I. La contrariété de la loi étrangère à l`ordre public français en

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I. La contrariété de la loi étrangère à l`ordre public français en
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Fiche à jour au 5 mars 2007
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Diplôme : Master 1
Matière : Droit international privé
Web-tuteur : Sabine Robert
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Civ.1ère, 23 janvier 1979
I. LA CONTRARIETE DE LA LOI ETRANGERE A
L’ORDRE PUBLIC FRANÇAIS EN MATIERE
INTERNATIONALE
A.
3
4
LE CONTENU DE L’ORDRE PUBLIC FRANÇAIS EN MATIERE
INTERNATIONALE
Paris, 6 juillet 1989
ère
4
5
Civ.1 , 6 juillet 1988
5
Crim., 16 juin 1993
6
ère
7
ère
8
ère
9
Civ.1 , 13 novembre 1979
Civ.1 , 12 mai 1987
Civ.1 , 9 octobre 1991
Date de création du document : année universitaire 2006/07
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2
B.
LES MODALITES D’APPRECIATION DE LA CONFORMITE DE LA LOI
ETRANGERE A L’ORDRE PUBLIC FRANÇAIS EN MATIERE INTERNATIONALE
Civ.1ère, 19 octobre 1999
11
Com., 18 janvier 2000
11
II.
LA MISE EN ŒUVRE DE L’EXCEPTION D’ORDRE
PUBLIC
A. LES CONDITIONS DE LA MISE EN ŒUVRE DE L’EXCEPTION D’ORDRE
PUBLIC
B.
10
13
13
Civ.1ère, 3 janvier 1980
13
Civ.1ère, 19 février 1963
15
Soc., 1er mars 1973
16
Civ.1ère, 17 février 2004
17
Civ.1ère, 10 février 1993
18
LES EFFETS DE LA MISE EN ŒUVRE DE L’EXCEPTION D’ORDRE PUBLIC
19
Civ.1ère, 14 juin 2005
19
Civ.1ère, 6 décembre 2005
20
ère
Civ.1 , 15 juillet 1963
21
27/08/2007 - 23:33:4014_L_ordre_public_francais_en_matiere_internationale.doc
2/22
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3
L’exception d’ordre public permet l’éviction de la loi étrangère
compétente d’après les règles de conflit de lois du for et l’application
subsidiaire de la loi du for. En effet, si la loi matérielle compétente
déterminée d’après le jeu de la règle de conflit de lois et éventuellement
du renvoi est une loi étrangère, celle-ci peut ne pas être appliquée par le
for. L’exception d’ordre public est l’un des mécanismes juridiques du
droit international privé, permettant au for d’écarter l’application d’une
loi étrangère, pourtant compétente, dès lors que cette dernière est
contraire à l’ordre public. Elle apparaît donc comme un mécanisme
correcteur venant atténuer, au stade de l’application de la loi étrangère
compétente, le principe de neutralité de la règle de conflit de lois. En
effet, grâce à l’exception d’ordre public, le for peut prendre en
considération le contenu de la loi étrangère afin d’écarter l’application de
cette dernière et protéger ainsi les valeurs et principes essentiels de son
ordre juridique (pour une confirmation de principe, cf. Civ.1ère, 23
janvier 1979).
Civ.1ère, 23 janvier 1979
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches : Attendu que, selon les
énonciations de l'arrêt attaqué, la demoiselle Lung, aux droits de laquelle ses
héritiers sont dans la procédure, a donné à bail divers locaux dans un
immeuble lui appartenant et sis à Alger à la société Petropar, que celle-ci,
ayant eu son capital, nationalisé dans sa majorité, transféré à la Sonatrach et
ayant dû apporter le surplus à la société Petral a été liquidée, que les locaux
litigieux déclarés vacants ont été occupés par la Sonatrach, que la demoiselle
Lung a assigné les sociétés Petropar, Sonatrach et Petral en paiement des
loyers échus du 1er avril 1968 au 15 janvier 1976, que la cour d'appel a donné
acte à Martin-Dupont, liquidateur de la société Petropar de son offre de payer
le loyer du 1er avril 1968 au 31 mars 1973, date à laquelle le bail était arrivé à
son terme, et l'a condamné à payer en Algérie ladite somme augmentée du
complément prévu à la clause d'indexation du contrat, qu'elle a condamné les
sociétés Petral et Sonatrach à payer une indemnité d'occupation pour la
période postérieure et la somme de 30000 francs à titre de dommagesintérêts, que la cour d'appel a enfin commis un expert afin d'évaluer le
supplément de loyer et d'indemnité d'occupation résultant de l'indexation ;
Attendu qu'il est fait grief à la cour d'appel d'avoir condamné les sociétés
Sonatrach et Petral, alors que la déclaration de vacance, distincte des
"nationalisations" , ne peut être tenue pour contraire à l'ordre public français,
l'attribution à l'Etat des biens vacants étant admise en droit français et alors,
en toute hypothèse, qu'il ne peut y avoir aucune faute génératrice de
dommages-intérêts dans le fait, pour une personne physique ou morale
algérienne, d'occuper un immeuble sis en Algérie conformément à la loi
algérienne et aux décisions prises par les pouvoirs publics de ce pays ; Mais
attendu, d'une part, que la loi française n'admettant la vacance d'un bien que
si ce bien est sans maître, la cour d'appel a pu décider que la mesure de
dépossession sans indemnité dont la demoiselle Lung a été la victime était
contraire à l'ordre public français et ne saurait avoir d'efficacité en France, et
d'autre part, que la privation du loyer par les sociétés occupant les locaux
litigieux justifiait l'allocation à la propriétaire d'une indemnité
compensatrice, qu'il s'ensuit qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel
a légalement justifié sa décision et que le moyen n'est fondé en aucune de ses
deux branches ;
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Par ces motifs : rejette le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 20 octobre
1976 par la Cour d'appel de Paris.
Notons que lorsque la loi étrangère est compétente en vertu d’une
convention internationale, l’exception d’ordre public ne pourra être mise
en œuvre qu’à la condition que son jeu soit admis par la convention.
Par ailleurs, la « loi étrangère » pouvant être évincée par l’exception
d’ordre public doit être entendue largement. Elle comprend non
seulement les actes législatifs étrangers, mais aussi les actes des autorités
publiques étrangères, ainsi que les jugements étrangers (cf. fiche 16,17 et
18).
Ainsi, après avoir identifié la loi étrangère compétente, si le juge français
constate la contrariété de la loi étrangère applicable à l’ordre public
français en matière internationale (I), il pourra mettre en œuvre
l’exception d’ordre public afin, éventuellement, d’en écarter l’application
effective (II).
I. La contrariété de la loi étrangère à l’ordre public
français en matière internationale
Afin de déterminer si la loi étrangère compétente est contraire à son
ordre public, et avant d’apprécier la conformité de la loi étrangère (B), le
for français doit s’interroger sur le contenu de ce dernier (A).
A. Le contenu de l’ordre public français en matière
internationale
1. Définition
Il convient avant tout de ne pas confondre l’ordre public international,
lequel serait l’ordre public en matière internationale, et l’ordre public
national (interne), mais valant dans des litiges internationaux. C’est ce
dernier qui est en jeu dans le cadre de l’exception d’ordre public. Nous
parlerons d’ordre public français en matière internationale, afin d’éviter
toute confusion. Il convient, par ailleurs, de ne pas confondre l’ordre
public français en matière internationale, avec l’ordre public national, ce
dernier étant beaucoup plus vaste. Les principes constituant l’ordre
public français en matière internationale sont des principes essentiels
dont l’importance peut être graduée sur trois niveaux. L’appartenance
des principes à l’ordre public français en matière internationale est
déterminée par les juges à l’occasion des litiges (cf. à propos du droit
moral de l’auteur, Paris, 6 juillet 1989, extraits).
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Paris, 6 juillet 1989
Considérant qu’en droit international privé, l’exception d’ordre public est
une réaction d’intolérance à la loi étrangère qui doit être exercée avec
beaucoup de mesure et non à l’occasion de n’importe quelle divergence
sérieuse avec le droit d’un autre Etat :
Que les nécessités de l’ordre public français s’y apprécient de façon plus
rigoureuse qu’en droit interne et ne s’imposent que quand la contrariété
apportée à la loi du for ébranle les fondements sur lesquels repose la société
française dans l’ordre politique social ou familial
Qu’ainsi le recours à l’exception oblige à démontrer la très haute valeur de ce
que l’on entend préserver, l’absence de dommage causé à d’autres principes
non moins respectables et reconnus par la France elle-même, enfin la gravité
de l’atteinte subie faisant qu’elle dépasse le seuil de ce qui est supportable.
Le premier niveau est constitué par les « principes universels de justice
considérés dans l’opinion française comme doués de valeur
internationale absolue » auxquels se réfère le célèbre arrêt Lautour du 25
mai 1948 (à propos du principe de responsabilité sans faute, 1384 al.1er
du Code civil, qui ne fait pas partie desdits principes). Cette définition
montre bien que l’universalité visée est emprunte de relativité. Les droits
fondamentaux font partie de cette catégorie.
Le second est constitué par les principes qui, sans être considérés comme
ayant une portée universelle, sont fondamentaux pour l’ordre juridique
français, tels que la monogamie par exemple (Civ.1ère, 6 juillet 1988).
Le troisième regroupe les principes défendant une politique législative du
for, autrement dit les lois qui régissent l’organisation politique
économique et sociale du pays (matière économique, familiale…, dont
ne fait pas partie, selon la jurisprudence, le principe de réparation
intégrale, Crim., 16 juin 1993).
Notons que les conventions internationales de protection des droits de
l’homme, telles que la convention européenne de sauvegarde des droits
de l’homme et des libertés fondamentales, sont prises en compte dans la
mise en œuvre de l’exception d’ordre public.
Civ.1ère, 6 juillet 1988
Vu les principes du droit international privé français et l'article 29 de la
convention générale sur la sécurité sociale conclue le 19 janvier 1965 entre la
France et l'Algérie, applicable en la cause ;
Attendu que M. Rabah Baaziz et Mme Marinette Arthaud, tous deux de
nationalité française, se sont mariés à Lyon le 9 août 1954 ; qu'après
l'accession de l'Algérie à l'indépendance, M. Baaziz a acquis la nationalité
algérienne et a contracté un second mariage en Algérie avec Mme Fethita
M'Djahri, selon la loi algérienne ; qu'il a été victime en France, le 11 mai
1978 d'un accident mortel du travail ; que par arrêt du 10 juillet 1980, devenu
irrévocable, la cour d'appel de Lyon a décidé que le second mariage ne
pouvait produire effet en France que dans la mesure où il ne heurtait pas la
conception française de l'ordre public international et que, pareillement,
Mme M'djahri ne pouvait faire usage sur le territoire français de sa qualité de
6
veuve de M. Baaziz que dans des conditions qui ne seraient pas contraires à
l'ordre public ; Attendu que l'arrêt attaqué a dit, sur le fondement de l'article
29 de la convention susvisée en vigueur à la date de l'accident, et dont les
dispositions ont été reprises par l'article 42 de la convention générale signée
le 1er octobre 1980 -, que la rente du conjoint survivant due à la suite du
décès de M. Rabah Baaziz doit être servie à parts égales entre Mme Arthaud
et Mme M'Djahri ; Attendu, cependant, que sauf dispositions contraires, les
conventions internationales réservent la contrariété à la conception française
de l'ordre public international ; que cette conception s'oppose à ce que le
mariage polygamique contracté à l'étranger par celui qui est encore l'époux
d'une Française produise ses effets à l'encontre de celle-ci ; qu'ainsi, en
statuant comme elle a fait, la cour d'appel a violé les principes et le texte
susvisés ; PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la
première branche du moyen, ni sur le second moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 février
1984, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence,
la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et,
pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Aix-en-Provence ;
Crim., 16 juin 1993
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation pris de la violation des articles 4 et 10 de la
convention de La Haye du 4 mai 1971, de l'article 1382 du Code civil, de la
loi du 5 juillet 1985, des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, du
principe d'ordre public de la réparation intégrale du préjudice :
" en ce que l'arrêt attaqué a débouté Mme Elflein, ès qualités, de ses
demandes tendant à la réparation du préjudice moral subi par elle et son
enfant mineur, du fait des conséquences de l'accident litigieux ;
" aux motifs que " c'est à juste tire et en application de l'article 4 de la
convention de La Haye du 4 mai 1971 que le tribunal correctionnel a déclaré
que la loi applicable, en ce qui concerne la réparation du préjudice, était, en
l'espèce, la loi allemande ; qu'en effet, les deux véhicules impliqués dans
l'accident étaient immatriculés en Allemagne ; qu'en outre, le prévenu et la
victime y avaient leur résidence ; que les dispositions légales allemandes ne
prévoient pas la réparation d'un préjudice moral (pretium affectionis) de la
veuve ou de l'enfant de la victime ; que cette limitation, si elle est contraire
aux règles de droit français, n'est pas incompatible avec l'ordre public
international au sens du droit international privé ; qu'en effet, de nombreux
Etats y compris au sein de la Communauté économique européenne sont
régis par des dispositions légales excluant la réparation d'un préjudice moral
au sens du droit français " (cf. arrêt p. 7 et 8) ;
" alors que selon l'article 10 de la convention de La Haye du 4 mai 1971,
l'application d'une loi déclarée compétente par cette Convention peut être
écartée si elle est manifestement incompatible avec l'ordre public au sens
international ; que le principe de la réparation intégrale de tous les préjudices
subis par la victime, notamment du préjudice moral, est un principe
fondamental qui appartient à la conception française de l'ordre public
international ; qu'en refusant de réparer le préjudice moral de Mme Elflein et
de son fils, au motif pris que l'absence de réparation d'un tel préjudice par la
loi allemande applicable en la cause n'est pas incompatible avec l'ordre
public international au sens du droit international privé, la cour d'appel a
violé les textes et le principe susvisés " ;
Attendu que, statuant sur la réparation des conséquences dommageables du
délit d'homicide involontaire commis par Klaus Fritges sur la personne
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d'Alfred Elflein au cours d'une collision entre deux véhicules immatriculés
en Allemagne, la juridiction du second degré rejette, par les motifs repris au
moyen, la prétention d'Irmgard Schubert veuve Elflein qui demandait la
réparation du préjudice d'affection subi par elle et son fils à la suite du décès
de son époux, consécutif à l'accident ;
Attendu qu'en cet état, la cour d'appel n'a nullement méconnu les textes et
principe visés au moyen ;
Qu'en effet, n'est pas contraire à l'ordre public, au sens du droit international
privé, l'exclusion par la loi étrangère de la réparation intégrale du préjudice et
notamment celle d'un préjudice moral ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE les pourvois.
2. Le principe d’actualité de l’ordre public
Le contenu concret de l’ordre public français en matière internationale
est variable et évolutif. Il varie en fonction de la société. On parle
d’actualité et de variabilité de l’ordre public. Le contenu de l’ordre
public variant dans le temps, il convient de déterminer le moment de la
confrontation de la loi étrangère à l’ordre public. Ce moment est précisé
en vertu du principe d’actualité. En effet, c’est à cette date qu’il faut se
placer afin de déterminer si tel ou tel principe ou valeur relève de l’ordre
public français en matière internationale, en fonction de l’opinion qui
prévaut à ce moment-là (Civ.1ère, 13 novembre 1979). Ainsi, certains
principes initialement exclus sont progressivement entrés dans la sphère
de l’ordre public comme le principe d’égalité des filiations et ses
diverses conséquences (Civ. 1ère 12 mai 1987).
Civ.1ère, 13 novembre 1979
Sur les deux moyens réunis : Attendu que, selon les énonciations de l'arrêt
attaqué, Aimé W.-L., de nationalité belge, a eu deux fils, Louis, de
nationalité belge et né d'un premier mariage de son père, et Jacques, de
nationalité française, né au cours d'un second mariage d'Aimé W.-L. d'une
femme autre que son épouse, que, cette seconde union ayant été dissoute,
Aimé W.-L. a épousé la mère de son fils Jacques qu'il a reconnu et légitimé ;
Que se fondant sur les dispositions de la loi belge qui n'admet ni la
reconnaissance ni la légitimation des enfants adultérins, Louis W.-L. a
assigné le 11 avril 1964 son frère consanguin devant le Tribunal de grande
instance de Paris en nullité des reconnaissance et légitimation dont il a été
l'objet ; que la cour d'appel, statuant sur renvoi après cassation, a déclaré
l'action prescrite ;
Attendu qu'il est fait grief à la cour d'appel d'avoir décidé que l'action en
contestation d'état, régie par la loi belge qui en édicte l'imprescriptibilité,
serait soumise à la prescription trentenaire par l'effet de la conception
française de l'ordre public international, alors que, dans le droit antérieur à la
loi du 3 janvier 1972, l'imprescriptibilité des actions en contestation d'état
aussi bien que des actions en réclamation d'état, aurait été unanimement
admise, la distinction entre ces deux actions résultant, selon le moyen, pour
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la première fois, de l'arrêt de cassation rendu dans la cause actuelle, le 25
novembre 1975, et alors que les nouvelles règles instituées par la loi du 3
janvier 1972, concernant notamment celle relative à la prescription
trentenaire des actions relatives à la filiation, seraient loin de faire
l'unanimité de sorte que l'on ne saurait y voir l'expression française de l'ordre
public international, et alors que, dans le contexte de l'arrêt attaqué, ce serait
la loi du 3 janvier 1972 qui aurait donné à la prescription trentenaire de
l'action le caractère d'ordre public international que lui prête la cour d'appel,
que l'action litigieuse soumise à la loi belge d'imprescriptibilité n'aurait pu se
prescrire avant cette date, puisque jusqu'à cette date, la conception française
de l'ordre public international ne s'opposait pas à cette imprescriptibilité ;
qu'en conséquence, l'article 15 de la loi du 3 janvier 1972 aurait été
applicable et le point de départ de la prescription fixé au 1er août 1972 ; Mais
attendu que la cour d'appel, qui a justement écarté l'application en la cause de
la loi du 3 janvier 1972, a pu relever cependant que ses dispositions
caractérisaient < un intérêt de bien commun >, traduisant une < conception
actuelle fondamentale > au sens de l'ordre public international français, que,
retenant que la prescription trentenaire a commencé à courir du jour où l'état
contesté a été créé, c'est-à-dire du 6 avril 1922, jour de la légitimation de
Jacques W.-L., la cour d'appel a décidé à bon droit que l'action introduite par
Louis W.-L., le 11 avril 1964, était prescrite ; que les premier et second
moyens sont sans fondement ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 14 mars 1978
par la Cour d'appel de Rouen.
Civ.1ère, 12 mai 1987
Sur le premier moyen :
Vu l'article 425-1°, du nouveau Code de procédure civile ;
Attendu qu'en vertu de ce texte, le ministère public doit avoir communication
des causes relatives à la filiation ; que cette exigence est d'ordre public ;
Attendu que, sur la demande en partage de la succession d'X... formée par M.
Y..., les consorts Z..., défendeurs à l'action, ont soulevé, par voie d'exception,
la nullité de la reconnaissance et de la légitimation dont M. Y... avait été
l'objet ;
Attendu qu'il ne résulte ni des mentions de l'arrêt, ni des pièces du dossier, ni
d'aucun élément de preuve que la cause ait été communiquée au ministère
public ; que cette communication ne peut notamment être déduite de la lettre
adressée à M. Y... par le procureur général près la cour d'appel,
postérieurement à l'arrêt attaqué, qui se bornait à indiquer que le ministère
public n'avait pas pris de conclusions ; que la cour d'appel n'a donc pas
satisfait aux prescriptions du texte susvisé ;
Et sur le cinquième moyen, pris en sa première branche :
Vu les principes qui régissent le droit international privé, ensemble l'article
331 du Code civil, dans sa rédaction de la loi du 30 décembre 1915 ;
Attendu qu'X..., de nationalité belge, a eu, de son premier mariage, un fils
prénommé Z... ; qu'au cours de sa deuxième union, un autre fils, prénommé
Y..., est né le 27 janvier 1920 de sa liaison avec J... F... ; qu'après dissolution
de ce deuxième mariage, X... a, le 7 avril 1922, épousé J...F... après avoir, au
préalable, reconnu son second fils ; que celui-ci ayant demandé le partage de
la succession de son père décédé le 21 novembre 1959, les héritiers de Z...
ont soutenu qu'il n'avait pas la qualité d'héritier d'X..., sa reconnaissance par
ce dernier et sa légitimation par le mariage de son père avec J... F... devant
être annulées par application de la loi belge qui interdit la reconnaissance et
9
la légitimation des enfants adultérins ; que l'arrêt attaqué a considéré que la
validité de la légitimation devait en effet être appréciée au regard de la loi
belge en vigueur au jour du mariage et que la prohibition qu'elle édictait "
était conforme à l'ordre public actuel au sens du droit international privé
français, seules les lois plus larges que la loi française en la matière pouvant
être évincées au nom de l'ordre public mais non les lois plus restrictives " ;
qu'il a en conséquence décidé que M. Y..., enfant adultérin non légitimé du
de cujus, n'avait pas de droit dans sa succession ;
Attendu cependant que le principe de la légitimation par le mariage des
enfants naturels, même d'origine adultérine, traduit une conception
fondamentale actuelle du droit français entraînant, par l'effet de l'ordre public
l'éviction de la loi belge ; que l'article 331 du Code civil, dans sa rédaction en
vigueur au jour du mariage des parents de M. Y..., dispose que les enfants
nés du commerce adultérin du mari sont légitimés par le mariage subséquent
de leurs père et mère lorsque ceux-ci les reconnaissent au moment de la
célébration, s'il n'existe pas, à ce moment, d'enfants légitimes issus du
mariage au cours duquel l'enfant adultérin est né ou a été conçu ; que dès lors
en se déterminant comme elle a fait, la cour d'appel a violé les principes et le
texte susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les deuxième,
troisième, quatrième et sixième moyens, ni sur la seconde branche du
cinquième moyen :
CASSE ET ANNULE l'arrêt rendu le 12 juin 1984, entre les parties, par la
cour d'appel de Reims ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans
l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie
devant la cour d'appel de Dijon
3. Ordre public de fond / ordre public de procédure
Parmi les principes relevant de l’ordre public français en matière
internationale, on distingue les principes substantiels (par exemple le
principe d’égalité des filiations, Civ.1ère, 12 mai 1987 précité), des
principes relatifs à la procédure (par exemple l’exigence de motivation,
Civ.1ère, 9 octobre 1991).
Civ.1ère, 9 octobre 1991
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :
Attendu que l'arrêt attaqué (Montpellier, 21 février 1990) a refusé l'exécution
d'un jugement du Landgericht de Sarrebrück, prononcé par défaut, qui a
condamné la Société générale routière à payer à la société allemande
Polypetrol la contre-valeur en DM de la somme de 231 258,61 francs, aux
motifs que les documents produits ne permettaient pas de contrôler les
conditions requises pour la reconnaissance ;
Attendu qu'il est reproché à cet arrêt d'avoir ainsi statué, alors, selon le
moyen, d'une part, qu'il appartient à celui qui invoque l'irrégularité d'une
décision dotée, de plein droit, d'efficacité selon la convention de Bruxelles du
27 septembre 1968, de faire la preuve que l'absence de motifs recèle une
contrariété aux règles de la Convention, de sorte qu'en décidant qu'en
l'absence de production de tout document équivalent, elle n'était pas en
mesure de contrôler les conditions de la reconnaissance de la décision, la
cour d'appel a violé les articles 27, 1°, et 28 de la Convention précitée ; alors,
d'autre part, qu'en refusant l'exécution pour la seule raison que la décision
n'était pas motivée et que le demandeur ne produisait aucun élément
10
équivalent à la motivation sans l'inviter à produire les justificatifs utiles, la
cour d'appel a encore violé les mêmes textes ; alors, enfin, qu'en se fondant
sur le fait que si des procès-verbaux de gendarmerie établissaient que la
Société générale routière avait bien été avisée d'un procès intenté à
Sarrebrück, il n'en résultait pas que l'objet de celui-ci ait été porté à la
connaissance de la Société générale routière, qui, à défaut, n'avait pu
organiser sa défense, la cour d'appel a aussi violé l'article 27, 2°, de la
Convention précitée en ajoutant à ce texte une précision qu'il ne contient pas
Mais attendu, d'abord, qu'est contraire à la conception française de l'ordre
public international la reconnaissance d'une décision étrangère non motivée
lorsque ne sont pas produits des documents de nature à servir d'équivalent à
la motivation défaillante ; qu'il incombe au demandeur de produire ces
documents, même lorsqu'il s'agit d'une décision bénéficiant d'une
reconnaissance de plein droit, dès lors qu'il doit produire une expédition de la
décision, conformément à l'article 46 de la Convention du 27 septembre 1968
; que la cour d'appel n'était nullement tenue, dans l'exercice de son contrôle,
de suppléer la carence du demandeur en l'invitant à produire ces éléments ;
Attendu, ensuite, que l'acte introductif d'instance ou l'acte équivalent, dont la
notification régulière est requise par l'article 27, 2°, de la Convention de
1968, doit, par définition, contenir des indications suffisantes sur l'objet de la
demande, à défaut desquelles les droits de la défense ne sont pas respectés ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi
B. Les modalités d’appréciation de la conformité de la loi
étrangère à l’ordre public français en matière
internationale
Après avoir identifié la loi étrangère compétente, le for français va donc
apprécier la conformité de la loi étrangère à l’ordre public français tel
qu’il vient d’être déterminé (cf. supra I). L’appréciation se fait in
concreto en fonction du résultat concret découlant de l’application de la
loi étrangère au cas d’espèce. Il est donc tenu compte des circonstances
particulières de la situation privée internationale litigieuse. Ainsi, ce
n’est pas tant la conformité à l’ordre public des dispositions de la loi
étrangère abstraitement considérées qui doivent être appréciées, mais la
conformité du résultat de l’application de la loi étrangère en l’espèce.
Ainsi, a pu être considérée comme non conforme à l’ordre public, la loi
étrangère qui énonce un principe d’irrévocabilité de la reconnaissance
d’enfant naturel, ce qui fait obstacle au rétablissement de la filiation
biologique véritable. Au contraire, la jurisprudence a décidé qu’était
conforme à l’ordre public la loi étrangère qui exclut l’adoption dès lors
qu’une autre mesure est mise en place (Civ.1ère, 19 octobre 1999) ou
encore la loi étrangère qui permet l’ouverture d’une procédure collective
contre un non-commerçant (Com., 18 janvier 2000).
11
Civ.1ère, 19 octobre 1999
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches :
Attendu que les époux X..., de nationalité marocaine, font grief à l'arrêt
confirmatif attaqué (Rennes, 7 octobre 1996) d'avoir rejeté leur requête en
adoption simple de leur nièce, Naoual X..., de même nationalité, née le 19
octobre 1991, alors, selon le moyen, d'une part, que l'arrêt, qui se retranche
derrière la loi étrangère pour refuser le bénéfice de l'adoption simple à un
enfant, se dispensant ainsi d'analyser le consentement de ses parents,
méconnaît l'ordre public international français et viole par là même les
articles 6 du Code civil, 8-1 de la convention européenne des droits de
l'homme et 21 de la convention de New York relative aux droits de l'enfant ;
que, d'autre part, l'arrêt, qui n'a pas recherché si l'enfant avait vécu presque
exclusivement en France depuis sa naissance, ce qui justifiait qu'il soit fait
échec à l'application de la loi nationale par le jeu de l'ordre public français,
manque de base légale au regard de l'article 6 du Code civil ;
Mais attendu que, par motifs adoptés, la cour d'appel, après avoir relevé que
les requérants et l'enfant étant de nationalité marocaine, il y avait lieu de faire
application de l'article 83 du Code marocain du statut personnel et des
successions prohibant l'adoption, a exactement décidé, sans violer les textes
visés au moyen, que ce texte n'était pas contraire à la conception française de
l'ordre public international ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.
Com., 18 janvier 2000
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 5 décembre 1996), qu'après
l'ouverture en Suède (le 22 avril 1993) d'une procédure de " faillite de nonrésident " à l'égard de M. Pehrsson, la Haute Cour de Justice de Londres, sur
requête de la Scandinaviska Enskilda Banken, dont la créance n'avait pas été
payée, a prononcé la faillite de M. Pehrsson ; que M. Kinlan, désigné en
qualité de " trustee " du patrimoine du débiteur, a sollicité l'exequatur de
cette décision ; que le tribunal a accueilli sa demande ;
Attendu que M. Pehrsson reproche à l'arrêt d'avoir déclaré exécutoire en
France l'ordonnance de faillite rendue le 20 octobre 1994 par la Haute Cour
de Justice de Londres, alors, selon le pourvoi, d'une part, que toutes les fois
que la règle française n'attribue pas compétence exclusive aux tribunaux
français, le tribunal étranger ne sera reconnu compétent que si le litige se
rattache d'une manière caractérisée au pays dont le juge a été saisi et si le
choix de la juridiction n'a pas été frauduleux ; que, pour estimer que la
juridiction anglaise était compétente pour ouvrir une procédure collective à
l'égard de M. Pehrsson, la cour d'appel se réfère aux règles de compétence
édictées par le droit anglais et au fait que M. Pehrsson avait eu sur le
territoire anglais une " activité liée à une exploitation commerciale ayant
généré des dettes " ; qu'en statuant ainsi, elle ne vérifie pas si le litige se
rattachait d'une manière caractérisée à l'Angleterre, violant les principes qui
régissent la compétence juridictionnelle internationale, ensemble l'article 1er
du décret du 27 décembre 1985 ; alors d'autre part, et dans le même ordre
d'idées, que pour déclarer exécutoire en France le jugement de faillite rendu
en Angleterre, la cour d'appel relève seulement que la faillite antérieurement
déclarée en Suède ne prive pas les créanciers de M. Pehrsson du droit de
poursuivre une procédure collective en Angleterre " permettant la liquidation
de ses biens et le règlement de ses dettes " et que la banque " l'a poursuivi en
12
Angleterre pour les dettes qu'il y a contractées pour les besoins d'une activité
poursuivie dans ce pays " ; qu'en statuant ainsi sans rechercher, comme elle y
était invitée, si la faillite anglaise pouvait avoir une efficacité concrète en
Angleterre puisque M. Pehrsson n'y possède aucun bien et si cette faillite
n'était pas organisée dans le but de lui faire produire des effets en France où
l'ouverture d'une faillite directe est impossible, et sans rechercher non plus si
la faillite suédoise privait la banque du droit de poursuivre individuellement
les biens du débiteur situés en France autrement que par une déclaration de
faillite, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des
principes qui régissent la compétence juridictionnelle internationale,
ensemble les articles 31 du nouveau Code de procédure civile et 1er du
décret du 27 décembre 1985 ; et alors, enfin, qu'en énonçant " que le fait que
M. Pehrsson n'ait pas la qualité de commerçant en Angleterre n'est pas
contraire à l'ordre public français dès lors que les procédures collectives ne
sont plus réservées à cette catégorie de justiciables en France ", pour
accorder, sans aucune réserve, l'exequatur à la décision de faillite rendue en
Angleterre à l'égard d'un débiteur domicilié en France, la cour d'appel a
méconnu les exigences de l'ordre public international et violé l'article 2 de la
loi du 25 janvier 1985 ;
Mais attendu, d'une part, qu'en retenant que M. Pehrsson qui a admis au
cours de la procédure suivie en Angleterre que les critères de compétence
étaient remplis et n'a exercé aucun recours contre l'ordonnance du 20 octobre
1994 a eu, sur le territoire anglais une résidence effective pendant les trois
années qui ont précédé la saisine de la Haute Cour de Justice de Londres
ainsi qu'une activité commerciale y ayant généré des dettes, la cour d'appel a
vérifié que le litige se rattachait de manière caractérisée à l'Angleterre ;
Attendu, d'autre part, que s'il est vrai que M. Pehrsson a relevé, devant la
cour d'appel, qu'il n'avait aucun bien en Angleterre, il n'a tiré aucune
conséquence juridique de cette affirmation, de telle sorte qu'en retenant que
la vente des biens appartenant en Suède à M. Pehrsson n'avait pas permis de
payer la créance de la banque et que la loi suédoise ne privait pas les
créanciers qui n'avaient pas été désintéressés de la faculté de poursuivre
personnellement le débiteur sur ses biens situés à l'étranger, la cour d'appel a
effectué la seule recherche qui lui était demandée ;
Attendu, enfin, que l'exequatur d'une décision étrangère ouvrant une
procédure collective à l'égard d'un non-commerçant n'est pas contraire à la
conception française de l'ordre public international ;
D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses trois branches ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi.
13
II. La mise en œuvre de l’exception d’ordre public
L’exception d’ordre public ne produira ses effets (B) qu’à certaines
conditions qu’il convient de préciser préalablement (A).
A. Les conditions de la mise en œuvre de l’exception
d’ordre public
Il ne suffit pas que la loi étrangère soit contraire à l’ordre public pour que
l’exception joue. Certaines conditions viennent déterminer dans quelle
mesure la contrariété de la loi étrangère compétente va déclencher le jeu
de l’exception de l’ordre public. Il convient de retenir deux distinctions.
1. Effet plein/effet atténué de l’ordre public
L’intensité de la réaction du système juridique et donc la mise en jeu de
l’exception d’ordre public est différente selon qu’il s’agit de faire
obstacle à l’acquisition d’un droit en France, ou qu’il s’agit de laisser se
produire en France les effets d’un droit acquis à l’étranger sans fraude et
en application de la loi compétente selon le droit international privé
français. Ce principe, consacré par l’arrêt Rivière du 17 avril 1953 a été
régulièrement confirmé (Civ. 1ère, 3 janvier 1980).
Civ.1ère, 3 janvier 1980
Sur le moyen unique, pris en ses deux branches : Attendu, selon les
énonciations de l'arrêt confirmatif attaqué, que Larbi Bouazza s'est marié en
Algérie, en 1936, avec Zohra Bendeddouche, et en a eu sept enfants ;
qu'après s'être installé en France avec sa famille et y avoir acquis des
immeubles, il est retourné en Algérie et y a épousé, en 1969, conformément à
son statut personnel, Fatima Boumaza dont il a eu deux enfants ; que, Larbi
Bouazza étant décédé en 1974, la cour d'appel a décidé que dame Boumaza
et ses deux enfants, de nationalité algérienne comme le défunt lui-même,
étaient en droit de venir à la succession des immeubles situés en France, en
qualité d'épouse et d'enfants légitimes du défunt, au même titre que dame
Bendeddouche et ses sept enfants, également de nationalité algérienne, et en
concours avec eux ;
Attendu qu'il est fait grief à la cour d'appel d'avoir ainsi statué, alors que,
d'une part, la loi française, applicable à la dévolution successorale des
immeubles situés en France, ne reconnaît qu'une épouse légitime et n'admet
parmi les ayants droit du défunt que cette épouse, de sorte que, selon le
moyen, la deuxième épouse ne pouvait prétendre à aucune vocation
successorale, quels que fussent son statut personnel et la régularité de son
statut matrimonial, et alors que, d'autre part, lorsque, comme en l'espèce, la
règle de conflit du for désigné, pour résoudre la question d'état des
14
personnes, préalable à celle de dévolution successorale, une loi étrangère, en
l'occurrence la loi algérienne, cette loi devrait être écartée, au nom de la
conception française de l'ordre public international, en tant qu'elle valide un
mariage polygamique et reconnaît au second conjoint et à ses enfants les
qualités d'époux et d'enfants légitimes ;
Mais attendu que, d'une part, si la loi française régit la dévolution
successorale des immeubles sis en France, la qualité de conjoint et
l'établissement de la parenté nécessaire pour le jeu de la dévolution
successorale relèvent de la loi personnelle, ainsi que l'a énoncé à bon droit la
cour d'appel ;
Et attendu que, d'autre part, la réaction à l'encontre d'une disposition de loi
étrangère contraire à la conception française de l'ordre public n'est pas la
même suivant qu'elle met obstacle à la création en France d'une situation
juridique prévue par cette loi ou qu'il s'agit seulement de laisser acquérir des
droits en France, sur le fondement d'une situation créée sans fraude à
l'étranger en conformité avec la loi ayant compétence en vertu du droit
international privé français, et qu'en particulier, en cas de mariage
polygamique régulièrement contracté à l'étranger conformément à la loi
personnelle des parties, le second conjoint et ses enfants légitimes peuvent
prétendre, en ces qualités, concurremment avec le premier conjoint et ses
propres enfants, exercer les droits reconnus par la loi successorale française,
soit au conjoint survivant, soit aux enfants légitimes ; qu'il s'ensuit que l'arrêt
attaqué est légalement justifié et que le moyen n'est fondé en aucune de ses
branches ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 22 février
1978 par la Cour d'appel de Paris.
Ce principe conduit à distinguer deux types d’effets produits par
l’exception d’ordre public. L’effet plein, qui est produit par l’ordre
public à l’égard des situations qui se constituent en France, sera très
rigoureux. En effet, dans ce cas, la réaction face à une loi étrangère non
conforme sera vive, car il s’agit d’appliquer directement sur le territoire
français une loi qui heurte les conceptions essentielles de l’ordre
juridique français. L’effet atténué, au contraire, se manifeste à l’égard
des situations constituées à l’étranger et dont il s’agit de faire produire
certains effets en France. Dans ce cas, la réaction face à une loi étrangère
non-conforme à l’ordre public sera plus nuancée, car il s’agit de trouver
un équilibre entre la défense de l’ordre public et le respect de la sécurité
juridique et des droits acquis par les parties et éviter ainsi une
discontinuité dans la situation juridique internationale. Par ailleurs, d’un
point de vue géographique, l’ordre public français est moins affecté
puisqu’il ne s’agit pas de créer sur le territoire français une situation
contraire, mais d’en reconnaître certains effets. Seuls les effets les plus
graves et les plus en contrariété avec le système juridique du for seront
écartés. Ainsi, certains aspects et effets de la situation créée à l’étranger
en application d’une loi étrangère compétente, mais contraire à l’ordre
public français pourront être tolérés et le jeu de l’exception d’ordre
public sera donc atténué (admission de certains effets, en France, d’un
mariage polygamique prononcé à l’étranger, reconnaissance à la seconde
épouse de droit alimentaires Civ.1ère, 19 février 1963). Cependant,
l’exception d’ordre public pourra jouer dès lors que la contrariété paraît
intolérable et que l’effet réclamé en France est manifestement contraire à
15
l’ordre public (refus de reconnaître un droit aux prestations des
assurances maladie et maternité au profit de la seconde épouse, Soc., 1er
mars 1973 ; refus de reconnaissance d’une répudiation Civ.1ère, 17
février 2004,).
Civ.1ère, 19 février 1963
Sur le premier moyen : Attendu que Felix Chemouni, tunisien de confession
israélite, qui a, en Tunisie, épousé en la forme religieuse mosaïque d'abord en
1940 la française Esther Valensi, puis le 7 mai 1945, Henriette Krieff, de
nationalité tunisienne, étant venu se fixer en France avec ses deux épouses et
les enfants qu'il en avait, a bientôt quitté sa seconde femme pour vivre
uniquement avec la première ;
Que dame Krieff a alors formé devant la juridiction française une demande
en contribution alimentaire aux charges du mariage ;
Que l'action accueillie en première instance ayant été rejetée en appel, cette
décision a été cassée au motif que n'était nullement contraire à l'ordre public
international français l'action de dame Krieff tendant à voir reconnaître en
France une créance alimentaire découlant de sa qualité d'épouse légitime
acquise en Tunisie en vertu de la loi nationale étrangère des deux époux,
compétente au regard de la règle française de conflit ;
Que le jugement confirmatif attaqué, statuant sur renvoi, ayant fait droit à la
demande, il lui est d'abord fait grief, par le pourvoi, d'avoir statué après
débats en chambre du conseil, alors que semblable action devait être débattue
à peine de nullité en audience publique ;
Sur le cinquième moyen : Attendu que non moins vainement il est fait grief à
la décision attaquée de n'avoir pas répondu aux conclusions faisant valoir que
le mariage religieux avait été dissous par répudiation opérée par le mari en
vertu de la loi mosaïque ; Attendu en effet, qu'en énonçant, par application et
interprétation d'un droit étranger dont le contrôle échappe à la Cour de
cassation, que Chemouni n'a pas établi la réalisation de la répudiation par lui
alléguée, le jugement a répondu aux conclusions invoquées, dont au surplus
la teneur n'est pas produite ; que le moyen est donc sans fondement ; Sur les
sixième et septième moyens en leurs diverses branches ; Attendu qu'il est
encore reproché aux juges du fond d'avoir refusé de tenir compte de ce que
les obligations alimentaires envers dame Krieff et ses enfants étaient
incompatibles avec les conséquences résultant, quant aux effets du second
mariage, de l'acquisition par Chemouni du statut personnel français, sans
d'autre part répondre à ses conclusions prétendant qu'avant même sa
naturalisation, il avait perdu son statut personnel tunisien mosaïque, tant par
sa première union avec une française, que du seul fait de son établissement
en France, et enfin de n'avoir pas non plus répondu aux conclusions faisant
valoir que dame Krieff ne pouvait se prévaloir des dispositions des articles
864 du code de procédure civile et 214 du Code civil ; Mais attendu que la
décision attaquée, en décidant à bon droit que l'établissement de Chemouni
en France n'avait eu aucun effet sur son statut personnel tunisien, et qu'il
n'avait perdu ce statut pour acquérir le statut français, qu'uniquement par
l'effet de sa naturalisation en août 1956, a par la même nécessairement
répondu pour les rejeter aux conclusions alléguant une acquisition du statut
français du fait de circonstances antérieures ; que d'autre part, c'est très
justement que les juges du fond ont décidé que nonobstant la naturalisation
française de Chemouni,la créance alimentaire de dame Krieff, qui, tant au
regard de la loi commune des époux avant août 1956, que de la loi française
régissant depuis cette date les effets du mariage d'époux de nationalité
différente domiciliés tous deux en France, découlait directement pour elle de
sa qualité d'épouse légitime définitivement acquise par un mariage
16
valablement contracté à l'étranger conformément à la loi compétente au fond
comme en la forme suivant le droit international privé français, devait être
reconnue en France, et devait y être exécutée par application des lois
françaises tant de procédure, dès avant 1956, qu'également de fond depuis
cette date ;
Que les deuxième, troisième et huitième moyens ne sont pas mieux fondés
que les précédents ;
D'où il suit que l'arrêt attaqué, qui est motivé, a légalement justifié sa
décision ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi formé contre le jugement rendu le 2 février
1960 par le Tribunal de grande instance de Versailles ;
Soc., 1er mars 1973
Sur le moyen unique : Attendu qu'il résulte des constatations des juges du
fond que Sefouni ressortissant algérien a épousé successivement en Algérie,
selon la loi musulmane, le 28 août 1931 Arbia Hamdoun, et le 26 septembre
1950, alors que la première union n'était pas dissoute, Aicha Siad ;
Qu'il réside avec cette dernière en France où il travaille ;
Qu'il a demandé le bénéfice des prestations de l'assurance maladie pour des
soins dispensés à sa deuxième épouse le 11 juillet 1968 ainsi que, pour la
même, les prestations de l'assurance maternité en vue d'un accouchement
prévu fin juillet 1968 ;
Que la caisse les a refusées en relevant qu'il en avait déjà réclamé pour sa
première épouse ;
Qu'il fait grief à la cour d'appel de l'avoir débouté de son recours, alors que
les travailleurs salariés ou assimilés qui se rendent de France en Algérie ou
inversement bénéficient ainsi que les membres de leur famille des prestations
de maternité en Algérie et en France et que doivent être considéré comme
membres de la famille des travailleurs algériens leurs conjoints légitimes,
même en cas de polygamie, l'ordre public français ne s'opposant pas à la
reconnaissance des unions polygamiques, à condition qu'elles soient
contractées à l'étranger et que le statut personnel des intéressés l'autorise, et
alors subsidiairement que les travailleurs algériens ont droit aux prestations
de maladie pour au moins un conjoint et que le refus de ces prestations pour
la seconde épouse de Sefouni ne pouvait se justifier qu'a condition qu'il fut
établi que ses deux épouses vivaient en France et qu'il avait demandé le
bénéfice de prestations maladie ou maternité pour la première épouse ;
Mais attendu qu'après avoir à juste titre rappelé que la convention francoalgérienne sur la sécurité sociale attribue aux ressortissants algériens
travaillant en France les mêmes avantages dans le régime général de sécurité
sociale qu'aux ressortissants français, et qu'il s'ensuivait que les ayants-droit
de Sefouni tels qu'ils sont définis par ce régime doivent bénéficier des
prestations des assurances maladie et maternité qui sont attribuées aux
assurés français, la cour d'appel observe que la loi française ne reconnaît
qu'une épouse légitime et n'admet parmi les ayants-droit de l'assuré social
que cette épouse ;
Qu'en effet, la convention générale énonce en son article premier que les
travailleurs français ou algériens sont " soumis " respectivement aux
législations de sécurité sociale applicables en Algérie ou en France et en
bénéficient ainsi que leurs ayants-droit " dans les mêmes conditions " que les
ressortissants de chacun de ces Etats et précise en son article 3 que lesdits
travailleurs sont soumis aux législations en vigueur au lieu de leur travail ;
17
Attendu qu'ayant constaté que le premier mariage de Sefouni n'était pas
dissout, que ses deux épouses vivaient en France, que Sefouni avait déjà
réclamé des prestations pour la première, la cour d'appel, était fondée à
décider qu'au regard du régime français de sécurité sociale, la deuxième
épouse de Sefouni ne pouvait ouvrir droit aux prestations sollicitées quels
que fussent le statut personnel de Sefouni et la régularité de sa situation
matrimoniale ;
D'où il suit que le moyen qui n'est pas fondé en sa première branche et qui
critique, en sa deuxième branche, des circonstances de fait non contestées
devant les juges du fond ne saurait être accueilli ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 10 mars 1971
par la Cour d'appel de Paris.
Civ.1ère, 17 février 2004
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :
Attendu que M. Ait X... et Mme Y..., tous deux de nationalité algérienne, se
sont mariés en Algérie en 1985 ; qu'en janvier 1998, Mme Y... a présenté une
requête en divorce au juge aux affaires familiales du tribunal de grande
instance de Paris ; qu'à l'audience du 7 avril 1998, M. Ait X... a soulevé
l'exception de litispendance internationale, en raison de l'instance en divorce
pendante devant le tribunal de Sidi M'hamed (Algérie) depuis le 23
novembre 1997 ;
Attendu que M. Ait X... fait grief à l'arrêt attaqué (Paris, 22 mars 2001)
d'avoir dit que le jugement du tribunal de Sidi M'hamed du 29 mars 1998
ayant prononcé le divorce ne pouvait être reconnu en France et d'avoir rejeté
l'exception de chose jugée, alors, selon le moyen, que, dès lors qu'il résulte
des propres constatations des juges du fond : 1 / que le litige entre les époux,
tous deux de nationalité algérienne et mariés en Algérie, se rattachait de
manière caractérisée aux juridictions algériennes, 2 / que la procédure devant
la juridiction algérienne avait été loyale et contradictoire, l'épouse obtenant
des dommages-intérêts, 3 / que le choix du juge algérien n'avait pas été
frauduleux, dans la mesure où la saisine de la juridiction algérienne ne visait
pas à faire obstacle à la saisine préalable du juge français et où, au contraire,
l'épouse n'avait saisi la juridiction française qu'après mise en oeuvre de la
procédure en Algérie, la cour d'appel ne pouvait refuser l'exequatur du
jugement algérien du 23 mars 1998 sans violer l'article 1er d) de la
Convention franco-algérienne du 27 août 1964 et les principes régissant
l'ordre public international français ;
Mais attendu que l'arrêt retient que le divorce des époux Ait X... a été
prononcé par les juges algériens, malgré l'opposition de la femme, au seul
motif, admis par la loi algérienne, que le pouvoir conjugal reste entre les
mains de l'époux et que le divorce doit être prononcé sur la seule volonté de
celui-ci ; que la cour d'appel en a exactement déduit que, même si elle
résultait d'une procédure loyale et contradictoire, cette décision constatant
une répudiation unilatérale du mari sans donner d'effet juridique à
l'opposition éventuelle de la femme et en privant l'autorité compétente de
tout pouvoir autre que celui d'aménager les conséquences financières de cette
rupture du lien matrimonial, était contraire au principe d'égalité des époux
lors de la dissolution du mariage reconnu par l'article 5 du protocole du 22
novembre 1984, n° 7, additionnel à la convention européenne des droits de
l'homme, que la France s'est engagée à garantir à toute personne relevant de
sa juridiction, et donc à l'ordre public international réservé par l'article 1er d
de la Convention franco-algérienne du 27 août 1964, dès lors que, comme en
l'espèce, les deux époux étaient domiciliés sur le territoire français ; d'où il
suit que la deuxième branche du moyen n'est pas fondée tandis que les deux
18
autres sont inopérantes dès lors qu'elles s'attachent à la compétence du juge
algérien que la cour d'appel n'a pas déniée ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
2. L’ordre public de proximité
En matière d’effet plein de l’ordre public vient s’ajouter la condition de
proximité. En effet, la variabilité de la réaction à l’ordre public dans
l’espace se manifeste notamment par le fait que l’exception d’ordre
public ne joue qu’à la condition que la situation privée internationale
présente une certaine proximité géographique avec le territoire français.
Ainsi, la contrariété d’une loi étrangère à l’ordre public ne permettra pas
le jeu de l’exception d’ordre public que dans la mesure où la situation
litigieuse présente des liens de rattachement suffisants avec le territoire
du for. Par exemple, en matière d’établissement du lien de filiation, la
jurisprudence exige que l’enfant soit de nationalité française ou ait sa
résidence en France (Civ.1ère 10 février 1993).
Civ.1ère, 10 février 1993
Sur le moyen unique, pris en ses trois branches :
Attendu que Mme Y..., de nationalité tunisienne, a donné naissance le 22 mai
1984, à Paris, à une fille prénommée Sarah ; qu'en juin 1986, elle a assigné
M. X..., de nationalité algérienne, avec lequel elle prétendait avoir vécu en
concubinage de 1981 à la fin de 1985, en recherche de paternité, et paiement
d'une pension alimentaire pour l'enfant, sur le fondement de l'article 340.4° et
5° du Code civil, et subsidiairement, par application des dispositions de
l'article 311-15 du même Code, en constatation de possession d'état ; que
l'arrêt attaqué (Paris, 13 octobre 1989) a dit que la loi française était
applicable et a accueilli les demandes de Mme Y... après avoir retenu
l'existence de relations stables et continues entre celle-ci et M. X..., pendant
la période légale de conception ;
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir ainsi statué, alors, selon
le moyen, d'une part, que les lois étrangères qui prohibent l'établissement de
la filiation naturelle ne sont pas contraires à la conception française de l'ordre
public international dont la seule exigence est d'assurer à l'enfant les subsides
qui lui sont nécessaires ; qu'en écartant la loi tunisienne, normalement
applicable, au profit de la loi française par cela seul que cette loi, en
prohibant l'établissement judiciaire de la filiation naturelle, serait contraire à
la conception française de l'ordre public, la cour d'appel a violé l'article 31114 du Code civil et méconnu la notion française de l'ordre public
international ; alors, d'autre part, que dans le cas où l'enfant naturel et l'un de
ses père et mère ont en France leur résidence habituelle, la loi française
s'applique seulement pour ce qui concerne les effets attachés à la possession
d'état et non dans toutes ses dispositions relatives à l'établissement de la
filiation naturelle ; qu'en déclarant la paternité naturelle établie sur le
fondement d'un concubinage notoire au cours de la période légale de
conception, au prétexte que l'enfant et sa mère avaient leur résidence
habituelle en France, la cour d'appel a violé les articles 311-15 et 340 du
Code civil ; et alors enfin, que si dans le cas où l'enfant et sa mère ont leur
résidence habituelle en France, la paternité naturelle peut être établie par
19
application de la loi française, c'est à la condition que soit établie la
possession d'état d'enfant naturel de cet enfant à l'égard du père prétendu ;
qu'en ne constatant pas les éléments constitutifs de la possession d'état
d'enfant naturel dans les rapports entre l'enfant Sarah et l'exposant, la cour
d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 311-15 et
334-8 du Code civil ;
Mais attendu que si les lois étrangères qui prohibent l'établissement de la
filiation naturelle ne sont, en principe, pas contraires à la conception
française de l'ordre public international, il en est autrement lorsque ces lois
ont pour effet de priver un enfant français ou résidant habituellement en
France, du droit d'établir sa filiation ; que, dans ce cas, cet ordre public
s'oppose à l'application de la loi étrangère normalement compétente ; qu'en
l'espèce les juges du fond ont constaté que Sarah Y... a obtenu un certificat
de nationalité française et qu'elle réside en France depuis sa naissance ; qu'il
s'ensuit que c'est à bon droit que la cour d'appel a écarté la loi tunisienne
normalement applicable, au profit des dispositions des articles 340 et
suivants du Code civil français, que, par ces motifs, la décision déférée, en ce
qu'elle écarte la loi tunisienne, normalement applicable au profit des
dispositions des articles 340 et suivants du Code civil, se trouve légalement
justifiée, abstraction faite de critiques énoncées par les deuxième et troisième
branches qui sont dès lors inopérantes ;
PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi.
B. Les effets de la mise en œuvre de l’exception d’ordre
public
1. L’office du juge
La jurisprudence a récemment précisé l’office du juge en matière
d’exception d’ordre public. Reprenant les solutions adoptées quant à la
mise en œuvre de la règle de conflit de lois, la Cour de cassation recourt
à la distinction droits disponibles / droits indisponibles. Ainsi, en matière
de droits disponibles, les juges ne sont pas tenus de vérifier d’office la
conformité de la loi étrangère applicable à l’ordre public français en
matière internationale (la question doit donc être soulevée par les
parties). Cependant, l’arrêt n’exclut pas la faculté pour le juge de faire
jouer d’office l’exception d’ordre public dans une telle hypothèse dès
lors qu’il considère que la loi n’est pas conforme à l’ordre public. Il
s’agit donc, en matière de droit disponible, d’une faculté (Civ.1ère, 14
juin 2005). En revanche, en matière de droit indisponible le juge est tenu,
même d’office, non seulement de mettre en œuvre la règle de conflit,
mais aussi de vérifier que la loi étrangère applicable ne soit pas contraire
avec l’ordre public français en matière internationale (Civ.1ère, 6
décembre 2005).
Civ.1ère, 14 juin 2005
Sur le moyen unique tel que figurant au mémoire en demande et reproduit en
annexe :
Attendu que Mme X... agissant tant en son nom personnel qu'en qualité
d'administratrice légale de ses enfants mineurs a formé un pourvoi contre un
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arrêt de la cour d'appel de Nancy du 1er mars 2002 ayant dit la loi grecque
applicable à son action en indemnisation et ayant déclaré celle-ci préscrite ;
Attendu que la cour d'appel a fait application du droit étranger compétent
selon la règle de conflit de lois invoquée devant elle, sans avoir, compte tenu
de la teneur de la loi étrangère telle qu'elle l'a souverainement définie, à
rechercher d'office si cette loi était contraire à la conception française de
l'ordre public international ; d'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS : REJETTE le pourvoi…
Civ.1ère, 6 décembre 2005
Sur le moyen unique, pris en ses cinquième et sixième branches :
Vu l'article 3 du Code civil ;
Attendu qu'en matière de droits indisponibles, il incombe au juge français de
mettre en oeuvre, même d'office, la règle de conflits de lois, de rechercher la
teneur du droit étranger et de l'appliquer sous réserve qu'il ne soit pas
contraire à l'ordre public international français ;
Attendu que le 27 octobre 1996, M. X..., de nationalité belge, a épousé au
Sénégal, selon le rite coutumier, Mme Y..., de nationalité sénégalaise ; que
les époux s'étant séparés, Mme Y... a contracté un second mariage, le 4 mars
2000, avec M. Z... ; que, par jugement du 7 février 2001, le tribunal
départemental de Dakar a, sur requête de M. X..., autorisé l'inscription du
mariage coutumier sur les registres de l'Etat civil ; qu'un certificat de mariage
a en conséquence été dressé le 3 mai 2001 ; que M. X..., domicilié en France,
a saisi le juge aux affaires familiales de Limoges d'une requête en divorce ;
Attendu que, pour déclarer le jugement du tribunal départemental de Dakar
du 7 février 2001 inopposable en France et la requête en divorce irrecevable,
l'arrêt retient que les dispositions de la loi étrangère, qui permettent un "état
de bigamie apparent" sont contraires à la conception française de l'ordre
public international et ne sauraient donc avoir d'efficacité en France ;
Qu'en statuant ainsi, alors d'une part que, selon l'article 146 du Code de la
famille sénégalais, le mariage coutumier non constaté par l'officier d'Etat
civil est valable mais seulement inopposable à l'Etat et aux collectivités
publiques et d'autre part que le mariage du 27 octobre 1996, qui ne
constituait pas par lui-même une situation de bigamie, n'était pas contraire à
l'ordre public international français, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS : CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions,
l'arrêt rendu le 10 juin 2003, entre les parties, par la cour d'appel de Limoges
2. La substitution de la loi du for
Dès lors que la loi étrangère est contraire à l’ordre public et que les
conditions auxquelles est subordonné le jeu de l’exception d’ordre public
sont remplies, le juge va pouvoir évincer la loi étrangère, écarter
l’application de cette dernière, et lui substituer la loi du for (cf. par
exemple Civ.1ère, 15 juillet 1963). L’éviction ne doit pas être totale, mais
seulement partielle. En effet, seules les dispositions contraires doivent
être écartées, la loi étrangère restant, dans son ensemble et dans la
mesure du possible applicable (il s’agit d’une exception à la loi
compétente, par conséquent, il convient, s’il est possible de faire une
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application distributive des dispositions de la loi étrangère et de la loi du
for).
Civ.1ère, 15 juillet 1963
Sur le moyen unique pris en sa première branche : Attendu que, poursuivi
pour abandon de famille sur la plainte de la dame Attia, Sellam a saisi le
tribunal d'une demande tendant à voir constater l'inexistence ou prononcer la
nullité du mariage invoqué par la dame Attia ;
Qu'il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir décidé que le mariage
célébré en Israël, le 22 mai 1958 entre Sellam et la dame Attia devait être
considéré comme valable ;
Que le pourvoi prétend que Sellam, qui ne connaissait que la langue
française et ignorait le droit rabbinique, n'avait pu comprendre la nature de la
cérémonie à laquelle il assistait à cette date avec des personnes qu'il n'avait
rencontrées que quelques jours auparavant ;
Qu'en conséquence il n'avait pu donner un consentement valable au mariage
prétendu ;
Mais attendu que la cour d'appel constate que Sellam, israélite originaire de
la même commune d'Algérie que la dame Attia, avait décidé de se rendre en
Israël au mois de mai 1958 pour la retrouver ;
Que, quelques jours après son arrivée en Israël, il obtenait, sur sa propre
demande, d'un tribunal rabbinique un jugement décidant qu'il pouvait être
procédé à la célébration du mariage projeté entre lui-même et la dame Attia ;
Qu'il s'était présenté en personne devant le rabbin pour fixer la date de la
cérémonie à laquelle il a pris part en costume de marie et lors de laquelle un
acte de mariage avait été dressé en langue hébraïque avec une traduction
française ;
Qu'un livret de mariage avait été ensuite délivré par l'ambassade de France à
Tel Aviv, où l'acte de mariage avait été transcrit sur les registres de l'état
civil de la même ambassade ;
Que l'arrêt attaqué relève encore que Sellam avait, en présence de deux
témoins, déclaré devant le rabbin vouloir prendre la demoiselle Attia pour
femme suivant la loi de Moïse ;
Que de ces divers éléments, il déduit que Sellam ne rapporte pas la preuve
que son consentement n'ait pas été valablement donné dans le cadre d'une
cérémonie qu'il avait lui-même sciemment et préalablement sollicitée et
préparée en plein accord avec sa future épouse ;
D'où il suit que les griefs articulés par la première branche du moyen ne
sauraient être retenus ;
Sur la seconde branche du moyen : Attendu qu'il est encore soutenu que, le
même acte ayant, lors de la cérémonie de mariage, constate à la fois l'union
des époux et défini leurs conventions matrimoniales, ledit acte, auquel
Sellam n'aurait pas réellement souscrit, était contraire à la fois à la loi
israélienne et à la loi française et heurterait l'ordre public international
français ;
Mais attendu que la cour d'appel, après avoir rappelé que le mariage est
soumis aux règles de forme de la loi du lieu de la célébration, et après avoir
souverainement interprété les dispositions de la loi étrangère applicable en
l'espèce, décidé à bon droit que les divergences entre ladite loi et la loi
française, et spécialement la possibilité de comprendre en un même
document l'acte de mariage et des dispositions relatives au statut matrimonial
des époux, ne sont pas contraires à l'ordre public français au point d'exiger la
substitution de la loi française à la loi locale normalement compétente ;
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Qu'ainsi les critiques formulées par la seconde branche ne sauraient pas
davantage être acceptées ;
Par ces motifs : rejette le pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 23 mars 1962
par la Cour d'appel de Paris.
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