LA LOMBALGIE
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LA LOMBALGIE
LA LOMBALGIE Docteur Yann Philippe CHARLES, Professeur Jean-Paul STEIB, Service de Chirurgie du Rachis, Hôpital Civil 1. INTRODUCTION La pathologie dégénérative du rachis lombaire est fréquente : la majorité des adultes ressent au moins un épisode de lombalgie au cours de sa vie. Des études épidémiologiques montrent que 65 à 90% de la population générale pourrait souffrir à un moment donné de douleurs lombaires. Les douleurs lombaires chroniques représentent un problème de santé publique, en raison de leur importante morbidité et de leur retentissement socio-économique. Ces douleurs sont essentiellement générées par un processus dégénératif siégeant aussi bien au niveau du disque intervertébral qu’au niveau des facettes articulaires. Elles se traduisent cliniquement par une lombalgie aboutissant à une limitation fonctionnelle de la mobilité du tronc. Par ailleurs, ce processus dégénératif peut également aboutir à une mobilité anormale, voire à une hypermobilité du segment lombaire et à un glissement vertébral appelé spondylolisthésis. Ce degré de pathologie dégénérative s’associe à une sténose lombaire se manifestant par une sciatalgie, voire une symptomatologie de type claudication neurogène. 2. PHYSIOPATHOLOGIE De nombreux facteurs ont été incriminés dans la physiopathologie dégénérative du rachis lombaire. La répartition des contraintes entre le disque et les articulaires entraîne une interaction indissociable des structures lombaires antérieures et postérieures. Le processus dégénératif de la colonne vertébrale résulte en grande partie de l’usure discale mécanique, qui représente un cycle physiopathologique débutant déjà chez l’adulte jeune, mais aussi de facteurs biochimiques, génétiques et infectieux. La discopathie La discopathie est caractérisée par une déshydratation de la partie centrale du disque : le nucleus (Fig. 1). Ceci engendre progressivement une perte de hauteur discale avec une 1 inflammation et une irritation du filet nerveux sur le pourtour du disque : l’annulus. Ce phénomène est responsable de lombalgies discales et de lumbagos. Fig. 1: Anatomie du disque intervertébral normal à gauche et aspect anatomopathologique de la discopathie montrant la fissuration du nucleus à droite. L’affaissement du disque crée un hypercontact des articulaires postérieures associé à une arthrose des facettes articulaires. Le surpoids majore les contraintes au niveau du disque et des articulaires et accélère leur usure. L’arthrose facettaire L’arthrose facettaire (zygarthrose) représente la deuxième cause mécanique de la lombalgie en raison de la riche innervation des capsules articulaires. Les douleurs lombaires en position debout sont typiques et sont majorées en extension. La dégénérescence articulaire entraîne une sagittalisation des facettes et un cisaillement intervertébral. Le spondylolisthésis dégénératif Le spondylolisthésis dégénératif apparaît alors comme un glissement vertébral vers l’avant par rapport à la vertèbre sous-jacente. Il survient généralement chez l’adulte de plus de 40 ans, fréquemment au niveau L4-L5. Les changements hormonaux de la ménopause ayant une influence sur le système musculaire et ligamentaire, expliquent la prédominance féminine de cette pathologie. La Fig. 2 illustre les principaux facteurs mécaniques contribuant à la dégénérescence lombaire. 2 Fig. 2 : Facteurs mécaniques de dégénérescence lombaire : affaissement du segment suite à la discopathie, hypercontact et arthrose articulaire, spondylolisthésis et formation d’ostéophytes intracanalaires. 3. EXAMEN CLINIQUE L’examen clinique est essentiel pour poser un diagnostic. La rencontre avec le patient nous apprendra parfois plus sur son histoire. Ecouter un lombalgique, c’est déjà le traiter car il y a dans cette pathologie une dimension affective importante. On connaîtra très vite le contexte qui fera que le patient est plutôt candidat à un traitement conservateur, une chirurgie ou une prise en charge pluridisciplinaire. Le diagnostic sera ébauché par la clinique et confirmé par les examens complémentaires. Les étiologies psychosomatiques et la recherche d’un bénéfice secondaire doivent systématiquement être prises en compte lors de l’anamnèse. L’interrogatoire L’interrogatoire débute l’examen clinique. Ecouter et regarder apportent 80% du diagnostic. Le patient raconte sa douleur, les circonstances déclenchantes, la durée, la fréquence, l’intensité et les conséquences sur sa vie. La douleur impulsive à la toux signe sa nature discale. La douleur est mécanique : elle est améliorée en position couchée, 3 présente en position debout et maximale en position assise. Le patient s’aide souvent des bras pour diminuer la pression discale quand il est assis. Il préfère souvent rester debout lors de l’interrogatoire. Il est soulagé en position chien de fusil, couché ou accroupi (Fig. 3) . En position assise, l’effacement de la lordose bascule le maximum du poids sur le disque. Le disque malade mis en pression se déforme et entraîne une douleur. En position debout le poids est concentré sur les articulaires postérieures et entraîne moins de déformation discale. Lors de la flexion non contrainte du rachis, le disque se tend en arrière et les récepteurs nociceptifs ne sont plus comprimés : le patient est soulagé. Le mécanisme est inverse en cas de hernie discale : la pression antérieure sur le nucléus fait sortir la hernie en arrière dans le canal et exacerbe la douleur. Fig. 3 : Positions typiques de la lombalgie discale, permettant de diminuer la pression intradiscale : limitation de la douleur en s’appuyant sur les bras, soulagement de la douleur en position accroupie ou en chien de fusil. L’examen clinique L’examen clinique débute debout, le patient est torse nu. On peut observer le rachis et noter un effacement de la lordose, l’absence de déformation ou l’horizontalité du bassin. La pression du rachis à deux mains, le pouce en arrière, les doigts en avant recherche une douleur provoquée. On en connaîtra ainsi le niveau. On étudie la mobilité rachidienne par le test de Schober : deux marques cutanées espacées de 10 cm en position neutre, devront passer à 15 cm sur un dos normal en flexion, à moins de 10 cm sur un dos raide ( Fig. 4 ). La distance doigts-sol signe plutôt une raideur des ischiojambiers qu’une raideur rachidienne. 4 Fig. 4 Détermination du niveau douloureux (crêtes iliaques = L4) et test de Schober mesurant l’allongement d’une distance de 10 cm en flexion en partant du sacrum (normal = 10/15). L’examen se poursuit couché en travers du lit d’examen. On dispose ainsi d’un contre-appui à la pression du rachis. On pressera les épineuses avec les pouces à droite et à gauche pour déclencher un mouvement intervertébral segmentaire douloureux. On pressera aussi le rachis vers l’avant toujours à la recherche d’une douleur provoquée. On notera le niveau douloureux par rapport aux crêtes iliaques (L4). Si la mise en lordose sur la table (poussée des membres supérieurs, bassin sur le lit) et la pression paravertébrale postérieure est électivement douloureuse, l’origine des douleurs est articulaire postérieure ( Fig. 5 ). Fig. 5 : Douleur paravertébrale élective évocatrice d’une arthrose articulaire postérieure, à différencier des douleurs musculaires palpables sous forme de « cordes musculaires » raides. 5 L’examen en décubitus ventral se termine par un palpé-roulé cutané de la région fessière. Cette douleur métamérique ajoutée à la présence d’une douleur vive à la pression des articulaires T12-L1, signe undérangement intervertébral mineur (DIM) lombaire. Il correspond à une irritation de la branche postérieure des nerfs rachidiens T12-L1 qui innervent la peau fessière. Cette affection extrêmement répandue se traite par manipulations de la charnière thoracolombaire ainsi que par infiltration du point paravertébral douloureux ( Fig. 6 ). Fig. 6 : Douleur métamérique se manifestant sous forme de fessalgie. Le DIM est détecté par le palpé- roulé de la peau dans la région fessière et par un point éléctif douloureux aux alentours de T12-L1. Le DIM est fréquent, son traitement est simple et efficace : médecine manuelle et infiltration. L’examen neurologique L’examen neurologique est réalisé en plus de l’examen lombaire lorsqu’une sciatalgie est associée à la lombalgie. Le bombement du disque dégénéré au contact des racines nerveuses, les compressions radiculaires par le ligament jaune et les ostéophytes arthrosiques en arrière du canal, ainsi que les glissements vertébraux (spondylolisthésis) expliquent la fréquence de de la sciatalgie associée. L’examen comporte les manœuvres de Lasègue et de Léri (Fig. 7 ), la recherche des reflexes ostéotendineux et le contrôle de la sensibilité et de la motricité des membres inférieurs. 6 Fig. 7 : Manœuvre de Lasègue évocatrice d’une hernie ou d’un bombement discal par mise en tension de la racine nerveuse à gauche et signe de Léri à la recherche d’une cruralgie à droite. 4. IMAGERIE L’imagerie permet de préciser le siège et l’étendue des lésions dégénératives lombaires. Les radiographies lombaires de face et de profil debout sont toujours réalisées en première intention. Cet exament est peu coûteux, simple à obtenir et donne un certain nombre de renseignements précieux. Une diminution de la hauteur discale entre deux corps vertébraux sur les clichés de profil oriente vers une discopathie. Un décalage entre le mur postérieur de 2 corps vertébraux est évoquateur d’un spondylolisthésis. Les articulaires peuvent être appréciées sur la face et sur le profil. L’arthrose se traduit par des formations d’ostéophytes ( Fig. 8 ). 7 Fig. 8 : Radiographie lombaire de face et de profil montrant l’arthrose articulaire (flèches), les discopathies en L4-L5 et L5-S1 et un spondylolisthésis en L4-L5. Scanner Sur le scanner, la discopathie gazeuse est caractéristique de la dégénérescence discale. Les coupes en parties molles permettent d’identifier une hernie discale. Les coupes osseuses donnent surtout des renseignements sur la dégénérescence des articulaires et les compressions radiculaires par ostéophytes ( Fig. 9 ). Fig. 9 : Scanner lombaire : discopathies gazeuses, bombement discal et arthrose articulaire. 8 IRM L’IRM représente l’examen de choix lorsque l’état du disque doit être analysé. La discopathie se traduit par une déshydratation du nucleus, qui apparaît noir sur les séquences T2. Un hypersignal sur les plateaux vertébraux est typique pour l’inflammation aiguë (Modic I = œdème en T2) ou chronique (Modic II = œdème résiduel en T1 avec dystrophie graisseuse en T2) ( Fig. 10 ). Fig. 10 : IRM lombaire : discopathies en L4-L5 et L5-S1 avec hypersignal inflammatoire chronique Modic II en L5-S1 et un spondylolisthésis en L4-L5. 5. TRAITEMENT Traitement médical de première intention Il consiste à réaliser une rééducation visant à renforcer la musculature et la posture de la charnière lombo-pelvienne. Les mesures hygiéno-diététiques ainsi que le traitement antalgique et anti-inflammatoire sont généralement suffisants dans les stades débutants. Lorsque la lombalgie se majore, le port d’une ceinture ou d’un corset lombaire peuvent faire régresser le syndrome inflammatoire du disque en le mettant au repos. Des infiltrations articulaires sous scanner peuvent diminuer la lombalgie provenant des articulaires arthrosiques. Des infiltrations épidurales ou foraminales permettent de soulager la sciatalgie. 9 Traitement chirurgical Il est réservé aux stades sévères lorsque le traitement médical a échoué. La chirurgie reste nécessaire dans 15% à 20% des cas. L’arthrodèse postérieure représente la technique chirugicale la plus répandue ( Fig. 11 ). Fig. 11 : Arthrodèse postérieure L4-S1 sur discopathies et spondylolisthésis L4L5. Des libérations de racines nerveuses peuvent y être associées en cas de sténose ou de compression radiculaire. Le remplacement du disque par une prothèse discale représente une alternative permettant de restaurer le mouvement. Elle est indiquée chez les patients jeunes atteints d’une discopathie sévère sans dégénérescence articulaire (Fig. 12). 10 Fig. 12 : Traitement de la lombalgie discale par prothèses de disques en L3-L4 et L4-L5. 8. CONCLUSION La lombalgie représente un symptôme fréquent dans notre population vieillissante. L’anamnèse et l’examen clinique sont essentiels pour pouvoir discerner les étiologies mécaniques (discales, articulaires, musculaires, DIM…) et psychosomatiques. La radiographie reste l’examen d’imagerie de référence, et peut être complétée par des examens complémentaires ciblés. Les possibiltés thérapeutiques médicales sont multiples et permettent de proposer un traitement sur mesure au patient. La chirurgie peut être indiquée en cas d’échec de traitement conservateur. 9. RÉFÉRENCES 1) Poiraudeau S, Lefèvre-Colau MM, Fayad F, Rannou F, Revel M. Lombalgies. EMC Appareil locomoteur 2004 : 1-16 [Article 15-840-C-10]. 2) Drapé JL, Bach F, Guerini H, Malan S, Sarazin L, Chevrot A. Examens d’imagerie dans la pathologie lombaire dégénérative. EMC - Appareil locomoteur 2004 : 1-22 [Article 15840-B-10]. 3) Lefèvre-Colau MM, Babinet A, Poiraudeau S. Traitement des lomboradiculalgies. EMC Appareil locomoteur 2004 : 1-10 [Article 15-840-F-10]. 11
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