Olivier Adam interviewé par Laurence Desbordes

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Olivier Adam interviewé par Laurence Desbordes
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prix des lectrices 45
Je suis rassuré lorsqu’on me dit:
«c’est beau mais c’est dur»
biais du protagoniste principal, sa vie comme
l’époque qu’il traverse. Dans A l’abri de rien c’est
la même chose. Un discours macrocosmique ne
m’intéresse pas. L’intérêt c’est de proposer une
alternative à la connaissance du monde qui nous
entoure en passant par l’humain.
Avec son dernier roman «A l’abri de rien»,
Olivier Adam vient de remporter le Prix des Lectrices
edelweiss. Avant de venir à Lausanne pour recevoir
sa récompense, l’auteur a répondu avec pudeur et
modestie à nos questions. Rencontre avec un écrivain
qui vous redonne foi en la vie, l’amour et l’écriture.
Diriez-vous alors que ce roman,
comme certaines lectrices l’ont
pensé, est plus un livre sur la
dépression qu’un roman social?
Je suis toujours étonné de l’interprétation que
l’on fait de mes livres. En fait, je ne pars jamais
d’un thème précis lorsque j’écris mais plutôt d’une
image que j’ai en tête. Pour A l’abri de rien,
j’ai eu quasiment une apparition (il rit). J’ai
vu Marie, l’héroïne, quelque part entre Calais et
Sangatte, immobile, sur une plage, sous la pluie,
dans le froid. L’image de cette femme totalement
barrée, quasi extatique, ajoutée à celle d’un petit
garçon qui, de sa fenêtre, regarde sa mère s’enfoncer dans la nuit et qui ne s’endormira que lorsqu’elle rentrera, furent le départ de cette histoire.
Par Laurence Desbordes
Avant que votre premier roman «Je vais bien, ne t’en fais
pas» soit publié en 2000 aux Editions Le dilettante, que
faisiez-vous?
Rien de plus classique. Je suis né et ai vécu en banlieue parisienne, j’ai fait
Dauphine (ndlr.: grande université parisienne de gestion, économie et mathématiques) pour faire plaisir à mes parents et avoir la paix. Mais c’était clair, je
n’étais vraiment pas dans mon monde. J’étais perdu au milieu de cette jeunesse
dorée qui avait des posters d’Alain Madelin (ndlr.: homme politique français,
fondateur de Démocratie libérale) dans sa chambre (il sourit et rajoute «non
je plaisante»). C’est là, dans cet univers qui n’était pas le mien, que j’ai
rencontré ma compagne (ndlr.: Karine Reysset) et
mon ami Julien Bouissoux. On s’est reconnu dans
un monde hostile, et ce qui est amusant, c’est que
nous sommes maintenant tous les trois publiés aux
Editions de l’Olivier!
Comment en êtes-vous arrivé
à l’écriture?
Il est évident que j’ai pris des chemins de traverses
en faisant Dauphine, mais aussi en me passionnant pour la littérature contemporaine et la poésie
moderne. Mon premier choc véritable par rapport
aux mots, je l’ai ressenti en écoutant les grands de la
chanson: Manset, Bashung, Barbara, Brel, Brassens,
Murat, Miossec, Dominique A, puis plus tard, quand
j’ai pu le comprendre, Leonard Cohen. En entendant
ces voix-là, ces textes, j’ai réalisé que j’avais un
besoin impérieux de dire des choses et de faire de
l’écriture mon métier. Car même si je ne me prends
pas au sérieux, je prends la littérature, elle, très au
sérieux. Je n’écris pas de bouquin pour passer à la
télé et faire rigoler les autres. C’est un métier, c’est
mon métier, et ce même si je ressens ce besoin
d’écrire malgré moi, à mon corps défendant, et que
parfois cet appel obsessionnel me fait peur.
Message reçu. Mais pourquoi avoir
choisi Sangatte en toile de fond?
J’ai animé quelques ateliers d’écriture à Calais.
Evidemment, en étant sur place, j’ai été confronté
à ce que tout le monde peut y voir: des gens qui
n’ont plus rien et qui sont pris en otage entre la
France et l’Angleterre. J’ai pensé qu’un personnage comme Marie pouvait être le prisme idéal
pour entrer de plein pied à la découverte de ces
êtres qui ne sont même plus considérés comme
des migrants mais plutôt comme des statistiques,
des problèmes.
Pourriez-vous expliquer cet appel
des mots?
Le jour où j’ai commencé à écrire, j’ai brisé la vitre
qui me séparait des autres. C’est comme si tout
d’un coup on m’avait donné la possibilité d’entrer
et d’être dans le monde. Ce fut la bouffée d’oxygène
pour l’asthmatique. Ecrire me sauve et m’a sauvé.
C’est mon lien avec la vie, celui qui fait que je me
sens vivre moi aussi. Que je sens mon sang battre.
Considérez-vous que «A l’abri de rien»
est un roman politique?
Pas vraiment. Je ne m’intéresse à l’actualité et à la
politique qu’au travers de mes personnages. Tout
comme Ken Loach (ndlr.: réalisateur anglais) qui
lorsqu’il s’intéresse à une cause sociale ne fait ni
discours, ni énoncé politique. Tout est vu par le
Richard Dumas
C’est à côté des Editions de l’Olivier que nous nous sommes
retrouvés. Dans le café du Près-au-Clerc.
Volubile, passionné de mots et de littérature, Olivier Adam
semble être un marin qui a enfin trouvé son port. Il parle
avec pudeur et modestie de ce métier d’écrivain qu’il a
chevillé au corps et au cœur. Il sourit de contentement
quand on lui dit que son livre a gagné après une lutte
acharnée avec «Un roman russe», le dernier Emmanuel
Carrère. Puis il avoue, en passant une main dans ses
cheveux décolorés par le sel, que la rentrée littéraire excite
tout le monde mais que, depuis qu’il est en lice pour le
Goncourt, sa vie a un peu trop changé. Pour la promo de
«A l’abri de rien», il est obligé de squatter chez des copains
à Paris ou alors de dormir à l’hôtel, tout ça loin de sa
petite famille installée à Paramé près de Saint-Malo. «Avec
“Falaise” j’ai frôlé tous les prix, mais depuis le succès
cinématographique à retardement de “Je vais bien, ne t’en
fais pas”, je suis passé dans une autre catégorie de lecteurs:
celle qui ne lit que des valeurs sûres. Alors évidemment,
ça change la donne.» Amusé et visiblement détaché de tout
ce tumulte autour de son dernier bouquin, Adam est en
revanche soucieux de souligner qu’il n’écrit pas pour passer
à la télé et devenir célèbre. De ça, il s’en moque comme
d’une guigne. Lui ce qu’il veut c’est «retourner au boulot»
et écrire attablé au milieu du salon de sa maison bretonne,
tandis que Juliette, sa fille de 5 ans, regarde un DVD de
«Shrek» et Karine, son écrivain de compagne, pianote elle
aussi sur son ordinateur. «M’isoler pour écrire? Je ne peux
pas. J’ai besoin de sentir les gens vivre autour de moi.»
Jolie discussion avec un grand auteur qui a «repris vie»
depuis qu’il s’est installé au bord de la mer.
Marie, votre héroïne, va jusqu’à
se perdre pour sauver les autres.
Pensez-vous que le don de soi
doit avoir des limites?
Marie n’est pas dans le besoin de produire. Elle
n’est emblématique de rien. En ça bien sûr on
rejoint l’itinéraire des saintes, car elle est portée
par quelque chose, et on ne peut la réduire à une
simple explication sociologique ou psychologique.
Lorsque j’ai rencontré des bénévoles à Sangatte,
tous m’ont dit qu’il fallait être capable de s’endurcir pour continuer à lutter. Marie n’a pas cette
force-là. Mais ce que je ne voudrais surtout pas
c’est que l’on se dise, une fois arrivé à la fin du
livre, qu’il vaut mieux rester chez soi et ne rien
faire car quoi qu’on fasse, la partie est perdue
d’avance. C’est comme si un médecin refusait
de soigner des patients de peur de les perdre. La
mort fait partie de leur travail.
Des membres du jury edelweiss ont pensé que Marie faisait
une bien piètre mère, car elle oublie l’anniversaire de sa fille
et en vient à négliger aussi son petit garçon. Qu’en pensezvous?
Je trouve ça incroyable! Merde, l’histoire se déroule sur trois semaines et cette
femme n’abandonne ni ne torture ses enfants. Là encore, si Marie avait été
urgentiste ou un homme, cela ne serait venu à l’idée de personne de faire une
telle remarque. Elle se heurte d’ailleurs à tout ça, c’est-à-dire au mépris de ses
voisins car elle ne sait pas rester à sa place, à celui de la police qui la considère
comme une folle et à cette bêtise humaine qui associe forcément l’image d’une
femme qui s’intéresse à des Kosovars à celle d’une traînée qui couche avec des
étrangers. Marie, c’est tout simplement une personne entière qui va au bout de la
compassion jusqu’à la folie. Là encore elle n’est pas loin du statut de sainte. C’est
Mouchette de Robert Bresson ou Bess McNeill dans Breaking the Waves de Lars
von Trier.
Ecrivez-vous dans la douleur?
Pas vraiment même si cette fois-ci, je doutais d’arriver à finir ce livre. Car lorsqu’on écrit sur un sujet comme ça, il ne faut pas tomber dans l’écueil du mot de
trop, de la page de trop, dans cette tendance germanopratine de l’intellectualisation. Mais bon, si je réfléchis bien, c’est ainsi à chaque fois, cette peur tenace de
ne pas arriver au bout.
Finalement vous êtes plus dans la difficulté
que dans la souffrance?
Oui mais c’est surtout lorsque j’approche de la fin que cela devient ardu, car les
deux ou trois premiers mois, je compose la matière première du livre et cette
phase est frénétique. Je suis dans une sorte d’état second, de transe, tout coule.
Ensuite, il y a un travail de distance à accomplir, trouver le mot juste et il m’arrive
de galérer plusieurs heures sur une seule phrase. C’est comme un morceau de
musique, il faut que chaque note s’imbrique parfaitement dans la suivante. ***
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Et votre rencontre avec le cinéma,
comment s’est-elle faite?
Lorsque Jean-Pierre Améris a adapté mon roman
Poids léger sur grand écran (ndlr: film avec Bernard
Campan et Nicolas Duvauchelle sorti en juin 2004).
De là est née une véritable alliance, qui s’est transformée en amitié. Ensuite nous avons collaboré sur
l’écriture du scénario de A l’abri de rien. Personne
n’a voulu produire le film à part France 3. C’est
donc devenu un téléfilm qui s’appelle Maman est
folle* avec Isabelle Carré dans le rôle principal. Elle
est absolument magique. Elle a su faire du personnage à la fois une sainte, une folle, une fée. Elle l’a
poétisé. Parallèlement à cela, j’ai été coscénariste de
Je vais bien, ne t’en fais pas de Philippe Lioret, qui a connu le succès que l’on
sait lors des Césars 2006 alors que les salles ne voulaient pas franchement le
passer (ndlr.: adaptation du roman éponyme d’Adam sorti en 2000 aux éditions
Le dilettante). Depuis j’ai retravaillé avec Lioret sur L’Eté Indien qui sort en
janvier. Pour une fois l’histoire n’est pas tirée de l’un de mes livres.
Que ressentez-vous une fois que vous avez achevé
un roman?
C’est le moment où je commence vraiment à m’inquiéter. Avant, je suis dans
les mots, je les remâche, les remets sans cesse sur le tapis. En revanche, c’est
après que je me soucie de savoir si le livre va plaire au lecteur. Tant qu’on me
dit «c’est beau mais qu’est-ce que c’est dur», ça va, je suis rassuré. Mais j’ai peur
du jour où l’on me dira uniquement «qu’est-ce que c’est dur». En plus je suis
confronté à deux sensations assez contradictoires. L’une que le livre ne m’appartient plus et que les lecteurs, comme les réalisateurs, peuvent en faire ce qu’ils
veulent, c’est donc un sentiment de délivrance. L’autre c’est une addiction totale
à ce livre que je n’ai pas envie de lâcher. J’aimerais le réécrire à l’infini, rester
avec mes personnages.
En fait vous êtes comme Patrick Modiano qui dit avoir
l’impression d’écrire toujours le même livre?
Certes, Marie était déjà dans A l’ouest (ndlr. sortie en 2001, Editions de l’Olivier), elle est dans tous mes romans, tout comme le personnage d’Antoine ou
de Lucas. Certaines fois, le livre est sur eux, d’autres fois ils ne sont que des
silhouettes, mais ils sont toujours présents. Une chose est sûre cependant: dès
que je me remets à la rédaction d’un bouquin, je ne cherche pas forcément
à raconter une nouvelle histoire, mais plutôt compléter la précédente. Par
exemple, Falaise et A l’abri de rien se tiennent par la main. En fait, l’écriture
d’un roman irrigue celle du suivant. *
*Diffusion sur France 3 programmée entre le 15 et le 30 novembre
Le Prix des Lectrices edelweiss
en partenariat avec Payot Libraire
Après deux soirées de débats, dix lectrices d’edelweiss ont choisi le meilleur
roman francophone de l’année 2007. Lors de tours de table amusants, impertinents, fructueux, tranchants, le choix s’est porté sur A l’abri de rien d’Olivier
Adam. Edelweiss n’est pas seul à avoir repéré la beauté de ce livre: ce roman
est aussi en lice pour le Goncourt, le Renaudot et le Médicis. Il y a donc fort à
parier qu’en plus du Prix des Lectrices edelweiss, A l’abri de rien remporte la
plus prestigieuse de ces récompenses. C’est-à-dire bien sûr… le Goncourt.
Voici la sélection edelweiss pour l’année littéraire 2007.
A l’abri de rien, Olivier Adam, L’Olivier
La fille des Louganis, Metin Arditi, Actes Sud
Semper Augustus, Olivier Bleys, Gallimard
La délégation norvégienne, Hugo Boris, Belfond
Nuit ouverte, Clémence Boulouque, Flammarion
Un roman russe, Emmanuel Carrère, P.O.L.
Je m’appelle François, Charles Dantzig, Grasset
La vie d’une autre, Frédérique Deghelt, Actes Sud
La mer l’emportera, Isabelle Desesquelles, Flammarion
Baisers de cinéma, Eric Fottorino, Gallimard
Les dames de nage, Bernard Giraudeau, Métailié
Le canapé rouge, Michèle Lesbre, Sabine Wespieser
Les créatures du Bon Dieu, Daniel Maggetti, Aire
Bel de nuit, Gerald Nanty, Elisabeth Quin, Grasset
Sa petite chérie, Colombe Schneck, Stock
L’absence de l’ogre, Dominique Sylvain, Viviane Hamy
La fille au balcon, Anne-Lise Thurler, Zoé
Lionel Deriaz
Je suppose qu’on vous a déjà dit
que vous aviez une écriture très
cinématographique. Comment arrivezvous à obtenir cet effet?
Je suis du côté de la sensation, de la sensualité et
toute la difficulté est là. Comment avec des mots, des
virgules, arriver à faire comprendre que la pluie transperce Marie, la glace jusqu’aux os? J’essaye donc d’appréhender totalement mes personnages pour arriver à
atteindre cette sphère de la sensation. Et pour mieux
les cerner, j’écris plusieurs histoires en partant du
point de vue de chacun de mes héros. Ensuite c’est
plus facile de déduire quel genre de voix ils ont, quel
est leur débit de parole. On est dans l’expérience
sensible. En gros c’est dur et c’est long (rires)!