Les caractéristiques et enjeux de l`émergence de la classe moyenne
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Les caractéristiques et enjeux de l`émergence de la classe moyenne
IEP de Toulouse Mémoire de recherche présenté par Mlle Lisa Chassin Directrice du mémoire : Madame Danielle Cabanis Date : 2011 1 2 IEP de Toulouse Mémoire de recherche présenté par Mlle Lisa Chassin Directrice du mémoire : Madame Danielle Cabanis Date : 2011 Les caractéristiques et enjeux de l’émergence de la classe moyenne chinoise : vers l’édification d’un nouveau profil chinois. 3 Avant-propos et Remerciements La classe moyenne chinoise a été, pour plusieurs raisons, un sujet délicat à appréhender. J’ai été, au fur et à mesure de mes recherches, confrontée à des difficultés qui ont rendu mon analyse de l’émergence de la classe moyenne plus difficile que je ne l’aurais pensé quand je me suis lancée dans cette entreprise. Il m’est nécessaire, dans ces avant-propos, d’expliciter ces difficultés, pour avertir le lecteur que le travail qui va être exposé présente des failles ; failles qui sont pour partie de ma responsabilité, mais qui sont également intrinsèquement liées à l’étude de la société chinoise. La première difficulté à laquelle je me suis trouvée confrontée a été la distance. En effet, même si je reconnais que pour tout travail sociologique, il est nécessaire d’observer une certaine distance par rapport au sujet, je pense que, dans ce cas précis, cela a porté préjudice à mon étude. Quand j’ai choisi, au départ, de me consacrer à l’étude de l’émergence de la classe moyenne chinoise, j’avais pour projet de partir travailler en Chine, ce qui m’aurait permis de mieux appréhender mon sujet, et réaliser des travaux d’enquêtes sur le terrain. Malheureusement, ce projet n’a pu aboutir, ce qui ne m’a pas laissé d’autre choix que celui de devoir appréhender mon sujet à distance. Cela n’aurait pas constitué un problème majeur si d’autres difficultés ne s’étaient pas insérées dans ma tentative de définition de la classe moyenne chinoise, qui elles, sont intrinsèquement liées à l’étude la société chinoise. Tout d’abord, il faut considérer l’immensité de l’échantillon étudié : la nation chinoise représente plus d’un milliards 300 millions d’individus, et est la plus grosse du monde. De fait, j’ai donc dû renoncer à mon projet de questionnaire sociologique, car, la distance, cumulée avec l’énorme taille de la population à considérer, faisait que cette idée était irréalisable. Il ne m’aurait donné, au mieux, qu’un bref aperçu de la structure sociale chinoise, mais cela n’aurait pas été suffisant pour tirer des conclusions utiles à ce mémoire. Au bout du compte, j’ai donc décidé de me concentrer sur des études et travaux déjà existants, tout en sachant qu’eux aussi ne sont pas d’une précision infaillible. Cela nous amène à exposer un nouvel obstacle : celui de la fiabilité des données. Le manque de fiabilité dans les données sur la société chinoise est un problème particulier à la Chine. Deux raisons peuvent être énoncées pour expliquer ce phénomène. 4 D’un côté, la taille de la population à considérer est là encore un problème majeur. Même pour les chercheurs scientifiques, prendre en compte l’ensemble de la population est un travail chimérique. Les meilleurs travaux sur la classe moyenne ont eux-mêmes été obligés de restreindre leur analyse à des zones géographiques spécifiques, ou à faire des calculs mathématiques et statistiques pour tenter d’avoir un échantillon le plus représentatif possible de la société chinoise. Par ailleurs, le fait du choix de l’échantillon considéré et/ou des critères de définition choisis fait que les chiffres et les caractéristiques de la population varient d’une étude à l’autre. On ne peut donc pas affirmer pour sûr la taille, présente et future, ou encore les revenus supposés de la classe moyenne, car ils changent selon le point de vue considéré. Toutefois, même si les études sociologiques sur le sujet présentent des failles, elles m’ont beaucoup aidé à dégager une vue générale pour mon étude, me permettant de répondre à la problématique posée. D’un autre côté, la fiabilité des données doit également être mise en cause, car un autre problème se pose à tous ceux qui souhaitent faire des recherches sur la Chine : celui du contrôle du gouvernement et de la réticence des politiques à répondre à cette problématique. Les recherches sur la société chinoise ne sont toujours pas totalement libres dans la Chine d’aujourd’hui, et la censure du gouvernement est encore un sujet délicat. J’ai été pour ma part confrontée à cette réticence des officiels du gouvernement. En effet, j’ai contacté, à plusieurs reprises, les ambassades de Chine en France (Paris), à Luxembourg et à Bruxelles. Alors que Paris n’a jamais donné suite à ma requête, j’ai constaté que pour Luxembourg et Bruxelles, il y avait des gens aptes à me répondre, des spécialistes économiques et politiques, mais qui se sont tous rétractés à l’énoncé de mon sujet et des questions précises que je voulais leur poserje voulais leur parler spécifiquement de la question de l’impact économique et politique de la classe moyenne chinoise. Je me suis donc rendu compte que la classe moyenne chinoise est encore un sujet délicat en Chine, ce que m’a confirmé Xiaojun Yan, une amie et un appui certain tout au long de ce mémoire. Je souhaiterai d’ailleurs profiter de ces avant-propos pour la remercier sincèrement, car elle m’a accordé beaucoup de temps et a répondu à toutes mes questions avec un profond désir de m’aider. Comme je n’ai pas pu me rendre sur place, je considère un peu Xiao comme mes yeux : elle m’a raconté en détails comment se passaient les choses en Chine, et a parfois guidé ma réflexion. Elle fait partie de ces jeunes de la génération post 80 ouverts d’esprit, qui, je le pense, vont jouer un rôle majeur dans le dessin de la Chine de demain. 5 Je souhaiterais également remercier Madame Danielle Cabanis, pour ses conseils, ses encouragements, et pour tout le temps qu’elle m’a accordé. Elle a été une directrice très habile dans sa tâche, me laissant une grand liberté dans mon approche et sachant me rassurer quand j’en ai eu besoin ; le résultat ne serait probablement pas le même aujourd’hui si je n’avais pas bénéficié de sa confiance. Elle s’est également rendue très disponible pour me guider, même pendant ses vacances. Par ailleurs, elle a fait preuve, pendant ces deux années, d’une gentillesse remarquable, et je l’en remercie chaleureusement. Je tiens également à dire un grand Merci à Véronique Faber, ma responsable de stage, avec qui j’ai travaillé pendant la phase de rédaction de ce mémoire, ainsi qu’à mes collègues chez ADA qui m’ont appuyé moralement pendant les longs mois de rédaction. 6 Avertissement : L’IEP de Toulouse n’entend donner aucune approbation, ni improbation dans les mémoires de recherche. Ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur(e). 7 Abréviations par ordre alphabétique : ASSC Académie des Sciences Sociales de Chine BNS Bureau National des Statistiques de Chine OMC Organisation Mondiale du commerce ONG Organisation non gouvernementale PCC Parti Communiste Chinois RPC République Populaire Chinoise ZES Zone Economique Spéciale 8 Table des Matières Introduction .......................................................................................................................... 12 1. PARTIE - L’émergence de la classe moyenne chinoise, ou « la rupture chinoise » ....... 17 Chapitre 1 : Les facteurs de l’émergence de la classe moyenne en Chine ........................... 17 Section I : La société sans classe de l’ère Mao. ............................................................... 17 Section II : Le « Gaige kaifang » de Deng Xiaoping : l’époque des réformes et de l’ouverture. ....................................................................................................................... 22 1. Réformes et ouverture économique.................................................................... 23 2. Le boom économique : les bases fondamentales de l’émergence de la classe moyenne chinoise. ........................................................................................................ 25 3. Croissance et développement de la classe moyenne. ......................................... 27 Section III : L’accès à la propriété ................................................................................... 29 Section IV : Progrès de l’éducation publique................................................................... 32 Chapitre 2 : Une nouvelle stratification sociale qui marque la rupture. ............................... 35 Section 1 : Rupture par rapport à l’idéologie marxiste de la lutte des classes. ................ 35 1. Une structure sociale plurielle : .......................................................................... 36 2. Embourgeoisement : ........................................................................................... 38 3. Une société inégalitaire : .................................................................................... 38 Section 2 : Rupture par rapport à l’ancienne génération. ............................................ 39 1. De nouvelles professions .................................................................................... 40 2. Occidentalisation des modes de vie : « l’homo consommateur » ...................... 41 Chapitre 3 : Focus sur le nouveau profil chinois .................................................................. 43 Section 1 : De l’agriculteur à l’urbain. ............................................................................. 43 Section 2 : Une certaine éducation ................................................................................... 45 Section 3 : Jeunesse .......................................................................................................... 46 Section 4 : Revenu, épargne et pouvoir d’achat ............................................................... 49 1. La dominante tendance à l’épargne .................................................................... 49 9 2. 2. Une consommation qui gagne du terrain............................................................ 50 PARTIE : Un groupe aux frontières troubles et aux identités multiples .......................... 52 Chapitre 1 : La « classe moyenne » : une notion difficile à conceptualiser ........................ 53 Chapitre 2 : Définir la classe moyenne chinoise, une question de point de vue. ................. 56 Section 1 : Le point de vue populaire ............................................................................... 57 Section 2 : Le point de vue du gouvernement .................................................................. 58 Section 3 : Point de vue des sociologues chinois ............................................................. 59 Chapitre 3 : Vers une définition sociologique de la classe moyenne chinoise .................... 61 Section 1 : Récente implication de la sociologie.............................................................. 61 Section 2 : Une conception plurielle de la classe moyenne. ............................................ 63 1. Les débats sociologiques : .................................................................................. 63 2. Composition de la classe moyenne selon Li Chunling : .................................... 66 Section 3 : Débats sociologiques (suite), critiques à l’encontre des sociologues de la classe moyenne. ................................................................................................................ 72 3. 1. Critiques : ........................................................................................................... 73 2. Réponses aux critiques : ..................................................................................... 74 PARTIE - La classe moyenne chinoise : d’une force économique et sociale vers une force politique ? ........................................................................................................................ 77 Chapitre 1 : Force pour le changement ou élément de stabilité ? ........................................ 78 Section 1 : La classe moyenne chinoise : une exception à la théorie de la modernisation .......................................................................................................................................... 79 Section 2 : Les entrepreneurs privés : une force pour le changement ? ........................... 82 Section 3 : Un élément de stabilité recherché politiquement. .......................................... 85 1. La classe moyenne, une zone tampon pour la stabilité ...................................... 85 2. Changement idéologique du gouvernement ....................................................... 86 3. Les mesures effectives du gouvernement pour une « société harmonieuse ».. .. 88 Chapitre 2 : La « démocratie à la chinoise ». ....................................................................... 92 Section 1 : Des doutes à l’encontre de la démocratie occidentale ................................... 92 Section 2 : La perception asiatique de la démocratie ....................................................... 97 10 Chapitre 3 : Vers une montée des contestations ? ................................................................ 99 Section1 : Progression de revendications multi facettes ................................................ 100 1. Des revendications financières, conséquence directe de la crise de 2008 ....... 100 2. Des revendications sociales, symbole de la lutte contre les inégalités............. 102 3. Une indignation politique, pour un Etat de droit .............................................. 104 Section 2 : La génération 80 : une génération « en colère ». ......................................... 108 Conclusion .......................................................................................................................... 112 Annexes .............................................................................................................................. 114 Annexe 1: Entretien de Xiaojun Yan: ............................................................................ 114 Bibliographie: ..................................................................................................................... 119 Ouvrages: ....................................................................................................................... 119 Revues: ........................................................................................................................... 121 Ressources Web: ............................................................................................................ 123 Autres ressources: .......................................................................................................... 125 Résumé : ................................................................................................................................. 127 11 Introduction Le développement économique et social de la Chine ces trente dernières années a été spectaculaire ; l’essor économique, conséquence de l’ouverture à l’économie de marché, permet au Royaume du Milieu de prendre une place de choix dans le monde globalisé contemporain. De fait, la Chine est aujourd’hui vue comme le nouvel eldorado après les EtatsUnis, tant son envol économique a été spectaculaire1. Elle a même réussie à devenir, en 2010, la deuxième puissance commerciale du monde, et pourrait rafler la première place dans les années à venir2. Cette incroyable percée économique mérite d’être étudiée avec attention. En effet, l’enrichissement du pays est indéniable, mais qu’en est-il réellement des conditions de vie de la population en territoire chinois ? C’est un sujet qui fait l’objet d’un intérêt grandissant ces dernières années, car non seulement le développement économique du pays est remarquable, mais les changements structurels qu’ils ont engendrés le sont tout autant. De fait, alors qu’il y a encore quelques années, près de l’ensemble de la population était considérée comme pauvre, rurale et majoritairement illettrée3, on distingue aujourd’hui une certaine « moyennisation » de la société. En effet, se développe une nouvelle strate sociale aux revenus moyens, qui a su bénéficier des réformes économiques permises par l’ouverture et qui profitent de conditions de vie confortables : la classe moyenne chinoise. En d’autres termes, on assiste au développement d’un « nouveau profil chinois », qui est, sous bien des aspects, en contradiction avec ce qu’avait pu être la société chinoise sous Mao Zedong. A l’époque, en effet, la société ne devait être composée que de trois classes - en l’occurrence, la classe ouvrière, la classe paysanne et les intellectuels, et l’idée de richesse personnelle était totalement exclue. Or, on se trouve confronté aujourd’hui à des catégories 1 « Le miracle permanent, dans Après le rêve américain, le Rêve chinois », Le point – Grand Angle, Avril-Juin 2011, p 30-53. 2 « Chine : 1ère puissance d'ici 2030 (BM) », Article AFP dans Le Figaro, 23 mars 2011, http://www.lefigaro.fr/flash-eco/2011/03/23/97002-20110323FILWWW00409-chine-1ere-puissance-d-ici-2030bm.php 3 D. Farrell, U. Gersch, E. Stephenson, “The Value of China’s emerging middle class”, The McKinsey Quarterly, 2006 Special Edition, socioprofessionnelles de nature beaucoup plus diverses 4 , incluant les nouveaux métiers engendrés par l’ouverture du secteur privé et par la tertiarisation de l’économie dans le pays. En parallèle, l’enrichissement de la société dans son ensemble a été une des préoccupations principales de Deng Xiaoping, successeur de Mao, dont le maitre mot de la pensée peut être résumé par la maxime, restée célèbre aujourd’hui, « Enrichissez-vous ! ». Ainsi, en quelques années seulement, la Chine a complètement changé de visage. Mais, comment, dans un pays communiste à visée égalitariste et collectiviste, une telle rupture a-t-elle été possible ? En quoi consistent ces changements et quels impacts ont-ils sur la structuration sociale de la société chinoise ? Plus loin, si l’on suit le raisonnement de la théorie de la modernisation –qui veut que l’émergence d’une classe moyenne dans une société entraine inexorablement une poussée démocratique, quel rôle politique est censée jouer cette nouvelle classe moyenne chinoise ? On définie par le terme de « classe moyenne » la nouvelle strate sociale qui fait jour entre d’un côté, les paysans ruraux et les ouvriers de l’industrie, et d’un autre côté, les riches capitalistes. Cette classe moyenne est majoritairement composée, entre autres, d’officiels du gouvernement, d’auto entrepreneurs, de commerciaux, de managers, de cadres et de techniciens5. Elle est caractérisée par une moyenne d’âge relativement jeune par rapport aux autres pays occidentaux –entre 25 et 44 ans selon certaines études6, et vit en grande partie dans les grandes métropoles côtières du pays. Elle a par ailleurs, grâce aux réformes menées par le gouvernement, eu la possibilité d’accéder à la propriété et à un certain niveau d’éducation, facteurs qui contribuent, sur le long terme, à son renforcement. Les modes de consommation de cette nouvelle strate moyenne sont tout à fait inédits, allant jusqu’à se positionner dans la lignée des modes de consommation qui peuvent exister dans les pays occidentaux. Les grandes enseignes commerciales comme Ikea ou encore Carrefour s’implantent un peu partout dans le pays, et poussent les foyers de cette nouvelle couche sociale à s’équiper en produits électroménagers, automobiles, téléphones portables ou encore en ameublement intérieur7. 4 Li Chunling, « Characterizing China’s Middle Class » dans China’s Emerging Middle Class, Brooking Institution p. 151, source utilisée par l’auteur : Nationall Survey of Social Structure Change, 2001. 5 Ibid, 6 Helen Wang, The Chinese Dream: The rise of the World’s largest middle Class, Best seller Press, pp. 37-57 7 Dominique Desjeux « Chine: modes de vie et de consommation au XXIème siècle”, Problèmes économiques, 13 octobre 2010, p 41. 13 Cependant, l’étude de ce nouveau profil chinois apparait comme très complexe. L’intérêt qui lui est dédié par la sociologie ces dernières années va grandissant, mais, alors que les recherches s’accélèrent et se densifient, aucun consensus n’arrive à se dégager au sujet de la définition de la classe moyenne, de sa taille et de ses caractéristiques8. Deux difficultés majeures sont à considérer : d’une part, les critères de définition font encore débat aujourd’hui entre les chercheurs qui s’intéressent à la conceptualisation de la classe moyenne. Par exemple, alors que les chercheurs occidentaux prêtent une grande attention aux facteurs quantitatifs (majoritairement, le revenu et le capital), les chercheurs de la PCR se concentrent, eux, sur des paramètres différents, plus qualitatifs, comme l’occupation, l’éducation ou encore la conscience de classe. D’autre part, les échantillons considérés par les recherches diffèrent d’une étude à l’autre, entrainant des résultats tout à fait dissemblables. C’est là une difficulté inhérente à la société chinoise, qui se compose de la plus grosse population mondiale, avec près d’un milliards 300 millions individus. Il est impossible, pour une société aussi importante, d’être considérée dans sa globalité. Ainsi, les chercheurs doivent faire des choix tactiques, et considérer des échantillons qui ne seront jamais parfaitement représentatifs. Considérant les disparités géographiques du pays, selon l’endroit où l’étude est réalisée, on peut trouver des résultats profondément différents. Malgré les définitions divergentes établies sur la classe moyenne chinoise, un consensus ressort pourtant de chaque étude dans le fait que la classe moyenne doit considérée comme objet complexe, composé d’identités diverses et aux frontières troubles. Cette difficile définition de la classe moyenne n’est pas un sujet propre à la Chine9 ; cependant, le pays possède une histoire, un régime politique et un système de valeurs qui vont à contresens de ce développement, et c’est ce qui, pour moi, rend le débat autour de l’émergence de la classe moyenne chinoise très intéressant. L’évolution de la classe moyenne chinoise est unique, tant par sa rapidité, que par son impact social et politique. Comme le dit Bruce J. Dickson10, « le point capital, pour comprendre la Chine contemporaine, c’est que les étonnants changements économiques se déroulent sans l’ombre d’un changement de régime ». 8 Cheng Li, “The Middle Class in the Middle Kingdom”, dans China’s Emerging Middle Class, ed, Bookings Institution, pp. 8-10. 9 Virginie Gimbert et Arnaud Rohmer, « Les classes moyennes en quête de définition » Centre d’études startégique, 17 février 2009, 10 Bruce J. Dickson est Professeur de Sciences Politiques et d Affaires Internationales à l’Université George Washington, à Washington DC. Ses domaines d’expertise sont: Les politiques domestiques chinoises, les 14 Il sera donc intéressant, dans ce mémoire d’étudier comment peut être conceptualisée cette classe moyenne, quelles sont les différentes caractéristiques qui doivent être prises en compte pour la définir et comment arrive-t-elle à se faire un place dans une structure politique et sociale, qui, à priori, ne lui est pas du tout favorable. Plus loin, il sera intéressant de se pencher sur les rapports qu’elle entretient avec le pouvoir politique, et d’étudier les raisons à cet équilibre politique, énoncé par Bruce J. Dickinson. Il est vrai que ce sujet est encore assez tabou en Chine, même si les choses commencent lentement à changer. 11 Et, quand la question du rôle politique de la classe moyenne est abordée, là encore, les opinions sont très diverses. D’autant plus que les thèses ne peuvent être pris pour acquis, considérant la rapidité avec laquelle se meut cette classe moyenne, et considérant le fait que, bientôt, nous aurons à intégrer dans l’analyse l’arrivée d’une toute nouvelle génération, aux caractéristiques bien différentes de celle d’aujourd’hui, la génération que l’on appelle communément « post-80 ». L’intérêt de ce mémoire est donc de fournir une réflexion sur les changements de la structure sociale en Chine, conséquence de l’émergence de la classe moyenne. Le sujet prendra pour objet les populations urbaines chinoises, sur l’ensemble du territoire. C’est, il est vrai un projet ambitieux ; mais la distance géographique qui me sépare du sujet d’étude m’oblige à prendre en compte la société dans sa globalité 12 . Par ailleurs, nous ne développerons pas, dans cette étude, l’impact commercial de la classe moyenne - les opportunités qu’elle représente en termes de marché pour la consommation. C’est là aussi un sujet intéressant, mais je préfère, pour ma part, me concentrer sur son impact politique ; le but pour moi n’est pas de faire une analyse de marché, mais bien de faire une analyse sociopolitique. Ainsi, nous allons nous poser la question, tout au long de ce mémoire, des impacts sociaux et politiques de la classe moyenne. En d’autres termes, nous allons nous demander : En quoi cette nouvelle strate moyenne se pose en rupture avec la société chinoise d’antan, et quels ont été les étapes de son développement ? Plus loin, quelles caractéristiques peut-on dégager de l’étude de la classe moyenne, quels sont les critères à prendre en compte pour arriver à une définition sociologiquement acceptable de ce groupe aux identités multiples et politiques d’Asie de l’Est, le changement politique et processus de démocratisation, politiques compares et les relations sino-américaines. 11 Annexe 1 : Entretien avec Xiqojun Yan. 12 Voir les Avant propos 15 aux frontières encore indéfinies ? Par ailleurs, il s’agira de se poser la question des retombées politiques de l’émergence d’un tel groupe social: la classe moyenne va-t-elle transformer son pouvoir économique en pourvoir politique, et confirmer ainsi la théorie précédemment énoncée de la modernisation ? La sauvegarde des intérêts personnels, et donc de la stabilité du régime, sera-t-elle dépassée par des préoccupations politiques et des aspirations démocratiques ? Enfin, quelles seront les conséquences de l’arrivée de la génération post-80 dans l’arène politique ? Afin de réponde à ces questions, nous analyserons, dans un première partie, les modalités de l’émergence de la classe moyenne chinoise ; pour ce faire, nous analyserons plus particulièrement en quoi elle constitue une rupture pour le pays. Il s’agira ici de déterminer les facteurs de son émergence, et d’exposer, selon des formalités qui ressembleraient un peu à celles d’une « carte d’identité », les caractéristiques du nouveau profil chinois. Dans une deuxième partie, il s’agira de se concentrer sur les débats autour de la définition de la classe moyenne, débats qui, nous le verrons, ne sont pas uniquement propres à la Chine. Plus loin, nous analyserons la manière dont elle est perçue, à la fois par la société, le gouvernement et les sociologues ; puis nous ne attarderons sur la conception des sociologues et sur leurs efforts pour arriver à une définition sociologiquement acceptable de la classe moyenne. Dans ce cadre, là, j’exposerai un certain parti pris pour déterminer, au final, quelle solution semble la plus adéquate. Enfin, j’analyserai dans une troisième partie l’impact politique de la classe moyenne, montrant que, loin d’être un facteur de poussée démocratique, elle contribue à la stabilité du régime politique ; j’essaierai dans ce cadre là d’expliquer les raisons d’un tel comportement. Toutefois, je montrerai que la classe moyenne n’est pourtant pas anti-contestataire, et qu’elle peut faire preuve de résistance au régime politique quand ses intérêts sont en jeu ; cette poussé contestataire risque d’ailleurs de s’amplifier avec l’arrivée de la jeune génération sur le marché du travail. 16 1. PARTIE - L’émergence de la classe moyenne chinoise, ou « la rupture chinoise » Chapitre 1 : Les facteurs de l’émergence de la classe moyenne en Chine Le développement d’une classe moyenne, dans tout pays, est intrinsèquement lié à sa croissance économique : définie comme une augmentation durable d’un indicateur de dimension (PIB, PIB/tête) la croissance pose les bases du développement. Cependant, dans certains pays en développement, les taux de croissance sont forts, mais cantonnés à des secteurs limités de l’économie. C’est le cas de la croissance de production réalisée grâce à des capitaux étrangers (destinée à être exportée vers les pays développés). A partir de là, s’interroger sur la genèse de la classe moyenne en Chine va nous amener à étudier les étapes de la croissance chinoise, depuis 1949 jusqu’à aujourd’hui. Plus loin, il nous faudra comprendre pourquoi le développement de la strate moyenne n’a pu se faire sous l’ère communiste menée par Mao Zedong, et comment il a été favorisé par les réformes économiques de l’ouverture. Cette argumentation cherchera également à dégager deux facteurs – l’accès à la propriété et à l’enseignement- qui, selon moi, ont eu un rôle très important dans l’émergence et la croissance d’un classe moyenne chinoise. Section I : La société sans classe de l’ère Mao. En 1949, Mao Zedong, à la tête du Parti communiste chinois, prend le pouvoir et proclame la République Populaire Chinoise. Dès son accession au pouvoir, Mao s’est lancé dans une entreprise de transformation du pays : il a pour ambition de faire de la Chine un pays socialiste idéal. L’accent est mis sur des politiques égalitaristes, visant à la déstratification sociale. Cet objectif fut atteint, au sortir 17 de la Révolution Culturelle, quand la Chine est devenue le pays le plus égalitaire du monde, atteignant le coefficient de Gini13 le plus bas à ce jour14. Cette section a pour objectif de comprendre pourquoi la classe moyenne n’a pu émerger avant la mort de Mao Zedong. C’est, je pense, un travail préliminaire indispensable si l’on cherche à appréhender la formation et les caractéristiques de la classe moyenne chinoise, car cela permet de mettre en lumière, d’une part, son caractère très récent, mais également, de voir en quoi elle se pose en rupture avec le système établit par Mao. Ainsi, un retour sur l’idéologie maoïste de lutte des classes et de déstratification sociale s’impose. Dans un premier temps, Mao décide de mettre en place, dès 1949, une économie entièrement contrôlée et régulée, suivant un système de plan quinquennal. Tout d’abord, au niveau de l’industrie, il cherche à développer, sur l’exemple de l’URSS, l’industrie lourde. Les industries légères et de services, qui ont engendré dans les économies occidentales l’amélioration considérable des niveaux de vie, ont été négligées volontairement15. Ensuite, il a progressivement mis en place une standardisation du marché de l’immobilier. Contrôle des loyers, accaparation des propriétés privées, le système communiste égalitaire avance à grand pas. Sans interdire explicitement la propriété privée (elle existe, et est même dominante dans les grandes villes chinoises), il s’engage à la faire reculer progressivement sur la période 1949-195816. Dans les années 1960, le marché de l’immobilier évolue vers un système de logement de fonction (le système « danwei »). Les logements sont proposés dans le cadre du package de prestations que les employeurs (entreprises nationales ou l’Etat directement) offrent à leurs employés. Ces mesures ont permis de faire largement reculer la part du secteur privé dans le logement, qui tombe à 15% en 197717. Cette réforme du logement visait à l’établissement de l’égalité des conditions de vie des chinois. Il est une expression qui résume bien l’objectif de ces politiques : tous « logés à la même enseigne ». 13 Le coefficient de Gini est une mesure du degré d'inégalité de la distribution des revenus dans une société donnée. Il varie de 0 à 1, où 0 signifie l'égalité parfaite (tout le monde a le même revenu) et 1 signifie l'inégalité totale. L’indice de Gini dont il est question ici est de 0,20. 14 William L. Parish, “Destratification in China”, Class and social stratification in China Post Revolution, Cambridge Press University, 1964 15 Zhou Xiahong et Qin Chen, “Globalization and China’s Middle Class”, Cheng Li dir, China’s Emerging Middle Class, Brookings Institution, 2010, pp. 88 16 Joyce Yanyun Man, « China’s Housing Reform and Emerging Middle Class », Cheng Li dir, China’s Emerging Middle Class, pp. 184-185 17 Zhang, Une étude des politiques immobilières dans la Chine urbaine. 18 En parallèle, Mao souhaite développer l’agriculture collective et nationaliser le commerce et l’industrie, qui étaient également privés jusque là. Une réforme du système agraire est alors déployée. Après quelques tentatives infructueuses, notamment en 1956, avec le programme des 100 Fleurs, il met en place le « Grand Bond en avant » en 1958. Son but était de faire de la Chine une grande nation développée, allant jusqu’à vouloir dépasser les rendements industriels de grandes nations comme la Grande Bretagne18. La collectivisation agricole est renforcée, et les paysans, qui ont été obligés de céder leur terre à l’Etat, sont contraints de vivre sous un modèle coopératif, où toutes les richesses sont mises en commun. Le but était de favoriser la mise en place d’un système de redistribution économique : les gens ne possèdent pas les outils de production, et ne peuvent donc s’enrichir. Si personne ne possèdent rien et que l’économie est régie par le gouvernement, les classes sociales ne peuvent se structurer. Le parti redistribue tout les biens et les richesses de manières à ce que les inégalités soient moindres. Malheureusement pour la population chinoise, cette tentative fut un échec cuisant : les agriculteurs, poussés à travailler dans l’industrie du fer et de l’acier, ont délaissé leur production agricole (reprise par les enfants et les personnes âgées), et le pays a souffert d’une grande famine pendant des années : les récoltes ont été catastrophiques et 10 millions de paysans sont morts de faim suite à ces réformes. Ces mesures économiques, même si elles ont été totalement désastreuses pour la population, sont extrêmement révélatrices de la pensée de Mao. En effet, il se conforme à la théorie marxiste de la lutte des classes selon laquelle il ne doit exister que trois classes sociales différentes : les paysans, les ouvriers et les intellectuels. Dans cette idéologie, toute personne qui n’appartient pas à une de ces classe sociales est considérée comme rivale (pas seulement les bourgeois, les bureaucrates, mais toute personne sortant de ce cadre)19. Les entreprises privées doivent être interdites et stigmatisées. Les entrepreneurs et petits bourgeois, les propriétaires terriens, les riches paysans et tous ceux qui pouvaient tirer du profit économiquement doivent être éradiqués. 18 Schram Stuart. « La Chine de Mao Tsé-toung ». dans: Revue française de science politique, 15e année, n°6, 1965. pp. 1079-1110. 19 Zhou Xiahong et Qin Chen, “Globalization and China’s Middle Class”, Cheng Li dir, China’s Emerging Middle Class, Brookings Institution, 2010, pp. 89 19 Dans cette optique, le gouvernement a mis en place des politiques visant à bloquer leur expansion 20 . Par exemple, dès 1953, tous les diplômés qui sortent de l’université sont automatiquement dirigés vers les carrières publiques, ce qui laisse le secteur privé sans possibilité de développement managérial. En parallèle, les activités de consommation, que Mao considère comme la vile représentation du système capitaliste et comme une dégénération morale, sont condamnées ; le gouvernement de la RPC met en place un rationnement des produits de première nécessité; plus loin, ceux qui gagnent plus d’argentbourgeois et entrepreneurs- sont découragés à consommer car ne veulent pas exposer leur aise économique. Enfin, le gouvernement prend également la décision de supprimer les associations professionnelles, pour permettre d’éviter les mobilisations et les contestations de ceux qu’il cherche à réprimer21. En soi, le but ultime du parti communiste et du gouvernement de la RPC était de fonder une société sans classe, où toute richesse personnelle doit être bannie. Dans cette entreprise, une nouvelle étape est atteinte quand, en 1966, Mao décide de lancer la « Révolution culturelle ». Son but est alors de relancer la lutte des classes, car il est persuadé que cette idée se perd peu à peu, du fait de l’opposition naissante au sein de son parti, impulsée par Deng Xiaoping et Liu Shaoqi. La Révolution culturelle a pour objectif de restaurer le rôle de la classe ouvrière: « La grande révolution culturelle prolétarienne vise à liquider l’idéologie bourgeoise, à implanter l’idéologie prolétarienne, […] à consolider et à développer le système socialiste.»22 C’est également pour Mao un moyen de se relancer à la conquête du pouvoir, après l’échec marqué des réformes économiques du « Grand Bond en Avant ». Pour cela, il s’est axé vers la jeune génération : le but était de faire renaitre, dans le cœur de la jeunesse chinoise, la passion pour le communisme. Dès le printemps 1966, écoliers et étudiants se mobilisent dans l’enthousiasme, mettant en scène des défilés, rythmés par des slogans, des gongs et des cymbales, sur la place Tiananmen où Mao saluait les millions de jeunes venus de tout le pays lui exprimer leur vénération. Le Petit Livre rouge contenant les « pensées du président Mao » régit alors les comportements et les aspirations23. 20 Deborah Davis, “Social Classe Transformation : Training, Hiring, and Promoting Urban Professionals and Managers after 1949 » Modern China 26, numéro 3, 2000. 21 Jianying Wang and Deborah Davis, « Importance of Occupational Disaggregation », Cheng Li dir, China’s Emerging Middle Class, Brookings Institution, 2010, pp. 158-159 22 Extrait du Projet de loi du 8 août 1966, constituant une forme de charte de la Révolution culturelle. 23 Voir Annexe 1 20 Figure 1 La jeunesse chinoise, les "gardes rouges" lisant en cœur le Petit Livret Rouge. Rapidement, la révolution fait pourtant basculer le pays dans le chaos. La jeunesse enrôlée dans ce que l’on appelait les « gardes rouges », persécute, au nom du culte de Mao, tous les cadres du pays, les intellectuels, les artistes et les responsables politiques. Ce qui est intéressant de noter, dans notre souci d’analyse de l’émergence de la classe moyenne chinoise –et dans ce cas précis, de sa non émergence, c’est que ces trois années ont totalement marqué la jeunesse, l’ont mobilisé au nom de l’idéologie et l’ont privé d’enseignement. Les années qui suivirent, de 1966 à 1976, le nombre d’entrées dans les universités a chuté considérablement. L’éducation était vue, par les dirigeants du parti, comme un facteur de trouble au développement de la révolution culturelle. Les concours d’entrée à l’université ont été annulés et les universités ont arrêté d’inscrire des étudiants, et ce jusqu’en 1977. Après cela, il a été difficile de redémarrer le système universitaire, seulement 220 000 places étaient accordées par an (sur près de 5,7 millions de candidats). Pourtant, ces jeunes privés d’éducation vont paradoxalement être les pionniers de la classe moyenne actuelle. 21 En conclusion, nous voyons que, sur le plan national, entre 1949 et 1977, l’essor de la classe moyenne a échoué car la Chine devait emprunter un chemin politique et économique unique, indissociable, basé sur l’égalité des niveaux sociaux. Ajoutons également que, sur le plan international, d’autres arguments peuvent être ajoutés pour expliquer cette impossible stratification sociale. Par exemple, le gouvernement communiste a eu des dépenses militaires très élevées. Les débuts de la Guerre froide ont été l’occasion de confrontations permanentes avec de grandes puissances militaires comme les Etats-Unis, l’Inde ou l’URSS, qui ont imputé une grande partie du revenu national, qui n’a pu être redistribué à la population. Tous ces facteurs réunis font qu’à l’époque, il n’était pas possible de parler de classe moyenne « zhongchan jieji » ou de couches moyennes « zhongchan jieceng », parce que c’était en contradiction avec les théories marxiennes reprises par Mao Zedong. Section II : Le « Gaige kaifang » de Deng Xiaoping : l’époque des réformes et de l’ouverture. En 1978, le sort politique et social de la Chine change complètement. L’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping, longtemps le chef de file de l’opposition à Mao, marque le début des réformes économiques, de l’ouverture à l’économie de marché mondialisée et ouvre la voix à un changement radical des mentalités. En chinois, cette période est appelée le Gaige kaifang, période qui pose les conditions fondamentales à l’établissement de la classe moyenne chinoise, et plus loin, qui rend possible la stratification et la mobilité sociale. Ces réformes ont ouvert le pays à une voie d'économie de marché, sans toutefois abandonner les principes du socialiste (continuité de la gouvernance politique et régulation gouvernementale de l’économie de marché). Dès les premières années, la notion de lutte de classe selon Mao est remplacée par une vision plus développementaliste, où les bourgeois et les riches paysans retrouvent leur intégrité et leur droit d’exister. Le Comité Central du Parti Communiste Chinois rétablit leur statut social dès 1979 et font disparaitre l’image « d’’ennemi de peuple » qui leur collait à la peau. En même temps, la fin de la Révolution culturelle est déclarée et, avec elle, la fin de la répression politique qui l’a accompagné pendant plus de dix ans. 22 Le Gaige kaifang, entendu comme le tournant économique et social pris par la Chine ces trente dernières années, peut s’analyser selon plusieurs niveaux. Tout d’abord, nous évoquerons les réformes économiques lancées par le gouvernement de Deng Xiaoping qui ont permis l’essor du pays. Puis, nous discernerons les changements politiques accomplis au niveau de la structure sociale, posant les bases pour l’établissement de la classe moyenne. Enfin, nous terminerons par analyser les impacts que ces deux sortes de réformes ont eu sur la société, et plus particulièrement sur la classe moyenne. 1. Réformes et ouverture économique Le Gaige kaifang, c’est un ensemble de mesures politiques qui ont permis l’essor et la croissance économique du pays. Le mot d’ordre est d’enterrer le protectionnisme économique et de s’ouvrir à l’économie mondialisée, véritable opportunité pour le développement ; ce que Deng Xiaoping illustra en déclarant que « peu importe qu’un chat soit noir ou blanc, pourvu qu’il attrape les souris ». Il sous-entend qu’il faut mettre fin à ce dictat qui pousse à voir la privatisation comme une perversion, que c’est un mode de fonctionnement comme un autre. L’important, pour la Chine, c’est que l’objectif de développement soit atteint. Pour cela, il a fallu abolir les principes qui régissaient jusqu’alors l’économie. Les premières mesures de Deng Xiaoping ont donc consisté à décollectiviser les campagnes et réduire le contrôle du gouvernement sur l’industrie par de nombreuses dénationalisations. Toute une série de mesures ont été prises en vue de l’ouverture. Surnommées les « Quatre modernisations », elles s’axaient autour de quatre secteurs de l’économie : l’industrie et le commerce, l’éducation, l’organisation militaire et l’agriculture. L’orientation stratégique prise ici était de mettre sur pied une économie socialiste de marché. En premier lieu, il a fallu libéraliser le commerce et aider au développement des entreprises privées. Une des mesures les plus notables a été l’établissement des Zones économiques spéciales (ZES), zones où les investisseurs étrangers ont été encouragés à investir. Quatre zones franches sont mises en place à Shenzhen, Zhuhai, Xiamen et à Shantou, puis en 1984 sur l'île de Hainan. Avec l'autorisation d'y créer des entreprises mixtes sinoétrangères, ce sont de véritables laboratoires d'initiation au capitalisme. On développe également des joint-ventures, et on adopte un système de stock market dans les mégalopoles de Shenzhen et Shanghai. 23 Ces mesures ont permis à de nombreuses entreprises étrangères (japonaises et occidentales) de pouvoir développer leurs activités en profitant des bas coûts qu’offrait la Chine. À la fin de 1978, par exemple, la compagnie de boissons Coca-Cola rendait publique son intention d'ouvrir une usine de production à Shanghai. En 1990, ce sont près de 100 000 entreprises privées qui ont été crées sur le territoire. Dans le courant des années 2000, leur nombre a considérablement augmenté, atteignant 6,59 millions en 2008. Cette même année, lors du 15ème congrès du CCP, le gouvernement reconnaît de façon formelle que l’économie privée est désormais une composante de l’économique de marché socialiste. La Chine voit éclore l’esprit d’entreprendre, caractérisation du progrès social chinois. Les entreprises privées, qui ont donné la possibilité à la population de s’enrichir 24 , représentent aujourd’hui 71% de l’économie. En parallèle, Deng Xiaoping entreprend de développer l'industrie légère, vue comme un moyen de dynamiser le secteur de l’industrie, majoritairement tournée vers les secteurs du charbon et de l’acier. Ce changement de cap est un autre facteur de la croissance économique du pays, boostant considérablement le niveau des exportations et permettant l’essor du « Made in China ». Au niveau agricole, il a fallu enclencher la décollectivisation des campagnes, et changer le système de rémunération des agriculteurs, désormais lié à la production (système de responsabilité « zerenzhi »). En ce qui concerne la propriété des terres, cela s’est fait progressivement ; les terres sont restées collectives jusqu’en 1984, les producteurs n’en retiraient alors que l’usufruit. Progressivement, le principe de transaction entre paysans a été admis, permettant la privatisation des terres25. Nous évoquerons plus tard les réformes concernant l’éducation. Par contre, nous n’évoquerons pas les réformes de l’organisation militaires, qui n’a pas de lien avec le développement de la classe moyenne. Toutes ces transformations ont eu un impact considérable sur le produit intérieur brut du pays. Initialement de l’ordre de 364.5 milliards de yuan en 1978, il a atteint la barre des 25 000 milliards en 2008 26 . Sur la période, la Chine n’a eu de cesse de grimper dans le 24 « Enrichissez-vous », célèbre mot d’ordre de Deng Xiaoping.. « Un document sur la genèse de la décollectivisation en Chiune », Perspectives Chinoises, no. 5/6, Juillet/Août 1992, p 22-24 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/perch_1021-9013_1992_num_5_1_2828. 26 Livre annuel des statistiques, Bureau National des Statistiques de Chine,, 2009 25 24 classement des puissances mondiales, jusqu’à atteindre la deuxième place dans le courant de l’année 201027, devançant désormais son voisin japonais. Produisant à une vitesse effrénée, la Chine contribue à 20 % de l’économie mondiale et son taux de croissance annuel moyen a été de l’ordre de 10% sur les dix dernières années, du jamais vu dans nos sociétés capitalistes. En 2001, la Chine fit son entrée à l’OMC, résultat de ses efforts pour mettre sur pied l’économie de marché. Ces efforts ont également été reconnus par la Banque Mondiale, qui la considère désormais comme un pays à revenus moyens, et non plus comme un pays à faibles revenus28. En effet, on constate un net recul de la pauvreté : le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté était établit à 625 millions en 1981 (60% de la population), et n’est plus que de 135 en 2004 (10%)29. 2. Le boom économique : les bases fondamentales de l’émergence de la classe moyenne chinoise. L’effet cumulatif de la croissance économique a donc eu un impact considérable sur les salaires et conditions de vie des ménages. La Chine est même vue comme le nouvel eldorado après les USA, tant son envol économique a été spectaculaire sur ces trente dernières années30. 27 « La Chine est la deuxième économie mondiale », Libération, 17 août 2010, http://www.liberation.fr/economie/0101652514-la-chine-est-la-deuxieme-economie-mondiale 28 World Bank Country Datas, http://www.worldbank.org/en/country/china/data 29 “China: From Poor Areas to poor people: China’s evolving poverty reduction agenda- an assertment of poverty and inequality”. World Bank Report 30 « Le miracle permanent, dans Après le rêve américain, le Rêve chinois », Le point – Grand Angle, Avril-Juin 2011, p 30-53. 25 Evolution du salaire moyen (yuans), 1978-2005 20000 15000 10000 Salaire moyen (yuans) 5000 0 1978 1985 1990 1995 2000 2005 Figure 2 Evolution du salaire moyen chinois, 1978-200531 Le graphique ci-dessus a pu être établit à partir de données du BNS. La courbe de l’évolution du salaire moyen décrit, de manière distincte, l’augmentation des revenus sur l’ensemble de la population chinoise entre 1978 et 2005 (tous revenus confondus : faibles, moyens, élevés). L’important à voir ici, c’est que le revenu moyen global du pays a nettement augmenté entre 1978 et 2005. En regardant de plus près, on peut constater un premier pic en 1994 et un deuxième au début des années 2000, qui correspondent tous deux à des politiques d’augmentation des revenus minimums. La structure sociale a également subie des transformations. Alors qu’en 1978, les différentes occupations pouvaient se résumer à ouvriers et paysans, aujourd’hui, sont apparus de nouveaux groupes sociaux, tels que les entrepreneurs privés et les professionnels et managers du secteur privé. Ces transformations ont permis au concept de « classe moyenne » de paraître sur le devant de la scène ; Toutefois, on lui a longtemps préféré le terme de « couche sociale à revenu moyen », car il faisait référence à des personnes qui venaient de classes défavorisées et non éduquées. En effet, sur la première phase de développement de la classe moyenne (1978 à 199432), les groupes qui voient leur revenu augmenter sont soit des fonctionnaires, soit des « aventuriers », venus de toutes catégories sociales, qui se sont lancés dans l’économie 31 Livre annuel des statistiques, Bureau National des statistiques 2009. Période de l’ouverture économique, 1994 correspondant au premier pic de salaire observé dans le graphique Figure 2. 32 26 socialiste de marché. Pour ces derniers, leur réussite est liée à leur prise de risque ; ils n’avaient la plupart du temps pas suivi d’études poussées. Or, le terme de « classe moyenne », plus loin que le critère de revenu, sous entend le développement d’une culture de classe et de pré dispositions particulières, comme la propriété et le niveau d’éducation. C’est pourquoi je développerai dans une prochaine partie l’importance des réformes de l’immobilier et de l’éducation dans le développement de la classe moyenne. Mais avant cela, je souhaiterais rapidement dégager les étapes de la croissance de la classe moyenne. 3. Croissance et développement de la classe moyenne. Selon les prévisions économiques, la classe moyenne chinoise va continuer à s’élargir dans les années à venir. Deux raisons sont évoquées pour expliquer ce renforcement: tout d’abord, le taux de croissance du pays sera toujours très propice à son développement économique. Même si le Premier ministre, Wen Jiabao prévoit une sensible diminution pour les cinq prochaines années33, il est attendu qu’il reste tout de même à un niveau élevé. D’autre part, l’extrême pauvreté s’étant nettement réduite en Chine, une grande part de la population est maintenant en mesure d’atteindre le premier seuil de la classe moyenne. Même s’il est quasiment certain que la classe moyenne continuera à grossir ces prochaines années, personne ne peut certifier dans quelle proportion cela se fera. Toutefois, les économistes du McKinsey Global Institute ont tenté d’établir, en 2006, une analyse de la future répartition de la population chinoise. Basée sur les données statistiques du Bureau National des Statistiques de Chine, l’étude prévoit que la proportion de pauvres dans la population baissera considérablement 34 . Alors qu’en 1985, 100% de la population était considérée comme pauvre35, en 2005 (année de l’étude), ces chiffres tombent à 78% de la population urbaine ; en 2025 (prévisions), ce ne sera plus que 10% de la population qui sera concernée. La réduction de la pauvreté aura pour conséquence immédiate le grossissement des rangs de la classe moyenne. Deux étapes de développement sont prévues : 33 Barry Eichengreen « Coup de frein à la croissance chinoise , The next Financial Order » http://www.project-syndicate.org/commentary/eichengreen28/French 34 D. Farrell, U. Gersch, E. Stephenson, “The Value of China’s emerging middle class”, The McKinsey Quarterly, 2006 Special Edition, 35 Cette étude considère comme pauvre toute personne gagnant un revenu inférieur à 25 000 yuans par an, c'està-dire moins de dix dollars par jour. 27 • 2010 : massification de la classe moyenne inférieure (ménages dont les revenus annuels sont compris entre 25 000 et 40 000 yuan). L’étude prévoit que 290 millions de personnes pourront être considérées comme membre de la classe moyenne inférieure en 2010, soit près de 42% de la population urbaine. En 2010, il y aura désormais plus de personnes appartenant à la classe moyenne inférieure que de pauvres, phénomène inédit. En 2015, ce nombre atteindra son maximum, comprenant près de 50% de la population urbaine. • 2020 : massification de la classe moyenne supérieure (ménages dont les revenus annuels sont compris entre 40 000 à 100 000 yuans). En 2020, ce seront près de 520 millions de personnes qui auront un revenu compris entre 40 000 et 100 000 yuan, ce qui représentera plus de la moitié de la population urbaine. Classement des foyers urbains en fonction du revenu, % 1985-2025 120 Pourcentage 100 80 60 40 20 0 1985 1990 1995 2000 2005 2010 2015 2020 2025 100 100 92 90 78 42 21 13 10 Classe moyenne supérieure ( 40 000- 100 000 yuans) 0 0 1 5 10 13 21 39 60 Classe moyenne inférieure ( 25 000 - 40 000 yuans) 0 0 7 5 12 42 50 39 20 Pauvres ( > 25 000 yuans) Figure 3Classement des foyers urbains en fonction du revenu, 1985-2025 28 Ce graphique traduit les prévisions selon lesquelles la Chine passera progressivement d’un pays pauvres à un pays à revenus intermédiaires. En revanche, les revenus des personnes riches et très riches ne sont pas retranscrits dans ce graphique car ils en obscurcissaient l’analyse. Toutefois, nous pouvons noter qu’ils vont également avoir tendance à augmenter sur la période : avant 2010, le nombre de personnes dont le revenu annuel dépasse 100 000 yuans est quasiment nul ; en 2025, on prévoit que 10 % de la population ait dépassé ce cap. Les réformes économiques d’ouverture à l’économie de marché ont permis à de nombreux foyers de s’enrichir. Cependant, comme nous venons de l’expliquer, le terme de classe moyenne a mis du temps à se développer. En effet, même si le niveau de richesse a augmenté, il manquait le ciment qui permettait le développement d’une culture de classe. Ce lien a été favorisé par deux mesures phares : la réforme du marché immobilier, et la réforme du système éducatif. Section III : L’accès à la propriété Réformer le secteur de l’immobilier a constitué une avancée majeure pour le développement de la classe moyenne chinoise. D’un côté, cela a permis à de nombreux chinois d’investir le marché de l’immobilier comme tout autre secteur de l’économie, et compte tenu de la taille de la population, c’était un marché très attractif. D’un autre côté, nombre d’entre eux ont pu devenir propriétaire de leur logement, et peu à peu, l’accès à la propriété s’est posé comme une condition d’appartenance à la classe moyenne. L’histoire des politiques du logement est donc à regarder de près si l’on veut comprendre le développement et le dessin de la classe moyenne chinoise aujourd’hui. Alors que jusqu’en 1977, l’immobilier était entièrement régulé par l’Etat et le logement, fournis aux employés dans le cadre de leur fonction, les années 1980 marquent un tournant vers la privatisation des logements. En effet, Deng Xiaoping n’a pas uniquement pensé le développement et la privatisation du secteur commercial, mais aussi celui de l’immobilier. C’est là un point vraiment nouveau 29 pour les chinois, car ils ont toujours été forcés à penser la propriété comme la vile représentation du système capitaliste. Pourtant, pour Deng Xiaoping, qui affirme que, « peu importe qu’un chat soit blanc ou noir, du moment qu’il attrape des souris », le système capitaliste n’a pas à être diabolisé ; au contraire, il le voit comme un moyen de développement très efficace, et de plus, compatible avec le fonctionnement socialiste du système politique chinois. D’autant plus que l’ancien système « danwei » a eu des conséquences très négatives sur les conditions de vie des ménages. Les investissements, ne pouvant provenir que du secteur public (Etat et entreprise nationales), ont été bien inférieurs à ce qu’ils auraient du être pour suivre l’évolution de la demande de la population, en forte croissance. La surface des appartements était en moyenne inférieure à 10 m236. Moderniser le pays s’est donc soldé par une réforme du statut du logement : il n’est plus pensé comme une prestation, mais comme une marchandise à part entière. Ainsi, les premières années d’expérimentation de la réforme ont consisté à promouvoir l’initiative privée dans le secteur de l’immobilier. Pour ce faire, les loyers ont été élevés au prix du marché, établit en fonction de l’offre et de la demande, et la vente des biens immobiliers (ceux appartenant à l’Etat, et les résidences nouvellement construites) a été rendue possible dès 1988. En très peu de temps, les prix de l’immobilier ont doublé en Chine, et les villes côtières se sont engorgées. C’est devenu une véritable mine d’or, beaucoup ont fait fortune grâce à des transactions immobilières37. Mais, le point culminant du développement du marché de l’immobilier ne fut atteint qu’en 1998, date à laquelle le Conseil d’Etat mis définitivement fin au système de logement public « danwei » 38 . Cependant, l’Etat ne s’est pas totalement dégagé du marché : le secteur de l’immobilier, surtout dans les pays socialistes, est davantage perçu comme un secteur « social », que comme un secteur purement économique. Il a développé, de manière concomitante, des mesures d’aide pour les foyers à bas revenu (indemnités au logement, prêt pour le logement …) pour éviter que le creusement des inégalités au sein de la société. L’Etat 36 Joyce Y. Man, “China’s Housing Reform and Emerging Middle class” dans Cheng Li dir, China’s Emerging Middle Class, BVrookings Institution, 2010, pp.187-191. 37 Voir en Annexe ; Annexe 1 :Entretien avec Xiaojun Yan 38 « Notice pour l’approfondissement de la réforme du système de logements urbains et accélération du développement immobilier », Conseil d’Etat, Document 23, 3 Juillet 1998. 30 ne s’occupe donc plus que des très pauvres ; le reste de la population est prise en charge par le secteur commercial (privé). Ces mesures de privatisations du logement ont permis d’augmenter considérablement le taux de propriété39, atteignant 82,3% dans les villes chinoises en 2007. C’est considérable, si l’on prend en compte qu’un pays développé comme les Etats-Unis ne compte que 67,4% de propriétaires40. En parallèle, la qualité des logements s’est nettement améliorée, avec une surface habitable en augmentation (de 6,7 en 1978 à 28,3 m carrés en 200741). En ont découlés de profonds changements dans la structure économique et sociale du pays. Désormais, la propriété est devenue le but premier des foyers chinois. Elle constitue pour eux le symbole de la richesse et du statut social. En conséquence, la propriété a peu a peu évolué comme étant une des caractéristiques essentielles pour décrire la classe moyenne ; est devenue une mesure du statut social. Par ailleurs, on peut considérer qu’elle permet le démarrage d’une « conscience de classe » ; en effet, les chinois de la classe moyenne ne se sentent que très peu investis dans la sphère politique. Cela fera l’objet d’une partie plus approfondie, mais nous pouvons dors et déjà dire qu’ils ne sont pas d’ardents défenseurs de leurs droits politiques. En revanche, ils ont tendance à beaucoup plus s’impliquer quand il s’agit des droits de propriété : peu importe le métier ou positionnement politique d’une personne, la propriété s’impose comme une valeur à défendre. Par exemple, on a récemment amendé dans la constitution l’inviolabilité de la propriété privée des citoyens(2007)42. C’est en ce sens que, selon moi, la privatisation du marché du logement a influencé le développement de la classe moyenne. Tout en permettant à la population de s’enrichir (par la fructification du capital), elle a permis l’accès à la propriété, qui s’est constituée en paramètre pour la définition de la classe moyenne. 39 Taux de propriété entendu comme le: nombre de maisons occupées par les propriétaires/ nombre total de logements. 40 « Taux de propriété par région » US Census Bureau, http://en.wikipedia.org/wiki/Homeownership_in_the_United_States 41 Joyce Yanyun Man, “Housing Policy and Housng Market in China: Trends and Patterns, and Affordability” dans La Réforme chinoise de l’immobilier et ses resultants, Lincoln Institute of Land Policy Press, Janvier 2011. http://www.lincolninst.edu/pubs/1871_Affordable-Housing-in-China 42 Zhou Yu, La réforme immobilière dans la Chine urbaine, Virginia Institute and State Univerisity, p 26-33, 1999. http://scholar.lib.vt.edu/theses/available/etd-072799-023940/unrestricted/major.pdf 31 Le niveau de richesse ne suffit pas, seul, à définir une classe sociale ; il faut qu’il soit accompagné de critères qualitatifs, comme la propriété, et nous allons le voir à présent, l’éducation, pour que de « state à revenu moyen », ces populations soient considérées comme une classe sociale. Section IV : Progrès de l’éducation publique Max Weber, père fondateur de l’analyse sociologique, postule que l’éducation est l’un des éléments fondateurs d’une classe moyenne dans une société43.En effet, les compétences acquises au cours du cursus scolaire tendent à favoriser l’obtention de meilleurs emplois, tant au niveau de la fonction que du salaire. Cependant, en Chine, l’éducation n’est pas historiquement liée à la formation de la classe moyenne. C’est là tout le paradoxe de cette sous partie, car j’affirme pourtant que l’augmentation du niveau d’éducation dans la société chinoise est un facteur de son émergence. En réalité, il faut voir que l’éducation n’a pas été un agent de l’enrichissement du pays. Les premiers hommes à avoir atteint un niveau de revenu « moyen » n’avaient souvent pas reçu de formation scolaire, mais avaient profité des ouvertures que proposaient les réformes économiques et s’étaient lancés dans les secteurs porteurs, comme l’industrie ou l’immobilier44. Toutefois, aujourd’hui, la situation a changé, et l’éducation supérieure est devenue un vecteur de croissance de la classe moyenne chinoise. Comment cela est-il possible ? C’est ce que nous allons tenter d’expliquer dans cette partie. Pour pallier au retard énorme pris pendant la période de la Révolution culturelle en matière d’éducation (arrêt des inscriptions universitaires), de gros efforts ont fournis. En 1978, le PCC a rétablit le concours d’entrée dans les universités nationales. Le nombre de place était cependant limité à une très petite portion d’étudiants. Mais pour les heureux élus, ça a été l’occasion d’obtenir de meilleurs emplois et de monter dans la hiérarchie sociale. En effet, ceux qui ont eu l’opportunité de suivre des cours à cette époque (et depuis) se sont vu offrir des postes de choix au sein de la société : soit des postes de leaders au sein du 43 Max Weber, Economy and Society : An Outline of Interpretative Socilogy, edited by Guenther Roth and Claus Wittich, p302 44 Jin Li, Social Transformation and Private Education in China –New York: Praeger, 1999 32 gouvernement, soit des postes hauts placés dans des entreprises privées en plein essor. Ils ont ainsi pu atteindre un niveau de richesse dont ils n’auraient jamais profité si cette opportunité universitaire ne s’était pas présentée. Par exemple, Xin Huandong, cadre dans le gouvernement provincial de Shandong, explique dans un article du China’s People Daily, que son entrée à l’université, il y a trente ans, a totalement changé sa vie, lui évitant de devenir agriculteur dans une campagne aride du nord de la Chine, comme bon nombre de ces anciennes connaissances45. Par ailleurs, ceux qui ont suivi une formation universitaire dans les années 1980 auront tendance à pousser leurs enfants sur les bancs de la fac, ce qui va dans le sens d’une rapide expansion du secteur universitaire : de plus en plus de jeunes veulent profiter de l’opportunité économique et sociale qu’offre l’obtention d’un diplôme universitaire. Ainsi, depuis le rétablissement du concours d’entrée, les candidats ont été nombreux. Cependant, le degré de compétitivité du concours était très élevé : sur les trente dernières années, près de 60 millions de chinois se sont présentés, et seulement 10 millions ont effectivement été admis. Dans les années 1990, le gouvernement chinois a donc pris des mesures pour amplifier l’accès à la formation supérieure. La population chinoise se faisant de plus en plus importante, le nombre de demandes d’inscriptions augmentait chaque année, sans pour autant se concrétiser, du fait du nombre de places limité. D’un autre côté, le pays a eu de plus en plus besoin de main d’œuvre qualifiée pour continuer à attirer les capitaux étrangers. L’économie chinoise est en train de changer de visage : initialement tournée vers l’industrie, elle est aujourd’hui de plus en plus tournée vers les services, et nécessite l’expertise et la formation qui en découle. En 1999, pour permettre un plus large accès à l’éducation supérieure, le Ministre de l’éducation Zhou Ji a pris la décision d’augmenter le nombre de places disponibles dans les universités. Parallèlement à cela, deux projets ont été développés46. 45 “Massive expansion of University Rolls causes problems for China” http://english.people.com.cn/200706/06/eng20070606_381598.html 46 Jing Lin et Xiaoyan Sun, “ Higher Education and China’s Middle Class”, Cheng Li dir, China’s Emerging Middle Class, Brookings Institution, 2010, pp.225-226 33 • Le projet 211 : lancé par le neuvième Plan d’action du gouvernement (1995), il avait pour but d’allouer un budget conséquent (bourses nationales et locales) à près de 100 universités en vue d’améliorer, de manière globale, les capacités institutionnelles et le service public de l’éducation supérieure47. L’objectif de ce projet était de permettre aux universités de répondre aux exigences du système international en termes de recherche scientifique et de formation. • Le projet 958 : lancé en 1999, il avait pour but de soutenir des universités de prestige, ce que l’on appelle en France, les « grandes écoles », pour former les futures élites. Ces mesures, prises dans leur totalité, ont eu un effet très positif sur le degré et la qualité de scolarisation des étudiants chinois : les gens qui rentrent sur le marché du travail sont de plus en plus nombreux et qualifiés. Le tableau ci après, établit à partir des données du BNS, rend compte de l’impact de l’ouverture des universités sur les vingt dernières années. Sur la période considérée (1990-2009), la fréquentation des établissements universitaires a augmenté de 800%, ce qui est spectaculaire. A présent, 23.3% de la population en âge d’aller à l’université y sont effectivement inscrits, ce qui correspond, pour l’année 2009, à 26 millions d’inscrits, et à 7 millions de diplômés. Le gouvernement chinois prévoit qu’en 2030, ce soit 50% des jeunes en âge d’aller à l’université qui seront effectivement inscrits. Tableau 1- Institutions d'éducation supérieure et fréquentations, 1990-200548 Nombre 1990 1995 2000 2001 2005 2009 206,3 209,6 556,1 719,1 1 561,8 2 600,0 61,4 80,5 95,0 103,6 306,8 700,0 d’étudiants (10 000) Diplômés (10000) Au final, cette expansion de l’éducation supérieure en Chine a eu un impact majeur sur le développement de la classe moyenne. 47 The Overall Goals and Missions of Project 211 , China education and Research Network, http://www.edu.cn/20010101/21852.shtml 48 Source : Bureau National des Statistiques de Chine, 2006 34 Cela a permis à de nombreux jeunes chinois, venant d’horizons très disparates et aux caractéristiques très différentes, d’avoir davantage de débouchées et de trouver des emplois bien rémunérés. Un examen des revenus quelques années après la sortie de l’université montre que nombre d’entre eux ont effectivement joint la couche de revenu moyen. Cette donnée va dans le sens d’un développement souple de la structure sociale : les gens de les tous milieux sociaux sont désormais en capacité d’accéder à une éducation de haut niveau, s’ils remplissent les critères d’admission des facultés. Pour reprendre notre raisonnement général, l’éducation supérieure est donc devenue un vecteur de croissance de la classe moyenne. Elle forme les futurs employés de bureau, qui seront en grande partie intégrés à cette nouvelle classe moyenne. En conséquence, plus le nombre d’étudiants s’grandit, plus la classe moyenne s’agrandit. Li Qiang, professeur de sociologie à l’université Tsinghua, explique l’impact de l’éducation sur la classe moyenne en ces termes : « Les universités sont les outils de productions des couches intermédiaires (de la société) ; une des fonctions les plus importantes de l’université est de permettre aux gens d’adopter les normes du grand public, les normes des couches moyennes de la population »49 Mais il est intéressant d’aller plus loin : c’est non seulement un facteur de croissance, mais également devenu un critère d’appartenance à la classe moyenne. Nous verrons cela quand nous étudierons le nouveau profil chinois. Chapitre 2 : Une nouvelle stratification sociale qui marque la rupture. Section 1 : Rupture par rapport à l’idéologie marxiste de la lutte des classes. L’émergence d’une classe moyenne en Chine crée une rupture profonde avec l’idéologie de la lutte des classes menée par Mao Zedong entre 1949 et 1978. Inspirée de la pensée marxiste, l’idéologie communiste de l’époque s’était axée autour de trois caractéristiques majeures : une 49 Li Qiang, “La composition de la strate à revenu moyen en Chine », Journal des Sciences Sociales de l’Université Normale de Hunan. 50 Li Chunling, A Research Report on Social Classes of the Contemporary China, Beijing: Social Science Document Press, 2002.ASSC, 2002 35 structure sociale tripartite (classe ouvrière, paysans et intellectuels), l’égalité totale des conditions de vie des individus, et en conséquence la stigmatisation de la bourgeoisie et de l’enrichissement. Depuis l’ouverture économique du pays, on remarque que, de manière progressive, une nouvelle société se développe, en opposition totale avec ce qu’avait pu être la Chine il y a encore 30 ans : la structure sociale se pluralise, l’embourgeoisement s’étend et les inégalités se creusent. 1. Une structure sociale plurielle : L’ouverture à l’économie mondialisée et la croissance de l’économie chinoise a permis à de nouvelles professions d’émerger sur les marchés chinois. En particulier, les professions de type « Col Blanc » se sont développées : la croissance économique crée toujours une couche de techniciens, de gestionnaires, d’ingénieurs, de gens avec un bon niveau d’études qui travaillent dans les nouveaux secteurs modernes pour répondre au besoin du développement. Tous les pays développés ont connu cette évolution, c’est maintenant au tour de la Chine. En parallèle, les réformes économiques qui ont amené la privatisation de l’économie ont entrainé une diminution du nombre d’emplois publics, et en retour, ont augmenté le nombre d’entrepreneurs privés et d’employés du secteur privé. En conséquence, la structure sociale chinoise a davantage tendance à s’organiser selon la profession : on passe progressivement d’un système de représentation sociale symbolique (théorie marxiste) à un système de stratification sociale en fonction de l’occupation (théorie wébérienne). Différentes études se sont penchées sur la classification sociale en fonction de l’occupation. Cependant, l’étude la plus pertinente pour développer cette idée me semble être l’étude de sur la stratification sociale réalisée par Lu Xueyi en 2002, alors directeur de l’Académie des Sciences Sociales de Chine50. Basée sur des recherches de terrain de trois ans (1999-2002), cette étude a cherché démontrer l’existence de différentes strates sociales en fonction de l’occupation. 50 Li Chunling, A Research Report on Social Classes of the Contemporary China, Beijing: Social Science Document Press, 2002.ASSC, 2002 36 Sur la base de ses entretiens, il est arrivé à la conclusion que dix classes occupationnelles pouvaient être déterminées pour conceptualiser la nouvelle configuration de la stratification sociale chinoise. Nouvelle stratification sociale basée sur l'occupation Paysans Ouvriers Commerciaux Techniciens Employé Auto entrepreneurs Pourcentage Chômeurs urbains et ruraux Cadre Manager Entrepreneur Privé 0 10 20 30 40 50 Cette étude a pour force d’avoir fait un réel travail d’enquêtes sur l’ensemble du territoire chinois et pas uniquement sur les régions urbaines, comme la majorité des études sur la classe moyenne ont tendance à faire. C’est ainsi normal de constater un pourcentage important de paysans, 60% de la population était rurale à cette époque. Cela nous permet de distinguer que, même si le nombre de paysans et d’ouvriers reste important, de nouvelles professions prennent de l’ampleur sur le marché du travail chinois, comme les techniciens, les cades, et les entrepreneurs privés. Les pourcentages sont faibles, il est vrai ; mais il ne faut pas oublier que quelques années avant, une telle structuration n’aurait tout simplement pas été possible. Toutefois, cette étude présente un désavantage relatif à son ancienneté. En effet, elle a été réalisée en 2002, au début de l’émergence de la classe moyenne. Il faut donc considérer le fait que les nouvelles occupations recensées en 2002 ont du se renforcer et prendre de l’ampleur aujourd’hui. 37 Je l’ai quand même intégrée à mon analyse, car je pense qu’elle apporte un réel éclairage sur le développement des strates occupationnelles dans le pays. 2. Embourgeoisement : Comme nous l’avons vu dans notre première partie, le PCC a, dès son accession au pouvoir en 1949, cherché à stigmatiser l’idéologie bourgeoise, mettant en place des politiques pour bloquer son expansion. A l’inverse, en 1978, Deng Xiaoping ouvre le pays à l’économie de marché, et cherche à promouvoir un modèle de développement capitaliste propice à l’enrichissement des populations (« Enrichissez-vous ! »), facteur de l’émergence de la classe moyenne d’aujourd’hui. Mais, plus loin, on constate que cette ouverture a également permis à certains de s’enrichir plus que d’autres, et qu’une classe moyenne « supérieure » commence à se détacher dans les années 1990 et va continuer à se renforcer dans les années à venir, jusqu’à englober la majorité de la population. 51 (Figure 3Classement des foyers urbains en fonction du revenu, 1985-2025). 3. Une société inégalitaire : A mesure que le pays s’enrichit, les inégalités au sein de la population se creusent. Non seulement le fossé entre les riches et les pauvres s’accroit, mais des inégalités au sein même de la classe moyenne se font sentir. • Fossé riche pauvres A l’époque de Mao Zedong, la Chine était la société la plus égalitaire que le monde ait jamais connu, avec un indice de Gini de 0.20.Aujourd’hui, ce phénomène a tendance à s’inverser. En effet, alors même que l’apparition de la classe moyenne se développe (phénomène qui, normalement, devrait favoriser l’équilibre des richesses dans la société), le fossé entre les riches et les pauvres est en train de se creuser. Le coefficient de Gini atteint aujourd’hui 0,47, situation encore plus inégalitaire qu’en Inde (0,325). Le revenu des 10% les plus riches est supérieur de 23 fois au revenu des 10% les plus pauvres. • 51 Inégalités à l’intérieur même de la classe moyenne “The Value of China’s emerging middle class”, The McKinsey Quarterly, 2006 Special Edition, p. 64 38 Certaines personnes s’enrichissent plus vite que d’autres, et cela au sein même de la nouvelle classe moyenne. Pour développer cette idée, je souhaiterais m’appuyer sur une étude réalisée par le BNS et l’Académie des Sciences Sociales de Chine (ASSC)52. Cette étude, désignée comme l’étude CHIP pour Chinese Household Income Project, a réalisé, en 1995 et en 2002, des entretiens auprès de 12 000 foyers urbains pour chercher à comprendre l’évolution des salaires et des comportements liés au sein de la classe moyenne. L’étude révèle une croissance des inégalités tant en termes de salaires qu’en termes d’attitudes au sein de la classe moyenne. En effet, une classe moyenne supérieure, composée de directeurs, de managers et de cadres, semble se détacher. Elle dispose de revenus supérieurs et a tendance à disposer de davantage des biens (immobiliers et titres financiers -actions, obligations…). Donc, on constate un fossé qui se creuse toujours plus entre une classe moyenne supérieure et une classe moyenne inférieure, et en parallèle, considérant la société dans sa globalité, entre les riches et les pauvres, ce qui est totalement en contradiction avec le fonctionnement du pays il y a encore vingt ans, où tous les biens étaient mis en commun. Section 2 : Rupture par rapport à l’ancienne génération. Mon but dans cette section est de mettre en avant les changements internes à la société chinoise (en termes de modes de vie, principalement), de voir en quoi la génération de la classe moyenne marque une rupture par rapport à la génération précédente, qui vivait majoritairement dans les campagnes, et gagnait ses revenus de l’agriculture. Pour ce faire, mon argumentation va se dérouler en deux temps. Tout d’abord, je souhaite montrer la rupture dans la nature des emplois occupés. Cela rejoint l’idée de la structure sociale qui se pluralise, avec des nouveaux profils de travail qui apparaissent. Mais l’intérêt ici sera d’accentuer les changements entre les générations dans les modes de vie, dont la nature de l’emploi fait partie intégrante. 52 Jianying Wang and Deborah Davis, « Importance of Occupational Disaggregation », Cheng Li dir, China’s Emerging Middle Class, Brookings Institution, 2010, pp. 158-173. 39 Par la suite, je développerai l’idée d’une occidentalisation des styles de vie des chinois de la classe moyenne, qui est une rupture majeure par rapport à la manière de vivre de la génération antérieure. 1. De nouvelles professions Tandis que la génération antérieure tirait ses revenus de la culture du riz et de la pêche, la génération qui compose la classe moyenne émergente s’épanouit dans de nouvelles formes de professions, conséquence de la privation et de la tertiarisation de l’économie. Le tableau ci-dessous indique, pour des catégories différentes de la nouvelle génération (Entrepreneurs privés, managers et officiels du gouvernement, petit entrepreneurs, employés de bureau, ouvriers et agriculteurs), quelle était la profession du père. Tableau 2 Pourcentage des membres de la classe moyenne en fonction des occupations de leur père53. Profession du père Entrepreneu Manager et Petit Employ Ouvrie Agriculteu r privé officiel du entrepreneur é r r gouvernemen de bureau t Nouvelle Entreprene génération ur privé Manager et 0,0 7,9 3,8 8,5 21,1 58,7 0,0 37,1 2,5 7,7 21,0 31,7 0,0 6,6 10,0 2,7 24,3 56,4 0,0 16,5 1,5 22,6 26,5 32,9 0,0 7,1 2,2 4,8 39,5 46,6 officiel du gouvernem ent Petit entrepreneu r Employé de bureau Ouvrier Ce qui ressort de ce tableau, c’est que la majorité de ceux qui font aujourd’hui parti de la classe moyenne viennent de familles d’ouvriers et d’agriculteurs. Avant, les métiers de l’entreprenariat privé n’existaient simplement pas. Les gens travaillaient soit dans 53 Li Chunling, « Characterizing China’s Middle Class » dans China’s Emerging Middle Class, Brooking Institution p. 151, source utilisée par l’auteur : Nationall Survey of Social Structure Change, 2001. 40 l’agriculture ou dans les usines, soit dans l’administration ou dans les entreprises nationales. Aujourd’hui au contraire, les emplois tendent à être de plus en plus privés, et tournés vers les emplois tertiaires. 2. Occidentalisation des modes de vie : « l’homo consommateur » La mondialisation et l’augmentation des revenus ont totalement chamboulé le mode de vie des chinois. Le temps où la consommation était vue comme la vile représentation su système est désormais bel et bien révolu. Ces dernières années, les ventes en Chine ont explosé ; la Chine est d’ailleurs en phase de devenir le leader mondial de la consommation : une étude réalisée en 2007 sur 6000 chinois montrait qu’ils passaient en moyenne 9,8 heures par semaine à faire du shopping, contre 3,6 pour les Américains. Le fait que la consommation existe est déjà un élément de rupture avec la génération précédente. Mais, en plus, il faut ajouter que cette consommation s’apparente à nos consommations occidentales, ce qui accentue le phénomène. En effet, les préoccupations de la classe moyenne supérieure ressemblent beaucoup à celles des pays développés. Dominique Desjeux, professeur d'anthropologie sociale et culturelle à la Sorbonne, en fait un exposé non exhaustif dans un article paru dans Problèmes économiques 54 : comment acheter un logement alors que le prix du mètre carré en ville augmente depuis 10 ans ? Où habiter pour être proche d’une école de qualité pour son enfant unique ? Quel jeu éducatif acheter pour son éveil ? Comment limiter le temps de transport entre le logement et le lieu de travail ? Et surtout, une des préoccupations qui illustre le mieux cette rupture : Comment, pour les femmes, organiser son temps entre le travail et les courses dans les nouveaux supermarchés où il faut arbitrer entre les produits modernes prêts à l’emploi et qui permettent de gagner du temps et les produits traditionnels demandés par la grand-mère qui garde l’enfant ? Aujourd’hui, la Chine est victime du développement des grandes surfaces et des fast-foods, comme les pays occidentaux ont pu l’être au début des années 1950. Wal-Mart, Carrefour, McDonald’s, Leroy Merlin, Ikea sont fortement implantés, ce qui ne va pas sans conflits avec 54 “ Dominique Desjeux « Chine: modes de vie et de consommation au XXIème siècle”, Problèmes économiques, 13 octobre 2010, p 41. 41 le système d’approvisionnement traditionnel chinois. A titre d’exemple, Wal-Mart ouvrait son premier magasin en Chine il y a quatorze ans ; il en compte aujourd’hui 267. Les produits de grande consommation font leur entrée dans les foyers chinois: des télévisions, des machines à laver, des réfrigérateurs, des ordinateurs… et en parallèle, la publicité se développe, vantant le bien être que les biens peuvent procurer, mais également, le statut social qu’ils confèrent55. Même la propriété est maintenant publicisée. Par exemple, une nouvelle résidence à Shanghai, construite en 1994, était vendue ainsi « Buy a new house and become a real boss ». L’impact de ce genre de publicité est énorme, ce qui nous fait remarquer à quel point la consommation est importante pour la nouvelle strate moyenne chinoise. Prenons l’exemple d’Eric Wang, employé dans une firme comptable étrangère implantée en Chine. Il travaille dans le quartier d’affaires de Pékin, et tel un New-Yorkais, il se rend tout les matins au travail avec une tasse du Starbucks Coffee dans les mains, après avoir garé sa voiture Ford Mondo et quitté son appartement acheté à crédit56. Il affirme qu’"il existe un contraste vraiment frappant entre (sa) vie actuelle et celle de (ses) parents", et que ces contrastes ont tendance à se généraliser autour de lui57. Les casinos et la prostitution se popularisent à Macao58, devenue la cité du vice du régime communiste. Les revenus du jeu générés par la ville sont supérieurs à ceux de Las Vegas et d’Atlanta réunis. Le secteur automobile connait également un développement spectaculaire. Alors qu’en 2000, la Chine représentait 1% des ventes totales de voitures (contre 37 % pour les Etats-Unis), c’est aujourd’hui le marché le plus florissant avec 13,6 millions de véhicules vendus en 2009 (10,4 millions pour les Etats-Unis). Aujourd’hui, posséder une voiture est devenu monnaie courante : les chinois possédaient 820 000 véhicules en 2001, contre 5 320 000 en 200759. Il en est de même pour le secteur de la téléphonie mobile : c’est aujourd’hui le plus gros marché mondial avec près de 700 millions d’abonnements.60 Ces habitudes de consommation à l’Occidentale, nous le verrons par la suite, c’est ce qui a forgé l’identité de la classe moyenne et c’est la raison pour laquelle elle recherche une 55 Lu Hanlong, « The Middle Class and Xioakang Society », Cheng Li dir, China’s Emerging Middle Class, Brookings Institution, 2010, pp.124-125 56 “Chine: emergence d’une nouvelle classe moyenne » Amb-chine.fr, http://www.ambchine.fr/fra/zgyw/t515285.htm 57 Voir également en Annexe : Annexe 1 : Entretien avec Xiaojun Yan 58 Macao est la seule ville où les casinos font l’objet d’une approbation légale. 59 Anding Li, « Three decades of reform and opening up: Millions of Private cars driven in Chinese Households” 3 octobre 2008 60 Homi Kharas et Geoffrey Gertz, « The new Global Middle Class », Cheng Li dir, China’s Emerging Middle Class, Brookings Institution, 2010, pp. 40-42 42 reconnaissance statutaire ; les fondements même de cette classe moyenne sont économiques, avant d’être sociologiques. Chapitre 3 : Focus sur le nouveau profil chinois Avant d’entreprendre une analyse conceptuelle de la classe moyenne chinoise (comment estelle perçue et comment peut-elle être décrite), ce qui sera fait dans une prochaine partie, je souhaiterais exposer au préalable ses caractéristiques principales. La partie qui va suivre n’est donc pas à considérer comme une définition sociologiquement construite de la classe moyenne, mais plutôt comme une carte d’identité du nouveau profil chinois. Section 1 : De l’agriculteur à l’urbain. Le lecteur aura peut être eu le loisir de le remarquer, l’émergence de la classe moyenne est un phénomène principalement urbain. Les études considérées pour appuyer mon argumentation tout au long de ce mémoire sont des études qui portent majoritairement sur les foyers urbains, notamment des grandes villes côtières comme Pékin, Shenzhen, ou encore Shanghai. Le nouveau profil chinois est donc majoritairement urbain. Les raisons sont principalement économiques : les investissements étrangers sur les villes côtières ont permis le développement des activités économiques. Cet essor attire les migrants ruraux venus trouver un emploi mieux payé et de meilleures conditions de vie. Petit à petit, les villes chinoises concentrent de plus en plus de capitaux (capitaux culturels, économiques, éducationnels…), de nouveaux métiers apparaissent (techniciens, gestionnaires, ingénieurs…), et les salaires augmentent en conséquence: les villes voient donc se dessiner une population à revenu moyen, principale source de l’émergence de la classe moyenne chinoise. Cet essor a modifié, et peuplé les villes chinoises. Entre 1980 et 2000, le pays passe rapidement d'une population rurale agricole à une population de plus en plus urbaine. Les chinois vont de l'intérieur vers les côtes, de la campagne vers les villes, de la terre vers les services. 43 Figure 4L'attrait pour les zones de développement61 Aujourd’hui, la Chine est sur le point de franchir une étape capitale dans sa transformation économique : dans quelques années, pour la première fois dans l'histoire du pays, les citadins seront plus nombreux que les ruraux. Par ailleurs, notons que la dynamique d’urbanisation est circulaire : alors que la croissance économique attire toujours davantage d’urbains, le renforcement du taux d’urbanisation constitue, en retour, un moteur pour la croissance chinoise. En effet, les migrants non seulement fournissent une main d’œuvre indispensable pour les usines, mais stimulent également la consommation domestique: location d'appartements, diners au restaurant, shopping dans des petites boutiques, utilisation des services urbains… A l’aide des données du BNS, j’ai pu établir le graphique suivant, qui nous aide à visualiser la croissance de l’urbanisation dans le pays. 61 Arte, Le dessous des cartes, cartes/392,CmC=498842,view=maps.html http://www.arte.tv/fr/Comprendre-le-monde/le-dessous-des- 44 Pourcentage d'urbains dans la population chinoise 60 50 40 30 Pourcentage d'urbains 20 10 0 1978 1980 1982 1986 1990 1994 1998 2002 2006 2010 Figure 5 Taux d'urbanisation en Chine 1978-200662 Cependant, ce qui ressort également de ce graphique, c’est que le pourcentage de ruraux reste très élevé (55%), ce qui freine l’expansion de la classe moyenne sur l’ensemble du pays – même si en ville, elle croit rapidement. Aujourd’hui, 34 villes chinoises sont déjà plus grosses que Paris, dont 3 plus grosses que New York (Pékin, Hong Kong et Shanghai), et de nouvelles villes sont construites chaque jour. L’urbanisme est donc une caractéristique essentielle du nouveau profil chinois. Section 2 : Une certaine éducation C’est assez paradoxal de ma part d’inscrire dans la carte d’identité du nouveau profil chinois qu’il a reçu une certaine éducation, car comme je l’ai dit dans les chapitres précédents, les personnes qui ont fondé la classe moyenne dans les années 1980 et 1990 n’ont pas forcément eu d’éducation poussée ; ce sont juste des personnes qui ont su tirer avantage des opportunités économiques qui se sont ouvertes à la suite des réformes de Deng Xiaoping, se lançant dans la construction immobilière ou le commerce international. Mais, alors que la classe moyenne n’est pas encore tout à fait établit, elle change déjà de forme. En effet, du fait des progrès réalisés dans le secteur de l’éducation, le niveau de 62 Source: Bureau of China, China Statistical Yearbook, 2009, p195 45 revenu moyen se défini désormais par le niveau d’éducation et les diplômes deviennent une pré-condition à tous ceux qui prétendent intégrer la classe moyenne. Une étude menée par Jing Lin, professeur de politiques internationales en matière d’éducation à l’Université du Maryland (Etats-Unis) montre que tous les décideurs politiques et tous les cadres de ce début de siècle possèdent un degré universitaire, sur lequel ils s’appuient pour promouvoir leur ascension sociale63. C’est là un fait totalement nouveau par rapport à il y a encore 10 ans : le nouveau profil chinois dispose d’une bonne éducation, qui lui permet d’accéder à des postes haut placés et bien rémunérés, et de jouir d’une certaine influence sociale. Cette éducation a pu conférer aux jeunes professionnels une particularité essentielle, qui explique pourquoi on parle beaucoup d’elle en ce moment : « le pouvoir du discours »64. En effet, la classe moyenne sait s’exprimer. Constituée d’avocats, de journalistes, de techniciens, d’hommes d’affaires…elle a développé une aisance orale, et elle est à même de parler, à la télévision, à la radio, dans les journaux…Leur proportion est faible par rapport au reste de la population, mais leur influence est immense. Section 3 : Jeunesse De manière générale, la classe moyenne émergente en Chine est inhabituellement jeune en comparaison aux classe moyennes des pays développés, qui ont aux alentours de la cinquantaine. En Chine, la classe moyenne tend à être dynamique et jeune, composée d’individus âgés de 25 à 44 ans65. Par ailleurs, l’âge moyen aura tendance à diminuer de plus en plus à mesure que la nouvelle génération, tout juste diplômée, entrera sur le marché du travail. Je pense, pour ma part, que cette nouvelle génération est à étudier de très près, car c’est elle qui va former les rangs de la classe moyenne de demain66. Comme nous avons déjà pu le remarquer quand nous avons abordé le sujet de l’éducation, les caractéristiques de la classe 63 Jing Lin, “Educational Stratification and the New Middle Class in China”, dans Education and Social Change in China: Inequality in a Market Economy, éd Gerard Postlione. 64 Li Qiang, « Chapitre 4 : La classe moyenne chinoise dans un parcours de sociologue », dans La société chinoise vue par ses sociologues. , Presses de Sciences Po, 2008, p. 133-140. 65 McKinsey Global Institute, The value of China’s emerging middle class, p 65. 66 Je considère comme appartenant à la nouvelle génération toute personne nait dans les années 1980 et 1990, qui a donc moins de trente ans et qui va rentrer sur le marché du travail dans les années à venir. 46 moyenne chinoise changent très rapidement d’une décennie à l’autre. Demain, ce sont ces jeunes qui influenceront la définition de la classe moyenne. Je pense donc qu’il est important, dans cet énoncé de l’identité du nouveau profil chinois, d’intégrer la jeune génération pour être en mesure de comprendre les perspectives futures de la strate moyenne. Il convient de remarquer que la jeunesse chinoise est contradictoire. En effet, elle est considérée par tout un pan de la sociologie comme la « jeunesse perdue ». Les raisons d’une telle qualification sont simples : 65% des enfants de cette génération sont des enfants uniques67, et le nombre s’élève à 85% dans les régions urbaines68. Cela a pour conséquence directe de produire une génération d’enfants « gâtés ». Une famille qui donne naissance à un seul enfant aura davantage tendance à reporter toute son attention sur lui (que ce soit les parents ou les grands parents), et à le considérer comme le « petit prince »69. Ce sont donc des enfants choyés, mais en contrepartie, ils doivent faire face à une énorme pression sociale, venant à la fois des parents, mais aussi de leur école et de la société en général 70 . Beaucoup d’entre eux ont peur du déclassement, et pour cela, doivent impérativement réussir à l’école et bien se comporter en société. Considérée comme une « génération perdue » qui perd le sens des responsabilités à force d’être couvée71, elle a pourtant développée des traits qui vont, à mon avis, changer la destinée du pays. C’est de là que, selon moi, vient la contradiction. En effet, c’est une génération qui est très ouverte d’esprit, dans le sens où les jeunes ont davantage accès à l’information que par le passé (grâce à internet, notamment), et qu’ils savent s’en servir. C’est un point qui peut s’illustrer par leur énorme activité sur les blogs internet. C’est aussi une génération qui a grandi sous l’influence de la mondialisation, du développement économique et de la culture occidentale. Ils sont prêts à faire des expériences, à s’ouvrir sur le monde et à découvrir d’autres cultures72. 67 1979 : Mise ne place de la politique de l’enfant unique pour réduire la population, et éviter les problèmes sociaux et économique de la surpopulation. 68 Wang Linyan, « Post 80’s : The Vexed generation ? » ,China Daily, 27 Mai 2009 http://www.chinadaily.com.cn/cndy/2009-05/27/content_7945266.htm 69 Jing Lin et Xiaoyan Sun, “Higher Education ans China’s Middle Class”, Cheng Li dir, China’s Emerging Middle Class, pp.232 70 Voir Annexe 1, Entretien avec Xioajun Yan 71 Jing Lin et Xiaoyan Sun, “Higher Education ans China’s Middle Class”, Cheng Li dir, China’s Emerging Middle Class, pp.232 72 Voir Annexe 1, Entretien avec Xioajun Yan 47 Elle réagit donc forcément différemment de la génération passée, et développe des opinions plus diversifiées et on sent, de fait, chez elle, un désir de se rebeller contre l’endoctrination sociale traditionnelle 73 . En l’occurrence, elle est plus critique quand aux évènements nationaux et internationaux ; selon Li Huan, un jeune activiste de Xi’an, dans la province de Shaanxi, la génération post-80 est « une force pour la justice, pour l’équité et pour le progrès. Les jeunes ne se soucient pas uniquement de l’image de la Chine, mais aussi de l’état du pays »74. Les jeunes chinois, dans leur souhait de devenir plus actifs dans la société et de combattre cette image de « génération perdue », ont développé des actions de volontariats civiques, et ce, à travers deux évènements majeurs de ces dernières années : les jeux olympiques de Pékin et le tremblement de terre dans le Sichuan. Pour ce qui est des Jeux Olympiques de Pékin, ils étaient au nombre de 100 000, dont 70 000 étaient mobilisés à Pékin, et 30 000 sur le reste du pays pour faire en sorte que les festivités se déroulent au mieux et prouver au monde entier que la Chine était capable d’organiser un tel évènement. Quand aux évènements du Sichuan, les jeunes se sont mobilisés en force sur le terrain pour venir en aide aux populations rescapées du tremblement de terre du 12 Mai 200975. Par ailleurs, ils font preuve d’une forte implication dans d’autres sortes d’activités, comme l’aide aux personnes âgées, le fundraising pour les jeunes qui abandonnent l’école, ou encore volontariat pour la protection de l’environnement. Lors de mon entretien avec Xiaojun Yan, jeune chinoise venue étudier en France, elle m’a confirmé cette large adhésion des jeunes au volontariat civil. Elle a elle-même été volontaire de l’AFEV, association dont le but est d’accompagner les enfants des banlieues vers la réussite, et de leur faire découvrir le milieu urbain. C’est une vague d’espoir qui émerge au sein de la société chinoise, l’espoir d’une société dévouée et entreprenante, qui saura faire preuve d’un engagement civique et peut être même, politique dans le futur. 73 John L. Thornton , Understanding China’s ‘angry youth’: What does the future hold?, Brookings Institution Wang Linyan « Post 80’s: The Vexed generation ? »,China Daily, 27 Mai 2009 http://www.chinadaily.com.cn/cndy/2009-05/27/content_7945266.htm 75 Ibid, 74 48 Section 4 : Revenu, épargne et pouvoir d’achat Cette dernière section de la carte d’identité du chinois de la classe moyenne est dédiée à son portefeuille. Il sera question de définir la taille de ce dernier, et surtout d’appréhender comment il est utilisé. Dans le premier chapitre de cette étude, nous avions déjà évoqué l’augmentation des revenus des ménages chinois. Je ne vais donc pas trop m’attarder sur ce sujet ; juste rappeler les points essentiels. Le pays a connu une baisse très importante de la pauvreté depuis 1978. L’étude du Mc Kinsey Global Institute précédemment citée (Croissance et développement de la classe moyenne.) indiquait un recul de la pauvreté de quasiment 100% en 1978 à 12% en 2025 (selon les prévisions). Rappelons qu’étaient considérées comme pauvres les personnes vivant avec moins de 10 dollars par jour. En parallèle, le revenu des ménages augmentait progressivement, avec en 2010, une majorité de foyers touchant entre 25 000 et 40 000 yuans par an (classe moyenne inférieure), puis à partir de 2020, le revenu est également prévu à la hausse, avec une majorité de la population touchant entre 40 000 et 100 000 yuans par ans. Cette augmentation du portefeuille des ménages en a permis une utilisation différente. Alors que la classe moyenne chinoise conserve un taux traditionnellement élevé pour son épargne, elle alloue aujourd’hui une part de plus en plus conséquente de son revenu aux pratiques de consommation. 1. La dominante tendance à l’épargne Le taux d’épargne chinois est traditionnellement important. Aujourd’hui, les ménages de la classe moyenne sont les premiers épargnants de la planète, avec près de 40 % de leur revenu mis de côté (à titre de comparaison, le taux d’épargne américain est de 3%) Ceci s’explique par le fait que les retraites ne sont pas assurées pour tous, mais également par le fait que le système de santé, défaillant, n’assure pas une couverture universelle. Pour se prémunir contre ces risques, les chinois ont tendance à assurer eux même leur propre sécurité sociale76. 76 D. Desjeux Chine: modes de vie et de consommation au XXIème siècle”, Problèmes économiques, 13 octobre 2010, p 41 49 Cependant, le développement de l’Etat Providence (comme par exemple, la mise en place de politiques pour que les entreprises commencent à payer des charges sociales et amélioration du système de santé) fait que les populations sont plus confiantes en l’avenir, et peuvent donc augmenter leur propension à consommer. Le McKinsey Global Institute prévoit que le taux d’épargne diminuera progressivement sur les vingt prochaines années (restant toutefois toujours supérieure à 20% du revenu), permettant à la consommation d’augmenter de 9 % sur cette période77. 2. Une consommation qui gagne du terrain On remarque que la consommation gagne de plus en plus le pas sur la tendance à épargner ; et ce surtout dans les villes, où la croissance de la classe moyenne est plus forte. En conséquence, la structure du portefeuille change : les familles ont davantage tendance à allouer leur revenu vers l’alimentation, les vêtements, et autres produits du quotidien. En Chine, ce changement dans la structure du portefeuille semble se faire plus rapidement que dans les autres pays en développement. Selon la même étude du McKinsey Global Institue, le graphique suivant illustre la future attribution du portefeuille des ménages urbains. Future attribution du portefeuille des ménages urbains, 2004/2025 en millions de yuans (base yuan= 2000) 2004 Aménagement intérieur 223 Produits personnels Santé Transportation, communication Vêtements Alimentation 857 507 Loisirs et éducation Loyers, services publics 2025 3415 321 119 3313 771 257 2582 452 369 2920 1322 1 223 4786 77 D. Farrell, U. Gersch, E. Stephenson, “The Value of China’s emerging middle class”, The McKinsey Quarterly, 2006 Special Edition, 50 En conclusion, la nouvelle classe moyenne est constituée d’individus qui se sont extraits de la pauvreté et qui gagnent désormais relativement bien leur vie. Suite à cette augmentation du revenu, on a constaté une tendance à la baisse de l’épargne (même si elle reste élevée en comparaison aux autres pays) et une augmentation des dépenses pour les biens de consommation, surtout concernant les produits alimentaires, les transports et la téléphonie, l’éducation des enfants et l’immobilier. Le nouveau profil chinois est, en somme, un individu urbain et dynamique, qui aura tendance à privilégier de plus en plus la culture et le confort matériel. Avec l’arrivée de la génération post-80 dans la classe moyenne, je pense que ces caractéristiques auront tendance à s’accentuer, et l’on pourra en outre observer l’apparition de nouvelles préoccupations, plus civiques et politiques. 51 2. PARTIE : Un groupe aux frontières troubles et aux identités multiples Depuis le début du siècle, la Chine a vu émerger un groupe social aux revenus élevés, profitant d’un certain confort matériel et d’une éducation supérieure : la classe moyenne. Même si l’on ne s’accorde pas tout à fait sur la définition de cette classe moyenne, on ne peut nier son existence. Nombreux sont ceux aujourd’hui à se pencher sur la question (politiques, universitaires, businessmen…), mais les définitions qui en ressortent sont loin d’être homogènes : il n’existe pas de définition unique de la classe moyenne en Chine. Non seulement parce que, contrairement aux classes moyennes d’autres pays, la classe moyenne chinoise est composée d’éléments très disparates, mais parce que les critères de définition ne font pas encore aujourd’hui consensus. Le retard de la Chine dans la recherche sociologique pourrait également expliquer qu’on mette du temps à établir une définition sociologiquement acceptable. De fait, cela ne fait que peu de temps que des chercheurs se sont lancés dans des études approfondies sur la structuration de la population en Chine, et ont mis le doigt sur la naissance de la classe moyenne. Ce qui ressort des différentes études, c’est que la classe moyenne est, pour sûr, un groupe aux frontières troubles et aux identités multiples, pour lequel les descriptions varient d’une étude à l’autre, chacune dépeignant des réalités différentes ; il peut s’étendre de 4,2% à 40% de la population. Il convient donc dans cette partie de se pencher sur les débats autour de la définition de la classe moyenne chinoise. 52 Pour ce faire, il s’agira d’analyser le concept général de classe moyenne, en dépassant les frontières de la Chine, et de voir les problèmes qui se posent autour de la définition, à savoir, quels critères prendre en compte ? Puis, nous essaierons de dépeindre l’objet « classe moyenne » en Chine en fonction des différents points de vue ; enfin, nous essaierons de donner une définition raisonnée de ce que l’on appelle aujourd’hui la « classe moyenne chinoise », en ce penchant sur les études réalisées par les sociologues chinois sur le terrain. Partant de là, la définition qui suit n’est pas à considérer comme une panacée, mais comme une tentative d’aborder de la façon la plus juste et la plus complète la classe moyenne chinoise qui se renforce chaque année davantage. Chapitre 1 : La « classe moyenne » : une notion difficile à conceptualiser Conceptualiser la classe moyenne est une entreprise difficile, et ce, pas uniquement pour la Chine moderne. De manière générale, les débats autour de la définition d’une classe sociale font souvent polémiques parmi les chercheurs et académiques spécialisés sur ces questions. Je ne m’attarderai pas de trop sur ce premier chapitre78 ; l’intérêt est simplement de distinguer comment sont conceptualisées les classes moyennes dans les autres pays, notamment dans les pays occidentaux, là où le concept est né. Ainsi, on pourra voir que la difficile entreprise de définition de la classe moyenne chinoise n’est pas propre à la Chine. L’on comprendra peut être plus aisément par la suite les débats qui animent les réflexions sur la couche moyenne chinoise. Tout d’abord, revenons sur les thèses des deux auteurs majeurs qui ont marquées l’histoire de la définition des classes sociales : Karl Marx et Max Weber. Leurs approches, antagoniques, servent encore aujourd’hui de trame de fond pour la définition des classes moyennes dans les sociétés contemporaines. 78 Je souhaite ici prévenir le lecteur que ce mémoire n’est pas le lieu pour une analyse sociologique des classes moyennes générale ; sujet très intéressant au demeurant, mais qui nécessiterait une étude plus spécifique. A ce sujet, je conseillerais le Revue « Les Classes moyennes », Vingtième Siècle, Revue d’Histoire no. 37, janvier mars 1993, qui va d’ailleurs nourrir ma réflexion pour les prochains paragraphes. 53 D’un côté, Karl Marx développe une analyse de la société en termes de lutte des classes. Pour lui, deux classes sociales principales peuvent être distinguées : la classe capitaliste et la classe prolétarienne. L’appartenance à chacune de ces classes est déterminée par la position occupée dans le système de production : on doit différencier ceux qui possèdent les facteurs de production, et ceux qui ne les possèdent pas mais qui les utilisent. Toutefois, entre ces deux classes antagonistes se trouveraient comprimés quelques groupes intermédiaires promis à une disparition prochaine : les classes moyennes, qu’il appelle « la petite bourgeoisie ». Marx considérait cette petite bourgeoisie comme transitoire, et était persuadé qu'elle finirait par être absorbée soit par la bourgeoisie soit par le prolétariat car pour lui, sa fonction dans la société n'était pas suffisamment différente des autres classes pour qu’elle puisse survivre sur le long terme. À cet égard, la petite bourgeoisie représentait une ligne médiane entre les deux, en même temps que la possibilité de mobilité sociale pour la classe ouvrière79. L’analyse marxiste est donc fondée sur des critères majoritairement économiques, où les plus riches - ceux qui possèdent, exercent une domination sur les plus pauvres - ceux qui travaillent. D’un autre côté, Max Weber propose une approche de la stratification sociale basée sur le statut, c'est-à-dire faisant référence au prestige et à l’ « honneur social » des individus80. Font parti d’une même couche sociale les personnes bénéficiant d’un même statut social, ce qui implique le niveau d’éducation, la profession, le style de vie et les modes de consommation. Il est intéressant de noter que l’on retrouve aujourd’hui cette dialectique « définition par le niveau économique » ou « définition par le statut social » dans les réflexions sur la classe moyenne chinoise. Ainsi, on voit que peu importe l’époque ou la société considérée, on se trouvera toujours confronté à un débat concernant les critères de définition à prendre en compte pour définir une classe moyenne. C’est ce qu’ont cherché à mettre en avant Virginie Gimbert et Arnaud Rohmer dans leur article « Les classes moyennes en quête de définition » 81 . Ils recensent trois critères d’identification retenus pour définir les classes moyennes : le critère subjectif (l’auto- 79 Robert van Krieken (et Smith, P., Habibis, D., McDonald, K., Haralambos, M. and Martin Holborn) Sociology Themes and Perspectives, 2000,2nd Edition, Melbourne, Longman, p62. 80 Virginie Gimbert et Arnaud Rohmer, « Les classes moyennes en quête de définition » Centre d’études startégique, 17 février 2009, p. 2 http://www.inegalites.fr/spip.php?article727 81 Ibid, p3 54 évaluation, ou en d’autres termes, les perceptions des individus quant à leur propre position sociale), le critère sociologique (qui prend en compte la profession, les valeurs et les modes de vie) et le critère économique (qui tient compte uniquement du revenu et du niveau de vie). Pour eux, si ces trois critères sont théoriquement complémentaires, leur croisement dans la pratique est souvent difficile et reste peu pratiqué par les sociologues, chaque critère offrant une grille de lecture spécifique sur les classes moyennes. Mais, plus loin que cette controverse autour des critères de définition à prendre en compte, il serait intéressant de voir que, hors Chine, la délimitation de la notion de « classe moyenne » fait également débat. En effet, dans les pays occidentaux, les frontières de ces groupes sociaux sont floues. Maurice Halbwachs a été un des premiers à mettre cela en avant, en 1939 dans Les caractéristiques de la classe moyenne, stipulant que « nous sommes un peu embarrassés, car [la classe moyenne] est un groupe dont les limites ne sont point précises, et qui est composé d’éléments si divers que l’on n’aperçoit pas tout de suite entre eux un trait commun » 82. Serge Bernstein, historien français, fait également état de cet embarras dans la délimitation de la classe moyenne ; or dans son analyse, cela ne tient pas au fait que la classe moyenne regrouperait des groupes sociaux hétéroclites, mais au fait que la notion de « classe moyenne » est un concept sociologique, et non un objet qui peut s’inscrire dans la réalité. Pour lui, c’est juste une manière d’observer une société infiniment complexe83. D’ailleurs, au sujet de la stratification sociale selon la conception marxiste, il estime « qu’il peut exister d’autres manières d’envisager la société, qui ne seraient ni plus vraies ni plus fausses que la vision marxiste, et que les cadres ou les catégories que l’on choisit pour la découper ne sont rien d’autre que des concepts dont la seule valeur tient dans la fécondité des résultats qu’ils permettent d’obtenir »84. Ainsi, pour lui, le découpage sociologique en classes sociales n’est pas une science exacte, qui revendique la clarté ; au contraire, c’est une conception qui peut être plurielle et donc floue, où plusieurs approches peuvent être théorisées en même temps, sans que l’une ne soit plus juste que l’autre, ou sans que l’une ne disqualifie l’autre. Il peut exister plusieurs découpages. Plus loin, il met en avant le fait que « la notion de classes 82 Maurice Halbwachs, « Les caractéristiques des classes moyennes » dans Les classiques des sciences sociales, p6 83 Berstein Serge. Les classes moyennes devant l'histoire. In: Vingtième Siècle. Revue d'histoire. N°37, janviermars 1993. pp. 3-12 84 Ibid, p4 55 moyennes n’est pas la clé universelle qui ouvrirait toutes les portes, […] mais un élément, parmi d’autres, à prendre en considération pour comprendre l’histoire de notre temps »85. Enfin, pour finir avec l’analyse de Bernstein - qui, je trouve, éclaire tout à fait justement la comparaison que je souhaite faire ici entre les analyses occidentales et chinoises des classes moyennes - je souhaiterais revenir sur la conclusion de son article, où il expose qu’en France, la réalité a longtemps été occultée par la pression du modèle social marxiste dominant, et que les études et recherches sur le sujet ont été trop rares, pour ces raisons. Les trois difficultés que nous venons d’exposer - à savoir le difficile choix des critères, les frontières confuses et le manque de recherches sociologiques – sont des obstacles que nous allons également rencontrer dans notre « tentative » 86 de définition de la classe moyenne chinoise. Ainsi, ce chapitre, dont l’objectif était de comprendre les difficultés de définition de la classe moyenne à l’aide d’une approche comparative avec l’Occident, pose les bases de la difficile conceptualisation de la notion de « classe moyenne chinoise », ce groupe aux frontières troubles et aux identités multiples. Chapitre 2 : Définir la classe moyenne chinoise, une question de point de vue. Pour définir la classe moyenne chinoise, il est important de savoir de quel point de vue on se place. Comme l’explique Ferdinand Saussure dans ces travaux sur la linguistique, « le point de vue crée l’objet ». Nous pouvons arriver à la même conclusion dans notre travail d’analyse de la classe moyenne chinoise : elle peut effectivement être perçue de trois manières différentes, qui donnent des définitions contradictoires, au final87. Nous allons, dans ce chapitre, exposer les différentes manières de percevoir la classe moyenne : tout d’abord, nous verrons comment se perçoit la classe moyenne elle-même, puis, 85 Ibid, p 4. Le terme de « tentative » est choisi, car comme nous venons de voir avec Serge Bernstein, définir une classe sociale n’est pas une science exacte ; plusieurs définitions différentes, voire antagonistes, peuvent exister sans qu’aucune ne soit plus vraie qu’une autre. 87 Cette distinction tripartite et les arguments développés dans ce chapitre sont inspirés par les travaux de Li Chunling dans « Characterizing China’s Middle Class », dans China’s Emerging Middle Class, ed. Chen Li, pp. 139-143. 86 56 nous examinerons la définition officielle du gouvernement, et enfin, nous évoquerons le point de vue des sociologues sur le sujet. Section 1 : Le point de vue populaire La vision populaire de la classe moyenne chinoise est une représentation axée sur les pratiques de consommation, qui dérive majoritairement de la représentation donnée par les médias et les publicistes. Nous avons déjà abordé l’irruption de la publicité quand nous avons parlé des nouvelles pratiques de consommation de la population chinoise ; il faudrait voir à présent qu’à mesure que les produits de grande consommation (télévisions, voitures, ordinateurs…) se sont généralisés au sein des foyers, la publicité et les médias ont forgé une image publique de la classe moyenne : vantant non seulement les particularités des produits, ils insistaient sur le statut social qu’ils procuraient. Une telle stratégie, dont le but est uniquement de pousser à la consommation, donne cependant une vision erronée de ce qu’est réellement la classe moyenne chinoise. Les médias et la publicité sont chargés de « vendre du rêve », et non de fournir une vision publiquement acceptable de la société. Or, dans les journaux, les séries télévisées ou encore dans les romans, on érige en symbole d’appartenance à la classe moyenne la possession de biens modernes et couteux, qui, en l’occurrence, ne peuvent être achetés que par une portion infime de la population : les commerciaux, les dirigeants et les élites intellectuelles, aux salaires et niveaux de consommation élevés88. On se représente donc une classe moyenne avec un train de vie séduisant, calqué sur les manières de vie des riches, des gens avec de grandes maisons, des voitures de luxe, des habits de grande marque, qui partent en vacances à l’étranger… Cette image publique est crée de toutes pièces par les médias, et érige la consommation comme le critère primordial d’appartenance à la classe moyenne. Au contraire des pays occidentaux où la classe moyenne est perçue comme une classe intermédiaire, ni trop pauvre, ni trop riche, la vision populaire de la classe moyenne chinoise désigne, en réalité, les personnes de la classe moyenne supérieure comme étant la norme 88 He Pin, “Sentiments of the petty bourgeois and the middle class in contemporary literature”, Literature Review 6, 2005, p. 50-55. 57 moyenne. Or, seulement 8% des chinois sont concernés par cette définition (petite bourgeoisie); de là découle un faible sentiment populaire d’appartenance à la classe moyenne. En effet, même si beaucoup sont prêts à reconnaitre qu’ils sont dans la « couche moyenne » (qui fait davantage référence au revenu qu’au statut social), ils ont du mal à faire le pont entre couche moyenne et classe moyenne. Pour eux, ce sont deux concepts totalement différents. Section 2 : Le point de vue du gouvernement Longtemps, le terme de « classe moyenne » a été rejeté par les instances gouvernementales, car il était alors synonyme du nouvel entrepreneuriat qui émergeait dans les années 1980, et que l’on soupçonnait d’aspirations politiques contraires au régime communiste. En effet, selon la doctrine de la modernisation, à mesure qu’un pays se développe, la classe moyenne émergente, menée par les entrepreneurs privés, pousse le pays vers la démocratisation (nous y reviendrons plus en détail sur cette idée quand nous parlerons de l’impact politique du nouveau profil chinois). Le terme de classe moyenne a donc longtemps eu une connotation politique négative pour le gouvernement. Toutefois, dans les années 1990, quelques sociologues, dont Lu Xueyi, ont démontré que, dans certains cas, la construction d’une classe moyenne est plutôt un facteur de stabilité pour le pouvoir politique89.Dés lors, les hommes politiques ont commencé à changer leur vision sur ce fragment de population, et l’ont considéré plutôt d’un bon œil ; d’une éventuelle menace, la classe moyenne a commencé à être appréhendée comme agent pour le maintient de la stabilité politique. En outre, ce même courant de la sociologie a envisagé le fait qu’une société bénéficiant d’une large classe moyenne aurait plus de chance de réduire, à long terme, les inégalités de revenu au sein du pays. Or, les inégalités ont plutôt tendance à être redoutées par le gouvernement, qui est persuadé qu’elles vont devenir le nouveau fléau du pays. Cependant, le gouvernement est toujours un peu retissant à parler de « classe moyenne » ; les politiques préfèrent employer le terme de « classe à revenu moyen », ce qui constitue déjà un pas vers l’acceptation. 89 Lu Xueyi, Report on Social classes of contemporary China, Social Science Academic Press, 2005. 58 Pour la première fois en 2002, lors de la 16ème conférence du PCC, le gouvernement a rendu public sa volonté de favoriser le développement d’une « classe sociale à moyen revenu ». Toutefois, déterminer une classe moyenne en fonction de son revenu est difficile. La question se pose des tranches de revenus à considérer. De plus, on constate une grande différence entre les revenus des campagnes et des villes, et également entre les différentes villes elles-mêmes. Il est difficile d’arriver à un consensus, au sein du gouvernement, sur la détermination du salaire qui va servir de critère de définition socialement acceptable de la classe moyenne. En somme, le gouvernement chinois s’axe sur une définition se référant au salaire perçu, pour définir une classe « à revenu moyen ». Cependant, une classe sociale ne peut se déterminer uniquement en fonction d’un revenu, car une telle définition élude les aspects d’appartenance de classe, de culture de classe, qui sont pourtant essentiels. Section 3 : Point de vue des sociologues chinois En parallèle à la vision populaire et à la vision du gouvernementale, les sociologues commencent peu à peu à investir le champ de définition de la classe moyenne chinoise. Remarquons toutefois que deux vagues de sociologie peuvent être distinguées : la vague chinoise, et la vague occidentale. Alors que les chercheurs occidentaux prêtent encore une trop grande attention aux facteurs quantitatifs (revenus, biens…), les chercheurs de la PCR se concentrent sur des paramètres plus novateurs en termes d’analyse de classe, à savoir, l’occupation, l’éducation ou encore l’appartenance de classe. Par ailleurs, les chercheurs chinois sont bien plus en avance que les chercheurs occidentaux sur le sujet. Ils ont déjà beaucoup travaillé pour combler le défaut d’accessibilité aux données et ont présenté près d’une centaine de bouquins. Ils vont également plus loin dans leur raisonnement : alors qu’en Occident, les chercheurs en sont encore à la phase première de la recherche, c’est-à-dire, à réfléchir sur l’effectivité de l’existence d’une classe moyenne en Chine, les chercheurs de la PRC étudient déjà ses caractéristiques, sa taille, ses sous-groupes et son hétérogénéité. Je me suis moi-même beaucoup axée sur les recherches des sociologues chinois pour mener à bien mon étude, et je vais donc dans cette partie et dans les parties suivantes, me centrer uniquement sur le point de vue des sociologues chinois90. 90 Quelques rares exceptions seront faites, qui seront indiquées en temps voulu. 59 Pour les chercheurs chinois, les deux définitions précédentes (basée sur la consommation et le revenu) sont trop restrictives, et ne peuvent décrire qu’une partie de la classe moyenne. En effet, ils considèrent que la vision publique ne peut décrire uniquement que la couche supérieure de la classe moyenne, et qu’elle élude les autres membres, plus « ordinaires », qui ont des pratiques de consommation plus simples et accessibles. Par ailleurs, ils pensent qu’une définition uniquement basée sur le revenu ne peut prétendre non plus au discernement complet de la clase moyenne, car elle regrouperait des personnes très différentes les unes des autres. Ce qu’il faudrait arriver à dégager, c’est une culture de classe, un sentiment d’appartenance qui permettrait de lier ensembles les comportements des individus composant la classe moyenne. Il faudrait pour cela davantage se pencher sur une classification en fonction de l’occupation et en fonction du type d’emploi occupé. En effet, selon le champ sociologique, la différenciation entre les travailleurs manuels (clos bleus) et les travailleurs non manuels (cols blancs) est une étape essentielle dans la définition, permettant de séparer la classe ouvrière de la classe moyenne91. Il faudrait également accorder une importance particulière à la propriété, qui est, selon eux, un critère utile pour délimiter la classe moyenne de la couche supérieure de la société. La classe moyenne serait dans ce cadre là les petits ou moyens propriétaires. Toutefois, cette définition sociologique rencontre également son lot de difficultés. Au contraire des deux premières trop restrictives, elle aurait tendance à considérer une trop large portion de la population (de l’ordre de 30%). Dans cette interprétation, de nombreuses personnes - comme les cols blancs par exemple - seraient incluses alors qu’elles ne se considèrent pas comme appartenant à la classe moyenne ; leur style de vie ne s’accordant pas à la vision qu’ils ont de la classe moyenne On peut donc conclure que les définitions diffèrent selon les points de vue, mais qu’elles se doivent d’être cohérentes les unes avec les autres pour pouvoir prétendre être représentatives. Pour résoudre ces problèmes de définition, les sociologues mettent en avant l’idée qu’il faudrait combiner ensemble les critères de définition précédemment établis, et les croiser avec de nouveaux, comme l’éducation. 91 Zhou Xiaohong, Survey of the Chinese middle class, Social Sciences Academic Press, 2005. 60 C’est donc une approche plus complexe qui se développe aujourd’hui dans les rangs de la sociologie ; mais c’est également une vision plus juste et plus pertinente. Pour cette raison, nous allons développer dans le chapitre suivant une analyse plus poussée de la vision sociologique, en présentant les études qui permettent d’y voir plus clair dans la structuration de la classe moyenne chinoise. Chapitre 3 : Vers une définition sociologique de la classe moyenne chinoise Section 1 : Récente implication de la sociologie Considérant la jeunesse du sujet d’investigation (la classe moyenne), mais surtout, le manque de collaboration de l’Etat quand à la transparence des données, il a été difficile pour les chercheurs de prendre place dans des investigations poussées. Li Qiang, doyen de la Faculté des sciences sociales et humaines de l’Université Tsinghua, considéré comme l’un des pères fondateurs des études sur la stratification sociale en Chine et en particulier des études sur la classe moyenne, explique qu’au début de sa carrière, dans les années 1980, il ne pouvait pas parler de « classe moyenne » ou de « couche moyenne » car c’était des concepts du libéralisme inacceptables pour l’époque92. Il a fallu attendre 2002, et la 16ème conférence du PCC, que les autorités reconnaissent l’effet cumulatif de la croissance économique sur les conditions de vie des ménages et l’existence des « revenus moyens ». Avant cela, des travaux déguisés pouvaient être réalisés, qui ne donnaient rien de bien concret, considérant le fait que le gouvernement bloquait l’accès aux données. Mais au-delà du thème délicat qu’a pu constituer la classe moyenne chinoise, il ne faudrait pas oublier que la sociologie en tant que telle est une discipline nouvelle pour la Chine : sous le gouvernement maoïste, la sociologie, concept importée de l’Occident dans les années 1920, était interdite 93 . Et même après les réformes d’ouverture de 1978, la sociologie était considérée par le parti communiste comme un concept fabriqué et politisé par « les couches bourgeoises » des pays capitalistes. 92 Li Qiang « Chapitre 4 : La classe moyenne chinoise dans un parcours de sociologue », in La société chinoise vue par ses sociologues. , CAIRN, Presses de Sciences Po, 2008, p. 133-140 93 Yanjie Bian et ei Zhang, « Sociology in China », Contexts 7, no.3, 2008, pp. 20-25. 61 Ainsi, non seulement le concept de « classe moyenne » était tabou dans la société chinoise, mais l’analyse de cette classe moyenne n’a pu être objectivée et analysée par les chercheurs chinois jusqu’au début des années 1990. Par ailleurs, notons que les sociologues qui s’intéressent aujourd’hui au sort de la classe moyenne ont grandi pendant la période de la Révolution Culturelle, où, rappelons-le, la formation scolaire avait été interrompue, et un retard énorme avait ensuite été pris dans le fonctionnement du système éducatif chinois. De fait, certains ont eu la possibilité d’aller se former à l’étranger (après 1978), principalement dans les pays occidentaux et au Japon. Au final, ce sont plus d’1 620 000 chercheurs qui sont allés étudier à l’étranger, dont près de 30% aux USA94. Depuis une dizaine d’années, on enregistre une vague de retours au pays de ces chercheurs partis étudier dans des universités étrangères. En effet, la qualité de l’éducation s’est améliorée et la recherche a progressé, en même temps que l’ouverture de centres de recherches, comme l’ASSC. Notons ici que l’ASSC a joué un rôle majeur dans la prolifération des recherches sociologiques en général, et dans les recherches sur la naissance de la classe moyenne en particulier. Depuis le début des années 1980, on remarque une augmentation du nombre d’articles académiques comprenant « classe moyenne » dans leur titre. Mais, c’est surtout depuis les années 2000 que leur volume s’est considérablement renforcé et que les recherches ont gagné en intérêt (elles sont devenues multi-facettes). En effet, on se concentre désormais sur ses caractéristiques propres, sur sa taille, et sur son expansion. On peut aujourd’hui dire que la sociologie chinoise a atteint une certaine maturité. Par ailleurs, nous devons souligner le rôle des hommes d’affaires dans la prolifération des études sur la classe moyenne chinoise95. En effet, ils ont su redonner de l’élan aux recherches chinoises sur la classe moyenne, débutée par les scientifiques et chercheurs. De fait, les entreprises en Chine (joint venture, multinationales…) avaient tout intérêt à promouvoir l’apparition d’une classe moyenne, pour booster leur chiffre de ventes et leur production. La 94 Article de Chinanews, 12 mars 2010, 12 Mars 2010 http://www.chinanews.com/lxsh/news/2010/0312/2166360.shtml 95 Cheng Li, “The Middle Class in the Middle Kingdom”, dans China’s Emerging Middle Class, ed, Bookings Institution, pp. 8-10. 62 classe d’affaires a donc cherché à déployer un effet d’entrainement, prônant le développement du « marché de la plus grosse classe moyenne mondiale ». Li Chunling, sociologue à l’ASSC, a effectivement observé que, grâce à l’implication de la classe d’affaires, le concept de classe moyenne s’est vulgarisé, passant d’un sujet exclusivement scientifique à un sujet de société96. On en est maintenant à penser la composition exacte de cette strate sociale, de ses habitudes de consommation et de sa localisation géographique. En d’autres termes, on cherche maintenant à définir la classe moyenne, plutôt qu’à démontrer son existence. Section 2 : Une conception plurielle de la classe moyenne. Depuis le début des années 2000, de nombreuses études sur la définition de la classe moyenne ont été menées. Toutefois, à l’heure actuelle, le concept est encore assez mal appréhendé. En effet, aucune définition ne semble se dégager, du moins en termes de données quantitatives : les estimations de la classe moyenne varient d’une étude à l’autre, en fonction des échantillons considérés et des critères de définition retenus. Ce qui apparait toutefois, c’est que les différentes études s’accordent pour dire qu’il n’existe pas UNE classe moyenne chinoise, mais plusieurs. 1. Les débats sociologiques : Dans cette section, l’intérêt n’est pas de rendre compte de la totalité de la littérature qui a été fournie dans la tentative de définition de la classe moyenne. Cela nécessiterait un développement trop important ; par ailleurs, je pense qu’une telle approche confondrait le lecteur dans sa compréhension de la classe moyenne chinoise. J’en évoquerai certaines, pour représenter leur pluralité, mais je n’en développerai pleinement qu’une seule, celle qui me parait le plus en phase avec la structure de la classe moyenne dans sa globalité. Tout d’abord, il est intéressant de remarquer que les résultats des enquêtes sociologiques que nous allons considérer se confrontent encore à un dilemme de critères. Le terme est ambigu, y compris dans les rangs de la sociologie. On peut trouver deux sortes de définitions : 1) définitions en fonction du revenu (de manière générale, proposant une classe moyenne inférieure à 20% de la population) 96 Li Chunling , «The motives and trends of studying China’s middle Class», dans Harmonious Society and Social development, edition Fang Xiangxin, 2008. 63 2) définitions en fonction du mode de vie (revenu et propriété immobilière, éducation des enfants…) Sont considérés ici les foyers qui gagnent aux alentours de 10 000 yuan. Selon ces définitions, la classe moyenne constituait 60% de la population en 2007 ! Dans notre souci de rendre compte des débats sociologiques sur le sujet, commençons par exposer une étude réalisée par le Bureau National des Statistiques 97 , en 2005, auprès de 263 000 foyers de la Chine urbaine. Cette étude retenait le revenu comme critère principal de définition, ce qui parait normal aux vues des sections précédentes (le gouvernement chinois ne considère la classe moyenne que comme une structure de « revenus moyens »). Selon cette étude, la classe moyenne serait composée de foyers dont le revenu annuel est compris entre 60 000 et 500 000 yuans. Cela me parait un peu élevé comme échelle, en comparaison aux autres études que nous avons eu l’occasion d’aborder dans la première partie de ce mémoire98. De manière non surprenante, le Bureau National des Statistiques concluait donc sur une classe moyenne très peu représentative, atteignant 5 % de la population ! Outre les définitions se basant sur le revenu, les chercheurs ont développé des approches multicritères. Un certain nombre d’entre eux se sont en effet rendu compte de la nécessité de croiser les critères de définitions pour arriver à en fonder une qui soit la plus représentative possible. Dans cet esprit, Lu Xueyi, ancien directeur de l’ASSC, a publié un ouvrage pour rendre compte des résultats de l’enquête nationale de grande échelle qu’il avait réalisée en 200999. Selon lui, toutes les études publiées jusqu’alors avaient la tare de n’être que trop peu représentatives. Il dégage pour sa part une autre réalité : si l’on croise le critère du revenu avec l’occupation, on peut se rendre compte que la classe moyenne connait une forte évolution, passant de 15% de la population en 2001 à 40% en 2009 dans les principales villes côtières (23% sur l’ensemble de la population). Par ailleurs, l’ancien directeur de l’ASSC prévoit que le taux de croissance de la classe moyenne sera ensuite d’1% par an, soit 7,7 millions de personnes en plus chaque année. Lu Xueyi est donc plus optimiste quand à la probabilité que la Chine devienne un « pays de classe moyenne », comme les pays occidentaux. 97 Groupe d’étude du Département des études générales urbaines du Bureau National des Statistiques Chinois, « 60 000-500 000 yuan, a study of middle-income strata in urban China » no.6 ,2005. 98 Je pense notamment ici à l’étude du McKinsey Global Institute, « The value of the Chinese Middle Class », qui considérait qu’au-delà de 100 000 yuans, les foyers étaient considérés comme riches, voire très riches. 99 Lu Xueyi et autres, Social Mobility of Contemporary China, Research Group for social Structure in Contemporary China , Institute of Sociology of the Chinese Academy of Social Sciences, 2010, pp 402-406. 64 Li Peilin, actuel directeur de l’ASSC, a développé quant à lui un index composé de trois critères : le revenu, le niveau d’éducation et l’occupation100. Partant de ces trois critères, il a établit un classement de la classe moyenne chinoise selon trois catégories : le corps, le semicorps, et les marginaux. Si une personne remplit les trois critères, alors il est considéré comme appartenant au corps de la classe moyenne ; s’il en remplit deux, il fera partie du semi-corps, et s’il n’en remplit qu’un seul, il appartiendra au groupe marginal. En 2006, Li Peilin et ses collègues de l’ASSC ont interrogé près de 7000 foyers dans 28 provinces chinoises et sont arrivés aux mesures suivantes : 3,2%, 8,9% et 13,7% pour, respectivement, le corps, le semi-corps et les marginaux, ce qui au final, établit la classe moyenne à 25,8% de la population. Enfin, l’étude que nous allons aborder à présent est celle dont nous allons nous servir pour la suite de cette section ; il s’agit de l’étude de Li Chunling101. Elle a considéré une approche globale, prenant en compte plusieurs critères et croisant plusieurs sources 102 , et en est également arrivée à la conclusion qu’on ne peut parler de « classe moyenne », mais des classes moyennes. Il existerait en effet plusieurs sous-groupes aux conditions de vie et aux attitudes sociales différentes. De manière générale, elle retiendra quatre critères de définition de la classe moyenne. • Le revenu, qui doit être relativement haut et stable. • L’emploi, qui doit être un emploi non manuel. • L’éducation : il faut avoir suivi une éducation assez élevée • La consommation : il faut être en mesure de pouvoir s’octroyer un certain niveau de consommation, avoir un niveau de vie confortable. Il s’agira dans la suite de cette section de présenter l’approche de Li Chunling, qui, à ce jour, semble être la plus acceptable, en raison de son effort pour prendre en compte une composition plurielle de critères. 100 Li Peilin, « Scale, recognition and attitudes of China’s middle class » dans Strategy of a great power.: incremental democracy and a Chinese-style democracy, ed. Tang Jin, 2009, pp.180-90 101 Li Chunlin, “Chapitre 6: Characterizing China’s Middle Class” dans China’s Emerging Middle Class, éd. Brookings Institution, pp. 135-155. 102 Sources notifiées à la p. 146 du Chapitre ibid. Elles se composent ainsi : les recensements nationaux de 1982, 1990 et 2000 ; l’étude des 1% de la population du BNS en 2005, les enquêtes sur les revenus des foyers urbains (1988, 1995, 2002) de l’ASSC ; une enquête nationale sur la structure sociale en 2001et en 2006, et l’enquête Sociale Générale Chinoise, en 2006, 65 2. Composition de la classe moyenne selon Li Chunling : Selon ces critères, les foyers de la classe moyenne chinoise sont classés en 4 sous catégories : une « classe capitaliste », une « nouvelle classe moyenne », une « ancienne classe moyenne » et une « classe marginale »103.Il s’agira d’analyser chaque sous-groupe, pour avoir une vision globale de la diversité de la classe moyenne chinoise selon Li Chunling. 1) Les entrepreneurs privés, capitalistes. Ce sont des hommes d’affaires qui gèrent au minimum vingt employés. Ils jouissent d’un salaire élevé, et sont pour cela très impliqués dans la vie économique. Par ailleurs, on constate que ce sont pour la plupart des personnes qui tendent également à être de futurs acteurs politiques. En effet, les capitalistes ont, pour la majorité, une carte du parti, et se présentent parfois même à des élections locales. Ils entretiennent, comme nous le verrons par la suite, de proches relations avec le système politique en place. Toutefois, la classe capitaliste est un sous-groupe minoritaire au sein de la classe moyenne. En 1982, elle n’existait simplement pas et, depuis, son taux de croissance a été très faible, ne dépassant pas 2% de la totalité de la classe moyenne. En revanche, c’est un groupe qui a énormément changé de structure au cours des dernières années : son niveau d’éducation a largement augmenté sur la période 1988-2006, passant de 5,8 à 13,8 années d’études. La classe capitaliste, avant, avait un gros capital économique mais pas de capital culturel. Maintenant, avec l’augmentation de leur éducation, elle possède les deux. Par ailleurs, les individus qui la compose ont tendance à être de plus en plus jeunes : en 1988, la moyenne d’âge parmi les capitalistes était de 41,5 ans, tandis qu’en 2006, elle est de 35,1 ans, soit une diminution de près de 6 ans et demi. Enfin, on constate que c’est un secteur à dominance masculine, avec seulement 13,3% de femmes. 2) La nouvelle classe moyenne : 103 Li Chunling se base sur une classification de John H. Goldthorpe, une des classifications les plus populaires des couches sociales dans les sociétés contemporaines. John H. Goldthorpe, Social Mobility and Class Structure in Modern Britain, Oxford Press, 1987 66 La nouvelle classe moyenne est majoritairement composée de managers, de directeurs et d’officiels du gouvernement. Sa proportion au sein de la classe moyenne globale est assez stable sur la période 1982-2006, oscillant entre 13.9 et 23.6%. C’est un groupe qui devrait avoir un impact social et politique sur le futur de la Chine, appuyant le changement des structures sociales et/ou du régime. En effet, ce sont des personnes qui détiennent aujourd’hui le statut, à la fois économique et social, mais aussi politique, le plus important. Leur position de leaders dans la société fait qu’ils ont plus facilement accès aux hommes politiques et aux législateurs et qu’ils exercent une forte influence sur l’opinion publique. On aurait tendance à penser qu’ils peuvent représenter une force pour le changement dans la Chine de demain car ils montrent une tendance au cynisme vis-à-vis des promesses du gouvernement, ils réclament plus de réformes et sont plus sensible à la corruption politique. Toutefois, le problème de ce groupement, c’est qu’il n’est pas totalement homogène : en effet, il est lui-même divisé en deux groupes : les personnes travaillant pour le secteur public (62,2% en 2006) et celles travaillant pour le privé (37,8%). Ainsi, la possibilité pour lui de jouer un rôle dans le futur de la Chine dépendra de ses capacités à passer outre ces différentes caractéristiques économiques, sociales et politiques, qui diffèrent selon le milieu pour lequel les individus travaillent (ceux qui travaillent pour le secteur public en dépendent économiquement et socialement ; ils n’ont donc pas intérêt à favoriser un quelconque changement.) En ce qui concerne le niveau d’éducation, la nouvelle classe moyenne est le sous-groupe qui a la plus longue formation, avec 14,9 ans d’études en moyenne. Paradoxalement, c’était le groupement le plus âgé en 1988, avec une moyenne d’âge de 42,5 ans, mais cela a tendance à changer ; la moyenne d’âge est de 36 ans en 2006. Enfin, en ce qui concerne la répartition homme/femme, c’est un groupe qui a plutôt tendance à être inégalitaire, avec 72,5% d’hommes. Il convient de noter, à ce stade de l’analyse, que ces deux précédents sous-groupes sont ceux que le gouvernement et l’opinion publique ont tendance à concevoir comme appartenant à la classe moyenne. L’ancienne classe moyenne et la classe moyenne marginale ne sont effectivement pas habituellement pensées comme des membres de la classe moyenne, mais les sociologues encouragent un changement des mentalités en ce sens. 67 De manière générale, leur influence sociopolitique est pour l’instant moindre, mais il faut voir que la mobilité au sein de ces quatre catégories est élevée, et que d’ici quelques années, les personnes de l’ancienne classe moyenne et de la classe moyenne marginale peuvent connaitre un sur-classement social, et donc avoir une influence grandissante. 3) L’ancienne classe moyenne : L’ancienne classe moyenne est composée de petits employeurs et d’auto entrepreneurs. C’est un groupe qui n’existait pas encore au début des années 1980, mais qui, au contraire des capitalistes, a bien évolué sur la période. Ils représentent en 2006 19,6% de la classe moyenne. Leur niveau d’études a augmenté depuis 1988, mais il reste le plus faible parmi la classe moyenne globale : de 6,4 ans en 1988, il est passé à 9,8 ans en 2006. Si l’on étend la comparaison en dehors de la classe moyenne, les petits entrepreneurs ont un niveau d’études à peu près similaire à celui des ouvriers (9,3 ans). C’est également la seule catégorie qui aura tendance devenir plus âgée avec le temps et la plus âgée de toute en somme. Par contre c’est la catégorie la plus égalitaire en termes de ratio hommes/femmes : elle est en effet composée de 45% de femmes et de 55% d’hommes. 4) La classe moyenne marginale : La classe moyenne marginale est composée de « Cols blancs », c’est-à-dire des employés de bureau et autres prestataires de services. C’est la partie de la classe moyenne qui est la moins légitime dans la conception traditionnelle de la classe moyenne, pourtant, c’est celle qui, selon cette définition, regroupe le plus de personnes (25,4% de la classe moyenne en 2006) . Elle est composée d’une population très jeune (34,9 ans en moyenne), et est également considérée comme une des plus éduquées, avec 13,9 années d’études ; elle est donc susceptible de connaître une ascension sociale dans un futur proche. Les personnes qui composent cette classe moyenne marginale ont acquis au cours de leurs études une certaine conscience démocratique, en même temps que la capacité à se plonger dans l’action politique. Elles utilisent les médias et internet pour faire entendre leurs arguments ; ce sont des personnages actifs dans les mouvements sociaux. 68 Certains analystes pensent que les choses vont commencer à changer en Chine quand ces jeunes deviendront plus dominants, et j’ai plutôt tendance à être de leur avis. Si l’on considère ces sous-groupes dans leur globalité, on constate que sur la période 19882006, le nombre d’années d’études de la classe moyenne a largement augmenté, l’âge moyen a eu tendance à diminuer (sauf pour l’ancienne classe moyenne). Deux raison à cela : tout d’abord, l’âge de départ à la retraite diminue ; ensuite, les jeunes, avec leur bagage universitaire, accèdent facilement au statut de classe moyenne quand ils entrent sur le marché du travail. Ci dessous, un tableau récapitulatif des données qui viennent d’être énoncées. Tableau 3 Nombre d'années d'études et âges des sous groupes de la classe moyenne, 1988-2006104 Education Divisions 1988 Age 1995 2002 2006 1988 1995 2002 2006 9,7 10,9 13,8 41,5 41,2 43,1 35,1 10,4 12,3 13,2 14,9 42,5 45,6 41,6 36,0 6,4 8,1 9,2 9,8 35,1 35,6 39,7 38,3 8,8 10,6 12,2 13,9 38,7 40,7 39,0 34,9 7,3 8,5 9,4 9,3 34,8 41,9 40,7 37,2 de la classe moyenne Capitalistes 5,8 Nouvelles classe moyenne Ancienne classe moyenne Classe marginale Classe ouvrière105 104 Les sources de ce tableau sont diverses : Pour les années 1982, 1990 et 2005, les données sont rattachées au Recensement de la population et de l’Etude concernant 1% de la population. Pour les années 1988, 1995 et 2002, les résultats sont dérivés de l’Etude sur les Foyers Urbains. Enfin, les pourcentages de 2001 et 2006 sont à lier à l’Etude Nationale sur les Changements dans la Structure Sociale de 2006.Les résultats ne sont donc pas toujours concordants, mais on arrive à cerner les tendances générales. 69 En ce qui concerne le ratio homme/femme, il est relativement stable sur la période. Les postes à haute responsabilité et les positions de pouvoir sont habituellement occupés par les hommes. Cela est d’autant plus vrai pour les positions au sein de la classe capitaliste. Si l’on met toutes les données ensemble, on se rend compte que plus de 63% de la classe moyenne est masculine, alors que si l’on compare à la population globale, l’équilibre est presque atteint (48% de femmes106). Pour mieux se représenter la proportion de ces sous-groupes dans la classe moyenne, considérons le graphique suivant : 105 La classe ouvrière n’est pas considérée comme un groupement de la classe moyenne, mais elle sert de point de comparaison.. 106 CIA, The World FactBook, Chine, https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/ch.html 70 Tableau 4 Pourcentage de la population urbaine (16-60 ans) qui compose les quatre sous classes de la classe moyenne et la classe ouvrière. 1982-2006107 Titre du graphique 70 60 Titre de l'axe 50 40 30 20 10 0 1982 1988 1990 1955 2001 2002 2005 2006 0 0,1 0,5 0,6 1,5 1,1 1,6 0,6 Nouvelle classe moyenne 13,9 17,2 19,6 22,1 16,6 23,6 21 18,8 Ancienne classe moyenne 0,1 3,2 2,2 5,5 0 11,1 9,7 19,6 Classe marginale 19,7 23,8 19,9 26,6 33,2 29,1 31,4 25,4 Classe ouvrière 66,3 55,7 57,8 45,2 38,4 35,1 36,3 35,7 Classe capitaliste D’un point de vue global, ce qui se dégage de ce tableau, c’est que la classe moyenne est en pleine croissance, alors que la classe ouvrière, elle, diminue de moitié: on peut en déduire qu’une ascension sociale a bien eu lieu entre 1982 et 2006 ; les anciens ouvriers sont maintenant des personnes affiliées à la classe moyenne, même s’ils ne le ressentent pas forcément ainsi. Toutefois, il faut considérer ces données avec précaution. En effet, ce sont des données qui rendent compte de la population urbaine. Si l’on devait prendre en considération la population totale (c'est-à-dire urbaine ET rurale), les chiffres diminueraient presque de moitié108. 107 Les sources de ce tableau sont diverses : Pour les années 1982, 1990 et 2005, les données sont rattachées au Recensement de la population et de l’Etude concernant 1% de la population. Pour les années 1988, 1995 et 2002, les résultats sont dérivés de l’Etude sur les Foyers Urbains. Enfin, les pourcentages de 2001 et 2006 sont à lier à l’Etude Nationale sur les Changements dans la Structure Sociale de 2006.Les résultats ne sont donc pas toujours concordants, mais on arrive à cerner les tendances générales. 71 En somme, parmi les différentes analyses de la classe moyenne, il est difficile de trouver une approche qui ne mènerait pas à controverse. En termes généraux, elle est définie sous sa forme économique (celle qui touche un revenu moyen), mais elle ne doit cependant pas être restreinte à ces critères économiques: il faut y inclure d’autres critères. Par ailleurs, même si les sociologues ne sont pas encore tombés d’accord sur la définition de la classe moyenne, ils sont majoritaires à penser que la classe moyenne ne peut se définir que dans sa pluralité. En effet, pour eux, la caractéristique majeure de la classe moyenne chinoise est de posséder des identités multiples. Désagréger une macro classe pour identifier les différences que l’on peut faire à l’intérieur même de cette classe est apparu être d’une importance capitale pour comprendre le futur de la stratification sociale chinoise, pour comprendre ce qu’il y aura plus loin que la réforme économique. Il est essentiel que les chercheurs ne voient pas la classe moyenne comme une masse uniforme, mais au contraire, il faut qu’ils distinguent bien les différentes sous couches qui correspondent aux statuts occupationnels, et les relations de pouvoir et d’autorité qui en découlent. Au final, pour aboutir à une conception juste de la classe moyenne chinoise, il faut considérer l’unité dans sa diversité, et ne pas oublier que cette définition continuera d’évoluer aux côtés de la classe moyenne. Section 3 : Débats sociologiques (suite), critiques à l’encontre des sociologues de la classe moyenne109. Les études qui viennent d’être exposées font pourtant l’objet de nombreuses critiques dans les rangs des intellectuels chinois et d’autres sociologues de la RPC. En effet, on leur a beaucoup reproché cette approche « d’unité dans la diversité», cette volonté d’harmoniser un ensemble très hétérogène. Trois critiques majeures peuvent être dégagées : sa trop petite taille, le fait qu’elle soit très hétérogène, donc impossible à globaliser, et le manque de valeur centrale parmi ses membres. Dans un souci de clarté, nous allons tout d’abord exposer les critiques, puis donner les éléments de réponses des chercheurs chinois. 108 « La Classe moyenne Chinoise : un revenu moyen de 60,000 par foyer », China Times http://news.sina.com.cn/cul/2005-01-21/3346.html 109 Section qui sera appuyée par les travaux de Cheng Li, « Chinese Scholarship on the Middle Class », dans China’s Emerging Middle Class, ed. Brookings Institution, pp. 68-72 72 1. Critiques : 1) Sa taille : Dans les études des sociologues chinois, la proportion de la classe moyenne au sein de la population urbaine oscille entre 5 et 40% ; considérons l’échelle nationale, et ces chiffres peuvent diminuer encore de moitié. Pour cette raison, de nombreux intellectuels chinois dénoncent un manque de représentativité de la classe moyenne ; pour eux, à quoi bon parler de « classe moyenne » si l’on se réfère à une si petite portion de la population. En effet, les critiques objectent que dans les pays occidentaux, la classe moyenne englobe la majorité de la population (70% ou plus) or il n’en est rien en Chine. Aux Etats-Unis notamment, la classe moyenne est synonyme de « classe ordinaire », et s’apparente aux personnes qui gagent un revenu médian, entre les riches et les pauvres, peu nombreux. Or en Chine, même si les conceptions sociologiques tendent à inclure une portion de plus en plus grosse de la population, un nombre important d’ouvriers et d’agriculteurs, qui ne font pas partie de la classe moyenne, reste à considérer. Ils seraient même plus nombreux que les « cols blancs » (Tableau 4 Pourcentage de la population urbaine (16-60 ans) qui compose les quatre sous classes de la classe moyenne et la classe ouvrière. 1982-2006), ciment des classes moyennes dans les pays occidentaux. En somme, de nombreux intellectuels chinois considèrent que le terme de « classe moyenne » n’est pas approprié pour parler de la situation de la Chine d’aujourd’hui ; c’est encore un pays majoritairement peuplé par les travailleurs manuels- agriculteurs et industriels, où la classe moyenne ne constituerait qu’une petite partie de la population. Niu Wenyuan, chercheur à l’ASSC, est un de ces sceptiques qui ne croient pas à la « classe moyenne chinoise ». Pour lui, pour qu’un pays soit considéré comme un pays de « classe moyenne », il doit remplir certains critères, comme l’objectif d’atteindre les 70% de la population ou encore viser un niveau d’éducation de douze ans en moyenne sur l’ensemble de la population, critères que, de toute évidence, la Chine est encore loin de pouvoir remplir. 2) Son hétérogénéité : 73 De nombreuses critiques sont également adressées aux théoriciens de la classe moyenne chinoise au sujet de leur volonté à englober, dans une même catégorie, des groupes sociaux aux caractéristiques très différentes, (corps de métier, niveau d’éducation, origines familiales…), comme il a été vu dans l’approche de Li Chunling. La classe moyenne serait trop hétérogène pour être théorisée comme un même ensemble. Li Qiang110, pourtant un des premiers théoriciens de la classe moyenne chinoise confiait que son « impression générale est que cette classe moyenne est complètement éclatée en termes de style de vie et d’identification à certaines valeurs. Les fonctionnaires (et les intellectuels dont ils sont proches) ne s’identifient pas aux commençants, et vice et versa. De même, la nouvelle classe moyenne possède ses propres codes et son propre style de vie. Il n’est ainsi pas possible de créer un groupe uni en Chine, les différences sont trop fortes ». D’un autre côté, la division secteur public/privé est abondamment mise en avant par les critiques, qui considèrent que le système de valeurs des employés privés est totalement différent de celui des employés du public, notamment dans leurs rapports avec le pouvoir étatique. Par exemple, les premiers auraient tendance à demander une diminution de l’intervention étatique sur les marchés commerciaux, tandis que les seconds préfèreraient au contraire une augmentation du contrôle gouvernemental. 3) Manque de valeur commune, qui forge l’appartenant de classe Le manque de valeur commune, fondatrice d’une conscience de classe, est également vigoureusement souligné parmi les critiques de la classe moyenne, surtout du côté des chercheurs occidentaux. Pour eux, on ne peut parler de classe moyenne à partir du moment où il n’existe pas une appartenance de classe claire. Ils sont d’avis que partager des valeurs communes est un facteur essentiel dans la formation d’une nouvelle strate sociale. Or, sans vision commune au sein d’une classe sociale, on ne peut la définir qu’en fonction de critères économiques et l’analyse de classe perd alors tout son sens. 2. Réponses aux critiques : Les auteurs des précédentes études se défendent tant bien que mal contre ces critiques. 110 Li Qiang « La classe moyenne chinoise dans un parcours de sociologue », in La société chinoise vue par ses sociologues. , CAIRN, Presses de Sciences Po, 2008, p. 136 74 Ils rappellent un fait capital, que beaucoup de critiques ont tendance à oublier, c’est la rapidité avec la laquelle la classe moyenne s’est développée; c’est une classe moyenne qui est jeune, qui murit encore au fil des ans et qui doit être considérée pour ce qu’elle est : émergente. En l’occurrence, aucun pays ne peut avoir une classe moyenne digne de ce nom en si peu de temps, encore moins devenir un « pays de classe moyenne » (c’est-à-dire, comprenant 70% de la population) en seulement 10 ans. Pour cela, ils accordent aux critiques qu’on ne peut qualifier la Chine de pays à classe moyenne, seulement, on ne peut non plus nier son existence et son développement pour le moins exceptionnel. Rappelons que selon les estimations de Lu Xueyi111, il y a seulement dix ans, elle représentait 15% de la population ; elle atteint aujourd’hui près de 40% de foyers urbains. Par ailleurs, il estime sa croissance annuelle à 1%. En somme, il ne faut pas chercher à comparer la classe moyenne chinoise et la classe moyenne des pays occidentaux ; ce sont deux histoires totalement différentes, qui n’en sont pas du tout au même stade de développement. Ces mêmes auteurs postulent également que si la définition de la classe moyenne chinoise est imprécise, il en est de même pour tous les pays. Les mêmes sous groupes peuvent également s’observer dans les pays occidentaux, selon eux. L’augmentation du niveau d’éducation reflète celui qu’ont connu l’Europe et les Etats-Unis durant le siècle dernier, alors que pour le cas de la Chine, cela aurait prit seulement une seule génération. Enfin, notons que ceux qui rétorquent un faible sentiment d’appartenance et un manque de valeurs communes passent à côté de l’essentiel : encore une fois, ils tentent de comparer l’incomparable, à savoir ce qui se passe en Europe, et ce qui se passe en Chine. Ils ne voient simplement pas que, même si la classe moyenne chinoise a du mal à se percevoir comme telle, elle développe bien des habitudes communes. Toutefois, il est vrai que ce sont des pratiques qui diffèrent de celles qui ont fondées les classes moyennes en Occident. En Europe, la construction de la classe moyenne s’est faite économiquement ET politiquement : les européens ont dès le départ manifesté leur position antiféodale et leur revendication pour les droits civils. Ainsi, alors que la classe moyenne européenne a été construite sur les bases de la Révolution française, le ciment de la classe moyenne chinoise est la consommation car le facteur 111 Lu Xueyi et autres, Social Mobility of Contemporary China, Research Group for social Structure in Contemporary China , Institute of Sociology of the Chinese Academy of Social Sciences, 2010, pp 402-406. 75 principal qui la meut, c’est la mondialisation 112 . D’un côté, la mondialisation a rendu disponible, pour des pays émergents comme la Chine, des produits manufacturés, par le biais du système capitaliste. D’autre part, elle a également entrainé l’apparition d’un marché international de consommateurs, avec les valeurs et pratique de consommation qui vont avec. La construction de l’identité chinoise se focalise donc plus vers les pratiques de consommation, alors qu’à l’intérieur même de la classe moyenne, différentes races, religions, origines sociales peuvent exister. L’intérêt commun se tourne davantage vers la défense de la propriété et des droits du consommateur. Le statut récemment acquis d’homo consommateur, et le style de vie qui en découle, à tendance à devenir un leitmotiv, et à fédérer les aspirations. On constate également un rapprochement dans leur vision du développement de l’économie de marché, de l’éducation primaire et dans leur volonté de stabilité, pour ne citer que quelques exemples. Dans ce mode de raisonnement, les revendications politiques n’ont pas de place, car cela n’est compatible ni avec les modes de consommations promus ni avec la notion de succès personnel (défini par le niveau de consommation). 112 Zhou Xiaohong et Qin Chen « Globalisation and China’s Middle Class » dans China’s Emerging Middle Class, Brookings Institution, p. 97 76 3. PARTIE - La classe moyenne chinoise : d’une force économique et sociale vers une force politique ? Nous entrons à présent dans la partie qui, selon moi, est au cœur de la problématique de la classe moyenne chinoise, à savoir, son implication dans le développement du système communiste. En effet, après avoir analysé les caractéristiques et m’être concentrée sur les définitions de la classe moyenne, ce qui, je pense, était indispensable pour aborder cette troisième partie, nous allons à présent voir plus loin que la structure sociale et se demander quelles sont les implications politiques de cette nouvelle strate sociale. La pensée qui a longtemps prédominé au sein des penseurs de la classe moyenne chinoise, c’est que l’émergente classe moyenne chinoise a contribué à la stabilité socio économique. Ainsi, elle a longtemps été considérée comme un allié politique du régime, silencieux et docile. Mais, récemment, des chercheurs de la PCR commencent à mettre cette idée en question. Ils pensent qu’elle est aujourd’hui en train de prendre un rôle politique, soit conservateur (pour la préservation du statut-quo) soit progressiste (en faveur d’une responsabilité gouvernementale accrue, d’une meilleure protection des citoyens, et d’une participation publique dans la formation des politiques des gouvernements).Ils commencent donc à mettre en avant l’idée que l’allié politique d’aujourd’hui pourrait devenir l’agitateur de demain. A partir des éléments précédemment indiqués, et notamment l’hétérogénéité de la classe moyenne émergente (origine familiale, niveau d’éducation, styles de vie et rapport aux politiques), il est vrai qu’il est très difficile de prévoir le rôle politique futur que pourra jouer cette nouvelle strate sociale. Pour cette raison, mon argumentation dans cette partie, tout en s’appuyant sur des faits concrets, visera à rendre compte des diverses possibilités politiques qui s’offrent à la nouvelle classe moyenne. 77 Plus loin, il s’agira de donner mon opinion, qui pourra être confirmé ou contredit par la réalité future. Le problème est ici le même que celui qui a été posé en introduction de ce mémoire ; avec la classe moyenne chinoise, on ne peut être confronté qu’à des contradictions et à des incertitudes. Ce qui est sur, pourtant, d’après Bruce J. Dickson113, c’est que « pour comprendre la Chine contemporaine, le point capital est de voir que les étonnants changements économiques se déroulent sans l’ombre d’un changement de régime ». Partant de là, il serait intéressant de comprendre les raisons de cette stabilité : est ce par crainte des représailles que la nouvelle classe moyenne n’a jusque là pas enclenché de processus de changement de régime, ou est-ce par intérêt ? De quelle façon les chinois perçoivent-ils le monde politique qui les entoure ? Avec la montée des contestations, un changement de régime est-il à prévoir pour les années à venir ? C’est ce que nous allons nous attacher à comprendre dans cette dernière partie. Il s’agira dans un premier temps de se demander si la classe moyenne chinoise symbolise une force pour le changement (théorie de la modernisation) ou bien si elle constitue un élément de stabilité ? Il sera également important de s’interroger sur la représentation du système politique chinois, et comprendre que dans une certaine mesure, les Chinois soutiennent une forme singulière de démocratie ; enfin, nous conclurons ce mémoire en évoquant la montée contestataire en territoire chinois, qui je le pense, pose les bases d’un jour nouveau pour la Chine114. Chapitre 1 : Force pour le changement ou élément de stabilité ? Quand l’on s’interroge sur l’impact politique de la classe moyenne chinoise, un point de vue binaire est souvent dégagé. 113 Bruce J. Dickson est Professeur en Sciences Politiques et Affaires Internationales à l’Université Georges Washington, Washington DC. Ses domaines d’expertise sont : les politiques chinoises, les politiques d’Asie de l’Est, le changement politique et la démocratisation, les politiques comparées, et les relations Chine-Etats-Unis. 114 Je tiens une nouvelle fois à souligner qu’aucun consensus n’existe à présent sur le rôle et le devenir politique de la classe moyenne chinoise ; les argumentations qui vont être développées sont donc choisies, mais ne reflètent pas tous les points de vue possibles, car nous ne ferions que tomber dans la contradiction. 78 D’un coté, il y a ceux pour qui la croissance économique entraine inéluctablement la démocratie. Dans le but de vérifier si cette « théorie de la modernisation » s’applique également pour la Chine, pays communiste au fonctionnement pour le moins antidémocratique (parti unique, libertés d’expression bafouées…), on enregistre beaucoup de recherches aujourd’hui pour voir si les changements prévus vont effectivement se passer, si la classe moyenne peut devenir une force pour le changement démocratique. D’un autre côté, il y a d’autres personnes qui pensent que la classe moyenne au sein d’une société constitue un élément de stabilité, formant une zone tampon entre les riches et les pauvres. Longtemps, le parti communiste a été effrayé par la naissance d’une classe moyenne (peur de son éventuelle force de changement), mais il commence, ces dernières années, à changer de point de vue. Plutôt rassuré et conforté, il constate que la classe moyenne chinoise est plutôt un élément de stabilité. Il a travaille dors et déjà à l’élévation des conditions de vie, qu’il voit comme une nécessité pour la survie du régime. La question qui se pose alors, c’est de savoir quel scénario est à privilégier avec le développement de la classe moyenne chinoise? Section 1 : La classe moyenne chinoise : une exception à la théorie de la modernisation Beaucoup de chercheurs occidentaux s’interrogent en ce début de siècle sur le rôle et l’impact politiques que peut jouer la classe moyenne chinoise. Ils s’attendent, selon la théorie de la modernisation, à ce que la croissance économique et la privatisation engendrent une vague de démocratisation au sein de la population 115. Selon ce courant de pensée, la modernisation d’une économie entraine forcément des changements dans la structure sociale et dans le système de valeurs des individus. Quand un pays ouvre la voie à l’urbanisation, à la prospérité et à l’éducation de masse, il ne peut que devenir plus démocratique. 115 Kristen Parris « Initiatives locales et réforme nationale : Le modèle de développement de Wenzhou » China Quarterly numéro 134 (juin 1993) pp. 242-263. Gordon White, « Democratization and Economic Reform in China », Australian Journal of Chinese Affairs no. 31 (1994), pp. 73-92. 79 Cette théorie a été initialement développée par des auteurs comme Barrington Moore, Seymour Martin Lipset ou encore Charles Wright Mills, théoriciens de la classe moyenne américaine. Pour le premier, c’est « l’impulsion bourgeoise » qui crée une structure dans laquelle les nouvelles élites n’ont pas besoin du pouvoir politique pour briller - au contraire de l’aristocratie116. C’est pourquoi elle cherche à faire entendre sa voix de manière indépendante, de manière plus démocratique. Pour C. W. Mills, c’est le développement d’une classe moyenne éduquée, modérée et indépendante économiquement qui établit une condition sinéquanone pour la transition démocratique. En effet, quand la classe moyenne devient la majorité de la population, elle obtient un certain pouvoir économique et soutiendra les processus de démocratie. Pourquoi ? Parce qu’au contraire de la bourgeoisie, elle n’a pas de lien direct avec le gouvernent en place, donc c’est le seul moyen pour elle de faire entendre sa voix, de défendre ses droitsindividuels et de propriété. Et au contraire de la classe défavorisée, la classe moyenne soutient la démocratie parce qu’elle a une éducation et qu’elle a le temps pour comprendre et participer aux affaires publiques de manière effective117. Samuel Huntington pourrait également être rangé dans cette catégorie, même si son opinion diffère quelque peu. Pour lui, la classe moyenne a tendance à être révolutionnaire et à pousser vers la démocratisation, mais seulement dans ses prémices. Il postule que, par la suite, elle aurait tendance à être plus conservatrice. On tire ces conclusions de nos pays occidentaux, où la classe moyenne s’est construite dans un rapport d’opposition avec l’Etat ; elle n’a eu de cesse de lutter pour la préservation de ses droits, pour la reconnaissance de sa représentativité en tant que corps politique. Il est facile et confortable de croire que le modèle de développement est unique (comme le modèle de Rostow pourrait le laisser croire), et que donc, les avancées politiques permises dans nos pays par le développement de la classe moyenne se passeraient également en Chine. C’est pourquoi une attention particulière s’est portée sur cette nouvelle couche de la société, et en particulier, sur les entrepreneurs privés (cf. « l’impulsion bourgeoise » de Barrington Moore). 116 Barrington Moore, Social Origins of Dictatorship and Democracy, Lord and Peasant in the Making of the Modern World,, Beacon Press, Boston, 1966. ISBN 0807050733, p 430. 117 C. Wright Mills, White collar: The American Middle Classes, Oxford University Press, 1953.pp. 182-187. 80 Cependant, ce n’est pas du tout cela que les observateurs ont remarqué en Chine. En soi, les caractéristiques et les rapports de l’Etat aux administrés sont complètement différents de ce que l’on peut connaître. A l’inverse, on y observe des alliances fréquentes avec les élites politiques, au nom, justement, de la stabilité sociale118. Les nouvelles élites économiques ne veulent pas d’un système politique multiparti et libéral ; la nouvelle richesse de la Chine étant, après tout, le résultat de politiques du gouvernement communiste chinois Ces relations entre la classe moyenne et l’Etat s’observent également dans d’autres pays dont le développement a été tardif (prenons ici les exemples de Singapour et de la Malaisie). Mais il est vrai que le phénomène est accentué en Chine car le PCC exerce une position de monopole ; étant l’unique parti, il bénéficie d’une position d’autorité sur ses concitoyens. Ce monopole est largement accepté par la société chinoise ; les relations classe moyenne/Etat sont, en général, positives et coopératives. La raison réside dans le fait qu’ils partagent des intérêts communs, comme la promotion de la croissance économique et la restriction de l’accès à la participation politique des masses (en particulier les classes pauvres, qui représentent encore une grosse partie de la population)119. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que la casse moyenne dépend fortement du pouvoir politique pour la préservation de son emploi et l’avancement de sa carrière, quand près de la moitié de la nouvelle classe moyenne est employée par le secteur public (gouvernement, agences du parti, entreprises nationales et organisations publiques)120. On peut alors aisément comprendre pourquoi les chinois n’ont pas d’intérêt particulier pour la démocratisation : cela provoquerait la perte probable de tout ce qu’ils ont réussi à obtenir jusqu’ici. De la sorte, Zhou Xiaohong et Qin Chen en viennent à considérer la classe moyenne chinoise comme très duelle, dans le sens où elle se pose à l’avant-garde des pratiques de consommation, mais qu’elle est plutôt arrière-garde quand il s’agit de politique121. 118 Jie Chen, “Attitudes towards Democracy and the Political Behavior of China’s Middle Class” dans China’s Emerging Middle Class, Cheng Li, ed. Brookings Institution, 2010, p. 335 119 An Chen, “Capitalist Development, Entrepreneurial Class, and Democratization in China”, Political Science Quarterly 117 no.3 (2002): pp.401-422. Publié par The Academy of Political Science, New York. 120 Li Chunling, « Characterizing China’s Middle Class », dans China’s Emerging Middle Class, Brookings Institution. p. 147 121 Zhou Xiaohong et Qin Chen, “Globalisation and China’s Middle Class” dans China’s Emergine Middle Class, Cheng Li, Ed. Brookings Institution, pp. 95-98. 81 Ce conservatisme entraine Dorothy J. Solinger122 et David S. Goodman 123 à penser que la Chine constitue une exception à la théorie de la modernisation. L’idée conventionnelle développée par cette théorie étant que la modernisation d’une société entraine inexorablement un désir de démocratie auprès de sa population ; cependant, rien de tel n’est, du moins pour l’instant, sur le point de se produire en Chine. Au contraire, le désir de préserver les biens matériels, récemment gagnés, se traduit en Chine par la volonté, comme vu, d’appuyer davantage le gouvernement communiste. Je conclurais donc cette argumentation en soulignant que le développement politique de la Chine est tel son développement économique et social : unique. Il ne sert à rien de vouloir le faire rentrer dans un moule, dans une certaine théorie de la modernisation, car ce moule n’est pas adapté. Section 2 : Les entrepreneurs privés : une force pour le changement ? Une partie de la classe moyenne est particulièrement mise en avant quand il s’agit d’étudier ses impacts politiques : les entrepreneurs privés. Selon Barrington Moore, les bourgeois seraient à l’origine de l’impulsion démocratique d’une société. Sa maxime la plus célèbre reste aujourd’hui « No bourgeois, No democracy »124. Dans cette optique, il me semble intéressant d’étudier le rôle de ces nouveaux « bourgeois » chinois ; alors qu’on nous venons de voir que la théorie de la modernisation n’était pas un moule adéquat pour théoriser la société chinoise, il me semble tout de même essentiel de nous pencher sur le rôle effectif de ces entrepreneurs privés. Comment sont représentés leurs intérêts dans le système politique chinois ? Est-ce qu’on peut parler de « menace » pour le régime, ou au contraire, de soutient politique ? En d’autres termes, sont-ils ou non une force pour le changement démocratique ? 122 Dorothy J. Solinger, State and Society in Urban China in The Wake of the 16th Party Congress. The China Quarterly, (2003) no. 176, pp 943-959. 123 David S. Goodman, « The New Middle Class », dans The Paradox of china’s Post Mao reform, Harvard University Press, 1999. 124 Barrington Moore, Social Origins of Dictatorship and Democracy, Lord and Peasant in the Making of the Modern World,, Beacon Press, Boston, 1966. ISBN 0807050733, p 418. 82 Dans les années 1990, les chercheurs avançaient l’idée que les entrepreneurs privés finiraient par éveiller des envies de démocratisation, joueraient le rôle de force pour le changement, en exerçant une pression extérieure sur le gouvernement. Ce fut par exemple le cas de Kristen Parris dans son essai Local Initiative and National Reform : The Whenzou Model of Development.125 Mais ces attentes ne furent pas réalisées. Le temps a prouvé au contraire que les entrepreneurs privés sont les plus conservateurs à l’intérieur de la classe moyenne. Ils ont des opinions politiques traditionnelles, et ont tendance à rejoindre les rangs du parti plutôt qu’à contrer son programme. Par ailleurs, ils font preuve d’un désintérêt total pour toute forme de démocratisation. Leur attitude envers le gouvernement se résume en deux axes : soit ils soutiennent activement le régime, soit ils l’ignorent : même ceux qui ne soutiennent pas activement le parti préfèrent l’ignorer plutôt que de le confronter. Ce qui leur importe, c’est la stabilité à la fois politique et économique ; ils ont terriblement peur de perdre leurs avantages126. Les études récentes, dont notamment celles de Kellee Tsai 127, professeure du département de Sciences Politiques de l’Université de John Hopkins, aux Etats-Unis, ont constaté que la classe capitaliste chinoise soit tolère les politiques menées par le gouvernement communiste, soit quittent le pays plutôt que de pousser à un quelconque changement. Les conclusions des études menées par les chercheurs sur le terrain sont unanimes: les entrepreneurs privés ne sont pas sujets à promouvoir la démocratisation. A la question de savoir s’ils pourraient le faire dans un futur proche, les avis sont peu optimistes. Les entrepreneurs ont plus tendance à accepter le statut quo qu’à prendre les risques que la démocratisation peut amener. Loin d’être des forces pour le changement, ils constituent un soutient certain au gouvernement de la RPC128. 125 Kristen Parris, “Local Initiative and National Reform: The Whenzou Model of Development”, China Quarterly 134, 1993. 126 Margaret Pearson, China’s New Business Elite : The Political Consequences of Economic Reform, University of California Press, 1997 Bruce J Dickinson, Allies of the State: China’s Private Entrepreneurs and Democratic Change, Harvard Press University, 2010. 127 Tsai, Kellee S., Capitalism without Democracy : The Private Sector in Contemporary China, Cornell University Press, 2007, p93-105 128 Bruce J. Dickinson, “China’s Cooperative Capitalists”, dans China’s Emerging Middle Class, Chang Li editor, p 292-295 83 Les raisons d’un tel soutient sont évidentes : l’aise économique dont ils jouissent aujourd’hui est la conséquence directe des réformes et des mesures d’ouverture économique prises par les différents gouvernements depuis 1978. Les gouvernements successifs n’ont eu de cesse d’œuvrer pour le développement d’une société harmonieuse : Hu Jintao et Wen Jiabao, son premier ministre, ont affiché clairement leur volonté de créer une « société harmonieuse » dans le nouveau plan quinquennal du gouvernement, sur lequel nous allons revenir dans la section prochaine. Pour ce faire, ils vont privilégier le maintient du taux de croissance du pays, et vont travailler à une redistribution plus juste des richesses dans le but d’améliorer les conditions de vie des populations (et ainsi, éviter les soulèvements populaires). Le PCC a donc crée un environnement dans lequel les entrepreneurs ont la possibilité de prospérer (surtout pour ceux qui sont connecté bien politiquement) ; en retour la plupart des entrepreneurs ont choisi de coopérer avec le parti, plutôt que d’essayer de le confronter ou de le changer. Pour les autres, leur opposition a souvent été chère payée. Dans les années 1990, le cas de Sun Dawu, un entrepreneur agroalimentaire réputé, a fait le tour du pays. Il avait alors critiqué l’incompétence des banques d’Etat, que étaient, selon lui, incapables d’apporter les financements adéquats au développement de petits commerces comme le sien. Il avait également critiqué une réforme des services publics, qui, dans les zones rurales, devaient devenir des services soumis à des exigences de rentabilité. Cette réforme avait aggravé considérablement la situation sociale des populations rurales ; les pouvoirs locaux s’étaient alors lancés dans projets immobiliers et industriels particulièrement rentables pour leur finance personnelle, mais avaient laissé péricliter écoles et hôpitaux. Sun Dawu, dont l’entreprise était devenue prospère et très rentable, avait alors développé, dans son village, un système de solidarité censé compenser les défaillances de l’Etat129. Il a fait construire une école et un lycée pour les familles qui ne pouvaient pas des payer les services d’une école publique normale, et un hôpital avec un système d’assistance médicale facilitant l’accès aux soins, une sorte de sécurité sociale exceptionnelle en Chine rurale. Non content de ces initiatives, le gouvernement accuse Sun Dawu de financement frauduleux, alors même que les fonds venaient des profits de son entreprise. En 2003, il est 129 Vidéo Arte sur Youtube, Sun Dawu, http://www.youtube.com/watch?v=3z-s24rSyPE 84 arrêté et jeté en prison pour trois ans. Il a également dû verser des compensations financières de l’ordre de 500 000 yuans130. Cet exemple montre bien qu’il ne fait pas bon se confronter au management politique du PCC. On comprend mieux pourquoi les entrepreneurs privés choisissent de porter leur soutient à l’Etat ; non seulement ils sont majoritairement satisfaits du régime qui leur a permis d’atteindre la situation dans laquelle ils se trouvent à présent, mais en parallèle, ils ont peur des potentielles retombées que pourraient leur coûter leur rébellion, et enfin, ils craignent les changements que peuvent apporter la démocratie (la perte de leur confort personnel, par exemple) Cette relation de proximité entre le parti chinois et la classe entrepreneuriale est très particulière au développement de la Chine. Dans son étude précédemment citée, Bruce J. Dickinson la qualifie même de « copinage communiste »131. Ainsi, nous voyons bien que, en Chine, si la démocratisation doit se faire un jour, ce ne sera pas par la force des entrepreneurs privés, conservateurs et de mèche avec le pouvoir en place. Section 3 : Un élément de stabilité recherché politiquement. 1. La classe moyenne, une zone tampon pour la stabilité Alors que dans le monde contemporain, la théorie de la modernisation est prégnante quand est abordée la question de l’impact politique d’une classe moyenne, il n’en a pas toujours été ainsi. Dans la pensée antique déjà, la classe moyenne était au contraire vue comme un élément stabilisateur, et cette stabilité ne peut être démentie si l’on considère la classe moyenne chinoise d’aujourd’hui. En effet deux penseurs politiques majeurs de l’antiquité ont mis en avant cette idée selon laquelle l’existence d’une couche moyenne participerait à la stabilité sociopolitique. 130 David J. Lynch, “In China, Profit at your own peril” , US Today, 2003, http://www.usatoday.com/money/world/2003-12-22-china_x.htm 131 Bruce J. Dickinson “China’s Cooperative Capitalits : The business end of the Middle Class”, dans China’s Emerging Middle Class, Beyond Economic Transformation, ed. Brookings Institution, p 296 85 Je pense tout d’abord ici à Aristote, pour qui la classe moyenne était une force et un facteur de stabilité sociale, qui permettait d’éviter les soulèvements sociaux. Il énonce cette idée dans le cinquième livre de La Politique, où il traite des révolutions et des changements de régime, ainsi que des moyens de prévenir les révolutions. Pour lui, ce serait le rôle de la classe moyenne, plutôt de « l’homme moyen », de sauver la cité. Dans une analyse qui fut faite en 1837 de son œuvre, Lerminier relatait sa pensée en ces termes : « La moyenne propriété ne s’insurge jamais. Quand elle est là, il y a bien moins de mouvements et de dissensions révolutionnaires. C’est la moyenne propriété qui rend les démocraties plus tranquilles et plus durables que les oligarchies, où elle est moins répandue et a moins d’importance politique. Quand le nombre des pauvres vient à s’accroître, sans que celui des fortunes moyennes s’accroisse proportionnellement, l’Etat est sur son déclin, et arrive rapidement à sa ruine. »132 Par ailleurs, Mencius, penseur chinois confucéen de la période d’avant J.C., pensait également que ceux qui possèdent sont enclins à agir pour la préservation de leur patrimoine, et donc pour la préservation du statut-quo133. Plus récemment, Tang Jun, de l’Institut de Sociologie de l’ASSC, s’est posé en continuateur de ce courant de pensée. Pour lui, une structure sociale « en olive », c'est-à-dire avec une faible portion de pauvres et de riches à chaque extrémité, entre lesquelles vient s’intercaler une grosse portion de richesses moyennes, serait une structure plus stable qu’une composition pyramidale 134 . En l’occurrence, il conçoit le développement de la classe moyenne chinoise comme suivant cette structure ogivale ; pour lui la nouvelle structuration de la Chine tend à favoriser la stabilité sociale avant toute chose, 2. Changement idéologique du gouvernement L’attitude du corps politique chinois envers la classe moyenne est contradictoire. Il en a longtemps eu peur, allant jusqu’à interdire sa formation et sa conceptualisation sociologique. Même au début des années Deng Xiaoping, on évitait de faire une analyse de la société sous forme de classe, l’héritage de la période Mao était encore très prégnant dans le mode de fonctionnement politique. 132 Eugène Lerminier, « Politique d’Aristote », Revue des Deux Mondes T.11, 1837, pp. 401-402. Cheng Li, China’s Emerging Middle Class, Chapitre3 Chinese scholarship on the middle class, p73 134 Ibid. 133 86 Cette peur s’explique par le fait que la classe moyenne est considérée comme une épée à double tranchant : les dirigeants chinois savent que dans beaucoup d’autres pays, le pouvoir économique de la classe moyenne a mené à des revendications de démocratisation (en Corée du Sud et au Brésil, par exemple) en même temps qu’il participait à l’enrichissement de la société. Cependant, depuis quelques années, on assiste à un changement idéologique et politique essentiel de la part du gouvernement. Fini le temps de l’interdit, aujourd’hui, on cherche à promouvoir cette couche moyenne ; promotion qui devient progressivement un objectif politique du gouvernement chinois. En effet, depuis le début des années 2000, la classe dirigeante a clairement fait un pas en avant. Tout d’abord, elle s’est rendu compte que la classe moyenne n’est pas un ennemi pour le parti, ni pour le pouvoir, à partir du moment où elle est convenable gérée. Selon certaines études, le gouvernement chinois aurait justement su gérer avec succès les changements apparus dans la structure sociale, évitant ainsi qu’elle ne constitue un obstacle à sa continuité135. Pour le gouvernement, le danger résiderait davantage dans l’agrandissement du fossé entre les riches et les pauvres, qui, s’il continue de s’étendre, risque de créer de vives animosités. C’est donc pour cette raison que le renforcement d’une strate sociale entre ces deux extrêmes serait tout bénéfique pour la stabilité politique. Par ailleurs, pour les gouverneurs, la croissance de la classe moyenne serait également bénéfique car elle apporterait un espoir pour les couches les plus défavorisées de Chine, un objectif et un rêve à atteindre. Nous avons évoqué cette idée dans la première partie de ce mémoire ; il faut considérer qu’aujourd’hui, la Chine est le nouvel eldorado mondial, un pays où le phénomène du « self-made man » s’est beaucoup développé depuis le début de l’ouverture. Du coup, intégrer les rangs de la classe moyenne n’est pas un objectif inatteignable ; au contraire, ce serait une motivation à l’effort et au travail, aux conséquences favorables pour l’économie nationale. 135 Wang Zhangxu, “Public Support for Democracy in China”, Journal of Contemporary China, 16, no. 53 (2007), pp. 561-563 87 Enfin, la dernière raison à ce changement de cap serait uniquement économique : en effet, il s’agit de promouvoir une couche de revenu moyen pour lancer la consommation domestique chinoise, et donc, pour continuer à enrichir le pays. Ainsi, le gouvernement fait de plus en plus d’efforts pour lutter contre les inégalités croissantes. Lors du précédent plan quinquennal (qui dirige et régule l’économie nationale et les relations internationales), les efforts de promotion d’une couche moyenne en Chine étaient déjà remarqués. Mais, au printemps 2011, la publication du nouveau plan quinquennal, le douzième, a renforcé ce tournant idéologique. Dans les paragraphes qui vont suivre, nous allons nous attacher à mettre en avant les objectifs du gouvernement et les politiques qu’il prévoit de mettre en place pour établir la stabilité du pays. 3. Les mesures effectives du gouvernement pour une « société harmonieuse ». 136 . Dans le but de favoriser la stabilité sociale, le gouvernement chinois a donc choisi d’axer sa politique intérieure vers l’établissement d’une couche moyenne. L’examen du douzième plan quinquennal, rendu par le Premier Wen Jiabao et paru en mars 2011, en est la preuve formelle. En effet, pour le Premier Ministre « le douzième plan quinquennal coïncide avec une période cruciale pour l’édification tous azimuts de la société de moyenne aisance» Sept secteurs sont mis en avant pour répondre à cet objectif : • Les conditions de vie des ménages L’amélioration des conditions de vie des ménages est citée à de très nombreuses reprises dans le rapport d’activités du gouvernement chinois ; elle arrive en tête sur la liste des objectifs du Premier Ministre, considérant qu’il se doit « d’améliorer sur toute la ligne les conditions de 136 Rapport Intégral d’activité du gouvernement chinois présenté par le Premier Ministre du Conseil des Affaires d’Etat, lors de la 4ème session annuelle de la 12ème Assemblée populaire Nationale (APN, parlement chinois), le 5 mars 2011 à Pékin. 88 vie de la population ». 137 C’est un objectif général, qui dépend du succès des politiques touchant à l’emploi, à l’augmentation des revenus et autres, que nous allons détailler. • L’emploi L’augmentation du taux de chômage s’est rependu jusqu’en Chine. La crise économique mondiale de 2008 a eu un réel impact sur l’emploi, bien que limité par rapport au reste du monde. Les migrants et les jeunes sont les plus touchés par cette vague de chômage ; les inégalités risquent de s’agrandir, et la stabilité sociale est mise en péril. Pour cette raison, le gouvernement s’est donné pour objectif prioritaire de maintenir la création d’emploi, et de favoriser un accès égalitaire. Pour ce faire, un effort particulier va être fait en matière de formation professionnelle et d’assistance à la recherche d’emploi. Il est également prévu de favoriser l’emploi des jeunes diplômés et des travailleurs migrants, particulièrement vulnérables. Par ailleurs, il est prévu que 45 millions de nouveaux postes soient crées dans les agglomérations urbaines sur les cinq prochaines années, ainsi que le maintient du taux de chômage à 4,6%. • Le revenu L’augmentation des revenus de la population est également ciblée. Un Code du Travail contractuel est entré en vigueur avec le 11ème plan quinquennal, qui permettait aux populations d’avoir une certaine sécurité sur leurs salaires. Le salaire minimum est d’ailleurs prévu à la hausse dans les cinq prochaines années. Le gouvernement veut s’efforcer de synchroniser le développement économique avec l’augmentation des revenus de la population. Dans cet esprit, il établit que « le revenu disponible par habitant urbain, de même que le revenu par habitant rural, sera élevé de 7% par an ».138 • La consommation Une stratégie d’élargissement de la demande intérieure est édifiée, basée essentiellement sur la consommation des ménages. Elle trouve ses prémices dans les années 1990, au moment où la Chine a intégré la mondialisation et où le gouvernement s’est rendu compte que la consommation de la classe moyenne pouvait rapporter gros en termes de développement économique. C’est surtout depuis 1997, année où la crise financière asiatique a frappé de plein fouet le pays, que le gouvernement a réalisé les bénéfices qu’il pourrait retirer de la demande intérieure, encore bien faible à l’époque. 137 Ibid, p7 138 Ibid., p7 Des politiques de promotion de la 89 consommation ont été abordées pour se remettre sur pied, et c’est depuis resté le maitre mot des politiques chinoises pour le développement économique (entrainant des effets non négligeables sur la formation de l’homo consommateur, abordés dans notre première partie) Pour les cinq années à venir, les dépenses du gouvernement destinées à stimuler la consommation des ménages sont renforcées : des subventions seront accordées aux paysans et aux citadins aux moyens modestes. Par ailleurs, la poursuite de l’application des politiques subventionnant le commerce des appareils électroménagers dans les campagnes et encourageant l’acquisition d’appareil électroménagers neufs contre la reprise des anciens est annoncée. Le gouvernement prévoit également de renforcer la construction d’infrastructures pour le commerce, la distribution, la culture, les sports le tourisme et internet à haut débit dans les régions rurales et les petites et moyennes agglomérations. Notons ici que la consommation culturelle et touristique est également visée. • L’éducation Selon Wen Jiabao, il faut « continuer à accorder la priorité au développement de l’éducation » 139 .Il faudra promouvoir le développement scientifique de l’enseignement en assurant une éducation plus juste, plus diversifiée et de meilleure qualité. En 2012, les crédits budgétaires consacrés à l’éducation représenteront 4% du PIB. Notons que ce budget reste quand même bien inférieur à ceux des pays développés ; en France par exemple, le budget de l’éducation représente aux alentours de 7% du PIB140. L’accent est également mis sur le développement des établissements préscolaires pour répondre à la pénurie d’écoles maternelles, sur la construction d’écoles normalisées, surtout dans les zones où on dénombre beaucoup de minorités ethniques, mais également sur le développement de l’éducation bilingue. Le but à long terme est d’améliorer la formation, et donc le niveau des emplois, de la population chinoise. • L’immobilier Des efforts seront faits pour construire des logements sociaux et rénover divers types de logements rudimentaires dans le but de permettre à 11 millions de ménages démunis d’emménager dans des maisons et appartements neufs. 139 Ibid, p12 140 «Education : une dépense qui représente 7,1% du PIB », Vie publique, au Coeur du débat public, http://www.vie-publique.fr/actualite/alaune/education-depense-qui-represente-7-1-du-pib.html 90 C’est un effort indispensable quand on considère l’état du marché de l’immobilier aujourd’hui. En effet, depuis les réformes de 1998, qui ont permis une rapide croissance du marché ainsi que l’augmentation du taux de propriété, les prix de l’immobilier ont irrémédiablement grimpé (surtout sur la côte est et les mégalopoles) Le pays est aujourd’hui confronté à un problème d’accès au marché, surtout les jeunes et les plus pauvres. L’observatoire Global Urbain de UN-HABITAT, qui mesure dans toutes les grandes villes du monde le taux d’accès au logement (PIR= prix logement/revenu) considère que pour la classe moyenne chinoise, le PIR est estimé comme « sévèrement inaccessible », donc au plus bas sur l ‘échelle établie par UN-Habitat141. En Chine, la population est donc confrontée à un gros problème d’accès au logement. Pour acheter une maison, les foyers doivent débourser près de cinq revenus annuels ! Cela risque d’affecter les perspectives futures pour le développement de la classe moyenne, c’est pour cela que le gouvernement doit faire de très gros efforts dans ses politiques pour le logement. • La santé et la retraite Les systèmes de santé et de retraite en Chine doivent également être améliorés. Rappelons que, du fait de l’absence de sécurité sociale et de système de retraite adapté, la population fait montre d’une très grande incertitude quand à son futur ; incertitude qu’elle essaie de combler par un fort taux d’épargne. Dans sa logique d’amélioration des conditions de vie et d’incitation à la consommation, le gouvernement doit implémenter de mesures de protection pour, d’un côté, rassurer la population, mais également pour modifier cette tendance à l’épargne et diriger les revenus vers les pratiques de consommation. Pour ce faire, l’Etat prévoit d’étendre la couverture de la protection sociale dans les zones urbaines et rurales, dont notamment celle des pensions-retraites, dont le montant augmente de 10% par an depuis sept ans. Une assurance maladie de base a également été mise en place pour les habitants urbains, et un nouveau régime de mutuelle médicale rurale a été introduit sur l’ensemble du pays, permettant ainsi à 1.267 milliards de citadins et de ruraux de bénéficier d’une couverture médicale. L’ensemble de ces mesures témoignent de la volonté du gouvernement de poser les bases d’un développement social plus harmonieux, favorisant l’essor des couches moyennes, sur lesquelles un regard neuf est porté depuis quelques années. 141 Joyce Yanyun Man, « China’s Housing Reform and Emerging Middle Class », dans Chin’s Emerging Middle Class, Cheng, Li, Ed. Brookings Institution, 2010, p 198. 91 Chapitre 2 : La « démocratie à la chinoise ». Pour comprendre la relation qu’entretient la population avec le pouvoir, et ainsi tenter de répondre à notre question concernant le futur rôle politique de la classe moyenne, il est fondamental de travailler, en amont, sur la perception de la démocratie par les chinois, et plus particulièrement par la classe moyenne. Ce chapitre s’attachera donc à décrire ce que j’appelle la « démocratie à la chinoise », entendant par là, la vision de la démocratie en Chine, qui est, en soi, différente de celle que l’on peut rencontrer dans nos pays occidentaux. D’un côté, il s’agira de voir que la classe moyenne rejette la démocratie telle que l’on se la conceptualise en Occident ; au contraire, elle développe une conception qui lui est propre, ou plutôt, qui s’apparente à une vision couramment répandue en Asie. Section 1 : Des doutes à l’encontre de la démocratie occidentale Le premier chapitre a posé les bases quant à la position d’ « arrière-garde » politique de la classe moyenne ; je souhaiterais, dans les paragraphes qui vont suivre, aller plus loin en expliquant qu’à son conservatisme politique, la classe moyenne adjoint une peur démocratique, et émet de sérieux doutes et craintes à l’encontre de nos démocraties occidentales. Tout d’abord, notons que les franges les plus avancées da la société chinoise –les journalistes, les publicistes, les employés des entreprises de pointe - émettent de sérieux doutes quand aux bénéfices que pourrait leur rapporter la « démocratie participative ». En effet, comme le souligne un article du Monde Diplomatique 142 , ils ne pensent pas que ce système leur permette d’avoir de meilleurs dirigeants, « plus honnêtes et plus compétents », capables de lutter contre les inégalités, comme le montrent les exemples des grandes démocraties comme l’Inde ou les Etats-Unis. Ils pensent que la démocratie est une bonne chose, mais qu’il faut qu’elle soit introduite graduellement, « à mesure que la qualité de la population s’améliore » ; il faudrait donc attendre que les paysans se soient intégrés à la couche moyenne, soient devenus « demos ». En lisant entre les lignes, on comprend que les couches supérieures de la classe moyenne doutent que la démocratie participative soit une bonne solution pour la Chine 142 Jean-Louis Rocca, “Pour la classe moyenne chinoise, la stabilité avant tout”, Dossier : Comment niassent les révolutions ; Le Monde Diplomatique, Mai 2009, 92 actuelle car une grande partie de la population (paysans et travailleurs migrants) n’atteint pas encore les conditions pour être des électeurs (probablement à cause du manque d’éducation ou d’intérêt pour la chose publique). L’aspect « participatif » de la démocratie semble donc poser problème. C’est également un point que développe, de manière plus poussée, Jie Chen, dans une étude qu’il a mené pour déterminer l’effectivité du soutient démocratique de la classe moyenne143. En effet, suspectant également un désaveu démocratique, il a voulu solidifier ses prédictions en faisant une enquête de terrain sur le soutient politique de la classe moyenne, mis en parallèle avec le reste de la population. Il défini le soutient démocratique comme étant un ensemble d’attitudes positives envers les normes ou institutions démocratiques. Pour lui, une personne qui supporte la démocratie fait preuve des caractéristiques suivantes : • Croyance dans les libertés individuelles, • Tolérance des opinions politiques, • Doutes dans la gouvernance établit par le gouvernement, • Confiance en ses concitoyens, • Obéissance mais capacité à soutenir ses droits devant l’Etat, • Vision de l’Etat comme une simple entité juridique, légale, et qui supporte les normes et institutions démocratiques. Partant de là, Jie Chen essaie de sonder le support démocratique des participants à son étude en se focalisant sur trois normes démocratiques: la conscience des droits des citoyens, la valorisation des libertés politiques, et la participation populaire ; mais également en se concentrant sur une institution démocratique fondamentale : les élections populaires et compétitives. Conscience des droits individuels Il est particulièrement intéressant de se poser la question de la conscience des droits de la population chinoise, car, en soi, cela va totalement en contradiction avec le système traditionnel communiste chinois qui prône la collectivisation et l’autorité gouvernementale au dessus de toute autre norme, donc au dessus des droits individuels. 143 Jie Chen, “Attitudes towards Democracy and the Political Behavior of China’s Middle Class”dans China’s Emerging Middle Class, Cheng Li, Ed. Brookings Institution, pp. 334-354. 93 Jie Chen a donc proposé une série de droits et à demandé aux participants de répondre si les droits proposés doivent toujours être respectés ou si cela dépendait des circonstances. Pour dévoiler spécifiquement l’opinion de la classe moyenne, il a comparé les résultats entre les personnes ne faisant pas partie de la classe moyenne et la classe moyenne. Voici les résultats qui ressortent de son étude : Pourcentage de participants qui ont répondu en faveur d'une protection sans condition des droits individuels (par droit) 100 95 90 85 80 75 Classe moyenne Autres classes 70 Figure 6: Soutient démocratique de la population chinoise: les protections individuelles 94 On remarque qu’il n’y a pas de différence majeure entre l’opinion de la classe moyenne et des autres classes. Ce graphique nous permet de constater un gros consensus au sein de la population chinoise quant à la nécessité de protéger les droits et libertés individuelles, du droit de travailler au droit de voyager librement, en passant par la liberté d’information et de conscience. Valorisation des libertés politiques : Pour évaluer la valorisation des libertés politiques, Jie Chen a demandé aux participants d’établir, dans des situations données, une hiérarchisation entre l’ordre social et les libertés politiques. Les résultats qui sont ressortis de son étude confirment que les chinois de la classe moyenne sont très peu supporteurs des libertés politiques (comme la grève) dans la mesure où elles mettent en péril l’ordre public : moins de 24% d’entre eux donnent priorité aux libertés politiques plutôt qu’à l’ordre public. Par contre, on remarque une légère différence quand on met ces résultats en parallèle avec ceux obtenus dans les rangs des autres classes : 35 à 40% d’entre eux seraient prêts à mettre l’ordre social en péril pour exercer leurs libertés politiques. Ainsi, la classe moyenne chinoise, plus que le reste de la population, tend à favoriser l’ordre public aux libertés politiques. Support à la participation populaire. Selon les intellectuels, la démocratie serait un mode de gouvernement où la société, par le biais des élections, délègue son pouvoir. Ainsi, sonder le soutient démocratique doit nécessairement passer par sonder le support à la participation politique. Reste que cette condition est un peu troublante pour la Chine car, en soi, le pays connait depuis des siècles le courant confucéen, qui veut que l’autorité politique vienne avec l’autorité céleste. Les résultats obtenus sont du même ordre que pour la valorisation des libertés politiques : on trouve plus de supporters de la démocratie dans les rangs des autres classes que dans les rangs de la classe moyenne. Entre 25 et 30% de ces derniers considèrent que les citoyens doivent avoir une participation dans les prises de décisions du gouvernement et qu’ils doivent être un acteur pour le changement politique (pour les autres, on enregistre un soutient supérieur de 10%). Ainsi, on remarque que la classe moyenne n’est pas une très grande supportrice de la participation politique, pourtant considérée comme la base dans le soutient démocratique. 95 Support à des élections plurielles Un autre aspect de la démocratie est d’avoir des élections multipartis et multi candidats, entre lesquels un débat politique peut avoir lieu. C’est un point essentiel qu’il faut soulever, surtout en Chine, pays qui n’a pas connu d’élections de ce genre depuis 1949. Le mode de fonctionnement de la Chine est donc depuis bien longtemps anti-démocratique, c’est justement pour ca qu’il est particulièrement intéressant de soulever cette question. Les résultats de ce questionnaire mettent en avant que la classe moyenne serait plutôt favorable à ce que les élections présentent des candidats du PCC multiples (69.9%). Par contre, ils seraient majoritairement contre des élections multipartis (24.9%). Un quart d’entre eux expriment donc leur soutient au système « anti-démocratique » du parti unique. En conclusion, cette étude menée par Jie Chen entre décembre 2006 et janvier 2007 a permis de mettre en avant une situation paradoxale de la classe moyenne vis-à-vis de la démocratie. En effet, elle semble soutenir certains aspects de la démocratie, comme par exemple la protection des libertés individuelles, mais rejette un bon nombre d’éléments constitutifs des démocraties modernes, à savoir la participation populaire et les élections concurrentielles. Plus loin, certains chercheurs considèrent qu’il existerait une « peur démocratique » parmi la classe moyenne. Cet argument a été développé par An Chen, professeur à l’université de Singapour et ancien chercheur à l’ASSC, qui s’est posé la question de savoir « pourquoi la classe moyenne chinoise n’aime-t-elle pas la démocratie ? » Il aurait remarqué en effet que la démocratie telle qu’elle est conçue en Occident est perçue par la classe moyenne comme fauteuse de trouble. Selon lui, les chinois n’aimeraient la démocratie, et ce pour quatre raisons 144 : • Beaucoup de chinois de la classe moyenne font parti de la classe politique (notamment les entrepreneurs privés) • Un certain nombre d’entre eux aurait également tendance à avoir un « complexe élitiste » qui les empêcherait d’adhérer au principe démocratique du « 1 citoyen- 1 voix » : considérant leur pouvoir économique, ils ne souhaiteraient pas avoir le même pouvoir politique que « le peuple », les pauvres et les ruraux, qui représentent encore aujourd’hui la majorité de la population.145 144 An Chen, “Capitalist Development, Entrepreneurial Class, and Democratization in China”, Political Science Quarterly 117 no.3 (2002): pp.401-422. Publié par The Academy of Political Science, New York. 145 Ibid, p. 417 96 • Par ailleurs, ils sont effrayés par les tensions sociales causées par les disparités économiques et sociales, et ne veulent pas en rajouter avec l’effondrement du régime146, • Enfin, ils feraient souvent l’association entre « démocratie » et « chaos politique, effondrement économique, mafias »147… Ainsi, pour des raisons d’intérêt personnel, nous avons constaté que les chinois préfèrent l’ordre social à la démocratisation à l’occidentale, qui intègre des éléments dont elle ne veut pas, comme la participation politique. Il faut voir que cette conception démocratique est synonyme pour elle de chaos et de bouleversements sociaux, qui pourraient nuire à ses intérêts148. C’est pour cela qu’on enregistre une préférence pour la préservation du statut et de l’ordre social plutôt que pour la protection des droits politiques. Cependant, nous allons voir à présent que la Chine développe, en parallèle de notre mode de pensée, un système démocratique qui lui est propre, et qui s’apparente à la vision asiatique générale sur la démocratie. Section 2 : La perception asiatique de la démocratie Nous allons nous attacher à décrire dans cette partie la « démocratie à la chinoise », ou plutôt à l’asiatique, et nous nous appuierons pour ce faire sur une étude de Tianjian Shi qui a particulièrement éveillé mon intérêt.149 En effet, il a interrogé la population chinoise de manière à faire ressortir sa vision de ce que doit être une démocratie. Je trouve cette idée très juste, car, nous, citoyens de démocraties occidentales, avons souvent tendance à penser que notre système de gouvernance est le meilleur et que, de fait, il doit être adopté par tous. Loin de moi l’idée de désavouer nos 146 Ibid., p. 412 147 Ibid., p. 413-414 148 Xiao Gonging, “The Rise of the Technocrats”, Journal of Democracy - Volume 14, Number 1, January 2003, p.62 149 Tiajian Shi, “China: Democratic Values Supporting an Authoritarian system” dans How East Asians view democracy? Colombia University Press, 2008, p212-218 97 démocraties. Cependant, je trouve qu’il est nécessaire qu’on fasse ce travail de mise en contexte, qui est, de fait, parfois éludé150. Dans cette optique, Tiajian Shi a essayé de comprendre comment les chinois définissaient le terme de « démocratie ». Se faisant, il tire la conclusion que la majorité de la population est déjà pro-démocrate et qu’elle est, en réalité, satisfaite du niveau de démocratie mené par le gouvernement chinois. Cependant, il note que la perception démocratique des participants n’est effectivement pas la même que celle que l’on connait dans nos pays. En outre, l’analyse des entretiens qu’il a effectué montre que les participants chinois en ont une perception typiquement asiatique, tournée vers une définition populiste. Par exemple, la majorité des participants associent la démocratie à l’augmentation des libertés personnelles qui ont accompagnées les politiques d’ouverture en Asie de l’Est, et comme un mode de gouvernement où les autorités prennent en compte l’opinion des citoyens. Seulement un quart définissent la démocratie en termes de droits politiques, d’institutions et de procédures, comme nous le faisons. Selon ces définitions, l’étude montre que 85% des participants pensent que le régime politique chinois est démocratique. Considérant cela, nous comprenons d’autant plus que la classe moyenne soutienne le système en place. Je pense qu’il est nécessaire de pouvoir concevoir qu’un pays culturellement différent de nous puisse avoir une vision dissemblable sur des questions comme la démocratie et le mode de gouvernance. Il n’y a pas qu’une seule solution à un problème, et les solutions diffèrent selon le point de vue qu’on adopte. Nous devons garder cela en tête quand nous analysons le mode de gouvernement chinois. Cependant, il est certain que la « démocratie à la chinoise » est, dans les faits, défaillante à bien des égards. D’ailleurs, les défaillances commencent à être montrées du doigt, donnant lieu à des revendications multi-facettes. C’est ce que nous allons voir dans le prochain, et dernier, chapitre de ce mémoire. 150 Je pense ici aux actions de promotion de la démocratie américaines aux Moyen-Orient, qui peuvent être, à bien des égards, critiquées. Voir : Philippe Droz-Vincent « Du 11 septembre 2001 à la guerre en Irak : les « nouvelles frontières » du Moyen-Orient », A contrario 2/2005 (Vol. 3), p. 110-129. 98 Chapitre 3 : Vers une montée des contestations ?151 Les précédents chapitres ont insisté sur le fait que la classe moyenne contribue à la stabilité politique et sociale du pays. Toutefois, de récents évènements permettent à certains universitaires de remettre cette idée en question 152 . En effet, nous sommes aujourd’hui témoins d’une montée des contestations au sein de la population chinoise ; contestations de nature diverse et qui laissent présager l’entrée de la Chine dans une nouvelle ère, une ère où, selon He Li, les conceptions matérielles commencent à être dépassées par des valeurs morales, poussant le pays vers des mouvements pro démocratiques153. Il est vrai que cette question est encore beaucoup débattue dans les rangs des sociologues et des observateurs de la société chinoise, et que personne ne peut prétendre connaître la conclusion finale. D’un côté, nous avons les « frileux », ceux qui considèrent ces revendications comme universelles dans le discours (respect du droit, liberté de protestation) mais toujours locales et précises dans la pratique (par exemple, obtenir la fermeture d’une usine polluante, faire renoncer à un projet immobilier ou encore arracher au régisseur de l’immeuble la gestion des parties communes) et qui ne pensent pas que ces revendications auront une quelconque influence sur l’avenir politique du pays154. D’un autre côté, nous avons ceux qui, comme moi, pensent que la nouvelle génération, éduquée et ouverte sur l’extérieur, a de grandes chances de faire changer la trajectoire du pays. Dans quel sens exactement ? Nous ne somme pas en mesure de le savoir aujourd’hui, mais je suis intimement persuadée qu’elle sera moins docile et moins peureuse face aux changements que la génération qui lui a précédé. Nous allons donc nous attacher dans ce dernier chapitre à développer l’argument suivant: aujourd’hui, la montée des contestations, demain, une possible transformation du pays. 151 Je préfère, dans toute la partie qui va suivre, majoritairement parler de « population chinoise » au lieu de « classe moyenne chinoise », car rien ne nous permet de juger que les protestations sont l’unique fait de la classe moyenne. 152 Yi Zhang “Are the middle Classes a stabilizer of the Society? In Li, ed., Bijiao Shiye Xia De Zhongchan Jeiji Xingdheng 153 He Li: Emergence of the Chinese Middle Class and its implication, Asian Affairs 33, numéro 2, 2006, pp. 6784. 154 Jean-Louis Rocca, “Pour la classe moyenne chinoise, la stabilité avant tout”, Dossier : Comment niassent les révolutions ; Le Monde Diplomatique, Mai 2009, 99 Section1 : Progression de revendications multi facettes 1. Des revendications financières, conséquence directe de la crise de 2008 Les revendications d’ordre financier sont les plus évidentes à l’échelle du pays, et doivent être tenues pour conséquence de la crise mondiale de 2008, qui a affaibli le marché du travail, le marché des stocks et le marché de l’immobilier, qui avaient alors contribué à la croissance de la classe moyenne. La nature des insatisfactions concernent, en majorité, l’emploi, surtout pour les jeunes diplômés et les travailleurs migrants. Pour les premiers, l’entrée sur le marché du travail, en ces temps de crise, est particulièrement difficile, car les emplois se font plus rares et leur manque d’expérience joue en leur défaveur155. Seulement, nous l’avons déjà remarqué, les jeunes chinois sont très sensibles aux injustices ; pour eux, cette difficulté à trouver un emploi relève de la plus grande injustice, car, paradoxalement, ils n’ont jamais été aussi bien formés. Pour les travailleurs migrants, le problème de l’emploi représente également une menace, prompte à éveiller des contestations, car ils ont des emplois souvent précaires, et ce sont eux les premières victimes des licenciements. Toutefois, je souhaite mettre en avant que les situations que je viens d’exposer ne concernent pas directement les rangs de la classe moyenne, car les jeunes et les migrants n’en font généralement pas parti, du moins, pas encore. Mais les contestations sont en lien avec « l’idée de la classe moyenne », car si l’on y réfléchi davantage, le leitmotiv des revendications est d’atteindre les conditions de vie de la classe moyenne. Par ailleurs, le droit du travail et la stabilité de l’emploi sont des sujets également sensibles. Les employés chinois, dans ce contexte de crise, commencent à être particulièrement attentifs – et même prêts à tout- pour que leurs droits de travailleurs soient pris en compte. Pour illustrer cette idée, prenons le tragique exemple des évènements survenus dans l’usine publique Tonghua Steel, en juillet 2009156. De fait, des milliers de travailleurs de cette usine, dans la province de Jilin, avaient fait grève pour protester contre l'acquisition de la société par une entreprise privée basée à Pékin. Ils redoutaient des conditions de travail plus difficiles et 155 Idib, Selon l’article, le nombre de jeunes diplômés sans travail s’élèverait à 6 millions ; pour ceux qui ont un travail, certains ont vu leur salaire diminuer jusqu’à 70%. 156 Eric Mu “Angry workers beat Tonghua Steel boss to death” Danwei: Chinese media, advertising, and urban life. http://www.danwei.org/front_page_of_the_day/executive_of_tonghua_steel_was.php 100 une baisse des salaires. La manifestation a eu un dénouement tragique, lorsque la foule, très remontée, s’en est pris à Chen Guojun (le directeur exécutif de l’entreprise, qui voulait faire cesser le mouvement), le tabassant jusqu’à ce qu’il décède. Les manifestants ont obtenu satisfaction, l’acquisition n’ayant, au final, pas eu lieu, mais à quel prix ! Dans un autre registre, la question des salaires et des taxes est également une source de contestations à prendre en considération. En effet, beaucoup protestent pour l’augmentation des salaires et pour la réforme du système de fiscalité. En Chine, l’impôt sur le revenu frappe durement ceux qui ont des revenus déclarés, les professeurs d’université par exemple, tandis que les patrons d’entreprise (qui gagnent en réalité davantage), remplissent une feuille de salaires mensongère, déclarant une rémunération inférieure au revenu imposable, et en contrepartie, s’achètent des voitures, des maisons… Selon Qi Liang, « en Chine, si tu es le patron d’une grosse entreprise, tu as le pouvoir d’échapper au fisc ; si tu es pauvre, tu n’as aucun pouvoir et tu paies. La réforme fiscale et le renforcement des contrôles sont des politiques à mettre en place rapidement. »157Ainsi, la couche inférieure de la classe moyenne, celle qui gagne de faibles revenus durement taxés, commencent à protester contre ce système de rémunération et de fiscalité. En novembre 2008, des chauffeurs de taxi avaient entamés un mouvement de grève inhabituel à Chongqing, l’une des principales métropoles du pays158. Ils exprimaient leur mécontentement car le prix de l’unité kilométrique n’avait pas changé depuis huit ans, stagnant à 50 centimes (5 yuans), ce qui est bas, et que paradoxalement, le prix de l’essence augmentait. En plus, chacun devait verser 200 yuans par jour à leur employeur, et devait faire des queues de parfois deux heures pour obtenir de l’essence. Les conditions pour les chauffeurs de taxis étaient devenues insupportables, le travail trop peu rémunérateur, les forçait parfois à travailler 20 heures d’affilé pour joindre les deux bouts. Les 9000 taxis répertoriés de la ville ont donc décidé de se mettre en grève, bloquant ainsi l’activité de la métropole. Ca a été une mobilisation qui a marqué les esprits, car elle a réussie à être suivie par l’ensemble des taxis de la ville, sans aucun support syndical, étant donné qu’en Chine, un seul syndicat existe, et qu’il est contrôlé par le parti communiste. Ces exemples nous montrent que le gouvernement doit prendre en compte les revendications naissantes de cette nouvelle strate, au risque de la voir devenir une classe en colère ! Li Qiang, « La classe moyenne chinoise dans un parcours de sociologue », dans La société chinoise vue par ses sociologues. , Presses de Sciences Po, 2008, p. 133-140. 158 « Mouvements inhabituels de colère de chauffeurs de taxi en Chine » Source AFD, Publié par le site internet : Chine Aujourd’hui. http://chine.aujourdhuilemonde.com/mouvement-inhabituel-de-colere-de-chauffeurs-de-taxi-en-chine 157 101 2. Des revendications sociales, symbole de la lutte contre les inégalités A l’époque communiste de Mao, la Chine était le pays où les inégalités sociales étaient les plus faibles, tous pays confondus, avec un coefficient de Gini de l’ordre de 0,20. Or, en une vingtaine d’années, la donne a changé, et le pays doit gérer des inégalités qui ne cessent de s’aggraver. Ces inégalités peuvent être autant économiques – fossé riches/pauvres- que géographiques – villes/campagnes. Concernant les inégalités économiques, il faut voir qu’à mesure que la classe moyenne se développe, on constate en parallèle un fossé grandissant entre les riches, qui deviennent encore plus riches, et les pauvres; surtout depuis la crise de 2008159. De là, un clash est sur le point d’émerger entre ces déshérités et les nouveaux capitalistes et gouvernements locaux160. Considérant le soutient mutuel entre les politiques socialistes et les acteurs du marché capitaliste chinois, qui se favorisent les uns les autres, et qui prônent la stabilité sociale pour le maintient de leurs intérêts respectifs, les mesures politiques présentent des failles. En effet, la couche basse de la population (travailleurs migrants, paysans sans terres expropriés…), celle pour qui l’enrichissement est le moins élevé, mais qui représente pourtant le plus grand nombre de la population, est très mal prise en compte : mauvaises politiques de redistribution des revenus et absence de système de sécurité sociale. Ceci conduit à des révoltes locales de plus en plus nombreuses. La question reste ouverte de savoir si la classe moyenne va être affectée par ces bouleversements. Son futur développement et son futur champ d’action politique va dépendre essentiellement de la gravité de ces conflits sociaux dans le futur, et des moyens politiques pour les régler. En parallèle, afin de se sortir de la pauvreté, beaucoup de travailleurs ruraux migrent vers les villes, dans l’espoir de trouver un travail mieux rémunéré et de meilleures conditions de vie. Cela a pour conséquence directe, d’une part, que la Chine doit maintenant gérer une crise des campagnes, mais d’autres part, que les travailleurs migrants, très nombreux, ne trouvent pas forcément ce qu’ils sont venus chercher en ville. En définitive, tout est lié : à mesure que le fossé riches/pauvres s’accroit, le fossé entre l’urbain et le rural s’accroit également. Or, les inégalités sociales sont un facteur majeur de revendications pour la population, peu habituée à de tels écarts. 159 Xie Wu, « Poll, corruption, public discontent most worrisome » China Daily, 7 septembre 2010. Z. Xiaohong et Q. Chen « Globalisation and China’s Middle Class » dans China’s Emerging Middle Class, Brookings Institution, p. 99 160 102 Par ailleurs, les revendications relatives à l’environnement sont en train d’exploser. On prédit d’ailleurs qu’elles vont augmenter en force dans les années à venir. De fait, le secteur commence à s’organiser sensiblement, si l’on considère le nombre impressionnant de nouvelles ONG et de nouvelles organisations sociales qui font jour chaque année depuis l’entrée de la Chine à l’OMC en 2001. Friends of Nature est une de ces organisations, qui lutte pour la sensibilisation environnementale ; elle est d’ailleurs à l’origine d’un « green paper » sur la protection de l’environnement161. Les individuels également prennent très à cœur les questions concernant les impacts écologiques, et se mobilisent fréquemment pour soutenir des causes telles que la fermeture d’une usine chimique ou encore pour la construction d’un incinérateur à déchet162. Il faut dire que le pays est en passe à un ras-le-bol général ; dans les médias chinois, les catastrophes écologiques sont presque quotidiennes. En ce moment même (2011), le golf de Bohai est d’ailleurs touché par une marée noire d’ampleur inquiétante, dont l’existence avait été cachée au public pendant près d’un mois, provoquant la colère de nombreux chinois163. Ces dernières semaines, à Dalian, des manifestations ont éclaté, cette fois, suite à la tempête Muifa, qui a rompu la digue de protection d’une usine chimique dans la région, faisant courir le risque d’une pollution massive. 164La catastrophe a été évitée, mais des appels à manifester pour demander le déplacement de l’usine ont commencé à émerger sur Weibo, un site communautaire chinois. 12 000 citadins se sont ainsi rassemblés dans les rues de la ville, pour revendiquer le droit à « un environnement sain ». De nombreuses photos ont circulé sur internet, et la censure du gouvernement a été incapable de faire face à l’ampleur d mouvement. Selon l’article, « sans doute effrayés par l’ampleur de la mobilisation, les autorités ont annoncé l’arrêt immédiat de l’usine, en attendant d’organiser son déplacement ». Cet exemple montre bien que la population chinoise n’est plus aussi docile que par le passé, quand ses intérêts sont en jeu, et qu’elle entend bien faire entendre sa voix pour obtenir les changements qu’elle estime nécessaires. 161 http://www.fon.org.cn/channal.php?cid=774 En 2009, une association de quartier organisée via le web a milité pour la construction d’un incinérateur à déchets à Guangzhou. http://www.lifeofguangzhou.com/node_10/node_37/node_85/2009/12/11/126049580072339.shtml 163 « Des milliers de manifestants victorieux dans l’est de la Chine », Aujourd’hui le Monde, 15 aout 2011 http://chine.aujourdhuilemonde.com/des-milliers-de-manifestants-victorieux-dans-lest-de-la-chine 164 Ibid, 162 103 Dans un autre registre, l’impressionnante augmentation du prix de l’immobilier -surtout sur la côte est, et dans les mégalopoles- est un phénomène qui éveille de vives tensions pour la classe moyenne chinoise, qui est confrontée à un gros problème d’accès au logement. Rappelons ici que UN-Habitat considère les villes chinoises comme « sévèrement inaccessibles » pour les populations. Les mesures de privatisation du logement ont augmenté le taux de propriété et la qualité du logement mais a engendré une raréfaction des biens immobiliers, et qui sont donc devenus beaucoup plus chers (selon la loi de l’offre et de la demande) C’est un problème pour les bas revenus et les jeunes travailleurs, problème en phase de devenir une réelle problématique sociale. En effet, la dépense moyenne par foyer s’élève à 9,00$/jour, atteignant les standards de la majorité des pays développés, mais les salaires ne suivent pas 165 . Le remboursement des prêts entame une grande partie des revenus, et est même la principale dépense des foyers chinois aujourd’hui selon Xiaojun Yan166. C’est un sujet qui doit réellement être pris en compte, car il a un impact très négatif sur les conditions de vie de la classe moyenne ; d’autre part, il ne faut pas oublier que c’est ce qui a plongé les Etats-Unis dans la plus grosse crise financière de ce début de siècle, quand les américains ont été incapables de rembourser leurs prêts167. Ainsi, l’immobilier, à l’origine de l’enrichissement de beaucoup de foyers de la classe moyenne, risque de devenir un sujet sensible, à l’impact négatif sur la stabilité du pays. Sans une amélioration de l’accessibilité au logement et une prise en charge des bas revenus, les mécontentements risquent d’augmenter. 3. Une indignation politique, pour un Etat de droit La Chine a connu un développement économique sans précédent dans l’histoire des économies modernes. Toutefois, le régime politique est resté inchangé, et les dissidences sont encore aujourd’hui sévèrement réprimées. Les évènements de Tiananmen, en 1989, restent très présents dans les esprits, et peut expliquer dans une certaine mesure que les revendications n’ont, depuis lors, porté que sur des domaines locaux et spécifiques, comme nous venons de l’exposer dans les points précédents. En 1989, des révoltes étudiantes avaient 165 Joyce Yanyun Man, « China’s Housing Reform and Emerging Middle Class », Cheng Li dir, China’s emerging Middle Class, Brookings Intitution, 2010, p 183. 166 Annexe 1 : Entretien avec Xiaojun Yan 167 C’est un peu plus compliqué que ça ; mais l’on ne va pas se lancer dans une explication de la crise de la dette. Pour toute information complémentaire, se référer à : Paul Jorion, L'Implosion. La finance contre l'économie : ce qu'annonce et révèle la crise des subprimes, 2008, Fayard, Paris. Consulter également son blog http://www.pauljorion.com/blog/ 104 en effet éclaté et avaient été réprimées dans le sang. Mais, selon Liu Xiaobo, le désormais célèbre dissident chinois qui menait la révolte étudiante, ces évènements ont réveillé les consciences et attiré l’attention des chinois sur la question des droits de l’homme168. Cette prise de conscience des chinois a amené trois types de revendications sur le devant de la scène : des revendications au nom des libertés, des revendications contre la corruption des officiels du gouvernements et enfin des revendications pour plus de transparence de la part de l’Etat. En soi, toutes ces revendications tournent autour d’un seul et même point : la mise en place d’un Etat de droit. En effet, ce serait l’absence de l’Etat de droit qui empêcherait la société d’être juste et efficacement gouvernée. « Promptes à défendre leurs intérêts, les couches moyennes considèrent le droit comme le nec plus ultra de la régulation sociale »169. Nous allons donc aborder, dans les paragraphes qui vont suivre, les raisons politiques du mécontentement de la classe moyenne chinoise. • Libertés et droits de l’homme : Une des revendications majeures des chinois est l’élargissement des libertés individuelles et des droits de l’homme, sujets sensibles en Chine. Comme nous l’avons vu dans le chapitre précédent (Figure 6), les chinois soutiennent les libertés individuelles, comme la liberté d’établissement, de conscience ou d’expression. Or, ces libertés sont encore beaucoup bafouées en Chine. Prenons par exemple la liberté de la presse. Xin Ziling, intellectuel chinois, déclare que les libertés d’expression et de presse, pourtant inscrite dans la constitution, sont régulièrement violées : selon lui, les gens en Chine ne peuvent pas parler ou écrire sans être importunés 170 . Il a fait circuler une pétition au Parlement National Chinois pour faire cesser ces pratiques de censure à l’encontre de la presse. Il ne dénonce pas uniquement la répression qui est faite à l’encontre des dissidents, mais également la censure latente sur toutes les questions politiques. Par exemple, le récent soutien pour la réforme politique du Premier Minsitre, Wen Jiabao, a été bizarrement évincé des médias chinois. 168 Interview de Liu Xiaobao par France 24 : http://www.dailymotion.com/video/x5oc4h_liu-xiaobo-dissidentchinois-et-pri_news 169 Jean-Louis Rocca, “Pour la classe moyenne chinoise, la stabilité avant tout”, Dossier : Comment niassent les révolutions ; Le Monde Diplomatique, Mai 2009, 170 China's muffled media : Gagging to be free, Momentum builds for a freer press3 The Economist, 21 octobre 2010, http://www.economist.com/node/17309207 105 Pourtant, de nombreux militants sont optimistes quand au changement libéral à venir. Dai Qing, un éminent dissident, note la diversité des origines des personnes poussant pour une loi sur la presse: sont inclus des jeunes journalistes, des membres du parti et des fonctionnaires chevronnés, et même un ou deux militaires171. Il faut dire que dans cette affaire, la population peut compter sur le soutient des puissances étrangères, notamment les Etats-Unis, qui s’indignent de la perpétuation de la répression en Chine. Cette voix s’est faite récemment entendre, suite aux vagues d’arrestations, d’assignations à résidence et de mesures d’éloignements visant les opposants chinois depuis le début des révoltes dans le monde arabe172. La mise en place de canaux légaux de protestation est réclamée, afin d’asseoir une forme de représentation sociale des intérêts. Les chinois essaient de faire entendre leur voix, et pour cela, il semble qu’ils ne peuvent compter que sur internet, qui, même si sujet à la censure, reste une solution très efficace ; si l’on prend en considération les évènements survenus dans les pays du Moyen-Orient au printemps 2011, on peut se rendre compte de son réel pouvoir. C’est pourquoi il est tant redouté par le gouvernement, craignant que cela ne donne de mauvaises idées aux jeunes chinois, qui, disons-le , sont très créatifs et ne cessent de trouver de nouveaux moyens pour exprimer leurs mécontentements Pour ça, les blogs sont très contrôlés en Chine. Au fil de mes recherches, j’ai trouvé un blog intéressant qui parait refléter la situation de la Chine actuelle173 : l’auteur, un chinois vivant en France, dégage les contradictions qu’il rencontre dans sa volonté de s’exprimer sur la toile. En effet, il explique que s’il écrit son blog en français, ce n’est pas par plaisir. Au contraire, écrire dans sa langue natale lui permettrait d’être plus à l’aise, et de mieux exprimer ses idées et sentiments. Après avoir écrit pendant des années sur un blog français, il a ressenti le besoin de retourner à l’écriture d’un blog en Chine. Le blog n’aura pas tenu un mois, alors qu’il raconte « J’ai été prudent : bien réfléchissais les sujets, afin qu'ils auraient été à la fois importants, intéressants et auraient moindre risque d’être censuré. Chacun mot et chacune 171 Ibid, « Droits de l’homme, Washington passe à l’offensive face à Pékin », Le Monde, 11 mai 2011. http://www.lemonde.fr/ameriques/article/2011/05/11/droits-de-l-homme-washington-passe-a-l-offensive-face-apekin_1520068_3222.html 173 http://caichongguo.blog.lemonde.fr/ 172 106 expression ont été bien choisit. » 174 Le blog s’est vu fermé suite à un article de la visite de Barack Obama, Président des Etats-Unis, en Chine, et à deux lettres sur l’accident minier, qui a fait 108 de morts, en 2009. Pour autant, il pensait avoir porté une grande attention à ce qu’il écrivait et aux solutions qu’il apportait, pour que rien ne trahisse ses émotions, ce qui l’empêcherait de rester sur la toile. La conclusion qu’il tire de cet acte manqué est qu’il se trouve confronté à un dilemme « soit écrire en français sans liberté intérieur(e), soit écrire en chinois en subissant la pression extérieur(e). Le dilemme me coince en permanence. », explique-t-il. • Corruption Des insatisfactions naissent dans la population chinoise à propos de la corruption d’Etat. Selon une étude récente publiée par China Daily175, la majorité des chinois sont convaincus que la corruption et le mécontentement grandissant va conduire le pays à des troubles sociaux. La corruption et la croissance des inégalités sociales seraient, selon cette enquête, les deux facteurs majeurs du mécontentement populaire. Des « citoyens ordinaires » interrogés, pensent que la foi dans le gouvernement est sur le déclin, à cause principalement de la corruption. Certains officiels du gouvernement toucheraient plus que leur salaire d’administrateur ne leur permettrait, et mèneraient un rythme de vie digne d’un riche homme d’affaires, ce qui énerve considérablement la population. En 2010, ils étaient près de 106 000 officiels dans ce cas là, et chaque année, ce chiffre ne cesse d’augmenter.176 • Transparence étatique En parallèle, une forte revendication de transparence étatique est demandée. Une des explications peut être que, comme la classe moyenne est celle qui contribue le plus aux recettes fiscales du gouvernements, elle revendique de savoir où va cet argent et comment il est utilisé, plus que les autres groupes. 174 Je choisis ici de ne pas corriger les fautes de français, car je trouve que cela révèle beaucoup de la personnalité de l’auteur. On arrive, par cette phrase, à sentir le désarroi et le vrai besoin pour l’auteur à écrire en chinois. Son français est très correct, et même, distingué. Cependant, on remarque, avec des fautes comme celles-ci, que ce n’est toutefois pas sa langue maternelle. D’où, le besoin d’un blog chinois. 175 Xie Wu « Poll, corruption, public discontent most worrisome » China Daily, 7 septembre 2009. 176 « Corruption up among China government officials », BBC News, 8 janvier 2010, http://news.bbc.co.uk/2/hi/asia-pacific/8448059.stm 107 Par ailleurs, la classe moyenne peut se montrer cynique envers les promesses du gouvernement et dans la mise en place de nouvelles politiques. Elle a souvent l’impression que le gouvernement n’est pas totalement honnête, comme ce fut le cas en juillet 2011. Le 23 juillet 2011, un train a déraillé, faisant 40 morts et près de 200 blessés177. La colère qu’a provoqué l’accident ne vient pas de la catastrophe elle-même, mais de la volonté du gouvernement de dissimuler, pense-t-on, sa part de responsabilité dans cette affaire. En effet, quelques heures seulement après l’accident, les autorités se sont empressés d’enterrer les wagons sans expertise préalable et ont sommé les journalistes de ne pas enquêter sur cette affaire. Les raisons suspectées à de tels agissements sont que les autorités se seraient empressées de construire les lignes TGV aux dépends de la qualité de la construction. En effet, selon certains, si le développement du secteur des TGV se trouve ralentit, l’économie des gouvernements locaux en souffre beaucoup. Au final, cela a fait l’effet d’une poudrière. Les familles de victimes, en premier lieu, puis les journalistes et les populations civiles ensuite, ont protesté contre ce qui leur semble être une manque de transparence de l’Etat. En quelques mots, nous pouvons dire que des épisodes de contestation se mettent en place dans le pays, et ce de manière de plus en plus fréquente. La nature des protestations peut être diverses, mais, dans les années à venir, il est fort probable que ce mode d’expression devienne, à moins d’une radicalisation du régime politique, de plus en plus courant, surtout si l’on prend en considération l’arrivée dans les rangs de la classe moyenne des jeunes de la génération post-80, auxquels nous allons consacrer cette dernière section. Section 2 : La génération 80 : une génération « en colère »178. La nouvelle génération est, à mon avis, à considérer avec une extrême attention. D’ici à 2025, elle fera son entrée ou confirmera sa présence dans les rangs de la classe moyenne. Selon des prévisions, dans quinze ans, la moitié de la population urbaine fera partie de la classe moyenne et concernera les gens d’entre 25 et 44 ans, donc ceux de la génération post-80179. Comme nous l’avons vu dans la première partie de ce mémoire, cette génération post-80 est porteuse d’espoir pour le futur, car elle se distingue par des caractéristiques nouvelles, comme l’implication volontaire, l’utilisation d’internet et d’autres sources d’informations… 177 « Accident de tain de Wengzhou : les Chinois veulent la vérité » China Daily, 2 ! juillet 2011, http://chine.aujourdhuilemonde.com/accident-de-train-de-wenzhou-les-chinois-veulent-la-verite 178 Wang Lingyan « Post 80: the vexed generation », China Daily,27 mars 2009. 179 Helen Wang, The Chinese Dream: The rise of the World’s largest middle Class, Best seller Press, pp. 37-57 108 La montée contestataire a de forte de chance d’aller grandissante si l’on considère que, ces jeunes là, qui formeront la classe moyenne de demain, sont confrontés à un marché du travail très compétitif. Seulement 70% des diplômés réussissent à trouver un emploi dans les années qui suivent la fin de leurs études, ce qui a pour conséquence de construire une jeunesse très anxieuse180. En parallèle, la société est constamment victime de l’augmentation des prix des produits quotidiens qu’adorent consommer ces jeunes gens. Ces deux facteurs font que la jeunesse chinoise doute de plus en plus de la possibilité d’entrer plus tard dans la classe moyenne. Par ailleurs, la question du salaire perçu rentre également en ligne de compte. Selon une enquête réalisée dans la ville de Pékin, le salaire de départ est de 2655 yuans en 2009181: à partir de ce salaire là, si l’on déduit les coûts liés au logement, au transport, à l’achat de nourriture et de vêtements (le cout de la vie en milieu urbain), l’étude a montré que le solde est proche de 0. Les jeunes ont donc l’impression qu’ils ne pourront jamais s’acheter la maison de leurs rêves, et doivent diminuer de manière récurrente leurs aspirations, en s’installant dans les périphéries urbaines, voire à retourner chez leurs parents. On les appelle, en anglais, les NEET (Not in Employment, Education or Training)182. Par ailleurs, pour les jeunes employés qui ont déjà contracté un prêt, la situation n’est pas plus évidente: beaucoup d’entre eux comptent sur leurs parents pour les aider à payer les traites. Pour rendre compte des aspirations et des difficultés des étudiants qui formeront demain la classe moyenne chinoise, Zhang Hongyi a conduit une étude auprès des étudiants de six universités chinoises 183 de la province de Shandong. Selon les résultats obtenus : • 33% estime qu’il est difficile de trouver du travail à la sortie del’université, et ce nombre augmente jusqu’à 65% quand il est question de trouver un travail qui corresponde à leurs aspirations. • Seulement 10% des étudiants interrogés trouvent un travail satisfaisant leurs attentes. • La majorité considère qu’il leur est bien plus difficile de trouver du travail que pour la génération précédente. Pour pallier à cette difficulté, un grand nombre d’étudiants choisissent de prolonger leur étude encore et toujours (doctorats), souhaitant ainsi remettre à plus tard leur entrée dans le monde 180 Jing Lin et Xiaoyqn Sun, « Higher education and China’s Middle Class » dans Cheng Li dir, China’s Emerging Middle Class, Brookings Institution, 2010, pp. 230. 181 Ibid, 182 Ibid, 183 Zhang Hongyi, « A survey of Graduates’ Employment and New Venture Creation in China » in 2008”International Education Studies numéro 1, 2009. 109 du travail. Cette anxiété et cette frustration se ressentent d’autant plus aujourd’hui si l’on ajoute le facteur inconfortable de la crise de 2008. Le gouvernement doit donc redoubler d’efforts pour que cette classe moyenne trouve du travail, car sinon, la « génération en colère »184 risque de mettre un terme à l’impressionnante stabilité politique qui caractérise la Chine d’aujourd’hui. Pour exprimer leur colère et déchainer à leurs frustrations, les jeunes ont recours majoritairement à internet. En effet, les jeunes internautes sont très nombreux aujourd’hui en Chine, et on gagné le surnom de « neitizens », qui désigne les internautes âgés d’au moins 6 ans, et qui ont une activité sur la toile depuis plus d’un an. En 2009, le CNNIC (China Internet Network Information Center) a mené une étude sur le comportement des jeunes utilisateurs d’internet en Chine, pour mettre à jour les nouvelles tendances : 55% des jeunes sont des utilisateurs d’internet. Pour mettre ces chiffres en parallèle, aux Etats-Unis, pour la même catégorie de sondés, on recensait 29 %. 185 Ces jeunes utilisent la force d’internet (consultations des sites gouvernementaux, des médias sociaux, des blogs…) encore plus que dans nos pays occidentaux. Par ailleurs, internet leur sert d’outil pour dénoncer les injustices auxquelles ils doivent faire face, et pour dénoncer des comportements socialement inacceptables, comme la corruption, les manipulations politiques, les adultères ou les discours inappropriés. Les jeunes chinois ont, avant même que les réseaux sociaux se soient développés dans le reste monde, inventé un réseau, le « human flesh search engine », au départ destiné à rechercher des films et de la musique via internet, mais qui, avec 210 millions de Chinois connecté, est devenu un concept puissant et a rapidement fait son chemin. Il est aujourd’hui utilisé comme un outil pour punir les auteurs de relations extraconjugales, la violence domestique et les crimes d’immoralité. Mais il peut aussi être utilisé pour des actions plus politisées, comme le montre l’exemple de Zhou Jiugeng, un membre du gouvernement, dénoncé pour corruption : il a été observé et dénoncé pour possession d’objets et de voitures de luxe, possession que son salaire ne permettait pas de justifier. Il a été contraint de quitter ses fonctions et condamné par la suite à 11 ans de prison186. 184 Fenqing, est le surnom que les chinois utilsent pour parler de cette classe en colère. 185 Jing Lin et Xiaoyqn Sun, « Higher education and China’s Middle Class » dans Cheng Li dir, China’s Emerging Middle Class, Brookings Institution, 2010, pp. 234. 186 Ibid, 110 Nous voyons donc que les jeunes utilisateurs d’internet savent faire retentir leur voix sur la toile. Anonyme et facile d’utilisation, c’est un outil révélateur des sentiments des jeunes chinois. Cette nouvelle génération, ciment de la future classe moyenne, se composent donc de membres participatifs, qui diversifient leurs sources d’information, et qui sont doués pour construire du réseau social. Leur utilisation d’Internet est souvent éclairée, comme ils montrent leur intérêt pour les questions sociales, la recherche de ce qui est juste. Par ailleurs, ce sont des jeunes « ouvert sur le monde » qui les entoure187. Selon Jing Lin, plus de la moitié des jeunes sont inscrits dans des associations et 80% d’entre eux sont engagés dans la Jeune ligue communiste : ils ont le sentiment qu’ils peuvent avoir une voix aux travers des députés, et peuvent bien avoir l’intention de s’en servir dans les années à venir. En conclusion de cette section sur la montée des contestations en Chine, je souhaiterais souligner ce que beaucoup de chercheurs chinois admettent aujourd’hui : la classe moyenne est « profiteuse » 188 dans le sens où « elle ne va pas risquer ses propres intérêts pour promouvoir le changement démocratique ni refuser les bénéfices que peut leur apporter la démocratie »189. Elle est hésitante quand à l’attitude qu’elle doit adopter. Jusqu’à présent, ses intérêts ont été plutôt protégés par les politiques du gouvernement. Mais, si cela venait à changer, la stabilité du régime chinois serait sûrement menacée. 187 Annexe 1: Entretien avec Xiaojun Yan En anglais dans le texte : « vacillating opportunists » 189 Cheng Li, Chinese Scolarship on the Middle Class”, Cheng Li dir, China’s Emerging Middle Class, Brookings Institution, 2010, p 77. 188 111 Conclusion L’émergence de la classe moyenne chinoise marque une rupture indéniable dans l’histoire de la société chinoise. A mesure qu’elle s’élargie et qu’elle se développe, un nouveau profil chinois fait jour, qui change profondément le visage de la Chine contemporaine. Les changements sont d’ordres divers, et peuvent s’établir d’un côté, sur la structuration sociale de la société, qui n’est depuis lors, plus régie par trois classes uniques, comme le voulait l’idéologie de la lutte des classes de Mao, mais bien par des multiples catégories socioprofessionnelles, comme par exemple les capitalistes, les techniciens, les commerciaux, ou encore, les auto-entrepreneurs. D’un autre côté, ces changements sont à établir dans les modes de vie des populations appartenant à la classe moyenne : le style de vie traditionnel chinois a tendance à être évincé au profit d’un mode de vie calqué sur celui des pays occidentaux, avec les pratiques de consommation l’accompagne. Toutefois, les manières de définir la classe moyenne font encore couler beaucoup d’encre aujourd’hui, sans qu’aucun consensus ne parvienne à se dessiner. Dès lors, les études sur la classification sociale de la Chine tendent à donner des informations et des segmentations contradictoires, et au final, la seule certitude qui se dégage, c’est qu’il faut considérer la classe moyenne comme une entité complexe, et faire en sorte de trouver l’unité dans la diversité. Par ailleurs, quand le rôle politique de la classe sociale est concerné, la classe moyenne a tendance à être opportuniste, dans le sens où ses actions sont animées par la défense de ses intérêts personnels. Pour l’instant, elle semble globalement satisfaite de la manière dont le gouvernement gère ses intérêts ; c’est pour cela qu’elle agit de manière à préserver sa continuité. Cependant, la croissance des inégalités dans la société et les difficultés découlant de la crise économique mondiale de 2008 ont semblé réveiller certaines animosités. Le futur rôle politique de la classe moyenne dépendra de la capacité du gouvernement à gérer les nouveaux obstacles qui se posent à lui dans le registre d’un monde globalisé où, de fait, les difficultés des autres pays ont des conséquences inévitables sur la société chinoise. Mais l’arrivée dans l’arène politique d’une jeunesse informée et volontaire va, me semble-t-il, changer la donne dans la stabilité politique du pays, même si, avec la société chinoise, comme je viens de le démontrer tout au long de ce mémoire, on ne peut être sûr de rien. 112 Toutefois, si nous posons maintenant la question de l’impact de l’essor de la société de consommation chinoise sur la scène globale, deux visions du futur de la Chine semblent se dégager aujourd’hui, et toutes les deux semblent dépendantes de l’évolution de la classe moyenne dans les années à venir190 . D’un côté, nous avons le scénario catastrophe: la Chine deviendrait une société avec une classe moyenne tentaculaire et mercantiliste, mais, en parallèle, au niveau global, il faudrait gérer une raréfaction des ressources. La Chine aurait alors une empreinte carbone scandaleuse, et pour continuer à exister de manière pérenne, viendrait à se rebeller contre les normes internationales et contre un siècle d’humiliation par les peuples occidentaux impérialistes. D’un autre côté, existe un scénario plus optimiste. En effet, selon certains, la nouvelle classe sociale tendra à pousser le pays à agir comme un acteur responsable sur la scène internationale, car, plus éduquée et au fait du fait politique que par le passé, elle comprendrait les enjeux de la coopération. Plus loin que le mode de vie à l’occident, elle viendrait également se calquer sur les prises de conscience occidentales, comme l’environnement ou encore les droits de l’homme. Mais, au fur et à mesure du développement de la classe moyenne, une autre question peut être posée: en effet, il s’agirait alors de se demander si la planète terre sera capable de supporter cette élévation du niveau de vie pour un milliard 300 millions de personnes sur les 20 prochaines années ? 190 L. Cheng, “The Middle Class in the Middle Kingdom”, dans China’s Emerging Middle Class, ed, Bookings Institution, 2010, p5 113 Annexes Annexe 1: Entretien de Xiaojun Yan: Lisa : Bonjour Xiao, merci pour avoir accepter de répondre à mes questions aujourd’hui. Je vais essayer de ne pas trop abuser de ton temps, comme tu m’as déjà beaucoup aidé ces derniers mois, me racontant des anecdotes de ton pays, la Chine. Alors, pour clarifier un peu ta situation avant de commencer, je vais t’introduire en quelques phrases, si tu le veux bien. Tu t’appelles Xiaojun Yan, tu es une jeune chinoise, diplômée de Français dans une université chinoise, venue faire un master en France, à l’Institut d’Etudes Politiques de Toulouse, dans la section « Développement Economique et Coopération Internationale ». Je vais aujourd’hui te demander de me parler de toi, de ta famille, et de la perception que tu as de la croissance de la classe moyenne dans ton pays. Si jamais tu veux ajouter quelque chose durant l’entretien, tu es bien sûr la bienvenue. Et si tu ne te sens pas à l’aise avec une des questions que je vais poser, surtout n’hésite pas à me le dire. C’est bon, tu es prête ? Xiao : Oui, c’est bon, vas-y. Tout d’abord, je souhaiterais que tu me parles de la perception que tu as de la Chine d’aujourd’hui par rapport à celle qu’à connu tes parents à la même époque que toi. Pour cela, j’aimerais que tu me fasses profiter de ta propre expérience. Tout d’abord, peut être serait-il bien que tu me parles de ta famille. De qui est-elle composée, et quelle sont leurs activités ? Et bien, le foyer dans lequel je vis en Chine est composé de ma mère, de mon père et de mon frère. Mon père est entrepreneur immobilier, ma mère est retraitée, et travaillait avant dans une entreprise de vin, et ton frère est policier. Depuis le début des années 2000, les prix de l’immobilier ont flambé en Chine, les intérêts dans ce secteur sont étonnants. C'est aussi la raison principale qui a permis de multiplier les classes moyennes en Chine. Ma famille en fait partie, je pense. Je te propose d'analyser ce point. Il est très important à mon avis. C’est aussi un indicateur pour mesurer la classe moyenne en Chine. 114 Ensuite, si tu veux, je trouve que les immigrations en classes moyennes sont aussi intéressantes. En plus, les entreprises privées chinoises sont un appui essentiel pour étudier les origines des revenus de classe moyenne. Oui, d’ailleurs, sais-tu si tes parents ont toujours vécu en ville ou s’ils habitaient avant à la campagne ? Oui, mes parents ont toujours habité en ville. Est-ce qu’ils te racontent parfois comment c’était avant ? Si oui, pourrais-tu me faire un petit récit ? Oui, quand ils étaient petits, la vie était dure. Mon père a trois frères et deux sœurs, ajoutant mes grands parents et mon arrière grand-mère, il y a 9 personnes dans la famille. Dans les années 60- 70, la Chine était pauvre, l’alimentation était insuffisante et la qualité de nourriture très mauvaise. Les chaussures de toute la famille étaient fabriquées par mon arrière grandmère. Donc pour toi, il y a vraiment eu une amélioration des conditions de vie en Chine ces dernières années ? Oui, c’est sûr ! Est-ce que maintenant tu pourrais m’expliquer les raisons qui t’ont poussé à faire des études supérieures? Et plus spécifiquement en France ? Euh, déjà, l’ouverture de la Chine a favorisé le renforcement des relations avec le reste du monde, y compris la culture étrangère. Suivre les études supérieures est un moyen scientifique d’acquérir la connaissance. Personnellement, je me suis intéressée à la diversité culturelle. Pourquoi la France, c'est parce j'ai eu pas mal de bonnes impressions sur la France, notamment sur l'histoire, la littérature, les romans... donc, j'ai choisi d’étudier la langue française en licence en Chine pour me préparer à venir en France. Pourquoi l’IEP, je pense que, si tu veux bien comprendre une société, il faut connaître le système socio-économique de ce pays. Du coup, les cours de l'IEP sont intéressants. 115 Mais il faut dire que j’ai aussi eu le soutien de ma famille : Grâce au soutien financer et moral des mes parents, je peux continuer mes études supérieures. Et puis, après, forcément, il est plus facile de chercher un emploi Pourquoi ne pas être restée en Chine (tu peux répondre pour toi, et aussi peut être élargir: on a beaucoup de chinois à l'université de Toulouse: pourquoi est-ce qu'ils sentent le besoin d'aller étudier à l'étranger: est ce que les universités chinoises sont trop compétitives?) Je sais que tu m'as déjà donné la raison de la diversité culturelle, mais y a t il une autre raison? Ca dépend, certains universités chinoises sont compétitives, et notamment pour la licence. Pour moi, j’ai fini ma licence dans l’Université des langues étrangères de Tianjin en Chine. Et comme ma spécialité était le français, du coup, c’est raisonnable d’aller en France pour approfondir mes connaissances. Pour les autres Chinois étudiant l’économie à l’Arsenal, leurs raisons sont diverses. A propos des universités chinoises: comparativement à la population entière, penses-tu que beaucoup de jeunes suivent une éducation supérieure ou ils sont encore trop peu (car il est dur de rentrer à l'université)? Selon les informations chinoises, en 2011, le taux d’admission de l’universitaire (la licence) s’élève à 55%, soit 40 00 personnes en total. En fait, il y a aussi des écoles pour former les techniciens, les cuisiniers, etc. De plus, les gens choisissent aller à l’étranger pour le diplôme de licence, notamment USA, Canada, Australie, Angleterre… (La France est une destination moins choisie, car la langue française est plus difficile) Maintenant l’orientation des élèves chinoises est diverse, si un élève pourra continuer ses études, la plupart dépendent du soutien de la famille. Les soutiens du gouvernement chinois devraient encore améliorer le système éducatif. Que dirais-tu de la qualité des universités chinoises (Très bon, bon, moyen, mauvais, très mauvais) par rapport au niveau mondial, par exemple? En général, je crois qu’elle est moyenne. Mais il y plusieurs catégories des universités chinoises, comme l’Université de Pékin, de Qinghua qui est très bien. En général, les Universités de Hong Kong sont meilleures. C’est difficile de les exprimer. 116 Quelles sont tes ambitions pour le futur ? Quelle est la profession que tu aimerais exercer ? Je voudrais travailler dans le cadre de la coopération internationale, notamment dans les échanges sino-africains culturels. 3) A propos de la jeune génération: J'ai lu dans un bouquin191 que les jeunes chinois sentent beaucoup de pression sur leurs épaules (de la part de leur famille, de leur école, de la société), car ils sont enfants uniques et cela a beaucoup de conséquences pour les familles (beaucoup d'espoirs sont portés sur eux). Ils se sentent un peu comme des petits "empereurs". Qu'en penses-tu (si tu regardes parmi tes amis, ou des jeunes que tu vois dans la rue, à la télé...)? Oui, en comparaison aux jeunes français, les jeunes chinois ont beaucoup de pressions telles que l’école, l’emploi et la famille. Je pense qu’il y a plusieurs raisons : la concurrence violente (la population énorme), l’assurance sociale (santé, retraite) imparfaite… les parents espèrent que leurs enfants ont la capacité de pouvoir subvenir aux besoins leur famille. T'es-tu déjà porté volontaire pour un projet, une association? Oui, volontaire de l’AFEV pour accompagner les enfants des banlieues et les sortir de leur quartier et découvrir la culture de la ville. 4) Ok, merci, maintenant, pourrait-on parler de ta consommation, ou plus justement, de celle de ta famille. Par exemple, comment les familles chinoises utilisent-elles leur revenu ? Bonne question. Ca dépend. Normalement, une part pour financement (immobilier, action…), une part pour la consommation dans la vie quotidienne, une part pour l’épargne (pour la retraite). Et si tu devais les classer par ordre d’importance ? 1) Immobilier 2) Education 3) Santé 191 Jing Lin et Xiaoyan Sun, Higher Education and China’s Middle Class, China’s Emerging Middle Class, ed. Cheng Li, Brookings Institution, pp. 231-239. 117 4) Energie (essence, électricité…) 5) Alimentation Et toi, personnellement, est-ce que tu as une voiture? Non, je n’en ai pas. Mais dans ma famille, nous en avons trois ! Peux-tu me raconter comment se passait un week-end type dans ta famille quand tu étais encore là-bas ? Le Samedi, nous allions chez mes grands parents, diner, bavarder et jouer les jeux avec la grande famille. Le dimanche, parfois toute la famille on faisait du shopping ou on voyageait dans un site pas loin de ma ville, ou bien on faisait du sport. 5) Enfin, maintenant, je voudrais plus avoir tes impression générales. Selon toi, qui a vu le développement de la classe moyenne depuis le début, comment perçois-tu la classe moyenne chinoise ? Comment peut-on la définir ? Quelle est son importance pour le développement de la Chine et pourquoi penses-tu qu’on en parle autant aujourd’hui ? C’est un résultat du développement économique chinois, c’est une bonne chose dans la société chinoise. Mais à la fois la classe moyenne pose des problèmes de défauts de la Chine. (le problème de santé, de retraite, d’éducation, l’écart de classe, etc). Il n’est pas suffisant que les gens soient devenus riche (avoir l’argent), la formation d’esprit est aussi importante dans la vie. En fait, on ne dit pas souvent ce mot. Mais il est important dans l’économie et la société chinoise. Aujourd’hui il reflète beaucoup de questions économiques et sociales de Chine. Certes, l’élimination de la pauvreté est vraiment importante pour les Chinois. La classe moyenne pourra aussi créer les opportunités d’aider les pauvres. (créer les entreprises- créer les emplois) Merci beaucoup pour toutes ces informations Xiao ! 118 Bibliographie: Ouvrages: B. Moore, Social Origins of Dictatorship and Democracy, Lord and Peasant in the Making of the Modern World,, Beacon Press, Boston, 1966. B.J Dickinson, Allies of the State: China’s Private Entrepreneurs and Democratic Change, Harvard Press University, 2010. B. J. Dickinson, “China’s Cooperative Capitalists”, dans China’s Emerging Middle Class, Chang Li editor, Brookings Institution, 2010. C. Wright Mills, White collar: The American Middle Classes, Oxford University Press, 1953. Cheng Li, China’s Emerging Middle Class, Chapitre3 Chinese scholarship on the middle class. D. S. Goodman, « The New Middle Class », dans The Paradox of china’s Post Mao reform, Harvard University Press, 1999. H. Kharas et Geoffrey Gertz, « The new Global Middle Class », Cheng Li dir, China’s Emerging Middle Class, Brookings Institution, 2010 J. H. 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Zhou Xiaohong, Survey of the Chinese middle class, Social Sciences Academic Press, 2005. 126 Résumé : Ce mémoire s’attache à fournir une réflexion sur les changements de la structure sociale en Chine, en l’occurrence, sur l’émergence d’une classe moyenne chinoise. Il s’agira de mettre en lumière les modalités de l’émergence de la classe moyenne chinoise ; l’auteur s’attache, tout au long de ce mémoire, à mettre en lumière en quoi la « moyennisation » de la société chinoise constitue une rupture avec la société communiste de Mao. Une attention particulière est portée sur les facteurs de son émergence, ainsi que sur les caractéristiques du « nouveau profil chinois ». Il s’agira également de se concentrer sur les débats autour de la définition de la classe moyenne ; en effet, alors que les recherches se font chaque année plus nombreuses, aucun consensus ne semble se dégager en Chine quand aux critères de définition de la classe moyenne à prendre en compte. Ainsi, ce mémoire sera l’occasion de revoir les différents critères et les différentes conceptions qui existent aujourd’hui à propos de la classe moyenne chinoise. Enfin, une analyse de l’impact politique de la classe moyenne est dégagée. Loin d’être un facteur de poussée démocratique, ce mémoire cherche à montrer que la classe moyenne contribue à la stabilité du régime politique ; ce qui l’intéresse avant toute autre chose étant préservation de ses intérêts personnels. Toutefois, une montée des contestions fait jour ces dernières années, conséquence de l’accroissement des inégalités sociales et des répercussions de la crise économique mondiale de 2008, et l’arrivée sur le secteur du travail d’une nouvelle génération, plus informée et moins docile viendra peut être changer la donne de l’équilibre politique chinois. 127