Techno, Bande son d`une èpoque plus libre

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Techno, Bande son d`une èpoque plus libre
« Plus rien n’était comme avant. Le futur avait l’air
brillant, la musique se devait de le refléter. Je me
disais : voilà la bande originale de la chute du mur, et
je voulais la porter jusqu’au gens. »
Mark Reeder, producteur
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S
i on considère aujourd’hui Berlin comme ville berceau de sous-cultures, ce
n’est pas un hasard. Le contexte historico-politique a façonné l’histoire de la
ville et de ses populations, entre protestations politiques et mouvements
identitaires, donnant naissance à cette ville aux mille facettes.
En 1961, les sueurs de la guerre froide embrasent le monde entier. A cette époque,
Berlin se dévoile comme l’objet de toutes les attentions dans ce contexte où les
enjeux économiques, politiques et idéologiques sont au cœur du conflit qui oppose les
Etats-Unis à l'URSS. En Allemagne, depuis sa création, la RDA (Allemagne de l’Est)
subit un flux d’immigration difficilement contrôlable par les autorités vers la
République Fédérale Allemande (Allemagne de l’Ouest). Entre 2,6 et 3,6 millions
d’Allemands fuiront la RDA via Berlin, montrant leur faible adhésion au régime
communiste.
A partir de la nuit du 12 au 13 aout 1961 et après la décision secrète de l’Etat EstAllemand, l’intégralité des moyens de transport de la ville sont interrompus et le
« Mur de protection anti fasciste» est érigé en plein cœur de Berlin. Le « Berliner
Mauer », mur de la honte qui atteindra plus de 150km de long, divisera physiquement
Berlin Est et Berlin Ouest pendant plus de 28 ans, gelant les Allemands de leurs
mouvements. En 1989, la situation politique change. La nuit du 9 au 10 novembre,
pendant que les médias s’exclament que « le mur est ouvert ! », des millers de
berlinois font la queue aux points de passage et exigent de passer. Le mur tombé
sonne ainsi le glas de la Guerre Froide et laisse l’Allemagne de l’est se transformée
en « Zone Autonome Temporaire ».
A l’époque de l’Allemagne divisée, La musique disco s’éteint peu à peu et Berlin
apparait comme une ville rock. La chute du mur survint au moment où naît une
nouvelle musique, tout droit sortie des « machines ». Pas de couplet, rythme à
répétitions, disques parfois sans paroles : la musique dite « d’ordinateur » rompt les
codes connus jusqu’alors. Elle se propagera en Europe mais trouve son impulsion en
1988 aux Etats Unis. Dans la Banlieue de Detroit, une jeune bande d’amis inventent
un nouveau genre musical. Généré uniquement par les nouvelles technologies, Juan
Atkins, Derrick May Jeff Mills et Kevin Saunderson inventent la « techno ».
A la fin de ces années 80, la techno s’exporte dans la ville de Berlin, se faufilant dans
les fissures du mur de la honte et imprégnant la jeunesse jusqu’à en devenir une
philosophie identitaire considérable.
A cette époque, l’avènement du disque, l’essor de l’ordinateur personnel et des
supports enregistrés rendent propice le développement de la techno. Mais la musique
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techno qui a fait irruption dans le paysage berlinois ne se limite pas à des sons. Elle
recouvre tout un monde d’objets, d’outils, de lieux, de circulations, de façons d’être,
de représentations, de savoirs.
Dès lors il ne s’agit pas ici de faire un historique du genre musical ou de faire une
liste de ses producteurs, mais de tenter de comprendre comment la musique techno
a été objet de représentations et moyen d’expression de la jeunesse berlinoise de la
fin des années 80 à la fin des années 90. Comment et pourquoi cette musique a pu se
propager jusqu’à en devenir l’instrument d’une sous culture singulière. Bien sûr, la
rencontre de l’Histoire d’un pays et la naissance du nouveau genre musical pourrait
sembler n’être que pur hasard. Mais il est question ici de mettre en parallèle le
contexte historico-politico-social de Berlin avec cette musique électronique.
On se demande alors quelle place occupe la techno chez cette jeunesse tourmentée ;
et si son expansion aurait pu avoir une telle ampleur si elle avait émergé à une autre
époque et à un autre endroit.
Il a donc été lieu de penser à tous les mouvements musicaux précurseurs à la techno,
ceux que l’ont retrouvait à Berlin, avant de s’intéresser à son intrusion dans le
paysage underground berlinois. De là, on a pu soulever deux point sociologiques
remarquables dans la musique techno. Enfin, on retrouvera un bref descriptif
panoramique du genre afin de mieux cerner ce qu’est la techno et les personnalités
qui ont porté la musique dans l’histoire de la ville.
Chute du mur de Berlin, novembre 1989
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Le punk et la disco, ayant importé depuis New York la vie nocturne gay à Berlin
s’éteignent peu à peu à la fin des années 70, plus assez avant-gardiste. Le hip hop et
le breakdance prennent le relais, apportant à Berlin une autre culture musicale,
pouvant être clairement considérée comme une culture précurseurs du mouvement
techno. Le breakdance apparait même pour les jeunes comme une sous culture
révolutionnaires anti-impérialiste, comme un processus de recherche de niche des
Allemands de l’Ouest. Ils expriment en dansant, sur l’Alexanderplatz ou en
discothèque, qu’ils ne sont pas adorateure de la RDA et qu’ils ne veulent pas être
dévoué au système. Face au regard impuissant de la Stasi, les « Ossies » (Allemands
de l’Est), organisent en 1984 le premier championnat non-officiel de breakdance.
Parallèlement d’exprimer une volonté à contre-courant du système, le breakdance,
dévolu au hip hop, amène à Berlin la culture de l’objet-disque. Elle permettra aux
jeunes de s’approprier certaines techniques musicales du hip hop comme le mixage
des disques vinyles ou la technique du scratching (procédé consistant à modifier
manuellement la vitesse de lecture d‘un disque vinyle). De plus, adoratrice de la
danse, la culture breakdance perpétuera le culte corporel : celui de dévouer son
corps au rythme de la musique.
L’éclosion de la techno suit de très près celle du breakdance. A la fin des
années 80, l’Ouest attire les aventuriers, les marginaux et les artistes. L’apparition de
nouveau style de son, entièrement électro, sans aucune structure de chanson, génère
par la même occasion de nouveaux styles de danse. Sur les ondes, des émissions
radio passent des compilations musicales de Detroit. l’Acid House, première branche
de la techno, est en éclosion.
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A cette époque, il n’y a aucune culture du DJ à l’Est. Curieux de passer à l’Ouest et de
découvrir ce qu’il se passe derrière le mur, les jeunes Ossies écoutent des émissions
sur les radio pirates. Monika Dielt sera une des première à diffuser l’Acid House à la
radio. Pendant ce temps, la législation jugeait « asocial » les jeunes sans ressources
financières et cela pouvait suffire comme prétexte pour être envoyé en prison. Dés
lors, ils cherchent du travail, dans les clubs et bar notamment où les missions
rapportent de l’argent.
Parallèlement, avec l’acid house, la production musicale se démocratise. l’acid house
est un genre de musique peu chère et simple à produire. Alors que les les jeunes
partages des copies de cassettes, collectionnent les disques et son scotchés à la
radio pour écouter cette nouvelle musique aux airs révolutionnaires ; les synthétiseur
électroniques deviennent accessibles, et le progrès technique permet à tous les
désireux d’acquérir un ordinateur personnel (comme un ordinateur de type c64 qui
coutait environ 2000 marks). Les medias trouve ainsi un rôle irremplaçable dans
l’acid house et le début de la techno, car ils instituent avant tout de nouvelles
pratiques musicales.
L’Electronic Body Music Belge et la mode des soirées house illégales en Angleterre
arrivent jusqu’à Berlin. Une toute nouvelle culture semble en gestation. Dans des
clubs de l’Ouest, comme le Turbine ou l’UFO, des soirées inédites s’organisent de
façon officieuse. Les organisateurs se posent la question du rapport à l’espace. Les dj
sont placés à hauteur des danseurs, ce qui est quelque chose d’absolument nouveau,
exprimant l’idée d’unité, sans division des tâches. L’acid house ouvre les esprits
parce qu’elle n’a justement aucun message concret, contrairement aux autres
mouvement musicaux que l’on retrouvait en Allemagne à cette même époque,
toujours en quête de dénonciation du système politique.
Boite à Rythme TR-909
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Chez une jeunesse désorientée par la politique et l’oppression d’une ville
divisée, il né la réelle urgence d’une renaissance spirituelle. L’intérêt pour la musique
grandi, et l’acid house fascine les jeunes. Elle se propage de de plus en plus, et à
l’Ouest, des soirées s’organisent et le club UFO devient une référence. Pendant ce
temps, alors que le mur est encore debout en 1988-1989, de plus en plus de jeunes
berlinois s’essayent au mixage et deviennent « dj de chambre ». Mais il est difficile
d’organiser des soirées à l’Est : il faut une autorisation et l’Etat exige des arguments
qui vont dans le sens de la politique culturelle. La techno, propagée par la radio d’un
côté et par le clubbing d’un autre crée un liant identitaire qui fascine tant les jeunes
de l’Est que ceux de l’Ouest.
Après la chute du mur la nuit du 8 au 9 novembre 1989, les jeunes de l’Est se ruent à
l’Ouest et beaucoup se rendent à l’UFO pour danser sur la nouvelle musique techno.
La scène homo et hétéro, hommes et femmes se retrouvent sous les lumières
frénétiques des stroboscopes armés de néons et d’impressions fluorescentes sur
leur t-shirts. Au club, les « Wessies » (Allemands de l’Ouest) sont surpris que des
jeunes de l’Est connaissent cette musique au-delà du mur.
Lorsque le mur tombe, Berlin perd de sa structure. C’est ce que l’on retrouve dans la
musique techno : entièrement électro, plus aucune structure de chanson. L’euphorie
d’une liberté toute fraîche déclenche un esprit du dancing et de la fête qui gagne de
plus en plus de terrain chez les jeunes allemands. Maintenant que le Rideau de Fer
n’existe plus, l’esprit techno prend une autre dimension. Les jeunes berlinois fêtent la
liberté par la liberté : le week-end et la fête doivent être prolongés. De nombreuses
soirées s’organisent, comme les Cyberspace à l’UFO le vendredi et les soirées
Tekknozid le jeudi. Les jeunes ne cessent d’expérimenter la musique électronique,
pour aller toujours plus loin. Le but était par exemple de faire de la techno plus
radicale très « industrielle », métallique, plus brutes que l’acid house. La musique, la
fumée et les lumières psychédéliques produisent un effet sur le subconscient. Avec la
techno, la frontière du temps et de l’espace disparaissent.
« Un son énorme […] pas de musique du top 50. Un carnage absolu toute
la nuit. Tout simplement, on veut faire la fête et on est libre. Le nom du dj
n’intéressait personne mais plutôt, ‘ça dure combien de temps ?’ » Frank Blümel, dj
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Mais bien plus encore que la perte de la notion de temps, la techno a joué un
très grand rôle dans le rassemblement des Ossies et des Wessies. Durant les
soirées, il n’y a plus d’Est ni d’Ouest. Il s’agit simplement de venir danser et de
ressentir la musique. Bien plus encore, le culte du DJ n’existe pas dans la techno.
Alors que l’artiste mixe dans la semi obscurité, les berlinois se fichent de son identité.
Très peu de genres musicaux ont pu comme la techno transmettre un tel bonheur
partagés par des gens venus d’horizons aussi disparates. Sur ce point de vue, on peut
considérer la musique techno comme une véritable expérience sociale. Elle
rassemble les individus au nom d’une seule chose, la musique. En pourtant, dans cet
espace ou l’identité de chacun ne compte plus, la techno à Berlin n’aurait pas pû être
un phénomène plus humain.
Parallèlement, La chute du mur de Berlin a totalement remis en cause la
structuration de la ville. Le flux migratoire généré par la chute du mur laisse l’Est à
l’abandon tandis qu’à A Berlin l’Ouest, il n’y a plus un mètre carré d’inexploité. L’ex
RDA est dans une situation bancale, incertaine, et est nommée « Zone Autonome
Temporaire ». Les autorités de l’Est n’exploitent plus leurs domaines de
compétences. Autrement dit, il n’y avait plus de lois réelles et applicables, surtout en
ce qui concernait le domaine de la propriété. Cette situation anarchique a généré une
réelle réinterprétation de l’espace urbain. Une nouvelle interprétation de l’espace et
une perte de la réalité, c’était justement le message fédérateur de la techno.
Deux mois après la chute du mur, Berlin Est est devenu un immense terrain de jeux.
Les jeunes berlinois visitent et investissent les lieux, des soirées s’organisent dans
les friches désaffectées, laissées à l’abandon comme l’E-Werk, qui n’était autre
qu’une ancienne centrale électrique ; ou encore un ancien Bunker à Brandburg. Tous
ces lieux désaffectés de l’Est se transforment en piste de danse potentielles. C’est le
début des raves et des free-parties: ce sont les lieux où faire la fête qui deviennent
des stars.
« On était éberlués. Ce bâtiment rond avec tous les appareils.
Incroyable. Que ça soit illégal n’entrait pas en ligne de compte. Plus
personne n’était responsable. C’était devenu complètement
impossible de savoir à qui appartenait les trucs à l’Est »
Jonzon, dj, à propos de l’E werk
Plus tard, nous sommes au printemps 1991 et le premier club techno avec une
adresse fixe voit le jour : Le Tresor. Situé à l’Est, non loin de l’ex frontière RDA-RFA,
le Tresor était un ancien bâtiment de la Stasi, ancien magasin pour diplomates. Le
Trésor est un lieu qui a considérablement marqué le ciment identitaire de la techno. Il
s’agissait d’un espace inédit ou la frontière n’existe vraiment plus. La configuration
du lieu était en adéquation avec le courant musical : la piste de danse était située
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dans l’ancienne salle des coffre. Le Tresor était une boite hermétique et en même
temps un lieu très ouvert. Tout le monde venait avec l’identité qu’il voulait. Vêtus de
pantalon de ski, doudounes sans manches et bottes de « biker » ; homo, hooligan, ex
punk et banquier, tout le monde se mélangent pour faire la fête du vendredi au
dimanche.
En été 1991, quelques jeunes Berlinois ont l’initiative de répandre la mentalité neuve
en exportant la culture du clubbing hors club. Inspirée du « Summer of Love »
Anglais, la Love Parade voit le jour en Allemagne. Alors que les socialistes Allemands
manifestent en permanence contre quelque chose, l’idée de la Love Parade était de
manifester pour quelque chose. Il s’agissait d’atteindre le peuple avec la musique :
La Love Parade a pour but de faire libérer quelque chose de tabou, où la haine entre
l’Est et l’Ouest s’évapore, et de faire échos au renouveau qui s’annonçait dans la vie
politique. Chaque chariot apportait une facette différente des choses, avec des
banderoles fédératrices où on pouvait lire « You go to get in to get out » (Tu dois
rentrer pour t’échapper). Des jeunes de l’Allemagne entière sont venus au rendezvous : De Cologne, de Nuremberg et de Francfort.
Grâce a une idéologie commune et d’un nouvel espace où l’identité de chacun ne
compte plus, les jeunes berlinois quittent leur passé morose pour se trouver et se
retrouver autour de la techno, le temps d’une soirée, le temps d’un week end, le
temps d’un mix qui propage le sentiment intime d’un avenir meilleur.
L’intérieur du club Trésor
DJ Tanith,
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La culture rock prédominante à Berlin quelques dizaines d’années plus tôt
avait développé des systèmes codés qui privilégie la masculinité. On peut considérer
qu’avec la musique techno est apparu une dimension du genre différente de celle
conçue dans la musique jusqu’alors. La scène techno était capable d’offrir un cadre
pour les femmes désireuses de passer outre les rôles féminins traditionnels, au
moins durant le temps d’une soirée.
Déjà, la « démocratie » qu’offrait la techno(logie) permettait à quiconque de produire
et jouer de la musique électronique, et donc, le permettait aux femmes. Mais
également, la situation « anarchique » de Berlin Est était favorable au développement
identitaire de la femme. Les femmes aussi pouvaient acquérir des disques, se tenter
au sampling et organiser des soirées ou des émissions radio (comme l’ont fait Monika
Dielt et Marusha). Même si en réalité, la prédominance masculine dans la production
musicale techno est une vérité.
Egalement, les nouveaux types de danse qui ont accompagné la techno ont encouragé
l’expression de nouvelles subjectivités féminines. Déjà parce que la techno est une
culture musicale qui accentue le pur plaisir de la danse, le dancefloor n’avait pas
pour vocation ici d’être lieu de séduction. Il n’y avait plus de conventions
traditionnelles d’homme-voyeur et de femme-danseuse. La danse était ici un site
d’émancipation potentiel pour les femmes.
Le sexe n’était pas important, la danse, si. Comme si la techno était asexuée, pas
besoin de se connaitre : les uns et les autres se retrouvaient autour d’une expérience
commune d’intimité.
« J’aurai pu me déshabiller et personne ne m’aurait rien fait. C’était
une règle non-écrite que personne n’était agressif et qu’aucun
harcèlement sexuel ne devait avoir lieu. On aurait pu danser nues. »
Inga Humphe, raveuse et musicienne
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De plus, traditionnellement, la voix apparait un élément central dans la sexualisation
de la musique. Dans la techno, l’absence de voix, ou plutôt de chant, accentue ce côté
abstrait, moins explicite.
Avant les années 70, les gays étaient dans une situation de grande
marginalisation, d’oppression culturelle et de repli sur soi comparable à celle des
noirs. L’arrivée de la disco a représenté une renaissance musicale. La scène disco
Berlinoise était très gays, et ces homosexuels Berlinois se sont plus facilement
retrouvé dans ces années 80/90 dans la société de nuit. L’esprit unificateur que
fédère la techno a permis de rassembler des gens qui avait grandi pourtant
séparément, dont les gays et les hétéros.
Avec l’arrivée de la techno et avec comme corollaire la modernité technique et
électronique, la scène musicale berlinoise a assisté a une certaine libération de
l’homosexualité au sein de la communauté nocturne. Autrement dit, la modernité
technique a dans un premier temps accompagné la modernité sociale. La musique
techno annonçait un nouveau « cycle » avec dans un même temps l’apparition d’une
nouvelle musique, de nouveaux endroits et ainsi, une nouvelle façon de penser.
Il y avait un grand engouement autour de la radio pour suivre toute cette nouveauté
musicale. Radio FG, qui était très identitairement gay à l’époque, ont accompagné la
techno dès le début, avec l’acid house. Elles annonçaient les soirées et les raves,
favorisant l’intégration de ces communautés homosexuelles.
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Même si l’idéologie même de la musique techno à Berlin est de former une
communauté, de nombreuses personnalités sortent des lots, fédérateurs du
mouvement, porteurs de l’histoire et artistes remarquables. De la naissance de cette
nouvelle musique à Detroit jusqu’à son développement en Europe et, surtout et bien
sûr, à Berlin, les artistes se sont multipliés, produisant des musiques icônes du
mouvement.
A Berlin, les noms que l’on connait aujourd’hui sont les « raveurs » de premières
heure, qui ont été porteur de projets ou figure marquante de l’histoire du genre :
-
Alexandra Droener, première gérante du club Tresor avec Regina Baer.
-
Jurgen Stockemann (Jonzon), DJ et musicien à l’UFO, au Trésor et dans
d’autres clubs de la ville. Producteur de tube de l’époque.
-
Monika Dielt, animatrice radio, une des première a démocratiser le nouveau
genre à la radio, et plus tard y donnait les points de rendez-vous des soirées
illégales.
-
Matthias Roeingh, (Dr Motte) Dj et organisateur de la première soirée house à
Berlin, et une des figure à l’initiative de la Love Parade.
-
Dj Tanith, considéré comme père de la techno industrielle et fondateur des
soirées Tekknozid.
-
Wolle Neugebauer (Wolle XPD), champion du breakdance de Berlin Est, a
l’initiative des soirées XPD et co-organisateur des Tekknozid.
Il m’a semblé nécessaire, voire même indispensable de mettre en image (ou
plutôt, en musique) le mouvement techno et ses spécificités non pas via description
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écrite mais via contenus sonore. La playlist, que je vous invite à écouter, fourni une
sélection de morceaux qui correspondent aux propos tenus tout le long du dossier,
faisant office d’un panorama où la musique se décrit et parle d’elle-même,
Evidemment ; la playlist est loin d’être exhaustive, tant la tehcno offrait des
possibilités d’expérimentations à l’infini. Il s’agit ici de proposer une courte playlist
mais pourtant représentative des 3 grandes phases qui ont composé l’ascension de la
techno : Dans une premier temps, ses origines à Detroit, où tout est né, et où les
jeunes producteurs ont commencé à mixer plusieurs chansons pour n’en faire
qu’une. Dans un second temps, on découvre la house et l’acid house, importée de la
Belgique et de l’Angleterre, celle qui a considérablement marqué la jeunesse
berlinoise à la genèse du techno-clubbing. Enfin, on écoutera la techno « dure », la
plus industrielle de toutes, celle sur laquelle les berlinois ont pu danser durant
l’apogée du genre musical, à l’origine de la Jungle que l’on connait aujourd’hui.
Tout droit venu des Origines, la “house from Detroit” :
Marshal Jefferson - Move your body
Derrick May – Sueño latino (Derrick May’s Illusion First Mix)
Kevin Saunderson – Bassline
Frankie Knuckles – The Whistle Song
House music, début de la techno et UFO :
LFO – LFO
Lhasa – The Attic
Logic - the Warning
NY Stomp - The NY House Trak
Tresor et apogée du genre en Allemagne :
Blake Baxter – One more time
Techno bert – Neue Dimension
Underground Résistance - Amazon
Final Exposure - Vortex
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L
a veille et le lendemain de la chute du mur représente pour la musique techno
le moment de l’histoire de l’Allemagne le plus propice à son développement. La
division de la ville soulève chez une jeunesse téméraire la curiosité et
l’interrogation et l’envie d’un renouveau, tandis que la chute du mur engendre un
contexte urbain et social singulier ; et propage des envies puissante d’expression de
la liberté.
Alors que le mur de la honte tombe, la liberté d’une jeunesse pleine d’espoir
s’exprime grâce à une idéologie fédérée par la musique. Autour d’une conception
identitaire, la techno devient famille d’accueil. Quand le contexte politico-social d’un
pays est en pleine remise en question, la techno investie la ville déstructurée pour y
créer un espace sans frontière où chacun y trouve sa place.
Tout à coup, avec l’ère numérique qui se démocratise mondialement et avec des
bouleversement politiques concentrés à Berlin, tout devient possible. La techno a été
à Berlin créatrice d’un lien social à ce moment de l’Histoire où la jeunesse en
ressentait le besoin. On peut même affirmer que la techno a été bien plus qu’un liant,
elle a été une véritable expérience sociale, une expérience esthétique et poétique à la
fois intime et collective.
« C’était une période vraiment pleine d’espoir. Tant de
choses étaient parties : le mur, le conflit Est-Ouest… Tout
avait l’air radieux. Tout le monde parlait du futur,
d’intelligence artificielle. Dans les années 80, l’ordinateur
était considéré comme l’incarnation de la surveillance de
l’Etat et d’un coup, c’était quelque chose qui permettait de se
réaliser, de faire une nouvelle musique. Une machine de
libération, pas une machine de surveillance. »
Mjik Van Dijk, dj et producteur.
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Ouvrage
Felix Denk et Sven von Thülen, Der Klang Der Familie, Allia, 2013, 399p.
Revues et articles :
Mouvements, no 42, 2005/5, Techno, des corps et des machines, La Decouverte, 168p.
Sociétés,no 72, 2001/2, Pulsation techno, pulsation sociale, De Boeck Supérieur , 148p.
Documentaires :
Berlin, le mur des sons, Arte, 2014, 52min.
Bienvenue au club ! 25 ans de musique electronique, Arte, 2014, 54 min.
Real scenes : Berlin, Resident Advisor, 2011, 18min
Universal Techno, Auteur inconnu, 1996, 60min
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