Contacts - Université catholique de Louvain
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Catherine de Médicis Contacts Catherine de Médicis dévisageant les protestants au lendemain du massacre de la Saint-Barthélemy : satisfaite ou indignée ? Développement durable de la santé au Sud-Kivu Le Service de chirurgie de l’Hôpital St-Pierre en 1952 Bulletin bimestriel de l’association des médecins Alumni de l’Université catholique de Louvain Ne paraît pas en juillet-août P901109 Bureau de dépôt Charleroi X 89 Mars - Avril 2015 Contacts N° 89 Mars - Avril 2015 sommaire Développement durable de la santé au Sud-Kivu (RDC) René Fiasse, André Vincent, Mitterand Balola ,Tony Shindano. 2 10 Le Service de chirurgie de l’Hôpital St-Pierre à Louvain en 1952 Marcel Merchez 15 La femme prend sa place : Catherine de Médicis (15191589) René Krémer 19 Souvenirs et anecdotes : Boire du lait en Hollande Comité de rédaction : Martin Buysschaert, René Krémer, Dominique Lamy, Dominique Pestiaux, Christine Reynaert et Jean-Louis Scholtes Editeur responsable : René Krémer Rue W. Ernst 11/17 - 6000 Charleroi Coordination de l’édition : Coralie Gennuso 2 AMA CONTACTS - avril 2015 Développement durable de la santé au Sud-Kivu (RDC) Actions concrètes depuis 25 ans pour le CHU de l’Université Catholique de Bukavu René Fiasse, André Vincent, Mitterand Balola, Tony Shindano Comme l’espèce humaine est menacée par les guerres incessantes et les altérations climatiques, préjudiciables pour la biosphère, il est primordial d’œuvrer pour le développement durable, particulièrement dans les pays défavorisés. Depuis près de 25 ans, l’UCL a coopéré avec l’Université Catholique de Bukavu (UCBukavu) créée en 1989 par l’Archevêché de Bukavu sur suggestion de Mgr Luc Gillon. En vue du développement de la Faculté de médecine et de son hôpital de stage, l’Hôpital Provincial Général de Référence de Bukavu (HPGRB), dont la gestion a été confiée par l’État à l’UCBukavu, un partenariat intense a été instauré entre des membres des Facultés de médecine de l’UCL et de l’UCBukavu sous l’impulsion du regretté Pr Stanislas Haumont. Les réalisations de ce partenariat jusqu’à 1998 ont été illustrées dans ce bulletin (Ama Contacts, n° 50, 52, 57 accessibles par internet). Adresse de contact : AMA-UCL Tour Vésale, niveau 0 Avenue E. Mounier 52, Bte B1.52.15 1200 Bruxelles Tél. 02/764 52 71 - Fax 02/764 52 78 [email protected] http://sites-final.uclouvain.be/ama-ucl/ Les articles signés n’engagent que leurs auteurs. Nous appliquons la nouvelle orthographe, grâce au logiciel Recto-Verso développé par les linguistes informaticiens du Centre de traitement automatique du langage de l’UCL (CENTAL). Graphisme : A.M. Couvreur Couverture : Un matin devant la porte du Louvre par Édouard Debat-Ponsan Avec deux médecins de l’UCBukavu, Tony Shindano, spécialiste en médecine interne (UniKin) qui a fait 2 ans de stage en gastro-entérologie à St-Luc (20052007) et Mitterand Balola, assistant en cardiologie à St-Luc de 2012 à 2014, nous voudrions concrétiser les progrès réalisés en vue de faire de l’HPGRB un centre hospitalo-universitaire (CHU) pilote, très utile pour le développement durable de la Santé au Sud-Kivu. Développement des pavillons hospitaliers et des équipements médicaux Grâce à des bailleurs de fonds internationaux ont été construits des pavillons pour maladies infectieuses, des salles de radiologie, une salle de kinésithérapie bien équipée et, en 1999, 3 nouvelles salles d’opération complètement équipées jouxtant une nouvelle salle d’urgence et 2 salles de soins intensifs, comme l’illustre la photo ci-contre. Un pavillon pour les nouveaux locaux du labo de transfusion sanguine créé et géré par Claudine Guerreri, et un centre d’endoscopie digestive et d’épreuves fonctionnelles (spirométrie, électro- et échographie) avec petit labo de recherche pour les maladies nontransmissibles a été inauguré en 2012. Un PC software ECG et un échocardiographe Acuson Sequoia (cf. photo ci-contre) ont été offerts par le service de cardiologie de l’UCL. Des colonnes de vidéo-endoscopie avec gastro- et colo-vidéoscopes, dons de l’UCL, KUL, Cliniques de l’Europe et Olympus SA, ont pu y être installées dans 3 salles d’endoscopie (cf. photo ci-dessous avec l’infirmière Mathilde Cirhuza), ainsi qu’une salle de stérilisation des endoscopes. AMA CONTACTS - avril 2015 3 Des dialyses péritonéales et des biopsies rénales peuvent être actuellement réalisées par le Dr Marnix Masimango. En 2013, le Dr Ghislain Maheshe, radiologue formé à l’UniKin (ex-Lovanium) et 2 ans aux Cliniques de l’Europe (Ste-Elisabeth), dispose, grâce à des mécènes, d’un scanner Toshiba 16 barrettes et d’appareils de radiologie numérique. Un autre scanner plus ancien avait été envoyé par un donateur italien. Trois colonnes pour cœlioscopie opératoire en chirurgie, gynécologie et urologie ont aussi été fournies via des dons de Belgique. Ci-dessus une photo du Dr Léon Mubenga réalisant une prostatectomie endoscopique grâce à une de ces colonnes. Grâce à un collègue de Malmédy en fin de carrière, le département de dentisterie de l’HPGRB dispose, depuis peu, de 2 unités dentaires modernes dans des locaux rénovés (cf. Photo d’une unité ci-dessous avec le dentiste Mr Mwendapeke). L’Unité des Soins Intensifs bien staffée (médecins et infirmières permanents) ne dispose que d’un matériel encore insuffisant (monitorings, respirateurs, etc.) pour assurer une activité valable. Les soins intensifs dans les pays en développement sont importants, car ils bénéficient surtout à des jeunes patients, comme souligné récemment dans le New England Journal of Medicine. Pour l’unité ORL, un appareillage pour microchirurgie a été acquis par le Dr P. Balungwe lors de son stage complémentaire à l’UCL en 2012-2013. Le Dr Mweze, seul ophtalmologue, dispose d’une boite pour opérations de cataracte et d’un laser ophtalmique fournis par l’UCL. Les laboratoires de biologie clinique disposent d’automates pour les analyses courantes et les tests pour évaluation des infections par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH-HIV). Le laboratoire d’anatomie pathologique crée par le Pr Raphaël Chirimwami et géré par les Drs P. Mulumeoderhwa et B. Manwa, assure les analyses des biopsies pour les formations hospitalières du Sud-Kivu. Un microscope de discussion contribue à l’enseignement. Récemment, un service technique et de maintenance a été créé grâce à la fondation ICB (Institut Chirurgical de Bruxelles) et de l’ONG « Médecins sans Vacances » (MSV). 4 AMA CONTACTS - avril 2015 Enseignement dans les 3 cycles de la Faculté de médecine avec le concours de l’HPGRB, des cliniques du réseau de l’UCBukavu (BDOM), de cliniques universitaires africaines et de cliniques du réseau de l’UCL À la naissance de l’UCBukavu, appel a été fait à des professeurs-visiteurs des universités du Congo (de l’UniKin surtout) et de Bujumbura et Butare (« les 3 Bu » selon S. Haumont). La Coopération Universitaire au Développement (CUD) a mandaté temporairement plusieurs professeurs-visiteurs belges pour divers cours. Avec la progression du staff permanent de spécialistes-enseignants, de plus en plus de cours sont donnés par ceux-ci. Ci-contre, une photo du bâtiment de la Faculté de médecine situé dans l’enceinte hospitalière. Le plus grand des auditoires est l’amphithéâtre Stanislas-Haumont. Les stages du 2e cycle sont effectués à l’HPGRB et au Sud-Kivu dans les hôpitaux du BDOM (Bureau Diocésain des Œuvres Médicales de l’Archevêché), réseau de l’UCBukavu. Ci-dessous, un tour de salle dans un pavillon d’hospitalisation avec le Dr G. Kuyigwa, chirurgien orthopédiste, chef du service de chirurgie. AMA CONTACTS - avril 2015 5 Pour le 3e cycle de spécialisation, nous avons proposé une planification annuelle des spécialisations en concertation avec le Doyen, le directeur médical et les chefs de Départements (Dpts) ou Services, en suivant le Plan du Pr Didier Moulin (tableau 1) : 2 années dans un hôpital universitaire africain organisant le 3e cycle (UniKin, Bujumbura, Cotonou), puis 1 à 2 ans de stage à l’UCL, puis retour dans l’université africaine pour terminer la spécialisation, mémoire et diplôme, enfin retour à Bukavu pour une carrière hospitalo-universitaire. Tableau 1 : Préalables pour spécialisation d’un an d’un médecin hors UE (cf. Bukavu) dans les Cliniques du réseau UCL Sélection par Chefs de Dpts + Doyen après 2 ans de stage de 3 e cycle, et accord GPSA ↓ Concours CidMed sur projet pour bourse de spécialisation UCL ↓ Bourse UCL octroyée ou autre bourse (MAC-B, CTB, CUD, WBI etc.) ↓ Accord du Président du Master et du Maître de stage UCL ↓ Octroi de la dérogation 49-ter du Ministère belge de la Santé ↓ Inscription provisoire à l’UCL ↓ Obtention d’un visa d’un an à un Consulat de Belgique ↓ Inscription définitive (minerval) à l’arrivée en Belgique Légende : GPSA = Groupe de Pilotage Santé de l’Archevêché de Bukavu ; MAC-B = médecin assistant candidat-spécialiste B ; CTB = Coopération Technique Belge ; CUD = Coopération Universitaire au Développement ; WBI = Wallonie-Bruxelles International (ancien CGRI) Les candidats sélectionnés doivent s’inscrire au concours annuel de bourses de spécialisation sur projet, organisé par la Commission Internationale et de Développement (CidMed) de la Faculté de médecine, présidée par le Pr Bernard le Polain. Outre les bourses UCL, des bourses peuvent être attribuées par des maitres de stage de l’UCL et d’autres sources (cf. tableau). L’arrêté Royal 49ter élaboré par l’Académie de médecine permet aux candidats un stage temporaire de 1 à 2 ans en Belgique s’ils remplissent les conditions requises (stage utile pour leur pays, etc.). Cet arrêté empêchant la fuite des cerveaux de RDC en Belgique est donc favorable au développement durable. Etant donné la rentrée progressive de spécialistes à Bukavu, le 3e cycle de spécialisation à l’UCBukavu a été autorisé en 2008 par Arrêté du Ministère de l’enseignement supérieur de RDC. Le Doyen Sylvain Munyanga l’a appliqué dès l’année académique 20102011, ce qui a augmenté le nombre de candidatures 6 AMA CONTACTS - avril 2015 pour stages temporaires dans le réseau UCL à partir de 2012 (figure 1). Évolution du staff médical permanent Grâce au développement du 3e cycle de spécialisation en Afrique et en Belgique, le staff de médecins permanent à l’HPGRB s’est beaucoup développé et va continuer à se renforcer. En fin 2014, 15 spécialistes du staff avaient effectué un stage d’un à deux ans dans les cliniques du réseau UCL. Vu le développement concomitant des plateaux techniques, le doyen S. Munyanga avait demandé dès 2008 la reconnaissance de l’HPGRB en CHU (Centre Hospitalo-Universitaire) au Ministère de l’Enseignement supérieur de RDC. Chaque année, un Jury International est constitué pour les examens de chirurgie, gynécologie-obstétrique, médecine interne et pédiatrie des «finalistes» (46 étudiants de dernière année de médecine en 2014). Ci-contre une photo des membres de ce jury le 24 mai 2014 après la délibération. Figure 1. Nombre de candidats-spécialistes envoyés pour stage d’un an aux cliniques du réseau UCL et de spécialistes envoyés pour stage de perfectionnement d’un an, et nombre de spécialistes retournés à l’UCBukavu après avoir terminé leur 3e cycle ou leur année de perfectionnement Jury international (24/05/2014) Au 1er rang, Dr G. Maheshe*, Pr J.K. Nyamugabo (ULg), Dr L. Mubenga*, Pr Mushegera (UniKin), Dr Massimango*. Au 2e rang, Dr G. Mulinganya*, Pr Sengeyi (UniKin), Pr Chirimwami, Pr Masumbuko, R. Fiasse, A. Vincent (UCL) * Médecins-spécialistes ayant fait un stage temporaire à l’UCL AMA CONTACTS - avril 2015 7 Thèses de doctorat en alternance avec des universités belges Tous les spécialistes à l’HPGRB sont enseignants à la faculté de médecine de l’UCBukavu. Pour renforcer davantage celle-ci, nous avons suggéré aux spécialistes réintégrant l’HPGRB de préparer une thèse de doctorat en alternance avec une université belge (plusieurs séjours de 3 mois). Le tableau 3 mentionne les thèses de doctorat en cours avec un promoteur belge et un promoteur congolais, à l’aide de bourses doctorales de plusieurs universités belges. Cela stimulera aussi des travaux de recherche en collaboration Nord-Sud. Tableau 3 : Thèses de doctorat en alternance avec université belge NOM SPECIALISTE SUJET ABREGE Jeff Kabinda Sécurité transfusionnelle ULB Tony Shindano Hépatites B et C Sud-Kivu UCL Pierrot Mulumeoderhwa Angiosarcome de Kaposi UCL Patrick Balungwe Fonction olfactive Sud-Kivu UCL Léon Mubenga Dysurie Sud-Kivu UCL Guy Mulinganya Infections en cours de grossesse UG Justin Cikomola Infections et diabète africain UG Antoine Sadiki (pharmacien) Dépistage du diabète en Afrique UG Problèmes médico-sociaux La RDC est un des pays les plus pauvres de la planète, avec un produit intérieur brut par habitant de 262 USD en 2012 (banque mondiale). Beaucoup de travailleurs ne gagnent pas plus d’1 USD/jour. L’HPGRB accueille une majorité de patients indigents, mais aussi des patients issus des classes moyennes. Cellesci progressent suite au développement du commerce et à la croissance (+ 8,5 % en 2013). Mais comment assurer le remboursement des frais médicaux par les patients indigents autrement qu’en sollicitant leurs familles ? Il y a à l’HPGRB un service social assuré par une religieuse, Sœur Hélène, aidée de son équipe, qui assure l’alimentation des patients hospitalisés, sans famille. De plus, elle prend en charge le centre de nutrition pour enfants dénutris (cf. couverture arrière), soutenue depuis plusieurs années par l’association « Vie d’enfant ». Elle prend en charge également l’éducation et la formation au travail de jeunes prostituées grâce à l’aide de « Femmes d’Europe ». 8 AMA CONTACTS - avril 2015 UNIVERSITES BELGES Heureusement, le concept de solidarité autre que familiale s’est imposé sous forme de la création des premières mutuelles de santé en RDC dans les hôpitaux du BDOM. Luc Dusoulier des mutualités chrétiennes de Tournai a poursuivi leur développement, notamment à l’HPGRB, et à Kinshasa, il tente de les généraliser en RDC. À Bukavu, les personnes à faible revenu versent 7 USD par personne et par an pour pouvoir bénéficier du remboursement de prestations importants. Mais il faudra le concours de l’État pour assurer la viabilité des mutuelles. Difficultés pour le développement durable en RDC et en Belgique : Plaidoyer pour la synergie des acteurs En RDC, en plus de l’état de pauvreté extrême, il faut souligner les conséquences graves des 2 guerres de 1996 et 1998, alors qu’il y avait eu un reflux massif de Rwandais au Kivu suite au génocide des Tutsi de 1994. Cela a entrainé des massacres évalués à 2 à 4 millions de personnes d’après les historiens et des enquêtes de l’ONU, et aussi l’éclosion de bandes armées s’attaquant aux populations civiles (viols, etc.). L’ONU avec la MONUSCO essaie de limiter les dégâts. De plus, les richesses minières au Kivu (or, coltan, etc.) attirent les prédateurs de divers pays. À noter aussi, 2 graves problèmes : manque d’électricité de qualité et manque de médicaments efficaces. Ceux-ci ne sont pas suffisamment contrôlés, beaucoup sont frelatés. Des génériques indispensables ne sont pas disponibles. Heureusement, l’Union Indienne avait fait voter une loi autorisant la fabrication de génériques anti-SIDA, encore sous brevets. On espère que, suivant cet exemple, des génériques contre les hépatites chroniques et des affections malignes seront bientôt disponibles, comme suggéré dans un commentaire récent du New England Journal of Medicine (2014 ; 370 : 20-22). Plusieurs organismes contribuent en synergie avec nous au développement durable de la santé, comme la CUD, le VLIR (Vlaamse Interuniversitaire Raad) et diverses ONG comme « Louvain Coopération au Développement » et MSV. En Belgique, le budget pour l’aide au développement a été réduit suite à la crise financière (d’où moins de bourses d’étude). Ensuite, il y a beaucoup de difficultés administratives pour organiser un stage temporaire de spécialisation pour les candidats-spécialistes hors Europe. les guerres passées à l’Est de la RDC, en espérant la paix entre les Pays des Grands Lacs, il faut continuer avec nos amis congolais à assurer les fonctions universitaires essentielles d’enseignement, de service à la société et de recherche. L’investissement dans la formation de qualité des Hommes n’est pas suffisant s’il n’est pas soutenu par une infrastructure technique indispensable. Nous sommes toujours réceptifs à toute proposition d’aide financière ou en matériel. Remerciements Nous tenons à remercier les membres de l’UCL ayant été en mission à l’UCBukavu, du « Groupe Bukavu » présidé auparavant par le Pr Didier Moulin et actuellement par le Pr Eric Constant. Nous remercions également le Pr Bernard le Polain, président du Cidmed, MM Philippe Franquin et Flor Stuyven, et l’architecte de Bukavu Mr Guillaume, qui ont planifié et fait réaliser les pavillons et les aménagements techniques, ainsi que le Dr Frans De Weer de MSV, le Pr K. Mubagwa (ancien de Lovanium), professeur à la KUL et à Bukavu, et membre du VLIR, ainsi que les nombreux donateurs. Conclusions et suggestions. Une université est par nature une institution vouée au développement durable. C’est pourquoi, malgré AMA CONTACTS - avril 2015 9 Le Service de chirurgie de l’Hôpital St-Pierre à Louvain en 1952 Choses vues et entendues Marcel Merchez, Maitre de conférences émérite Georges Debaisieux, 68 ans, le grand patron évoquant ses chefs de clinique Jean Morelle et Albert Laquet : «Je dois encore tenir les rênes de l’attelage ». Un jour, à Pellenberg, il invite ses assistants à diner, dont le Père Lichtemberger, petit jésuite rondouillard, assistant libre temporaire, qui fit sa médecine dans la quarantaine après un long séjour missionnaire en Chine. À table, il était la vedette, il vantait l’habilité des cuisiniers chinois à reconstituer le canard laqué désossé. Silence embarrassé des convives, « Ah, très intéressant », dit notre amphitryon, qui, cinq ans auparavant, a failli trépasser suite à une médiastinite diffuse sur perforation oesophagienne par un os de poulet. Jean MORELLE (1) Il faut attribuer à Morelle le grand mérite d’avoir métamorphosé un service désuet sinon archaïque, en un magnifique ensemble pluridisciplinaire. Il ne coupa pas à l’infarctus du myocarde. Sur son lit de convalescent, il avait la tête de Dorian Gray au stade terminal : « Vous voyez Merchez ce qui arrive quand on n’est pas raisonnable ». Personnalité alliant une réserve parfois distante et un sourire railleur, il n’osait pas s’abandonner. Une simple parole amicale, un léger geste affectif, nous aurait mis en complicité. Quand il blâmait : « Mon brave, en 1914, vous auriez été relégué à Cabourg » où siégeait l’administration belge en exil. Il n’eut pas voix au chapitre pour la structure du service de chirurgie de St-Luc. Comme le Recteur Massaux me le rapporta, Morelle avait sollicité un entretien pour lui exposer ses vues. Il fut cavalièrement éconduit : « Quel âge avez-vous monsieur Morelle ? Cela n’est plus pour vous. » Tout Massaux ! Il opérait soigneusement, à l’américaine, ses adages : • « Fit fabricando faber. » • « Le mieux est l’ennemi du bien en chirurgie, comme partout ailleurs. » Il décéda en 1983. Jean Morelle et Jeanne Vanuffel Sa résistance physique était confondante. Après une journée chargée, le soir, une atrésie de l’œsophage du nourrisson l’amenait tard dans la nuit. 10 AMA CONTACTS - avril 2015 Il est impensable de parler de Morelle sans évoquer Jeanne Vanuffel, dite « la Marquise », sa vestale administrative, toujours souriante et efficace, dévoué chien de berger, rassemblant aimablement le troupeau d’assistants et de stagiaires. Elle est décédée en 1997. Debaisieux a toujours été chic à son égard, il l’assistait lors des nouvelles opérations, notamment pour le premier Blalock-Taussig (2). Pour lui, Morelle était un sphinx mais toujours déontologique. Il a encore connu Louis, le domestique de salle d’opérations de Théophile Debaisieux, qui opérait avec un seau de solution formolée, posé à même le sol, contenant une éponge avec laquelle on humectait régulièrement le champ opératoire. Le prédécesseur de Théophile Debaisieux, Michaux, avait codifié la résection du maxillaire supérieur. L’opéré, non anesthésié, était attaché les mains derrière le dos à un anneau mural que nous avons encore connu dans la salle de radiologie de Masy. Albert LACQUET Les lois linguistiques de 1932 imposaient la séparation des régimes. Un second service universitaire de chirurgie fut créé à la Voer des Capucins sur la rive gauche de la Dyle, sous la direction d’un ancien assistant flamand de Debaisieux, René Appelmans. Celui-ci refusa d’admettre dans son équipe Albert Laquet, cependant flamand, et comme lui ancien assistant de Debaisieux, sous prétexte « qu’on ne mettait pas deux coqs sur le même fumier ». Lacquet fut alors recueilli à bord de la barque de StPierre. Il y resta vingt ans passager, jusqu’à ce qu’en 1953, un néo du rectum lui fit place nette, tandis que Morelle succédait à Debaisieux. C’était un homme de commerce agréable, excellent clinicien, bon chirurgien mais lent. Une appendicectomie banale prenait trois-quarts d’heure. À l’extériorisation de l’organe absolument normal et bien libre ; il s’exclame : « Hon Hon, il a l’air enflammé le gaillard! » Une de ses manies était de nous tirer du lit le dimanche à 22 heures : Coup de fil du portier, « Professer Laquette is daar ». Tour de salle de malades endormis. En l’an 2000, j’apprends qu’il est toujours en vie. Au téléphone, une excellente voix me répond : « Merchez ? C’est vous le gros ? On se verra mercredi prochain à 10 heures. » Il est en pleine forme, intellect intact. Conversation à bâtons rompus devant un Bourgogne 1991. Il opérait son habit recouvert d’un vieux loden, trop sale pour la chasse. On se lavait les mains non pas avant, mais après l’opération. Lacquet citait Rufin Schockaert qui opérait avec des gants de coton ( je l’ai vu moi-même), il prétendait avoir moins d’infections qu’avec les gants en caoutchouc, car la fibrine coagulée dans les mailles faisait obstacle aux microbes. En finale : « Je suis un vieil éléphant. » Il est décédé le 6 décembre 2003 dans sa centième année. L’hôpital St-Pierre Situé à la rue de Bruxelles, il datait de 1834. Le service disposait de trois salles de vingt lits «adultes» et d’une salle «des enfants», pseudopode pavillonnaire de quinze lits empiétant sur le jardin. En mai 1944, le carpet bombing, imprécise tactique américaine de bombardement à haute altitude, massacra la ville et non la gare. L’hôpital perdit ainsi un tiers de sa surface, notamment la salle 4, réservée aux cas neurochirurgicaux, qui furent alors transférés sur la rive gauche dans les bâtiments de l’Université, mais toujours sous la juridiction de Debaisieux. En 1952, trois jeunes assistants furent admis (Jacques Dieu, Robert Litt, Marcel Merchez) qui, à tour de rôle, séjournèrent six mois dans ce service, tandis qu’à l’hôpital, ils firent équipes avec les aînés Robert Ponlot et Emile Van Maele. AMA CONTACTS - avril 2015 11 Cette délocalisation avait suscité l’ambitieuse dissidence d’un jeune et brillant neurochirurgien qui m’accueillit comme suit : « Merchez, tu es un garçon bien sympathique, mais pour moi, tu seras toujours un pion sur l’échiquier morellien. » Plus tard, il fut titulaire du cours de déontologie médicale. Le quartier opératoire C’est un endoplasme aménagé à la fin du XIXe siècle entre les colonnes d’un péristyle : deux salles de très moyennes surfaces, un réduit pour les plâtres, une stérilisation et le bureau du patron. Il y avait une troisième salle, très vaste, et pour cause, c’était l’amphithéâtre contigu, réservé aux cas infectés et qui était la salle d’opération de Théophile Debaisieux. L’appareil d’anesthésie à insufflation manuelle n’avait pas de monitoring. Deux portes battantes séparaient le quartier du grand couloir par où transitaient les médecins, les malades à pieds ou en brancard, les urgences, les fracturés vers la salle des plâtres, les blessés vers les salles d’opération, les stagiaires et des étudiants gagnant l’amphithéâtre, et tout ce monde défilait comme dans un moulin et en n’importe quel accoutrement. Le cher Lucien Martiny était le grand maitre de la stérilisation et de l’instrumentation, qu’il préparait en fonction des programmes opératoires. Il perdait un temps fou à affuter les bistouris sur la pierre «ad hoc», la lame disposable n’avait pas encore fait son apparition dans le service. De sa voix douce, il se permettait, avec délicatesse, de donner des conseils techniques aux assistants qu’il voyait en difficulté : «Fais comme ça, mon cher docteur.» Pendant l’occupation, il fut le préparateur de Sauerbruch, sommité internationale et médecin – général de la Wehrmacht. « Si vous l’aviez vu opérer, mon cher docteur : il suturait comme un vrai cordonnier, mais ses opérés survivaient ! » La bonne marche du service reposait sur deux tandems senior-junior. Les intra-muros Leur garde à l’hôpital était ininterrompue du lundi midi au lundi midi suivant. Outre les urgences, ils assumaient les interventions 12 AMA CONTACTS - avril 2015 Clinique chirurgicale programmées (lundi, mercredi, vendredi), les consultations (mardi, jeudi, samedi) et, bien entendu, les soins et les tâches administratives des salles dont ils avaient la responsabilité. Autant dire que certaines semaines, leurs nuits étaient blanches. Parfois, une prestation tardive s’achevait devant un exaltant steak au poivre dans l’office cuisine de la salle V. D’où provenait cette viande nocturne ? Dans le couloir menant aux cuisines centrales, on avait repéré, derrière un passe-plat désaffecté, un crampon où pendait la clef de la chambre frigorifique. Nous faisions notre choix parmi les aguichants pans de viande rouge. Les extra-muros Ils assistaient les professeurs en privé : au Sacré-Cœur rue Notre-Dame, à la clinique des Franciscaines rue de Namur, à l’institut psychiatrique à Corbeek-Lo, et à d’autres services de la rive gauche (Cancer, pédiatrie). Enfin, à l’Institut des Sports (sport-kot), l’Université priait ses assistants de procéder à l’examen clinique sommaire des étudiants : tension artérielle, auscultation et surtout vérification de la rétractibilité prépuciale, d’où le nom de code des séances « opération SMEGMA ». On entendait Van Maele sermonner à voix haute des étudiants flamands : « U moet verzorgen, hein, jong ! » Le réfectoire Leurs fenêtres donnaient sur le jardin du directeur Liberton, c’était une école de vie. Le bleu y entrait discret et silencieux, le hâbleur était vertement rabroué. De son coin, Simone Stadsbaeder, qui fut la première assistante et la première « professeur » de la faculté, mettait en garde la toute fraiche recrue en anesthésie, Raymonde Prévinaire : « Fais attention, ma chère, ce sont tous des veaux ! » Nous n’étions qu’une vingtaine d’assistants, toutes spécialités confondues. Le linge sale s’y lavait en famille sans scrupule, on se lançait à la tête les bourdes de nos services respectifs. Un jour, l’ordinaire étant vraiment immangeable, la révolte gronda : on pria notre serveur Gustave d’ouvrir la fenêtre, les assiettes et leur contenu furent balancés dans le jardin directorial. Gros émoi ! Le directeur, affolé, accourt flanqué de l’échevin de l’Assistance publique. Enquête. On apprend que le chef était un ancien plombier zingueur engagé par appui politique. On nomma une commission gastronomique qui choisissait les menus de la semaine. Les autorités avaient cru revivre l’insurrection de la fin des années 40, en cause le bakchich généreux de 500 francs mensuels, quelle que fut l’année de formation. Les poubelles étaient déversées, les ordures éparpillées dans les couloirs et des lances d’incendie mises en action. Le recteur magnifique Van Waeyenberg, pince-nez en bataille, est venu sur place traiter les assistants de débardeurs. Enfin, le Grand Patron, Georges DEBAISIEUX Successeur de son père Théophile, il était titulaire de la clinique chirurgicale les mardis, jeudis et samedis matins à neuf heures, c’est-à-dire neuf heures vingt cinq. La journée du samedi était réservée à un cas d’urologie, il faisait ainsi l’impasse sur le cours théorique d’urologie de huit heures. Une réputation de paresseux lui collait à la peau, il ne s’en offusquait pas, je crois même que cela le réjouissait secrètement. Il m’a raconté qu’un matin, son père l’avait réprimandé parce que, assis, il se laissait lacer ses chaussures par un domestique. Suite à cette jacquerie, la Commission d’Assistance Publique se fendit de barèmes mensuels progressifs en fonction des années : 1250 - 1985 - 3520 - 4250 francs. Le chef de service d’une spécialité marginale, denture chevaline sur col à coins cassés, connu pour ses calembours éculés, affirmait sans vergogne que, pour suivre leur cursus, les assistants devraient payer. L’activité essentielle du patron était la leçon clinique, dont le cérémonial se déroulait ainsi : La veille au soir, un stagiaire sonnait rue Léopold et remettait au larbin (en tenue de doriphore) les dossiers des cas sélectionnés par l’extra-muros. Le lendemain, de son pas lent et nonchalant, le patron gagnait l’hôpital les dossiers sous le bras : « J’ai choisi celui-ci ou celui-là ». Il devise plaisamment avec les membres du staff. Avant de parler du grand patron, il serait impensable de ne pas citer la Révérende Sœur Hilaire, pilier de la salle V (des hommes). À l’instar des compagnons du tour de France, c’était notre Mère. Femme à poigne qui nous mettait le pied à l’étrier, mais qui, à l’occasion, ne se privait pas de réprimander aimablement ou vertement assistants et stagiaires, et même de tancer Morelle qui s’inspirait de ses jugements : « Celui-ci est un bon, celui-là est un vrai con ! » Quand elle s’adressait à un médecin dont le nom lui échappait, c’était « Mijnheer dingske ». Son petit bureau au fond de la salle était le coin des confidences, un petit reposoir souvent fréquenté par Edouard Massaux, cousin de Ponlot et futur recteur. C’est lors d’un de ces élégants badinages que survient Morelle, affairé, qui lui annonce qu’il revient d’un congrès. Ironique, le patron s’enquiert : « Vous faites partie de cette aristocratie des sleepings dont on parle ce matin dans la Libre Belgique ? ». Interloqué, Morelle tourne les talons. Enfin, il se décide et dit « Allons-y puisqu’il le faut ». Il entre en piste suivi du « page », l’assistant préposé au cours qui introduit le malade. L’exposé était clair, précis, illustré de dessins polychromes, on baignait dans une ambiance mondaine souriante qui atténuait l’inconfort séculaire de l’amphithéâtre. Son sens clinique était très affiné, il diagnostiquait une tuberculose péritonéale à la simple palpation des masses en damier. AMA CONTACTS - avril 2015 13 Il savait railler son interlocuteur avec grâce. Il en fut ainsi avec Gérard Sokal, assistant en médecine interne et futur professeur, qui suggérait le diagnostic ambigu de collagénose au stade préclinique à propos d’un cas nébuleux d’abdomen douloureux. Il lui arrivait encore d’être en piste pour des cas périlleux dont ses chefs de clinique préféraient lui laisser la responsabilité. C’est à propos d’un de ces cas (une volumineuse tumeur abdominale d’origine surrénalienne) que, me croisant, il met la main sur mon épaule et, me fixant de ses yeux noirs sous ses sourcils broussailleux, me dit : « Vendredi, le grand jeu ! » En 1955, il a 75 ans, est émérite depuis six mois, Morelle l’a invité à pratiquer une néphrectomie lors de la journée des Anglais. Une cohorte de chirurgiens britanniques visite, en touristes, les centres universitaires continentaux avec clubs et femmes. Aux fins de leur en mettre plein la vue, des cas spectaculaires avaient été groupés pour ce triduum de démonstration. Se brossant les mains et avec un sourire malicieux, il nous prévient : « Nous allons montrer à ces Anglo-saxons ce qu’est le panache français. » L’intervention dura vingt-deux minutes. Je ne l’ai jamais vu faire un tour de salle. C’est un exploit auquel est parvenu un stagiaire qui a naïvement abordé le patron prêt à partir, à l’entrée de la salle V. « Voulez-vous faire un tour de salle monsieur le professeur ? » Devant l’ingénuité de l’étudiant, il n’a pas résisté et le voilà en pardessus, avec son jeune guide, passant devant chaque lit avec une inclinaison souriante de la tête, se laissant détailler les pathologies par le carabin : «Ici, Monsieur le professeur (lit n°11), c’est un syndrome de Volkmann sur plâtre circulaire.» «Ah!», sursaut de surprise, «cela a été fait dans le service ?» «Oui. » La visite s’achève, remerciements du patron : «Et pour le lit n°11», avec un doigt sur la bouche, «chut ! On pourrait nous attaquer !» (Remarque : le service n’avait pas d’assurance. La notoriété du patron la rendait inutile.) Il ne se préoccupait pas de l’intendance. Le service perdait des millions en ne comptabilisant pas les analyses (pratiquées par les stagiaires, main d’œuvre payante, qui perdaient leur temps à compter les globules et à masturber les uréomètres d’Ambard) ni, ce qui était plus préjudiciable, les interventions chirurgicales. Au contraire du service de médecine interne qui lapait goulûment le pactole de l’assurance-maladie. Ce n’est qu’à dater d’octobre 1954, à l’avènement de 14 AMA CONTACTS - avril 2015 Morelle, que les prestations furent, enfin, facturées. Il n’entendait pas délaisser ses prérogatives de mandarin. Une donzelle, copine du fils de l’avocat Calloud, son voisin rue Léopold, était hospitalisée à St-Pierre pour traumatisme crânien. Rencontrant Debaisieux, le cher maître s’enquiert de l’état de la fille. Le patron est réduit « a quia ». Il reproche de n’avoir pas été informé, mais monsieur Morelle était au courant lui diton. Georges explose : « C’est moi le chef de service et monsieur Morelle n’est que mon lieutenant. » Il avait la critique cinglante : « La réputation de X est basée sur un charnier. » Si dans toute société, la confraternité, a-t-on dit, est une haine vigilante, celle d’un professeur, qui disait d’un collègue « il devrait être décoré de l’ordre du Concombre, car il a des hémorroïdes à la place de ses plexus choroïdes », devait être bien virulente. L’assister rue de Namur à la clinique des Franciscaines où, sur le palier du premier étage, trônait un buste de son père, était un délice de fin gourmet. La séance de brossage s’éternisait en festival d’anecdotes : - L’ordre des sœurs hospitalières de St-Pierre avait été fondé en 1220. Leur constitution prescrivait qu’au moins la supérieure fut vierge. Jadis, une barque permettait la traversée sur l’autre rive, celle des moines … - Lourdes lui répugnait. Dans sa jeunesse, il s’indignait de l’étalage des bondieuseries et autres bagatelles notamment un porte-cigarettes reproduisant la copulation de Zeus et Léda, frappé «Souvenir de Lourdes ». - Il visite l’abbaye d’Orval restaurée. Une chapelle est ornée de vitraux dont un est une femme symbolisant la chasteté. « Elle n’a pas grand mérite à être chaste avec la gueule qu’elle a » Du coup le vide se fit autour de moi. - Il a raconté les circonstances de la mort de son collègue Albert Lemaire, professeur de médecine interne qu’il a opéré d’appendicectomie. Lemaire exige une locale. Dans les suites, il développa un hématome qui s’infecta. - Désabusé : « Un jour j’écrirai un livre sur les limites de la chirurgie ». - En 1915, il fait partie de l’équipe chirurgicale de l’hôpital militaire de l’Océan à la Panne. La reine Elisabeth l’assiste. Un jour elle lui propose une ballade. Il répond : « Madame est-ce que votre mari est au courant ? » - Il n’a jamais eu d’atomes crochus avec Morelle. Même durant l’été tumultueux de 1944, quand il fut accueilli à sa maison de campagne de Pellenberg pour fuir les bombardements américains. Il avait beaucoup espéré de cette intimité de circonstance. Espoir sans lendemain. « Si vous êtes patron plus tard, ayez un chef de clinique d’au moins 25 ans plus jeune que vous. » Enfin, après une demi-heure de brossage, on passe à table : un ongle incarné sous locale. En salle d’opération de cette clinique, une boite en fer blanc porte l’inscription « Contre l’embolie ». Quelle était la pharmacologie d’urgence prévue par les sœurs ? J’ouvre : Un crucifix et un rameau de buis desséché. Debaisieux est mort le 1 octobre 1956 à 74 ans. La reine Elisabeth était venue l’embrasser. Note de bas de page (1) Fils d’Aimé, professeur de dermatologie qui, stoïque, faisait son cours la face à demi recouverte d’un bandeau noir, masquant une fistule cancéreuse du maxillaire inférieur. (2) Shunt du ventricule droit vers l’artère pulmonaire. La femme prend sa place Catherine de Médicis (1519-1589) La veuve noire ? Née à Florence en 1519, élevée à Rome, Catherine était une Médicis de mère française, devenue orpheline avant son premier anniversaire. Proche du pape Clément VII, elle fut rapidement mise au couvent pour être protégée pendant la période républicaine à Florence (1527-1531). Dès l’enfance, elle eut des prétendants au mariage. Elle fut amoureuse d’un cousin nommé Hyppolite qu’on éloigna, car on avait pour elle des projets plus ambitieux. On lui apprit le français, l’équitation et la politique. Elle est souvent représentée de nos jours comme une vieille dame en deuil, alors qu’avant la mort de son mari Henri d’Orléans, c’était une jeune femme culti- Catherine en tenue de deuil par François Clouet René Krémer vée, à la fois catholique et superstitieuse, intelligente et avide de nouveauté. Elle était aussi gourmande, active, aimant la plaisanterie. Croyant en Nostradamus, elle était curieuse d’astrologie, avait recours aux horoscopes et consultait des mages. Catherine jeune Elle se montre particulièrement habile pour atteindre et garder le pouvoir dès l’âge de 14 ans. En 1533, elle épouse Henri d’Orléans, fils de François Ier, devient Dauphine en 1536 et Reine de France en 1547 à la mort de François 1er. Son mari Henri II meurt dans un tournoi en 1559. Depuis lors, Catherine était inconsolable, et s’habillait de noir. La mort d’Henri II par Franz Hogenberg AMA CONTACTS - avril 2015 Henri II 15 Dans la suite, elle devient Reine-mère de François II (1544-1560) qui épousera Mary Stuart, demi-sœur d’Élisabeth Ire. Cette Reine de France « short time », retournera en Écosse à la mort de son mari. Le frère de François II (1550-1574) lui succéda sous le nom de Charles IX : Catherine resta Reine-mère et exerça un pouvoir réel, étant donné le jeune âge du Roi. Au décès de Charles en 1574, le fils d’Henri II et de Mary Stuart lui succéda sous le nom d’Henri III. Sous le règne de ce petit-fils, Catherine eut moins de pouvoir: il était hésitant influençable, entre autres par ses «mignons». Une Reine «grand-mère» n’a normalement pas de pouvoir, mais Catherine parvint à se faire nommer « gouvernante de France », un poste important, mais fragile. Elle recevait les dépêches, nommait les charges, entendait les doléances, et logeait près du Roi. félicite et le Pape organise un Te Deum de victoire. Ces attitudes devaient faire croire que la tolérance de Catherine était de l’hypocrisie. Charles IX avait pourtant interdit les tueries et les pillages. Il faut tenir compte des mœurs de l’époque, qui était fertile en assassinats politiques : notamment ceux de deux princes de Guises, du prince de Condé et de Gaspard de Coligny, ce dernier exécuté parait-il sur ordre de Catherine de Médicis. La période active de Catherine fut empoisonnée par les guerres de religion (1533-1589). Curieusement, les historiens décrivent huit conflits, nommés « guerres de religion, » qui alternent avec des périodes de calme très relatif. Parmi « ces drôles de guerres », il faut citer le massacre de Wanny (1562) en Champagne où l’armée du Duc de Guise fit exécuter une cinquantaine de protestants, quelques semaines après que Catherine et Charles IX aient publié un édit permettant aux protestants de célébrer leur culte hors des villes. S’en suivirent, le siège de La Rochelle, occupée par les protestants, la dévastation du sud-ouest par l’armée de Coligny(1) et surtout la Saint-Barthélemy. Une rumeur courait dans Paris selon laquelle les protestants et notamment Coligny préparaient une guerre pour soutenir le Prince d’Orange contre les Espagnols. Devant cette menace pour la royauté, Charles IX et Catherine décident de prévenir ce complot probable selon les méthodes de l’époque. Le tocsin résonne dès 3 heures matin le 24 aout 1572. Les archers français et les hallebardiers suisses se répandent dans la ville et égorgent des protestants, probablement considérés comme dangereux. Le peuple de Paris, qui subit une crise économique et financière, profite de la circonstance pour transformer l’opération de police en massacre. On comptera près de 3 000 victimes : plusieurs villes de province imitent Paris. Cette boucherie fut longtemps attribuée à Catherine, à tort semble-t-il. Elle a été certainement favorisée par les Guises et le Prince de Condé(2). Le gouvernement royal était innocent de ce soulèvement populaire. Catherine fut accusée par les uns et félicitée par les autres. Le peuple de Paris l’appelait la mère du royaume. Philippe II la 16 AMA CONTACTS - avril 2015 Le massacre de la Saint-Barthélemy par François Dubois Catherine était parfois tolérante. Dans les périodes calmes, elle s’efforçait de rapprocher protestants et catholiques et d’obtenir des concessions des uns et des autres. Mais comme elle était fidèle catholique, les exigences et les actes agressifs des protestants l’exaspéraient plus que ceux des catholiques, qui pourtant les valaient. Certains lui reprochaient ses origines italiennes et son emprise sur les Rois de France, qu’il s’agisse de son mari, de ses enfants ou même de son petit-fils Henri III. En outre, elle était entourée de princes nobiliaires, qu’elle n’avait pas choisis. Pour compliquer la situation, ces groupes avaient des idées différentes surtout religieuses. Les Montmorency(3) partagés entre catholiques et protestants s’efforçaient de contrer l’influence des Guises. Les Guises dirigeaient un parti catholique intégriste, très populaire à Paris. Champion de la foi, ils formaient une ligue, qui s’opposait à la tolérance de Catherine et parvint à destituer Henri III. Les Bourbons, descendants directs de Saint-Louis, étaient des princes du sang qui avaient la préséance sur les autres gentilshommes du royaume. Avec Louis de Condé, ils étaient les meneurs du parti protestant, mais seront obligés de se convertir temporairement après la Saint-Barthélemy. On imagine, les problèmes, les ruses et les rancunes parmi ces groupes divisés par la religion. Ils mettaient le roi et Catherine dans des situations difficiles, ce qui explique certaines voltes face, leur attitude parfois ambiguë et firent souvent échouer les compromis et les tentatives de rapprochement. L’ingérence des pays voisins venait s’ajouter à ces troubles. Élisabeth d’Angleterre envoyait des armes et des navires aux protestants encerclés à La Rochelle. Philippe II d’Espagne de son côté soutenait le clan des Guises et causait des ravages comme à Saint-Quentin en 1557. L’Allemagne luthérienne, la Suisse calviniste et les gueux des Pays-Bas soutenaient également les réformés français. La France était ainsi divisée en deux factions soutenues financièrement et militairement par les pays voisins Au fond d’elle-même, Catherine catholique convaincue souhaitait la paix dans une France unie avec «un roi, une loi et une foi.» Elle avait parfois un double langage, mais on le lui rendait bien. Elle tentait également de concilier les grands, «qui se juraient d’amitié devant elle». Par contre, elle s’efforçait de réunir protestants et catholiques, de trouver des points communs et des compromis. Elle essayait de provoquer le moins de mécontentements parmi les catholiques sectaires et les huguenots acharnés. Après chaque compromis, elle croyait naïvement au maintien de ces progrès alors qu’ils étaient le plus souvent supprimés par une action violente. Parmi ses actions apaisantes, il faut citer la création d’une assemblée de réformés rue Saint-Jacques à Paris en 1557, l’Edit d’Amboise en 1560 accordant aux protestants le libre exercice de leur culte, et la paix de Longjumeau, qui assurait une somme d’argent aux mercenaires qui quittaient immédiatement le pays. Elle voyageait beaucoup et rencontrait des protestants en province. Il faut citer le grand tour de France royal de janvier 1564 à mai 1566 et le tour du midi d’aout 1578 à novembre 1579. Elle créa dans le Midi une école mixte sur le plan religieux qui n’eut qu’un succès temporaire. Elle cherchait à favoriser des mariages entre les uns et les autres et disait : « On peut critiquer mes actions, mes pas mes intentions. » Elle rencontra plusieurs fois Henri de Navarre, chef des réformés à cette époque, qui deviendra Henri IV, roi de France et apaisera pour longtemps les guerres de religion(4). Après une maladie bizarre en 1568 (fièvre, maux de tête, vomissements, saignements par la bouche et par le nez). Catherine, devint plus hostile vis-à-vis des réformés : elle fortifie les châteaux, engage 6000 gardes suisses, interdit l’aide aux protestants flamands. De plus en plus des réformés, abjuraient, émigraient ou prenaient les armes. Un pamphlet de l’époque est exagéré, mais il faut lui reconnaitre certaine justesse : La reine qui ci-git fut un diable et un ange : Toute pleine de blâme et pleine de louanges : Elle soutint l’État et l’État mit à bas : Elle fit maints accords et pas moins de débats : Fis bâtir des châteaux et ruiner des villes Elle enfanta trois Rois et cinq guerres civiles Fit bien de bonnes lois et de mauvais édits Souhaite-lui, passant, Enfer et Paradis Au 19e siècle Michelet(5) et bien d’autres critiquaient très vivement Catherine. Ils considéraient certainement que son travail ne convenait pas à une femme. Depuis la seconde moitié du 20e siècle, on comprend mieux l’état d’âme de Catherine, les pressions internes et étrangères qu’elle subissait et le faible respect de la vie humaine à son époque. De nos jours, des historiens la considèrent comme la plus grande reine de France ; c’est sans doute vrai, si l’on tient compte des problèmes graves qu’elle a dû gérer. Comparaison avec Cléopâtre et Élisabeth Ire Il est intéressant de comparer les trois femmes dont nous avons décrit jusqu’ici la manière de gérer un pays dont elles étaient la reine. Cléopâtre agit comme les hommes qui l’ont précédée, entre autres comme faire tuer son frère et mari, pour être seul maitre. C’est évidemment un acte qui n’était pas exceptionnel dans l’Egypte antique. Mais elle ajoute des caractères plutôt féminins. C’est la ruse, par exemple le fait de retirer sa flotte quand elle voit qu’Antoine est en train de perdre la bataille d’Actium. Sa célèbre séduction de femme fatale, réussit avec César et Antoine, qui n’étaient pourtant pas des ingénus. Catherine de Médicis n’avait pas le pouvoir absolu et devait gérer une guerre de religion sanglante. Elle fit son possible pour apaiser huguenots et catholiques, AMA CONTACTS - avril 2015 17 mais elle se heurta notamment à l’intégrisme de personnages comme Henri de Guises et Louis de Condé et à des étrangers comme Philippe II, Mary Stuart et Calvin. C’est Henri IV qui apaisera ce conflit. Élisabeth Ire a dû faire face à la querelle des catholiques et des anglicans. Elle avait des avantages par rapport à Catherine : des années de préparation, le célibat, le désastre de l’invincible Armada, le nationalisme anglais dominant. Elle dut néanmoins faire exécuter Mary Stuart. Mais elle avait plus de calme et plus d’autorité que Catherine de Médicis et n’avait pas un mari phallocrate à ses heures. Catherine de Médicis avait tenté de lui faire épouser son fils, mais elle refusa, et lui donna comme excuse : « Ce n’est pas moi qui choisis mon mari, mais le Parlement. » Elle avait sans doute le flegme britannique et Catherine l’exubérance méridionale. Notes de bas de page (1) Gaspard de Coligny, amiral français, adhérent à la réforme, exécuté le 24 aout 1572 lors de la SaintBarthélemy. (2) Louis Ier de Bourbon, prince de Condé, chef des calvinistes, assassiné en 1569. 18 AMA CONTACTS - avril 2015 (3) Les Montmorency : Grande famille française. (4) Henri de Navarre, chef du parti calviniste, après avoir échappé à la Saint-Barthélemy par une première abjuration, devient roi de France sous le nom d’Henri IV après avoir renoncé une seconde fois au protestantisme (« Paris vaut bien une messe » aurait dit ce protestant, œcuméniste avant la lettre). Il obtiendra la paix religieuse en France grâce à l’Edit de Nantes (1593), que Louis XIV aura pourtant la funeste idée de supprimer, ce qui entrainera un exil massif de personnalités protestantes. (5) Michelet écrit : « Nos historiens ont pris au sérieux Catherine de Médicis. Elle goutait assez le protestantisme qui lui eut valu les biens de l’Église. Paraitre pour elle était plus qu’être, dans le vide absolu qu’une si grande pourriture avait fait en dedans. » Parmi les livres consultés Jean-François Solnon, Catherine de Médicis, 2003 Ivan Cloulas, Catherine de Médicis, 1979 Hugh Ross Williamson, Catherine de Médicis, 1979 Guerre de religion France dans Wikipedia. Souvenirs et anecdotes Souvenirs de congrès : Boire du lait en Hollande J’avais envoyé à un congrès de cardiologie hollandobelge une communication sur les risques de la mise au point hémodynamique dans le rétrécissement valvulaire aortique. Notre expérience à Mont-Godinne était importante et montrait que le franchissement de la sténose n’était pas sans risque, de même que la ventriculographie gauche. Ces deux éléments étaient inutiles puisque la mesure du gradient et de la fonction du ventricule gauche pouvaient être obtenue par l’échocardiographie. Le cathétérisme devait donc se limiter à la coronarographie peu dangereuse. Un exposé me fut accordé alors que le plus souvent, je n’avais droit qu’à un poster. Je préparai soigneusement mon texte, les diapositives, la littérature et la réponse aux questions éventuelles. Les communications avançaient suivant l’horaire, mais les questions étaient nombreuses et se poursui- virent pendant la pause. Notre soif était étanchée par du lait à volonté, selon la méthode batave. J’intervenais en dernier lieu. Quand mon tour est arrivé, le président de séance se leva et, sans un mot d’excuse, annonça que la dernière communication n’était pas possible, la salle étant réservée à partir de midi et demi. Je crois me souvenir qu’un concert était prévu. Quand je voulus reprendre ma déesse Citroën, elle était dégonflée. Je dus la laisser dans un garage et revenir dans la voiture d’un ami. Un malheur ne vient jamais seul. Je n’avais même pas bu le nectar des vaches hollandaises. Je me disais que j’aurais dû amener mon encas comme le font parait-il les Hollandais qui passent leurs vacances dans nos Ardennes. Quand j’y repense, ma colère de ce jour-là réapparait. R.K. Les Hollandais aiment bien le lait AMA CONTACTS - avril 2015 19 Sœur Hélène, au centre de nutrition pour enfants de l’Hôpital Provincial Général de Référence de Bukavu Dans le prochain numéro : Interview : Marc Crommelinck Le Nepal Mountain Mobile Hospital