Traitements topiques du psoriasis du cuir chevelu

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Traitements topiques du psoriasis du cuir chevelu
Traitements topiques du psoriasis du cuir chevelu
Schlager JG, Rosumeck S, Werner RN, et al. Topical
treatments for scalp psoriasis. Cochrane Database Syst Rev
2016, Issue 2. DOI: 10.1002/14651858.CD009687.pub2
Jo Lambert, Vakgroep Dermatologie, UGent
Question clinique
Quelles sont l’efficacité et la sécurité des traitements topiques du psoriasis du
cuir chevelu ?
Contexte
Près de 80% des patients atteints de psoriasis présentent des lésions au niveau du cuir chevelu (1). Le
risque de problèmes psychosociaux est important (2,3) car il est difficile de cacher sous un vêtement
ces lésions rouges et desquamantes. Elles provoquent également souvent des démangeaisons. Malgré
un accès difficile à travers la chevelure, les médicaments topiques restent le premier choix dans le
traitement de cette affection (4,5). Les corticostéroïdes, les analogues de la vitamine D, les
préparations à base de goudron, le dithranol, l’acide salicylique peuvent être appliqués, tant par contact
de courte durée (shampooing) que sous une forme de plus longue durée (lotion, gel, pommade). Le
psoriasis étant est une affection cutanée chronique, il est important de savoir quel médicament est le
plus efficace et le plus sûr.
Résumé
Méthodologie
Synthèse méthodique avec méta-analyses
Sources consultées
 Cochrane Skin Group Specialised Register, CENTRAL, MEDLINE, EMBASE, LILACS ;
jusqu’au mois d’août 2015
 ISRCTN-, US National Institutes of Health Ongoing Trials-, Australian New Zealand Clinical
Trials-, World Health Organization International Clinical Trials-, EU Clinical Trials register ;
jusqu’au mois de septembre 2015
 les références des études trouvées
 les abstracts des congrès internationaux sur le psoriasis
 des études non publiées, par le biais de contacts directs avec les investigateurs et les
promoteurs
 pas de restriction quant à la langue de publication.
Études sélectionnées
 59 études randomisées contrôlées avec groupes parallèles, croisées ou selon un plan intraindividuel (within subject design), qui, pour le traitement du psoriasis du cuir chevelu,
comparaient de quelque manière que ce soit n’importe quel principe actif sous n’importe quel
vecteur pharmaceutique
 étaient comparés des corticostéroïdes, des analogues de la vitamine D (calcipotriol),
l’association de corticostéroïdes et d’analogues de la vitamine D, des corticostéroïdes associés
à l’acide salicylique, des produits à base de goudron, d’autres associations de produits avec du
dithranol, de l’huile de noix et de coco, de l’urée ou de l’acide salicylique, du ciclopirox
olamine, du tacrolimus et du cocois.
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Population étudiée
 11561 patients de tout âge chez qui avait été posé le diagnostic de psoriasis du cuir chevelu à
partir des résultats cliniques ou des résultats de biopsie.
Mesure des résultats
 critères de jugement primaires : diminution de la gravité du psoriasis selon l’estimation faite
par le médecin (au moyen du score IGA - Investigator’s Global Assessment, évaluation
globale par l’investigateur) selon 2 types de réponses : soit amélioration clinique, soit réponse
clinique (définie par une amélioration de 75 à 100% de la sévérité de la maladie) ;
amélioration de la qualité de vie ; arrêt du traitement en raison d’effets indésirables
 critères de jugement secondaires : diminution subjective de la gravité du psoriasis (au moyen
du score PGA (Patient’s Global Assessment, évaluation globale par le patient)), effets
indésirables mineurs ne nécessitant pas l’arrêt du traitement, durée sans maladie ou durée de la
réponse.
Résultats
 critères de jugement primaires
o selon le score IGA, l’amélioration clinique était statistiquement plus complète avec les
corticostéroïdes versus vitamine D : RR de 1,82 (avec IC à 95% de 1,52 à 2,18 ;
N = 4 études ; niveau de preuve modéré) ; et avec l’association de corticostéroïdes +
vitamine D versus corticostéroïdes en monothérapie : RR de 1,22 (avec IC à 95% de 1,08
à 1,36 ; N = 4 études) et versus la vitamine D en monothérapie : RR de 2,28 (avec IC à
95% de 1,87 à 2,78 ; N = 4 études ; niveau de preuve modéré)
o selon le score IGA, la réponse clinique était meilleure avec les corticostéroïdes versus
vitamine D : RR de 2,09 (avec IC à 95% de 1,80 à 2,41 ; N = 3 études ; niveau de preuve
élevé) ; avec l’association de corticostéroïdes + vitamine D versus corticostéroïdes en
monothérapie : RR de 1,15 (avec IC à 95% de 1,06 à 1,25 ; N = 3 études ; niveau de
preuve modéré) ; et versus la vitamine D en monothérapie (RR 2,31 avec IC à 95% de
1,75 à 3,04 ; N = 4 études ; niveau de preuve modéré)
o les données disponibles sont insuffisantes en ce qui concerne la qualité de vie
o il y a eu statistiquement moins d’arrêts du traitement pour effets indésirables avec les
corticostéroïdes versus vitamine D : RR de 0,22 (avec IC à 95% de 0,11 à 0,42 ;
N = 4 études ; niveau de preuve modéré) ; et avec l’association de corticostéroïdes et de
vitamine D versus vitamine D en monothérapie : RR de 0,19 (IC à 95% de 0,11 à 0,36 ;
N = 3 études ; niveau de preuve élevé)
 critères de jugement secondaires
o selon le PGA, la réponse était statistiquement meilleure avec les corticostéroïdes versus
vitamine D : RR de 1,48 (avec IC à 95% de 1,28 à 1,72 ; N = 3 études) ; et avec
l’association de corticostéroïdes et de vitamine D versus corticoïdes en monothérapie : RR
de 1,13 (avec IC à 95% de 1,06 à 1,20 ; N = 2 études) ; et versus vitamine D en
monothérapie : RR de 1,76 (avec IC à 95% de 1,46 à 2,12 ; N = 4 études)
o les effets indésirables fréquents pour ces trois interventions étaient l’irritation locale, la
douleur et la folliculite
o tant les corticostéroïdes et la vitamine D en monothérapie que l’association de
corticostéroïdes et de vitamine D étaient plus efficaces que le vecteur pharmaceutique
o pas de différence quant à l’efficacité entre les corticostéroïdes selon qu’ils étaient
modérément puissants, puissants ou très puissants
o pas d’évaluation possible de l’effet de l’acide salicylique, des produits à base de goudron,
du dithranol et des autres traitements topiques.
Conclusion des auteurs
Les auteurs concluent que tant l’association de corticostéroïdes et de vitamine D que les
corticostéroïdes en monothérapie sont plus efficaces et plus sûrs que la vitamine D en monothérapie.
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Devant la similitude des profils de sécurité et le fait que l’association de produits n’offre qu’un faible
avantage par rapport aux corticostéroïdes en monothérapie, ils concluent qu’un corticostéroïde topique
en monothérapie est certainement acceptable comme traitement à court terme du psoriasis du cuir
chevelu. D’autres essais cliniques randomisés devraient examiner si des traitements spécifiques
améliorent la qualité de vie des patients. Il est également nécessaire d’effectuer une évaluation à long
terme (6 à 12 mois).
Financement de l’étude
National Institute for Health Research (NIHR), Royaume-Uni.
Conflits d’intérêts des auteurs
Tous les auteurs sauf un avaient des liens avec une ou plusieurs firmes pharmaceutiques.
Discussion
Considérations sur la méthodologie
La qualité méthodologique de cette synthèse méthodique est bonne. La recherche d’études publiées a
été effectuée dans de nombreuses bases de données. Des résultats d’études non publiées ont également
été retrouvés. Deux chercheurs ont sélectionné les études de manière indépendante et selon des critères
définis au préalable. Etant donné qu’il n’y avait pas de critères d’exclusion, l’hétérogénéité clinique
est importante en ce qui concerne les populations de patients, les doses des principes actifs et les types
de vecteurs pharmaceutiques. L’extraction des données a également été effectuée par deux
investigateurs indépendants, et, pour la discussion, un troisième investigateur a été consulté. La qualité
méthodologique des études incluses était faible avec seulement 19% des RCTs qui décrivaient la
méthode de randomisation, et seulement 7% qui donnaient suffisamment d’informations sur le secret
d’attribution (concealment of allocation). Dans l’ensemble, un risque de biais de répartition des
patients (allocation bias) dans les études incluses était élevé. Parmi les 33 (56%) études menées en
double aveugle, seules 7 décrivaient clairement comment l’insu avait été respecté pour les patients et
pour les évaluateurs. Dans plusieurs études, le risque de biais de notification était également élevé, et
seulement 14 études avaient effectué une analyse en intention de traiter. Dans les analyses de
sensibilité, l’absence d’intention de traiter n’a que peu influencé les résultats. 30 études (environ 50%)
ont été menées ou commanditées par le fabricant du médicament étudié.
Interprétation des résultats
59 études incluses ont été regroupées en 11 comparaisons et en 4 comparaisons contrôlées de vecteur
pharmaceutique. L’évaluation de l’efficacité effectuée par les patients ne présentait pas de différence
versus celle effectuée par les investigateurs. La durée médiane des études était de seulement
4 semaines. Aucune étude n’a examiné l’effet sur la récidive, et les 4 études qui avaient comme critère
de jugement la qualité de vie n’ont pas parmi de tirer de conclusions étayées.
Les corticostéroïdes et la vitamine D, tant en monothérapie qu’en association, étaient plus importants
que le vecteur pharmaceutique pour réduire et faire disparaître le psoriasis du cuir chevelu. Les
corticostéroïdes (très) puissants étaient toutefois statistiquement plus efficaces que la vitamine D pour
réduire et faire disparaître le psoriasis du cuir chevelu. Le nombre de sujets à traiter (NNT) était
respectivement de 4 (avec IC à 95% de 4 à 5) pour réduire et de 8 (avec IC à 95% de 7 à 11) pour faire
disparaître les lésions psoriasiques. L’avantage supplémentaire de l’association corticostéroïdevitamine D n’était pas cliniquement pertinent. Les auteurs concluent, à juste titre, qu’un
corticostéroïde en monothérapie est certainement acceptable. Dans 2 études, aucune différence
d’efficacité statistiquement significative entre les corticostéroïdes puissants et les corticostéroïdes très
puissants n’a été observée. Pour les autres produits actifs, les données comparatives disponibles étaient
insuffisantes pour permettre de tirer des conclusions quant à leur efficacité, notamment pour un
produit plus ancien comme le goudron.
De manière générale, le cuir chevelu non glabre réagit mal à un traitement topique, non pas parce que
le médicament actif pénètre difficilement la peau, mais bien du fait d’une mauvaise observance (6).
Les topiques sont en effet parfois difficiles à appliquer sur le crâne et ne sont pas toujours acceptables
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d’un point de vue cosmétique (7). La sélection du bon substrat est donc de première importance. Les
crèmes et les pommades sont ne sont pas agréables à manipuler et difficiles à appliquer sur le cuir
chevelu. De nouveaux vecteurs pharmaceutiques tels que les shampooings, les sprays et les mousses
pourraient mieux convenir pour une utilisation au niveau du crâne. Cette synthèse méthodique contient
peu de données sur les comparaisons entre vecteurs pharmaceutiques. Une recherche plus poussée
devra donc aussi évaluer la tolérance des patients pour les préparations topiques (odeur, adhésivité) car
cela peut avoir un impact important sur la qualité de vie.
Les corticostéroïdes, la vitamine D et l’association des traitements ne diffèrent pas selon le vecteur
pharmaceutique quant aux effets indésirables (irritation de la peau, sensation de brûlure, folliculite).
Cependant, il y avait moins d’effets indésirables et moins d’arrêts du traitement pour effets
indésirables avec les corticostéroïdes qu’avec la vitamine D. Aucune différence statistiquement
significative quant aux effets indésirables entre les corticostéroïdes puissants et les corticostéroïdes
très puissants n’a été constatée. En raison du manque de données, on ne connaît pas l’influence du
vecteur pharmaceutique sur le profil de sécurité.
Une recherche est actuellement menée pour trouver de nouveaux agents topiques plus efficaces pour
une utilisation à court terme et à long terme avec moins d’effets indésirables. Nous évoluons vers des
agents qui bloquent des cibles pathogènes plus sélectives, sans les effets indésirables des
corticostéroïdes utilisés sur le long terme. Mais encore faut-il rassembler beaucoup de données
concernant leur efficacité, leur sécurité et leur éventuelle supériorité. Le coût plus élevé de ces
nouveaux traitements devra être mis en balance avec celui des médicaments existants (8).
Conclusion de Minerva
Cette synthèse méthodique avec méta-analyses, correcte sur le plan méthodologique mais incluant des
études de qualité méthodologique faible, montre que l’utilisation de corticostéroïdes (très) puissants
est plus efficace et plus sûre que les analogues de la vitamine D pour le traitement topique du psoriasis
du cuir chevelu. L’association de corticostéroïdes et d’analogues de la vitamine D n’apporte pas de net
avantage cliniquement pertinent. Pour les autres traitements topiques, il n’existe que peu de faits
probants. Des études cliniques randomisées bien conçues et menées sur le long terme sont nécessaires
pour examiner l’effet sur la prévention des récidives, sur la qualité de vie et sur la sécurité des
corticostéroïdes de différents niveaux de puissance avec divers types de vecteurs pharmacologiques.
Pour la pratique
Le guide de bonne pratique d’EBMPracticeNet et les recommandations de l’association néerlandaise
des médecins de famille (NHG) (4,5) préconisent de traiter le psoriasis du cuir chevelu régulièrement
(une à plusieurs fois par semaine) au moyen d’un shampooing au goudron de houille, qui a un effet
favorable sur la peau (diminution de la desquamation, renforcement de la fonction de barrière,
hydratation et diminution de l’irritation). L’efficacité du shampooing au goudron de houille pour le
psoriasis du cuir chevelu n’est cependant pas prouvée (9). Des effets indésirables, comme l’irritation et
la photosensibilité, peuvent survenir. Des réticences à utiliser cette préparation subsistent car on
suspecte un éventuel effet carcinogène. Les préparations à base de goudron de houille ne peuvent
jamais être appliquées si la peau présente des lésions (10).
Les épaisses couches de pellicules peuvent d’abord être ramollies avec une crème ou une pommade
d’acide salicylique à 10%. Il faut attendre minimum une heure après le rinçage avant de pouvoir
appliquer un traitement médicamenteux local. Les recommandations de la NHG proposent un schéma
thérapeutique progressif en plusieurs étapes (5) : un corticostéroïde puissant une fois par jour pendant
4 semaines ; en cas d’effet insuffisant, associer un corticostéroïde puissant avec de la vitamine D
pendant 4 semaines ; en cas d’effet insuffisant, un corticostéroïde très puissant ou un corticostéroïde
puissant appliqué sous occlusion pendant 4 semaines. Si l’utilisation topique d’un corticostéroïde ne
donne pas de résultat suffisant après 4 semaines, le traitement doit être limité à un traitement
intermittent. La présente synthèse méthodique ne remet pas cette recommandation en question.
Références: voir site web
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