Résumé_Jeanne Vigneron - Faculté de Lettres et Langues

Transcription

Résumé_Jeanne Vigneron - Faculté de Lettres et Langues
ANALYSE CONTRASTIVE DES MARQUEURS GENRE EN FRANÇAIS, LIKE EN ANGLAIS, ET SO EN
ALLEMAND DANS DES CORPUS D'ORAL ET D'ÉCRIT PRÉSENTANT UN FAIBLE DEGRÉ DE
PLANIFICATION
Thèse présentée par Jeanne VIGNERON-BOSBACH
Sous la direction de Mme Sylvie HANOTE et Mme Hermine PENZ
Résumé des travaux
La thèse présentée s'articule autour d'un constat de départ : genre en français,
like en anglais et so en allemand présentent des fonctionnements qui se ressemblent
et ce à travers trois langues différentes. Ces trois mots ont en commun d’avoir
aujourd’hui plusieurs emplois et valeurs possibles selon le contexte dans lequel ils
sont envisagés. Si certains de ces emplois sont standard (genre est par exemple un
nom : le genre policier ; like une préposition ou une conjonction : He is like his
father/It's like he doesn't care ; so un adverbe, une conjonction ou encore une
particule (so muss man das tun c'est comme ça qu'il faut faire, sie ist so gross
geworden elle a tellement grandi), ils présentent aussi des emplois autres. Ils peuvent
par exemple introduire du discours rapporté, comme on le voit en A, B et C :
A - Mom's like :‘you’re gonna miss that’ you know (SCOSE)
B - je lui ai bien dit les trucs euh hyper euh | secs euh genre moi j'ai plus aucun sentiment pour
toi c'est terminé (OFROM)
C - ja° un dann hatta doch gesagt° äh° na dis is/ dis is=n viertakta oda so und ich so° „ achso
wie=n trabi oda“/ (SCHALL)
oui et après il a bien dit ah mais c'est un moteur à quatre temps ou quelque chose comme ça et
moi j'étais là « ah oui comme une trabant non »1
Dans ces exemples, tous trois se placent à la frontière entre un segment citant
auquel ils appartiennent et un segment cité de discours direct. Ils semblent également
fonctionner au niveau plus large du texte, comme sortes de « ponctuants » du
discours oral :
D - KEN :I remember they had a they had this fish in there called an Oscar and they are these
like they are these really […] they're these big gnarly suckers they're like um […] they're like
m- f- I don't know six or eight inches […] and they've got they only eat like other fish they eat
like small fish and they eat like you know like goldfish . (SBCSAE)
1
Nous insérons la traduction des exemples en allemand en italiques sous l'exemple concerné. Ce qui
traduit so sera mis en gras.
E - Et tu as, genre tu as pas des remords quand tu fais genre une fiche de lecture où tu
assassines le bidule euh ? (PFC)
F - mein papa ist so für mich diese figur weisst du so dieser grosse starke mann den. fels in der
brandung quasi ne (COSGEC)
mon papa c'est ø pour moi cette figure, tu sais ø cet homme grand et fort, un roc sur lequel tu
peux te reposer pour ainsi dire tu vois
En D, like accompagne la construction progressive de la description de types de
poissons faite par le locuteur. D'une part, il intervient à des endroits d'interruption du
discours they're like m- f-, et d'autre part il guide la description de plus en plus
précise du type de poisson mangé par les « Oscars » : like other fish, like small fish,
like goldfish. En E, genre se situe après une interruption du début de l'énoncé Et tu
as, puis avant l'objet du verbe faire, une fiche de lecture. En F, so s'insère également à
différents endroits de la chaîne parlée et semble accompagner la progression de la
description.
Comme nous l'expliquons dans l'introduction de la thèse, ces emplois font l'objet
d'une « stigmatisation ». Nous postulons dans un premier temps que s'ils sont
stigmatisés c'est parce qu'ils appartiennent à la langue « populaire », « familière ».
Nous avons donc cherché à développer ces termes descriptifs pour déterminer les
données sur lesquelles travailler, nous pensons pour notre part que genre, like et so
ne sont pas utilisés sans raison linguistique. Enfin, le fait que l'on constate des
fonctionnements similaires dans trois langues différentes, pour des marqueurs qui ne
sont pas a priori la traduction les uns des autres, suppose selon nous que des valeurs
en contexte sont à déterminer. Nous en sommes donc arrivée à formuler les
hypothèses suivantes :
a/ si genre, like et so présentent des emplois communs malgré leurs origines
linguistiques et lexicales différentes, c'est qu'ils s'agit d'unités de la langue subissant
un changement linguistique et dont les chemins d'évolution se croisent aujourd'hui.
Cela pourrait expliquer d'une part leur caractère « non-standard », donc divergent
par rapport à une unité-source, et d'autre part la présence d'un trait commun malgré
des origines diverses ;
b/ ces termes jouent un rôle en tant qu'aides à la construction progressive du
discours et à la mise en place d'une relation entre une source énonciative-assertive et
des propos rapportés ; nous cherchons à démontrer qu'ils ont bien une fonction dans
leurs différents emplois en nous distanciant des termes assez négatifs qui ont pu
servir à les décrire (« fillers » pour Buchstaller, 2002 et Streeck, 2002, ou « tics de
langage » pour Lab, 1999). La thèse s'attache à trouver à partir de l'analyse en
contexte de ces mots, un trait invariant commun à genre, like et so ;
c/ ces trois mots étant considérés comme non-standards, ils sont susceptibles
d'apparaître dans des productions spontanées, non-préparées, ce que nous appelons
« peu-planifiées », et dans des interactions présentant une certaine « proximité »
entre les locuteurs. Ces deux paramètres (spontanéité et proximité) peuvent se
rencontrer à l'oral comme à l'écrit, mais l'oral a la spécificité de présenter les traces
d'un discours en train de se faire, d'où notre choix d'un corpus majoritairement oral.
Ces hypothèses ont suscité la démarche suivante : nous avons tout d'abord
recherché des données attestées dans les trois langues et pour cela défini les points de
« comparabilité » que sont le degré de planification et la proximité entre locuteurs.
Nous avons ensuite voulu envisager les emplois « communs » des trois mots sous
l'angle du changement linguistique. Nous avons donc cherché à voir grâce aux
théories de la « grammaticalisation », en tant que type de changement linguistique, si
les trois mots étudiés étaient en fait des unités « grammaticalisées » à partir d'unités
sources différentes. Enfin nous avons observé les trois mots en contexte de façon
thématique à partir des trois grands axes de comparaison dégagés par la littérature :
l'introduction de discours rapporté, l'atténuation ou « hedging » et le « focus ».
L'observation du corpus et le choix d'une analyse qualitative nous ont amenée à
restreindre ces axes et à nous concentrer sur le discours rapporté et sur la notion de
progression du discours. Nous avons ensuite tenté de dégager à partir de ces valeurs
en contexte un dénominateur commun à ces trois termes.
Pour ce faire, nous avons choisi d'adopter une approche multithéorique : d'une
part, parce que genre, like et so ont fait l'objet d'études ancrées dans une grande
diversité de « cultures scientifiques » ; et d'autre part, parce que leurs emplois nonstandard résistent à la catégorisation lexicale et grammaticale, ce qui les rend
difficiles à appréhender : nous avons donc eu recours à des outils d'analyse
syntaxique, mais aussi prosodique afin d'intégrer la dimension acoustique des corpus
oraux ; enfin nous avons choisi d'envisager ces mots comme des « marqueurs » c'està-dire des « traces linguistiques d'opération langagière » dans le cadre de la théorie
des opérations énonciatives.
La thèse présentée s'organise en trois parties. Dans une première partie, nous
présentons le choix des données et le choix des marqueurs. Le chapitre 1 expose la
méthodologie et l'approche sur corpus dans laquelle nous nous plaçons. Nous avons
fait le pari de travailler à partir de corpus oraux existants, ce qui nous a obligée à faire
le deuil de corpus parfaitement comparables. Néanmoins, nous avons tenté de
maintenir un dénominateur commun entre les corpus, à savoir des caractéristiques
qui s'approchent le plus possible du pôle immédiat (Koch et Österreicher, 2001). Ce
chapitre expose également la démarche et l'intérêt d'une étude contrastive. A partir
de ces développements théoriques, nous présentons les deux corpus d'étude
constitués : le corpus d'étude principal, corpus A, qui contient des données orales, et
le corpus d'étude secondaire, corpus B qui contient des données orales d'une part, et
écrites (glanées sur internet), d'autre part. Le chapitre suivant, chapitre 2, nous
permet d'introduire le terme de « marqueur » pour décrire genre, like et so afin de
regrouper les valeurs en discours de ces trois mots. Puis nous décrivons à travers les
études (comparatives ou non) dont ils ont fait l'objet les trois grandes valeurs qui ont
pu être dégagées, à savoir l'introduction de discours rapporté, le « hedging » et le
« focus ». Nous avons constaté que ces trois valeurs pouvaient se superposer en
contexte, mais également que les emplois étudiés avaient en commun d'être
« alternatifs », c'est-à-dire considérés comme non-standards, divergents par rapport
aux fonctionnements standards de genre, like et so tels que décrits dans les
dictionnaires. C'est à partir de ce constat que nous avons décidé d'appréhender ces
emplois communs du point de vue de l'évolution de ces marqueurs.
La deuxième partie a pour objectif de démontrer que les valeurs non-standards
que genre, like et so prennent en discours sont le résultat d'un changement
linguistique de type « grammaticalisation ». A partir des descriptions théoriques de
ce processus, le chapitre 3 permet d'appréhender les étapes et principes de la
grammaticalisation. Nous expliquons ensuite en quoi genre, like et so sont de bons
candidats à ce type de changement linguistique : le type de catégories syntaxiques
auxquelles les unités-sources appartiennent y sont favorables, de même que le
caractère très général de leur sémantisme. Les chapitres 4, 5 et 6 décrivent le
processus de grammaticalisation de chacun d'entre eux en examinant leurs emplois
standard en synchronie. Dans le chapitre 4, nous exposons les propositions de
représentations faites dans la littérature pour l'évolution de like. Nous en tirons une
schématisation qui nous amène à conclure que le changement subi par ce marqueur
présente bien des traits caractéristiques de la grammaticalisation. Dans le chapitre 5,
nous avons tenté de décrire les fonctionnements de « l'inclassable » so, en tant que
marqueur extrêmement polyfonctionnel. Pour ce faire, nous présentons ses emplois
standards à partir des descriptions du Dictionnaire des Invariables difficiles
(Métrich et al, 1992-2002). En ce qui concerne son évolution, nous avons eu recours
à la proposition d'évolution de Wiese (2011) qui envisage so sous l'angle de la
pragmaticalisation, que nous avons choisie de considérer comme un type de
grammaticalisation. Le chapitre 6 présente l'évolution de genre en tant que nom qui
se grammaticalise formalisée par une représentation schématique de son parcours
d'évolution. Enfin, dans le bilan intermédiaire de la partie II, nous avons tenté de
dégager un trait commun à ces trois marqueurs à partir de leurs « histoires »
respectives, à savoir le trait « comparaison ».
La troisième partie de ce mémoire de thèse présente les analyses du corpus
d'étude à partir d'une approche multithéorique. Le chapitre 7 est constitué d'une
étude quantitative. Cette étude est tout d'abord faite à partir des grandes bases de
données et grands corpus (COCA, Frantext, DWDS Korpus) afin de donner un aperçu
de la fréquence des trois marqueurs par genre de textes et par période (nous nous
intéressons principalement à la période 1990-2010). Comme pour le corpus d'étude
principal, corpus A, nous constatons que les ressources ne sont pas les mêmes d'une
langue à l'autre : nous pouvons obtenir de nombreuses informations pour like, mais
beaucoup moins pour so et genre. Ensuite, l'observation des méta-données du corpus
d'étude principal (le corpus A, exclusivement oral) permet de voir que les trois
marqueurs sont de manière globale plus fréquents chez les locuteurs de moins de 35
ans, et que leur fréquence augmente lorsque les interactions présentent des traits du
pôle immédiat (faible planification et proximité entre locuteurs). Avant d'entamer
l'analyse qualitative en tant que telle, nous décrivons, dans le chapitre 8, les outils
théoriques auxquels nous avons recours pour cette analyse : le cadre syntaxique et
macro-syntaxique, la prosodie, et la Théorie des Opérations Énonciatives. Cette
approche multi-théorique s'est révélée nécessaire pour éclairer sous différents jours
les fonctionnements de genre, like et so.
Les deux derniers chapitres de ce travail constituent l'analyse qualitative du
corpus d'étude principal corpus A. Dans le chapitre 9, nous adoptons une perspective
qui n'a pas été exploitée jusqu'à présent : nous nous attachons à montrer en quoi les
trois marqueurs jouent un rôle dans la construction progressive du discours telle
qu'elle est visible dans les configurations en liste, qui peuvent prendre la forme
d'énumérations, de reformulations ou bien de reprises de segments inachevés (bribes
et amorces). Cette analyse nous a permis de voir que les trois marqueurs peuvent
s'insérer en tête de liste ou bien entre les « couches » d'une liste. En tête de liste, ils
indiquent que la liste est à envisager comme un tout composé de représentants
spécifiques d'une classe sous-entendue. Entre deux couches, ils peuvent marquer une
relation illustrative entre les deux éléments, avec la mise en place d'un gain de
propriétés. Lorsqu'il ne s'agit pas d'apporter un exemple mais une précision sous
forme d'une double formulation, leur rôle se rapproche de leur fonction de
structuration dans le cas des bribes et des amorces. En effet, ils permettent dans ces
cas-là, un retour à un embranchement du discours pour apporter une élucidation
sémantique qui est alors détachée syntaxiquement et prosodiquement du reste. En
effet, leur capacité à ouvrir un champ de possibles peut se retrouver dans la
construction même du discours : c'est ce que nous avons choisi d'appeler « marqueur
d'embranchement ». C'est très rare pour so : nous n'avons que très peu de cas de
reprise après une bribe. Genre et like en revanche n'indiquent plus nécessairement
une articulation sémantique entre des segments mais permettent un retour à un
embranchement du discours laissé en suspens : pour genre, il s'agit principalement
de bribes, pour like de bribes ou d'amorces. Enfin, après un segment amorcé, like et
parfois genre peuvent également introduire une structure inachevée sans reprise
ultérieure : en réalité, ce n'est que rarement un véritable abandon puisque l'on
observe souvent un retour en arrière avec like. Ce marqueur fonctionne alors comme
un « curseur » qui peut revenir plus ou moins loin en amont de la structure
anticipée afin d'aider à l'organisation progressive du récit. Il peut également
introduire une anecdote illustrative qui permet en quelque sorte de sauter la
complétion du segment inachevé pour aller vers une exemplification qui semble plus
efficace dans le récit. Genre peut introduire la reprise avec complétion ou
modification d'une bribe, donc il se place à des embranchements du discours
similaires à like. Néanmoins, nous n'avons pas de cas où il revient en amont de la
structure amorcée pour insérer un ajout par exemple temporel comme c'est le cas
pour like. Ce chapitre cherche donc à démontrer que ces marqueurs jouent un rôle
dans la construction du discours oral, en particulier dans les « allées et venues » sur
l'axe syntagmatique. Dans le cas des bribes et amorces, ils permettent un retour à un
embranchement laissé en suspens. Ces retours en arrière sont surtout présents avec
like que nous avons décrit comme un « curseur » particulièrement adapté à la
construction progressive du discours oral.
Enfin, le chapitre 10 s'attaque au point de congruence selon nous le plus frappant,
à savoir l'introduction de discours direct. Les analyses de ce chapitre observent plus
en détail le comportement de genre, like et so lorsqu'ils introduisent du discours
rapporté. Dans une première section, nous présentons les résultats obtenus dans le
corpus A, en ce qui concerne le type de contextes dans lesquels genre, like et so
apparaissent le plus souvent pour introduire du discours rapporté, puis le type de
« segments cités » observés, et enfin le type de segments citants dans lesquels
apparaissent les trois marqueurs. Dans une deuxième section, nous illustrons notre
propos par une analyse qualitative syntaxique, prosodique et énonciative d'un extrait
de corpus long pour chacun des marqueurs. Dans une troisième section enfin, nous
comparons plus spécifiquement und ich so et be like. Ce chapitre nous permet de
dégager à la fois des caractéristiques communes et des traits propres à chacun des
trois marqueurs. Tout d'abord, ils ont en commun de s'insérer à un endroit de
changement de plan d'énoncé : en effet, genre, like et so sont spécialisés dans le
discours direct et les segments qu'ils introduisent sont marqués par des calculs
référentiels repérés par rapport à une situation d'énonciation nouvelle, Sit0R
(situation d'énonciation rapportée). Les trois marqueurs fonctionnent comme des
« déclencheurs » de discours direct, bien que nous notions quelques cas de brouillage
des repérages. Deuxièmement, genre, like et so sont des introducteurs d'un point
de vue syntaxique, puisqu'ils n'acceptent pas la position médiane ou finale, ce qui les
distingue des verbes de dire classiques. Cette caractéristique semble certes dominer
dans les résultats du corpus A, néanmoins nous examinons deux cas à part pour so : il
peut être en position finale seul, ou bien dans un segment citant avec un verbe de
dire. Troisièmement, ces trois marqueurs peuvent faire partie de segments citants
contenant un verbe de dire classique, ou bien un nom support du dire
(conversations, Andeutungen, comment), mais aussi des prédicats de perception ou
de sentiment ; leur rôle de déclencheur de discours direct peut ainsi se mettre en
place avec de simples « indices de frayage » (Hanote 2000). En ce qui concerne
genre, nous avons présenté quelques exemples du corpus B pour lesquels le
marqueur « installe » du discours direct dans un récit sans indices de ce type par
simple relation sémantique avec la situation décrite. D'un point de vue prosodique ils
sont en général en fin d'unité prosodique du segment citant et en discontinuité
mélodique et/ou temporelle avec le segment cité. Toutefois, nous avons observé pour
be like et und ich so des cas de non-correspondance entre frontière syntaxique et
frontière prosodique : soit il n'y a pas de rupture prosodique et segment citant/cité
forment une seule et même unité prosodique, soit la frontière prosodique est après le
premier élément du segment cité. D'un autre côté, nous avons pu dégager des
spécificités à chacun d'entre eux : en anglais, be like semble se standardiser et
s'éloigner des valeurs de « mise en scène » qui ont pu lui être attribuées chez certains
auteurs (notamment Golato, 2000, et Streeck, 2002) ; so déclenche du discours
direct à partir de segments citants très divers et peut être en position finale ; genre se
distingue par le type de contexte dans lesquels il apparaît et par sa capacité à
déclencher du discours direct sans verbe de dire ni indices de frayage. De plus, il
présente des emplois à la frontière du discours direct dans lesquels s'exprime une
forte opposition de prise en charge. Enfin, nous avons pu soulever une distinction
constitutive de ces trois marqueurs à laquelle nous n'avions pas pensé jusque là : leur
matériau phonétique est très différent ce qui peut avoir des conséquences sur leur
comportement prosodique. En effet, genre a la possibilité d'être dissyllabique, so est
composé d'une syllabe ouverte, tandis que like est une syllabe fermée par une
consonne occlusive. Ces contraintes linguistiques seront à prendre en compte lors
d'études acoustiques ultérieures.
En conclusion générale, nous dégageons des propositions de dénominateur
commun. Il semble que like, genre et so mettent toujours en relation deux éléments,
qu'il soient explicitement présents dans le discours ou non. Ces trois marqueurs
supposent toujours un élément posé auparavant dont on va dire quelque chose. Nous
pensons donc qu'ils ont en commun d'être opérateurs de mise en relation, ce qui est
cohérent avec le trait « comparaison » présenté dans le bilan de la partie II. Nous
avons proposé, à la suite de Wiese (2011) pour so, que genre, like et so marquaient un
choix de valeurs sans en exclure d'autres : ils sélectionnent une occurrence comme
représentante d'un type. Cela correspond à la valeur d'exemplification vue dans le
chapitre 9 : choisir un exemple, c'est poser l'existence d'une entité discrète, donc faire
une opération de quantification, en tant que représentante de propriétés par rapport
au centre du domaine notionnel, via une opération de qualification. Il s'agit donc de
faire un travail sur les dimensions QNT et QLT. Par une occurrence de la classe, on
peut ainsi appréhender le général tout en maintenant l'ensemble des occurrences
potentielles en arrière-plan. C'est selon nous parce que le reste du domaine notionnel
n'est pas « évacué » que l'effet d'approximation apparaît, renforcé par la présence
« d'extenders » notamment. Cette sélection de valeurs se fait au niveau de la prise en
charge assertive : l'asserteur choisit une valeur, mais indique que d'autres sont
possibles dans cette « zone », et laisse donc la possibilité à l'autre de co-valider ou
invalider l'assertion de cette valeur. En ce sens l'autre est un « co-asserteur ». On
pourrait donc conclure que genre, like et so sont des opérateurs de mise en relation,
qu'ils mettent en place un repérage entre deux éléments, ce repérage fonctionnant
par une détermination quantitative en différenciation, et par le paramètre qualitatif
en identification (Dufaye, à paraître). La mise en relation qualitative est alors
marquée comme prise en charge par le sujet asserteur, car elle n'est pas valide pour
tout sujet, mais par rapport à S 0 en tant qu'énonciateur-asserteur. Ces propositions
nécessiteraient d'être creusées davantage et d'être confrontées aux emplois standards
des trois marqueurs afin de décrire en termes d'opération la spécificité de chacun.
Enfin, nous concluons ce travail en évoquant les pistes inabouties et les
perspectives ouvertes par ce travail. Tout d'abord, au niveau du type de données : il
serait souhaitable de continuer l'analyse sur un corpus plus équilibré entre les trois
langues et avec une meilleure qualité acoustique de façon à faire une vraie place à
l'analyse prosodique. D'autre part, le corpus B nous a fait entrevoir les comparaisons
qui pourraient être entreprises entre oral et écrit : dans des interactions qui ne
présentent pas de segments inachevés du fait du mode de production de l'écrit,
comment
se
manifesteraient
les
emplois
de
curseur
et
de
marqueur
d'embranchement que nous avons étudiés à l'oral ? Est-ce que genre, like et so sont
plus présents à l'écrit peu-planifié pour jouer un rôle de marqueur de frontière avec le
segment cité, en l'absence de discontinuités prosodiques ? Enfin, il serait intéressant
de travailler sur des corpus comparables afin d'aborder la question de la traduction
de ces marqueurs d'une langue à l'autre, question que nous n'avons fait qu'effleurer à
travers la traduction des exemples allemands. Du point de vue de l'analyse, nous
n'avons pas eu ici l'espace de creuser davantage les perspectives du « hedging » et du
« focus ». De même, nous avons bien conscience d'avoir laissé de côté plusieurs
paramètres acoustiques, en particulier la question du tempo, de la longueur des
syllabes
des
marqueurs,
et
des
éventuelles
modifications
vocaliques
ou
consonantiques qu'ils peuvent subir en contexte. De plus, la question du discours
rapporté gagnerait à être envisagée dans une perspective intralinguistique : il serait
pertinent de comparer plus précisément be like et say en anglais dans leur répartition
et dans leurs comportements prosodiques. On pourrait également comparer d'un
point de vue syntaxique et prosodique des segments citants du type ich habe gemeint
avec ceux du type ich habe so gemeint/ich habe gemeint so. Enfin, nous avons
évoqué la présence du marqueur comme en français du Canada : comment genre et
comme se répartissent-ils en français d'Amérique en particulier pour introduire du
DD ?
Corpus
AVANZI, Mathieu, BÉGUELIN, Marie-José, DIÉMOZ, Federica, 2012-2015, « OFROM – corpus oral de
français de Suisse romande, v. 2.2 », Ms, Université de Neuchâtel, http://www.unine.ch/ofrom
(consulté le 10 octobre 2016).
AVANZI, Mathieu, BÉGUELIN, Marie-José, DIÉMOZ, Federica, 2015, « De l’archive de parole au corpus de
référence : La base de données orale du français de Suisse romande (OFROM) », Cahiers
Corpus.
BERT, Michel, PLANTIN, Christian, 2003, « La base de données Corpus de Langues Parlées en
Interaction (CLAPI) », Colloque 36e Rencontre SLE « Linguistique et corpus », Lyon.
BOERSMA, Paul, WEENINK, David, 1992-2010, Praat: doing phonetics by computer, University of
Amsterdam, Amsterdam.
BRANCA-ROSOFF, Sonia, FLEURY, Serge, LEFEUVRE, Florence, PIRES, Matthew, 2012, Discours sur la
ville. Présentation du Corpus de Français Parlé Parisien des années 2000 (CFPP2000).
http://cfpp2000.univ-paris3.fr/ (consulté le 10 octobre 2016).
Base
de données CLAPI, Corpus de langues parlées en interaction, http://clapi.ishlyon.cnrs.fr/V3_Accueil.php?interface_langue=FR (consulté le 10 octobre 2016).
DAVIES, Mark, 2008-, The Corpus of Contemporary American English (COCA): 520 million words,
1990-present. Available online at http://corpus.byu.edu/coca/ (consulté le 10 octobre 2016).
DAVIES, Mark, 2004-, BYU-BNC. (Based on the British National Corpus from Oxford University
Press). Available online at http://corpus.byu.edu/bnc/(consulté le 10 octobre 2016).
DU BOIS, John W., CHAFE, Wallace L., MEYER, Charles, THOMPSON, Sandra A., ENGLEBRETSON, Robert,
MARTEY, Nii, 2000-2005, Santa Barbara Corpus of Spoken American English, Parts 1-4,
Linguistic Data Consortium. Philadelphie.
DURAND, Jacques, LAKS, Bernard, LYCHE, Chantal, 2002, « La phonologie du français contemporain:
usages, variétés et structure », in Claus PUSCH et Wolfgang RAIBLE (eds.), Romanistische
Korpuslinguistik- Korpora und gesprochene Sprache/Romance Corpus Linguistics - Corpora
and Spoken Language, Tübingen: Gunter Narr Verlag, 93-106.
DURAND, Jacques, LAKS, Bernard, LYCHE, Chantal, 2009, « Le projet PFC: une source de données
primaires structurées », in Jacques DURAND, Bernard LAKS, Chantal LYCHE (éds.), Phonologie,
variation et accents du français, Paris: Hermès, 19-61.
Corpus ESLO, Enquêtes SocioLinguistiques à Orléans, www.eslo.huma-num.fr, Laboratoire Ligérien
de Linguistique, Université d'Orléans, (consulté le 10 octobre 2016).
EYCHENNE, Julien, MALLET, Géraldine, 2009 « Etat des lieux », Bulletin PFC n°3, http://www.projetpfc.net/bulletins-et-colloques/cat_view/918-bulletins-pfc/925-.html (consulté le 10 octobre
2016).
Base textuelle FRANTEXT, ATILF - CNRS & Université
http://www.frantext.fr (consulté le 10 octobre 2016).
de Lorraine. Site internet :
INSTITUT FÜR DEUTSCHE SPRACHE, 2015, Deutsches Referenzkorpus / Archiv der Korpora
geschriebener Gegenwartssprache 2015-II (Release vom 28.09.2015), Mannheim: Institut für
Deutsche Sprache, www.ids-mannheim.de/DeReKo (consulté le 10 octobre 2016).
LINTHE, Anna, 2010, COSGEC – Corpus of Spontaneous German Conversation.
NORRICK, Neal, ScoSE – Saarbrücken Corpus of Spoken English, Universität des Saarlandes,
http://www.uni-saarland.de/lehrstuhl/engling/scose.html
PFÄNDER, Stefan, EHMER, Oliver, 2003, SCHALL - Sprachkorpus heutige Alltagsgespräche (SCHALL),
Universität Halle, http://www.romanistik.uni-freiburg.de/ehmer/schall/
Bibliographie
BUCHSTALLER, Isabelle, 2002, « He goes and I’m like: The new quotatives re-visited », Internet
Proceedings
of
the
University
of
Edinburgh
Postgraduate
Conference.
http://www.lel.ed.ac.uk/~pgc/archive/2002/proc02/buchstaller02.pdf (consulté le 10 octobre
2016).
DUFAYE, Lionel, à paraître. « Genre ou le scénario d'une grammaticalisation », Linx.
GOLATO, Andrea, 2000, « An innovative German quotative for reporting on embodied actions: Und ich
so/und er so 'and I'm like/and he's like' », Journal of Pragmatics 32, 29-54.
HANOTE, Sylvie, 2000, Opérations énonciatives et représentation du discours dans le récit en anglais
contemporain, Thèse de doctorat, Université de Poitiers.
KOCH, Peter, ÖSTERREICHER , Wulf, 2001, « Gesprochene Sprache und Geschriebene Sprache », in
Günter HOLTUS, Michael METZELTIN, Christian SCHMITT (eds.), Lexikon der Romanistischen
Linguistik, Tübingen : Niemeyer, 584-627.
LAB, Frédérique, 1999, « Is as like like or does like look like as? », in Alain DESCHAMPS, Jacqueline
GUILLEMIN-FLESCHER (dir.), Les opérations de détermination. Quantification / Qualification,
Gap: Ophrys, 83-100.
MÉTRICH, René, FAUCHER, Eugène, COURDIER, Gilbert, 1992-2002, Les Invariables Difficiles.
Dictionnaire allemand-français des particules, connecteurs, interjections et autres ‘mots de la
communication’, Tome 1 (1992), Tome 2 (1995), Tome 3 (1998), Tome 4 (2002), Nancy :
Association des Nouveaux Cahiers d’Allemand.
STREECK, Jürgen, 2002, « Grammar, Words, and Embodied Meanings: on the uses and evolution of so
and like », Journal of Communication 52, n°3, 581-596.
WIESE, Heike, 2011, « so as a focus marker in German », Linguistics 49,6, 991-1039.