Islam au Mali - Les écoles de Saint

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Islam au Mali - Les écoles de Saint
24 Novembre 2013
SYNOPSIS
Quelles solutions religieuses
à la crise malienne ?
A long terme, la stabilisation du Mali passera nécessairement par la
prise en compte du facteur religieux. Dans une zone marquée par
l’ancienneté et la pluralité des islams, mais aussi par le métissage avec
l’animisme, il conviendra d’éviter toute intrusion religieuse directe en se
contentant d’une série d’infléchissements. Ceux-ci passeront par la mise en
place d’un Etat apte à fédérer, à l’échelle locale, des courants musulmans
variés, à protéger les communautés chrétiennes menacées et à stigmatiser
religieusement les mouvements djihadistes.
SYNOPSIS, Centre de Recherche des Ecoles de Coëtquidan
Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr 56380 GUER
[email protected]
2
SYNOPSIS, une équipe d’experts civils
et militaires au service de la défense
Comité scientifique
Stéphane Baudens
Ivan Birr
Olivier Chantriaux
Thomas Flichy
Grégor Mathias
Jérôme Pâris
Antoine de Prémonville
Anne-Sophie Traversac
Rédacteur
Olivier Hanne
7 QUELLES SOLUTIONS RELIGIEUSES A LA CRISE MALIENNE ? 3
Quelles solutions religieuses à la crise
malienne ?
A long terme, la stabilisation du Mali
passera nécessairement par la prise en compte du facteur religieux. Dans une
zone marquée par l’ancienneté et la pluralité des islams, mais aussi par le
métissage avec l’animisme, il conviendra d’éviter toute intrusion religieuse
directe en se contentant d’une série d’infléchissements. Ceux-ci passeront par
la mise en place d’un Etat apte à fédérer, à l’échelle locale, des courants
musulmans variés, à protéger les communautés chrétiennes menacées et à
stigmatiser religieusement les mouvements djihadistes.
L’héritage d’un Islam mêlé
Le Mali est l’un des pays d’Afrique subsaharienne dont l’histoire est la
plus ancienne, et celle-ci est indissociable de l’islam. Les peuples de langue
malingue, organisés en chefferies, travaillaient avec les marchands berbères et
arabes pour le trafic du sel et de l’or ; sous leur impulsion, le Mali trouva une
première unité au XIe siècle dans un empire musulman fondé par le premier
sultan Baramendena, converti à l’islam en 1050. Le pays fut islamisé entre les XIe
et XIIe siècles, par le haut, c’est-à-dire par une action à la Cour et dans les villes.
Porté à son apogée par Kankan Moussa (1312-1337), l’empire pluriethnique se
développa jusqu’à l’océan, unifié par l’islam et relié par le commerce aux
sultanats méditerranéens. Les souverains faisaient de leur pèlerinage à la
Mecque une occasion de propagande politique et religieuse.
Après le déclin de l’empire malingue du Mali (fin du XIVe siècle), le
royaume de Songhaï, fondé par Sonni Ali (1464-1492), assura à la région une
nouvelle phase de succès économique et militaire, malgré les attaques des
Touaregs et des Marocains (XVIe siècle). C’est alors l’époque brillante d’un
islam malien favorisant l’écrit, la réflexion et la constitution de riches
bibliothèques et universités islamiques, comme à Tombouctou. La puissance
des réseaux des négociants musulmans polyglottes contribua à étendre
l’influence de l’islam bien au-delà de la vallée du Niger. Mais le Songhaï fut
brisé en 1591 par l’armée du sultan marocain qui maintint sur la région son
autorité nominale jusqu’au début du XIXe siècle. Cette influence explique la
prédominance juridique de l’école malikite dans le pays, courant sunnite qui
attribue pour base à toute jurisprudence l’opinion personnelle et le consensus.
L’islam local fut dès le départ très original. Au Moyen Âge, la population
en avait une approche plus rituelle que juridique, plus axée sur la prière du
vendredi que sur l’application stricte de la charîa. Les résidents étrangers
reprochaient régulièrement au pouvoir le maintien d’ethnies animistes comme
7 QUELLES SOLUTIONS RELIGIEUSES A LA CRISE MALIENNE ? 4
les Bambara1, et les survivances animistes derrière le vernis musulman. Mais pour
les souverains, les rites anté-islamiques participaient aussi à leur légitimité et il
n’était pas question de les abolir. La situation actuelle continue de refléter
cette histoire, puisque au moins 70 % des habitants sont musulmans, mais leur
croyance a été modelée dans un contexte acceptant les forces de la nature,
le retour des ancêtres et la place des féticheurs.
L’islam malien associe en un étonnant équilibre la culture orale
traditionnelle de langue locale et la culture écrite arabophone. Dès le Moyen
Âge, la langue arabe était parfaitement maîtrisée par une élite africaine
pélerinant de ville en ville, passant sans mal de l’arabe (langue sacrée) aux
différents dialectes (langues de communication). Les griots (poètes musiciens
de culture traditionnelle) et les prédicateurs itinérants (aux doctrines
incontrôlées) se firent auprès des populations les vecteurs oraux d’un islam
simplifié, priant et pratique. Aujourd’hui encore, les librairies religieuses de
Bamako dévoilent un pluralisme des contenus, des langues (arabe, bambara,
français) et des supports (cassettes, DVD, livres…), même si les brochures à
tendance wahhabite ont la préférence du public, comme celles en bambara
du célèbre al-Hâdjj Modibo Diarra, fondateur du village rigoriste Dar Salam et
prédicateur anti-animiste.
Les Maliens sont animés d’un fort sentiment historique et religieux, ils se
savent héritiers de l’ancien Mali, d’une culture qui fut brillante et d’une fusion
assumée d’éléments religieux très variés. L’islam est l’une des références les plus
sûres, les plus quotidiennes, les plus anciennes de leur identité. L’État n’est
toutefois pas islamique et le droit malékite nullement obligatoire. Une forme de
« laïcité » n’est pas rejetée, mais dans les esprits elle est associée aux hommes
politiques, aux Occidentaux et aux institutions internationales.
Les confréries contestées par les nouveaux courants de l’islam
Le système des confréries est ancien au Mali et distingue l’islam local des
habitudes du monde arabe. Bien que l’islam sunnite ne reconnaisse ni clergé ni
principe hiérarchique, les confréries constituent des associations religieuses
proposant un chemin particulier (une tarîqa), une méthode pour vivre un islam
intérieur, initiatique, et une certaine forme de vie mystique et de renoncement,
dans l’obéissance à un maître, un chaykh, ou aussi marabout. Par son
enseignement et son comportement, le chaykh fait l’objet d’une vénération de
la part de ses disciples, même après sa mort où il continue à transmettre son
esprit, parfois par des pratiques magiques. Les coutumes, mêlant ascèse et vie
communautaire, sont souvent inspirées par le soufisme. Ces communautés ont
fortement influencé les populations maliennes et accompagné son islamisation.
La plus ancienne et la plus élitiste est la Qâdariyya, née au XIIe siècle,
proche des groupes arabophones, tandis que la Tidjâniyya, plus tardive, qui
s’est répandue au XIXe siècle, est plus autochtone, plus populaire mais aussi
1
Le Mali est actuellement composé de plusieurs groupes ethniques : Mandingues (40%, dont les Bambaras, les Malingues et les Dioulas), Soudaniens (20%), le groupe voltaïque (12%), et, très minoritaires, les Peul, les Touaregs et les Maures. 7 QUELLES SOLUTIONS RELIGIEUSES A LA CRISE MALIENNE ? 5
plus radicale. Contrairement aux images naïves, le soufisme des confréries ne
rejetait nullement l’appel à la guerre sainte, le djihâd. Des chefs peuls lancèrent
le djihâd contre leurs frères qui professaient un islam trop mélangé. Sous la
conduite d’un chaykh et influencés par la Qâdariyya, ils constituèrent un État
théocratique autour d’une ville nouvelle, Hamdallâhi. Les deux principales
confréries, déjà concurrentes, passèrent aux armes et se combattirent jusqu’à
l’arrivée des troupes françaises à la fin du XIXe siècle. La colonisation permit à
des ethnies peu islamisées, comme les Bambara, d’être libérées de l’autorité
des Tidjânistes et de retourner aux pratiques animistes. Paradoxalement, la
domination française – bienveillante envers les marabouts tidjânistes – laissa
libre cours à l’islamisation des ethnies.
Malgré ses succès, la Tidjâniyya fut bientôt concurrencée par un
nouveau courant, la Hamalliyya, qui prônait la réforme de certaines prières
pratiquées par les Tidjânistes. Elle fut fondée à Nioro par le chaykh Hamâllâh
(mort en 1942), un ascète qui communiquait directement avec Dieu. Malgré sa
réputation de mahdî (« bien guidé », comparable au Prophète), il ne put
contrôler ses adeptes qui usèrent de violence. Les deux autres confréries et les
tribus maures se levèrent contre eux. L’enseignement de Hamâllâh pouvait en
effet menacer l’équilibre social, puisque l’obéissance à la confrérie devait
l’emporter sur la soumission aux parents et aux groupes ethniques. Des combats
firent plusieurs centaines de morts, aussi l’administration coloniale s’inquiéta et
déporta Hamâllâh, faisant ainsi le jeu des Tidjânistes.
D’autres courants réformateurs, importés par des diplômés maliens d’alAzhar au Caire, apparurent dès les années 1930 dénonçant les débordements
des confréries : la Wahhabiyya, inspirée par le rigorisme saoudien, ou
wahhabisme. On critiqua l’influence des vieux marabouts, du soufisme dévoyé
et réservé à une élite. On milita pour une éducation islamique, populaire et
concurrente de l’école coloniale mécréante2. Ce courant dynamique dans le
milieu urbain et chez les Dioulas adopta aussi les théories panislamistes qui
visaient à unifier la Umma contre l’Occident. L’Union soudanaise, le premier
parti radical anti-colonial, fut peuplé dès le début par des oulémas de la
Wahhabiyya, qui virent l’efficacité du vocabulaire islamique dans la
mobilisation contre la France et ses « alliés » marabouts.
Avec l’indépendance, la Wahhabiyya modéra son discours religieux ;
l’activité des oulémas, comme celle des marabouts, fut strictement encadrée.
Une laïcité de façade sembla être acceptée par tous. Modibo Keïta (19601968) voulut une République socialiste et s’opposa violemment à la
Wahhabiyya. Après le coup d’État de 1968, Moussa Traoré (1968-1991) fit fermer
l’école islamique des réformistes en 1971. Son régime eut toutefois une marque
plus religieuse que celui de Keïta. Il constitua en 1980 une institution visant à
canaliser les fractures de l’islam malien et à empêcher le risque djihadiste
(l’Association malienne pour l’unité et le progrès de l’islam, AMUPI). Une
pacification des rapports entre État et religion s’installa, voire une
instrumentalisation.
2
Le poète Amadou Hampâté Bâ (mort en 1991) raconte que, dans sa jeunesse, « l’école des Blancs était alors considérée par la masse musulmane comme la voie la plus directe pour aller en Enfer ». 7 QUELLES SOLUTIONS RELIGIEUSES A LA CRISE MALIENNE ? 6
Le djihadisme est il soluble dans l’islam malien ?
L’islam malien est donc multiple, ses courants s’exacerbent facilement,
mais s’unissent tout aussi aisément contre la « mécréance » occidentale, le
sentiment d’un danger néo-colonial ou les pressions internationales. Les efforts
des associations islamiques sont mieux ressentis que l’aide humanitaire
extérieure donnée à des gouvernements contestés. Pourtant, l’influence de ces
associations doit être nuancée, puisque la campagne contre l’excision,
pourtant soutenue par les religieux, n’a rencontré aucun succès.
Malgré le poids multiséculaire des confréries, l’attraction de la
Wahhabiyya est plus efficace, surtout parce que depuis vingt ans elle est
relayée par les succès de l’islam rigoriste dans le monde. La société malienne
accepte les nouveaux critères du salafisme mondialisé : port du khéfié, tenue
blanche saoudienne, hidjâb, niqab, discours djihadistes, solidarité de principe
avec la Palestine. Les intellectuels préfèrent eux aussi adapter ces usages plutôt
que de passer pour de mauvais musulmans, et ainsi compromettre leur carrière.
Les femmes entrent en école coranique, alors qu’elles en avaient été exclues
par les confréries.
Les prédicateurs saoudiens, suivis sur la parabole, présentent un visage
de l’islam qui semble mieux adapté que les vieilles confréries : modernité du
Coran, militantisme politique, accord entre religion et technologie, doctrine
simplifiée mais efficiente, rhétorique démocratique au service de la Umma,
conservatisme rassurant. Les prêches s’en prennent facilement aux pratiques
religieuses mêlées du Mali, teintées de sorcellerie, d’animisme et de soufisme, le
tout englobé dans l’accusation de bida’ (« innovation condamnable »).
Chérif Madani Haïdara, soutenu par la puissante association Ançar Dine
(1991), est l’un des prédicateurs maliens les plus écoutés pour ses conseils de
vie, très apprécié pour ses reproches envers les politiciens et les riches. Il
représente bien la synthèse de l’islam local depuis quarante ans, puisqu’il a à la
fois le visage d’un fondamentaliste wahhabite et celle d’un saint soufi. Depuis
les années 2000, l’hostilité envers le soufisme malien s’est d’ailleurs atténuée
sous l’influence du pouvoir central et de l’Occident qui voudraient voir dans les
confréries un rempart contre le djihadisme3.
Car l’équilibre fragile des « islams maliens » fut ébranlé au début des
années 2000 avec la fin de la crise algérienne, qui poussa des dissidents du GIA
à trouver refuge au Nord-Mali. Ils fusionnèrent avec al-Qaïda pour former AQMI
en 20074. L’islam défendu par ces djihadistes étrangers et leurs exactions
n’avaient rien de commun avec les habitudes des musulmans maliens, mêmes
proches de la Wahhabiyya. Portés par les insatisfactions socio-économiques et
3
Des féticheurs bambaras réputés ont même repris leurs activités, bien qu’ils soient stigmatisés par les prêches de Haïdara. 4
Nous n’entrons pas dans le détail des divisions du mouvement djihadiste : MUJAO (2011), Ançar al-­‐
Sharia (2012, fondé par des Barabiches et des Libyens). Le MNLA, formé de rebelles Touaregs, se veut laïc. 7 QUELLES SOLUTIONS RELIGIEUSES A LA CRISE MALIENNE ? 7
par le modèle d’al-Qaïda, des Maliens les rejoignirent. La cohabitation entre
communautés religieuses commença alors à se lézarder malgré le rôle
fédérateur des communautés chrétiennes.
La mouvance djihadiste au Mali ne reflète nullement un islam
intégrateur, puisque, au contraire, un profond racisme parcourt ses rangs,
héritage des mentalités esclavagistes : les chefs sont des Arabes blancs, les
cadres des Touaregs, des Maures ou des Algériens noirs ; et les Maliens noirs des
combattants mal logés et mal nourris. La conquête du Nord-Mali en 2012 par
les différentes branches djihadistes fut, on le sait, mal accueillie par les
populations en raison des exactions commises par ces « étrangers » à
l’encontre de l’islam traditionnel : destruction des mausolées des chaykhs
vénérés et des bibliothèques de manuscrits, lapidations, amputations,
interdiction du football… L’arrivée des troupes françaises ne provoqua donc
pas contre « l’infidèle » le soulèvement attendu par les islamistes.
Quels sont les leviers religieux de pacification au Mali ?
La défiance envers l’ancien colonisateur, qui est aussi une puissance
ouvertement non-musulmane (les récentes péripéties de la laïcité française
sont connues sur place), invite à la prudence dans tout ce qui touche à l’islam
malien, d’autant que celui-ci est divisé. Le levier des confréries – isolées dans la
mondialisation salafiste – ne doit pas être surévalué, malgré leur apparence
« sympathique » pour les mentalités occidentales. Il serait en outre périlleux
d’espérer s’ingérer dans l’islam malien, à la fois parce que sa modernisation
tant attendue ne répond à aucune nécessité, parce que la France n’a aucune
autorité sur place pour choisir tel mouvement plus qu’un autre, et enfin parce
que toute action de la France en terre d’islam peut être brutalement
décrédibilisée, sans raison apparente. Une action efficace sur le long terme
devra être indirecte, passer par des groupes, des associations ou des
organisations à caractère local, tout en évitant une collusion trop nette avec
des pouvoirs centraux honnis.
Sur le long terme (quatre à dix ans), deux axes sont à étudier pour la
stabilisation du Mali. Il s’agira en premier lieu de faciliter le processus inachevé
de décentralisation. La solution est réaliste et a déjà été entamée. Elle vise à
offrir une plus grande autonomie aux régions, tout en renforçant la légitimité
nationale et internationale de Bamako. La vieille « laïcité » souple est
absolument à conserver. Le cadre démocratique ne peut pas être négligé,
mais il est encore trop tôt pour des élections qui fragiliseraient le processus de
stabilisation. La confiance dans une élection transparente et représentative
(one man = one vote) achopperait sur la constitution probable d’un parti
d’inspiration salafiste durant les élections et sur la compétition entre groupes
ethniques qui en profiteraient pour contester une autorité centrale déjà
fragilisée. Dans ce processus de décentralisation, les confréries, les féticheurs et
les courants islamistes non-guerriers pourraient trouver leur place. En second
lieu, il conviendrait de contribuer à l’écriture d’un roman national. Le Mali est
paralysé par la fragilité de son « roman national », souvent limité à son empire
médiéval. Même l’indépendance ne fait pas l’objet d’une symbolique
7 QUELLES SOLUTIONS RELIGIEUSES A LA CRISE MALIENNE ? 8
unificatrice. Le patriotisme est simplement épidermique. Une coopération
culturelle (université, médias, éditions) pourrait contribuer à construire une
mémoire commune des populations maliennes. Dans ce processus, l’opération
Serval (et les suivantes) peut devenir une « épopée nationale malienne », si la
Défense néglige la place des soldats français et met en valeur les succès des
troupes maliennes : remises de décorations françaises à des soldats maliens,
cérémonies communes retransmises, diffusion de récits de combat,
communication autour de duos de soldats Français et Maliens.
A court terme (un à trois ans), quatre propositions peuvent être
retenues : en premier lieu, capitaliser sur le mouvement touareg et le MNLA, en
imitant la politique du Niger qui intégra les rebelles dans l’Administration et les
charges publiques, parallèlement à la décentralisation. D’autre part, il faudrait
pousser Bamako à relancer les projets d’association des islams maliens. Les
courants issus des confréries, des marabouts et du wahhabisme avaient
constitué un islam exigeant, souvent rigoriste, mais connu, bien identifié, et dont
la dimension djihadiste était absente. Une restructuration des islams maliens
sous contrôle de l’État permettrait de les isoler du djihadisme international qui a
pu attirer des locaux. Malgré ses défauts, l’AMUPI était une tentative
intéressante de recensement, d’enregistrement, d’encadrement des
différentes branches de l’islam malien. Avec un comité exécutif en partie
nommé par le gouvernement, en partie élu par les mosquées, une nouvelle
confédération – légitime et autonome – pourrait parler au nom des musulmans
maliens et recevoir des financements extérieurs, lesquels seraient identifiés et
non plus fantasmés5. En troisième lieu, il conviendrait d’accroître l’isolement
religieux des djihadistes. La Défense et les autorités maliennes peuvent
discréditer le courant djihadiste au sein des populations par un travail habile de
communication, en faisant une large publicité des crimes (vidéos sur internet,
témoignages télévisés ou radiophoniques), en soulignant l’incompatibilité de
leurs méthodes avec l’éthique musulmane (trafics, drogues, racisme, viols,
etc.), et à ruiner devant le « tribunal de l’opinion publique » le caractère
religieux de l’engagement djihadiste. A l’inverse, la France doit apparaître sur
place comme une puissance qui n’a pas méprisé les règles de l’islam6. Ce
point peut passer par des entretiens avec des soldats français musulmans,
d’une communication autour de l’enterrement rituel des djihadistes, de la
défense des mosquées et des mausolées. Il faudrait enfin adopter de nouvelles
dénominations. Le vocabulaire utilisé par les médias et les autorités pour
désigner les groupes terroristes en Afrique doit être retravaillé. Car l’ambiguïté
des termes est telle que la plupart impliquent aussi une dimension religieuse
positive. Le mot islamiste peut fédérer tout musulman rigoriste. Djihadiste
rappelle une obligation de l’islam. Al-Qaïda renvoie aux attentats de 2001, et il
n’est pas certain que cette humiliation des États-Unis ait totalement déplu au
5
Nous faisons allusion au fantasme du financement saoudien, dont tout le monde parle sans apporter aucun chiffre. 6
L’épisode, très mal compris en France, du chameau offert à François Hollande pour la libération de Tombouctou aurait pu prendre une dimension religieuse favorable à la France si le président de la République l’avait offert en retour, non à une famille, mais à une association au titre de la zakât, l’aumône légale. 7 QUELLES SOLUTIONS RELIGIEUSES A LA CRISE MALIENNE ? 9
Mali. L’isolement du djihadisme peut passer par des qualificatifs uniquement
péjoratifs, qui effacent ou inversent sa nature religieuse : miliciens, activistes,
trafiquants, envahisseurs, voire des mots issus de l’islam ou de l’arabe : harbiyyin
(soldats), kafarun (infidèles ou mauvais croyants), munafiqun (croyants
hypocrites), mudjahilin (barbares ou ignorants, par référence aux païens de la
Mecque du temps du Prophète).
En somme, la stabilisation à long terme
du Sahel passera nécessairement par une série d’inflexions subtiles menées à
haut niveau. Celles-ci nécessiteront de repenser la place même des équipes
d’action psychologique, qui ne doivent pas être placées en périphérie des
états-majors mais bien au contact direct du commandement. Action politique
par excellence, la conduite de la guerre doit renouer aujourd’hui avec une
dimension religieuse, au risque de perdre une partie de son efficacité.
SYNOPSIS
Le point de vue développé dans cet article n’engage que ses auteurs et ne saurait être considéré
comme une position officielle des Ecoles de Saint-Cyr Coëtquidan ou de leur centre de Recherche (CREC).
7 QUELLES SOLUTIONS RELIGIEUSES A LA CRISE MALIENNE ?