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Epreuve de synthèse de documents (3h) Exemple de sujet – Admission en 4ème année L'écologie a-t-elle une place dans l'économie ? Document n°1 La lutte contre le réchauffement climatique : une facture modeste, mais redoutable à répartir Chronique de Jean-Pierre Robin (journaliste économique) parue dans Le Figaro le 15 octobre 2007. L'argent peut sauver la planète. C'est le pari, stimulant et tonique, que fait Nicholas Stern, l'un des directeurs du Trésor britannique et économiste de renom. Le chancelier de l'Échiquier, Gordon Brown, et le premier ministre Tony Blair lui avaient demandé un rapport sur les conséquences économiques du réchauffement climatique et les moyens d'y remédier. Loin de remettre en cause le diagnostic des scientifiques, son originalité a été de chiffrer en espèces sonnantes et trébuchantes les effets du réchauffement - de 2-3°, voire 5-6° d'ici à 2 100 - sur l'activité et le bien-être de l'homo oeconomicus. L'alternative que sir Nicholas propose à la communauté internationale est simple. Ou les 192 États membres de l'ONU investissent 1 % de leurs richesses produites chaque année (le PIB mondial) d'ici à 2050 dans de nouvelles technologies, soit 275 milliards d'euros l'an, et ils pourront enrayer les émissions de dioxyde de carbone. Celles-ci ont d'ores et déjà augmenté de moitié en deux siècles, depuis la révolution industrielle qui fut avant tout une révolution énergétique. Ou les nations ne font rien, mais alors le changement de climat risque d'entraîner une récession économique comparable à la crise de 1929 et aux conséquences cumulées des deux guerres mondiales du XXe siècle. Le rapport Stern évalue l'ampleur des dégâts prévisibles à 5 500 milliards d'euros, le cinquième du PIB (produit intérieur brut) mondial. C'est une façon commode de synthétiser en un seul chiffre les catastrophes naturelles et humaines destructions physiques et chimiques, épidémies, exodes qu'il faudrait affronter. Qui ne souscrirait à tel contrat pour éviter l'apocalypse ? Loin d'être monstrueuses, ces estimations sont au contraire rassurantes par leur modestie 1 même. L'effort de prévention proposé, 1 % du PIB mondial, représente 45 euros par an pour chaque habitant de la terre. Il n'est pas nécessaire d'invoquer le principe de précaution pour démontrer le bien-fondé d'un tel pacte : il repose sur le mécanisme de l'assurance que chacun d'entre nous applique dans sa vie quotidienne. Pas besoin non plus d'être un écologiste militant pour comprendre qu'il est recommandé d'entretenir sa résidence : selon un vieil adage français du bâtiment « on repaie sa maison tous les quarante ans » en raison des travaux de réparation que tout propriétaire se doit de réaliser. Faut-il rappeler que l'économie et l'écologie sont pratiquement la même chose si tant est que les mots aient un sens ? Dans les deux cas, il s'agit de gérer sa maison (éco, oikos en grec), en tant que telle (l'économie), ou dans ses relations avec son environnement (l'écologie). Nicholas Stern, qui fut l'économiste en chef de la Banque mondiale avant d'occuper ses fonctions actuelles au RoyaumeUni, adopte un raisonnement comparable au pari de Pascal sur l'existence de Dieu : dans tous les cas de figure on ne sera jamais perdant à s'engager. Que le risque d'apocalypse écologique soit réel ou exagéré. Mieux, les actions à entreprendre pour réduire les émissions de dioxydes de carbone, en particulier les investissements dans de nouvelles technologies économes en énergies fossiles, pourraient constituer un facteur de prospérité. Au lieu d'une charge équivalente à 1 % du PIB, la lutte contre le réchauffement pourrait même entraîner un surplus de croissance de 2 % l'an. On touche là l'une des ambiguïtés de la notion de « richesse économique » telle qu'elle est aujourd'hui exprimée à travers le PIB. Toute production est considérée comme un plus, y compris les réparations des dégâts sur notre environnement. Ainsi une marée noire ne sera pas enregistrée comme une destruction qui nous appauvrit, mais les travaux de pompage participeront quant à eux à la croissance du PIB ! Étrange paradoxe que la façon dont nous mesurons notre bien-être collectif. Il ne faut pas s'y méprendre, ces lacunes de la comptabilité vont bien au-delà d'un simple problème de mesure : elles entraînent un dysfonctionnement majeur de notre système économique. Le rapport Stern le dit en des termes violents : « Le changement climatique est la plus grande faillite de l'économie de marché que le monde ait jamais connue. » La solution qu'il propose vise précisément à rectifier cette anomalie en réintégrant les dégradations faites à l'environnement naturel et à la santé humaine dans le fonctionnement du marché. C'est la technique bien connue des « permis d'émission de gaz à effet de serre ». En d'autres termes, il s'agit de « mettre un prix sur le carbone », et faire en sorte que ce prix s'applique à la totalité des acteurs mondiaux, riches ou pauvres : « La fixation d'objectifs ambitieux pour les pays riches pourra rapporter des dizaines de milliards de dollars chaque année aux pays en développement pour les aider à adopter des modes de production à faible émission de carbone. » Or il y a urgence : dès 2015, la Chine et l'Inde réunies dépasseront les émissions de dioxyde de carbone des États-Unis, et celles de l'Union européenne ne compteront que pour 14 % de l'ensemble mondial. On le voit, les aspects économiques du réchauffement climatique cristallisent quelquesuns des affrontements les plus sensibles de l'heure. Entre le Nord et le Sud, mais également entre les générations : les efforts de prévention les plus coûteux se conjuguent au présent alors que les résultats s'en feront sentir dans le futur. Il s'agit également d'établir des normes mondiales, les mêmes pour tous, alors que les niveaux de richesse varient de un à deux cents entre les habitants du Tchad ou de l'Éthiopie d'un côté et ceux de la Norvège ou des ÉtatsUnis de l'autre. Vraiment la même planète pour tous ? Document n°2 Sukhdev, très chère nature Par LAURE NOUALHAT (journaliste). Article paru dans Libération le 5 janvier 2009. En 2009, la nature aura-t-elle enfin un prix ? C’est la mission de Pavan Sukhdev, en charge de l’élaboration d’un rapport pour le compte de la Commission européenne qui doit être publié au cours de l’année. Pavan Sukhdev vit à Bombay, où il dirige la filiale indienne de la Deutsche Bank consacrée aux marchés financiers de l’Asie-Pacifique. Depuis un an, il a mis sa carrière financière entre parenthèses pour se consacrer à la nature et devenir le Nicholas Stern de la biodiversité. Souvenez-vous, en 2006, l’ancien économiste de la Banque mondiale publiait un rapport chiffrant à plus de 5 500 milliards de dollars annuels l’impact des changements climatiques sur l’économie mondiale si l’on ne faisait rien. «Boussole». A cette époque, les conclusions du rapport avaient permis de mobiliser la classe politique et le monde des affaires. Pavan Sukhdev, 49 ans et allure impeccable de banquier, a 2 reçu la même mission : donner une valeur à la biodiversité. «On ne peut pas gérer ce qu’on ne sait pas mesurer», affirme-t-il. Son objectif : «Procurer une boussole aux dirigeants de ce monde pour qu’ils aillent dans la bonne direction.» Cette année, Pavan Sukhdev doit dévoiler la facture de la dégradation des écosystèmes. Dans son rapport d’étape, publié en juin, le financier signalait qu’en cas d’inaction, celle-ci s’élèverait au minimum à 7 % du PIB mondial par an en 2030. Il explique que 60 % des écosystèmes sont déjà dégradés, que le rythme de disparition des espèces depuis cinquante ans est infernal et que 10 % des espaces naturels sont voués à la disparition. «Les germes de la guerre sont semés en temps de paix», a-t-il prévenu lors de son passage à Paris, en novembre. «On me demande souvent quel sera le prix de la perte des écosystèmes, mais je répète que ce prix est infini. Dans le même temps, nous devons très vite attribuer une valeur économique aux services rendus par la nature. Celle-ci existe, mais on ne la prend jamais en compte.» «Pas suffisant». Il aime citer l’économiste Adam Smith, père de la doctrine classique, qui mentionnait déjà dans La Richesse des nations (1776) quelques incohérences économiques : «Ce qui est très utile - l’eau, par exemple - n’a pas toujours une grande valeur et tout ce qui a beaucoup de valeur - par exemple les diamants - n’est pas forcément très utile.» Depuis la crise, Sukhdev ne cesse de répéter que «le capitalisme ne sera pas suffisant pour demain», sans aller jusqu’à prôner la décroissance mais plutôt une économie verte. Document n°3 Le prix de la biodiversité et le coût de la répugnance morale Par Sacha Bourgeois-Gironde (philosophe), Yves Doazan (chargé d’études), Charles Figuières (économiste). Article paru dans Les Échos du 17 janvier 2011. La pollinisation est évaluée à 131 milliards de dollars pour 2005 (presque un dixième de la valeur annuelle du produit agricole mondial), celle des récifs coralliens de l’Etat d’Hawai 360 millions de dollars par an. Plus globalement, l’érosion de la biodiversité nous coûte entre 1 350 et 3 100 milliards d'euros chaque année – soit davantage que les 1 150 millions d'euros de pertes bancaires estimées par le FMI pour la récente crise financière ! Rendre ainsi visible la contribution de la nature à la sphère économique, c’est produire de l’information qui peut ensuite nourrir des analyses coûts-avantages (ACA) et justifier la mise en place de divers instruments susceptibles d’orienter nos choix vers des futurs plus respectueux de la nature. la répugnance à accorder une valeur monétaire à certains biens non marchands. Vers quelle pente dangereuse glisserait-on en procédant à leur évaluation monétaire ? Risque-t-on de créer un précédent dangereux ? Certains pays ont légalisé un marché pour la transplantation des reins (le Japon, l’Iran) car cela peut, dans certaines circonstances, être un moyen efficace de réduire les problèmes de pénurie. Mais on peut craindre que le marché ne réussisse trop bien. Il pourrait en effet conduire à l’exploitation de vendeurs d’organes pauvres. Si mes organes acquièrent un prix, qu’est-ce qui empêche d’en faire ensuite des cautions bancaires ? A contrario, on a pu constater parfois que le fait de rémunérer le sang avait pour conséquence une baisse des dons. Des objections similaires prévalent,mutatis mutandis, contre l’analyse en termes économiques de la valeur des écosystèmes. Donner un prix à la pollinisation n’est-il pas le premier pas vers la cotation des ruches en bourse ? Va-t-on assister à une course vers un or « vert », accentuant le dépouillement des richesses Ce rapport suscite des questions de méthode mais aussi un débat de morale. Peut-on, ou doit-on, donner un prix à la nature ? Ce type d’objection n’est pas nouveau. Il s’est déjà exprimé en d’autres circonstances, par exemple lors de l’utilisation des méthodes ACA dans le domaine de la santé. Il y a de 3 naturelles des pays en développement par les pays riches ? échelle numérique commune sans leur faire transgression. Et même lorsqu’une seule valeur est en jeu, il se peut qu’un conflit moral apparaisse parce qu’on ne peut éviter une conclusion tragique. C’est ce que le philosophe théoricien de la décision Isaac Levi a appelé un « choix difficile. » Refuser les arbitrages, c’est opter pour un scénario au fil de l’eau, peu favorable à la nature Un cas extrême a été popularisé dans le roman de W. Styron (1977), par le choix de Sophie : une mère, sous la menace d’un nazi, doit décider lequel de ses deux enfants ira immédiatement au crématoire pendant que l’autre pourra continuer à vivre. Face à de telles situations, le diptyque « préféré à » et « indifférent à » n’épuise pas le champ des relations entre deux projets A et B. On peut songer aussi à l’énoncé « A et B ne sont pas comparables » ; ou encore au cas indéterminé où « il est ni vrai ni faux que A et B soient comparables. » Ces objections sont tout à fait pertinentes. Mais cette rhétorique est moins convaincante lorsqu’il s’agit, au-delà des critiques, de proposer quelque chose. Car nous parlons bien de situations où des choix doivent être faits, d’une manière ou d’une autre. En l’absence de contraintes sur la réflexion éthique, il va sans dire qu’il n’y aurait pas de débat. Face à un choix difficile, il est tentant de tergiverser, de ne pas choisir. Mais refuser les arbitrages, c’est opter pour un scénario au fil de l’eau, peu favorable à la nature, nous le savons. Alors que faire dans le cas qui nous préoccupe ? Le choix pourrait résulter d’allers et retours, de tâtonnements, où valeurs et contraintes tantôt s’affrontent, tantôt dialoguent. Les options aux conséquences manifestement absurdes sont éliminées, les déontologies trop floues pour arrêter des choix précis sont affinées, etc. Supposons que ce type de réflexion converge, comme cela a pu être le cas – même de manière timide – à Cancun. Peut-être une valeur supérieure a-t-elle émergé ? Quoi qu’il en soit, un choix est fait. Mais il ne s’appuie pas sur une échelle numérique ou une échelle de prix. Certains observeront que ce n’est qu’une façon, implicite, de dire qu’un classement est décidément possible. Mais ce dernier, d’une nature particulière, conduit à s’interroger à la fois sur sa cohérence et sur son acceptabilité. Sur sa cohérence, contrairement à ce que préconise la doctrine utilitariste, ce qui est jugé moralement Pour partie, ces réticences tiennent à des malentendus qu’il faut s’employer à dissiper. Mettre un prix sur les choses ne veut pas forcément dire créer des marchés, et quand bien même, on peut les assortir de « gardes-fous. » Mais ces clarifications n’épuisent pas le sujet. Elles ne traitent que des dérives sur l’aspect instrumental de la question, pas de son fondement. C’est un peu comme si on cherchait à améliorer le thermomètre, quand il faudrait discuter de l’intérêt du concept de chaleur. L'arrière-plan philosophique du problème est l’application de la doctrine « utilitariste » à la biodiversité. Et, plus fondamentalement encore, il est de savoir si cela a un sens de hiérarchiser des options qui impliquent la biodiversité, comme lorsqu’il faut choisir entre préserver un site naturel ou, sur le même terrain, construire un hôpital pédiatrique. L’aboutissement de cette démarche philosophique prend une apparence économique : la détermination d’un système de prix. Or, dans l’esprit de chacun, les prix divisent le monde en deux catégories : celle des biens marchands et les autres. Si, dans la première, on trouve les choses vulgaires, dans la seconde peuvent se loger les choses nobles, sacrées. Le fait d’accorder un prix ou, au contraire, de soutenir que quelque chose n’a pas de prix est une manière de définir la frontière entre nos valeurs intangibles et ce sur quoi nous sommes prêts à transiger. Quiconque réfléchirait à sa relation avec un ami ou avec son conjoint en termes de bénéfices monétaires réalisés à travers cette relation nous apparaîtrait comme n’ayant rien compris aux valeurs de l’amitié ou du mariage. Donner un prix à la biodiversité semble nier le caractère noble, sacré, que nous sommes prompts à donner à la nature et signaler que nous n’avons rien compris aux valeurs qu’elle est censée véhiculer. Plus généralement, la répugnance morale tient à la mise en balance de choses réputées incommensurables, voire incomparables. C’est le cas lorsque les options soumises au choix peuvent être porteuses de plusieurs valeurs (bonheur, liberté, justice, loyauté, amour, amitié, fraternité, beauté, intégrité, respect de la vie, connaissance, plaisir, etc.), qu’il semble impossible d’aligner sur une 4 souhaitable n’est pas forcément « calculé. » Et dans un tel processus, plusieurs valeurs ont pu être mobilisées. Celle qui a prévalu dans ce choix-ci ne sera pas forcément celle qui l’emportera ailleurs. En bref, pas de cohérence par rapport à une valeur suprême et pas forcément de classement transitif. C’est gênant dès lors qu’il faut indiquer, dans un menu qui comporte au moins trois options, quel est le choix optimal ? A peut-être déclaré mieux que B, B mieux que C, et pourtant C peut s’avérer mieux que A. Sur son acceptabilité, le processus a pu faire violence au « décideur » qui entre deux maux a opté pour le moindre, sans enthousiasme ou adhésion. Difficile de s’appuyer sur un tel ressort psychologique pour éviter le rejet d’une décision politique. Mais en définitive ces objections sur l’incommensurabilité ont-elles disqualifié les prix ? Absolument pas. Le processus de choix alternatif peut fort bien les utiliser aussi, non pour dicter un choix mais pour éclairer les contraintes. Pour Sophie, le refus de choisir signifiait perdre ses deux enfants au lieu d’un seul. Pour la biodiversité, il ne pas oublier que la répugnance morale a un coût. En première approximation, c’est le prix de la biodiversité ! Document n°4 Verdir le PIB, c'est délicat mais... Jean Gadrey (économiste), article paru le 10 mars 2008 sur le site d'Alternatives Économiques Parmi les sujets que traitera la future commission Stiglitz-Sen chargée de réfléchir à de nouveaux indicateurs « au-delà du PIB », on trouvera probablement l’examen des « PIB verts ». La plupart des économistes et des comptables nationaux les rejettent, parce qu’ils sont truffés d’incertitudes méthodologiques et de conventions discutables. Quant aux écologistes, ils ont tendance à s’en méfier, pour d’autres raisons, qui tiennent notamment aux risques que comportent les évaluations en unités monétaires de réalités hors marché : les dommages environnementaux ou les « services de la nature ». Ils préfèrent souvent les mesures ou indicateurs « physiques » des dégradations et des pressions écologiques. Cette double opposition peut aboutir à l’abandon des projets de PIB verts. Mais, avant de les rejeter, il faudrait en évaluer à la fois l’intérêt et les limites, en complément des indispensables indicateurs physiques. [...] L’idée qui préside à la construction des « PIB verts » est simple et séduisante : évaluons en unités monétaires ces réalités oubliées. Ajoutons au PIB courant (ou à la consommation courante) les valeurs estimées de certains grands facteurs de bien-être, et retranchons les coûts estimés des principaux dommages sociaux et écologiques associés à notre mode de croissance. L’appellation initiale de PIB vert, trop exclusivement écologique, a été par la suite remplacée par « indicateurs de bien-être économique durable » (IBEE), ou « indicateurs de progrès véritable » (IPV). Les résultats obtenus sont saisissants. L’IPV par habitant calculé aux Etats-Unis depuis 1950 a progressé jusqu’au milieu des années 1970, mais depuis cette époque, on a pratiquement un encéphalogramme plat, alors que le PIB par habitant a presque doublé : la richesse par habitant, si l’on y intègre les grandes variables oubliées par le PIB, stagne depuis trente ans. Elle serait d’environ 10 000 dollars par an (en dollars constants de 1996), soit LE QUART du PIB par habitant ! On ne dispose pas de calculs semblables pour la France. AVANTAGES ET LIMITES Parmi les avantages du PIB vert, il y a sa capacité d’être directement confronté au PIB, son inscription dans un espace de mesure familier, en unités monétaires. Mais le prix à payer pour parvenir à cette inscription est lourd, au point que certains estiment qu’il s’agit d’une soumission excessive à la logique des comptes économiques. [...] 5 La valorisation monétaire est délicate pour les variables environnementales. Prenons un exemple, l’un des plus importants : l’évaluation des coûts des émissions de gaz à effet de serre, responsables du réchauffement climatique. Cela se résume souvent à la question : quel coût faut-il affecter à chaque tonne de carbone émise, afin de déduire ce coût du PIB, puisque cette émission induit et induira pendant des décennies des dommages écologiques ? Les deux réponses les plus courantes sont : 1) des « coûts d’évitement » des dommages, ici par exemple le coût de remplacement des sources d’énergie fossile (polluante) par des sources d’énergie renouvelable ; 2) des coûts estimés des dommages entraînés à terme par le réchauffement climatique. Cette dernière méthode est celle du très sophistiqué « rapport Stern », évaluant entre autres les pertes de PIB au cours du siècle liées à tel ou tel degré de réchauffement climatique, selon les régions du monde. Un obstacle majeur concerne la valorisation monétaire de certaines ressources naturelles dites renouvelables (dont le climat, l’eau, la biodiversité), pour lesquelles il existe des seuils absolus de dégradation à ne pas dépasser, sauf à créer des irréversibilités très dangereuses. Or les méthodes actuelles de valorisation monétaire sont dans l’incapacité d’intégrer ces seuils. Elles ne fournissent pas à temps des signaux d’alerte suffisamment forts, contrairement aux indicateurs physiques d’épuisement. Si l’eau des nappes phréatiques risque de disparaître, et avec elle la vie humaine qui en dépend, sa valeur monétaire estimée, quelle que soit la méthode, progressera peut-être avec la raréfaction de l’eau, mais elle ne pourra pas annoncer à temps une catastrophe écologique irréversible. Il en va de même du réchauffement climatique, au-delà de certains seuils, et de la biodiversité. DES « VALEURS-TARIFS » POLITIQUES POUR VERDIR LE PIB ? Une solution pourrait éventuellement permettre aux PIB verts de surmonter l’obstacle précédent. C’est l’intégration, dans leurs méthodes, de normes de coûts socio-environnementaux (par exemple par tonne de carbone émis, ou par hectare de zone humide ou de terre cultivée) issues de débats démocratiques (y compris des « conférences de citoyens ») sur les conditions du rétablissement d’équilibres écologiques satisfaisants à long terme. On commencerait par la détermination d’objectifs de réduction physique des pollutions et dommages. On débattrait alors de prix ou plutôt de « tarifs » à long terme suffisamment dissuasifs (ou punitifs) pour atteindre ces objectifs. Par exemple : à quel niveau porter la « valeur-tarif » du carbone d’ici 2050 pour diviser par 4 ou 5 les émissions ? Ces tarifs pourraient par ailleurs servir de base à des taxes (progressivement croissantes, pour laisser des temps d’adaptation, puis décroissantes si l’on s’éloigne des seuils à risques), utilisées à côté des normes, de la contrainte et des incitations comme outils des politiques de durabilité. Cette MONETARISATION POLITIQUE ET DEMOCRATIQUE d’objectifs de « soutenabilité forte » permettrait d’intégrer, en amont, des seuils à ne pas dépasser, en fixant les « tarifs de durabilité » non pas au fur et à mesure que l’on s’approche de l’inéluctable (ce que font toutes les méthodes de valorisation existantes), mais bien avant. On n’attendrait pas de toucher le fond du puits pour signaler, tarifs dissuasifs à l’appui, que l’on risque de manquer d’eau un jour. La valeur-tarif, intégrée dans ces « produits intérieurs durables », relèverait du politique, bien qu’elle soit exprimée en monnaie. Les économistes y perdraient leur statut de détenteurs de la vérité des coûts, mais ils pourraient coopérer utilement à ces innovations. 6