Positive attitude,Complot, vous avez dit complot - L`HEBDO-BLOG
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Cérémonies protocolaires Comment tenter de saisir une part de jouissance non négativable au risque d’exclure le sujet ? Là où était l’exploit sera aujourd’hui la performance. Delphine Jézéquel nous emmène ici vers le corps parlant, Rio et le Congrès de l’AMP. Courons avec elle. Les performances de Chris Froome lors du dernier Tour de France font l’objet de soupçons. Sa montée fulgurante, le 14 juillet dans les Pyrénées, vient rappeler celle effectuée en 2013 sur les pentes du Mont-Ventoux : les chiffres indiquaient une ascension avalée en 48 minutes et 35 secondes, à deux secondes du record de Lance Armstrong en 2000. « Alors que son rythme cardiaque n’a jamais dépassé les 165 pulsations par minute tout au long des 15,9 km à 8,6 % de pente moyenne, sa vitesse passe ainsi de 19km/h à 30km/h en quatre secondes […] la puissance développée s’établissant à 600 watts »[1]. Frédéric Grappe, docteur en biomécanique et physiologie du sport s’insurge contre ces raccourcis chiffrés[2]. Les commentaires douteux de Jalabert et Vasseur sur France Télévision, relancent la suspicion de dopage. Froome en est victime : bras d’honneur, crachats, injures, jet d’urine. Le 18 juillet, six vélos sont démontés. Les pédaliers sont inspectés à l’aide d’une caméra : des contrôles inopinés pour détecter une éventuelle tricherie mécanique. Le dopage chimique reste très surveillé. Depuis le 1er janvier 2015, le nouveau code mondial antidopage autorise à contrôler tout sportif, en tous lieux, en tous moments. L’Agence française de lutte contre le dopage et la Fondation Antidopage du Cyclisme affirment leur coopération dans un communiqué commun : « Il s’agira d’adopter une approche globale, afin de maximiser l’efficacité du système de contrôle, notamment à travers des contrôles ciblés au début de la compétition – en particulier grâce à l’échange de données lié à la localisation des coureurs – ainsi qu’à l’échange d’informations relatif au passeport biologique ». Jacques-Alain Miller avertit qu’il y a une part de jouissance qui ne répond pas à l’interdit, « à qui la négation ça ne fait rien du tout »[3]. Cet illimité pousse les instances vers le zéro dopage. Or ces contraintes draconiennes favorisent d’autres dépassements de limites. L’utilisation des nanotechnologies touche les corps insidieusement, le piratage informatique s’invite. Des données statistiques personnelles de Froome (fréquence de pédalage, puissance et rythme cardiaques…), provenant d’un capteur placé dans le pédalier, ont été dérobées. Initialement prévu pour établir le programme d’entraînement, le manager de Sky en indique le nouvel usage : « Pour convaincre les sceptiques que Chris ne se dope pas, les datas, c’est essentiel ». Pourtant, le 5 octobre 2013 à Rennes, le Professeur Klein, physicien des particules et ultra-trailer, témoignait que « mettre son corps en mouvement de manière extrême provoque une métamorphose temporaire du cerveau, comparable à l’effet d’une drogue […] il explique comment la douleur physique se dompte par la pensée, qui parvient à maîtriser le corps en vue de lui faire accomplir des exploits »[4]. Ces cérémonies protocolaires, d’accumulation de données et de contrôle, ne tentent-elles pas de saisir la jouissance non négativable propre à notre époque, au risque d’« éjecter le sujet, menacé de sortir du système »[5] ? [1] http://www.sports.fr/cyclisme/tour-de-france/articles/froome-d es-chiffres-qui-sement-le-trouble-1283944/ [2]http://m.20minutes.fr/lyon/1654235-tour-france-frederic-gra ppe-reportage-stade-2-pure-escroquerie-scientifique [3] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Être et l’Un », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, leçon du 9 février 2011, inédit. [4] http://campuspsy-vlb.blogspot.fr/ Nouvelles pratiques du corps, entre désir et droit [5] Laurent É., «Insistance des protocoles, persistance du désir», Forum CampusPsy, Rennes, 3 octobre 2015. La mort comme miroir réel de ce qui fait couple En service de soins palliatifs, l’imprégnation de la signification mortelle pousse souvent les patients à une véritable ouverture du plus intime de ce qui les anime, faisant fi des résistances consacrées. L’offre d’écoute prend parfois son sens dans une sorte de processus accéléré de l’expérience de la parole où le franchissement de l’indicible trouve à se loger dans la dialectique de l’échange. Car, non sans angoisse, l’imposture structurante des semblants peut venir à se révéler dans un dernier sursaut. C’est le cas de M. L. dont le discours se sera ouvert sous la forme de l’aveu pour se réduire à la culpabilité de ne pas avoir pris place à temps dans la dialectique du désir. Au-delà de l’angoisse de l’inconnu et de sa fierté paternelle mêlée d’inquiétude prédomine, lors de notre dernier entretien, le regret d’être resté aux côtés d’une femme pour laquelle toute forme d’amour avait disparu de longue date. Sans qu’il ne puisse parvenir à en préciser davantage les coordonnées, il s’agit avant tout pour lui du constat d’échec d’une relation antérieurement placée sous le règne de la signification phallique. Aussi, avoir pour femme la mère de ses enfants aura suffi à faire tenir un couple fondé sur le socle parental, mais ne suffira plus à satisfaire la vérité menteuse à l’orée d’une dernière parole. Pour lui, l’échéance de la mort aura fait choir l’entité du couple à une pure contingence, hors-sens, venant révéler la supercherie de ce qui fonde une relation au jugement le plus implacable qui soit – à savoir le sien. Confrontée au manqueà-être, l’impossibilité à se soutenir des schémas imaginaires préexistants est alors venue asseoir la solitude comme reste de l’opération fantasmatique et partenaire solidaire de l’organisation subjective. Dans son dernier enseignement, Jacques Lacan s’attache à se départir de la question de l’être au profit de l’écriture de l’existence permettant de réhabiliter le corps comme substance jouissante. L’atteinte corporelle engendrée par les pathologies lourdes prend donc place dans la série comme métaphore de la corporisation, dont le phénomène intrusif fait porter la marque. Si le donner à voir ontologique ne fonde rien du côté d’une garantie existentielle, le désêtre se constitue en ouverture sur le réel de l’existence. Il apparaît ainsi qu’évidé de l’autre spéculaire, l’habillage de la jouissance prend valeur de faux-semblant à mesure que le désir s’abîme dans le défilé des signifiants. Et cette entropie pulsionnelle conduit le sujet à se heurter à son symptôme propre tandis que la jouissance singulière s’exile radicalement de l’autre, mais pas nécessairement de l’Autre de la parole. Dans cette clinique, l’appréhension trop réelle du corps vient parfois révéler l’hégémonie de l’impossible rencontre des sexes. Il n’est pas de meilleur miroir que celui que convoque la destitution de l’Idéal – outil princeps de l’investigation subjective – mais dont les effets peuvent tenir lieu d’envers agalmatique. Pour M. D., c’est la volonté de comprendre le fondement de la rencontre avec sa femme quarante huit ans plus tôt qui constituera un nouage permettant de réorganiser le lien de la pulsion au partenaire sexuel via la vérité dans sa quintessence fictionnelle. Les symptômes énumérés prennent place de manière privilégiée au sein de la relation, au point de rompre tout dialogue possible avec son épouse et de nourrir des sentiments hostiles à son endroit. Les entretiens révèleront que la maladie aura eu pour fonction de précipiter des tensions apparues de manière concomitante au départ des petits-enfants dont ils avaient fréquemment la charge. Dans ce tête à tête devenu impossible, la rédaction d’une lettre personnelle portant sur le sens de la vie et des choix réalisés sera l’ouverture vers un premier questionnement. Au cours de nos rencontres, M. D. met l’accent sur la nécessité s’imposant à lui de se tourner vers des activités extérieures au domicile conjugal. Outre le signe d’une pulsion de vie lui réattribuant un statut social, ces activités deviennent également le lieu propice à de nouvelles rencontres. « On m’accueillait chaleureusement et on me portait attention », explique-t-il là où la signification nouvelle de son couple répondait du côté de la maladie et de l’assimilation de sa femme au statut d’infirmière. Dans ce vacillement naissant, M. D. revendique son besoin de tendresse et d’attention et se saisit de ses sorties extérieures pour tenter de capter chez l’autre ce qui y répondrait. Selon un mouvement inconscient, il ne cesse de déclamer sa volonté « d’aller voir ailleurs » sans parvenir à entendre l’équivoque possiblement dissimulée ni à concevoir la jalousie de sa femme attisée un peu plus chaque jour. Sa demande première est que l’Autre sexe soit l’écouter et de lui parler, éveillant par là désirante exigée pour faire écran à la réalité dynamique pétrifiée de son couple – dissimulée d’un modèle d’union aux yeux des autres. en mesure de une position et brisant la sous la coupe Érigée en principe universalisant, la parole séante contemporaine sacre l’icône du couple et vient sceller la représentation d’une mort digne tout en s’affranchissant de l’indice de la subjectivité. Aussi, se vouer au Souverain Bien pour continuer à croire au sens établi qui fait le lit de l’exclusion du sentiment de la mort engage le leitmotiv de nos sociétés dont la maladie incarne parfois le pendant hérétique. Car du fait de sa levée de l’écran soporeux du fantasme, la proximité avec la mort devient une invite à révéler l’idiotie d’une jouissance singulière et répétitive ou peut davantage encourager les sujets à renouer avec une fiction salvatrice. Dans le vacillement de la force inconsciente, les arcanes du sentiment vertigineux de l’être-à-deux se dénudent, venant dénoncer une combinatoire qui ne va pas de soi. C’est pourquoi la maladie peut se penser comme prisme révélateur des pantomimes de la relation amoureuse que tout un chacun s’applique à faire exister pour parer à la détresse de la rencontre toujours manquée. Contingences Au-delà du couple S1 – S2 , ce qui se fait et peut se défaire Une série de surprises m’a touchée ces derniers temps. Dans le cadre d’un séminaire de lecture au Courtil nous travaillons la leçon 16 du cours de Jacques-Alain Miller « Le partenaire-symptôme ». Ce qui m’a retenue a trait à la connexion de la jouissance avec la contingence, au-delà de l’articulation signifiante faite du couple S1 – S2 et du sens joui comme valeur de jouissance. Dans la rencontre avec un analyste, peut donc se défaire ce qui ne cesse pas, et s’ouvrir un champ de possibles. Comme le dit J.-A. Miller : « C’est bien de cela qu’il s’agit dans l’analyse, le désinvestissement du pathogène n’est jamais que de l’ordre du possible, c’est-à-dire qu’à un moment, ça cesse de s’écrire […] c’est là que s’inscrit l’acte analytique et […] c’est là que s’inscrit la passe au titre de possibilité précisément. »[1] Quelques jours plus tôt, en séance chez l’analyste, j’entends autrement ce signifiant « impossible » qui a percuté le corps : non plus avec le sens joui mais dans sa motérialité, sa matière sonore. Dans ma lalangue, « im-possible » se prononce comme « sym-ptôme », avec un accent du sud. Cette découpe du signifiant entame le sens, allège, colore de vie. Le 13 juin dernier, avant l’assemblée générale de l’ACF, en présence d’Éric Zuliani, a eu lieu une séance extraordinaire de l’atelier de lecture qui s’est tenu cette année au local sur le même cours de J.-A. Miller. Monique Kusnierek, Anne Lysy, Bernard Seynhaeve et Guy Poblome y ont invité Philippe Hellebois qui a établi ce cours, avec Christiane Alberti. P. Hellebois avance que cette contingence de la Leçon 16 est un moment tournant dans ce cours : J.-A. Miller pose la question « Pourquoi est-ce que telle parole de l’Autre a pris une valeur déterminante pour un sujet, pourquoi tels mots ont fait mouche pour lui ? […] Il est question de poids, de densité, de couleur, d’intensité. » Il lie la jouissance « à ce qui, à un moment, cesse de ne pas s’écrire, mais survient, se rencontre, pour l’un » et à ce que Freud désigne comme le « facteur quantitatif » de la libido. Puis il développe : « des formations attirent une certaine quantité d’investissement libidinal […] à un certain moment, par l’effet d’un surinvestissement ça se met à agir. » Cependant « […] on ne peut jamais déduire d’une articulation la quantité d’investissement qu’elle attire ». Qu’est-ce qui fait rencontre aléatoire, contingence imprévisible ? P. Hellebois cherche, à ce moment-là, le passage où J.-A. Miller prend l’exemple de l’obsessionnel « retenu par certaines formules ». Cette recherche prend un peu de temps. Et surprise : j’éternue ! Événement de corps qui allège et fait rire autour de moi. Si la contingence fait le lit de l’impossible qui mène à l’analyse, d’autres contingences liées à l’acte de l’analyste qui y met son corps, peuvent désinvestir la valeur de jouissance du symptôme, « faire la révolution dans la libido » ! Reprenons les termes de P. Hellebois : « Ce qu’une rencontre a fait, seule une nouvelle rencontre peut le défaire ». Au-delà donc du couple S1 – S2 et du sens joui, du nécessaire et de l’impossible, qui alimentent la rencontre initiale du signifiant avec le corps, il est possible de faire d’autres rencontres qui donnent du peps ! [1] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le partenairesymptôme », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, leçon du 16 mai 1998, inédit. Positive attitude J’ai décidé d’être heureux, Parce que c’est bon pour la santé. Voltaire Soyez optimiste ! Le bonheur pour tous définit l’orientation tendance du sujet contemporain[1], de Pharrell Williams[2] le monsieur happy des tubes anti-morosité[3] aux réseaux très en vogue de la « positive thérapie ». Doit-on y voir une classification marketing (le bonheur ça rapporte) ou une émergence d’un réseau illustrant une Autre satisfaction ? Le mot « optimisme » (du latin « optimus », le meilleur) a été forgé au milieu du XVIII e siècle avec Leibniz pour qui les hommes vivaient dans le meilleur des mondes possibles. Il fallait alors se tourner vers l’avenir : le progrès devenait irréversible et prévisible. La ligue des optimistes[4] Créée il y a huit ans en Belgique par un ancien avocat d’affaires, elle a pour but de créer un nouvel État, l’Optimistan : un pays métaphorique dont les optimistes seraient les citoyens. Il a une chorale où le bonheur se chante, des filières voient le jour un peu partout dans le monde. Une structure internationale, des conférences, une lettre hebdomadaire, des parapluies, pin’s et parfums font l’éloge du label ! L’optimisme glisse sur la vague de la morosité ambiante. À l’image d’un club sportif, la ligue des optimistes est très active dans son soutien au discours capitaliste. Optimiser la jouissance Jacques Lacan nous éclaire sur les modalités de satisfaction actuelles : l’Autre satisfaction. « Tous les besoins de l’être parlant sont contaminés par le fait d’être impliqués dans une autre satisfaction » et « la jouissance dont dépend cette autre satisfaction [est] celle qui se supporte du langage »[5]. Ainsi, puisque la satisfaction dépend de la réponse de l’Autre, elle est liée aux signifiants de la réponse en tant que signes d’amour. L’optimisme y trouverait là sa place et ses signifiants : bonheur et plaisir optimal ! Faute de pouvoir jouir du rapport sexuel qui n’existe pas, l’être parlant jouit des universels. Jacques-Alain Miller indique que le lien social peut faire fonction de tampon[6]. L’Autre satisfaction est celle de la communication, c’est une jouissance communautaire qui permet de se situer les uns par rapport aux autres… Au mieux il s’agirait d’optimiser cette jouissance. Le lien à la communauté de ces optimistes engagés leur permet de trouver un « style de relations » où les codes identificatoires ont leur importance. Façon nouvelle d’être représenté pour l’Autre : « Optimistes ! Positivez, tout va bien ! » Ou encore « Positifs, Il faut optimiser! » Le 5HTT : le bonheur est une affaire de longueur … Face à l’injonction de l’optimisme pour tous, morale et désir sont ravalés par la science au rang du « 5HTT »[7]. Dans un article de Sylvie Déthiollaz (docteur en biologie moléculaire), publié dans la revue « Prolune », l’auteur pose la question : « 5HTT : et si le bonheur était affaire de longueur ? »[8] Une étude menée par une équipe de chercheurs du King’s College de Londres démontre que ce gène confère une aptitude à faire face aux aléas de la vie, proportionnellement à sa longueur. La clé du bien être serait génétique, occultant toute question subjective liée au fait d’être « fatigué, déprimé, pessimiste »[9]. Le bonheur qui se mesure, peut être appuyé sur un dosage médicamenteux. Le bonheur se prescrit… Dans la même logique, la chaîne de confiserie espagnole Happy Pills a enrichi l’univers des bonbons gélifiés en vrac en puisant dans trois univers : la pharmacie, la drogue et l’art contemporain. Les bonbons curatifs détournent les codes pharmaceutiques. Le client devient prescripteur de ses pilules du bonheur. Les commerces, lieux de pharmacies gourmandes, empruntent également leurs codes à l’univers de la drogue. Le produit se vend au gramme près. Sous couvert d’humour, le client est encouragé à transgresser pour un brin d’optimisme et un bonheur assuré. À confondre une santé qui s’achète avec la promesse du bonheur, le mot d’ordre est bien : jouis ! La qualité de vie où bonheur, satisfaction, optimisme trouvent à se loger, apparaît comme un maître mot d’une nécessaire « conversation permanente » autour d’un impossible collectiviser, comme l’a indiqué Éric Laurent[10]. à À déjouer ces propagandes imaginaires, la psychanalyse délie des lendemains qui chantent, leur préférant les inventions singulières du sujet. Une prescription sur mesure qui ne se vend pas en pharmacie. [1] Happy Show, La Gaîté lyrique, 3 bis, rue Papin, Paris 3e, 28 novembre 2013 – 9 mars 2014. www.gaite-lyrique.net [2] Ghosn J., « Pharrell Williams, rendez-vous avec Mr. Happy », Obsession n° 17, avril 2014. [3] Get lucky, avec Daft Punk, Blured lines avec Robin Thicke. [4] Site « La ligue des Optimistes », fr.optimistan.org/, www.liguedesoptimistes.be [5] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil, 1975, p. 49. [6] Miller, J.-A., « L’orientation lacanienne. Le partenairesymptôme », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, leçon du 14 janvier 1988. [7] 5HTT est une protéine qui influence la capacité à gérer les difficultés. Le promoteur du gène 5HTT existe en deux versions (courte ou longue). La version longue permet une production plus élevée de la protéine. [8] Déthiollaz S., Revue Prolune n° 10 (protéines à la une), « 5HTT, et si le bonheur était une affaire de longueur ? », septembre 2003. [9] Hariri A. R. et al., « Serotonin Transporter Genetic Variation and the Response of the Human Amygdala », Science 297 : 400-4003 (2002) PMID : 12130784. [10] Cité par Monique Amirault, site de l’École de la Cause freudienne, in Chroniques Lacaniennes, « La clé du bien être, un bain de jouvence », 2009. Complot, complot ? vous avez dit Au cours des derniers jours, la presse écrite[1] et les journaux télévisés[2] ont mis en lumière la rapidité avec laquelle différentes rumeurs, relayant les théories du complot concernant les attaques qui ont récemment touché notre pays, avaient pu circuler sur les réseaux sociaux et surtout à quel point une frange importante de la population, principalement jeune mais pas seulement, pouvait potentiellement y adhérer. Objet de recherche de la psychologie sociale depuis plus de soixante ans, la rumeur n’a pas attendu l’avènement de la toile moderne qu’est le net pour exister. La nouveauté réside bien plus dans l’hyper-accélération qu’a pu subir ce phénomène, comme quelques autres avant lui, de par les nouveaux moyens de communication. Une rumeur aurait pris des semaines voire des mois à enfler il y a encore vingt ans. Là, cela s’est répandu en quelques heures sur les différents réseaux sociaux d’aujourd’hui. La rapidité du processus cependant ne change en rien les caractéristiques d’un tel phénomène : instabilité des récits en lien à l’implication importante des sujets quant à la négativité du message, associée avec l’attribution de sources multiples. Le fameux: « Je l’ai vu sur internet ! » venant alors balayer pratiquement toute contestation possible chez certains. La défiance des partisans d’un tel discours semble tout autant se trouver dans la volonté de désignation d’un Autre malintentionné que dans l’adhésion grandissante à une noncroyance en l’information proposée par les médias dits traditionnels. Déjà en 2011, Jacques-Alain Miller attirait notre attention sur le phénomène[3]. En y repérant les principales coordonnées de la logique complotiste, il pointait l’importance pour ses défenseurs d’attribuer une responsabilité à un Autre « multiforme, tentaculaire et dissimulé »[4] afin de venir combler les trous laissés dans le savoir mais aussi toute la part de hors-sens que peut comporter n’importe quel événement historique. La plupart des faits majeurs de l’histoire contemporaine ont connu leur lot de récits conspirationnistes, de la Shoah aux attentats du 11 septembre 2001, en passant par les missions lunaires Apollo ou encore l’assassinat de J.-F. Kennedy. Pour les partisans de ces récits, il y aura toujours une bonne raison de ne pas y croire. En quelques jours seulement, les événements survenus entre le 7 et le 9 janvier auront été mis en doute au nom, successivement, d’un gilet pare-balle, de rétroviseurs, d’une carte d’identité, d’un policier mort et d’une prétendue paire de menottes. Et il y a fort à parier que la liste s’allongera. Car la logique de ce type de récit est de pouvoir s’appuyer sur tout élément relevant du champ du hasard, du manque, du hors-sens, pour y rétablir un désir prêté à l’Autre permettant ainsi de rabouter ce qui pouvait venir à manquer de sens. Le récit s’en trouve alors « irréfutable. Il s’autovalide. La trame du récit se resserre. Il est fermé sur lui-même, comme un poème »[5]. En son temps déjà, Freud avait attiré notre attention sur ce qu’il présentait, dans Totem et Tabou, comme le tout premier complot, le postulant à l’origine même du lien social, avec l’alliance des frères contre le père de la horde. Mais, à la différence de la rumeur du complot avec son type de récit visant à cerner l’authenticité en la saturant de sens, le mythe se déploie d’emblée dans le registre de la fiction historique comme « un énoncé de l’impossible »[6]. La lecture originale des mythes que propose la psychanalyse dévoile, dans leur structure, le lien avec l’autre qu’ils permettent d’établir. C’est alors que les récits mythiques se distinguent des récits complotistes car ces derniers intègrent automatiquement un Autre méchant à leur trame narrative et ne permettent de faire lien qu’avec quelques très rares autres. Le monde se séparant alors par exemple entre les truthers – comme ils se surnomment -, partisans de la vérité, et les autres. Pour certains sujets pointe donc la perspective d’une rupture dans le lien social que nous sommes déjà en mesure d’observer dans ces résonnances locales. [1] Libération, édition du 21 janvier 2015, p. 2-5. http://www.liberation.fr/monde/2015/01/17/apres-charlie-hebdola-theorie-du-complot-relancee_1182921 [ 2 ] http://www.canalplus.fr/c-infos-documentaires/c-la-nouvelle-ed ition/pid6850-la-nouvelle-edition.html?vid=1198045 [3] Miller J.-A., Le Point, 15 décembre 2011. [4] Ibid. [ 5 ] Ibid. [ 6 ] Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, p. 145. Dans le vif d’une conférence d’Hélène Bonnaud : Nancy Huston, from the bad new to Bad Girl La conférence tenue par Hélène Bonnaud, à Amiens, à propos de l’inconscient de l’enfant et l’analyste[1], a fait résonner pour nous que l’inconscient est fondé sur ceci, comme nous l’indique Lacan, « […] que dès l’origine il y a un rapport avec “ lalangue ”, qui mérite d’être appelée, à juste titre, maternelle parce que c’est par la mère que l’enfant – si je puis dire – la reçoit. Il ne l’apprend pas. »[2] L’enfant n’est pas issu d’une abstraction, c’est bien pourquoi la pente du sujet qui fait l’expérience de l’analyse, est de parler de sa maman et son papa. Lacan ajoute qu’il « a eu une histoire et une histoire qui se spécifie de cette particularité : ce n’est pas la même chose d’avoir eu sa maman et pas la maman du voisin, de même pour le papa. »[3] La lecture du dernier ouvrage de Nancy Huston nous a mis au travail sur cette assertion articulée à cet autre dit de Lacan selon lequel « nous sommes les fils du discours »[4]. Huston nous fait entendre ce qu’a été pour elle, la rencontre de son corps vivant attrapé par le discours : « À compulser tous ces jolis débris, lettres, photos et souvenirs, qui flottent dans le liquide amniotique avec toi petite Dorrit, on ne peut qu’être frappé par le fait que ce sont des femmes qui te mettront en contact avec la littérature et la musique. »[5] Bad Girl, classes de littérature, récit autobiographique de Nancy Huston nous enseigne sur ce qui a poussé la bad girl à écrire. Elle nous présente les rencontres qui ont marqué son parcours comme des « classes de littérature ». Enfant nondésirée, puis abandonnée par sa mère, elle a cherché à comprendre tout au long de son œuvre ce qui s’était passé ce fameux jour où sa mère est partie très loin de ses enfants. Elle nous livre ce qu’elle a mis plus d’un demi-siècle à saisir, à admettre : qu’elle avait été promise à la mort. Si Lacan a pu soutenir les incidences sur le sujet du nondésir d’enfant, notons qu’il s’agit moins de l’enfant que du sujet, qui de n’avoir pas été admis dans la chaîne signifiante, veut alors en sortir, se trouvant ainsi corrélé au suicide[6]. Plus tard, a contrario, il soutiendra que « Désiré, ou pas – c’est du pareil au même, puisque c’est par le parlêtre ».[7] Nous articulerons cette proposition frappante avec ce qu’il avait auparavant affirmé : « nous sommes les fils du discours. » C’est ce dont nous parle Nancy Huston : « nous savons si peu, si peu sur le pourquoi de notre être-en-vie. »[8] Telle une brodeuse, Nancy Huston sait pourtant que nous interprétons toujours, nous tentons toujours de donner du sens là où il n’y en a pas. C’est le parti pris de l’écriture qui étonne, elle s’adresse sous la forme vocative, au fœtus qu’elle a été pour parler d’elle, fœtus qu’elle a nommé Dorrit. Ainsi, les neuf mois de grossesse seront le temps de lui raconter le sujet qu’elle va devenir en parcourant les discours qui ont présidé à sa naissance, puis ce qu’elle aura pu en faire. La petite Dorrit[9] est le titre d’un roman de Dickens, qui consonne en anglais avec Horrid, abominable, évoquant l’horreur qu’a été pour sa mère la nouvelle de sa grossesse : « Tu t’accroches. S’accrocher, Dorrit, sera l’histoire de ta vie. »[10] Elle dresse le portrait de ses aïeux, de la barjoterie familiale qui précéde la venue au monde de ses parents. L’histoire se déroule dans les années cinquante, dans l’ouest du Canada. Kenneth et Alison, ses parents sont alors encore jeunes étudiants, ont déjà un enfant qui souda peut-être malgré eux leur union, quand un second enfant est annoncé, c’est la mauvaise nouvelle. Huston, retrace alors d’une manière tout à fait originale, le trajet qui s’est noué pour elle, sans le savoir, de la bad new à la bad girl à laquelle elle s’est identifiée. N. Huston répond aux commentaires qu’a pu susciter l’abandon maternel qu’elle avait déjà évoqué, oui, cela a été tragique et pour sa mère, et pour elle. Mais contre toute attente, c’est là où elle loge son être, devenir « une femme de lettres »[11]. Sa mère, face à l’ultimatum de son homme, choisira de quitter son foyer, en femme moderne, en avance sur son temps, ne se résolvant pas à être uniquement mère au foyer. Ce sera le début d’une correspondance suivie entre la mère et la fille, mais également l’invention de personnages l’imaginaire de l’enfant, Nancy Huston. peuplant Huston saisit, par fragments, son usage de l’écriture telle une réponse à la mauvaise nouvelle qu’a été sa naissance pour sa mère. La généalogie est faite de mots, de signifiants, ce que H. Bonnaud met en pratique avec le cas de l’enfant mutique, diagnostiqué autiste. Qu’il ait eu la chance de rencontrer un analyste, lui a permis de mettre en circulation un signifiant, puis un autre, l’inscrivant dans la chaîne signifiante, lui rendant la parole. H. Bonnaud, avec le savoir-faire, qu’elle a su tirer de l’expérience de sa cure, de ses contrôles et de sa formation a su faire passer son savoir-y-faire avec le symptôme quand celui-ci entrave le sujet dans son rapport au désir. * Huston N., Bad Girl. Classes de littérature, Arles, Actes Sud, 2014. [1] Bonnaud H., L’inconscient de l’enfant – Du symptôme au désir de savoir, Paris, Navarin/Le Champ freudien, 2013. Conférence, le 8 Octobre 2014, en ouverture du cycle de conférences à Amiens de l’ACF-CAPA. [2] Lacan J., Scilicet, n° 6/7, Paris, Seuil, 1976, « Conférences et entretiens dans des universités nordaméricaines – Le symptôme », p. 47. [3] Lacan J., ibid., p. 45. [4] Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, …ou pire, Paris, Seuil 2011, leçon du 21 juin 1972, p. 235. [5] Huston N., op. cit., p. 62. [6] Lacan J., Le Séminaire, livre V, Les formations de l’inconscient, Paris, Seuil, 1998, leçon du 12 février 1958, p. 245. [7] Lacan J., Le Séminaire, livre XXVII, « Dissolution, le malentendu », Ornicar ?, n° 23, Paris, Navarin, leçon du 10 juin 1980. [8] Huston N., op. cit., p. 12. [9] Dickens C., La petite Dorrit, 1855-1857, Paris, Gallimard, 1970. [10] Huston N., ibid., p. 12. [11] Huston N., interview dans Le temps des écrivains, Magazine Littéraire de France Culture, octobre 2014 : http://www.franceculture.fr/oeuvre-bad-girl-de-nancy-huston À TERME Ni évidente, ni tangible, ni naturelle ! Voilà le creux dans lequel Christiane Alberti a logé l’élan qui nous a conduits depuis plusieurs mois pour aborder l’Être mère, titre donné aux 44es Journées de l’ECF en 2014. L’Hebdo-Blog, depuis sa naissance en septembre dernier, a accompagné la gestation de ces Journées, ce travail minutieux et enthousiaste où l’on peut saisir le multiple de cet être : première séductrice pour Freud, mais aussi réponse phallique au manque de la femme, Autre de la demande pour Lacan, transmettant la langue, impliquant l’enfant dans un désir, dans une jouissance, solution fétiche à la féminité voilant le manque comme l’interroge Jacques-Alain Miller, mais aussi Autre de l’amour, n’étant là qu’au prix de son manque assumé et reconnu. Christiane Alberti avance un vouloir être mère généralisé à mesure qu’avance le déclin de l’empire du père dans notre modernité. Ces Journées de l’ECF nous invitent ainsi à interroger les fictions maternelles, celles qui leurrent et enchantent, à la lumière d’une satisfaction réelle, soit à la lumière de l’expérience de la psychanalyse et de la singularité à partir de laquelle elle autorise à considérer notre époque. « À devenir mère, cesse-t-on d’être une femme ? » interroge l’argument des Journées 44. L’Hebdo-Blog propose, arrivé au terme de ce parcours, un triptyque qui part justement de cette question avec des textes issus de la journée préparatoire proposée par nos collègues de la délégation Val de Loire-Bretagne de l’ACF. Dans les textes de Christine Maugin, Nathalie Leveau et Anne- Marie Le Mercier, on pourra suivre ce questionnement qui met en relief que l’être-mère ne se présente au fond que comme une modalité singulière de réponse, et notamment à l’énigme de ce qui fonde l’existence pour une femme. Mais cette réponse singulière, et donc multiple, non standardisable, impossible à réduire à une recette comportementale, révèle du même coup l’inadéquation profonde de l’existence à l’être. Ce trajet à trois voix, trois énonciations, est clinique, ancré dans la clinique que l’expérience de la psychanalyse permet de transmettre. L’Être mère : à chaque mère, une solution ! Notre après midi du 18 octobre a donné la parole à L’ÊTRE MÈRE À NANTES. Ce qu’enseigne la psychanalyse c’est que l’être mère pose la question de lecture au cas par cas. Comme le questionne Christiane Alberti dans l’argument des journées, être mère n’est pas quelque chose qui se passe dans son corps uniquement. Avec l’enseignement de Lacan, nous pouvons avancer sur le fait qu’avoir un enfant, dans son ventre ou dans la réalité, est tout autre chose que de l’avoir dans sa préoccupation, dans son esprit. Avoir un enfant cela peut être tout à fait satisfaisant pour la mère, mais cela peut tout aussi la confronter à un moment d’étrangeté. Dans la clinique nous pouvons rencontrer des mères pour qui l’enfant qui est là représente à la fois l’objet qui lui manque, la comble, mais aussi l’angoisse, l’inquiète. Et pour chacune des mères cela n’est pas chose facile. Alors on peut répondre par un enseignement aux mères, à s’exercer à ce métier de la maternité, en donnant des modes d’emploi. Heureusement, Lacan nous indique dans sa Note sur l’enfant, que tout cela ne vaut que pris dans « un désir qui ne soit pas anonyme »[1]. À chaque mère, un lien à un enfant. Être mère est une solution que chacune trouve pour faire entrer son enfant dans ce qu’on appelle couramment sa préoccupation maternelle. Être mère, c’est aussi trouver une manière de faire avec cette question, trouver un arrangement, une solution singulière que la rencontre avec un psychanalyste peut aider à élaborer. Chez Freud, être mère a été la première réponse phallique : au manque de la femme répondait l’avoir de la mère. L’enfant est alors un substitut phallique, la femme ayant trouvé dans l’enfant ce petit avoir qu’elle n’a pas et que son père ne peut lui donner. Dans son rôle œdipien le père venait barrer la jouissance maternelle, celle de posséder son produit. Le père était le garant de la séparation de la mère et de son enfant ; par son intervention il empêchait la mère de dévorer l’enfant. Cette figure de dévoration, Lacan l’a transformée en celle de la bouche du crocodile que le phallus paternel vient empêcher de se refermer sur l’enfant[2]. Quand le Nom-du-Père peut barrer la jouissance de la mère, celle-ci devient symbolique : au désir de la mère peut se substituer le Nom-du-Père, laissant alors à l’enfant la possibilité de s’inscrire dans la castration, le manque et donc le désir. Lorsque l’enfant ne répond pas à la demande, il l’oblige à désirer en dehors de lui : la mère est d’abord une femme et son désir d’ailleurs permettra à l’enfant de se confronter à un manque et de cheminer vers son désir. Lorsque l’enfant satisfait la mère, ce n’est qu’au travers de son image phallique à elle la mère : ce que sa mère désire en lui, sature en lui, satisfait en lui, ce n’est rien d’autre que le phallus[3]. Ne pas être ce phallus de la mère crée une « discordance imaginaire »[4]. Il divise alors la mère, entre mère et femme. Derrière la mère, une femme. Et Jacques-Alain Miller le rappelle[5]: une mère, quels que soient les soins qu’elle apporte à son enfant, cela ne doit pas la détourner de désirer en tant que femme. Sinon, c’est l’angoisse: un enfant qui comble sa mère l’angoisse au sens où elle ne désire plus en tant que femme. Autant la vraie femme est celle qui, sous la figure de Médée, peut aller jusqu’à tuer la progéniture de son mari Jason pour rester femme, autant la mère est celle du don symbolique, de l’amour, soit de ce qu’elle n’a pas. Le texte de Nathalie Leveau ouvre la discussion en effet sur cette division entre la mère et la femme. [1] Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris, Seuil, 2001, p. 373. [2] Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’envers de la psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, p. 129. [3] Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La relation d’objet, Paris, Seuil, 1994, p. 56. [4] Ibid., p. 57. [5] Miller J.-A., « L’enfant et l’objet », La petite girafe, n° 18, Agalma, 2003. Le « ou mère/ou femme » de la névrose La maternité serait-elle une solution fétiche à la féminité se demande Jacques-Alain Miller[1]. Le fétiche est un voile qui sert à masquer le manque, pour faire croire qu’il y a, là où il n’y a rien. Lacan en parle à propos des perversions. Quand l’enfant reste pris dans la relation imaginaire à la mère constituée du couple mère-phallus, il a comme solutions de s’identifier soit à la mère – qui ne l’a pas – soit au phallus qui lui manque. Ainsi il ne sort pas de l’univers de la mère et du phallus. Lacan qualifie cet univers de « phallocentrisme » et le retrouve chez le petit Hans, un cas de névrose. Hans, cinq ans, déclenche sa phobie après la naissance de sa petite sœur dans un moment où pour lui le phallus, jusque-là imaginarisé au champ de la mère, devient réel. Avec ses premières érections, Hans l’appréhende désormais dans son corps. Ce phallus lui est solidement accroché. La mère dont le désir est tourné vers le phallus va le dévorer – le phallus et Hans avec ! Hans s’en sortira à condition de faire advenir le phallus comme signifiant. Il trouve la solution de la vis : le phallus se visse et se dévisse au gré des besoins. Mais Lacan souligne que cette solution reste névrotique. La névrose c’est croire au phallus en tant qu’un objet pourrait combler le désir. L’enfant s’aperçoit que la mère manque, mais il ne l’accepte pas. J.-A. Miller parle de « scandale »[2] pour la castration maternelle : c’est un scandale ! Le sujet névrosé n’en veut rien savoir. Seule l’analyse permettrait de l’admettre, en découvrant qu’aucun objet ne sature le désir, que la mère ne peut être satisfaite, que le sujet ne peut combler la mère, ce qui constitue un soulagement. La sortie de la névrose se ferait donc par cette clé : admettre que la mère soit une femme. Alors comment entendre la disjonction mère/femme? Est-elle à mettre au compte de la névrose ? Au sens où pour le névrosé la mère n’est pas une femme. On aurait donc : ou la mère / ou la femme. Car J.-A. Miller indique que c’est « dans l’inconscient » que la mère est le contraire de la femme. Ce n’est pas sans conséquences. Pour le névrosé, si la femme c’est le contraire de la mère, faut-il refuser d’être une mère pour rester une femme ? Toute une clinique est là convoquée : aléas des femmes pour avoir des enfants, mener à terme une grossesse ou se décider pour le bon géniteur, embrouilles des hommes et des femmes pour concilier vie de couple et vie familiale. Certains couples semblent s’accommoder très bien de cette disjonction, « couples exemplaires »[3] selon J.A.Miller. Mais pour lui le soupçon pèse sur le secret de leur réussite : la femme consentirait à être une mère pour son homme. D’autres femmes voient dans la maternité un refuge à la féminité. Le dénuement qu’implique la position féminine, parfois vécu comme insoutenable, peut les précipiter dans « l’avoir des enfants »[4]. Souvent en rejetant l’époux, parfois le père. Ce qui est une manière de régler la disjonction. Ainsi comment sortir de cette disjonction ? Comment le sujet peut-il en sortir autrement que par des solutions toujours coûteuses ? L’analyse n’offrirait-elle pas une voie de sortie meilleure en la dépassant ? Ce qui comporte d’accepter que la mère soit une femme, que la Mère n’existe pas, qu’elle n’est pas-toute, qu’elle n’absorbe pas-tout du manque et de la féminité. Ainsi le chemin est long, mais, passé le « scandale », l’« être mère » aurait chance de devenir plus supportable. [1] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Donc », enseignement prononcé dans le cadre du département de psychanalyse de l’université Paris VIII, leçon du 30 mars 1994, inédit. [2] Ibid., leçon du 6 avril. [3] Ibid. [4] Ibid. De mère en fille, un « se jouir » dévorant Dans un petit texte produit avant le congrès de l’AMP sur l’ordre symbolique au XXIe siècle, Dominique Laurent précise la logique du lien mère-enfant : l’enfant participe de ce qu’elle appelle « l’appareil à jouir » de la mère, dans une articulation logique entre le phallus (-φ) et l’objet a. « L’enfant est inclus dans la consistance logique de l’objet a, mais il n’en reste pas moins pris dans la valeur de (-φ). Il participe de l’appareil à jouir qu’est le fantasme. Le corps de la mère se jouit de l’enfant qui la remplit, bien [1] qu’il reste un semblant dans la série des objets perdus. » Lorsque seule la jouissance de l’enfant comme objet est en jeu, l’enfant est réduit à incarner l’objet cause du fantasme maternel ce qui le met en impasse quant à l’accès à un désir propre. Dans la première partie de son enseignement, Lacan indique que c’est la métaphore paternelle qui régule la jouissance dans le lien mère-enfant. Dans son dernier enseignement, avec « R.S.I. », il parle des objets de la mère que sont ses enfants, et évoque le père qui se fait respecter non parce qu’il fait la loi, mais parce qu’il choisit une femme comme [2] objet cause de son désir . Chacun a donc son objet, une femme pour le père, l’enfant pour la mère. Ici c’est la père-version qui prend le relais de la métaphore paternelle. Chaque Un, dans le couple dit parental, doit trouver l’usage qui convient de sa version du père comme traitement de la jouissance, c’est ce dont il s’agit dans le Séminaire Le sinthome. Ainsi la recherche d’un juste écart entre une mère et ses objets- enfants ne procède pas toujours de la métaphore paternelle ni forcément du lien à un homme. Aline refuse que l’allaitement cesse avant la scolarisation de sa fille. Elle s’appuie sur la promotion contemporaine de la santé de l’enfant via l’allaitement pour justifier la jouissance de cette dévoration réciproque. Au fil des séances, elle s’aperçoit qu’elle vit chaque progrès de sa fille comme une perte. Ce dire fait de l’avidité de l’allaitement un symptôme, et ouvre la question de la séparation. Cet exemple témoigne du lien de la mère à la castration, mais permet aussi de repérer comment une mère tente de nourrir l’illimité de la jouissance féminine par sa localisation dans un corps à corps avec l’enfant. La métaphore paternelle ne suffit pas à traiter la jouissance en cause. Son mari est très amoureux d’Aline, elle l’aime aussi, dit-elle, et consent à le laisser s’occuper de l’enfant et l’éduquer avec elle. Mais elle estime qu’elle seule, du fait d’être la mère, sait naturellement ce qui convient en matière d’allaitement. Ceci ne l’empêche pas de se plaindre que son homme ne l’aide pas assez en matière de soin aux enfants. Ce moi seule peut-il ouvrir l’espace d’une autre singularité ? La cure vise à favoriser l’invention d’une autre réponse à ce qui, pour ce sujet féminin, reste énigmatique quant à ce qui fonde son existence. Aline se jette à corps perdu dans le travail qui la lie au corps médical. Mais c’est pour retrouver le même appétit de dévoration subie : elle se fait « bouffer » par son travail, et n’a pas assez de temps pour manger. Elle reconnaît là l’écho du refus anorexique qui animait le ravage entre elle et sa mère. Elle reste donc en attente d’une autre alliance entre le corps et la langue qui lui permettrait de s’orienter entre les femmes et les mères, sans que sa fille soit tenue de lui donner consistance de corps. [1] Laurent D., « Mère », L’ordre symbolique au XXI e siècle, Scilicet, Collection Rue Huysmans, École freudienne, Paris, 2013, p. 229-231. [2] de la Cause Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « R.S.I. », leçon du 21 janvier 1975, inédit.