Lanuit, enjeu desécurité
Transcription
Lanuit, enjeu desécurité
dossier Voyages au bout de la nuit La nuit, enjeu de sécurité Par Bernard Boucault Léon Blum 1975 Préfet de police1 La « Ville Lumière » doit pouvoir vivre la nuit, qui est aussi un facteur de son attractivité et de son dynamisme. Concilier légitime aspiration à la tranquillité des riverains et dynamisme et attractivité de la « ville monde », voilà le défi à relever. «L a Ville Lumière » : cette métaphore qui désigne Paris dans l’imaginaire collectif évoque parfaitement le rayonnement de Paris pour des millions de personnes dans le monde. La capitale est en effet revêtue d’une réputation méritée de beauté, d’élégance, de luxe aussi, qualités qui éblouissent celui qui la découvre. Pour certains, cette expression serait née, au XIXe siècle, des Britanniques éblouis par la superbe luminosité apportée aux rues de la capitale française par l’éclairage public, alors en plein développement. Sans aucun doute, l’éclairage des avenues, les Champs-Elysées à Noël notamment, et des rues embellit la ville lorsque la nuit tombe. Mais pour le préfet de police que je suis, l’éclairage public a un autre avantage. Il rend la ville plus sûre. Dès 1318, Philippe V avait d’ailleurs fait placer une chandelle à l’entrée de la porte du 18 / juillet-août 2015 / n°453 Châtelet pour que la nuit ne profite plus aux malfaiteurs. L’enjeu de sécurité des nuits parisiennes est fort. Mais la Ville Lumière doit aussi pouvoir vivre la nuit, qui est aussi un facteur de son attractivité et de son dynamisme. Concilier légitime aspiration à la tranquillité des riverains et dynamisme et attractivité de la « ville monde », voilà le défi à relever. Les nuits parisiennes sont, depuis longtemps, festives, comme l’illustre parfois la littérature. Ainsi, Frédéric Moreau, le personnage principal de Flaubert dans l’Education sentimentale, se rend à une soirée à l’Alhambra. Le narrateur rapporte « ses paroles étaient couvertes par le tapage de la musique ; et, sitôt le quadrille ou la polka terminés, tous s’abattaient sur la table, appelaient le garçon, riaient ; les bouteilles de bière et de limonade gazeuse détonnaient dans les feuillages (…) ; quelquefois, deux messieurs voulaient se battre ; un voleur fut arrêté ». À Paris, ces enjeux relèvent du préfet de police, institution sui generis, depuis sa création par la loi du 28 pluviôse an VIII (1er juillet 1800). Il dispose d’un champ élargi de compétences administratives dévolues ailleurs au maire ou au préfet de département : contrôles du respect des règles de sécurité dans les établissements recevant du public et dans les hôtels, contrôles des règles sanitaires dans les débits de boissons et dans les restaurants, contrôle des nuisances sonores en dehors des bruits de voisinage, etc. Il dispose également des services opérationnels de police, des sapeurs-pompiers de Paris et du service des inspecteurs chargés des mesures sonométriques de la Direction des Transports de la Préfecture de Police (DTPP). Dans le cadre de cet article, ces services, dont je salue la compétence et l’engagement sans faille, présenteront leur activité de nuit à travers quelques focus. Pour ma part, je souhaiterais partager quelques réflexions sur la gestion nocturne de la tranquillité et de la sécurité publiques. Depuis ma prise de fonction, j’attache en effet une grande importance à la conciliation des aspirations, parfois divergentes, des Parisiens et des personnes de passage quant aux nuits parisiennes. Pour les services de la préfecture de police, il s’agit à la fois de « préserver le vivre ensemble », et, si besoin, de répondre aux troubles liés à la nuit. Préserver le bien-vivre ensemble Le niveau de bruit moyen enregistré en période nocturne (22h – 02h) au cours des nuits du vendredi au samedi et du samedi au dimanche est de 63,7 dB(A), soit supérieur de respectivement +8,4dB(A) et +13,9 dB(A) par rapport à la nuit du dimanche au lundi qui est la plus calme de la semaine. Cette élévation du bruit ambiant correspond à une sensation auditive du bruit qualifiée de « bruit fort à nettement plus fort »2. La question de l’élévation du volume sonore lorsque certains recherchent le plus grand calme est évidemment au cœur de la question du vivre ensemble la nuit. Ainsi, depuis novembre 2010, la préfecture de police est pleinement inscrite, dans le cadre des États généraux de la nuit et maintenant le Conseil de la Nuit, dans une démarche de concertation qui vise à concilier la vie nocturne et la tranquillité à laquelle des Parisiens peuvent prétendre. Pour répondre à ce réel besoin de régulation de la vie nocturne, les services de la préfecture de police ont ainsi organisé, avec la Ville de Paris, de nombreuses réunions de concertation avec les représentants des riverains et les exploitants des débits de boissons des quartiers les plus emblématiques des soirées parisiennes. Ces actions de médiation permettent à chaque partie d’exprimer son point de vue et de faire entendre ses attentes. À l’issue des échanges, les services proposent des voies de conciliation respectueuses des règles de droit qu’ils ont pour mission de faire respecter. Parallèlement, la préfecture de police s’est engagée dans une démarche de médiation en partenariat avec « les Pierrots de la 1 - Par décret du 9 juillet 2015, Michel Cadot a été nommé préfet de police 2 - À titre de comparaison toutefois, le niveau de bruit moyen enregistré sur un site riverain du périphérique s’élève à 74,1 dB(A). dossier Les forces de police assurent une présence forte et adaptée, en temps réel, aux enjeux de sécurité. Focus sur le groupe « Cabarets » Le groupe des Cabarets de la Brigade de répression du proxénétisme de Paris, appartenant à la Direction de la police judiciaire de la PP, est une unité unique en France par la nature de ses missions et son mode de fonctionnement nocturne. Cette unité est chargée de la surveillance des établissements festifs (discothèques, y compris certains établissements flottants, cabarets, cabarets orientaux, cabarets à strip-tease, certains restaurants ou bars à ambiance musicale) et des établissements à connotation sexuelle (clubs échangistes, bars à hôtesses, etc.). Ce sont ainsi pas moins de 475 établissements de nuit ouverts au public qui sont suivis par le groupe. Il est composé de 9 fonctionnaires divisés en 4 binômes répartis sur 4 secteurs couvrant cinq arrondissements chacun. Les membres du groupe « Cabarets » effectuent toutes les nuits, en plus de leurs missions diurnes, des contrôles dans les établissements de leur ressort. Ce groupe exerce une activité de police administrative à la croisée des domaines du judiciaire et du renseignement. Il veille au respect par les exploitants de la législation spécifique relative aux Établissements recevant du public (ERP) et émet des avis sur l’octroi de dérogations aux horaires d’ouverture des débits de boissons. 1894 dossiers ont ainsi été traités en 2014. Il s’assure également lors de ses contrôles de nuit du respect des dispositions du code des débits de boissons : respect des horaires de fermeture, lutte contre l’alcoolisme et troubles à l’ordre public, respect des dispositions sur le tabagisme et lutte contre les discriminations. Dans le cadre des missions de police judiciaire, il participe à la recherche du renseignement en matière de proxénétisme, trafic de stupéfiants et grand banditisme. À ce titre il prête fréquemment assistance aux autres services de police notamment la Brigade criminelle, la Brigade de répression du banditisme, la Brigade des stupéfiants... Sa grande expérience du terrain en fait l’un des services les mieux renseignés de la vie nocturne parisienne, capable d’identifier depuis longtemps des phénomènes inquiétants comme le binge drinking de jeunes consommateurs, voire de mineurs, ou pouvant souligner l’effet de la crise économique, une morosité ambiante quels que soient le concept et le lieu d’implantation des boîtes de nuit, avec le constat d’une baisse de fréquentation, sauf en fins de semaine pour Paris. / juillet-août 2015 / n°453 19 dossier Voyages au bout de la nuit Nuit », troupe qui encourage le vivre ensemble en associant performances artistiques, médiation et communication. Sur la base des informations de terrain recueillies par les services, l’association adapte ses circuits pour se concentrer sur les lieux les plus concernés. Enfin, lorsque des troubles sont constatés, la préfecture de police met en œuvre les mesures nécessaires au rétablissement de l’ordre public. Les nuisances sonores, que constatent les inspecteurs de salubrité, constituent des infractions susceptibles d’être punies d’une amende de 5e classe. Elles sont verbalisées à ce titre. Les services de police peuvent également engager des procédures administratives contre les débits de boissons générateurs de troubles. En moyenne, 300 avertissements et 300 fermetures administratives sont prononcés chaque année, ce qui, eu égard au plus de 12 500 débits de boissons exploités dans la capitale, démontre à la fois la bonne tenue globale des établissements et l’efficacité de la médiation. Je tiens à souligner également que, lors de l’élaboration de ces mesures, les services de la DTPP veillent particulièrement à n’imposer que les mesures strictement nécessaires au rétablissement de l’ordre, conformément à la jurisprudence administrative. Le juge administratif, qui apprécie la proportionnalité des restrictions imposées au commerçant à l’aune de la gravité des faits, n’a ainsi annulé aucune décision au cours de l’année passée. Parfaitement équilibrées, ces mesures s’avèrent également efficaces puisque seulement 3 % des débits de boissons visés par une mesure administrative réitèrent et font l’objet d’une seconde mesure administrative. Au-delà de ce travail de fond, la préfecture de police dispose également d’une capacité opérationnelle de réponse aux troubles liés à la nuit, qu’il s’agisse de nuisances ou d’actes de délinquance. Répondre aux troubles liés à la nuit Service de l’État marqué par construction par le principe de la continuité du service public, la préfecture de police ne dort jamais. Outre les indispensables services qui fonctionnent 24h/24 (Police-Secours 17, Secours aux personnes 18, permanences opérationnelles des diverses directions, etc.), la préfecture de police est organisée pour répondre de façon 20 / juillet-août 2015 / n°453 adaptée aux spécificités de la vie nocturne. Dans la cadre de la rationalisation des moyens dans laquelle les services publics sont engagés, le fonctionnement nocturne de la direction de la sécurité de proximité de l’agglomération parisienne, qui est chargée de la sécurité publique à Paris, est organisé selon deux principes complémentaires. Le premier relève d’une nécessaire continuité de service, le second participe de la mutualisation d’effectifs mobilisables sur l’ensemble de l’agglomération parisienne. La capitale est ainsi divisée en 3 districts et 19 circonscriptions de sécurité publique, chacune siège d’un commissariat central. Organisé au niveau de chaque district la nuit, le service de l’accueil et de l’investigation de proximité reçoit les victimes, les renseigne, leur porte assistance, constate les infractions et effectue le traitement judiciaire consécutif aux interpellations, à toute heure de la nuit. Sur le terrain, la brigade anti-criminalité (Bac) et la brigade de police, de secours et de protection (BPSP) du service de sécurisation de proximité de chaque commissariat assurent quant à elles une présence nocturne sur la voie publique dans l’arrondissement. L’action de ces policiers, dont la connaissance du territoire est particulièrement fine, est orientée par le bureau de coordination opérationnelle en fonction des besoins de sécurité constatés. Le district dispose également de forces mobilisables et projetables, en fonction des événements. Il peut donc mener une action de renfort ou d’appui sur un territoire élargi. Au niveau central de la direction, la sousdirection des services spécialisés, créée lors de la réforme de la police nationale de 1999 et modifiée lors de la création de la police d’agglomération en 2009, a pour missions la dissuasion et la lutte contre la délinquance ainsi que l’activité judiciaire, à l’échelon de l’agglomération. Une des unités de cette sous-direction, le Service de nuit de l’agglomération (SNA), est chargée de diriger l’activité des unités judiciaires de nuit, de mener, le cas échéant, les missions de maintien de l’ordre et d’apporter un appui ou des renforts aux moyens sectorisés de lutte contre la délinquance. Ce service regroupe des unités judiciaires et une brigade anti-criminalité de nuit (Bac N), chargée notamment de rechercher les flagrants délits et de maintenir ou de rétablir l’ordre public, en l’absence des services spécialisés de la direction de l’ordre public et de la circulation. La Bac N d’agglomération équipe ainsi chaque nuit jusqu’à 45 véhicules qui renforcent les effectifs des commissariats locaux. Adaptables aux événements à l’échelle de la capitale et de son agglomération, les forces de police assurent une présence forte et adaptée, en temps réel, aux enjeux de sécurité. Traitement global Cette mobilité et cette adaptabilité de la réponse policière répondent à l’augmentation du nombre de déplacements, devenus plus denses et plus rapides. Désormais, les phénomènes délictueux peuvent se manifester en dehors du territoire, l’arrondissement ou le département, dans lequel il a pris racine. Une rivalité entre bandes d’un quartier peut, par exemple, aboutir à des violences dans un lieu public, square ou gare notamment, dans un quartier, une ville ou un arrondissement voisin. La délinquance s’inscrivant dans une logique de bassin, les actions à mener ne peuvent être dissociées géographiquement. La mise en œuvre de la police d’agglomération en 2009 permet aux services de police de la préfecture de police d’apporter une réponse adaptée et suivie aux situations de risques, de jour comme de nuit. Cette unité territoriale renforce la cohérence matérielle des pouvoirs de police confiés ab initio au préfet de police. La sécurité publique à Paris, en particulier la nuit, fait ainsi l’objet d’un traitement global, pluridimensionnel (préventif, administratif, judiciaire) dans un espace pertinent. Les partenariats et relations de confiance noués avec l’ensemble des acteurs de la sécurité de la capitale permettent d’adapter au mieux les actions et les moyens mis en œuvre. Les élus locaux notamment sont des partenaires de tout premier ordre, qui assurent la prise en compte des particularités de chaque quartier et les aspirations de nos concitoyens. Ainsi, la Ville de Paris a décidé de soutenir, de façon déterminante, le développement du Plan de vidéoprotection pour Paris, qui est, pour les services de police, un outil d’une redoutable efficacité, tant pour dissuader le passage à l’acte délictuel que pour identifier les éventuels auteurs et résoudre les enquêtes. Cette excellence en matière de sécurité contribue à ce que chacun puisse profiter, selon ses aspirations, des belles soirées ■ parisiennes.