Info RLQ Vol7 no7 novembre 2010.pub

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Vol. 7, No 7 – Novembre 2010
Périodique de transfert de connaissances du
Réseau Ligniculture Québec
L’accumulation du carbone dans les sols agricoles suite au boisement
Cet Info-RLQ a été réalisé à partir de l’article suivant : Laganière, J., Angers, D.A. and
Paré, D. 2010. Carbon accumulation in agricultural soils after afforestation : a metaanalysis. Global Change Biology 16: 439-453.
Introduction
Le carbone contenu dans les écosystèmes forestiers représente le plus important stock terrestre de
carbone dans le monde. On estime que la biomasse forestière représente 80 % des stocks de carbone
contenu dans la biomasse épigée des écosystèmes terrestres alors que 70 % du carbone du sol serait
contenu dans les sols forestiers.
Cependant, ce réservoir mondial de carbone est continuellement affecté lorsque des forêts sont
converties en cultures annuelles ou en pâturages. En effet, ce genre de conversion cause
habituellement une élimination de la biomasse forestière épigée, une réduction des apports de matière
organique au sol et une augmentation de la décomposition de la matière organique présente dans le
sol. D’ailleurs, il est connu que le travail aratoire du sol (labour), l’érosion par le vent et l’eau ainsi
que l’application de fertilisants contribuent à appauvrir les sols agricoles en carbone.
Mais qu’arrive-t-il des stocks de carbone du sol lorsque l’on reconvertit des terres agricoles en
plantations d’arbres ? La méta-analyse présentée dans cet Info-RLQ s’est attaquée à cette question.
Après avoir scruté un total de 33 publications regroupant 120 sites agricoles soumis au boisement, les
auteurs de l’article mentionné plus haut mettent en perspective les principaux facteurs qui influencent
l’accumulation du carbone dans les sols agricoles.
L’influence de l’usage précédent du territoire
Il semble exister des différences importantes en matière de stockage du carbone du sol entre des
plantations établies sur des terres cultivées et d’autres réalisées sur des pâturages ou en prairie.
En moyenne, la conversion de terres cultivées en plantations causerait une augmentation du carbone
du sol de 26 % alors que la conversion de pâturages et de prairies naturelles causerait respectivement
des augmentations de 3 et 10 % (qui ne sont toutefois pas statistiquement différentes de 0).
Plusieurs facteurs peuvent expliquer pourquoi il y a de plus fortes augmentations de carbone du sol
lorsqu’une culture annuelle est convertie en plantation. De manière générale, une culture annuelle est
relativement éloignée d’un écosystème forestier sur le plan des flux de carbone et des mécanismes qui
assurent la séquestration du carbone dans le sol. Ainsi, lorsqu’on compare une culture annuelle à une
forêt, on remarque d’abord que les apports de matière organique au sol sont largement réduits en
raison de la faible production primaire et de l’importante exportation annuelle de matière organique
lors de la récolte. Par ailleurs, les perturbations du sol causées par le travail aratoire augmentent la
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décomposition de la matière organique. Les mécanismes responsables de la stabilisation du carbone du
sol sont également déficients dans les cultures en raison d’une microfaune souvent moins abondante et
moins diversifiée qu’en forêt. La matière organique d’origine agricole, de par sa qualité élevée,
possède également une faible récalcitrance face à la décomposition. Elle s’accumule donc moins
rapidement dans le sol. Il faut aussi souligner que la température du sol est plus élevée dans les sols
cultivés qu’en forêt, ce qui a pour effet d’augmenter l’activité des microorganismes responsables de la
décomposition de la matière organique.
Plantation en friche agricole en Abitibi-Témiscamingue (photo : Jérôme Laganière).
Plusieurs raisons peuvent être évoquées pour expliquer le faible impact du boisement sur le carbone du
sol lorsque cette pratique est réalisée dans un pâturage ou une prairie naturelle. D’une part, pour ces
deux types d’usage du territoire, les perturbations du sol sont généralement moins fréquentes et moins
sévères que dans le cas des cultures annuelles (piétinement et broutage par le bétail vs labour). D’autre
part, contrairement aux arbres qui stockent principalement le carbone dans leur biomasse épigée, les
plantes herbacées allouent une forte proportion de leur biomasse dans leurs racines, ce qui favorise
l’accumulation du carbone dans le sol.
L’influence du climat
Il semblerait que le boisement en zone boréale ne cause pas d’augmentation de carbone du sol, mais
plutôt une légère diminution de l’ordre de 1,5 %. À l’inverse, des gains de carbone du sol de l’ordre de
7 à 17 % ont été observés dans des climats continentaux tempérés, maritimes tempérés, subtropicaux
et tropicaux, avec les plus forts gains observés dans les climats maritimes. L’absence d’augmentation
du carbone du sol observée dans les régions boréales est possiblement attribuable aux faibles taux de
croissance des arbres, une conséquence directe d’une saison de croissance écourtée par des
températures froides. Cette plus faible croissance végétale limiterait les apports de carbone au sol sous
forme de matière organique. À l’inverse, dans les régions maritimes tempérées, les précipitations
estivales abondantes et les hivers doux semblent favoriser la croissance rapide des arbres et, de ce fait,
l’accumulation du carbone du sol.
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L’influence des propriétés du sol
Le contenu en argile du sol est possiblement un facteur important pour l’accumulation du carbone
dans les sols agricoles. L’étude révèle que l’accumulation du carbone était de 25 % supérieure dans les
sols qui avaient un contenu en argile de plus de 33 % en comparaison avec des sols de texture plus
grossière. Cette tendance est attribuable aux importantes associations qui existent entre l’argile et la
matière organique du sol sous la forme de complexes organo-minéraux très stables. La stabilité de ces
complexes procure une protection physique qui limiterait la décomposition de la matière organique.
Parallèlement, le pH ne semble pas avoir eu d’effet
significatif sur l’accumulation du carbone dans les
sols agricoles boisés. Toutefois, une tendance se dégage vers une plus forte accumulation dans les sols à pH
élevé (pH >7). Bien que la matière organique se
dégrade moins rapidement dans les sols plus acides, la
croissance des arbres y est souvent moindre, ce qui
peut restreindre les apports de matière organique au
sol. De plus, les sols acides peuvent être inhospitaliers
pour des décomposeurs comme le lombric terrestre
(Lombricus terrestris) communément appelé le ver de
terre. Ce dernier peut jouer un rôle important dans la
formation d’agrégats stables entre la matière organique et le sol minéral.
Sol argileux de l'Abitibi-Témiscamingue riche en matière
organique (carbone) (photo : Jérôme Laganière).
L’influence des modes d’aménagement
L’utilisation de traitements sylvicoles de faible intensité en guise de préparation de terrain favoriserait
davantage l’accumulation du carbone dans le sol que les traitements intensifs. À cet effet, une
augmentation du carbone du sol de 19 % a été observée dans les plantations aménagées extensivement,
contre seulement 4 % pour les plantations aménagées intensivement. Cela n’est pas surprenant
puisqu’il est connu que les perturbations du sol liées à des pratiques intensives avec de la machinerie
lourde telles que le labour, le hersage et le buttage (monticules) sont habituellement responsables de
pertes du carbone du sol.
En ce qui concerne la densité (ou l’espacement) de plantation, il ne semble pas que ce facteur soit
important pour l’accumulation du carbone dans les sols agricoles qui ont été boisés. Néanmoins, il
peut être recommandé d’opter pour une plus forte densité d’arbres si l’objectif est la séquestration du
carbone dans le sol à court terme.
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L’influence de l’espèce d’arbre
L’espèce d’arbre utilisée semble également avoir un impact important sur l’accumulation du carbone
dans les sols agricoles avec des augmentations de l’ordre de 25 % pour les feuillus (excluant
l’eucalyptus), d’environ 12 % pour le pin et l’eucalyptus et de seulement 2 % pour les conifères
(excluant le pin). Ces résultats contrastés entre les espèces sont probablement attribuables aux
différences dans la quantité et la qualité des apports de matière organique au sol.
Par exemple, par rapport aux conifères, les feuillus sont reconnus pour allouer une plus grande
proportion de leur biomasse dans les racines, ce qui pourrait favoriser l’accumulation du carbone dans
le sol, particulièrement dans les horizons profonds où la décomposition est plus lente. Il faut toutefois
souligner que puisque les plantations de résineux (excluant le pin) sont souvent réalisées dans les
régions froides, leur croissance est habituellement plus faible, ce qui réduit les probabilités de détecter
des augmentations de carbone du sol.
L’influence de l’âge de la plantation
Selon les auteurs, l’âge de la plantation est un facteur très important pour expliquer la variabilité dans
les résultats obtenus lors de la méta-analyse. Ainsi, lorsque la quantité de carbone du sol est mesurée
durant les années d’établissement d’une plantation, il est fort probable que sa valeur soit inférieure à
celle mesurée dans un sol agricole adjacent. Cela peut être attribuable aux pertes de carbone causées
par une préparation de terrain intensive ou tout simplement en raison d’une faible production de
biomasse durant les premières années de la plantation.
D’ailleurs, d’après l’étude, il y aurait des pertes de carbone du sol de l’ordre 5,6 % dans les jeunes
plantations (<10 ans) et des gains respectifs de 6,1 % et 18,1 % dans les plantations d’âge moyen (10 à
30 ans) et dans les vieilles plantations (>30 ans). Cela suggère qu’il existe une tendance temporelle
dans l’accumulation du carbone du sol dans les plantations réalisées dans un contexte d’afforestation
avec : (1) un déclin durant les années d’établissement, (2) un retour aux concentrations observées dans
le milieu agricole adjacent et (3) une phase d’accumulation où des quantités supplémentaires de
carbone sont stockées.
En conclusion
L’accumulation du carbone dans le sol associée à des pratiques de boisement en milieu agricole est
influencée par de nombreux facteurs tels qu’exposés par la méta-analyse. Ces facteurs peuvent être
classés selon l’ordre d’importance suivant : l’usage précédent du territoire, l’espèce d’arbre plantée, le
contenu du sol en argile, le type de préparation de terrain et le climat.
Toutefois, l’analyse présentée dans cette étude ne permet pas de voir si l’afforestation des terres
agricoles pourrait conduire à une restauration complète du carbone du sol, c’est-à-dire un retour aux
concentrations observées en forêt naturelle. Jusqu’à maintenant, les études ayant réalisé cette
comparaison s’accordent pour dire que les quantités de carbone dans les sols de plantations issues du
boisement retournent rarement aux concentrations observées dans les forêts naturelles non perturbées.
Rédigé par :
Julien Fortier, Ph.D. Env.
Agent de transfert de connaissances
Réseau Ligniculture Québec
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