Positive attitude,Complot, vous avez dit complot - L`HEBDO-BLOG

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Positive attitude,Complot, vous avez dit complot - L`HEBDO-BLOG
Cérémonies protocolaires
Comment tenter de saisir une part de jouissance non
négativable au risque d’exclure le sujet ?
Là où était l’exploit sera aujourd’hui la performance.
Delphine Jézéquel nous emmène ici vers le corps parlant, Rio
et le Congrès de l’AMP. Courons avec elle.
Les performances de Chris Froome lors du dernier Tour de
France font l’objet de soupçons. Sa montée fulgurante, le 14
juillet dans les Pyrénées, vient rappeler celle effectuée en
2013 sur les pentes du Mont-Ventoux : les chiffres indiquaient
une ascension avalée en 48 minutes et 35 secondes, à deux
secondes du record de Lance Armstrong en 2000. « Alors que son
rythme cardiaque n’a jamais dépassé les 165 pulsations par
minute tout au long des 15,9 km à 8,6 % de pente moyenne, sa
vitesse passe ainsi de 19km/h à 30km/h en quatre secondes […]
la puissance développée s’établissant à 600 watts »[1].
Frédéric Grappe, docteur en biomécanique et physiologie du
sport s’insurge contre ces raccourcis chiffrés[2].
Les commentaires douteux de Jalabert et Vasseur sur France
Télévision, relancent la suspicion de dopage. Froome en est
victime : bras d’honneur, crachats, injures, jet d’urine. Le
18 juillet, six vélos sont démontés. Les pédaliers sont
inspectés à l’aide d’une caméra : des contrôles inopinés pour
détecter une éventuelle tricherie mécanique. Le dopage
chimique reste très surveillé. Depuis le 1er janvier 2015, le
nouveau code mondial antidopage autorise à contrôler tout
sportif, en tous lieux, en tous moments. L’Agence française de
lutte contre le dopage et la Fondation Antidopage du Cyclisme
affirment leur coopération dans un communiqué commun : « Il
s’agira d’adopter une approche globale, afin de maximiser
l’efficacité du système de contrôle, notamment à travers des
contrôles ciblés au début de la compétition – en particulier
grâce à l’échange de données lié à la localisation des
coureurs – ainsi qu’à l’échange d’informations relatif au
passeport biologique ». Jacques-Alain Miller avertit qu’il y a
une part de jouissance qui ne répond pas à l’interdit, « à qui
la négation ça ne fait rien du tout »[3]. Cet illimité pousse
les instances vers le zéro dopage. Or ces contraintes
draconiennes favorisent d’autres dépassements de limites.
L’utilisation des nanotechnologies touche les corps
insidieusement, le piratage informatique s’invite. Des données
statistiques personnelles de Froome (fréquence de pédalage,
puissance et rythme cardiaques…), provenant d’un capteur placé
dans le pédalier, ont été dérobées. Initialement prévu pour
établir le programme d’entraînement, le manager de Sky en
indique le nouvel usage : « Pour convaincre les sceptiques que
Chris ne se dope pas, les datas, c’est essentiel ». Pourtant,
le 5 octobre 2013 à Rennes, le Professeur Klein, physicien des
particules et ultra-trailer, témoignait que « mettre son corps
en mouvement de manière extrême provoque une métamorphose
temporaire du cerveau, comparable à l’effet d’une drogue […]
il explique comment la douleur physique se dompte par la
pensée, qui parvient à maîtriser le corps en vue de lui faire
accomplir des exploits »[4].
Ces cérémonies protocolaires, d’accumulation de données et de
contrôle, ne tentent-elles pas de saisir la jouissance non
négativable propre à notre époque, au risque d’« éjecter le
sujet, menacé de sortir du système »[5] ?
[1]
http://www.sports.fr/cyclisme/tour-de-france/articles/froome-d
es-chiffres-qui-sement-le-trouble-1283944/
[2]http://m.20minutes.fr/lyon/1654235-tour-france-frederic-gra
ppe-reportage-stade-2-pure-escroquerie-scientifique
[3] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. L’Être et
l’Un », enseignement prononcé dans le cadre du département de
psychanalyse de l’université Paris VIII, leçon du 9 février
2011, inédit.
[4] http://campuspsy-vlb.blogspot.fr/ Nouvelles pratiques du
corps, entre désir et droit
[5] Laurent É., «Insistance des protocoles, persistance du
désir», Forum CampusPsy, Rennes, 3 octobre 2015.
La mort comme miroir réel de
ce qui fait couple
En service de soins palliatifs, l’imprégnation de la
signification mortelle pousse souvent les patients à une
véritable ouverture du plus intime de ce qui les anime,
faisant fi des résistances consacrées. L’offre d’écoute prend
parfois son sens dans une sorte de processus accéléré de
l’expérience de la parole où le franchissement de l’indicible
trouve à se loger dans la dialectique de l’échange. Car, non
sans angoisse, l’imposture structurante des semblants peut
venir à se révéler dans un dernier sursaut.
C’est le cas de M. L. dont le discours se sera ouvert sous la
forme de l’aveu pour se réduire à la culpabilité de ne pas
avoir pris place à temps dans la dialectique du désir. Au-delà
de l’angoisse de l’inconnu et de sa fierté paternelle mêlée
d’inquiétude prédomine, lors de notre dernier entretien, le
regret d’être resté aux côtés d’une femme pour laquelle toute
forme d’amour avait disparu de longue date. Sans qu’il ne
puisse parvenir à en préciser davantage les coordonnées, il
s’agit avant tout pour lui du constat d’échec d’une relation
antérieurement placée sous le règne de la signification
phallique. Aussi, avoir pour femme la mère de ses enfants aura
suffi à faire tenir un couple fondé sur le socle parental,
mais ne suffira plus à satisfaire la vérité menteuse à l’orée
d’une dernière parole.
Pour lui, l’échéance de la mort aura fait choir l’entité du
couple à une pure contingence, hors-sens, venant révéler la
supercherie de ce qui fonde une relation au jugement le plus
implacable qui soit – à savoir le sien. Confrontée au manqueà-être, l’impossibilité à se soutenir des schémas imaginaires
préexistants est alors venue asseoir la solitude comme reste
de l’opération fantasmatique et partenaire solidaire de
l’organisation subjective.
Dans son dernier enseignement, Jacques Lacan s’attache à se
départir de la question de l’être au profit de l’écriture de
l’existence permettant de réhabiliter le corps comme substance
jouissante. L’atteinte corporelle engendrée par les
pathologies lourdes prend donc place dans la série comme
métaphore de la corporisation, dont le phénomène intrusif fait
porter la marque. Si le donner à voir ontologique ne fonde
rien du côté d’une garantie existentielle, le désêtre se
constitue en ouverture sur le réel de l’existence. Il apparaît
ainsi qu’évidé de l’autre spéculaire, l’habillage de la
jouissance prend valeur de faux-semblant à mesure que le désir
s’abîme dans le défilé des signifiants. Et cette entropie
pulsionnelle conduit le sujet à se heurter à son symptôme
propre tandis que la jouissance singulière s’exile
radicalement de l’autre, mais pas nécessairement de l’Autre de
la parole. Dans cette clinique, l’appréhension trop réelle du
corps vient parfois révéler l’hégémonie de l’impossible
rencontre des sexes. Il n’est pas de meilleur miroir que celui
que convoque la destitution de l’Idéal – outil princeps de
l’investigation subjective – mais dont les effets peuvent
tenir lieu d’envers agalmatique.
Pour M. D., c’est la volonté de comprendre le fondement de la
rencontre avec sa femme quarante huit ans plus tôt qui
constituera un nouage permettant de réorganiser le lien de la
pulsion au partenaire sexuel via la vérité dans sa
quintessence fictionnelle.
Les symptômes énumérés prennent place de manière privilégiée
au sein de la relation, au point de rompre tout dialogue
possible avec son épouse et de nourrir des sentiments hostiles
à son endroit. Les entretiens révèleront que la maladie aura
eu pour fonction de précipiter des tensions apparues de
manière concomitante au départ des petits-enfants dont ils
avaient fréquemment la charge. Dans ce tête à tête devenu
impossible, la rédaction d’une lettre personnelle portant sur
le sens de la vie et des choix réalisés sera l’ouverture vers
un premier questionnement. Au cours de nos rencontres, M. D.
met l’accent sur la nécessité s’imposant à lui de se tourner
vers des activités extérieures au domicile conjugal. Outre le
signe d’une pulsion de vie lui réattribuant un statut social,
ces activités deviennent également le lieu propice à de
nouvelles rencontres. « On m’accueillait chaleureusement et on
me portait attention », explique-t-il là où la signification
nouvelle de son couple répondait du côté de la maladie et de
l’assimilation de sa femme au statut d’infirmière.
Dans ce vacillement naissant, M. D. revendique son besoin de
tendresse et d’attention et se saisit de ses sorties
extérieures pour tenter de capter chez l’autre ce qui y
répondrait. Selon un mouvement inconscient, il ne cesse de
déclamer sa volonté « d’aller voir ailleurs » sans parvenir à
entendre l’équivoque possiblement dissimulée ni à concevoir la
jalousie de sa femme attisée un peu plus chaque jour. Sa
demande première est que l’Autre sexe soit
l’écouter et de lui parler, éveillant par là
désirante exigée pour faire écran à la réalité
dynamique pétrifiée de son couple – dissimulée
d’un modèle d’union aux yeux des autres.
en mesure de
une position
et brisant la
sous la coupe
Érigée en principe universalisant, la parole séante
contemporaine sacre l’icône du couple et vient sceller la
représentation d’une mort digne tout en s’affranchissant de
l’indice de la subjectivité. Aussi, se vouer au Souverain Bien
pour continuer à croire au sens établi qui fait le lit de
l’exclusion du sentiment de la mort engage le leitmotiv de nos
sociétés dont la maladie incarne parfois le pendant hérétique.
Car du fait de sa levée de l’écran soporeux du fantasme, la
proximité avec la mort devient une invite à révéler l’idiotie
d’une jouissance singulière et répétitive ou peut davantage
encourager les sujets à renouer avec une fiction salvatrice.
Dans le vacillement de la force inconsciente, les arcanes du
sentiment vertigineux de l’être-à-deux se dénudent, venant
dénoncer une combinatoire qui ne va pas de soi. C’est pourquoi
la maladie peut se penser comme prisme révélateur des
pantomimes de la relation amoureuse que tout un chacun
s’applique à faire exister pour parer à la détresse de la
rencontre toujours manquée.
Contingences
Au-delà du couple S1 – S2 , ce qui
se fait et peut se défaire
Une série de surprises m’a touchée ces derniers temps.
Dans le cadre d’un séminaire de lecture au Courtil nous
travaillons la leçon 16 du cours de Jacques-Alain Miller « Le
partenaire-symptôme ». Ce qui m’a retenue a trait à la
connexion de la jouissance avec la contingence, au-delà de
l’articulation signifiante faite du couple S1 – S2 et du sens
joui comme valeur de jouissance.
Dans la rencontre avec un analyste, peut donc se défaire ce
qui ne cesse pas, et s’ouvrir un champ de possibles. Comme le
dit J.-A. Miller : « C’est bien de cela qu’il s’agit dans
l’analyse, le désinvestissement du pathogène n’est jamais que
de l’ordre du possible, c’est-à-dire qu’à un moment, ça cesse
de s’écrire […] c’est là que s’inscrit l’acte analytique et
[…] c’est là que s’inscrit la passe au titre de possibilité
précisément. »[1]
Quelques jours plus tôt, en séance chez l’analyste, j’entends
autrement ce signifiant « impossible » qui a percuté le
corps : non plus avec le sens joui mais dans sa motérialité,
sa matière sonore. Dans ma lalangue, « im-possible » se
prononce comme « sym-ptôme », avec un accent du sud. Cette
découpe du signifiant entame le sens, allège, colore de vie.
Le 13 juin dernier, avant l’assemblée générale de l’ACF, en
présence d’Éric Zuliani, a eu lieu une séance extraordinaire
de l’atelier de lecture qui s’est tenu cette année au local
sur le même cours de J.-A. Miller. Monique Kusnierek, Anne
Lysy, Bernard Seynhaeve et Guy Poblome y ont invité Philippe
Hellebois qui a établi ce cours, avec Christiane Alberti. P.
Hellebois avance que cette contingence de la Leçon 16 est un
moment tournant dans ce cours : J.-A. Miller pose la question
« Pourquoi est-ce que telle parole de l’Autre a pris une
valeur déterminante pour un sujet, pourquoi tels mots ont fait
mouche pour lui ? […] Il est question de poids, de densité, de
couleur, d’intensité. » Il lie la jouissance « à ce qui, à un
moment, cesse de ne pas s’écrire, mais survient, se rencontre,
pour l’un » et à ce que Freud désigne comme le « facteur
quantitatif » de la libido. Puis il développe : « des
formations attirent une certaine quantité d’investissement
libidinal […] à un certain moment, par l’effet d’un
surinvestissement ça se met à agir. » Cependant « […] on ne
peut jamais déduire d’une articulation la quantité
d’investissement qu’elle attire ».
Qu’est-ce qui fait rencontre aléatoire, contingence
imprévisible ? P. Hellebois cherche, à ce moment-là, le
passage où J.-A. Miller prend l’exemple de l’obsessionnel
« retenu par certaines formules ». Cette recherche prend un
peu de temps. Et surprise : j’éternue ! Événement de corps qui
allège et fait rire autour de moi.
Si la contingence fait le lit de l’impossible qui mène à
l’analyse, d’autres contingences liées à l’acte de l’analyste
qui y met son corps, peuvent désinvestir la valeur de
jouissance du symptôme, « faire la révolution dans la
libido » ! Reprenons les termes de P. Hellebois : « Ce qu’une
rencontre a fait, seule une nouvelle rencontre peut le
défaire ».
Au-delà donc du couple S1 – S2 et du sens joui, du nécessaire
et de l’impossible, qui alimentent la rencontre initiale du
signifiant avec le corps, il est possible de faire d’autres
rencontres qui donnent du peps !
[1] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Le partenairesymptôme », enseignement prononcé dans le cadre du département
de psychanalyse de l’université Paris VIII, leçon du 16 mai
1998, inédit.
Positive attitude
J’ai décidé d’être heureux,
Parce que c’est bon pour la santé.
Voltaire
Soyez optimiste ! Le bonheur pour tous définit l’orientation
tendance du sujet contemporain[1], de Pharrell Williams[2] le
monsieur happy des tubes anti-morosité[3] aux réseaux très en
vogue de la « positive thérapie ». Doit-on y voir une
classification marketing (le bonheur ça rapporte) ou une
émergence d’un réseau illustrant une Autre satisfaction ?
Le mot « optimisme » (du latin « optimus », le meilleur) a été
forgé au milieu du XVIII e siècle avec Leibniz pour qui les
hommes vivaient dans le meilleur des mondes possibles. Il
fallait alors se tourner vers l’avenir : le progrès devenait
irréversible et prévisible.
La ligue des optimistes[4]
Créée il y a huit ans en Belgique par un ancien avocat
d’affaires, elle a pour but de créer un nouvel État,
l’Optimistan : un pays métaphorique dont les optimistes
seraient les citoyens. Il a une chorale où le bonheur se
chante, des filières voient le jour un peu partout dans le
monde. Une structure internationale, des conférences, une
lettre hebdomadaire, des parapluies, pin’s et parfums font
l’éloge du label ! L’optimisme glisse sur la vague de la
morosité ambiante. À l’image d’un club sportif, la ligue des
optimistes est très active dans son soutien au discours
capitaliste.
Optimiser la jouissance
Jacques Lacan nous éclaire sur les modalités de satisfaction
actuelles : l’Autre satisfaction. « Tous les besoins de l’être
parlant sont contaminés par le fait d’être impliqués dans une
autre satisfaction » et « la jouissance dont dépend cette
autre satisfaction [est] celle qui se supporte du
langage »[5]. Ainsi, puisque la satisfaction dépend de la
réponse de l’Autre, elle est liée aux signifiants de la
réponse en tant que signes d’amour. L’optimisme y trouverait
là sa place et ses signifiants : bonheur et plaisir optimal !
Faute de pouvoir jouir du rapport sexuel qui n’existe pas,
l’être parlant jouit des universels. Jacques-Alain Miller
indique que le lien social peut faire fonction de tampon[6].
L’Autre satisfaction est celle de la communication, c’est une
jouissance communautaire qui permet de se situer les uns par
rapport aux autres… Au mieux il s’agirait d’optimiser cette
jouissance.
Le lien à la communauté de ces optimistes engagés leur permet
de trouver un « style de relations » où les codes
identificatoires ont leur importance. Façon nouvelle d’être
représenté pour l’Autre : « Optimistes ! Positivez, tout va
bien ! » Ou encore « Positifs, Il faut optimiser! »
Le 5HTT : le bonheur est une affaire de longueur …
Face à l’injonction de l’optimisme pour tous, morale et désir
sont ravalés par la science au rang du « 5HTT »[7]. Dans un
article de Sylvie Déthiollaz (docteur en biologie
moléculaire), publié dans la revue « Prolune », l’auteur pose
la question : « 5HTT : et si le bonheur était affaire de
longueur ? »[8] Une étude menée par une équipe de chercheurs
du King’s College de Londres démontre que ce gène confère une
aptitude à faire face aux aléas de la vie, proportionnellement
à sa longueur. La clé du bien être serait génétique, occultant
toute question subjective liée au fait d’être « fatigué,
déprimé, pessimiste »[9]. Le bonheur qui se mesure, peut être
appuyé sur un dosage médicamenteux. Le bonheur se prescrit…
Dans la même logique, la chaîne de confiserie espagnole Happy
Pills a enrichi l’univers des bonbons gélifiés en vrac en
puisant dans trois univers : la pharmacie, la drogue et l’art
contemporain. Les bonbons curatifs détournent les codes
pharmaceutiques. Le client devient prescripteur de ses pilules
du bonheur. Les commerces, lieux de pharmacies gourmandes,
empruntent également leurs codes à l’univers de la drogue. Le
produit se vend au gramme près. Sous couvert d’humour, le
client est encouragé à transgresser pour un brin d’optimisme
et un bonheur assuré. À confondre une santé qui s’achète avec
la promesse du bonheur, le mot d’ordre est bien : jouis !
La qualité de vie où bonheur, satisfaction, optimisme trouvent
à se loger, apparaît comme un maître mot d’une nécessaire
« conversation permanente » autour d’un impossible
collectiviser, comme l’a indiqué Éric Laurent[10].
à
À déjouer ces propagandes imaginaires, la psychanalyse délie
des lendemains qui chantent, leur préférant les inventions
singulières du sujet. Une prescription sur mesure qui ne se
vend pas en pharmacie.
[1] Happy Show, La Gaîté lyrique, 3 bis, rue Papin, Paris 3e,
28 novembre 2013 – 9 mars 2014. www.gaite-lyrique.net
[2] Ghosn J., « Pharrell Williams, rendez-vous avec Mr. Happy
», Obsession n° 17, avril 2014.
[3] Get lucky, avec Daft Punk, Blured lines avec Robin Thicke.
[4] Site « La ligue des Optimistes », fr.optimistan.org/,
www.liguedesoptimistes.be
[5] Lacan J., Le Séminaire, livre XX, Encore, Paris, Seuil,
1975, p. 49.
[6] Miller, J.-A., « L’orientation lacanienne. Le partenairesymptôme », enseignement prononcé dans le cadre du département
de psychanalyse de l’université Paris VIII, leçon du 14
janvier 1988.
[7] 5HTT est une protéine qui influence la capacité à gérer
les difficultés. Le promoteur du gène 5HTT existe en deux
versions (courte ou longue). La version longue permet une
production plus élevée de la protéine.
[8] Déthiollaz S., Revue Prolune n° 10 (protéines à la une),
« 5HTT, et si le bonheur était une affaire de longueur ? »,
septembre 2003.
[9] Hariri A. R. et al., « Serotonin Transporter Genetic
Variation and the Response of the Human Amygdala », Science
297 : 400-4003 (2002) PMID : 12130784.
[10] Cité par Monique Amirault, site de l’École de la Cause
freudienne, in Chroniques Lacaniennes, « La clé du bien être,
un bain de jouvence », 2009.
Complot,
complot ?
vous
avez
dit
Au cours des derniers jours, la presse écrite[1] et les
journaux télévisés[2] ont mis en lumière la rapidité avec
laquelle différentes rumeurs, relayant les théories du complot
concernant les attaques qui ont récemment touché notre pays,
avaient pu circuler sur les réseaux sociaux et surtout à quel
point une frange importante de la population, principalement
jeune mais pas seulement, pouvait potentiellement y adhérer.
Objet de recherche de la psychologie sociale depuis plus de
soixante ans, la rumeur n’a pas attendu l’avènement de la
toile moderne qu’est le net pour exister. La nouveauté réside
bien plus dans l’hyper-accélération qu’a pu subir ce
phénomène, comme quelques autres avant lui, de par les
nouveaux moyens de communication. Une rumeur aurait pris des
semaines voire des mois à enfler il y a encore vingt ans. Là,
cela s’est répandu en quelques heures sur les différents
réseaux sociaux d’aujourd’hui. La rapidité du processus
cependant ne change en rien les caractéristiques d’un tel
phénomène : instabilité des récits en lien à l’implication
importante des sujets quant à la négativité du message,
associée avec l’attribution de sources multiples. Le fameux:
« Je l’ai vu sur internet ! » venant alors balayer
pratiquement toute contestation possible chez certains. La
défiance des partisans d’un tel discours semble tout autant se
trouver dans la volonté de désignation d’un Autre
malintentionné que dans l’adhésion grandissante à une noncroyance en l’information proposée par les médias dits
traditionnels.
Déjà en 2011, Jacques-Alain Miller attirait notre attention
sur le phénomène[3]. En y repérant les principales coordonnées
de la logique complotiste, il pointait l’importance pour ses
défenseurs d’attribuer une responsabilité à un Autre
« multiforme, tentaculaire et dissimulé »[4] afin de venir
combler les trous laissés dans le savoir mais aussi toute la
part de hors-sens que peut comporter n’importe quel événement
historique. La plupart des faits majeurs de l’histoire
contemporaine ont connu leur lot de récits conspirationnistes,
de la Shoah aux attentats du 11 septembre 2001, en passant par
les missions lunaires Apollo ou encore l’assassinat de J.-F.
Kennedy. Pour les partisans de ces récits, il y aura toujours
une bonne raison de ne pas y croire. En quelques jours
seulement, les événements survenus entre le 7 et le 9 janvier
auront été mis en doute au nom, successivement, d’un gilet
pare-balle, de rétroviseurs, d’une carte d’identité, d’un
policier mort et d’une prétendue paire de menottes. Et il y a
fort à parier que la liste s’allongera. Car la logique de ce
type de récit est de pouvoir s’appuyer sur tout élément
relevant du champ du hasard, du manque, du hors-sens, pour y
rétablir un désir prêté à l’Autre permettant ainsi de rabouter
ce qui pouvait venir à manquer de sens. Le récit s’en trouve
alors « irréfutable. Il s’autovalide. La trame du récit se
resserre. Il est fermé sur lui-même, comme un poème »[5].
En son temps déjà, Freud avait attiré notre attention sur ce
qu’il présentait, dans Totem et Tabou, comme le tout premier
complot, le postulant à l’origine même du lien social, avec
l’alliance des frères contre le père de la horde. Mais, à la
différence de la rumeur du complot avec son type de récit
visant à cerner l’authenticité en la saturant de sens, le
mythe se déploie d’emblée dans le registre de la fiction
historique comme « un énoncé de l’impossible »[6]. La lecture
originale des mythes que propose la psychanalyse dévoile, dans
leur structure, le lien avec l’autre qu’ils permettent
d’établir. C’est alors que les récits mythiques se distinguent
des récits complotistes car ces derniers intègrent
automatiquement un Autre méchant à leur trame narrative et ne
permettent de faire lien qu’avec quelques très rares autres.
Le monde se séparant alors par exemple entre les truthers –
comme ils se surnomment -, partisans de la vérité, et les
autres. Pour certains sujets pointe donc la perspective d’une
rupture dans le lien social que nous sommes déjà en mesure
d’observer dans ces résonnances locales.
[1] Libération, édition du 21 janvier 2015, p. 2-5.
http://www.liberation.fr/monde/2015/01/17/apres-charlie-hebdola-theorie-du-complot-relancee_1182921
[ 2 ]
http://www.canalplus.fr/c-infos-documentaires/c-la-nouvelle-ed
ition/pid6850-la-nouvelle-edition.html?vid=1198045
[3]
Miller J.-A., Le Point, 15 décembre 2011.
[4]
Ibid.
[ 5 ]
Ibid.
[ 6 ] Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’envers de la
psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, p. 145.
Dans le vif d’une conférence
d’Hélène Bonnaud : Nancy
Huston, from the bad new to
Bad Girl
La conférence tenue par Hélène Bonnaud, à Amiens, à propos de
l’inconscient de l’enfant et l’analyste[1], a fait résonner
pour nous que l’inconscient est fondé sur ceci, comme nous
l’indique Lacan, « […] que dès l’origine il y a un rapport
avec “ lalangue ”, qui mérite d’être appelée, à juste titre,
maternelle parce que c’est par la mère que l’enfant – si je
puis dire – la reçoit. Il ne l’apprend pas. »[2] L’enfant
n’est pas issu d’une abstraction, c’est bien pourquoi la pente
du sujet qui fait l’expérience de l’analyse, est de parler de
sa maman et son papa. Lacan ajoute qu’il « a eu une histoire
et une histoire qui se spécifie de cette particularité : ce
n’est pas la même chose d’avoir eu sa maman et pas la maman du
voisin, de même pour le papa. »[3]
La lecture du dernier ouvrage de Nancy Huston nous a mis au
travail sur cette assertion articulée à cet autre dit de Lacan
selon lequel « nous sommes les fils du discours »[4].
Huston nous fait entendre ce qu’a été pour elle, la rencontre
de son corps vivant attrapé par le discours : « À compulser
tous ces jolis débris, lettres, photos et souvenirs, qui
flottent dans le liquide amniotique avec toi petite Dorrit, on
ne peut qu’être frappé par le fait que ce sont des femmes qui
te mettront en contact avec la littérature et la musique. »[5]
Bad Girl, classes de littérature, récit autobiographique de
Nancy Huston nous enseigne sur ce qui a poussé la bad girl à
écrire. Elle nous présente les rencontres qui ont marqué son
parcours comme des « classes de littérature ». Enfant nondésirée, puis abandonnée par sa mère, elle a cherché à
comprendre tout au long de son œuvre ce qui s’était passé ce
fameux jour où sa mère est partie très loin de ses enfants.
Elle nous livre ce qu’elle a mis plus d’un demi-siècle à
saisir, à admettre : qu’elle avait été promise à la mort.
Si Lacan a pu soutenir les incidences sur le sujet du nondésir d’enfant, notons qu’il s’agit moins de l’enfant que du
sujet, qui de n’avoir pas été admis dans la chaîne
signifiante, veut alors en sortir, se trouvant ainsi corrélé
au suicide[6]. Plus tard, a contrario, il soutiendra que
« Désiré, ou pas – c’est du pareil au même, puisque c’est par
le parlêtre ».[7] Nous articulerons cette proposition
frappante avec ce qu’il avait auparavant affirmé : « nous
sommes les fils du discours. » C’est ce dont nous parle Nancy
Huston : « nous savons si peu, si peu sur le pourquoi de notre
être-en-vie. »[8] Telle une brodeuse, Nancy Huston sait
pourtant que nous interprétons toujours, nous tentons toujours
de donner du sens là où il n’y en a pas.
C’est le parti pris de l’écriture qui étonne, elle s’adresse
sous la forme vocative, au fœtus qu’elle a été pour parler
d’elle, fœtus qu’elle a nommé Dorrit. Ainsi, les neuf mois de
grossesse seront le temps de lui raconter le sujet qu’elle va
devenir en parcourant les discours qui ont présidé à sa
naissance, puis ce qu’elle aura pu en faire. La petite
Dorrit[9] est le titre d’un roman de Dickens, qui consonne en
anglais avec Horrid, abominable, évoquant l’horreur qu’a été
pour sa mère la nouvelle de sa grossesse : « Tu t’accroches.
S’accrocher, Dorrit, sera l’histoire de ta vie. »[10]
Elle dresse le portrait de ses aïeux, de la barjoterie
familiale qui précéde la venue au monde de ses parents.
L’histoire se déroule dans les années cinquante, dans l’ouest
du Canada. Kenneth et Alison, ses parents sont alors encore
jeunes étudiants, ont déjà un enfant qui souda peut-être
malgré eux leur union, quand un second enfant est annoncé,
c’est la mauvaise nouvelle.
Huston, retrace alors d’une manière tout à fait originale, le
trajet qui s’est noué pour elle, sans le savoir, de la bad new
à la bad girl à laquelle elle s’est identifiée. N. Huston
répond aux commentaires qu’a pu susciter l’abandon maternel
qu’elle avait déjà évoqué, oui, cela a été tragique et pour sa
mère, et pour elle. Mais contre toute attente, c’est là où
elle loge son être, devenir « une femme de lettres »[11]. Sa
mère, face à l’ultimatum de son homme, choisira de quitter son
foyer, en femme moderne, en avance sur son temps, ne se
résolvant pas à être uniquement mère au foyer. Ce sera le
début d’une correspondance suivie entre la mère et la fille,
mais également l’invention de personnages
l’imaginaire de l’enfant, Nancy Huston.
peuplant
Huston saisit, par fragments, son usage de l’écriture telle
une réponse à la mauvaise nouvelle qu’a été sa naissance pour
sa mère. La généalogie est faite de mots, de signifiants, ce
que H. Bonnaud met en pratique avec le cas de l’enfant
mutique, diagnostiqué autiste. Qu’il ait eu la chance de
rencontrer un analyste, lui a permis de mettre en circulation
un signifiant, puis un autre, l’inscrivant dans la chaîne
signifiante, lui rendant la parole. H. Bonnaud, avec le
savoir-faire, qu’elle a su tirer de l’expérience de sa cure,
de ses contrôles et de sa formation a su faire passer son
savoir-y-faire avec le symptôme quand celui-ci entrave le
sujet dans son rapport au désir.
* Huston N., Bad Girl. Classes de littérature, Arles, Actes
Sud, 2014.
[1] Bonnaud H., L’inconscient de l’enfant – Du symptôme au
désir de savoir, Paris, Navarin/Le Champ freudien, 2013.
Conférence, le 8 Octobre 2014, en ouverture du cycle de
conférences à Amiens de l’ACF-CAPA.
[2] Lacan J., Scilicet, n° 6/7, Paris, Seuil, 1976,
« Conférences et entretiens dans des universités nordaméricaines – Le symptôme », p. 47.
[3] Lacan J., ibid., p. 45.
[4] Lacan J., Le Séminaire, livre XIX, …ou pire, Paris, Seuil
2011, leçon du 21 juin 1972, p. 235.
[5] Huston N., op. cit., p. 62.
[6] Lacan J., Le Séminaire, livre V, Les formations de
l’inconscient, Paris, Seuil, 1998, leçon du 12 février 1958,
p. 245.
[7] Lacan J., Le Séminaire, livre XXVII, « Dissolution, le
malentendu », Ornicar ?, n° 23, Paris, Navarin, leçon du 10
juin 1980.
[8] Huston N., op. cit., p. 12.
[9] Dickens C., La petite Dorrit, 1855-1857, Paris, Gallimard,
1970.
[10] Huston N., ibid., p. 12.
[11] Huston N., interview dans Le temps des écrivains,
Magazine Littéraire de France Culture, octobre 2014 :
http://www.franceculture.fr/oeuvre-bad-girl-de-nancy-huston
À TERME
Ni évidente, ni tangible, ni naturelle ! Voilà le creux dans
lequel Christiane Alberti a logé l’élan qui nous a conduits
depuis plusieurs mois pour aborder l’Être mère, titre donné
aux 44es Journées de l’ECF en 2014.
L’Hebdo-Blog, depuis sa naissance en septembre dernier, a
accompagné la gestation de ces Journées, ce travail minutieux
et enthousiaste où l’on peut saisir le multiple de cet être :
première séductrice pour Freud, mais aussi réponse phallique
au manque de la femme, Autre de la demande pour Lacan,
transmettant la langue, impliquant l’enfant dans un désir,
dans une jouissance, solution fétiche à la féminité voilant le
manque comme l’interroge Jacques-Alain Miller, mais aussi
Autre de l’amour, n’étant là qu’au prix de son manque assumé
et reconnu. Christiane Alberti avance un vouloir être mère
généralisé à mesure qu’avance le déclin de l’empire du père
dans notre modernité. Ces Journées de l’ECF nous invitent
ainsi à interroger les fictions maternelles, celles qui
leurrent et enchantent, à la lumière d’une satisfaction
réelle, soit à la lumière de l’expérience de la psychanalyse
et de la singularité à partir de laquelle elle autorise à
considérer notre époque.
« À devenir mère, cesse-t-on d’être une femme ? » interroge
l’argument des Journées 44.
L’Hebdo-Blog propose, arrivé au terme de ce parcours, un
triptyque qui part justement de cette question avec des textes
issus de la journée préparatoire proposée par nos collègues de
la délégation Val de Loire-Bretagne de l’ACF.
Dans les textes de Christine Maugin, Nathalie Leveau et Anne-
Marie Le Mercier, on pourra suivre ce questionnement qui met
en relief que l’être-mère ne se présente au fond que comme une
modalité singulière de réponse, et notamment à l’énigme de ce
qui fonde l’existence pour une femme. Mais cette réponse
singulière, et donc multiple, non standardisable, impossible à
réduire à une recette comportementale, révèle du même coup
l’inadéquation profonde de l’existence à l’être.
Ce trajet à trois voix, trois énonciations, est clinique,
ancré dans la clinique que l’expérience de la psychanalyse
permet de transmettre.
L’Être mère : à chaque mère,
une solution !
Notre après midi du 18 octobre a donné la parole à L’ÊTRE MÈRE
À NANTES. Ce qu’enseigne la psychanalyse c’est que l’être mère
pose la question de lecture au cas par cas. Comme le
questionne Christiane Alberti dans l’argument des journées,
être mère n’est pas quelque chose qui se passe dans son corps
uniquement. Avec l’enseignement de Lacan, nous pouvons avancer
sur le fait qu’avoir un enfant, dans son ventre ou dans la
réalité, est tout autre chose que de l’avoir dans sa
préoccupation, dans son esprit.
Avoir un enfant cela peut être tout à fait satisfaisant pour
la mère, mais cela peut tout aussi la confronter à un moment
d’étrangeté. Dans la clinique nous pouvons rencontrer des
mères pour qui l’enfant qui est là représente à la fois
l’objet qui lui manque, la comble, mais aussi l’angoisse,
l’inquiète. Et pour chacune des mères cela n’est pas chose
facile.
Alors on peut répondre par un enseignement aux mères, à
s’exercer à ce métier de la maternité, en donnant des modes
d’emploi. Heureusement, Lacan nous indique dans sa Note sur
l’enfant, que tout cela ne vaut que pris dans « un désir qui
ne soit pas anonyme »[1].
À chaque mère, un lien à un enfant. Être mère est une solution
que chacune trouve pour faire entrer son enfant dans ce qu’on
appelle couramment sa préoccupation maternelle. Être mère,
c’est aussi trouver une manière de faire avec cette question,
trouver un arrangement, une solution singulière que la
rencontre avec un psychanalyste peut aider à élaborer.
Chez Freud, être mère a été la première réponse phallique : au
manque de la femme répondait l’avoir de la mère. L’enfant est
alors un substitut phallique, la femme ayant trouvé dans
l’enfant ce petit avoir qu’elle n’a pas et que son père ne
peut lui donner.
Dans son rôle œdipien le père venait barrer la jouissance
maternelle, celle de posséder son produit. Le père était le
garant de la séparation de la mère et de son enfant ; par son
intervention il empêchait la mère de dévorer l’enfant. Cette
figure de dévoration, Lacan l’a transformée en celle de la
bouche du crocodile que le phallus paternel vient empêcher de
se refermer sur l’enfant[2]. Quand le Nom-du-Père peut barrer
la jouissance de la mère, celle-ci devient symbolique : au
désir de la mère peut se substituer le Nom-du-Père, laissant
alors à l’enfant la possibilité de s’inscrire dans la
castration, le manque et donc le désir. Lorsque l’enfant ne
répond pas à la demande, il l’oblige à désirer en dehors de
lui : la mère est d’abord une femme et son désir d’ailleurs
permettra à l’enfant de se confronter à un manque et de
cheminer vers son désir. Lorsque l’enfant satisfait la mère,
ce n’est qu’au travers de son image phallique à elle la mère :
ce que sa mère désire en lui, sature en lui, satisfait en lui,
ce n’est rien d’autre que le phallus[3]. Ne pas être ce
phallus de la mère crée une « discordance imaginaire »[4]. Il
divise alors la mère, entre mère et femme.
Derrière la mère, une femme. Et Jacques-Alain Miller le
rappelle[5]: une mère, quels que soient les soins qu’elle
apporte à son enfant, cela ne doit pas la détourner de désirer
en tant que femme. Sinon, c’est l’angoisse: un enfant qui
comble sa mère l’angoisse au sens où elle ne désire plus en
tant que femme. Autant la vraie femme est celle qui, sous la
figure de Médée, peut aller jusqu’à tuer la progéniture de son
mari Jason pour rester femme, autant la mère est celle du don
symbolique, de l’amour, soit de ce qu’elle n’a pas. Le texte
de Nathalie Leveau ouvre la discussion en effet sur cette
division entre la mère et la femme.
[1] Lacan J., « Note sur l’enfant », Autres écrits, Paris,
Seuil, 2001, p. 373.
[2] Lacan J., Le Séminaire, livre XVII, L’envers de la
psychanalyse, Paris, Seuil, 1991, p. 129.
[3] Lacan J., Le Séminaire, livre IV, La relation d’objet,
Paris, Seuil, 1994, p. 56.
[4] Ibid., p. 57.
[5] Miller J.-A., « L’enfant et l’objet », La petite girafe,
n° 18, Agalma, 2003.
Le « ou mère/ou femme » de la
névrose
La maternité serait-elle une solution fétiche à la féminité se
demande Jacques-Alain Miller[1]. Le fétiche est un voile qui
sert à masquer le manque, pour faire croire qu’il y a, là où
il n’y a rien. Lacan en parle à propos des perversions. Quand
l’enfant reste pris dans la relation imaginaire à la mère
constituée du couple mère-phallus, il a comme solutions de
s’identifier soit à la mère – qui ne l’a pas – soit au phallus
qui lui manque. Ainsi il ne sort pas de l’univers de la mère
et
du
phallus.
Lacan
qualifie
cet
univers
de
« phallocentrisme » et le retrouve chez le petit Hans, un cas
de névrose. Hans, cinq ans, déclenche sa phobie après la
naissance de sa petite sœur dans un moment où pour lui le
phallus, jusque-là imaginarisé au champ de la mère, devient
réel. Avec ses premières érections, Hans l’appréhende
désormais dans son corps. Ce phallus lui est solidement
accroché. La mère dont le désir est tourné vers le phallus va
le dévorer – le phallus et Hans avec ! Hans s’en sortira à
condition de faire advenir le phallus comme signifiant. Il
trouve la solution de la vis : le phallus se visse et se
dévisse au gré des besoins.
Mais Lacan souligne que cette solution reste névrotique. La
névrose c’est croire au phallus en tant qu’un objet pourrait
combler le désir. L’enfant s’aperçoit que la mère manque, mais
il ne l’accepte pas. J.-A. Miller parle de « scandale »[2]
pour la castration maternelle : c’est un scandale ! Le sujet
névrosé n’en veut rien savoir. Seule l’analyse permettrait de
l’admettre, en découvrant qu’aucun objet ne sature le désir,
que la mère ne peut être satisfaite, que le sujet ne peut
combler la mère, ce qui constitue un soulagement. La sortie de
la névrose se ferait donc par cette clé : admettre que la mère
soit une femme.
Alors comment entendre la disjonction mère/femme? Est-elle à
mettre au compte de la névrose ? Au sens où pour le névrosé la
mère n’est pas une femme. On aurait donc : ou la mère / ou la
femme. Car J.-A. Miller indique que c’est « dans
l’inconscient » que la mère est le contraire de la femme.
Ce n’est pas sans conséquences. Pour le névrosé, si la femme
c’est le contraire de la mère, faut-il refuser d’être une mère
pour rester une femme ? Toute une clinique est là convoquée :
aléas des femmes pour avoir des enfants, mener à terme une
grossesse ou se décider pour le bon géniteur, embrouilles des
hommes et des femmes pour concilier vie de couple et vie
familiale. Certains couples semblent s’accommoder très bien de
cette disjonction, « couples exemplaires »[3] selon J.A.Miller. Mais pour lui le soupçon pèse sur le secret de leur
réussite : la femme consentirait à être une mère pour son
homme. D’autres femmes voient dans la maternité un refuge à la
féminité. Le dénuement qu’implique la position féminine,
parfois vécu comme insoutenable, peut les précipiter dans
« l’avoir des enfants »[4]. Souvent en rejetant l’époux,
parfois le père. Ce qui est une manière de régler la
disjonction.
Ainsi comment sortir de cette disjonction ? Comment le sujet
peut-il en sortir autrement que par des solutions toujours
coûteuses ? L’analyse n’offrirait-elle pas une voie de sortie
meilleure en la dépassant ? Ce qui comporte d’accepter que la
mère soit une femme, que la Mère n’existe pas, qu’elle n’est
pas-toute, qu’elle n’absorbe pas-tout du manque et de la
féminité. Ainsi le chemin est long, mais, passé le
« scandale », l’« être mère » aurait chance de devenir plus
supportable.
[1] Miller J.-A., « L’orientation lacanienne. Donc »,
enseignement prononcé dans le cadre du département de
psychanalyse de l’université Paris VIII, leçon du 30 mars
1994, inédit.
[2] Ibid., leçon du 6 avril.
[3] Ibid.
[4] Ibid.
De mère en fille, un « se
jouir » dévorant
Dans un petit texte produit avant le congrès de l’AMP sur
l’ordre symbolique au XXIe siècle, Dominique Laurent précise la
logique du lien mère-enfant : l’enfant participe de ce qu’elle
appelle « l’appareil à jouir » de la mère, dans une
articulation logique entre le phallus (-φ) et l’objet a.
« L’enfant est inclus dans la consistance logique de l’objet
a, mais il n’en reste pas moins pris dans la valeur de (-φ).
Il participe de l’appareil à jouir qu’est le fantasme. Le
corps de la mère se jouit de l’enfant qui la remplit, bien
[1]
qu’il reste un semblant dans la série des objets perdus. »
Lorsque seule la jouissance de l’enfant comme objet est en
jeu, l’enfant est réduit à incarner l’objet cause du fantasme
maternel ce qui le met en impasse quant à l’accès à un désir
propre.
Dans la première partie de son enseignement, Lacan indique que
c’est la métaphore paternelle qui régule la jouissance dans le
lien mère-enfant. Dans son dernier enseignement, avec
« R.S.I. », il parle des objets de la mère que sont ses
enfants, et évoque le père qui se fait respecter non parce
qu’il fait la loi, mais parce qu’il choisit une femme comme
[2]
objet cause de son désir . Chacun a donc son objet, une femme
pour le père, l’enfant pour la mère. Ici c’est la père-version
qui prend le relais de la métaphore paternelle. Chaque Un,
dans le couple dit parental, doit trouver l’usage qui convient
de sa version du père comme traitement de la jouissance, c’est
ce dont il s’agit dans le Séminaire Le sinthome. Ainsi la
recherche d’un juste écart entre une mère et ses objets-
enfants ne procède pas toujours de la métaphore paternelle ni
forcément du lien à un homme.
Aline refuse que l’allaitement cesse avant la scolarisation de
sa fille. Elle s’appuie sur la promotion contemporaine de la
santé de l’enfant via l’allaitement pour justifier la
jouissance de cette dévoration réciproque. Au fil des séances,
elle s’aperçoit qu’elle vit chaque progrès de sa fille comme
une perte. Ce dire fait de l’avidité de l’allaitement un
symptôme, et ouvre la question de la séparation.
Cet exemple témoigne du lien de la mère à la castration, mais
permet aussi de repérer comment une mère tente de nourrir
l’illimité de la jouissance féminine par sa localisation dans
un corps à corps avec l’enfant. La métaphore paternelle ne
suffit pas à traiter la jouissance en cause. Son mari est très
amoureux d’Aline, elle l’aime aussi, dit-elle, et consent à le
laisser s’occuper de l’enfant et l’éduquer avec elle. Mais
elle estime qu’elle seule, du fait d’être la mère, sait
naturellement ce qui convient en matière d’allaitement. Ceci
ne l’empêche pas de se plaindre que son homme ne l’aide pas
assez en matière de soin aux enfants.
Ce moi seule peut-il ouvrir l’espace d’une autre singularité ?
La cure vise à favoriser l’invention d’une autre réponse à ce
qui, pour ce sujet féminin, reste énigmatique quant à ce qui
fonde son existence. Aline se jette à corps perdu dans le
travail qui la lie au corps médical. Mais c’est pour retrouver
le même appétit de dévoration subie : elle se fait « bouffer »
par son travail, et n’a pas assez de temps pour manger. Elle
reconnaît là l’écho du refus anorexique qui animait le ravage
entre elle et sa mère. Elle reste donc en attente d’une autre
alliance entre le corps et la langue qui lui permettrait de
s’orienter entre les femmes et les mères, sans que sa fille
soit tenue de lui donner consistance de corps.
[1]
Laurent D., « Mère », L’ordre symbolique au XXI e siècle,
Scilicet, Collection Rue Huysmans, École
freudienne, Paris, 2013, p. 229-231.
[2]
de
la
Cause
Lacan J., Le Séminaire, livre XXII, « R.S.I. », leçon du 21
janvier 1975, inédit.