3†ı Onishi115

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3†ı Onishi115
Les aventures amoureuses et chevaleresques
dans Le val des amants infidèles
Maiko ONISHI
Notre étude est consacrée en grande partie, au « Val des amants infidèles », tome IV de
Lancelot du Lac, dans la collection des Lettres gothiques. Jusqu’à ce volume, le lecteur traverse les
récits de l’enfance de Lancelot et ses premières aventures chevaleresques. Le premier volume nous
relate le commencement de l’amour entre un valet qui est arrivé à la cour d’Arthur et la reine qui est
la dame plus prestigieuse du monde. Ensuite le roman nous raconte les multiples aventures,
notamment la réconciliation entre le roi Arthur et Galehaut, le fils de géant qui devient par suite le
fidèle compagnon de Lancelot. Cette amitié de Galehaut réalise la première entrevue entre Lancelot et
la reine. Le 3ème volume nous raconte l’accusation de la fausse reine contre Guenièvre, et l’exil des
deux amants en Sorelois. Le 4ème volume, intitulé « Val des amants infidèles », qui nous intéresse ici
est consacré pour l’approfondissement de cet amour courtois. En résumant ce volume, Lancelot
prouve son parfait amour par les aventures, notamment, la délivrance de « Val sans Retour ». Mais
ensuite, Morgane l’a retenu de longue période comme prisonnier.
Il est remarquable que l’intrigue de ce volume est plus complexe et délicate. Pour mieux
apprécier ces trames narratives, l’importance de Galehaut est indéniable. Non seulement il intervient
dans l’entrevue des deux amants, mais il fournit sa terre comme refuge contre l’accusation illégitime.
Jusqu’à sa mort, son sacrifice passionné pour Lancelot amplifie la grandeur pathétique de ce roman.
Ainsi, à l’amour courtois qui exhorte le chevalier à l’aventure, est ajouté l’autre type de l’amour
passionné. Dans ce point, le roman en prose diffère du roman en vers, Le Chevalier à la Charrette de
Chrétien de Troyes, parce que le roman en vers raconte l’intrigue quasi-linéairement. Le personnage
secondaire n’y joue pas un grand rôle et ne mêle pas à la trame principale par l’entrelacement. Dans
ce roman en prose, les multiples personnages nous montrent l’intermédiaire ou le contrepoint du
couple idéal courtois.
Notre problématique est d’examiner les sens psychologiques des aventures dans Lancelot en
prose. c’est-à-dire que les aventures constituent l’épreuve qui, loin d’être une simple épreuve
physique, montre un degré de l’état moral. La coutume maléfique n’est pas un simple événement,
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mais elle peut être interprétée comme expérience psychologique. Notre analyse porte sur les
sentiments amoureux et l’amitié dans le IVe volume.
D’abord, nous observerons que l’amour courtois est né comme une éthique nouvelle au
XIIème siècle pour empêcher l’amant de se comporter follement et des’enflammer. L’amour doit cesser
d’être destructif et fatal, mais il est considéré comme une vertu grâce à laquelle l’amant arrive au plus
haut niveau de qualité. De cette façon les gens du XII ème siècle ont résolu le problème de la maladie
de l’amour.
Deuxièmement, Lancelot en prose se distingue du Chevalier de la Charrette dans la mesure
où le roman contient plus d’épisodes secondaires et que plusieurs personnages se mêlent aux
événements principaux. Pour mieux montrer cette caractéristique, nous examinerons l’entrelacs des
sentiments entre les personnages. En particulier, l’amour de Galehaut est difficile à déterminer aux
yeux des contemporains. Il aime si passionnément son compagnon que son amour cause sa mort. Ses
sentiments sont de grandeur démesurée aussi bien que sa taille. Nous réfléchissons sur ce type de
l’amitié grandiose. A la fin de ce volume, il s’est donné la mort, en croyant que son compagnon est
mort. Cet épisode rappelle la mort de Piramus et Tisbée. Il est vrai que les épisodes de Lancelot en
prose empruntent beaucoup aux autres. Le compagnon fidèle tente de se donner la mort, chez Yvain
de Chrétien de Troyes, bien que ce compagnon soit un lion. De plus, les deux amants exilés qui
séjournent ensemble en Sorelois, rappellent aussi les amants de Morois. Cependant, le trait original de
Lancelot en prose, c’est que l’on admet la présence de Galehaut dans cet exil. De même, le couple
principal formé de Lancelot et de la reine admet l’autre couple, la dame de Malhaut et Galehaut. À
l’opposé de la Chanson de Geste, les personnages féminins conduisent l’intrigue dans la tradition
arthurienne. La dame du Lac a enlevé et élevé Lancelot de sorte qu’elle l’a initié à la chevalerie. Elle
l’a fait partir à la cour d’Arthur. Ensuite, Guenièvre lui inspire de l’amour et l’encourage en
aventures. Comme aspect négatif de l’amour, nous signalerons la haine et la jalouisie de Morgane qui
enferme Lancelot et dénonce publiquement l’adultère.
Enfin, il nous faut éclaircir le paradoxe de ce volume. Ce paradoxe constitue une
caractéristique de ce volume. C’est-à-dire que Lancelot qui a réussi en délivrant le Val enchanté,
devient prisonnier de Morgane. Depuis le début de ce roman, il est caractérisé par l’enfermement, par
exemple, la dame de Malhaut l’a enfermé pendant un an et demi. Galehaut l’a retenu dans l’île
Perdue. Cette emprisonnement symbolise un état moral qui s’appelle « recreantise » et qui dommage
les honneurs chevaleresques. Ce danger se montre sous l’apparence de plaisance. Le val des amants
infidèles enferment les amis et les amies dans le délice d’amour. Il est vrai que ce val montre la
jouissance et la peur à la fois aux yeux des chevaliers. La détention de Morgane symbolise la
domination de femme de laquelle Lancelo n’est même pas exempt.
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Toute réflexion faite, Le Lancelot en prose décrit l’amour en plusieurs facettes. D’une part,
l’amour courtois constitue l’éthique de l’amour de sorte qu’ il ennoblit les cœur des amants. Loin
d’être une simple règle de comportement, l’amour courtois fournit sa raison d’aventure aux
chevaliers. Pour mériter l’amour, il faut partir et chercher les aventures. D’autre part, l’amour
deviendra un danger pour les amants. Il cause la jalousie et l’inquiétude, donc les amants réclament
l’exclusivité et refusent la sociabilité. Ainsi l’amour menace les amants par sa domination féroce. Il
est certain que ce volume nous montre ainsi quelques marges du parfait amour de Lancelot. Dans ce
volume, nous trouvons l’histoire de la demoiselle dans la prison et le récit de l’amour sacrilège. Ces
épisodes constituent un contrepoint ou une répétition à l’envers. Tous les chevaliers et toutes les
dames ne parviennent pas à être de parfaits amants. Car nous trouvons certains personnages qui ne
peuvent gagner l’amour de ceux qu’ils aiment. Par exemple, Morgane et Dame de Malhaut. Morgan
qui est désespérée de l’infidélité de son ami, a enchanté un val et enfermé les amants infidèles. Il est
vrai que tous les chevaliers n’aiment pas toujours fidèlement et parfaitement leur amie. Cet
enchantement sera brisé par l’amant idéal. Ce privilège d’être un parfait amant, est destiné à certains
élus, comme Lancelot. Donc on pourrait dire que l’aventure se présente comme épreuve morale et
que cette aventure est liée étroitement avec l’éthique contre l’amour destructif.
I) L’éthique de l’amour
L’amour tourmente l’amant avec des effets qui sont semblables à la maladie. L’amant cesse
de manger et de boire, il souffre de l’insomnie. L’amour restait considéré comme la maladie du coeur.
Cela remonte à la tradition latine, évidemment chez Ovide. Mais la nouveauté du Moyen Age est la
valorisation de l’amour. Ainsi, dans la littérature du Moyen Age, l’amour nous montre des aspects
valorisants, c’est-à-dire qu’il exhorte les chevaliers dans les multiples aventures, et grâce à cet amour,
le chevalier rehausse ses valeurs chevaleresque. Selon Frappier, les termes de « courtois » et de
« courtoisie » désignent dans un sens plus restreint un art d’aimer inaccessible au commun des
mortels, cet embellissement du désir érotique, cette discipline de la passion et même cette religion de
l’amour qui constituent l’amour courtois. Il ajoute que l’amour courtois représente le raffinement
extrême de la courtoisie. Un amant courtois possède en principe les mérites généraux de la courtoisie,
donc, le héros du roman peut avoir une haute représentation de la courtoisie. Lancelot en prose nous
fournit un bon exemple, Yvain et Grauvain sont les chevaliers courtois, mais il n’arrivent pas à la
perfection de Lancelot. Pour être courtois, il faut connaître l’art d’aimer. Ainsi, le succès de
l’épreuve montre son degré de perfection. Il en resulte que les parfaits amants peuvent réaliser les
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carrières brillantes qui ne sont pas accessibles aux vilains. L’aventure constitue l’épreuve de son
amour. Le chevalier ne peux pas être vaillant sans l’amour.
I-1) L’amour, comme la maladie
Chez Ovide déjà, l’amour est une maladie. Celui-ci qualifie l’amoureux de malade,
« aeger », « languidus ». Il applique à l’amour les noms de « malum » et de « morbus ». Débarrasser
de leur passion ceux qui aiment, c’est les guérir, « sanare », « curare (2)». Enfin, il a intitulé son écrit
Remèdes de l’amour.
Au XIIème siècle aussi, les effets cruels que cause l’amour sont semblables à ceux de la
maladie.
Celui qui aime change de couleur et pâlit; il tremble, frémit, tressaille, il a froid. Pour ces
effets physiques de l’amour, on pourrait dire que l’amour est une maladie. Faral signale que cette idée
est très répandue dans les textes latins, notamment dans Ovide.
Certes, la descriptions des effets physiques de l’amour remonte à la littérature latine. Cette idée est
reprise en France dès Enéas. L’amour qui surprend ses victimes à la manière d’une fièvre, avec des
alternances de froid et de chaud, des périodes d’enthousiasme et de dépression est assimilé à une
soudaine maladie.
Il est évident que l’auteur de Lancelot a aussi pris cette idée de « l’amour-maladie », mais il
ajoute à cette théorie d’amour certains éléments nouveaux. Par exemple, Maître Hélie explique trois
maladies de coeur à Galehaut qui est tourmenté par la maladie inconnue. Ce maître nous rappelle la
maladie de l’amour(4). Mais, le sentiment que éprouve Galehaut pour Lancelot déborde de la théorie
de l’amour. Il semble que cette amitié constitue une amplification de la théorie amoureuse, appliquée
au compagnonnage. Il nous semble que cette amitié entre Lancelot et Galehaut est une résurgence du
compagnonnage de la Chanson de Geste, mais elle prend aussi une tournure très similaire à celle de
l’amant. On ne peut pas se risquer à dire qu’elle est une invention médiévale, mais Galehaut dans
Lancelot en prose reste problèmatique.
De plus, ce qui mérite une attention particulière, selon Faral, l’amour, dans le roman
médiéval, n’est pas représenté seulement comme un archer qui blesse, mais aussi comme un médecin
qui soigne lui-même les plaies qu’il a ouvertes(5). L’amour est une source de douleurs, mais aussi il
enseigne aussi le remède à cette plaie. Les victimes de l’amour cherchent à surmonter leur désarroi, à
trouver dans leurs conscience une règle de conduite, à sauvegarder leur liberté menacée. Sur ce point
ambivalent, les romanciers médiévaux tentent de fonder une nouvelle éthique d’amour pour qu’elle
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puisse faire briller l’aspect positif de l’amour et qu’elle puisse constituer un mode de vie. Avant tout,
l’amour courtois a une valeur d’ennoblissement.
I-2) L’amour et les armes, amor et arma.
L’amour est déjà associé avec les armes chez Ovide. Selon lui, l’amant est un soldat et un
combattant. Faral remarque que la métaphore du combat amoureux, chez le romancier français
revient plus d’une fois(6). Selon lui cette métaphore provient des poètes érotiques. Ovide l’emploie
fréquemment(7).
Ovide utilise aussi une analogie entre la conquête amoureuse et la bataille. Cela nous
rappelle la guerre de Troie. L’amour passionné a causé une bataille acharnée de longue durée. En
outre, le dieu de l’amour se présente comme un archer dont les flèches font naître la passion(8).
D’ailleurs, tous les gransd amants du Moyen Age sont connus comme chevaliers vaillants, par
exemple, Tristan et Lancelot. Au Moyen Age, la conquête de femme entraîne celle du fief. Tel est le
cas de l’amour entre Enéas et Lavinia.
Pour accentuer l’importance des armes, dans Lancelot en prose, les armures ont plus de
significations. L’absence et la présence des armures symbolisent l’état moral. Le roi Arthur n’a pas
ceint l’épée à Lancelot. En plus, L’épée de Lancelot a tant de sens qu’il a l’intention d’être fait
chevalier d’une autre main que de celle du roi. Lancelot veut être chevalier de la reine(9). Elle n’est pas
une simple arme, c’est une signe de l’amour(10). Il ne consent que l’autre que la reine ceigne son épée.
Seule la reine a le pouvoir de remettre à Lancelot son épée et de le faire ainsi chevalier(11). En fait,
cette éthique particulière se calque sur le service féodal dû par le vassal au seigneur. La dame est
comme le seigneur de l’amant. L’hommage amoureux imite les formalités, les gestes, les rites de
l’hommage féodal.
L’autre exemple de l’arme qui mesure la perfection de l’amour, c’est l’écu fendu de la Dame
du Lac (t.2, pp.151-155). La demoiselle, messagère de la Dame du Lac explique que les deux
personnages représentés sur l’écu sont la reine et Lancelot. Les deux parties séparées de cet écu se
rejoindront quand leur amour sera consommé. De cette manière l’écu sans fente signifie l’amour
« enterin ». Après avoir consommé son amour, la reine a trouvé que l’écu devient tout d’un bloc. Elle
est sûre d’être mieux aimée que toute autre (t.2, p.520). La dame de Malhaut remarque que la fente de
l’écu a complètement disparu. Elle dit « Dame, or veons nos bien que l’amours est anterine. (t.2,
p.522) »
L’originalité de l’amour de Lancelot consiste précisément en ce qu’il s’inscrit dans le monde
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chevaleresque. Amant parfait, Lancelot est aussi un parfait chevalier. Le désir d’amour est la source
de toute prouesse d’armes. L’amour constitue la qualité la plus importante de la chevalerie.
I-3) L’art d’aimer.
À côté des tourments physiques, l’autre danger de l’amour se présente aussi à l’amant. Les
amies qui aiment follement leurs amis, ne veulent pas s’en séparer. Elles veulent les retenir auprès
d’elles. Par conséquent, cet amour excessif risquent de faire que l’amant soit « recréant ». Ce mot
signifie « lâche », mais plus précisément celui qui néglige ses obligations chevaleresques, de partir en
aventures. L’exemple le plus significatif est fourni par Eréc et Énide. Eréc aima tant Enide, son
épouse qu’il ne se soucia plus des armes et négligea les tournois. Il ne quittait sa femme que très
rarement. Ses compagnons le blâment de laisser ses armes et rester avec sa femme. « Recreant vos
apelent tuit.(v.2567). » Cette « recreantise » est l’accusation plus cruelle contre un chevalier. Dans
ces conditions, l’art d’aimer et les règles des comportements de l’amant importent beaucoup dans le
domaine chevaleresque. Le chevalier qui est amant doit s’échapper du danger que cause l’amour
excessif, et se manifester l’amour parfait avec ses armes(12).
Frappier remarque qu’il apparaît que le thème fondamental des romans antiques et des
romans bretons, l’alliance courtoise de l’amour et de la chevalerie dépendent d’une tradition bien
établie dans le Nord(13). Il cite un exemple de Historia regum Britanniae. Les dames courtoises ne
daignaient agréer l’amour d’un chevalier que si ce chevalier fournissait des preuves de sa vaillance.
Ainsi, leur amour ennoblissait les chevaliers. L’amour courtois est considéré comme source de vertu
et de perfectionnement. Les romanciers d’oïl ne cessent guère d’associer l’amour et la chevalerie.
L’amour est l’inspirateur de la prouesse. Le dialogue entre Guenièvre et Lancelot, dans Lancelot en
prose exprime mieux la conception de la prouesse chevaleresque et de l’amour courtois.
« Or me dites, totes les chevaliers que vous avez faites, por cui feïtes vos ? »
« Dame, fait il, por vos. »(t.1, p.886)
Cet art d’aimer et cette idéologie manifestent leur plus grand effort d’ennoblissement de soi.
Il promet de valoir toujours mieux.
Quand Lancelot déclare son amour à la reine, il insiste sur le fait que son amour lui a donné
beaucoup de courage(14). Enfin, l’amour vient de la noblesse de coeur.
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II L’entrelacs de sentiments
La caractéristique qui distingue le Lancelot en prose des romans de Chrétien de Troyes,
c’est que plusieurs personnages s’entrelacent aux aventures de Lancelot. Le roman consacre
beaucoup de lignes à relater les aventures des autres chevaliers. En plus, le roman n’omet pas les
autres histoires d’amour. L’existence de plusieurs épisodes donne de la profondeur à ce roman aussi
bien que la gamme des sentiments. Cette effet qui semble au premier abord répétitif, nous montre la
délicatesse psychologique du Moyen Age. En particulier, les deux fées, Morgane et La dame du Lac
incarnent les deux aspects bien opposés de la féminité. L’une protège le héros, l’autre le harcèle
d’épreuves. En s’ajoutant aux deux fées qui constituent deux pôles de ce roman, les personnages
mortels ont autant d’importance. D’abord, la reine Guenièvre est inspiratrice de la vaillance de
Lancelot. Le schéma selon lequel le chevalier part en aventure pour mettre sa vaillance à l’épreuve,
n’est pas original. Mais, ce qui appelle une attention particulière, c’est Galehaut qui reste jusqu’à la
fin le fidèle compagnon de Lancelot. Son amour démesuré et son sacrifice sont d’une complexité
étonnante. De même, la dame de Malhaut qui est devenue l’amie de Galehaut, garde évidemment son
amour pour Lancelot. À cause de ces deux personnages qui sont probablement inventés par l’auteur,
le Lancelot en prose réalise l’entrelacs de sentiments, par exemple, la jalousie et l’amour partagé avec
la confidente.
II-1) Morgane-Dame du Lac
Au contraire de la Chanson de Geste, les personnages féminins occupent des premiers rôles,
par exemple, les deux fées bien opposées, Morgane-Viviane. Les deux sont enchanteresses, elles
apprennent les sortilèges de Merlin. Madame Lancner-Harf a analysé les schémas narratifs de
Morgane et Mélusine. Morgane est une fée qui enlève le mortel dans l’autre monde. Madame
Lancner-Harf a justement montré que, ces deux personnages irréconciliables représentent la féminité
dans l’imaginaire médiévale(15). Morgane concrétise la nature « asociale » de l’amour. Au contraire,
La dame du Lac représente l’amour socialisant et éducateur. Tout au long du Lancelot en prose, le
romancier s’attache à opposer La dame du Lac, éducatrice et protectrice à Morgane. Cette antinomie
est bien évidente(16).
Comme caractéristique de Lacelot en prose, la dame a joué un rôle d’éducatrice. Car, pour
l’idéologie nouvelle, l’amour courtois, la femme se présente comme seigneur. L’exemple le plus
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significatif nous est fourni par le premier entretien entre la reine et Lancelot, où il reste novice à
l’amour, en revanche, la reine est bienséante. De même, La dame du Lac, fée protectrice d’un jeune
héros qu’elle élève dans l’autre monde, et sans cesse présentée comme la seconde mère de Lancelot.
Son enlèvement de l’enfant reste encore un souvenir féerique(17). Cet enlèvement nous rappelle celui
d’un mortel qui est l’amant de la fée. Cependant, La dame de Lac ne devait pas éprouver plus qu’un
sentiment maternel à l’égard de Lancelot. Le romancier exclut la possibilité d’un lien amoureux entre
Lancelot et La dame de Lac(18). Quand elle vient guérir Lancelot de son premier accès de folie, la reine
prie La dame de Lac de prolonger son séjour auprès d’elle. Mais celle-ci a refusé parce qu’elle voulait
rejoindre son ami(19). Son caractère n’est pas celui de la fée qui est amoureuse du mortel et l’entraîne
dans l’autre monde, mais celui d’une fée civilisatrice et éducatrice. Elle enseigne le sens de la
chevalerie et fait partir Lancelot à la cour. Grâce à elle, il entre dans la société des chevaliers. Sa
nature éducatrice ne relève pas de la fée Morganienn. Avant tout, La dame de Lac est protectrice de
l’amour courtois. Car, elle fait apporter à la reine un écu fendu représentant un chevalier et une dame
enlacé mais séparés. Ensuite elle aide Lancelot à se rendre digne de la reine et encourage son amour
pour Guenièvre.
Le personnage de Morgane est déjà présenté dans Erec et Enide (v.1907). Le texte dit que la
fée règne avec son ami Guigamor dans l’île d’Avalon. De même, d’après ce roman de Chrétien de
Troyes (Erec et Enide. v.2358), elle a brodé au Val Périlleux la chasuble qu’Énide a reçue de
Guenièvre. Dans ce roman, la fée Morgane n’a pas un caractère maléfique. Elle a conservé ses
pouvoirs de bienfaits et sa sagesse.
Ce personnage se développe ainsi. D’abord, Morgane était une fée guérisseuse. La
bienfaisante fée se voit bientôt chargée dès le Lancelot en prose, de tous les péchés du monde et la
plupart des romans du XIIIè siècle ne feront qu’affirmer cette image maléfique de Morgane. Dans les
romans du XIII siècle Morgane semble se spécialiser dans l’enlèvement d’un mortel dont elle veut
faire son amant(20). Pour confirmer cette analyse, Morgane était présenté dans Lancelot en prose
comme une dame laide marquée par un penchant pour la luxure. Morgane retient les chevaliers
infidèles dans le Val sans Retour, ensuite elle fait Lancelot prisonnier.
II-2) Galehaut, le fils d’une géante incarne l’amitié démesurée.
Galehaut est le fils d’une géante. Son tempérament est de grandeur exceptionnelle aussi bien
que sa taille et sa vaillance. Galehaut apprécie beaucoup la vaillance de Lancelot, il souhaite son
compagnonnage. Il affirme que Lancelot est l’homme du monde à qui il voudrait faire le plus
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d’honneur(t.1,832)(21). Pour accorder son compagnonnage, Lancelot lui demande d’abandonner sa
victoire sur le roi Arthur. Galehaut y consent. Il déclare son amour pour Lancelot. Il l’aime plus que
tout. Il a renoncé à sa victoire sur le roi Arthur. Galehaut, pour qui l’amitié humaine a été l’unique
richesse désirable, expie sa démesure par la souffrance et par la mort. Si physiquement Galehaut ne
paraît être après tout qu’un chevalier d’une taille exceptionnelle, il semble que sa démesure provient
de cette appellation « Le fils de la Géante ».
Frappier a remarqué « la richesse et la complexité de ce personnage(22)». Son amour porté sur
Lancelot est plus complexe que les autres personnages, parce qu’il veut retenir Lancelot dans ses
terres et désire passionnément son compagnonnage, mais, il favorise l’amour entre la reine et son
compagnon. Il lui propose de rester en Sorelois tous les trois ensemble. Il a reçu le chevalier à
l’armure noire (Lancelot). Dès que Lancelot est endormi, Galehaut se glisse dans le lit le plus voisin
du sien. Toute la nuit il pense à la meilleure façon de retenir Lancelot près de lui (t.1, p.840). Dans
son for intérieur, il veut empêcher Lancelot de sortir en aventures. Cette situation est analogue à la
demoiselle amoureuse qui retient son amant. En bref, il est vrai que le même mot « amour » désigne
au XIIIe siècle l’amour et l’amitié et que son comportement entre souvent dans le registre amoureux.
Galehaut couche tout près de lui et désire le retenir près de lui(23).
Pour empêcher les interprétations homosexuelles de cette alliance, je fais appel au chapitre II
d’André le Chapelain. Celui-ci précise que l’amour ne saurait exister qu’entre des personnes de sexe
opposé(24). Donc, il faut être prudent avec cette interprétation. À mon avis, dans Lancelot en prose,
l’auteur met l’accent sur les compagnonnages de guerriers, par exemple, Lancelot saigne pour
l’amour de Gauvain(25). Cependant, son amour signifie simplement l’amitié. Pour cette amitié de
Galehaut, Frappier a remarqué qu’il est vrai que l’amitié de Galehaut revêt à plus d’un égard la forme
du compagnonnage guerrier fréquent dans l’épopée; Toutefois, il y a loin de cela à l’attachement qui
lie Olivier à Roland(26).
Nous examinerons en quoi cette amitié se distingue du compagnonnage épique. Selon
Frappier, c’est une amitié-passion inspirée par la « force d’amors », conception venue du Tristan, qui
envahit tout son personnage et le détruit. Mais ici l’amour de Galehaut est tempéré, approfondi et
nuancé à côté de l’amour de Guenièvre et de Lancelot. Un vocabulaire encore insuffisamment
diversifié dans le domaine de la vie morale a dû favoriser l’ambiguïté des sentiments de Galehaut. Il
est vrai qu’en ancien français « amor » signifiait à la fois « amour » et « amitié ». Nous ne nous
étonnons pas dès lors si Galehaut en parlant de son ami, emprunte certaines expressions au langage
amoureux. Il faut rappeler que jusque-là, cette ardeur est réservée d’ordinaire à la seule passion
amoureuse.
Il est plus tourmenté que les autres de l’absence de Lancelot(t.4, p.417). La consolation qu’il
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a en regardant l’écu de Lancelot (t.4, p.431, p.469) et ses chagrins sont semblables à celle de l’amant.
Enfin, l’absence de Lancelot causera sa mort parce que la reine enlèvera son compagnon(t.3, p.145).
Cette détresse et ses douleurs ne sont pas appropriées à l’ami du compagnonnage. Il est vrai que sa
passion déborde de l’expression normale de l’amitié. Son sacrifice n’a pas de borne. Galehaut donne
à Lancelot tout ce qu’un homme peut donner, son corps, son coeur et son honneur. Il lui avait donné
son corps, puisqu’il préférait sa propre mort à celle de Lancelot, son coeur, puisqu’il ne pouvait avoir
aucune joie sans lui ; il lui sacrifia un si grand honneur quand il a crié merci au roi. Il sacrifie tout
jusqu’à sa mort au profit de Lancelot. Galehaut ressent une passion démesurée qui le détruit luimême. Il dit au maître Hélie. « Mes el cuer m’est entree une maladie qui me destruit (t.3, p.116) ».
Enfin, il meurt à cause de l’absence de Lancelot(27). Le maître Hélie explique que parmi les trois
maladie de coeurs, la plus dangereuse, c’est la maladie de l’amour. « Le coeur est la partie de
l’homme la plus noble et la plus délicate (t.3, p.119)». L’amour vient de la véritable noblesse du
coeur, par le truchement des yeux et des oreilles(28). La maladie d’amour est la plus dangereuse, car il
arrive souvent que le cœur ne veuille pas de la guérison. Un noble coeur a de la peine à se rétablir de
cette maladie, parce qu’il préfère son mal à la santé (t.3, p.121).
II-3) Les sentiments partagés
Galehaut a préparé, organisé la première entrevue de Guenièvre et de Lancelot. Il est le fils
de la Géante et le seigneur des Lointaines Iles. L’histoire de Galehaut se mêle à celle de Lancelot et
Gunièvre, non sans des interruptions dues à la multiplicité des aventures et au procédé de
l’entrelacement. Elle reste inséparable de l’action principale. Il demande à la reine de donner un
premier gage de l’amour à Lancelot(29).
Non seulement les intrigues des histoires se mêlent, mais aussi les sentiments s’entrelacent.
L’exemple le plus significatif est donné par Lancelot et Galehaut (t.3, p.61). Ils chevauchent
ensemble tous les deux tristes et pensifs, parce qu’ils sont tous les deux mécontents. Galehaut craint
de perdre le compagnonnage de Lancelot. Celui-ci a le coeur gros de s’éloigner de sa dame et de voir
que Galehaut est malheureux à cause de lui. Leur amitié est si grande que chacun d’eux a peur pour
son ami et n’ose rien lui dire qui puisse lui faire de la peine, comme s’ils se sentaient coupables l’un
envers l’autre.
Nous pourrions remarquer la délicatesse psychologique entre les deux, dont l’autre exemple
le plus intéressant et le plus connu est fourni dans la scène de la première entrevue entre la reine et
Lancelot. La confiance mutuelle entre 2 chevaliers se réalise. Si Galaut n’aimait pas Lancelot,
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Lancelot ne pourrait pas déclarer son amour à la reine. Grâce à l’intervention de Galehaut, leur amour
réciproque se réalise.
L’entrevue entre trois personnages, Galehaut, Lancelot et Guenièvre entraîne un rendez-vous
entre quatre personnages. Car la Dame de Malahut a remarqué une liaison nouvelle « un nouvelle
acointement » (t.1, 900) entre la reine et le chevalier, elle a proposé à la reine de nouer l’autre amitié
avec elle. En réalité, La dame de Malhaut a retenu Lancelot dans sa prison pendant un an et demi(t.1,
p.900). Sans doute, elle aimait Lancelot. Mais sans le savoir, la reine a formé un autre lien entre la
dame de Malhaut et Galehaut (30). De la même façon, la reine demande à Galehaut s’il aime
quelque’une(31). Bien que la dame de Malhaut et Galehaut aiment Lancelot, ils nouent « la nouvelle
acointement ». Il est vrai qu’à la mort de Galehaut, la dame de Malhaut montra un désespoir
immense, car elle l’aimait d’un amour si grand que jamais un coeur n’a pu aimer autant (t.2, p.683)(32).
De cette manière quant au rendez-vous dans le jardin (t.2, p.520). Galehaut et Lancelot avaient un
rendez-vous avec leurs dames. Une fois désarmés, ils furent emmenés dans deux chambres séparées
et chacun se coucha avec son amie. L’« acointement » entre quatre personnages, la reine, Lancelot,
Galehaut et Dame de Malhaut montre la délicatesse de conscience. Ce couple secondaire, Galehaut et
la dame de Malhaut met en relief le fin amour de Lancelot. Car, ils sont aussi amoureux de lui. Par
l’intermédiaire de la reine, ils peuvent partager son « acointement ». La dame de Malhaut reste une
confidente fidèle, elle partage les chagrins de la reine. Galehaut reste à sa mort fidèle compagnon de
Lancelot.
On peut même ajouter qu’en se faisant le complice de la reine, Galehaut obéit à un
raffinement de conscience, attendu qu’il a ressenti un mouvement de jalousie et d’inquiétude(33).
Cette inquiétude est semblable à la jalousie, quand l’amour est né à deux personnages, et que
l’on ne peut pas rendre son amour à l’autre, c’est-à-dire que l’on ne peut pas arriver à aimer l’autre
que celui que l’on aime. J’en cite un exemple, Kahedin dans le Tristan en prose. Galehaut cherche la
jalousie dans le coeur de Lancelot. Il demande s’il devrait souhaiter plus que tout une séparation du
roi et de la reine, qui vous permettrait d’avoir pour toujours une joie entière « Joie enterine » l’un et
l’autre (t.3, p.111). Mais, Lancelot refuse cette idée, parce que la reine est malheureuse à cause de
l’accusation indigne. Il est vrai qu’ au XIIème siècle aussi, tous les amants ne sont pas excusés du
tourment de la jalousie(34). Il est certain que l’on n’éprouve pas de jalousie si l’on n’aime pas.
Galehaut partage les douleurs de Lancelot. Quand Galehaut apprit l’accusation portée contre
la reine, il ressentit de la douleur et de la joie. De la douleur, parce qu’il savait que Lancelot serait très
malheureux mais aussi de la joie, parce qu’il espérait garder longtemps le compagnonnage de
Lancelot (t.3, p.109). Il propose à Lancelot d’aller à ses terres avec la reine, pour qu’ils puissent avoir
pour toujours la joie entière « joie enterine » (t.3,p.111). Il veut qu’ils soient tous les trois ensemble.
--- 125 ---
De même, non seulement il partage les douleurs de Lancelot, mais Galehaut veut aussi toujours
partager les douleurs de Guenièvre. Quand elle a appris que Lancelot est parti sans prendre congé
d’elle, elle est envahie d’amertume. Alors, Galehaut essaye de la réconforter, la priant de lui dire un
peu ce qui la préoccupe (t.4, p.204-206). La dame de Malhaut est aussi désolée de voir la tristesse de
la reine. De même, quand la messagère de Morgane a déclaré que Lancelot ne portera jamais l’écu
(t.4, p.403). À cette déclaration, Guenièvre et Galehaut sont profondément affligés.
Quand l’amitié entre la reine et la dame de Malehaut se réalise, elles allaient dormir
ensemble. En se couchant ensemble, elles parlaient des nouvelles amitiés(35). Elle est devenu la
confidente fidèle de la reine, malgré son amour pour Lancelot. Cette confidente est déjà présentée
chez Ovide. Il place ordinairement près de ses héroïnes une nourrice, aux conseils de laquelle elles
ont recours. De la même façon, Lavine a auprès d’elle sa mère. Cette technique réalise les
conversations sur le motif de l’amour et du mariage, entre elles. Cela aboutit à l’aveu de l’amour de
Lavine. Il me semble que la présence de confidents dans Lancelot en prose diffère de ce cas. André le
Chapelain signale l’importance de la confidente (36). Dame de Malhaut et Galaut partagent les
sentiments des deux amants, en particulier les douleurs et la peine que causent leur séparation et
l’absence du bien aimé(e), parce que les confidents connaissent également l’amour. Tel est le cas de
Dame de Malhaut, elle éprouve de l’amour pour Lancelot, donc, elle partage facilement les douleurs
de la reine. En revanche, la reine est soulagée grâce à sa confidente, du fait que la dernière se
chagrine autant qu’ elle. Ses conversations ne révèlent pas mieux ses sentiments intérieurs que les
monologues et les dialogues fréquents chez Enéas. Cependant, la méthode qu’utilise le roman en
prose est caractérisée par la présence de multiples personnages. Ces personnages forment des
variantes, répétitions ou parallélismes. Ils nuancent le couple parfait.
III La prison comme lieu d’aventure
Lancelot avait une mission libératrice dans le Chevalier de la Charrette de Chrétien de
Troyes. Il est devenu prisonnier de Morgane dans ce volume bien qu’il ait réussi à détruire la
coutume maléfique de Val sans Retour. Cette intrigue est paradoxale, parce que sa vaillance rehausse
toujours sa valeur chevaleresque, il accomplit sa mission messianique, mais dans cet épisode, il est un
objet d’enfermement.
Dans Lancelot en prose, les grands succès des aventures se présentent comme la libération
des gens, par exemple, le Val sans Retour et La Douloureuse Garde. Le Val sans retour, établi par
Morgane, enferment les amants infidèles. Galehaut, le fils de Géant a retenu son ami dans l’île. Selon,
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E. Philipot, on retrouve dans ce récit le thème poétique de l’ « enserrement » du héros par une fée,
dans une île ou un « clos d’air ». Dans Erec et Énide, le géant Mabonagrain est retenu ainsi par son
amie, et consumé à combattre tous les chevaliers de passage. Nous examinerons comment le lieu
d’aventure se présente comme lieu de délice. Cette plaisance symbolise les plasirs de l’amour. Mais
tout d’un coup, ce lieu change en épreuve redoutable. Ainsi, on dirait que ces aventures sont
psychologiques
Les épisodes d’emprisonnements sont répétés dans Lancelot en prose. Par exemple, la
demoiselle en prison de Caracados (t.4, p.381). Carcados la tenait là en prison, après l’avoir ravie à
un tout jeune homme et très beau chevalier qu’elle aimait plus que tout homme au monde. Elle était
donc incapable d’aimer celui-ci qui lui vouait en revanche un amour exclusif. Il était tellement en son
pouvoir « si estoit tant en son dangier » qu’il lui avait confié la garde d’une épée enchantée (t.4,
p.382). Cet amour cause sa mort. En outre, le roi Arthur est dans la prison de la demoiselle (t.3,
p.215). Cette demoiselle l’a enfermé dans sa prison pour qu’elle puisse remplacer Guenièvre. Elle dit
clairement: « Et sachiez que jamais en vostre vie n’istrez hors de ma prison » (t.3, p.216). Le roi
Arthur est en prison avec Guerrehet (t.2, p.520). La dame de Malehaut a tenu Lancelot en sa prison.
« Et il a grant honte de li, car maint jor avoit esté en son dongier et tozjorz estoit vers li celez. (t.2,
p.522) »
D’ailleurs, un pacte même constitue un emprisonnement. Cela veut dire que Morgane laisse
Lancelot partir à condition pour lui de se constituer de nouveau prisonnier sitôt Gauvain libéré (t.4,
p.329). Selon Annie Combes, l’aventure du chevalier enferré est l’incarnation d’un enchantement lié
à une forme d’emprisonnement(37). Lancelot devient lui même, prisonnier de sa parole une fois qu’il a
prêté serment à la demande du navré.
III-1) Val sans Retour ou Val aux Faux amants
Cet épisode pose d’emblée la question du paradoxe, car sa consécration comme parfait
amant lui a causé une longue période de détention chez la Morgane. L’amour motive toujours les
exploits, mais dans Val sans Retour, sa réussite devient la cause de sa détresse.
Le Val sans Retour avait été fondé par Morgain qui comme on le sait, tenait de Merlin sa
science des enchantements. Elle a enchanté ce val à cause de l’amour déchiré par la reine. Elle était
amoureuse du neveu de la reine, Guiamor de Cormelide quand elle était à la cour d’Arthur. Elle
s’éprit pour Guiamor d’un si grand amour qu’elle pouvait difficilement se passer de le voir un seul
jour. Ils avaient fini par se donner l’un à l’autre, et la reine, qui en avait été aussitôt avertie, les faisait
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étroitement surveiller, désireuse d’empêcher Morgane de se conduire follement. La reine a forcé son
neveu à abandonner cet amour.
La prison de Morgane est fondée pour que les amies peuvent disposer de leurs amis à leur
gré. Les amies veulent retenir leur amis, mais dans cette prison ceux-ci ne montrent pas leur
vaillance, ils n’arrivent pas à la perfection. De plus, son hostilité est doublée par le fait que le parfait
chevalier qui a détruit sa prison est son amant. D’abord, elle a retenu Lancelot dans sa prison pour
venger la reine (t.4, p.415). À la suite de cette épreuve, l’exploit excite le désir de Morgane. Elle est
aussi sensible à l’attrait de Lancelot. Morgane ayant remarqué au doigt de Lancelot, un anneau qui est
le signe de l’amour réciproque, elle convoite la possession de cet anneau(t.4, p.397). Cette convoitise
ressemble à la jalousie. Sans doute, elle aime Lancelot. Sa haine pour Guenièvre est entremêlée avec
la jalousie.
Quant elle croit Lancelot endormi, elle se rend auprès de lui et glisse un anneau à l’un des
doigts de sa main droite; or cet anneau a pour vertu, si on le met au doigt d’un homme endormi, de le
maintenir en sommeil aussi longtemps qu’il n’en serait pas enlevé. Elle fait transporter Lancelot dans
un cachot profond et l’y abandonne en cet état. Cet échange des anneaux signifie que l’amour de
Morgane est à sens unique. Lancelot a perdu sa liberté à cause d’une traîtrise. Non seulement elle l’a
retenu physiquement, Morgane l’a pris avec le serment. Elle laisse Lancelot partir, à charge pour lui
de se constituer de nouveau prisonnier sitôt Gauvain libéré(t.4, p.329).
D’autre part, Galehaut aussi a retenu Laccelot, le seul point différent, c’est qu’il ne le tient
pas par l’enchantement, mais par le compagnonnage dont tous les deux ont fait le serment. Galehaut a
amené Lancelot à la cité de Sorhaut, la capitale de Sorelois. Lancelot se plaint de sa situation
d’enfermement. En écoutant son grief, Galehaut a envie de l’empêcher de combattre. Galehaut avait
un lieu de séjour très agréable, situé dans une île. On l’appelait l’Ile Perdue. Lancelot se trouvait dans
la tour de l’Ile Perdue, tout absorbé par le souci et le désir d’apprendre les nouvelles que sa dame
voudra bien lui faire parvenir. Il ne prend plus le temps de rire, de se distraire, de boire ni manger et
ne trouve de réconfort que dans ses pensées. Il passe toute la journée en haut de la tour, à scruter les
abords ou les lointains, en proie à son obsession(t.2,p.485). Lancelot souffre de sa situation de
« recreantise ». Il laisse ses armes et renonce à conquérir la renommée, à cause de sa détention.
Cette « recreantise » qui porte atteinte à la qualité des chevaliers est très connue par
l’épisode de Erec et Enide (vv.2536-2551). Erec aimait Enide d’un si grand amour que les armes le
laissaient indifférent et qu’il ne participait plus aux tournois. Il allait vivre en amoureux auprès de sa
femme, il en fit son amie et son amante. Il n’avait plus en son coeur que le désir de l’embrasser et de
la couvrir de baisers. Par conséquent, ses compagnons étaient désolés de ce qu’il lui vouait un amour
excessif.
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Galehaut ne se soucie pas du tout du risque d’endommager son honneur en n’allant pas en
aventures. Mais si quel qu’un veut priver son compagnon, il relève le défi. Cette figure nous rappelle
une autre figure très connue à la littérature médiévale. C’est Mabonagrain, le géant de la Joie de la
Cour chez Erec et Enide.
III-2) L’île de délice, locus amoenus
Mabonagrain se présente aussi comme géant, « il estoit un pié plus granz » (Erec et
Enide,v.5853). Mabonagrain aima une demoiselle à qui il accorda tous les serments qu’elle voulut.
Son amie, lui rappela qu’il lui avait juré de faire toutes ses volontés, et qu’il lui avait promis de rester
auprès d’elle jusqu’à ce qu’un chevalier le vainquît par les armes. Ainsi, elle l’a tenu en prison. Il en
défend l’accès, et est victime de la maléfique coutume. Il ne cesse pas de tuer les chevaliers qui
s’approchent de ce lieu. Il a été cruel par amour.
Harf-Lancner et Philipot ont analysé cette figure du géant qui défend son domaine(38).
Philipot cite un autre exemple, Malgier le Gris dans Le Belle inconnu(39). Il est aussi retenu en prison,
dans une île, par une fée. Cette fée l’a investi d’une « coutume » qui consiste à défier tous les
chevaliers qui passent et à les tuer. L’aventure se passe sur une île. Cette île contient un verger
merveilleux. Ce verger est « clos d’air par nigromances » et produit toute l’année des fruits. L’hiver y
est inconnu. et il s’y trouve tout ce qui peut séduire les sens. Ce schéma ressemble au conte
morganien, où le héros est victime de son amour pour la fée qui le retient.
Mais comme Harf a remarqué, dans Erec et Enide le géant gardien de l’autre monde est
devenu un simple mortel, un chevalier prisonnier amoureux de la demoiselle. Le gardien de l’autre
monde, privé de son caractère surnaturel, devenu un prisonnier et victime de l’amour(40). Lancelot en
prose nous offre dans le Val des faux amants une autre version qui se ramène aisément au même type.
L’amie enferme son ami dans le val. De même, Galehaut et Morgane veulent retenir Lancelot auprès
d’eux. Cependant, il faut encore signaler que Mabonagrain dans Eréc et Enide est le contre-exemple
de la recreantise amoureuse. Il doit combattre jusqu’àce que le libérateur arrive.
Il faut signaler que le jardin d’Érec est aussi une prison tout comme le Val sans Retour.
Nous remarquons que la description de ce verger (Erec et Enide, vv.5689-5714) est très semblable à
celle du Val des amants infidèles.
Quant à ce verger, aucun mur ne l’entourait sinon une couche d’air. A’intérieur, à longueur
d’été et d’hiver, on trouvait des fleurs, et des fruits mûrs. On y trouvait aussi des oiseaux de chacune
des espèces qui volent dans le ciel et dont les chants charment et divertissent les hommes. Le val était
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verdoyant, séjour des délices, mais était en réalité une prison féerique qui retenait les amants
infidèles. Le val était clos en apparence d’une muraille épaisse et élevée, qui n’était que de l’air. Cette
description typée a pour origine le locus amoenus que les lexicographes et les maîtres de styles
enregistrent comme accessoire poétique. D’après Curtius, à partir de 1170, les poètes donnent de
nombreux modèles de ces lieux de plaisance(41). C’est une amplification rhétorique, teintée de
didactique. On commence par les oiseaux qui gazouillent et le ruisseau qui murmure et la brise. Ce
locus amoenus est fréquemment employé dans la poésie amoureuse.
Cependant, ce locus amoenus se présente ici comme lieu d’aventure. Dans le Lancelot en
prose, la prison de délice est ainsi expliquée aussi par le maître Hélie (t.3, p.121). Il dit que quand le
cœur est attaqué de ces deux côtés, les yeux et les oreilles si fortement qu’il se met à aimer. Il
s’élance à la poursuite de sa proie. Mais soit qu’il l’atteigne, soit qu’il échoue du tout au tout, il aura
bien du mal à rebrousser chemin. Car quand il atteint sa proie, il lui fait demeurer dans la même
prison que s’il avait échoué en tout point. À ceci qu’il trouve dans sa prison des allègements et des
joies, comme d’entendre de douces paroles et de recevoir la tendre compagnie de ce qu’il veut avoir
et désire. Mais au milieu de toutes ses joies, il ressent beaucoup d’amertumes et de peines (t.3, p.121).
Avec son ton moralisant, cette prison semble une métaphore des sentiments amoureux et des
tourments. L’amant éprouve la joie et la peur.
En fin, le val des amants infidèles constitue le lieu d’épreuve et le lieu idéal de la recreantise
à la fois. La démission de la prouesse qui abandomme le chevalier tout entier à la paisible jouissance
de l’amie devient une crise du chevalier. Il est évident que ce qu’il explique n’est pas le lieu concret,
mais l’état moral. En conséquent, le lieu d’aventure qui offre avant tout l’épreuve physique, change
en épreuve morale.
III-3) Le pouvoir des femmes
Le roi Arthur est aussi dans la prison (t.3, p.215-216). La demoiselle enferme le roi dans sa
prison. « Et sachiez que jamés en vostre vie n’istrez hors de ma prison » (t.3, p216). Le roi est
amoureux d’elle et oublie vite le grand amour qu’il avait pour la reine. Il est certain que dans le
domaine de Morgane, les dames et les demoiselles ont l’initiative. La domination de l’amour entraîne
le monde à l’envers(42). Quand Lancelot a renversé le lit de Morgane et tué un chevalier, il est battu par
une demoiselle qui est son amie (t.4, pp.293-295). Plus ironiquement, dans Lancelot en prose, la
demoiselle séductrice harcèle Lancelot (t.4, pp.349-353). Elle a accusé Lancelot de laisser son lit à
cause d’une damoiselle seule. Elle lui reproche sa « recreantise ». Ensuite, elle lui a volé un baiser par
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force. Lancelot a crié merci. Enfin, il a avoué qu’il est aimé. C’est ainsi qu’au long du tout ce roman,
la femme domine sur l’homme. C’est parce que le code de l’amour courtois imite le code de la société
féodale. La relation entre la dame et l’amant se forme sur le modèle de la relation entre le seigneur et
le vassal. Donc, la présence de termes juridiques empruntés au droit féodal dans le vocabulaire de
l’amour courtois n’a rien de surprenant. Guenièvre demande à Galehaut s’il aime la demoiselle ou la
dame d’amour. Elle utilise le mot « saisir »(43). Ce mot « sesir (saisir) » signifie « mettre ne
possession d’un fief ». À la fin du rendez-vous, il exhorte Gunièvre à donner un baiser à l’amoureux
novice. Ce geste imite le rite de l’hommage féodal, l’osculum. Il est le baiser, qui accompagnait
souvent l’hommage et la foi. Aussi l’osculum confirmait la garantie de fief. Au lieu de donner le fief,
la dame donne son amour et son coeur. Il faut comprendre évidemment que Guenièvre accorda tout
son cœur à Lancelot et qu’elle lui assura la possession de son amour en lui donnant un baiser.
Avant tout, le roman courtois est un monde dans lequel la femme prend l’initiative. Déjà
dans Eneas, Lavinie est plus active. En tant que symbole de ce monde féminin, ces deux fées se
présentent comme deux pôles de ce monde, bien et mal. Le souverain masculin, comme le roi Arthur
est souvent soumis aux ruses des femmes. De là il vient le paradoxe de ce roman: le plus vaillant
chevalier qui réussit à l’épreuve doit être soumis à Morgane qui représente le délice de l’amour et
l’éternel printemps. C’est le désir de l’amour qui enferme l’amant. Morgane, sa nature « asociale »
concrétise la domination de l’amour.
Comme Madame Harf l’a analysé(44), les amours de deux fées, Morgane et la Dame du Lac
font allusion à une autre opposition entre deux types de personnages féminins du roman médiéval. La
dame courtoise que l’on gagne par sa prouesse et la fée qui entreprend la conquête d’un chevalier. La
seconde se confond avec la fée « morganienne », qui veut attirer l’homme dans son troublant paradis.
L’une offre un amour rassurant mais incomplet parce que prisonnier de valeurs sociales; l’autre
dispense un amour infini mais inquiétant parce qu’il exige une rupture avec le monde de la réalité.
Conclusion
En premier lieu, l’amour courtois dans Lancelot en prose, est l’amour civilisateur.
Guenièvre et La dame du Lac encouragent l’acte vaillant. Au contraire, Galehaut et Morgane qui
veulent retenir Lancelot qui veut s’écarter, représentent les autres sentiments amoureux. L’amour
passionné de Galehaut déclenche sa mort. Son amour est destructeur et fatal. Il ne peut pas guérir sa
maladie de coeur. L’amour que propose Morgane dans ses séjours enchantés fait renoncer à la
prouesse. Cet amour « asocial » entraîne la rupture avec le monde. Les aspects négatif de l’amour est
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ainsi présentés par « recreantise » et « jalousie ». Si un chevalier est amoureux, il est difficile de
s’éloigner de cette crise. Car l’amour ne peux pas être complètement séparé de la jalousie. À cause de
la jalousie et des inquiétudes, les amants veulent retenir leurs amis près d’eux. Mais, s’il s’efforce de
s’élèver mieux, il ne devait pas rester dans un endroit. Donc, d’être un parfait amant, il faut toujours
aller et chercher les aventures. Les règles de comportements pour la chevalerie est égales à celles
pour l’amour.
Comme Mireille Séguy a remarqué, Lancelot est sans cesse en instance d’égarement
psychologique(45). Au long de ces égarements, le lieu d’aventure risque de devenir la prison. Cet
enfermement représente la psychologie de l’amant. Cette prison, soit un verger soit un île, non
seulement suscite la joie sensuelle, mais aussi la peur. Tel est le cas de la Joie de la cour, cette
merveille provoque la peur (v.5725) à cause des pieux aiguisés coiffés des têtes coupées.
Deuxièmement, les personnages, par exemple, Morgane et Galehaut rehaussent la figure de
l’amant Lancelot, puisqu’il existe aussi des amants qui n’arrivent pas au même niveau. De plus,
l’auteur du Lancelot y ajoute aussi l’amitié de compagnonnage qu’exprime passionnément Galehaut
et l’amour que la confidente de la reine, la dame de Malhaut éprouve pour Lancelot. Le contraste de
ses sentiments nous montre une sorte de la hiérarchie des amants. Les diverses aventures répètent et
reprennent un schéma quasi-identique. Ces épisodes forment des variantes et des répétitions. Je cite
comme exemple, l’aventure des deux amants noyés. La jeune fille montre un chevalier mort armé de
toutes ses armes et une dame morte. Lancelot a réussit de retirer les deux corps. Ce récit de l’amour
malheureux commence par la formule « Il est voirs » (t.4, p.356-359). Cet histoire concerne l’amour
adultère. L’époux de cette dame est un traître. Il tua son amant par traîtrise et le jeta du haut d’un
rocher. Cette dame le chercha et monta sur le rocher. Elle pria Jésus-Christ. Elle jura qu’elle n’était
jamais coupable d’aucune vilanie envers son époux. Grâce à cette prière, elle a trouvé son amant
mort, elle le rejoignit du haut de la roche. Cette justification de la dame est reprise presque de la
même manière par Guenièvre(46). Il nous semble que la reine joue sur l’ambiguïté entre l’amour et la
« druerie ». Druerie signifie également l’ami et l’amitié et l’amour. Au contraire du faux-fuyant de
Yseult accusée d’adultère, il est clair que Gunièvre se justifie en raisonnant et en montrant ses
qualités impeccables de son ami. Elle sait clairement pourquoi il mérite d’être aimé.
Enfin, Lancelot constitue une image réconciliante de la passion, en contrepoids à Tristan qui
est victime de la passion fatale. Ce type de l’amour fatal est aussi présent dans le Lancelot en prose.
Caracados s’écrie. « Ah! Dieu, voilà ma morte venue! Il m’a trahi, l’être que j’ai aimé plus que moimême. » (t.4, p.387). En revanche, l’amour de Lancelot est fondé sur un choix raisonné et une
élection motivée.
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Notes
(1) FRAPPIER Jean, « Vues sur les conceptions courtoise dans les littératures d’oc et d’oïl au XIIe
siècle », Cahiers de Civilisation Médiévale, no 2, 1959, pp.135-156.
(2) FARAL Edmond, Recherches sur les sources latines des contes et romans courtois du Moyen Age,
Paris, Champion, 1983(3ème), pp.133-143.
(3) « Je cite un exemple très connu dans Cligés. ⁄ Mes la mer l’angingne et deçoit. ⁄ Si qu’en la mer l’amor
ne voit;. ⁄ An la mer sont, et d’amer vient,. ⁄ Et d’amors vient le max ques tient. » (Cligés, éd. Alexandre
Micha, Paris, Champion, 1957, vv.541-544)
La reine s’aperçoit des changements de couleurs que l’amour suscite chez Soredamor et Alexandre. Ils
perdent leurs couleurs et pâlissent. Mais, elle tient ce changement et ces maux pour « mal de mer ». En
réalité, leurs peines viennent de « l’amour ». Cette méprise montre que les souffrances que manifestent
les amants sont similaires au maladies physiques. A propos des physionomies des amants, le texte
précédent de cette citation énumère « descolorer et anpalir (perdre ses couleurs et pâlir) ».
(4) Le maître Hélie décrit 3 type de maladie de coeur. (t.3, éd. François Mosès, 1998, p.119-121). Il
explique les effets traditionnelles de l’amour. Au milieu de toutes ses joies, l’amant ressent beaucoup
d’amertume et de peines. Il se courrouce, il tremble de perdre ce qu’il aime, ce sont autant de douleurs
qui pénètrent dans le coeur et ne lui permettent pas guérir. La maladie d’amour est la plus dangereuse,
car il arrive souvent que le cœur ne veuille pas de la guérison. Un noble coeur a de la peine à se rétablir
de cette maladie, parce qu’il préfère son mal à la santé(t.3, p.121).
(5) FARAL, op.cit., p.144.
(6) FARAL, op.cit., p.117. Dans Enéas, le dialogue entre Torcon et Camille utilise cette métaphore
érotique.
Femme ne se doit pas combattre,
se par nuit non tot an gisant;
(Enéas, éd. J.-J. Salverda DE GRAVE, Paris, Champion, 1925, vv.7076-7078)
(7) « Militat omnis amans et habet sua castra Cupido;» (Ovide, Les Amours, I, éd. Henri Bornecque, Paris,
Les Belles Lettres, 1989 (5ème), 9.1)
« Principio, quod amare uelis, reperire labora,
Qui nova nunc primum miles in arma venis. » (Ovide, L’Art d’aimer, éd. Henri Bornecque, Paris, Les
Belles Lettres, 1924, I, 35-36)
(8) D’après Faral, Ovide compare l’amoureux qui cherche à se faire aimer et l’amour lui-même au
chasseur qui tend des pièges. Ovide compare encore l’amoureux à un pêcheur qui tende ses lignes.«
semper tibi pendeat hamus » (Ovide, Art d’Aimer, III, 425). Cette partie de l’Art d’Aimer (vv. 421-428)
également compare la recherche de son amie à la chasse. Cf. FARAL, op.cit., pp.143-150. André le
Chapelain(Chapitre III, Livre I) rattache aussi pour le sens le verbe amare (aimer) au verbe hamare
(prendre à l’hameçon). De même, Isidore de Séville, dans ses Etymologies, avait fait dévier amicus du
nom hamus. Les amis tiennent donc leur nom de hamus parce qu’ils sont attachés l’un à l’autre.
(Etymologies, X,L,5). Les jeux de mots, sur amour, aimer, et hameçon, crochet, pêcheur à l’hameçon
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sont fréquents dans toute la littérature du Moyen Age. Cf. André le CHAPELAIN, Traité de l’amour
courtois, trad. C.Buridant, Paris, Klincksieck, 1974, pp.49-50.
(9) « Dame, fait il, votre merci. Dame, fait il, se vos plaisoit, ge me tandroie en quel que leu que ge alasse
por votre chevalier .»« Certes, fait ele, ce voil ge mout. »« Dame, fait il, des or m’en irai a vostre
congié. ». « A Deu, fait ele, biax douz amis. (t.1, p.458)»
Ici, l’appelation « ami » et « vostre chevalier » ont l’autres signification que celle d’habitude qui
s’applique au vasselage.
« Or les menez, fait li vallez, a la cort monseignor lo roi Artu, si dites a madame la reine que li vallez
qui va por lo secors a la dame de Nohaut les li envoie. Et li dites que ge li ment que, por moi gaaignier a
tozjors, que ele me face chevalier, si m’envoit une espee com a celui qui ses chevaliers sera, car
messires li rois ne me ceint point de l’espee qant il me fist ier chevalier.» (t.1,480)
(10) “Lors consoille a un des escuiers qu’il enport s’espee autresin, car il bee a estre chevaliers d’autrui
main que de la lo roi. (t.1,p.456) » . « L’escu, fait il vallez, et la lance prandrai ge mout volentiers, mais
l’espee ne puis ge ceindre, ne ne doi, tant que ge n’avrai autre commandement. » (t.1,476)
(11) « mais il n’a talant de retorner, car il n’atant pas estre chevaliers de la main lo roi, mais d’un[e]
autre dont il cuidera plus amander..» (t.1, p.460)
(12) «Qui amer vialt, crienbre l’estuet, ⁄ Ou autrement amer ne puet;, ⁄ Mais seul celui qu’il aimme dot, ⁄ Et
pour li soit hardiz pabrtot. » (Cligès, 3855-3858)
(13) FRAPPIER Jean, op. cit., p.156.
(14) « Dame, fait il, ge ving devant vos qant ge oi pris congié de monseignor lo roi, toz armez fors de mon
chief et de mes mains, si vous commandai a Deu et dis que j’estoie vostre chevaliers an quel qe leu que
ge fusse. Et vos deïstes que vostre chevaliers et vostre anmis voloiez vos que je fusse. Et ge dis: « A Deu,
dame. » Et vos deïstes : « A Deu, biaus douz amis. » Ne onques puis do cuer ne me pot issir. Ce fu li moz
qui prodom me dera se gel suis. Ne onques puis ne vign an si grant meschief que de cest mot ne me
manbrast. Cist moz m’a conforté an toz mes anuiz, cist moz m’a de toz mes maus garantiz et m’a gari de
toz periz; cist moz m’a saolé an totes mes fains, sict moz m’a fait riche an totes mes granz povretez. »
(t.1, 888).
(15) HARF-LANCNER Laurence, Les fées au Moyen Age, Morgane et Mélusine, la naissance des fées,
Genève, Slatkine, 1984, p..308.
(16) Viviane qui enferme Merlin et cause sa ruine est aussi une figure de la fée qui n’est pas tout à fait
bienveillante.
(17) Madame Harf a bien vu que cette protectrice de l’enfant est connue dans la légende irlandaise. HARFLANCNER Laurence, op. cit., p.299.
(18) “Et sachiez que je [Dame du Lac] ne l’ain fors por pitié de norreture, et por lui vos ains ge.”(t.2,
p.546). Cf.HARF-LANCNER Laurence, op. cit., p.303.
(19) L’ami de Dame du Lac est signalé deux fois. Cf. (t.1, p.310) (t.2, p.547).
(20) HARF-LANCNER Laurence, op. cit., pp.266-267
(21) « Certes, fait Gualehoz, chevaliers iestes vos, li miaudres qui soit. Et vos iestes li hom el monde cui ge
miauz voudroie honorer, si vos sui venuz requerre an toz guerredons que vos venoiz hui mais herbergier
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o moi. »
(22) FRAPPIER Jean, « Le personnage de Galehaut dans le Lancelot en prose », Romance Philology, t.17,
1963-64 , p.552.
(23) Et quant Galehoz sot que il estoit andormiz, si se coucha delez lui au plus coiement que il pot, et deus
de ses chevaliers es autres deus; ne laianz n’ot plus de totes genz. La nuit dormi li chevaliers mout
durement et tote nuit se plaignoit an son dormant. Et Galehoz l’ooit bien, car il ne dormoit gaires, ainz
pensa tote nuit a retenir lo chevalier. (t.1, p.840)
(24) André le CHAPELAIN, Traité de l’amour courtois, trad. C.Buridant, Paris, Klincksieck,
1974,Chapitre II, de Livre I, pp.48-49.
(25) Le roman adapte le rite antique de l’échange des sangs dans certaines sociétés de compagnonnage.
Pour affronter les saxons, gauvain prie de Lancelot de lui accorder son p.163 compagnonage. Ils pactent
avec leur sangs. En outre, Gauvain envoya le sang de Lancelot à son frère. « Et nos nos ferons lo matin
seignier chascuns do destre braz. » Et Lancelot dit que il ne fu onques seigniez, mais par amor de lui lo
sera il. (t.2, p.502)
(26) FRAPPIER Jean, op. cit., p.545.
(27) Cf. L’autre version de la mort de Galehaut, Lancelot du Lac, (t.2, p.683-685). L’annonce fausse de la
mort de Lancelot déclenche une fièvre violente qui l’emporte en 2 jours.
(28) « C’est maus d’amor. Amors est une chose qui vient de fine debonairetié de cuer par le porchaz des
oilz et des oreilles. » (t.3, p.120)
(29) « Dame, fait Galehauz, granz merciz. Et ge vos pri que vos li donoiz vostre anmor et que vos lo prenez a
vostre chevalier a tozjorz et devenez sa leiaus dame a toz les jorz de vostre vie. Et puis si l’avrez fait plus riche
que se vos li avoiez doné tot lo monde. » « Ainsi, fait ele, l’otroi ge que il soit toz miens, et ge tote soe, et que
par vos soient amandé li meffait et li trepas de covenanz. »(t.1, 894). Pour le premier gage, « Dame, fait
Galehoz, granz merciz. Donc lo baissiez devant moi par comancement d’amors veraie. » (t.1, 894)
(30) La reine demande alors à la dame de Malhaut si elle aime quelqu’un d’amour.
« Et sachiez bien, fait ele, dame, que onques n’aimai par amors que une foiz, ne de celi amor ne fis ge
que lo penser. » Et ce dist ele de Lancelot que ele avoit tant amé comme nus cuers puet plus amer autre.
(t.1, 904).
(31) « Ge vos demant se vos amez par amors dame ne damoisele qui de vostre amor soit saisie. » (t.1, p.904)
« Dame, fait Galehauz, veez ci lo cuer et lo cors, si an faites a vostre commandemant autresi com j’ai
mis lo vostre la ou ge voloie. » (t.1, 906).« Galehot, sire chevaliers, ge vos doign a ceste dame com verai
ami leial et anterin et de cuer et de cors. Et vos, dame, doin ge a cest chevalier com liaus amie de totes
veraies amors. » (t.1, 906-908)
(32) « Et la dame de Malehaut en par fist duel trop angoiseus, car ele l’amoit de si grant amor, com nus
cuers pot plus amer autre. » (t.2, p.682)
(33) « Dame, fait il (Galehaut), g’en ai tant fait que ge dot que vostre proiere ne me toille la rien o monde
que ge plus ain. » (t.1, p.868).« C’est la chose, fait ele, par coi ge dot que vos ne faisiez greignor chiere.
Et si est totjorz la costume que la dessirree chose est totjorz la plus veé, et si i a de tex genz qui a autrui
font a enviz aaise de la chose que il plus aimment. Et neporqant n’aiez mies paor, que ja par moi ne
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perdroiz rien que vos i aiez aüe. » « Dame, fait Galehoz, granz merciz, car ge cuit que vos me porriez
plus aidier que ge vos. » (t.1, p.870)
(34) Dans Livre II, André le Chapelain a remarqué que de la jalousie renaîtra l’amour. La XXIème règle
dit que la vraie jalousie fait toujours croître l’amour. Cf, André le CHAPELAIN, Traité de l’amour
courtois, trad. C.Buridant, Paris, Klincksieck, 1974, p.183.
(35) « La nuit ne soffri onques la reine que la dame de Malohaut geüst onques se avec lui non. Et cele i jut
mout efforciee, car mout dotoit a gesir avec si haute dame. Et quant eles furent couchiees, si
commancent a parler de ces noveles anmors. » (t.1, pp.902-904)
(36) Cf. André le Chapelain Traité de l’amour courtois, op.cit., p.163. Bien sûr, un précepte édicte que
l’amour ne doit pas être divulgué. Mais, il dit que lorsque deux amants s’aiment, leurs passions peut être
connue par trois personnes en dehors d’eux-mêmes. car un amant a le droit de trouver par son amour un
confident qui lui convienne, auprès de qui il puisse trouver un secret appui dans les affaires de coeur, et
qui lui offre sa sympathie dans les moments difficiles. Il est aussi permis à bien-aimée d’avoir une
confidente semblable.
(37) COMBES Annie, Les voies de l’aventure, réécriture et composistion romanesque dans le Lancelot en
prose, Paris, Champion, 2001, pp.196-197.
(38) HARF-LANCNER Laurence, Les fées au Moyen Age, Morgane et Mélusine, la naissance des fées,
Genève, Slatkine, 1984, pp.360-364.
(39) PHILIPOT Emmanuel, « Un épisode d’Érec et Énide: La joie de la cour-Mabon l’enchanteur »,
Romania, t.25, 1896, pp.258-294.
(40) HARF-LANCNER Laurence, op. cit., pp.361-362.
(41) CURTIUS Ernst Robert, La littérarure européenne et le Moyen Age latin, traduit. par Jean Bréjoux,
Presses Universitaires de France, 1956, pp.317-322.
(42) Dex, ceste criemme don li vient, ⁄ C’une pucele seule tient, ⁄ Sinple et coarde, foible et quoie? ⁄ A ce me
semble que je voie ⁄ Les chiens foïr devant le lievre, ⁄ Et la turtre chacier le bievre, ⁄ L’aigle le lou, li
colons l’aigle, ⁄ Et si fuit li vilains sa maigle, ⁄ Dom il vit et dom il s’ahane, ⁄ Et si fuit li faucons por
l’ane, ⁄ Et li gripons por le heiron, ⁄ Et le lyon chace li cers, ⁄ Si vont les choses a envers. ⁄ Mes volontez
an moi s’aüne ⁄ Que je dïe reison aucune ⁄ Por coi ç’avient a fins amanz ⁄ Que sens lor faut et hardemanz
⁄ A dire ce qu’il ont an pans, ⁄ Quant il ont eise et leu et tans. (Cligès, op. cit.,, vv.3799-3818)
(43) « Amors me tient en sa baillie; ⁄ ne sai comant gel contredie; ⁄ ce que il viaut que ge nel face ⁄ ne por
destroit ne por menace. ⁄
Qui contre aguillon eschaucire ⁄ dous feix se point, toz jors l’oi dire. ⁄ Ge ne l’os mie correcier, ⁄ car del
tot sui en son dangier. ⁄ Amors, ge sui en ta baillie, ⁄ an ton demoinne m’as saisie. » (Enéas, op.
cit.,,vv.8647-8656)
(44) HARF-LANCNER Laurence, op. cit., pp.314-315.
(45) Lancelot, dirigé. par Mireille Séguy, Paris, Autrement, 1996, p.17.
(46) « Et tant sache Diex, fait elle, et tous li mondes ke je n’oi onkes a Lanselot ne il a moi amour vilainne,
mais de mes drueries avoit il tant com nus chevaliers em peust avoir et plus, et ki refusast tel dru a avoir
comme il estoit, qui estoit li plus biax et li mieudres des biaus et des bons, (...) » (t.4, p.406-8)
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