Contacts - Université catholique de Louvain

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Contacts - Université catholique de Louvain
Catherine
de
Médicis
Contacts
Catherine de Médicis dévisageant les protestants au lendemain du massacre
de la Saint-Barthélemy : satisfaite ou indignée ?
Développement durable de la santé au Sud-Kivu
Le Service de chirurgie de l’Hôpital St-Pierre en 1952
Bulletin bimestriel de l’association
des médecins Alumni de
l’Université catholique de Louvain
Ne paraît pas en juillet-août
P901109
Bureau de dépôt Charleroi X
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Mars - Avril 2015
Contacts
N° 89
Mars - Avril 2015
sommaire
Développement durable de
la santé au Sud-Kivu (RDC)
René Fiasse, André Vincent,
Mitterand Balola ,Tony
Shindano.
2
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Le Service de chirurgie de
l’Hôpital St-Pierre à Louvain
en 1952
Marcel Merchez
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La femme prend sa place :
Catherine de Médicis (15191589)
René Krémer
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Souvenirs et anecdotes :
Boire du lait en Hollande
Comité de rédaction :
Martin Buysschaert, René Krémer, Dominique
Lamy, Dominique Pestiaux, Christine Reynaert et
Jean-Louis Scholtes
Editeur responsable :
René Krémer
Rue W. Ernst 11/17 - 6000 Charleroi
Coordination de l’édition :
Coralie Gennuso
2
AMA CONTACTS - avril 2015
Développement durable de la
santé au Sud-Kivu (RDC)
Actions concrètes depuis 25 ans pour
le CHU de l’Université Catholique de
Bukavu
René Fiasse, André Vincent, Mitterand Balola, Tony Shindano
Comme l’espèce humaine est menacée par les guerres incessantes et les
altérations climatiques, préjudiciables pour la biosphère, il est primordial
d’œuvrer pour le développement durable, particulièrement dans les pays
défavorisés.
Depuis près de 25 ans, l’UCL a coopéré avec l’Université Catholique de Bukavu (UCBukavu) créée en 1989 par l’Archevêché de Bukavu sur suggestion
de Mgr Luc Gillon. En vue du développement de la Faculté de médecine et
de son hôpital de stage, l’Hôpital Provincial Général de Référence de Bukavu
(HPGRB), dont la gestion a été confiée par l’État à l’UCBukavu, un partenariat
intense a été instauré entre des membres des Facultés de médecine de l’UCL
et de l’UCBukavu sous l’impulsion du regretté Pr Stanislas Haumont. Les réalisations de ce partenariat jusqu’à 1998 ont été illustrées dans ce bulletin
(Ama Contacts, n° 50, 52, 57 accessibles par internet).
Adresse de contact :
AMA-UCL
Tour Vésale, niveau 0
Avenue E. Mounier 52, Bte B1.52.15
1200 Bruxelles
Tél. 02/764 52 71 - Fax 02/764 52 78
[email protected]
http://sites-final.uclouvain.be/ama-ucl/
Les articles signés n’engagent que leurs
auteurs.
Nous appliquons la nouvelle orthographe, grâce au
logiciel Recto-Verso développé par les linguistes
informaticiens du Centre de traitement automatique
du langage de l’UCL (CENTAL).
Graphisme :
A.M. Couvreur
Couverture : Un matin devant la porte du Louvre
par Édouard Debat-Ponsan
Avec deux médecins de l’UCBukavu, Tony Shindano,
spécialiste en médecine interne (UniKin) qui a fait 2
ans de stage en gastro-entérologie à St-Luc (20052007) et Mitterand Balola, assistant en cardiologie à
St-Luc de 2012 à 2014, nous voudrions concrétiser les
progrès réalisés en vue de faire de l’HPGRB un centre
hospitalo-universitaire (CHU) pilote, très utile pour le
développement durable de la Santé au Sud-Kivu.
Développement des pavillons hospitaliers et des
équipements médicaux
Grâce à des bailleurs de fonds internationaux ont été
construits des pavillons pour maladies infectieuses,
des salles de radiologie, une salle de kinésithérapie
bien équipée et, en 1999, 3 nouvelles salles d’opération complètement équipées jouxtant une nouvelle
salle d’urgence et 2 salles de soins intensifs, comme
l’illustre la photo ci-contre.
Un pavillon pour les nouveaux locaux du labo de
transfusion sanguine créé et géré par Claudine Guerreri, et un centre d’endoscopie digestive et d’épreuves
fonctionnelles (spirométrie, électro- et échographie)
avec petit labo de recherche pour les maladies nontransmissibles a été inauguré en 2012. Un PC software
ECG et un échocardiographe Acuson Sequoia (cf. photo ci-contre) ont été offerts par le service de cardiologie de l’UCL.
Des colonnes de vidéo-endoscopie avec gastro- et colo-vidéoscopes, dons de l’UCL, KUL, Cliniques de l’Europe et Olympus SA, ont pu y être installées dans 3
salles d’endoscopie (cf. photo ci-dessous avec l’infirmière Mathilde Cirhuza), ainsi qu’une salle de stérilisation des endoscopes.
AMA CONTACTS - avril 2015
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Des dialyses péritonéales et des biopsies rénales peuvent être actuellement réalisées par le Dr Marnix Masimango.
En 2013, le Dr Ghislain Maheshe, radiologue formé à
l’UniKin (ex-Lovanium) et 2 ans aux Cliniques de l’Europe (Ste-Elisabeth), dispose, grâce à des mécènes,
d’un scanner Toshiba 16 barrettes et d’appareils de
radiologie numérique. Un autre scanner plus ancien
avait été envoyé par un donateur italien.
Trois colonnes pour cœlioscopie opératoire en chirurgie, gynécologie et urologie ont aussi été fournies
via des dons de Belgique. Ci-dessus une photo du Dr
Léon Mubenga réalisant une prostatectomie endoscopique grâce à une de ces colonnes.
Grâce à un collègue de Malmédy en fin de carrière, le
département de dentisterie de l’HPGRB dispose, depuis peu, de 2 unités dentaires modernes dans des locaux rénovés (cf. Photo d’une unité ci-dessous avec le
dentiste Mr Mwendapeke).
L’Unité des Soins Intensifs bien staffée (médecins et
infirmières permanents) ne dispose que d’un matériel encore insuffisant (monitorings, respirateurs, etc.)
pour assurer une activité valable. Les soins intensifs
dans les pays en développement sont importants, car
ils bénéficient surtout à des jeunes patients, comme
souligné récemment dans le New England Journal of
Medicine.
Pour l’unité ORL, un appareillage pour microchirurgie
a été acquis par le Dr P. Balungwe lors de son stage
complémentaire à l’UCL en 2012-2013. Le Dr Mweze,
seul ophtalmologue, dispose d’une boite pour opérations de cataracte et d’un laser ophtalmique fournis
par l’UCL.
Les laboratoires de biologie clinique disposent d’automates pour les analyses courantes et les tests pour
évaluation des infections par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH-HIV).
Le laboratoire d’anatomie pathologique crée par le Pr
Raphaël Chirimwami et géré par les Drs P. Mulumeoderhwa et B. Manwa, assure les analyses des biopsies
pour les formations hospitalières du Sud-Kivu. Un microscope de discussion contribue à l’enseignement.
Récemment, un service technique et de maintenance
a été créé grâce à la fondation ICB (Institut Chirurgical de Bruxelles) et de l’ONG « Médecins sans Vacances » (MSV).
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AMA CONTACTS - avril 2015
Enseignement dans les 3 cycles de la Faculté de médecine avec le concours de l’HPGRB, des cliniques du
réseau de l’UCBukavu (BDOM), de cliniques universitaires africaines et de cliniques du réseau de l’UCL
À la naissance de l’UCBukavu, appel a été fait à des
professeurs-visiteurs des universités du Congo (de
l’UniKin surtout) et de Bujumbura et Butare (« les 3
Bu » selon S. Haumont). La Coopération Universitaire
au Développement (CUD) a mandaté temporairement plusieurs professeurs-visiteurs belges pour divers cours. Avec la progression du staff permanent
de spécialistes-enseignants, de plus en plus de cours
sont donnés par ceux-ci. Ci-contre, une photo du bâtiment de la Faculté de médecine situé dans l’enceinte
hospitalière. Le plus grand des auditoires est l’amphithéâtre Stanislas-Haumont.
Les stages du 2e cycle sont effectués à l’HPGRB et au
Sud-Kivu dans les hôpitaux du BDOM (Bureau Diocésain des Œuvres Médicales de l’Archevêché), réseau
de l’UCBukavu. Ci-dessous, un tour de salle dans
un pavillon d’hospitalisation avec le Dr G. Kuyigwa,
chirurgien orthopédiste, chef du service de chirurgie.
AMA CONTACTS - avril 2015
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Pour le 3e cycle de spécialisation, nous avons proposé une planification annuelle des spécialisations en
concertation avec le Doyen, le directeur médical et les
chefs de Départements (Dpts) ou Services, en suivant
le Plan du Pr Didier Moulin (tableau 1) : 2 années dans
un hôpital universitaire africain organisant le 3e cycle
(UniKin, Bujumbura, Cotonou), puis 1 à 2 ans de stage
à l’UCL, puis retour dans l’université africaine pour
terminer la spécialisation, mémoire et diplôme, enfin
retour à Bukavu pour une carrière hospitalo-universitaire.
Tableau 1 : Préalables pour spécialisation d’un an d’un médecin hors UE
(cf. Bukavu) dans les Cliniques du réseau UCL
Sélection par Chefs de Dpts + Doyen après 2 ans de stage de 3 e cycle, et accord GPSA
↓
Concours CidMed sur projet pour bourse de spécialisation UCL
↓
Bourse UCL octroyée ou autre bourse (MAC-B, CTB, CUD, WBI etc.)
↓
Accord du Président du Master et du Maître de stage UCL
↓
Octroi de la dérogation 49-ter du Ministère belge de la Santé
↓
Inscription provisoire à l’UCL
↓
Obtention d’un visa d’un an à un Consulat de Belgique
↓
Inscription définitive (minerval) à l’arrivée en Belgique
Légende : GPSA = Groupe de Pilotage Santé de l’Archevêché de Bukavu ; MAC-B = médecin assistant candidat-spécialiste B ;
CTB = Coopération Technique Belge ; CUD = Coopération Universitaire au Développement ; WBI = Wallonie-Bruxelles
International (ancien CGRI)
Les candidats sélectionnés doivent s’inscrire au
concours annuel de bourses de spécialisation sur projet, organisé par la Commission Internationale et de
Développement (CidMed) de la Faculté de médecine,
présidée par le Pr Bernard le Polain. Outre les bourses
UCL, des bourses peuvent être attribuées par des
maitres de stage de l’UCL et d’autres sources (cf. tableau).
L’arrêté Royal 49ter élaboré par l’Académie de médecine permet aux candidats un stage temporaire de 1
à 2 ans en Belgique s’ils remplissent les conditions requises (stage utile pour leur pays, etc.). Cet arrêté empêchant la fuite des cerveaux de RDC en Belgique est
donc favorable au développement durable.
Etant donné la rentrée progressive de spécialistes à
Bukavu, le 3e cycle de spécialisation à l’UCBukavu a
été autorisé en 2008 par Arrêté du Ministère de l’enseignement supérieur de RDC. Le Doyen Sylvain Munyanga l’a appliqué dès l’année académique 20102011, ce qui a augmenté le nombre de candidatures
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AMA CONTACTS - avril 2015
pour stages temporaires dans le réseau UCL à partir
de 2012 (figure 1).
Évolution du staff médical permanent
Grâce au développement du 3e cycle de spécialisation en Afrique et en Belgique, le staff de médecins
permanent à l’HPGRB s’est beaucoup développé et va
continuer à se renforcer. En fin 2014, 15 spécialistes du
staff avaient effectué un stage d’un à deux ans dans
les cliniques du réseau UCL. Vu le développement
concomitant des plateaux techniques, le doyen S. Munyanga avait demandé dès 2008 la reconnaissance
de l’HPGRB en CHU (Centre Hospitalo-Universitaire)
au Ministère de l’Enseignement supérieur de RDC.
Chaque année, un Jury International est constitué
pour les examens de chirurgie, gynécologie-obstétrique, médecine interne et pédiatrie des «finalistes»
(46 étudiants de dernière année de médecine en
2014). Ci-contre une photo des membres de ce jury le
24 mai 2014 après la délibération.
Figure 1. Nombre de candidats-spécialistes envoyés pour stage d’un an aux cliniques du réseau UCL et de spécialistes envoyés pour stage de perfectionnement
d’un an, et nombre de spécialistes retournés à l’UCBukavu après avoir terminé leur
3e cycle ou leur année de perfectionnement
Jury international (24/05/2014)
Au 1er rang, Dr G. Maheshe*, Pr J.K. Nyamugabo (ULg), Dr L. Mubenga*, Pr Mushegera (UniKin),
Dr Massimango*.
Au 2e rang, Dr G. Mulinganya*, Pr Sengeyi (UniKin), Pr Chirimwami, Pr Masumbuko,
R. Fiasse, A. Vincent (UCL)
* Médecins-spécialistes ayant fait un stage temporaire à l’UCL
AMA CONTACTS - avril 2015
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Thèses de doctorat en alternance avec des universités belges
Tous les spécialistes à l’HPGRB sont enseignants à la
faculté de médecine de l’UCBukavu.
Pour renforcer davantage celle-ci, nous avons suggéré aux spécialistes réintégrant l’HPGRB de préparer
une thèse de doctorat en alternance avec une université belge (plusieurs séjours de 3 mois). Le tableau
3 mentionne les thèses de doctorat en cours avec un
promoteur belge et un promoteur congolais, à l’aide
de bourses doctorales de plusieurs universités belges.
Cela stimulera aussi des travaux de recherche en collaboration Nord-Sud.
Tableau 3 : Thèses de doctorat en alternance avec université belge
NOM SPECIALISTE
SUJET ABREGE
Jeff Kabinda
Sécurité transfusionnelle
ULB
Tony Shindano
Hépatites B et C Sud-Kivu
UCL
Pierrot Mulumeoderhwa
Angiosarcome de Kaposi
UCL
Patrick Balungwe
Fonction olfactive Sud-Kivu
UCL
Léon Mubenga
Dysurie Sud-Kivu
UCL
Guy Mulinganya
Infections en cours de grossesse
UG
Justin Cikomola
Infections et diabète africain
UG
Antoine Sadiki (pharmacien)
Dépistage du diabète en Afrique
UG
Problèmes médico-sociaux
La RDC est un des pays les plus pauvres de la planète,
avec un produit intérieur brut par habitant de 262
USD en 2012 (banque mondiale). Beaucoup de travailleurs ne gagnent pas plus d’1 USD/jour. L’HPGRB
accueille une majorité de patients indigents, mais
aussi des patients issus des classes moyennes. Cellesci progressent suite au développement du commerce
et à la croissance (+ 8,5 % en 2013).
Mais comment assurer le remboursement des frais
médicaux par les patients indigents autrement qu’en
sollicitant leurs familles ?
Il y a à l’HPGRB un service social assuré par une religieuse, Sœur Hélène, aidée de son équipe, qui assure
l’alimentation des patients hospitalisés, sans famille.
De plus, elle prend en charge le centre de nutrition
pour enfants dénutris (cf. couverture arrière), soutenue depuis plusieurs années par l’association « Vie
d’enfant ».
Elle prend en charge également l’éducation et la formation au travail de jeunes prostituées grâce à l’aide
de « Femmes d’Europe ».
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AMA CONTACTS - avril 2015
UNIVERSITES BELGES
Heureusement, le concept de solidarité autre que familiale s’est imposé sous forme de la création des premières mutuelles de santé en RDC dans les hôpitaux
du BDOM. Luc Dusoulier des mutualités chrétiennes
de Tournai a poursuivi leur développement, notamment à l’HPGRB, et à Kinshasa, il tente de les généraliser en RDC. À Bukavu, les personnes à faible revenu
versent 7 USD par personne et par an pour pouvoir
bénéficier du remboursement de prestations importants. Mais il faudra le concours de l’État pour assurer
la viabilité des mutuelles.
Difficultés pour le développement durable en RDC et
en Belgique : Plaidoyer pour la synergie des acteurs
En RDC, en plus de l’état de pauvreté extrême, il faut
souligner les conséquences graves des 2 guerres de
1996 et 1998, alors qu’il y avait eu un reflux massif de
Rwandais au Kivu suite au génocide des Tutsi de 1994.
Cela a entrainé des massacres évalués à 2 à 4 millions
de personnes d’après les historiens et des enquêtes
de l’ONU, et aussi l’éclosion de bandes armées s’attaquant aux populations civiles (viols, etc.). L’ONU avec
la MONUSCO essaie de limiter les dégâts.
De plus, les richesses minières au Kivu (or, coltan, etc.)
attirent les prédateurs de divers pays. À noter aussi, 2
graves problèmes : manque d’électricité de qualité et
manque de médicaments efficaces. Ceux-ci ne sont
pas suffisamment contrôlés, beaucoup sont frelatés. Des génériques indispensables ne sont pas disponibles. Heureusement, l’Union Indienne avait fait
voter une loi autorisant la fabrication de génériques
anti-SIDA, encore sous brevets.
On espère que, suivant cet exemple, des génériques
contre les hépatites chroniques et des affections malignes seront bientôt disponibles, comme suggéré
dans un commentaire récent du New England Journal of Medicine (2014 ; 370 : 20-22).
Plusieurs organismes contribuent en synergie avec
nous au développement durable de la santé, comme
la CUD, le VLIR (Vlaamse Interuniversitaire Raad) et
diverses ONG comme « Louvain Coopération au Développement » et MSV.
En Belgique, le budget pour l’aide au développement
a été réduit suite à la crise financière (d’où moins de
bourses d’étude). Ensuite, il y a beaucoup de difficultés administratives pour organiser un stage temporaire de spécialisation pour les candidats-spécialistes
hors Europe.
les guerres passées à l’Est de la RDC, en espérant la
paix entre les Pays des Grands Lacs, il faut continuer
avec nos amis congolais à assurer les fonctions universitaires essentielles d’enseignement, de service à
la société et de recherche.
L’investissement dans la formation de qualité des
Hommes n’est pas suffisant s’il n’est pas soutenu par
une infrastructure technique indispensable. Nous
sommes toujours réceptifs à toute proposition d’aide
financière ou en matériel.
Remerciements
Nous tenons à remercier les membres de l’UCL ayant
été en mission à l’UCBukavu, du « Groupe Bukavu »
présidé auparavant par le Pr Didier Moulin et actuellement par le Pr Eric Constant. Nous remercions également le Pr Bernard le Polain, président du Cidmed,
MM Philippe Franquin et Flor Stuyven, et l’architecte
de Bukavu Mr Guillaume, qui ont planifié et fait réaliser les pavillons et les aménagements techniques,
ainsi que le Dr Frans De Weer de MSV, le Pr K. Mubagwa (ancien de Lovanium), professeur à la KUL et à
Bukavu, et membre du VLIR, ainsi que les nombreux
donateurs.
Conclusions et suggestions.
Une université est par nature une institution vouée
au développement durable. C’est pourquoi, malgré
AMA CONTACTS - avril 2015
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Le Service de chirurgie de l’Hôpital
St-Pierre à Louvain en 1952
Choses vues et entendues
Marcel Merchez, Maitre de conférences émérite
Georges Debaisieux, 68 ans, le grand patron évoquant ses chefs de clinique Jean Morelle et Albert Laquet : «Je
dois encore tenir les rênes de l’attelage ».
Un jour, à Pellenberg, il invite ses assistants à diner,
dont le Père Lichtemberger, petit jésuite rondouillard,
assistant libre temporaire, qui fit sa médecine dans
la quarantaine après un long séjour missionnaire en
Chine. À table, il était la vedette, il vantait l’habilité
des cuisiniers chinois à reconstituer le canard laqué
désossé. Silence embarrassé des convives, « Ah, très
intéressant », dit notre amphitryon, qui, cinq ans auparavant, a failli trépasser suite à une médiastinite
diffuse sur perforation oesophagienne par un os de
poulet.
Jean MORELLE (1)
Il faut attribuer à Morelle le grand mérite d’avoir métamorphosé un service désuet sinon archaïque, en un
magnifique ensemble pluridisciplinaire. Il ne coupa
pas à l’infarctus du myocarde. Sur son lit de convalescent, il avait la tête de Dorian Gray au stade terminal :
« Vous voyez Merchez ce qui arrive quand on n’est pas
raisonnable ».
Personnalité alliant une réserve parfois distante et
un sourire railleur, il n’osait pas s’abandonner. Une
simple parole amicale, un léger geste affectif, nous
aurait mis en complicité. Quand il blâmait : « Mon
brave, en 1914, vous auriez été relégué à Cabourg » où
siégeait l’administration belge en exil.
Il n’eut pas voix au chapitre pour la structure du service de chirurgie de St-Luc. Comme le Recteur Massaux me le rapporta, Morelle avait sollicité un entretien pour lui exposer ses vues. Il fut cavalièrement
éconduit : « Quel âge avez-vous monsieur Morelle ?
Cela n’est plus pour vous. » Tout Massaux !
Il opérait soigneusement, à l’américaine, ses adages :
•
« Fit fabricando faber. »
•
« Le mieux est l’ennemi du bien en chirurgie, comme partout ailleurs. »
Il décéda en 1983.
Jean Morelle et Jeanne Vanuffel
Sa résistance physique était confondante. Après une
journée chargée, le soir, une atrésie de l’œsophage du
nourrisson l’amenait tard dans la nuit.
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AMA CONTACTS - avril 2015
Il est impensable de parler de Morelle sans évoquer
Jeanne Vanuffel, dite « la Marquise », sa vestale administrative, toujours souriante et efficace, dévoué
chien de berger, rassemblant aimablement le troupeau d’assistants et de stagiaires. Elle est décédée en
1997.
Debaisieux a toujours été chic à son égard, il l’assistait lors des nouvelles opérations, notamment pour le
premier Blalock-Taussig (2). Pour lui, Morelle était un
sphinx mais toujours déontologique.
Il a encore connu Louis, le domestique de salle d’opérations de Théophile Debaisieux, qui opérait avec un
seau de solution formolée, posé à même le sol, contenant une éponge avec laquelle on humectait régulièrement le champ opératoire.
Le prédécesseur de Théophile Debaisieux, Michaux,
avait codifié la résection du maxillaire supérieur.
L’opéré, non anesthésié, était attaché les mains derrière le dos à un anneau mural que nous avons encore
connu dans la salle de radiologie de Masy.
Albert LACQUET
Les lois linguistiques de 1932 imposaient la séparation des régimes. Un second service universitaire de
chirurgie fut créé à la Voer des Capucins sur la rive
gauche de la Dyle, sous la direction d’un ancien assistant flamand de Debaisieux, René Appelmans.
Celui-ci refusa d’admettre dans son équipe Albert Laquet, cependant flamand, et comme lui ancien assistant de Debaisieux, sous prétexte « qu’on ne mettait
pas deux coqs sur le même fumier ».
Lacquet fut alors recueilli à bord de la barque de StPierre. Il y resta vingt ans passager, jusqu’à ce qu’en
1953, un néo du rectum lui fit place nette, tandis que
Morelle succédait à Debaisieux.
C’était un homme de commerce agréable, excellent
clinicien, bon chirurgien mais lent. Une appendicectomie banale prenait trois-quarts d’heure. À l’extériorisation de l’organe absolument normal et bien
libre ; il s’exclame : « Hon Hon, il a l’air enflammé le
gaillard! »
Une de ses manies était de nous tirer du lit le dimanche à 22 heures : Coup de fil du portier, « Professer
Laquette is daar ». Tour de salle de malades endormis.
En l’an 2000, j’apprends qu’il est toujours en vie. Au
téléphone, une excellente voix me répond : « Merchez  ? C’est vous le gros ? On se verra mercredi prochain à 10 heures. » Il est en pleine forme, intellect
intact. Conversation à bâtons rompus devant un
Bourgogne 1991.
Il opérait son habit recouvert d’un vieux loden, trop
sale pour la chasse. On se lavait les mains non pas
avant, mais après l’opération.
Lacquet citait Rufin Schockaert qui opérait avec des
gants de coton ( je l’ai vu moi-même), il prétendait
avoir moins d’infections qu’avec les gants en caoutchouc, car la fibrine coagulée dans les mailles faisait
obstacle aux microbes.
En finale : « Je suis un vieil éléphant. »
Il est décédé le 6 décembre 2003 dans sa centième
année.
L’hôpital St-Pierre
Situé à la rue de Bruxelles, il datait de 1834.
Le service disposait de trois salles de vingt lits
«adultes» et d’une salle «des enfants», pseudopode
pavillonnaire de quinze lits empiétant sur le jardin.
En mai 1944, le carpet bombing, imprécise tactique
américaine de bombardement à haute altitude, massacra la ville et non la gare. L’hôpital perdit ainsi un
tiers de sa surface, notamment la salle 4, réservée
aux cas neurochirurgicaux, qui furent alors transférés sur la rive gauche dans les bâtiments de l’Université, mais toujours sous la juridiction de Debaisieux.
En 1952, trois jeunes assistants furent admis (Jacques
Dieu, Robert Litt, Marcel Merchez) qui, à tour de rôle,
séjournèrent six mois dans ce service, tandis qu’à
l’hôpital, ils firent équipes avec les aînés Robert Ponlot et Emile Van Maele.
AMA CONTACTS - avril 2015
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Cette délocalisation avait suscité l’ambitieuse dissidence d’un jeune et brillant neurochirurgien qui
m’accueillit comme suit : « Merchez, tu es un garçon
bien sympathique, mais pour moi, tu seras toujours
un pion sur l’échiquier morellien. »
Plus tard, il fut titulaire du cours de déontologie médicale.
Le quartier opératoire
C’est un endoplasme aménagé à la fin du XIXe siècle
entre les colonnes d’un péristyle : deux salles de très
moyennes surfaces, un réduit pour les plâtres, une
stérilisation et le bureau du patron. Il y avait une troisième salle, très vaste, et pour cause, c’était l’amphithéâtre contigu, réservé aux cas infectés et qui était
la salle d’opération de Théophile Debaisieux.
L’appareil d’anesthésie à insufflation manuelle n’avait
pas de monitoring.
Deux portes battantes séparaient le quartier du grand
couloir par où transitaient les médecins, les malades
à pieds ou en brancard, les urgences, les fracturés vers
la salle des plâtres, les blessés vers les salles d’opération, les stagiaires et des étudiants gagnant l’amphithéâtre, et tout ce monde défilait comme dans un
moulin et en n’importe quel accoutrement.
Le cher Lucien Martiny était le grand maitre de la
stérilisation et de l’instrumentation, qu’il préparait
en fonction des programmes opératoires. Il perdait
un temps fou à affuter les bistouris sur la pierre «ad
hoc», la lame disposable n’avait pas encore fait son
apparition dans le service. De sa voix douce, il se
permettait, avec délicatesse, de donner des conseils
techniques aux assistants qu’il voyait en difficulté :
«Fais comme ça, mon cher docteur.» Pendant l’occupation, il fut le préparateur de Sauerbruch, sommité internationale et médecin – général de la Wehrmacht. « Si vous l’aviez vu opérer, mon cher docteur :
il suturait comme un vrai cordonnier, mais ses opérés
survivaient ! »
La bonne marche du service reposait sur deux tandems senior-junior.
Les intra-muros
Leur garde à l’hôpital était ininterrompue du lundi
midi au lundi midi suivant.
Outre les urgences, ils assumaient les interventions
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AMA CONTACTS - avril 2015
Clinique chirurgicale
programmées (lundi, mercredi, vendredi), les consultations (mardi, jeudi, samedi) et, bien entendu, les
soins et les tâches administratives des salles dont ils
avaient la responsabilité. Autant dire que certaines
semaines, leurs nuits étaient blanches.
Parfois, une prestation tardive s’achevait devant un
exaltant steak au poivre dans l’office cuisine de la
salle V. D’où provenait cette viande nocturne ? Dans
le couloir menant aux cuisines centrales, on avait repéré, derrière un passe-plat désaffecté, un crampon
où pendait la clef de la chambre frigorifique. Nous
faisions notre choix parmi les aguichants pans de
viande rouge.
Les extra-muros
Ils assistaient les professeurs en privé : au Sacré-Cœur
rue Notre-Dame, à la clinique des Franciscaines rue
de Namur, à l’institut psychiatrique à Corbeek-Lo, et à
d’autres services de la rive gauche (Cancer, pédiatrie).
Enfin, à l’Institut des Sports (sport-kot), l’Université
priait ses assistants de procéder à l’examen clinique
sommaire des étudiants : tension artérielle, auscultation et surtout vérification de la rétractibilité prépuciale, d’où le nom de code des séances « opération
SMEGMA ». On entendait Van Maele sermonner à
voix haute des étudiants flamands : « U moet verzorgen, hein, jong ! »
Le réfectoire
Leurs fenêtres donnaient sur le jardin du directeur
Liberton, c’était une école de vie. Le bleu y entrait discret et silencieux, le hâbleur était vertement rabroué.
De son coin, Simone Stadsbaeder, qui fut la première
assistante et la première « professeur » de la faculté,
mettait en garde la toute fraiche recrue en anesthésie, Raymonde Prévinaire : « Fais attention, ma chère,
ce sont tous des veaux ! »
Nous n’étions qu’une vingtaine d’assistants, toutes
spécialités confondues.
Le linge sale s’y lavait en famille sans scrupule, on se
lançait à la tête les bourdes de nos services respectifs.
Un jour, l’ordinaire étant vraiment immangeable, la
révolte gronda : on pria notre serveur Gustave d’ouvrir
la fenêtre, les assiettes et leur contenu furent balancés dans le jardin directorial. Gros émoi ! Le directeur,
affolé, accourt flanqué de l’échevin de l’Assistance publique. Enquête. On apprend que le chef était un ancien plombier zingueur engagé par appui politique.
On nomma une commission gastronomique qui choisissait les menus de la semaine.
Les autorités avaient cru revivre l’insurrection de la
fin des années 40, en cause le bakchich généreux de
500 francs mensuels, quelle que fut l’année de formation. Les poubelles étaient déversées, les ordures
éparpillées dans les couloirs et des lances d’incendie
mises en action. Le recteur magnifique Van Waeyenberg, pince-nez en bataille, est venu sur place traiter
les assistants de débardeurs.
Enfin, le Grand Patron, Georges DEBAISIEUX
Successeur de son père Théophile, il était titulaire de
la clinique chirurgicale les mardis, jeudis et samedis
matins à neuf heures, c’est-à-dire neuf heures vingt
cinq. La journée du samedi était réservée à un cas
d’urologie, il faisait ainsi l’impasse sur le cours théorique d’urologie de huit heures.
Une réputation de paresseux lui collait à la peau, il ne
s’en offusquait pas, je crois même que cela le réjouissait secrètement. Il m’a raconté qu’un matin, son père
l’avait réprimandé parce que, assis, il se laissait lacer
ses chaussures par un domestique.
Suite à cette jacquerie, la Commission d’Assistance
Publique se fendit de barèmes mensuels progressifs
en fonction des années : 1250 - 1985 - 3520 - 4250
francs. Le chef de service d’une spécialité marginale,
denture chevaline sur col à coins cassés, connu pour
ses calembours éculés, affirmait sans vergogne que,
pour suivre leur cursus, les assistants devraient payer.
L’activité essentielle du patron était la leçon clinique,
dont le cérémonial se déroulait ainsi :
La veille au soir, un stagiaire sonnait rue Léopold et
remettait au larbin (en tenue de doriphore) les dossiers des cas sélectionnés par l’extra-muros. Le lendemain, de son pas lent et nonchalant, le patron gagnait l’hôpital les dossiers sous le bras : « J’ai choisi
celui-ci ou celui-là ». Il devise plaisamment avec les
membres du staff.
Avant de parler du grand patron, il serait impensable
de ne pas citer la Révérende Sœur Hilaire, pilier de la
salle V (des hommes). À l’instar des compagnons du
tour de France, c’était notre Mère. Femme à poigne
qui nous mettait le pied à l’étrier, mais qui, à l’occasion, ne se privait pas de réprimander aimablement
ou vertement assistants et stagiaires, et même de
tancer Morelle qui s’inspirait de ses jugements : « Celui-ci est un bon, celui-là est un vrai con ! » Quand elle
s’adressait à un médecin dont le nom lui échappait,
c’était « Mijnheer dingske ». Son petit bureau au fond
de la salle était le coin des confidences, un petit reposoir souvent fréquenté par Edouard Massaux, cousin
de Ponlot et futur recteur.
C’est lors d’un de ces élégants badinages que survient Morelle, affairé, qui lui annonce qu’il revient
d’un congrès. Ironique, le patron s’enquiert : « Vous
faites partie de cette aristocratie des sleepings dont
on parle ce matin dans la Libre Belgique ? ». Interloqué, Morelle tourne les talons. Enfin, il se décide et dit
« Allons-y puisqu’il le faut ». Il entre en piste suivi du
« page », l’assistant préposé au cours qui introduit le
malade. L’exposé était clair, précis, illustré de dessins
polychromes, on baignait dans une ambiance mondaine souriante qui atténuait l’inconfort séculaire
de l’amphithéâtre. Son sens clinique était très affiné,
il diagnostiquait une tuberculose péritonéale à la
simple palpation des masses en damier.
AMA CONTACTS - avril 2015
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Il savait railler son interlocuteur avec grâce. Il en fut
ainsi avec Gérard Sokal, assistant en médecine interne et futur professeur, qui suggérait le diagnostic
ambigu de collagénose au stade préclinique à propos
d’un cas nébuleux d’abdomen douloureux. Il lui arrivait encore d’être en piste pour des cas périlleux dont
ses chefs de clinique préféraient lui laisser la responsabilité. C’est à propos d’un de ces cas (une volumineuse tumeur abdominale d’origine surrénalienne)
que, me croisant, il met la main sur mon épaule et,
me fixant de ses yeux noirs sous ses sourcils broussailleux, me dit : « Vendredi, le grand jeu ! »
En 1955, il a 75 ans, est émérite depuis six mois, Morelle l’a invité à pratiquer une néphrectomie lors de
la journée des Anglais. Une cohorte de chirurgiens
britanniques visite, en touristes, les centres universitaires continentaux avec clubs et femmes. Aux fins
de leur en mettre plein la vue, des cas spectaculaires
avaient été groupés pour ce triduum de démonstration. Se brossant les mains et avec un sourire malicieux, il nous prévient : « Nous allons montrer à ces
Anglo-saxons ce qu’est le panache français. » L’intervention dura vingt-deux minutes.
Je ne l’ai jamais vu faire un tour de salle. C’est un exploit auquel est parvenu un stagiaire qui a naïvement
abordé le patron prêt à partir, à l’entrée de la salle V.
« Voulez-vous faire un tour de salle monsieur le professeur ? » Devant l’ingénuité de l’étudiant, il n’a pas
résisté et le voilà en pardessus, avec son jeune guide,
passant devant chaque lit avec une inclinaison souriante de la tête, se laissant détailler les pathologies
par le carabin : «Ici, Monsieur le professeur (lit n°11),
c’est un syndrome de Volkmann sur plâtre circulaire.»
«Ah!», sursaut de surprise, «cela a été fait dans le service ?» «Oui. »
La visite s’achève, remerciements du patron : «Et
pour le lit n°11», avec un doigt sur la bouche, «chut !
On pourrait nous attaquer !» (Remarque : le service
n’avait pas d’assurance. La notoriété du patron la rendait inutile.)
Il ne se préoccupait pas de l’intendance. Le service
perdait des millions en ne comptabilisant pas les
analyses (pratiquées par les stagiaires, main d’œuvre
payante, qui perdaient leur temps à compter les globules et à masturber les uréomètres d’Ambard) ni, ce
qui était plus préjudiciable, les interventions chirurgicales. Au contraire du service de médecine interne qui
lapait goulûment le pactole de l’assurance-maladie.
Ce n’est qu’à dater d’octobre 1954, à l’avènement de
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AMA CONTACTS - avril 2015
Morelle, que les prestations furent, enfin, facturées.
Il n’entendait pas délaisser ses prérogatives de mandarin. Une donzelle, copine du fils de l’avocat Calloud,
son voisin rue Léopold, était hospitalisée à St-Pierre
pour traumatisme crânien. Rencontrant Debaisieux,
le cher maître s’enquiert de l’état de la fille. Le patron
est réduit « a quia ». Il reproche de n’avoir pas été informé, mais monsieur Morelle était au courant lui diton. Georges explose : « C’est moi le chef de service et
monsieur Morelle n’est que mon lieutenant. »
Il avait la critique cinglante : « La réputation de X est
basée sur un charnier. »
Si dans toute société, la confraternité, a-t-on dit, est
une haine vigilante, celle d’un professeur, qui disait
d’un collègue « il devrait être décoré de l’ordre du
Concombre, car il a des hémorroïdes à la place de ses
plexus choroïdes », devait être bien virulente.
L’assister rue de Namur à la clinique des Franciscaines
où, sur le palier du premier étage, trônait un buste de
son père, était un délice de fin gourmet. La séance de
brossage s’éternisait en festival d’anecdotes :
- L’ordre des sœurs hospitalières de St-Pierre avait
été fondé en 1220. Leur constitution prescrivait
qu’au moins la supérieure fut vierge. Jadis, une
barque permettait la traversée sur l’autre rive,
celle des moines …
- Lourdes lui répugnait. Dans sa jeunesse, il s’indignait de l’étalage des bondieuseries et autres
bagatelles notamment un porte-cigarettes reproduisant la copulation de Zeus et Léda, frappé
«Souvenir de Lourdes ».
- Il visite l’abbaye d’Orval restaurée. Une chapelle
est ornée de vitraux dont un est une femme symbolisant la chasteté. « Elle n’a pas grand mérite à
être chaste avec la gueule qu’elle a » Du coup le
vide se fit autour de moi.
- Il a raconté les circonstances de la mort de son
collègue Albert Lemaire, professeur de médecine
interne qu’il a opéré d’appendicectomie. Lemaire
exige une locale. Dans les suites, il développa un
hématome qui s’infecta.
- Désabusé : « Un jour j’écrirai un livre sur les limites
de la chirurgie ».
- En 1915, il fait partie de l’équipe chirurgicale de
l’hôpital militaire de l’Océan à la Panne. La reine
Elisabeth l’assiste. Un jour elle lui propose une ballade. Il répond : « Madame est-ce que votre mari
est au courant ? »
- Il n’a jamais eu d’atomes crochus avec Morelle.
Même durant l’été tumultueux de 1944, quand
il fut accueilli à sa maison de campagne de Pellenberg pour fuir les bombardements américains.
Il avait beaucoup espéré de cette intimité de circonstance. Espoir sans lendemain. « Si vous êtes
patron plus tard, ayez un chef de clinique d’au
moins 25 ans plus jeune que vous. »
Enfin, après une demi-heure de brossage, on passe à
table : un ongle incarné sous locale.
En salle d’opération de cette clinique, une boite en
fer blanc porte l’inscription « Contre l’embolie ».
Quelle était la pharmacologie d’urgence prévue par
les sœurs ? J’ouvre : Un crucifix et un rameau de buis
desséché.
Debaisieux est mort le 1 octobre 1956 à 74 ans. La
reine Elisabeth était venue l’embrasser.
Note de bas de page
(1) Fils d’Aimé, professeur de dermatologie qui,
stoïque, faisait son cours la face à demi recouverte d’un bandeau noir, masquant une fistule
cancéreuse du maxillaire inférieur.
(2) Shunt du ventricule droit vers l’artère pulmonaire.
La femme prend sa place
Catherine de Médicis (1519-1589)
La veuve noire ?
Née à Florence en 1519, élevée à Rome, Catherine était
une Médicis de mère française, devenue orpheline
avant son premier anniversaire. Proche du pape Clément VII, elle fut rapidement mise au couvent pour
être protégée pendant la période républicaine à Florence (1527-1531). Dès l’enfance, elle eut des prétendants au mariage. Elle fut amoureuse d’un cousin
nommé Hyppolite qu’on éloigna, car on avait pour
elle des projets plus ambitieux. On lui apprit le français, l’équitation et la politique.
Elle est souvent représentée de nos jours comme une
vieille dame en deuil, alors qu’avant la mort de son
mari Henri d’Orléans, c’était une jeune femme culti-
Catherine en tenue de deuil
par François Clouet
René Krémer
vée, à la fois catholique et superstitieuse, intelligente
et avide de nouveauté. Elle était aussi gourmande,
active, aimant la plaisanterie. Croyant en Nostradamus, elle était curieuse d’astrologie, avait recours aux
horoscopes et consultait des mages.
Catherine jeune
Elle se montre particulièrement habile pour atteindre
et garder le pouvoir dès l’âge de 14 ans.
En 1533, elle épouse Henri d’Orléans, fils de François
Ier, devient Dauphine en 1536 et Reine de France en
1547 à la mort de François 1er. Son mari Henri II meurt
dans un tournoi en 1559. Depuis lors, Catherine était
inconsolable, et s’habillait de noir.
La mort d’Henri II par Franz Hogenberg
AMA CONTACTS - avril 2015
Henri II
15
Dans la suite, elle devient Reine-mère de François II
(1544-1560) qui épousera Mary Stuart, demi-sœur
d’Élisabeth Ire. Cette Reine de France « short time »,
retournera en Écosse à la mort de son mari. Le frère
de François II (1550-1574) lui succéda sous le nom de
Charles IX : Catherine resta Reine-mère et exerça un
pouvoir réel, étant donné le jeune âge du Roi. Au décès de Charles en 1574, le fils d’Henri II et de Mary
Stuart lui succéda sous le nom d’Henri III. Sous le
règne de ce petit-fils, Catherine eut moins de pouvoir:
il était hésitant influençable, entre autres par ses
«mignons». Une Reine «grand-mère» n’a normalement pas de pouvoir, mais Catherine parvint à se faire
nommer « gouvernante de France », un poste important, mais fragile. Elle recevait les dépêches, nommait
les charges, entendait les doléances, et logeait près
du Roi.
félicite et le Pape organise un Te Deum de victoire. Ces
attitudes devaient faire croire que la tolérance de Catherine était de l’hypocrisie. Charles IX avait pourtant
interdit les tueries et les pillages. Il faut tenir compte
des mœurs de l’époque, qui était fertile en assassinats politiques : notamment ceux de deux princes de
Guises, du prince de Condé et de Gaspard de Coligny,
ce dernier exécuté parait-il sur ordre de Catherine de
Médicis.
La période active de Catherine fut empoisonnée par
les guerres de religion (1533-1589).
Curieusement, les historiens décrivent huit conflits,
nommés « guerres de religion, » qui alternent avec
des périodes de calme très relatif. Parmi « ces drôles
de guerres », il faut citer le massacre de Wanny (1562)
en Champagne où l’armée du Duc de Guise fit exécuter une cinquantaine de protestants, quelques semaines après que Catherine et Charles IX aient publié
un édit permettant aux protestants de célébrer leur
culte hors des villes.
S’en suivirent, le siège de La Rochelle, occupée par les
protestants, la dévastation du sud-ouest par l’armée
de Coligny(1) et surtout la Saint-Barthélemy. Une rumeur courait dans Paris selon laquelle les protestants
et notamment Coligny préparaient une guerre pour
soutenir le Prince d’Orange contre les Espagnols. Devant cette menace pour la royauté, Charles IX et Catherine décident de prévenir ce complot probable
selon les méthodes de l’époque. Le tocsin résonne dès
3 heures matin le 24 aout 1572. Les archers français et
les hallebardiers suisses se répandent dans la ville et
égorgent des protestants, probablement considérés
comme dangereux. Le peuple de Paris, qui subit une
crise économique et financière, profite de la circonstance pour transformer l’opération de police en massacre. On comptera près de 3 000 victimes : plusieurs
villes de province imitent Paris. Cette boucherie fut
longtemps attribuée à Catherine, à tort semble-t-il.
Elle a été certainement favorisée par les Guises et le
Prince de Condé(2). Le gouvernement royal était innocent de ce soulèvement populaire. Catherine fut accusée par les uns et félicitée par les autres. Le peuple
de Paris l’appelait la mère du royaume. Philippe II la
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AMA CONTACTS - avril 2015
Le massacre de la Saint-Barthélemy
par François Dubois
Catherine était parfois tolérante. Dans les périodes
calmes, elle s’efforçait de rapprocher protestants et
catholiques et d’obtenir des concessions des uns et
des autres. Mais comme elle était fidèle catholique,
les exigences et les actes agressifs des protestants
l’exaspéraient plus que ceux des catholiques, qui
pourtant les valaient. Certains lui reprochaient ses
origines italiennes et son emprise sur les Rois de
France, qu’il s’agisse de son mari, de ses enfants ou
même de son petit-fils Henri III.
En outre, elle était entourée de princes nobiliaires,
qu’elle n’avait pas choisis. Pour compliquer la situation, ces groupes avaient des idées différentes surtout religieuses.
Les Montmorency(3) partagés entre catholiques et
protestants s’efforçaient de contrer l’influence des
Guises.
Les Guises dirigeaient un parti catholique intégriste,
très populaire à Paris. Champion de la foi, ils formaient une ligue, qui s’opposait à la tolérance de Catherine et parvint à destituer Henri III.
Les Bourbons, descendants directs de Saint-Louis,
étaient des princes du sang qui avaient la préséance
sur les autres gentilshommes du royaume. Avec Louis
de Condé, ils étaient les meneurs du parti protestant,
mais seront obligés de se convertir temporairement
après la Saint-Barthélemy.
On imagine, les problèmes, les ruses et les rancunes
parmi ces groupes divisés par la religion. Ils mettaient
le roi et Catherine dans des situations difficiles, ce qui
explique certaines voltes face, leur attitude parfois
ambiguë et firent souvent échouer les compromis et
les tentatives de rapprochement.
L’ingérence des pays voisins venait s’ajouter à ces
troubles.
Élisabeth d’Angleterre envoyait des armes et des navires aux protestants encerclés à La Rochelle. Philippe
II d’Espagne de son côté soutenait le clan des Guises
et causait des ravages comme à Saint-Quentin en
1557. L’Allemagne luthérienne, la Suisse calviniste et
les gueux des Pays-Bas soutenaient également les
réformés français.
La France était ainsi divisée en deux factions soutenues financièrement et militairement par les pays
voisins
Au fond d’elle-même, Catherine catholique convaincue souhaitait la paix dans une France unie avec «un
roi, une loi et une foi.» Elle avait parfois un double
langage, mais on le lui rendait bien. Elle tentait également de concilier les grands, «qui se juraient d’amitié
devant elle».
Par contre, elle s’efforçait de réunir protestants et
catholiques, de trouver des points communs et des
compromis. Elle essayait de provoquer le moins de
mécontentements parmi les catholiques sectaires et
les huguenots acharnés. Après chaque compromis,
elle croyait naïvement au maintien de ces progrès
alors qu’ils étaient le plus souvent supprimés par une
action violente.
Parmi ses actions apaisantes, il faut citer la création
d’une assemblée de réformés rue Saint-Jacques à
Paris en 1557, l’Edit d’Amboise en 1560 accordant aux
protestants le libre exercice de leur culte, et la paix de
Longjumeau, qui assurait une somme d’argent aux
mercenaires qui quittaient immédiatement le pays.
Elle voyageait beaucoup et rencontrait des protestants en province. Il faut citer le grand tour de France
royal de janvier 1564 à mai 1566 et le tour du midi
d’aout 1578 à novembre 1579. Elle créa dans le Midi
une école mixte sur le plan religieux qui n’eut qu’un
succès temporaire. Elle cherchait à favoriser des mariages entre les uns et les autres et disait : « On peut
critiquer mes actions, mes pas mes intentions. »
Elle rencontra plusieurs fois Henri de Navarre, chef
des réformés à cette époque, qui deviendra Henri IV,
roi de France et apaisera pour longtemps les guerres
de religion(4).
Après une maladie bizarre en 1568 (fièvre, maux de
tête, vomissements, saignements par la bouche et
par le nez). Catherine, devint plus hostile vis-à-vis
des réformés : elle fortifie les châteaux, engage 6000
gardes suisses, interdit l’aide aux protestants flamands. De plus en plus des réformés, abjuraient, émigraient ou prenaient les armes.
Un pamphlet de l’époque est exagéré, mais il faut lui
reconnaitre certaine justesse :
La reine qui ci-git fut un diable et un ange :
Toute pleine de blâme et pleine de louanges :
Elle soutint l’État et l’État mit à bas :
Elle fit maints accords et pas moins de débats :
Fis bâtir des châteaux et ruiner des villes
Elle enfanta trois Rois et cinq guerres civiles
Fit bien de bonnes lois et de mauvais édits
Souhaite-lui, passant, Enfer et Paradis
Au 19e siècle Michelet(5) et bien d’autres critiquaient
très vivement Catherine. Ils considéraient certainement que son travail ne convenait pas à une femme.
Depuis la seconde moitié du 20e siècle, on comprend
mieux l’état d’âme de Catherine, les pressions internes et étrangères qu’elle subissait et le faible respect de la vie humaine à son époque. De nos jours, des
historiens la considèrent comme la plus grande reine
de France ; c’est sans doute vrai, si l’on tient compte
des problèmes graves qu’elle a dû gérer.
Comparaison avec Cléopâtre et Élisabeth Ire
Il est intéressant de comparer les trois femmes dont
nous avons décrit jusqu’ici la manière de gérer un
pays dont elles étaient la reine.
Cléopâtre agit comme les hommes qui l’ont précédée, entre autres comme faire tuer son frère et mari,
pour être seul maitre. C’est évidemment un acte qui
n’était pas exceptionnel dans l’Egypte antique. Mais
elle ajoute des caractères plutôt féminins. C’est la
ruse, par exemple le fait de retirer sa flotte quand elle
voit qu’Antoine est en train de perdre la bataille d’Actium. Sa célèbre séduction de femme fatale, réussit
avec César et Antoine, qui n’étaient pourtant pas des
ingénus.
Catherine de Médicis n’avait pas le pouvoir absolu et
devait gérer une guerre de religion sanglante. Elle fit
son possible pour apaiser huguenots et catholiques,
AMA CONTACTS - avril 2015
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mais elle se heurta notamment à l’intégrisme de personnages comme Henri de Guises et Louis de Condé
et à des étrangers comme Philippe II, Mary Stuart et
Calvin. C’est Henri IV qui apaisera ce conflit.
Élisabeth Ire a dû faire face à la querelle des catholiques et des anglicans. Elle avait des avantages par
rapport à Catherine : des années de préparation, le
célibat, le désastre de l’invincible Armada, le nationalisme anglais dominant. Elle dut néanmoins faire
exécuter Mary Stuart. Mais elle avait plus de calme
et plus d’autorité que Catherine de Médicis et n’avait
pas un mari phallocrate à ses heures. Catherine de
Médicis avait tenté de lui faire épouser son fils, mais
elle refusa, et lui donna comme excuse : « Ce n’est pas
moi qui choisis mon mari, mais le Parlement. » Elle
avait sans doute le flegme britannique et Catherine
l’exubérance méridionale.
Notes de bas de page
(1) Gaspard de Coligny, amiral français, adhérent à la
réforme, exécuté le 24 aout 1572 lors de la SaintBarthélemy.
(2) Louis Ier de Bourbon, prince de Condé, chef des
calvinistes, assassiné en 1569.
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AMA CONTACTS - avril 2015
(3) Les Montmorency : Grande famille française.
(4) Henri de Navarre, chef du parti calviniste, après
avoir échappé à la Saint-Barthélemy par une première abjuration, devient roi de France sous le
nom d’Henri IV après avoir renoncé une seconde
fois au protestantisme (« Paris vaut bien une
messe » aurait dit ce protestant, œcuméniste
avant la lettre). Il obtiendra la paix religieuse en
France grâce à l’Edit de Nantes (1593), que Louis
XIV aura pourtant la funeste idée de supprimer,
ce qui entrainera un exil massif de personnalités
protestantes.
(5) Michelet écrit : « Nos historiens ont pris au sérieux
Catherine de Médicis. Elle goutait assez le protestantisme qui lui eut valu les biens de l’Église.
Paraitre pour elle était plus qu’être, dans le vide
absolu qu’une si grande pourriture avait fait en
dedans. »
Parmi les livres consultés
Jean-François Solnon, Catherine de Médicis, 2003
Ivan Cloulas, Catherine de Médicis, 1979
Hugh Ross Williamson, Catherine de Médicis, 1979
Guerre de religion France dans Wikipedia.
Souvenirs et anecdotes
Souvenirs de congrès : Boire du lait en
Hollande
J’avais envoyé à un congrès de cardiologie hollandobelge une communication sur les risques de la mise
au point hémodynamique dans le rétrécissement valvulaire aortique. Notre expérience à Mont-Godinne
était importante et montrait que le franchissement
de la sténose n’était pas sans risque, de même que la
ventriculographie gauche. Ces deux éléments étaient
inutiles puisque la mesure du gradient et de la fonction du ventricule gauche pouvaient être obtenue par
l’échocardiographie. Le cathétérisme devait donc se
limiter à la coronarographie peu dangereuse.
Un exposé me fut accordé alors que le plus souvent,
je n’avais droit qu’à un poster. Je préparai soigneusement mon texte, les diapositives, la littérature et la
réponse aux questions éventuelles.
Les communications avançaient suivant l’horaire,
mais les questions étaient nombreuses et se poursui-
virent pendant la pause. Notre soif était étanchée par
du lait à volonté, selon la méthode batave.
J’intervenais en dernier lieu. Quand mon tour est arrivé, le président de séance se leva et, sans un mot d’excuse, annonça que la dernière communication n’était
pas possible, la salle étant réservée à partir de midi et
demi. Je crois me souvenir qu’un concert était prévu.
Quand je voulus reprendre ma déesse Citroën, elle
était dégonflée. Je dus la laisser dans un garage et
revenir dans la voiture d’un ami. Un malheur ne vient
jamais seul.
Je n’avais même pas bu le nectar des vaches hollandaises. Je me disais que j’aurais dû amener mon encas comme le font parait-il les Hollandais qui passent
leurs vacances dans nos Ardennes. Quand j’y repense,
ma colère de ce jour-là réapparait.
R.K.
Les Hollandais aiment bien le lait
AMA CONTACTS - avril 2015
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Sœur Hélène, au centre de nutrition pour enfants de
l’Hôpital Provincial Général de Référence de Bukavu
Dans le prochain numéro :
Interview : Marc Crommelinck
Le Nepal Mountain Mobile Hospital