second a occis le premier » : ce dernier vers sonne
comme une accusation sans appel). Écho dans la suite de la
réplique : remariage de nouveau assimilé à un crime (« et je
tue mon mari une seconde fois/Lorsqu’un second mari
m’embrasse entre les draps », • p. 137).
– Oxymores : écart entre les paroles et les actes, l’inconstance du caractère : « Peine se réjouit, Joie pleure dès qu’il
vente » (• p. 138).
– « Mariage » rime avec « avantage » (• p. 137) ; écho
dans la tirade du roi à travers un chiasme : « amour mène-t-il
Fortune, ou bien Fortune Amour ? » : thème de la cupidité.
– Invocation finale de la reine de comédie, qui fait référence à la situation au moment de l’énonciation : rappel insolent de ce qui menace la mère d’Hamlet : « Ici et en tout lieu,
suivez-moi, maux sans fin,/Si veuve devenue, épouse je
redeviens » (• p. 138).
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Corneille, L’Illusion comique
1. – Anaphore de l’expression « je vois » : étonnement et
incrédulité.
– « Charme », sens étymologique fort : idée d’une intervention magique.
– Antithèse « vivants »/« morts ».
2. – Expression globalisante et démystificatrice : « tous les
acteurs » (• p. 141).
– Retour à la réalité = activités triviales : le partage des
gains.
– Reprise des antithèses (• p. 141) : « l’un tue et l’autre
meurt », « le traître et le trahi, le mort et le vivant/se trouvent
à la fin amis comme devant » ; explication par « la scène »
qui renvoie à l’illusion.
– Valeur performative du langage : « leurs vers font leur
combat, leur mort suit leur parole ».
SÉANCE 2
→ Lecture analytique 1. « Pardon monsieur le directeur […]
les faire vivre pour l’éternité » (• p. 50-57)
Objectif : étudier comment la mise en abyme met en relief la
confrontation entre l’univers théâtral et celui de la création.
– Didascalie longue : désir de voir la représentation respecter scrupuleusement la nature des personnages et scepticisme à l’égard d’une éventuelle adaptation (les indications
s’adressent à celui qui « voudrait tenter une mise en scène »,
• p. 47, l. 192). Souligne également la nécessité de distinguer
très nettement les personnages et les comédiens, suggérant
ainsi la différence entre l’univers théâtral et celui de l’art qui
aboutit à une incompréhension réciproque.
– Précision de la description du père (couleur des yeux et
largeur du front) comme si le personnage existait d’une vie
propre et ne pouvait quasiment pas être incarné.
– Importance de l’expression « réalités créées » (• p. 47,
l. 204), qui insiste sur l’altérité radicale de ces créatures, à
mi-chemin entre le monde de l’art et la réalité connue.
Six personnages
• Remarques préliminaires sur la didascalie (• p. 47-49)
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• Théâtre dans le théâtre ou jaillissement de l’insolite
– L’arrivée des six personnages interrompt une répétition.
Elle constitue un moment clé qui fait basculer la pièce dans
l’étrange. Caractère insolite de l’irruption des personnages :
cf. adjectifs (« surpris », « mi-abasourdi mi-furieux », • p. 50,
l. 248 et l. 256), participe « sidérés » (• p. 52, l. 313), expressions et modalités interrogatives telles que « vous voulez
plaisanter, je pense ? » (• p. 50, l. 272). Stupeur et indignation. « L’étrange frayeur » (• p. 53, l. 354) qui s’empare du
régisseur chargé de les chasser souligne au passage le caractère fantastique et déroutant de cette apparition.
– Inversion des regards : les personnages arrivent de la
salle et « le directeur et les acteurs […] se tournent pour
regarder » (• p. 50, l. 248).
– Personnages désignés comme matière d’une pièce à faire
(futur : « ce sera nous », • p. 50, l. 263) ; famille porteuse d’un
« drame douloureux » (deux occurrences). Première réplique
du père : paraphrase du titre et absence d’auteur soulignée une
deuxième fois par le directeur.
• Rencontre de deux univers
– Joute verbale qui oppose le père et le directeur, porteparole respectifs des deux univers en présence ; les acteurs
sont arbitres et spectateurs ; ils « applaudissent » pour approuver leur directeur puis pour exprimer leur admiration devant
les personnages montés sur scène, comme si se dégageait
d’eux une fascinante beauté artistique.
– La scène ressemble à un tribunal où personnages et professionnels du théâtre se renvoient mutuellement à leur folie
(trois occurrences de l’adjectif « fou »).
– Violence qui se dégage des répliques du directeur (cf.
didascalies). Le père, lui, fait plutôt preuve de « fougue »
dans sa volonté de convaincre. Très vite se dessinent dans le
dialogue les principaux axes de réflexion :
• distinction entre « réalité » et « vérité » (le père, dans
ce qui s’apparente à une plaidoirie, reprend à plusieurs
reprises ce mot ce qui souligne la valeur qu’il y attache) ;
• dénonciation du caractère factice et illusoire du théâtre
qui s’échine à fabriquer du « vraisemblable ».
– Insistance sur le fait que les personnages sont des êtres
vivants, vrais et immortels, à condition d’être nourris par leur
auteur, qui, en les abandonnant, commet un crime.
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• Le père : « pater familias » déchu
mais porte-parole éloquent
– Stratégie argumentative : rebondit sur les répliques du
directeur (par exemple sur l’adjectif « immortel »). Nombreuses interrogations oratoires, maïeutique déstabilisante
pour son interlocuteur dont le trouble est manifeste : interruptions incrédules ou exclamations furieuses tentent de se
débarrasser des personnages comme l’a déjà fait leur auteur.
– C’est le père qui parle le plus dans cet extrait. La bellefille parle peu mais se montre très à l’aise, à l’inverse des
autres personnages qui sont pour l’instant muets et ne montent que progressivement sur scène, aidés par le père.
• Conclusion
Exposition peu conventionnelle dans laquelle se noue
l’intrigue principale. Sorte de mise en scène de l’expérience
vécue par Pirandello lors des entretiens avec ses personnages
qui, nous dit-il, surgissaient « vivants » et voulaient absolument « vivre ». Renouvelle ainsi l’approche de la mise en
abyme théâtrale en faisant de l’espace scénique la matérialisation de son esprit créateur harcelé par ces figures. Le directeur pourrait être considéré comme un double de l’auteur s’il
n’était à ce point enfermé dans une logique de l’illusion qui le
rend incapable d’accueillir et de comprendre la requête de ces
personnages surgis de nulle part.
L’entrée en scène des six personnages
dans la représentation de Demarcy-Mota (• p. 48)
– Vœux du dramaturge respectés : soin apporté à l’éclairage.
Rai de lumière qui les nimbe d’une aura presque surnaturelle.
Pas de masques, mais visages blanchis par le maquillage et la
lumière : expression figée. Personnages en deuil, vêtements
uniformément noirs sauf la fillette et surtout le fils aîné (singularité). Il regarde dans la même direction que les autres, c’està-dire vers la troupe, mais regard oblique. Père et belle-fille en
avant : porte-parole.
– Chaise vide, dont l’ombre est projetée au sol : métonymie de l’auteur qui les a abandonnés ?
Six personnages
• Prolongements
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– Six personnages regroupés à droite. Au fond, lignes verticales et horizontales, mur à claire-voie, théâtre mis à nu,
dont le spectateur peut voir la charpente.
– Seule recommandation ignorée par le metteur en scène :
l’entrée ne se fait pas par la salle.
Les personnages quittent la scène avec le directeur après
l’avoir convaincu d’écrire leur drame (• p. 80)
– Monte-charge, également utilisé dans la première mise en
scène de Pitoëff en 1923 (mais il était situé au fond de la salle) :
face habituellement cachée du théâtre qui se dévoile. Derrière
les personnages, la pierre mise à nu, et sur le côté, une échelle
en bois, outil plus qu’accessoire, habituellement dissimulé aux
spectateurs. Même dépouillement dans l’ampoule qui pend.
– Personnages éclairés par le haut ; partiellement enveloppés d’une lumière spectrale. Éclairage qui souligne le teint
blafard de leurs visages et le caractère figé de certaines
expressions : arrogance de la belle-fille qui lève fièrement la
tête, douleur de la mère dont le visage est à moitié plongé
dans le noir, malaise du père dont les bras sont derrière le dos
comme pour se donner une contenance.
– Poupée : attribut de l’enfance, souligne sans doute son
innocence. Elle ne figure pas dans la didascalie. Dans d’autres
scènes, la belle-fille tient sa sœur dans ses bras comme la petite
fille tient sa poupée, symbole de l’innocence perdue ?
SÉANCE 3
→ Lecture analytique 2. « Et que devons nous faire […] mais
laissez-la dire, la critique » (• p. 84-88)
Objectif : étudier les questions relatives à l’incarnation d’un
personnage par un comédien.
Après avoir manifesté beaucoup de scepticisme, le directeur se laisse tenter par l’histoire tortueuse des personnages
qui pourrait, sait-on jamais, donner « un spectacle extraordinaire ». Répétition hors du commun où les personnages
doivent « jouer » au lieu de vivre leur propre histoire. Cette
situation donne lieu à une série de malentendus et de polémiques qui resserrent la réflexion autour du rapport entre
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comédien et personnage à incarner. Ainsi s’esquisse le thème
de l’impossible représentation.
• Une répétition vouée à l’échec
Incompréhension et désarroi du père
– Relégué au second plan : « sur la scène, en tant que vousmême, vous n’avez pas votre place ! Sur la scène, il y a le
comédien qui vous représente, un point c’est tout ! » (• p. 87,
l. 1336). Incompréhension déclenchée par le mot « répétition » + verbe correspondant (cinq occurrences).
– Étonnement puis « trouble » face à cette tautologie :
comment répéter le rôle d’un personnage alors qu’il est luimême le personnage ?
– Répliques brèves, hésitantes, interruptions fréquentes,
nombreuses parenthèses : embarras et désarroi (« je ne sais
plus que vous dire », • p. 86, l. 1288).
Six personnages
Une situation inextricable
– Incongruité de la situation : les personnages présents sur
scène gênent le travail théâtral. Bizarrerie soulignée par le
directeur agacé : « les personnages, eux, ils sont là dans le
manuscrit » (• p. 85, l. 1257). Le trou du souffleur, pointé,
symbolise, non sans humour, l’absence d’auteur et les dysfonctionnements occasionnés dans la mécanique fabriquant
de l’illusion. Personnages encombrants mais nécessaires
puisqu’ils remplacent le manuscrit. Geste désespéré du directeur montrant les personnages aux comédiens puis les comédiens aux personnages : il tente désespérément de concilier
l’inconciliable, pris en étau.
– Fébrilité : phrases brèves à valeur injonctive (« vous
écoutez », « vous regardez ») ; interruptions nerveuses opposées aux objections du père et distribution rapide des rôles
sacrifiant aux conventions théâtrales (« oh, c’est facile, ils
sont distribués d’avance »).
– Ton excédé : exclamatives brèves juxtaposées, didascalies qui soulignent l’agacement et la nervosité croissante du
directeur + ironie face aux prétentions du père. Brutalité avec
laquelle il tente d’interrompre la discussion (« oh, et puis
finissons-en ») : malaise face à cet être qui revendique sa
fonction de personnage réel et ôte ainsi toute légitimité au
« jeu théâtral » ?
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– Courtoisie (« Je ne voudrais pas vexer vos comédiens,
Dieu m’en garde ! », • p. 87, l. 1345 ; « Vous m’en voyez
très honoré », • p. 88, l. 1350, etc.). Adjectif « mielleux »
récurrent dans la pièce. Posture figée du père, marqué par
l’infamie et le remords qui rattrape le personnage plaidant sa
cause auprès du directeur et des comédiens : personne ne peut
le représenter.
• Conflit entre vie et illusion théâtrale
– Distinction entre l’article indéfini « un corps » et le déictique « ce corps » (• p. 87, l. 1323 et l. 1330) qui impose la
présence charnelle des personnages.
– Vivants, les personnages ne peuvent concevoir qu’on les
re-présente ; « horrible souffrance » (• p. 87, l. 1329) de
l’altération.
– Discours du directeur placé sous le signe de l’artifice et
de l’invention : répétition de « il faut trouver ». Le souci de
l’« effet à produire » dénie toute réalité aux personnages.
Conteste l’adoption du « vrai nom » de la mère, négation
d’identité. L’« expression » des personnages ne peut être que
le résultat d’un habile « maquillage » (• p. 87, l. 1333). Ils ne
sont que des « matériaux », de pures abstractions dont doivent s’inspirer les comédiens.
• Conflit entre personnages et comédiens
– Comédiens : effacés. Si les personnages troublent le
directeur par leur présence, ceux qui doivent les incarner
sont d’abord inutiles (« Et que devons nous faire ? – Rien du
tout ! »).
– Inextricable paradoxe dans lequel s’enferre le directeur :
il défend la primauté du comédien sur les personnages,
mais en l’absence de manuscrit les comédiens sont d’abord
condamnés à être spectateurs. Scène vécue par les personnages dans les pages suivantes, puis maladroitement reprise
par les comédiens, ce qui confirmera que les véritables imposteurs sont les comédiens eux-mêmes.
– Concurrence entre personnages et comédiens suggérée
par l’impertinence : « hein ? quoi ? C’est celle-là qui va être
moi ? » (• p. 86, l. 1299). Opposition entre le pronom démonstratif dévalorisant et le pronom personnel (et plus loin entre
« moi » et « vous ») : impossible identification, conscience
aiguë d’une individualité propre.
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– La dernière réplique du père renforce cette distorsion :
distinction entre ce qu’il se « sent être » intérieurement et
le personnage que « sentira » l’acteur. Opposition entre première et troisième personne : impossible adéquation. Cf.
périphrase « celui qu’il interprétera comme étant moi ».
– Comédiens drapés dans une dignité affectée qui ne rend
que plus naturelles les réactions du père et de la belle-fille. Ils
rient : dissimulation d’un malaise ? Réponse au rire de la
jeune fille ?
• Conclusion
Impossibles dialogue et complémentarité entre comédiens
et personnages. En l’absence de manuscrit et en présence des
personnages, l’acharnement mis à vouloir créer du vraisemblable pour occulter une vérité qui dérange se révèle totalement vain.
Traditionnellement, « jouer » signifie donner vie à une
créature de chair et de papier ; ici, « jouer », c’est prétendre
imiter l’art doté d’une vérité qui lui est propre.
• Prolongements
– Diderot, Paradoxe sur le comédien (Dossier, • p. 148150).
– Pirandello, Écrits sur le théâtre et la littérature (Dossier,
• p. 147-148).
Vue d’ensemble. Trois plans (voir • p. 101) :
– Au premier, les comédiens et, face à nous mais tourné
vers le directeur dont il écoute les indications, le grand premier rôle. Le directeur expose ses vues. Comédiens vêtus de
blanc, sauf un, ce qui contraste avec le deuil des personnages
et accentue le clivage entre les deux groupes mis en évidence
par le cercle fermé que forme la troupe.
– Au second plan, le père ; posture d’attente tendue ; exclu
de cette concertation.
– Porte-parole de sa famille, il se détache d’elle, qui attend
en arrière-plan : belle-fille, adolescent et fils, chacun à bonne
distance l’un de l’autre. Plongés dans une demi-obscurité,
leur ombre se profile sur le sol.
Six personnages
• Analyse d’image :
la concertation entre les acteurs et le directeur
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SÉANCE 4
→ Lecture analytique 3. « Eh bien monsieur, peut-être qu’en
soignant le décor […]. Monstre ! Ma fille ! » (• p. 91-95)
Objectif : mettre en évidence la singularité de Mme Pace et la
façon dont Pirandello fait de la scène la matérialisation de
son esprit.
Le père devient dans cet extrait une sorte de thaumaturge,
un double inversé du metteur en scène : il ne fabrique pas de
l’illusion mais fait apparaître sous le regard fasciné des spectateurs et des acteurs une créature extraordinaire et vraie ; un
personnage qui obéit à une nécessité dramatique.
À la fois fantastique et comique, cette scène illustre les
propos de Pirandello qui, dans la préface, définit sa pièce
comme un « mélange de tragique et de comédie, de fantastique
et de réalisme ». Accent mis sur la réalité de ce passage du
néant à l’éternité qu’est la création d’un personnage. Or cette
apparition est réduite par les professionnels du théâtre à un
« tour de passe-passe », ce qui creuse le fossé entre les deux
mondes.
• Une étrange apparition
L’apparition de Mme Pace est pensée comme un coup
de théâtre : le père de famille orchestre ce curieux phénomène. Celui-ci est « évoqué » au sens littéral du mot. Scène
construite de manière à créer un effet d’attente. Accent mis
sur le regard. Exclamations répétées du père et de la bellefille : dramatisation. Mais le mouvement de frayeur qui
s’empare des professionnels du théâtre (à deux reprises) crée
un effet comique qui culmine avec le langage très coloré du
personnage, assorti à son accoutrement.
Un personnage qui naît « à point nommé » : elle se distingue des autres personnages parce qu’elle naît sur les
planches et sous nos yeux comme elle est née dans l’imagination de l’auteur, qui paradoxalement use de ressorts théâtraux pour mettre au monde le personnage (les chapeaux 1, le
1. Le chapeau est associé dans la symbolique pirandellienne à une sexualité bestiale couverte par une société hypocrite. Lui-même avait surpris
son père en plein rendez-vous galant au parloir du couvent d’Oroglione.
209
décor). Élément clé du drame « secondaire » des personnages, elle ne porte pas de noir, mais des couleurs criardes
qui contrastent avec les couleurs sombres de la famille. Il ne
s’agit pas d’un personnage refusé mais d’un personnage qui
naît soudainement, obéissant à une nécessité : « le nouveau
personnage est vivant non parce qu’il l’était déjà, mais parce
qu’il est né à point nommé, comme le veut précisément sa
nature de personnage, en quelque sorte obligé ».
Un mélange d’étrangeté et de grotesque : Mme Pace est
décrite par une longue didascalie (• p. 91, l. 1444-1454) qui
souligne sa vulgarité et son ridicule (« perruque de laine
couleur carotte », cigarette, etc.). Personnage de foire, n’existant nulle part et pourtant vrai. Tout est outré comme le
soulignent adjectifs et adverbes (« éclatant », « criard »,
« outrageusement »). Son langage : mélange d’espagnol et de
mauvais français qui relève de la pure invention. Pirandello
ne fait pas naître un personnage vraisemblable mais un personnage « vrai » ; et le directeur s’y trompe lorsqu’il ne voit
dans ce langage qu’une touche comique et pittoresque permettant d’atténuer la « crudité » de la scène.
De l’effroi à la fascination
– Mouvement inversé : les acteurs se précipitent vers la
salle c’est-à-dire vers la réalité, tandis que la belle-fille est
immédiatement portée vers sa patronne, issue du même univers qu’elle – celui de la création : préexistence d’un lien très
fort, attraction quasi surnaturelle. Le double mouvement vers
des pôles opposés accentue la différence entre réalité théâtrale et réalité artistique.
– Le père désigne aussitôt Mme Pace comme un « prodige » (• p. 92, l. 1469) et affirme la vérité supérieure du
personnage dont il se fait en quelque sorte l’avocat. Interrogations oratoires, accumulation, interpellation, répétition du
verbe « regarder » : le personnage déploie toute l’éloquence
d’un homme convaincu d’avoir accompli un miracle, celui de
la création. Son argument le plus cinglant : l’absence criante
d’actrice pouvant jouer ce rôle.
– Directeur et acteurs : panique puis stupéfaction. Colère
et lassitude du directeur qui prête à sourire : « Ah ? parce
qu’il y a encore quelqu’un d’autre qui doit débarquer ? »
Six personnages
• Quand la réalité passe pour une fiction
210
(• p. 93, l. 1519). Démystification de la scène qualifiée de
« mascarade » (• p. 91, l. 1459) ; les comédiens y voient un
« tour de passe-passe » (• p. 92, l. 1465). Père de famille
perçu comme un prestidigitateur.
– Puis les professionnels du théâtre se laissent gagner par
la fascination et veulent entendre la scène qui se joue sous
leurs yeux comme elle se jouerait dans la vie, c’est-à-dire à
voix basse, sans tenir compte des spectateurs.
Drame vécu ou drame joué ?
– Déception des professionnels du théâtre, soulignée par
les didascalies et leurs récriminations : « On n’entend rien du
tout ! » (• p. 92, l. 1493). Mystère autour de Mme Pace et de la
belle-fille. Notre curiosité est éveillée par ce dialogue inaudible.
– La belle-fille : d’un discours tonitruant à un discours
murmuré ; thème de la bienséance : « ce ne sont pas des
choses que l’on peut dire à tue-tête ». Écho dans le discours
du directeur quelques pages plus loin au sujet de la scène du
paravent : bienséance théâtrale cette fois que la belle-fille
prendra pour un complot masculin.
– Personnages et professionnels du théâtre raisonnent
différemment : réclamer un discours plus audible à la bellefille, c’est confondre ce qu’elle vit avec une fiction.
– Évocation par le directeur des exigences théâtrales : « le
public », « la salle », s’oppose à la volonté impatiente de personnages de vivre cette scène. Réception par le public sans
importance, car pour les personnages ce dernier n’existe pas.
Seule compte la société qui juge. Cf. propos de la belle-fille :
« elle risque la prison » (• p. 93). Par ailleurs, la belle-fille
veut voir la scène alors même qu’elle doit la vivre : « Tout
de suite ! Tout de suite ! Je vous dis que je meurs d’envie de
la vivre, de la voir 1, cette scène » (• p. 94, l. 1532).
– Le père utilise un vocabulaire théâtral (« et même, avec
votre permission, je vais faire mon entrée », • p. 93, l. 1525),
comme pour mieux persuader le directeur en feignant de se
plier aux contingences du théâtre.
1. De façon très significative, la belle-fille se définit comme spectatrice
de la scène dont elle est pourtant actrice, ce qui montre bien que pour
elle – comme pour les autres personnages –, le public n’existe pas.
211
– Finalement, la réalité des personnages l’emporte sur
l’illusion théâtrale. Ils revivent la scène grâce à la réaction
spontanée et pathétique de la mère, déclenchée par les propos
de Mme Pace. Le pathétique et la violence de sa réplique sont
aussitôt désamorcés par le rire des acteurs déclenché par la
perruque arrachée. Quant au public, il ignore s’il faut rire et
reste perplexe devant une telle imbrication de perspectives.
• Conclusion
Moment spectaculaire de la pièce qui accentue le désordre
régnant sur scène. Apparition qui nous renvoie aux mystères
de la création. Bien qu’il s’en défende dans sa préface 1,
Pirandello a choisi de faire naître son personnage sur une
scène et grâce aux accessoires de l’arrière-boutique, ce qui est
malgré tout une manière d’accorder, en partie au moins, au
théâtre le pouvoir démiurgique qu’il lui conteste tout au long
de la pièce.
• Prolongement
Le mystère de la création artistique (Dossier, • p. 151-155).
SÉANCE 5
Suggestion : avant l’analyse d’image, une lecture analytique
pourra s’attacher à l’étude des rapports entre personnages
et de la façon dont ils perçoivent leur drame. Montrer comment cette scène souligne une fois de plus les conditions
d’impossibilité de la représentation à travers le mélange
des registres. L’analyse d’image ne portera que sur certains
aspects de la scène étudiée.
1. « Et cela a provoqué une cassure, un changement brutal de plan de réalité sur la scène, car un personnage ne peut naître ainsi que dans l’imagination du créateur, mais sûrement pas sur les planches du théâtre. Sans que
personne n’y ait pris garde, j’ai changé tout à coup le lieu de la scène, je
l’ai à ce moment là réintégré dans mon imagination sans pour autant le
soustraire à la vue des spectateurs ; c’est-à-dire que je leur ai montré, au
lieu du plateau, mon imagination en train de créer […]. »
Six personnages
→ Analyse d’image. « Votre drame, votre drame […] C’est
moi qui vous le dis » (• p. 107-111)
212
Les personnages exposent leur drame :
– La belle-fille et son père sont sur des tréteaux. Plusieurs
interprétations possibles :
• matérialisation de la mise en abyme théâtrale. Les tréteaux sont une scène sur la scène (mais une scène très
dépouillée, comme improvisée) ;
• les tréteaux renvoient au désordre d’un théâtre sans
apprêt. Il s’agit d’un bois brut et on voit très clairement les
trépieds ainsi que l’escabeau qui a permis aux personnages
de monter. Espèce de ring où s’expriment les conflits entre
personnages.
– Au premier plan : projecteurs braqués sur la belle-fille
évoluant sous le regard des techniciens au second plan derrière elle et à gauche sur l’escabeau, comme s’il s’agissait
d’une actrice.
– Le père, assis, regarde sa belle-fille les mains sur les
genoux comme attendant son tour.
– La belle-fille est presque de face et pointe du doigt les
comédiens hors champ comme pour les prendre à témoin.
Sensualité qui se dégage de la robe et de la gestuelle. Les
deux personnages les plus assoiffés d’existence sont sur les
tréteaux. Les autres sont en retrait.
– La mère : assise dans une posture de souffrance ; passive.
Encadrée par l’adolescent qui tourne le dos aux tréteaux et
pose sa main sur son épaule comme pour la soulager. Ellemême entoure sa petite fille par les épaules dans un geste protecteur.
– Le fils est de profil ; très raide, il écoute attentivement ce
que dit sa demi-sœur.
SÉANCE 6
→ Lecture analytique 4 : le dénouement. De : « Qu’est-ce
que vous voulez, vous ? » à la fin (• p. 126-132)
Difficile de parler de dénouement pour cette pièce hors du
commun : où commence et où s’achève l’intrigue, à supposer
qu’il y en ait une ?
Ce dernier extrait met sur le devant de la scène deux personnages qui interviennent assez peu : l’adolescent, muet
puisque personnage condamné à une mort perpétuelle, et le
fils qui refuse le drame autant que l’auteur.
213
La « pièce à faire » s’achève sur le suicide de l’adolescent
déclenché par le récit qu’en fait le fils ; la pièce cadre, sur
l’échec définitif de toute représentation. Le chaos qui règne
sur scène est à son comble et sème la confusion dans les
esprits.
• Une tension et un désordre croissants
L’autoritarisme vain du père
– L’opiniâtreté que met le directeur à faire parler le fils
trouve un écho dans l’acharnement mis par le père à lui faire
jouer le drame. Empoignade. Impression de chaos. Tension
dramatique.
– Impossible incarnation des personnages par les
comédiens : métaphore du miroir déformant et de la caricature qui trouve un assentiment empressé du père. Mais son
fils et lui s’opposent ensuite avec violence (gestuelle qui
prend un relief particulier et ton).
– Père ramené à sa déchéance. Désigné comme père de
famille et meneur des personnages, mais l’autorité lui est
déniée dans les deux rôles. Invective (répétition du verbe
« obéir »). En appelle à la piété filiale.
Une mère poussée par son instinct
Intensité dramatique : mère qui tente de séparer les deux
hommes. Désir de vivre la scène dicté par l’amour maternel et
non par la conscience d’être un personnage du drame : « Je
voulais vider mon cœur de toute cette angoisse qui
Six personnages
La fascination croissante du directeur
– Caractère récalcitrant du fils, acharnement du père à le
faire entrer dans le drame et fascination morbide du directeur
assoiffé d’événements spectaculaires : regain de tension.
– Curiosité triviale du directeur : questions pressantes qui
relancent le récit du fils (après avoir joué le même jeu auprès
de la mère) ; amorces : « Vous êtes sorti de votre chambre,
sans prononcer un mot ? », « Et alors ? Et après ? Qu’avezvous fait ? » (• p. 128, l. 2578). Les questions se font de plus
en plus brèves. Le directeur réclame avec fougue un récit sans
savoir où il le mènera, ce qui crée chez le public un effet
d’attente. Les didascalies soulignent l’impatience du personnage, qui se communique à l’ensemble de la salle.
214
m’oppresse » (• p. 127, l. 2532). Elle attend du directeur une
occasion de pouvoir parler à son fils et non une occasion
d’exister (empressement de la réplique « Moi j’y suis toute
prête, monsieur », • p. 127, l. 2542, etc.).
Intransigeance du fils : un personnage qui ne veut pas
« faire de scène »
Clame son refus de venir en dénonçant la quête désespérée
du père qui les y a forcés. Expression équivoque qui peut
correspondre à la pièce à faire comme au drame des
personnages : il ne voulait pas « faire de scène » (• p. 127,
l. 2536-2537). C’est donc son récit qui déclenche le troisième
volet.
• Réalité ou fiction ?
Le troisième volet
Point culminant de la tension : coup de revolver, inattendu
et retardé par les hésitations du fils. Rebondissement, donc
effet de surprise, car l’événement n’avait pas été clairement
annoncé. Augmentation du désordre et de la tension. Ultime
cri de la mère comme si les cris répétés scandaient les différentes étapes du drame en l’absence de véritable structure.
Nombreux termes soulignant l’atmosphère chaotique régnant
sur scène à ce moment : « confusion générale », « tumulte »,
« tentant de se frayer un passage », « on le transporte », etc.
Pas de lien clairement exprimé entre suicide, demi-inceste et
mort accidentelle de la fillette ; fragments de drame plongent
les comédiens, le directeur et les spectateurs dans la consternation.
Réaction des professionnels du théâtre :
de l’angoisse au rire
Ils se dirigent de l’autre côté de la toile, donc de l’illusion,
comme pour y chercher une vérité ou chercher refuge ; apitoiement, rire puis question : fiction ou réalité ? Reste en suspens. Le directeur achève la pièce comme il l’a commencée,
dans la dénégation. Retour de la lumière : moyen d’échapper
à un « cauchemar ». But : revenir au quotidien, échapper au
trouble suscité par cette apparition étrange. La répétition
interrompue redevient la préoccupation première et la pièce
s’achève ainsi presque comme elle a commencé. La dispari-
215
tion de l’adolescent emporté par des personnages non identifiés (« on le transporte derrière la toile de fond », • p. 129,
l. 2614) demeure un mystère.
Un drame à jamais inachevé
Théâtre déserté mais hanté par ces figures de l’art qui ont
tenté de vivre un instant. Ombre des personnages errant dans
les limbes de la création, éternellement vivants, représentant
tous les personnages créés par l’art (théâtre en particulier).
Illustre le cri désespéré du père : « C’est la réalité, messieurs
dames, la réalité ! » (• p. 131, l. 2631). Terreur du directeur,
rire hystérique de la belle-fille, qui résonne comme le cri de
la mère, renforcent l’atmosphère étrange. Monde de l’art et
celui de l’illusion se sont rencontrés et se séparent.
• Conclusion
Dénouement marqué par l’hésitation entre fiction et réalité,
caractère mouvant de la réalité et incertitudes qu’elle draine,
particulièrement dans le contexte trouble de l’entre-deuxguerres où la pièce vit le jour pour la première fois.
SÉANCE 7
Support : adaptation cinématographique de Jean Prat (disponible à l’ADAV).
Objectif : préparation du sujet d’invention à rendre en évaluation finale :
→ discussion autour de la question suivante : l’adaptation vous semble-t-elle fidèle à la pièce ? On prendra soin
de sensibiliser les élèves aux particularités du théâtre filmé
qui met en jeu une écriture cinématographique.
→ sujet d’invention : Vous êtes critique littéraire dans
une revue. Votre directeur vous charge de rendre compte
dans un article circonstancié de l’adaptation de Six personnages en quête d’auteur par Jean Prat. Vous formulerez
une appréciation justifiée sur la pièce en prenant soin de
construire votre raisonnement et d’analyser des exemples
précis.
Six personnages
• Étude de l’adaptation de la pièce par Jean Prat
216
• Remarques préliminaires
– Réalisateur, auteur de documentaires et de reportages,
Jean Prat se spécialise rapidement dans l’adaptation filmée.
1964, Six personnages en quête d’auteur (principaux acteurs :
cf. notice). Action transposée sur un plateau de télévision ; le
texte est au début modifié en fonction de ce nouvel impératif.
Consignes : relever quelques-unes des modifications apportées
au texte (évocation de l’émission, de la caméra, des embouteillages au Trocadéro, de la peinture fraîche, jeux avec le
chien, etc.)
– On expliquera en vue de l’analyse d’image les termes
suivants (voir aussi • p. 157) :
• Cadrage : délimitation de l’image que nous voyons à
l’écran. Il est déterminé par la place de la caméra, l’échelle
du plan, le décor et l’action que nous devrons voir.
• Champ/contrechamp : plan alterné par exemple de
deux personnages en train de se parler.
• Champ/hors champ : image qui se situe dans le champ
de la caméra, portion d’espace que nous voyons. Le hors
champ est l’espace que nous ne voyons pas mais qui borde
le cadre.
• Panoramique : pivotement de la caméra sans la bouger
de son emplacement. Il peut être horizontal ou vertical.
• Profondeur de champ : mise en scène faisant jouer les
acteurs sur différents plans.
• Recadrage : léger mouvement de caméra destiné à
suivre un personnage ou un objet afin qu’ils ne sortent pas
du cadre.
• Analyse de l’exposition
Du début à l’effondrement de la belle-mère
– Début : plan d’ensemble en légère plongée d’un plateau
de télévision. Deux techniciens délimitent au sol l’emplacement d’un futur décor, défile le générique sans musique.
– Arrivée naturelle des comédiens et du directeur de troupe
qui se fait dans un joyeux désordre.
– Profondeur de champ. Plans étirés. Les panoramiques
suivent les acteurs : liberté de mouvement ; l’exposition a des
allures d’improvisation. Prise de son directe et musique intradiégétique renforcent l’effet de réel.
Arrivée des professionnels du théâtre
– En arrière-plan : amoncellement de planches, une échelle
et sur le côté droit un piano. Au fond, derrière une immense
ouverture, quelques personnages que la profondeur de champ
permet de distinguer très nettement. À plusieurs reprises au
cours de cette exposition, on entend parler de la peinture qui
n’est pas sèche, ce qui accrédite l’idée d’un plateau en pleins
préparatifs. Au fil des panoramiques, on découvre tous les
attributs d’un plateau de télévision : micro, caméra, portant,
projecteurs, fils électriques, etc. Les plans de la table autour
de laquelle les acteurs doivent lire le texte laissent voir la
saleté qui règne au sol.
– Entrée du régisseur, pas nerveux. Se dirige d’abord vers
la droite : panoramique qui permet de découvrir la partie
droite du plateau. Course vers le téléphone, ce qui permet de
découvrir la partie gauche du plateau, et de mesurer son
ampleur. Plan fixe sur le régisseur réclamant les éléments du
décor. À sa droite, une échelle. Murs nus.
– Arrivée de la script (qui remplace le souffleur) : descend un
escalier immense. Entrée naturelle, elle participe spontanément
à la conversation téléphonique en rappelant au passage son
bureau ; pantalon et veste négligemment jetée sur les épaules.
Elle traverse le plateau ; trajectoire inverse de celle du régisseur.
Au premier plan en haut, un micro. La scripte se dirige du côté
du piano. Derrière, décor bucolique. Des techniciens portent des
planches. Au passage, elle croise quelqu’un qui lui met dans sa
main libre (dans l’autre, une sacoche) un dossier, sans doute le
texte à répéter (Le Jeu des rôles de Pirandello).
– Chassé-croisé entre techniciens affairés et comédiens arrivant du fond. Tous vêtus de vêtements assez clairs conformes
aux indications scéniques ; ambiance dilettante. L’un joue avec
les lunettes de la scripte tandis qu’arrive une actrice, puis il se
met au piano, sans conviction d’abord. Léger panoramique
droite-gauche pour suivre les pas de danse esquissés par l’une
des actrices. Arrière-plan : arrivée du premier grand rôle masculin aisément identifiable à sa tenue très distinguée ; il se
dirige vers le bureau de la script pour émarger. En arrière-plan,
des caméras, et au second plan, des techniciens portant des
chaises. Les comédiens suivent tous la même trajectoire : ils
entrent par le fond, s’approchent du piano puis se dirigent vers
le bureau de la script. Les poignées de main soulignent la
convivialité. L’air de piano se prolonge.
Six personnages
217
218
– Pendant ce temps le directeur de troupe fait son entrée :
veste de cuir noir, casquette et cigarette comme la scripte. Il
dépose ses vêtements dans le coin gauche du plateau sur des
chaises puis revient à la table et ouvre le courrier.
– Plan fixe : les techniciens disposent autour de la table des
chaises non assorties, en mauvais bois en vue de la lecture.
L’air de piano s’arrête, la comédienne et le pianiste rejoignent
l’équipe à gauche du plateau pour commencer la lecture ;
retard du premier rôle féminin souligné par le directeur qui
évoque à cette occasion une émission : la répétition doit être
filmée. Un autre plan saisit alors l’entrée de l’actrice avec son
chien. Panoramique gauche jusqu’au bureau de la script. Le
chien a un pelage presque assorti au manteau de sa maîtresse.
La lecture
– Elle remplace la répétition pendant que les tracés de
décor sèchent. La script lit. Son bureau est cadré de profil et
l’on voit les comédiens autour de la table. Une légère toux
interrompt très naturellement sa lecture de même que le geste
qu’elle fait tout en parlant pour déplacer sa sacoche tandis
que le premier rôle féminin (qui a ici un prénom, Josiane)
appelle son chien.
– La plupart des actrices portent leur chapeau, ce qui a son
importance pour la suite.
– On retiendra trois plans :
• La discussion entre le directeur et le premier rôle masculin cadrés de profil de part et d’autre de la table.
• Le champ/contrechamp qui permet de saisir d’une part le
directeur et une comédienne qui a un sourire goguenard en
écoutant ses propos sur la coquille vide ; d’autre part le
premier grand rôle masculin et sa voisine incarnant son
épouse, incrédule.
• Le plan encadré qui saisit l’aparté entre le directeur et le
comédien : « pensez à rester bien face à la caméra » remplace « Surtout, placez-vous de trois quarts ».
L’entrée des six personnages
– Saisie par un plan d’ensemble en légère plongée. Caméra
placée derrière les comédiens. Le contraste est ainsi mis en
valeur entre les costumes de ville et les vêtements de deuil,
d’une autre époque.
– Le fils est en retrait en arrière, la belle-fille, la fillette, la
mère et l’adolescent sont alignés, tandis que le père est légèrement en avant. Deux mondes se font face et l’écriture cinématographique souligne ce clivage.
– Le père : d’abord à bonne distance ; il semble vouloir
partir en apprenant l’absence d’auteur tandis que la belle-fille
s’avance en proposant leur drame. Puis il se ravise.
– S’engage alors un dialogue où les points de vue s’opposent, soulignés par la technique du champ/contrechamp. Derrière les comédiens, un décor représentant un port nocturne :
illustration des propos du père sur l’illusion du vraisemblable.
Comme dans une joute, le directeur et le père s’affrontent. La
caméra suit les va-et-vient du directeur qui s’approche du père
(vu de dos) pour donner du poids à sa réplique et retourne dans
le camp des comédiens qui l’applaudissent. Plan rapproché du
père qui permet de saisir son expression et sa gestuelle. Il tient
son chapeau de la main gauche tandis que l’autre main accompagne ses propos. Il porte des gants noirs. Son costume est
sombre et rayé. Le regard parcourt les comédiens, hors champ,
qu’il cherche à convaincre.
– Retour au plan d’ensemble initial mais le père s’est
avancé près de la table, tribune derrière laquelle se trouvent
les comédiens/jurés. La belle-fille s’avance, puis la mère et
ses deux petits ; en retrait, le fils. Les rires fusent, interrompus par l’évocation du deuil de la mère.
– Léger recadrage droite qui permet de mieux la voir. Le
père fait s’avancer la famille et lance un signe au fils qui
reste obstinément en retrait. Applaudissements des comédiens
assortis de commentaires qui sont interrompus par le directeur. Le régisseur doit les chasser, il court vers eux et s’arrête.
Plan moyen de lui et du père qui refuse de sortir.
– Invective du père, saisi en plan d’ensemble s’adressant
aux comédiens hors champ. Sa belle-fille s’avance et complète ses paroles mais il l’interrompt. Cadrés en plan d’ensemble et légère contre-plongée. Au fond le reste de la
famille, au second plan et de dos un comédien devenu spectateur, au premier plan les têtes de comédiennes en chapeau.
– Deuxième plan rapproché du père qui expose la condition de personnage. Il s’approche ensuite des comédiens pour
mieux les convaincre.
– Plan rapproché de la belle-fille qui lance un baiser insolent à son beau-père resté hors champ. Il la rejoint pour la rappeler à l’ordre ; les deux personnages sont cadrés en plan rap-
Six personnages
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proché : l’écriture cinématographique souligne ainsi le lien
qui les unit tout en mettant en évidence le conflit. Commence
le numéro de charme de la belle-fille qui s’adresse aux comédiens en s’approchant d’eux suivie par un panoramique
gauche puis rejoint le centre du plateau. Plan d’ensemble.
Puis plan rapproché avec le fils en arrière-plan de profil,
adossé au portant, drapé dans une indifférence méprisante. La
belle-fille : robe assez luxueuse et décolletée, gilet transparent et béret à croisillons brillants d’où pend une fanfreluche.
Le fils : austère manteau noir et long parapluie.
– Chant d’abord a capella : attitude de petite fille timide,
yeux baissés et mains derrière le dos. Puis elle lève les yeux,
commence à sourire et à danser avec sensualité au moment où
le piano l’accompagne. Qui joue ? Musique intra- ou extradiégétique ? Le show s’achève sur un plan d’ensemble :
applaudissements des comédiens conquis mais très vite rappelés à l’ordre par le directeur, cadré en plan moyen.
– La belle-fille prend la parole à son tour. Elle parcourt le
plateau allant des comédiens aux personnages. On sera
attentif à la gestuelle : bras tendus, tantôt supplique tantôt
geste d’accusation.
– Évanouissement de la mère.
• Lectures cursives
Molière, L’Impromptu de Versailles.
Corneille, L’Illusion comique.
• Suggestions de devoir
Dissertation : pour être acceptable, une mise en scène
doit-elle nécessairement respecter le texte théâtral à la lettre ?
Vous prendrez appui dans votre raisonnement sur des
exemples précis.
Commentaire littéraire : l’apparition de Mme Pace
(cf. supra).
III. I N D I C A T I O N S
BIBLIOGRAPHIQUES
N. JONARD, Introduction au théâtre de Pirandello, PUF, 1997.
PIRANDELLO, Écrits sur le théâtre et la littérature, Gallimard, « Folio
essais », 1990.
Nadia ETTAYEB.