Drieu La Rochelle ou la fatalité du suicide - Jean

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Drieu La Rochelle ou la fatalité du suicide - Jean
LA FATALITÉ DU SUICIDE CHEZ DRIEU LA ROCHELLE
Défense de l'Occident, Paris, paru en trois livraisons : no 88 (mars 1970), no 90 (mai 1970) et
no 91 (juin 1970).
***
Nul ne se tue.
La mort est un destin.
Pavese1
La rencontre du chevalier des Grieux et de Manon Lescaut dans la cour de l'auberge d'Amiens
est restée pour la littérature française le symbole de la découverte de la passion. L'ensemble de
la thématique du chef-d’œuvre de l'abbé Prévost se trouvait ainsi annoncé dès cette rapide
scène où la densité du vécu ne le disputait qu'à la sobriété du style. L'ouverture du récit en
forme de révélation, l'univers dévoilé en quelques pages : il n'en faut pas plus pour qu'une
concordance s'établisse par-delà les siècles avec ce train de permissionnaires de l'hiver 17,
gare de l'Est, à Paris.
Un soldat découvre la vie civile et voici la véritable naissance de Gilles. « Ses yeux furent
brusquement remplis de lumières, de taxis, de femmes. Le pays des femmes, murmura-t-il. Il ne
s'attarda pas à cette remarque; un mot, une pensée ne pouvaient être qu'un retard sur la
sensation. »2 La Paix, la Ville, la Femme, autant de synonymes en ce XXème siècle chatoyant
d'extrême civilisation qui vient au jour. Dans un crépitement de phrases courtes l'homme
européen se réveille de l'engourdissement figé du vieil âge bourgeois qui disparaît sous ses
cadavres. Découverte émerveillée de la liberté...
L'étincelle rejaillit. Dans Gilles comme dans Manon Lescaut les premières pages nous livrent
tous les éléments de ce qui constituera une tragédie -qui n'est encore que promesse de
bonheur. Cette sensation infinie de liberté : tout est permis, tout est possible, elle va
accompagner Gilles tout au long de l'existence, donner la couleur de ses rêves, la dimension de
ses gestes. Dès lors le héros est en situation : la tragédie peut s'accomplir. Elle déroulera son
rituel implacable jusqu'au fond de la misérable plaza de toros espagnole, soleil déchu de pierre
et de sang, où viendra se consommer la geste héroïque, en sacrifice propitiatoire à un siècle de
plaisir.
Ce soldat en permission, perdu dans la foule, qui marche dans la nuit, Drieu La Rochelle nous
le présente avec une puissance rarement égalée ailleurs. Il faut que nous nous en souvenions.
De sa chemise d'étoffe fine – aux manches trop courtes. De ses chaussures anglaises. De ce
« soir doux, légèrement veiné de froid. » Ce monde brillant et facile nous ne le reverrons plus.
Le monde des choses est singulièrement absent de cette vision de myope. « Voyant et
entendant fort peu, Drieu naturellement ne décrit rien », signale pertinemment Pierre Andreu.3
Le monde de la matière est absence, pure négativité.
Quelques chambres d'hôtel souillées, voitures de sport, bars américains, apparaissent bien au
détour d'une péripétie: ils n'ont d'autre réalité que celle que leur confère le désir des
personnages. Aux seuls êtres humains dressés devant ce décor vide est dévolue la charge de
la positivité. Pourtant eux-mêmes restent invisibles. Leurs corps sont réduits à quelques mots
vagues. À peine sait-on d'une femme qu'elle est rousse, que sa chair est abondante, pâle.
Gilles est blond. Drieu La Rochelle est l'anti-Balzac. Ses personnages se nomment convoitise,
désespoir, jalousie, soif de puissance, amertume. Sans apparence physique remarquable, ils se
définissent par leurs passions.
Cependant ces silhouettes creuses sont dotées d'un regard. Au début de Drôle de Voyage c'est
sur un regard de Beatrix que Gille envisage de se marier, de justifier sa vie. Quelques instants
plus tard par contre, un second regard peut lui faire toucher le fond du découragement. Drôle de
Voyage est un roman dont l'intrigue entière se noue sur des regards d'où les yeux sont
absents : « un regard tourné vers moi paraît sur un fond de destruction des yeux qui me
regardent : si j'appréhende le regard, je cesse de percevoir les yeux. »4 Avec dix ans d'avance,
Drieu La Rochelle illustre les essais de Sartre sur l'existence d'autrui. Monde sans formes,
corps indistincts, la dernière relation interindividuelle possible demeure le regard. Les
personnages de Drieu La Rochelle jouent leurs vies sur des regards sans yeux.
Dans une vision qu'impressionne si peu le monde extérieur, les rares situations que Drieu La
Rochelle nous présente jusque dans leur détail, acquièrent par-là même une importance
primordiale. C'est à elles que se réfère le mode d'être de tous ses personnages. Gilles,
Gonzague, Alain, Constant, sont tous les ombres du permissionnaire de 17 pour qui « les folies
de l'arrière ne pouvaient être que de bien minces sottises : on serait toujours trop content de le
renvoyer au front où un obus pouvait tout arranger. »5
Paris, les cafés, les cercles politiques ou littéraires, les métiers où l'on gagne de l'argent, les
femmes: voici l'arrière. Mince sottise dépourvue de réalité. Drieu La Rochelle n'acceptera
jamais de devoir se limiter à ce monde accessoire. D'ailleurs il ne le prend pas au sérieux sinon
pour déplorer sa négativité, ses effets négatifs.
À partir de 1918 ne demeure que cet arrière du monde. Coulisses qui « ignoraient absolument
cet autre royaume aux portes de Paris, ce royaume de troglodytes sanguinaires, ce royaume
d'hommes – forêt d'Argonne, désert de Champagne, marais de Picardie, montagne des
Vosges. Là, des hommes s'étaient retirés dans leur force, leur joie, leur douleur. »6 Là, vivent
ces « mots qui ne sont plus des mots, qui sont des faits. Faim, froid, sang, merde. »7
Or Drieu La Rochelle, hormis les poèmes d'Interrogation et quelques pages de La Comédie de
Charleroi, a peu décrit cette ligne de front de l'humanité. Ses héros évoluent à Paris, aux
Baléares, dans les boites de nuit et les salons à la mode. Ils sont au milieu de nous, vivent notre
vie quotidienne et appellent cela l'arrière qui ne compte pas. Aussi, à l'instar de ce Gonzague
qui « cherchait quelque chose qui fût extérieur à lui-même », ils ne se sentent pas à leur place
dans cette vie d'embusqués.
Dans ce malaise se situe le point de départ de la quête de l'amour. De la poursuite d'un idéal –
politique puis métaphysique. De la recherche d'un esthétisme – dans la littérature. Mais ces
tentatives s'effondrent les unes après les autres entre un ego à la dérive et une société
inconsistante. De 1918 à 1940 l'arrière-monde a envahi l'ensemble de la vie.
L'incommunicabilité
(les années 20)
Démobilisée, la France part à la poursuite du plaisir. Quatre années de violence et de
souffrance sont reléguées dans une zone de doute. Du jour au lendemain Labiche succède à
Corneille. Marié en 1919, Drieu La Rochelle a trouvé l'argent sinon un foyer : « Il me faut votre
argent pour sauver ma jeunesse », jette Gilles à la face de sa. future épouse.8 C'est le temps de
l'homme couvert de femmes.
À travers l'Europe des années 20 Drieu La Rochelle campe le modèle d'un héros de Scott
Fitzgerald. Tout un monde scintillant de fêtes et de luxes s'engouffre dans cette existence
ouverte à tout vent. Il y a les amitiés surréalistes : Louis Aragon, Paul Eluard, Jacques Rigaut. Il
y a aussi les nuits parisiennes où le désespoir se retrouve au sortir d'une maison de passe
blafarde... Bien souvent la littérature a affectionné mettre en scène ces groupes de libertins, à
l'époque de Balzac cela s'appelait les chevaliers de la Désœuvrance. Mais en cet après-guerre
échevelé c'est une société entière qui se compromet et prétend se reconnaître dans cette
mythologie de music-hall.
Rapidement la paix s'avère aussi ratée que la guerre. Les rêves naïfs des tranchées se sont
englués dans une réalité peu exaltante : « Quand nous sommes revenus de la guerre, il y avait
l'argent. On nous a eus avec de l'argent. Mais l'argent d'après-guerre, ça a été la saleté, la
saleté de nos années perdues. »9 À peine découvert le monde se retourne pour accabler
l'imprudent. Loin d'avoir été le moyen de la liberté, l'argent s'est confondu avec l'échec des
années 20.
Cette jeunesse, nous la retrouvons intacte avec tout son désarroi au fil des livres de l'époque :
Plainte contre inconnu, L'homme couvert de femmes (dédié à Louis Aragon) ainsi que Drôle de
voyage.10 Une bourgeoisie en décomposition, et au milieu, une longue silhouette de Viking
égaré, voici le thème qui est repris chaque fois. Seul le ton change. Depuis le ton pressé et
navré de Plainte contre inconnu jusqu'au cynisme blessé de Drôle de voyage.
L'ensemble de ces livres compose une même recherche, faite toute d'impatience et de fébrilité.
Marcel Arland parlait d'une « anarchie en quête de discipline. » Voyons-y plus précisément: une
tentative de fonder l'existence sur une noblesse vécue jusque dans le quotidien. Car c'est bien
de cela qu'il s'agit, réinventer des formes de vie alors que tout se dérobe, société, morale,
famille : « tout peut se faire si facilement dans le monde, qu'on le sent devenir fluide,
inexistant. »11
Plus encore que la société, c'est le moi qui semble remis en question en ce début de siècle.
« On s'aperçoit que dorénavant dans l'image de l'homme il y a plus d'ombre et de vide que de
substance », dira Drieu La Rochelle.12 L'intégration des découvertes de Freud dans le domaine
commun a fait sauter le mythe d'un ego cohérent et monolithique. Cela ne pouvait manquer de
soulever des échos multiples dans la littérature.
Ainsi ce qui frappe avant tout le lecteur de Drôle de voyage, c'est la perpétuelle oscillation qui
caractérise la totalité de l'être intime de Gille, le héros : « Cet homme de vingt-sept ans avait
encore des raideurs d'adolescent; il oscillait entre les extrêmes que seul il pouvait concevoir. »13
Délivré de toute contrainte mais aussi de tout cadre, le moi s'éparpille et se désagrège. Chaque
instant nouveau qui survient, inaugure un état psychique différent que plus rien ne relie au
précédent, depuis la plénitude la plus extatique jusqu'à l'abattement complet. Pour ce, un mot,
une intonation, un geste suffisent. Parfois même il n'est besoin que d'une suite de déductions
internes, sans motivation tangible, pour faire chavirer cet univers en équilibre instable.
Gille s'apparente à ces séismographes ultra-sensibles que les géologues utilisent pour détecter
les infimes vibrations telluriques qui agitent sans relâche les profondeurs terrestres. De telles
oscillations sont évidemment imperceptibles pour autrui. C'est l'ensemble des relations
humaines qui se trouve ainsi remis en question. Personne, pas plus sa fiancée que les autres
membres de son entourage, ne peut pénétrer les mobiles fluctuants du héros de Drôle de
voyage : « les âmes sont impénétrables les unes par les autres. »14 Désormais tous les
personnages de Drieu La Rochelle seront des solitaires sur qui rien n'a de prise.15
Cette crise de la communication se manifeste de façon particulièrement aiguë avec les femmes.
Gonzague, dans la Valise vide (l'une des nouvelles de Plainte contre inconnu), avoue une
incapacité totale d'aimer et d'être aimé, témoin ce court dialogue poignant de dénuement :
« Je les trouvais tous les jours en rentrant chez moi, sur le trottoir. Je les suivais pour ne pas
leur dire : non. Si une femme convenable en avait fait autant...
– Mais elles en font autant.
– Tout de même, je suis décourageant. »16
Gonzague n'est qu'une caricature douloureuse de Gille (avec ou sans « s », selon les romans),
le héros-type de Drieu La Rochelle. Néanmoins il annonce déjà certains thèmes qui persisteront
tout au long de l’œuvre. Ainsi l'impossibilité d'accepter une femme complète : il lui est préféré la
femme-sexe (la prostituée qui satisfait uniquement les sens) ou la femme-argent (celle avec qui
on se marie afin de satisfaire l'ambition sociale).
Dans certains cas cependant, Gilles paraît réussir à métamorphoser les différentes femmesobjets vers lesquels le portent ses différents désirs, en une femme unique à laquelle il entend
se lier. C’est Alice, l’infirmière de Gilles (qui apparaît déjà dans Drôle de Voyage sous le nom de
Jacqueline). Elle est vieille, leur union est condamnée dès le premier jour. C’est Dora. Elle est
mariée et surtout Américaine : vouée à mépriser Gilles et son horizon rétréci sur une France
délabrée. C’est Pauline, l’Algérienne, qui meurt interminablement d’un cancer au ventre. Trois
femmes : trois situations d’échec.
À la limite, c'est l'impuissance qui guette les anti-héros de Drieu La Rochelle. Cette découverte
est attribuée paradoxalement à « l'homme couvert de femmes ». Au retour d'une semaine
passée dans les bas-fonds parisiens, Gille fait soudain l'expérience de son impuissance.
Spectre symbolique de la solitude. Au cœur du roman quelques pages tendent au périgée de
l’œuvre : « Gille fila dans sa voiture, à toute vitesse sur une seule idée : je n'ai aucun pouvoir
17
sur la vie. »
Par la suite Drieu La Rochelle ne reviendra plus guère sur l'impuissance sexuelle, sans-doute
ne pouvait-il pas aller plus loin que dans les pages cinglantes de L'homme couvert de femmes.
Il n'en continuera pas moins à dénoncer la défaillance de la sexualité à son époque, de plus en
plus apparente, de plus en plus généralisée : « une ombre pesait sur le sexe. » Bien que
sceptique à l'égard de la pensée même de Freud, Drieu La Rochelle lui reconnaît une valeur de
signe : si on éprouve tellement le besoin de se pencher sur la sexualité c'est qu'elle fait
problème.
L'incommunicabilité apparaît ainsi comme complète. Voués aux incessantes oscillations d'une
conscience inquiète et à l'insuffisance d'une sexualité que la disparition de toute morale ne
parvient pas à épanouir, bien au contraire, les personnages de Drieu La Rochelle perdent
contact avec le monde. L'amitié comme l'amour leur sont barrés : « Ma solitude me fait claquer
des dents », 's'écrie Gille.18
Dans un tel isolement le rêve apparaît comme la seule issue. Drieu La Rochelle dit un jour :
« Devenir romancier c'est la consolation de la perte de la première jeunesse », c'est-à-dire de
l'adolescence, l'âge du rêve, l'âge du Grand Meaulnes.19 Pour un Gonzague par exemple,
incapable d'écrire, la propension au rêve devient l'insurmontable obstacle qui sépare de la
réalité. « Deux ou trois fois il parla de pays où l'on faisait fortune… »20
Il semble impossible d'exprimer davantage l'incapacité à vivre, l'impuissance à maîtriser la vie.
C'est l'angoisse. Pas d'amis, pas de femme, pas de foyer, le héros est seul qui s'achemine vers
la quarantaine. En 1929, le coup de revolver qui met fin aux jours de Jacques Rigaut marque la
fin d'un temps. L’œuvre répercute ce retour de la tragédie en 1931 : l'année du Feu follet. La
permission de l'hiver 17 a trop duré. Elle s'est fourvoyée dans le vide du monde moderne...
Coïncidence? Pour l'Histoire 1929 signifie avant tout le krach de Wall Street, la crise du
capitalisme. Au sommet, comme au niveau de l'individu, l'univers s'effrite et se condamne de
lui-même. Et puis surtout c'est l'époque des Conquérants, de La Voie royale. Dans l'atmosphère
devenue irrespirable de Paris résonnent étrangement les phrases nerveuses de Malraux. Un
bruit d'armes commence à étouffer le jazz des années folles.
À travers la détresse de ces livres de jeunesse apparaît néanmoins une première attitude
intellectuelle. Drieu La Rochelle s'y présente comme un homme à l'écoute :
… à l'écoute de l'Europe : avant tout le monde il perçoit les craquements qui
suivent la Grande Guerre civile. Mesure de la France est la relation de ce ratage
de la paix.21 Le livre fixe l'instant décisif où la France entame le chemin qui la
mènera au sous-développement actuel. À l'heure où Jacques Bainville réclame
encore le démembrement des Allemagnes pour sauver la paix, la voix de Drieu La
Rochelle s'élève, prémonitoire : « Je veux être grand et achever le monument
européen, pour la plus grande gloire du monde. Nous sommes 360 millions. »22
… à l'écoute de ses amis : il les rencontre chez les Surréalistes occupés à émettre
des « vagissements séniles ». Sous prétexte de révolte pure ils ne font que servir
de bouffons à un public de bourgeois... Il les retrouve à Moscou, cherchant là-bas
la force qu'ils ont renoncé à découvrir en eux-mêmes... Puis il les surprend
drogués, affaissés dans leurs lits, deux par deux, adonnés à une homosexualité de
Bas-Empire : « je devins triste. Cette chambre sentait la mort, une mort qui puait
un parfum à la mode. »23
... enfin, à l'écoute de soi. Et ce n'est pas ici que Drieu La Rochelle se montre le
moins cruel. À la fois fasciné et repoussé par la misère de son temps, il ne pourra
jamais s'en détacher complètement. Au début de son aventure intellectuelle il
prétend vivre la décadence pour mieux la juguler. Gilles va au monde dans le but
exprès d'édifier une forte prière moderne à offrir à ses contemporains. Mais c'est
l'éternel mythe de Lorenzaccio : on ne vit pas impunément. Les mystérieux fonds
cachés de la nature humaine ne pèsent pas grand chose en rapport avec le poids
de toute une société. La réalité de la vie ressemble bien plus à l'histoire de ce
« bon jeune homme parti pour les îles afin de mériter sa mie et qui revient négrier,
tatoué jusqu'au cœur. »24 Drieu La Rochelle assume entièrement sa situation
historique : cette société d'Occident qu'il aime et récuse à la fois il va la boire
jusqu'à la lie, en faire une question personnelle.
Nous voyons ainsi se dessiner un mouvement qui persistera tout au long de l’œuvre de Drieu
La Rochelle. L'ancien élève de Sciences Po réalise parfaitement la vanité de son égoïsme
modelé et déterminé par les divers facteurs économiques et sociaux de l'heure. Aussi réintègret-il sans cesse son cas particulier dans un contexte plus vaste, se prenant toujours comme cible
en même temps que le monde dans lequel il vit, se refusant à geler son jugement sur autrui
dans un arrêt définitif, s'efforçant de ne pas pétrifier son propre devenir dans une attitude
morte... Derrière l'analyse psychologique se profile toujours le tableau de la société, et vice
versa.
Cette double préoccupation individuelle et sociale explique d'ailleurs le choix du roman et de
l'essai comme moyens d'expression privilégiés. Situation à la fois contemplative et violemment
critique qui avait besoin de se résoudre en une praxis sous peine de sombrer dans la dérision
de l'intellectualisme courant.
L'action impossible
(les années 30)
Tu es par le prestige, ô Rudra porte-foudre,
le plus prestigieux des êtres, le plus fort d'entre les forts :
conduis-nous avec bonheur sur l'autre rive de l'angoisse...25
Rudra le père des guerriers, Rudra le dieu du courage, celui qui vainc l'angoisse, Rudra le Père
ressurgit soudain dans la vie de Drieu La Rochelle au coin des Champs-Élysées et de la place
de la Concorde un soir de février 1934. La troupe tire sur la foule en émeute. Au milieu des
balles Drieu La Rochelle se surprend soudain à courir : « J'avais bien trop peur. » Mais la peur
est enfin une certitude. Après le long relâchement des années 20, voici que le 6 février la vie se
ressaisit autour d'un fait. Sac au dos, le soldat repart, et en avant pour l'action... Ou plutôt pour
la fascination de l'action.
Chez un ancien combattant tout modèle d'action ne peut que se référer au souvenir de la
guerre. Justement en 1934 paraît La Comédie de Charleroi où Drieu La Rochelle dépeint
l'expérience inoubliable de sa première journée de combat en 1914. Et c'est la charge de
Charleroi, le courage découvert à travers les mitrailleuses allemandes, la faiblesse et la peur
vaincues dans un même élan. La scène est devenue célèbre. Cependant ce récit si souvent cité
se prolonge par le détail de la débandade – française – qui s'ensuivit : « La France était battue.
Je me détournai de la France, j'ai horreur des vaincus. J'adorai les Allemands qui m'arrivaient
dans le dos. C'était la défaite, c'était la déroute. »26
Ici il convient de souligner que tous les critiques sans exception, n'ont retenu de cette nouvelle
que la relation du fait d'arme glorieux. Or Drieu La Rochelle lui-même semble s'être également
attaché à faire ressortir son refus de se battre de façon suivie, son rejet de la discipline militaire,
sa haine de la boucherie anonyme : en somme son incapacité d'être soldat. Et l'on voit le
sursaut épique de Charleroi s'achever par un long vagabondage à travers champs, la tête
pleine d'idées étranges : « c'est comme en 70, nous sommes battus, foutus. On va se faire
ramasser. C'est idiot. Tous ces types sont des salauds, des pleutres; il faut les lâcher. Moi je
27
m'en vais en Hollande. » Ou encore : « Je m'en irais en Amérique, je me ferais américain. »
Ceci n'enlève rien à l'héroïsme manifesté au moment critique, face à la mort (ce même jour
Drieu La Rochelle sera blessé à la tête), mais doit nous écarter de l'imagerie d'Épinal du poilu
se sacrifiant pour la Patrie. Pour quelqu'un qui était parti au front en rêvant de chevalerie et de
corps à corps sportifs, la désillusion était fatale. La tuerie mécanisée et monotone, « cette
faiblesse sordide de la guerre moderne, de la guerre pourrie », répugne profondément à Drieu
La Rochelle. Il sait qu'il ne peut pas s'en accommoder. Son récit de la journée de Charleroi
ressemble bien plus à celui de Waterloo par Stendhal qu'aux rodomontades barrésiennes en
faveur de l'effort de guerre. C'est que Stendhal, comme Drieu, avait fait la guerre; Barrès pas.
Malgré cela la guerre reste pour Drieu La Rochelle un moment privilégié. Réminiscences de la
charge de Charleroi? Si l'ambiguïté de cette journée ne suffisait pas à fournir une réponse
définitive à la question, se dresserait encore l'image de l'enfer de Verdun : « C'est si facile de
déchirer un centimètre de chair avec une tonne d'acier. »28 Condamnation définitive du
bellicisme. Cependant cette guerre, même absurde, même monstrueuse, reste la seule
occasion où Drieu La Rochelle a pu confondre sa propre cause avec celle de la France – et
même de tout le continent. Sa souffrance avait rejoint les millions de souffrances de ses
compagnons d'armes, la grande souffrance de l'Europe déchirée.
Ce bourgeois déclassé, ayant renié toute attache avec sa classe et sa famille ne pourra jamais
oublier qu'il a un jour trouvé sa place dans une vaste communauté populaire. Entré en guerre
avec le rang de caporal (il en sortira adjudant), Drieu La Rochelle aura ignoré le milieu faisandé
des officiers : au contraire il ne voit dans l'armée que le règne de l'homme simple. Demeure la
nostalgie d'un temps où l'argent et la position sociale ne déformaient pas les rapports entre
individus, où face au danger les risques étaient égaux pour tous, où enfin, seul le courage
établissait une hiérarchie. Et c'est l'admirable cri de Charleroi : « La noblesse est à tout le
monde. » Pour cet homme qui « n'appartenait à aucun groupement, à aucune catégorie
humaine », que le sentiment de solitude ne quittera jamais, la guerre est avant tout la
découverte de la fraternité.
Le retour dans un « royaume d'hommes », voici donc ce qui pousse Drieu La Rochelle vers la
politique. Ce militant s'apparente bien plus à un guerrier qu'au paisible citoyen conservant
pieusement sa carte du parti dans son portefeuille. « Vivre plus vite et plus fort, cela s'appelle
aujourd'hui être fasciste. »29
Drieu La Rochelle prétend fonder dans la paix une vie qui retrouve l'intensité et la camaraderie
du temps de guerre. Tel est le premier aspect de cet engagement, aspect que Julien Benda a
fort bien saisi lorsqu'il écrit : « Cette action politique capable de noblesse d'âme, Drieu croit
l'avoir trouvé dans le fascisme. Mais son fascisme est bien moins un décret politique qu'une
attitude morale, qui consiste dans la volonté nietzschéenne de toujours se dépasser, dans le
mépris de toutes les stagnations, de tous les statismes, de toutes les jouissances paisibles,
dont la démocratie lui semble le symbole. »30
Ainsi nous voyons que cette action politique n'a pas pour but de découvrir une fraternité à
l'intérieur de la société existante. Au contraire il s'agit de détruire un mode de vie et un milieu
social avilissants : « Maintenant, je marcherai avec n'importe quel type qui foutra ce régime par
terre, avec n'importe qui, à n'importe quelle condition. »31 Cette volonté de négation va en
s'exacerbant tout au long des années qui précèdent la Seconde Guerre mondiale, le désespoir
alimentant une violence grandissante avec l'imminence de la catastrophe tant prévue. Les
solutions de compromis s'excluent d'elles-mêmes.
Loin d'être un ralliement à la société et à ses institutions, cet engagement en est une réfutation,
c'est l'affirmation de possibilités autres. Drieu La Rochelle se met délibérément en opposition
complète avec ce qui lui paraît définir son époque : les femmes, l'argent, la vie facile, trop facile,
de Paris. D'où le fascisme; d'où à la fin, en 1945, l'espérance communiste; ces deux univers
politiques étant ceux qui se situent le plus loin du mol univers
occidental/démocratique/capitaliste. Bien sûr, leur hétérogénéité à la civilisation européenne les
condamne d'avance à l'avortement.
Mais surtout par-delà les avatars historiques de la cause embrassée, l’échec politique de Drieu
La Rochelle tient à une faillite générale au XXème siècle. Un siècle où Dachau, Auschwitz et les
anonymes camps de Sibérie ne plaident même plus en faveur de la démocratie... Dresde,
Hiroshima, Nagasaki, sont là qui attendent toujours leur Nuremberg. Aujourd'hui, par hasard, la
radio nous apprend le nom de Song My. Obstinément l'instruction se poursuit d'un procès
grotesque, pitoyable, énorme – sans verdict possible.
Entré dans la politique comme il s'était jeté dans la guerre, Drieu La Rochelle devait y retrouver
la même impasse. La politique du XXème siècle s’est révélée tout aussi monstrueuse et
absurde que la guerre. L’élan de 1934, vingt ans après Charleroi, finira également par se perdre
dans une errance sans but. Au cours d'une lettre quelque peu ingénue, Drieu La Rochelle
reconnaît son erreur. « Je ne comprends rien à la politique. Je n’y ai jamais rien compris parce
que je crois toujours que les gens vont faire de choses merveilleuses… »32
L'échec politique a également une cause personnelle assez singulière. En effet, c’est par
exigence d’absolu que Drieu La Rochelle a recherché un engagement militant, mais c’est aussi
ce même esprit de totalité qui l'empêche d'ignorer la thèse adverse – l'existence de l'adversaire.
Bien trop sensible à la relativité de toute forme de vérité, il ne peut se résoudre à devenir un
partisan : « J’étais choqué par le fait que tous mes camarades qui exprimaient à ce moment
leur haine contre ces furieux de l’autre bord supportaient avec une tranquille aisance d'ignorer
complètement leur être. »33 Dans une telle optique, la classique opposition de la fin et des
moyens ne peut que se poser de façon insurmontable.
L'œuvre de Drieu La Rochelle est emplie de ces cas limites Où le héros finit par être considéré
comme traître dans les deux camps, faute de s’être résigné à réduire l'accès à. la vérité en un
seul système d'approche. Dans une nouvelle au titre révélateur, L'Agent double, Drieu La
Rochelle donne ses raisons : « les idées me touchent. Elles me touchent terriblement. Les
idées des hommes, ces dieux magnifiques sortis de leurs veines, ces vapeurs de sang. »34
C'est reconnaître la noblesse essentielle de toutes les grandes religions, de toutes les grandes
idéologies. En rejeter absolument une reviendrait à renier un morceau d'humanité. Cela, Drieu
La Rochelle ne l'a jamais pu, pas plus en 1917 où il dédiait, par-dessus les tranchées, un de
ses poèmes au. soldats allemands (« À vous Allemands... Je ne vous ai jamais niés. »), qu'en
1944 où il écrivait sa Lettre à un ami gaulliste. Faute de pouvoir exclure autrui de sa
conscience, Drieu La Rochelle se paralysait pratiquement dès le premier jour de son
engagement. L'action exige un manichéisme sommaire.
Ces velléités e d'action auront néanmoins eu d'importantes conséquences pour l'homme autant
que pour l'œuvre. Les victoires allemandes de 1939-41 ont pu donner à croire au triomphe du
fascisme en Europe. Durant quelques mois au moins ce mouvement perd donc sa qualité
imaginaire pour entrer dans la catégorie des faits. Issu de la contestation d'une société
étouffante, le rêve fasciste se retrouve pris au piège d'un ordre encore plus sinistre. Et,
évènement unique dans sa vie, Drieu La Rochelle va s'efforcer d'accepter cette nouvelle société
qui s'installe autour de lui. Oubliant son inquiétude fondamentale, il devient l'un des hommes en
place de Parie : directeur de la N.R.F. Il a un métier, un bureau. Son amie latino-américaine,
Victoria Ocampo, résume parfaitement cette transformation : « A mesure que son erreur
politique se précisait, s'aggravait, la tension dans laquelle il avait vécu se réduisait. »35
« L'homme couvert de femmes » semble bien lointain. Pour mieux tuer les spectres défaits de
la jeunesse manquée, Drieu La Rochelle n'a pas hésité à réduire au silence les doutes qui
l'avaient accompagné jusque là et qui l'avaient rendu si humain. Est-ce à dire que l’éternel
adolescent qui avait survécu en lui cédait définitivement le pas à l’adulte résigné? Retour à
l'image lénifiante mais stérile du Père... Certains textes politico-philosophiques de l'époque
tendraient à le faire penser. Par exemple, jamais Drieu La Rochelle n’a été plus mauvais que
tout au long des essais de Ne plus attendre parus en 1941. Dans Qu’est-ce que la littérature?
Sartre disait du Drieu La Rochelle de cette période qu'il « admonestait, chapitrait, sermonnait
ses compatriotes. »36 C'est très précisément l'impression qui ressort de la lecture de ces notes
de circonstance. Le ton s'y veut direct, populaire, ouvrier : il s’agissait d'inciter les Français à se
remettre au travail après la défaite. Le style est celui d’un commissaire du peuple stakhanoviste
des grandes heures staliniennes. Le résultat est désolant. En réduisant au silence ses
contradictions, Drieu La Rochelle faisait peut-être preuve de maturité, mais il détruisait sa veine
littéraire.
… une atrocité politique rejoignant l’atrocité guerrière, une incapacité personnelle à se résoudre
en homme de parti, le tout conduisant à un fiasco littéraire : l’échec est total. L’impossibilité de
l’action aura donc eu rapidement raison de la sérénité intérieure dont parlait Victoria Ocampo.
L’Histoire telle qu’elle se faisait dans les chancelleries et sur les champs de batailles, ne
coïncidait pas avec le souci d’aristocratie et de pacifisme de Drieu La Rochelle.
Cet échec politique se consomme en deux temps. D’abord en 1938, au moment de la crise
tchécoslovaque, lorsqu’il devient évident qu’Hitler en est resté à la vieille politique de
conquêtes. Enfin, vers 1942, quand Drieu La Rochelle réalise que l’Allemagne ne veut ni du
socialisme ni de l’Europe. La première déception donne Gilles, son principal roman, la somme
de sa vie. La seconde : Récit secret, son testament, et aussi la réponse à la question formulée
plus haut : « Quand j’étais adolescent, je me promettais de rester fidèle à la jeunesse : un jour
j’ai tâché de tenir parole. »37
Le symbolisme dans Gilles
Le ratage de l'action, s'ajoutant à l'échec de la vie affective, ne pouvait déboucher que sur le
suicide, dernier avatar du Jeune Européen, celui-là même qui écrivait dès 1927 : « il faudrait au
moins que je ne rate pas la mort, moi qui aurais raté la vie. »38 Cette marche à la mort qui soustend toute l'œuvre de Drieu La Rochelle, lui conférant ainsi son unité tragique, le moment est
venu d'en éclairer certaines motivations moins apparentes.
À l'intention de Baudelaire, Drieu La Rochelle avait élaboré un syllogisme parfait : « Pas de
mystique possible à notre époque, mais aussi pas d'homme sans mystique. Donc il ne peut y
avoir d’homme à notre époque, donc notre époque va au néant. »39 Cette fatalité des forces
négatives provient d’un déséquilibre du monde que schématise bien l’opposition de deux
personnages fort contrastés de Gilles : Monsieur Falkenberg et le vieux Carentan, figures dont
la fixité détonne sur l’univers ondoyant qui les environne. Deux rocs curieusement
anachroniques au milieu de tous ces enfants qui jouent aux jeux dangereux de la vie et de la
mort. Double image du Père aussi, que Drieu La Rochelle traite de manière fort différente. Point
n’est besoin de recourir à de longues démonstrations psychanalytiques pour pressentir
l’importance que peuvent revêtir ces personnages dans l’interprétation de la thématique de
Drieu La Rochelle.
Monsieur Falkenberg qui occupe une place prépondérante au début de Gilles avait déjà été
esquissé une première fois à la fin de Drôle de Voyage sous le nom de Lord Owen. La situation
est sensiblement la même dans les deux cas : Falkenberg-Owen est le père fortuné d’une jeune
fille que Gille(s) convoite. Seulement le Gille de Drôle de voyage bat en retraite avant que le
mariage ne s’accomplisse, laissant Lord Owen en possession de sa fille et de son argent.
Bloqué, le roman s’arrête là. Dans Gilles au contraire, Monsieur Falkenberg se suicide soudain,
abandonnant sa fortune et sa fille aux mains du prétendant.
Qu’est-ce exactement que ce Monsieur Falkenberg? Drieu La Rochelle l’analyse lui-même : « il
était tout : le travail, l’argent, l’intelligence, la Légion d’honneur… »40 Falkenberg, le Père, est
l’image de la société prise dans son ensemble. Or, comment se présente Gilles en face de lui?
En imposteur : « Gilles était fort effrayé de cette entrevue, il ne doutait pas d’être percé à jour
en un instant par cet homme supérieur. »41 Sa première impulsion est de fuir, d’éviter la
confrontation, tant l’accablement qu’il en pressent est grand : « Il n’était capable que d’une
seule belle action, se détruire. »42 Car Gilles réalise parfaitement le néant de social qu’il
représente selon les critères de l’establishment : « Je traîne dans les bars, je n’ai pas de
43
situation, je ne suis pas un homme qu’on épouse. »
Dans La Condition humaine, Malraux opposait deux conceptions de l’homme, l’une presque
métaphysique, la seconde uniquement sociale. Pour Kyo : « que suis-je? Une espèce
d’affirmation absolue, d’affirmation de fou : une intensité plus grande que celle de tout le
reste. »44 Pour Ferral : « Une vie est la somme de ses actes, de ce qu’il a fait, de ce qu’il peut
45
faire, rien autre. » Drieu La Rochelle est Ferral. Dans cette perspective, pas d’illusions
possibles : Gilles n’a pas de prise sur la société – donc il n’est rien.
Aussi pour forcer la porte de Monsieur Falkenberg, ne lui reste-t-il qu’une solution : la séduction.
C’est par le verbe que Gilles tente de convaincre le vieillard redouté de son existence. Las,
instable, impatient, doutant de lui jusqu’à l’angoisse, Gilles détruit les effets de son charme en
abandonnant le terrain trop tôt. « Le point psychologique était atteint. Mais ce fut à ce moment
que Gille s’en alla, découragé. »46
Cette situation est caractéristique de Drieu La Rochelle à plus d’un point de vue. Tout d’abord,
les femmes sont pour lui synonymes de richesse et il ne peut imaginer gagner de l’argent qu’en
les subjuguant. Cette approche superficielle de la question n’en souligne pas moins
l’importance du personnage de Monsieur Falkenberg puisqu’en fin de compte c’est de lui que
dépend le mariage éventuel, c’est-à-dire l’accès à la richesse, c’est-à-dire la libération de la
fatalité sociale. Il et donc possible de considérer le rapport Gilles-Falkenberg comme le typemême de la relation Drieu-mondanité. Monsieur Falkenberg « que la vertu rendait opaque », le
Père, est bien le symbole du principe de réalité (opaque), au côté duquel Gilles, « être de
frivolité », frêle feu follet, apparaît désarmé.
De même, Drieu La Rochelle ressemble à cet imposteur frappant aux portes de la société
bourgeoise, rejeté, puis imaginant de la contraindre par la séduction – ses livres. Mais Gilles
s’en va au lieu de profiter de son avantage. Et c’est Emmanuel Berl qui constate que « Drieu
donne toujours l’impression de se reprendre à la fin de ses romans, de défaire ce qu’il a fait. Il
semble avoir à cœur de montrer qu’il n’est pas dupe de son propre récit. »47 Dans Gilles
cependant, afin que le roman puisse démarrer, il faut que le héros réussisse à faire sauter le
verrou social de la pauvreté. Sa propre nature ne lui permettant pas de ‘imposer à la société par
la lutte ou la séduction, le romancier Drieu La Rochelle se trouve dans l’obligation d’intervenir et
de faire disparaître l’obstacle en soufflant dessus. Monsieur Falkenberg se suicide. Deus ex
machina. Gilles peut vivre.
Tout aussi riche de sens est l’image du vieux Carentan, sans conteste la plus belle figure ait
jamais mis en scène dans son œuvre. Échappé de la fresque vigoureuse d’un Giono nordique,
le vieux Carentan est le tuteur de Gilles. De vieux, il n’a que l’âge, en fait, survivant d’une
humanité plus jeune, il a gardé toute la spontanéité de l’enfance, sa foi, son unité. C’est un être
ne-dehors de la société, en dehors du temps, sans doute un saint « qui, dans son grenier
bourré de livres, évoquait dans un concert subtil et mystérieux tous les dieux autour de Dieu. »48
Il est d’ailleurs celui qui expose les idées religieuses vers lesquelles commence à s’orienter
Drieu La Rochelle en 1939 : une forme de syncrétisme dans lequel toutes les religions
représentent autant de tensions imagées de ce qui appelle l’homme fers l’ineffable. Le vieux
Carentan, dans sa masure normande, est le seul point fixe sur lequel s’appuie la vie de Gilles.
Avant d’aller plus loin, il convient d’ouvrir une parenthèse. Au cours de s différentes incarnations
de Gille qui peuplent l’œuvre de Drieu la Rochelle, seul le premier, celui de L’homme couvert de
femmes possède une famille – bien que très lointaine. Il n’en fait allusion qu’une fois, mais dans
une lettre très intéressante : « Ma famille a joué son rôle. Ils étaient encore jeunes et forts, mais
tôt avant l’âge, ils s’étaient repliés… Taciturnes, ils faisaient comme s’ils avaient attendu la
mort, mais ils n’y songeaient même pas, pourtant ils avaient quitté la vie… je me suis fait autre
que leur fils. Je parviens souvent à oublier ou à cacher celui qui en moi est leur fils. »49
Cette famille falote, elle sera dépeinte longuement dans le seul roman bourgeois de Drieu La
Rochelle, Rêveuse bourgeoisie, rameau mort-né d’une œuvre par ailleurs si peu conforme aux
schémas classiques. Le personnage principal du livre, Camille Le Pesnel, est le reflet assez
fidèle du propre père de Drieu La Rochelle, être faible et volage dont l’indélicatesse en matière
financière a peut-être été à l’origine chez le fils d’une certaine obsession de l’argent et de
l’incapacité d’en gagner. Drieu La Rochelle supprime donc toute allusion à la famille du cycle
des romans de Gille. Gille n’a pas de famille. La littérature se ramène bien souvent au meurtre
des parents par les enfants.
C’est ainsi que dans Gilles toute trace de famille est effacée au profit du vieux Carentan qui
prend en charge l’origine spirituelle du héros.50 Drieu La Rochelle lui attribue d’ailleurs bien des
traits de caractère de ses grands-parents qu’il admirait beaucoup. De plus, habitant à la
campagne, le vieux Carentan peut représenter cette union sacrée de l’âme saine et du corps
épanoui, impossible à réaliser en ville. Drieu La Rochelle a toujours opéré un rapprochement
entre l’exode des paysans vers la ville et la séparation de l’âme et du corps.. La ville devenant
ainsi le règne de l’âme seule, se tordant sur elle-même, se desséchant et précipitant l’homme
vers sa décrépitude. À l’opposé, la campagne est le lieu de la jeunesse de l’humanité. Gilles
éprouve le besoin de courir s’y retremper de temps à autre pour se laver de Paris et retrouver
les images de sa propre enfance.
Loin d’être un symbole de contrainte, le vieux Carentan, au milieu de sa lande désertique,
apparaît comme l’image de la force spirituelle à laquelle Gilles peut se rattacher. Tandis que
Monsieur Falkenberg se confond avec la société et l’ensemble des forces économiques qui la
régissent, le vieux Carentan en est la contrepartie humaine. Le premier est l’obstacle, le second
le noyau de résistance qui constitue le cœur de Gilles. Or, les deux personnages ne
s’équilibrent pas. Alors que Monsieur Falkenberg reste solide et inébranlable jusqu’à sa
disparition providentielle, le vieux Carentan se trouve entaché de doute : « Était-il un raté? » se
demande Gilles un moment.51 La question est terrible. Le vieux Carentan devine bien cette
inquiétude et parvient à la conjurer dans l’esprit de Gilles. Mais le soupçon est passé, rien ne
peut effacer la souillure.
Plus loin, c’est un véritable constat d’impuissance qui frappe le vieux Carentan et sa vigueur
spirituelle : « Que pouvaient faire ces saintes maximes contre les cinémas et les cafés, les
maisons de passe, les journaux, le Bourses, les partis et les casernes? »52 Là se situent
quelques-unes unes des pagnes les plus fermées à l’espérance jamais écrites par Drieu La
Rochelle. C’est la reconnaissance de l’échec vécu du vieux Carentan, du succès de Monsieur
Falkenberg. Le matérialisme l’emporte sur toute la ligne. Et la disproportion entre les deux
figures atteint un paroxysme tragique lorsque le vieux Carentan meurt dans sa Normandie
oubliée : cette fin silencieuse est relatée en une ligne. Une. Désormais l’ombre de Monsieur
Falkenberg règne seule sur un monde bariolé et vide qu’ont déserté l’esprit, la volonté, la
dignité d’être homme.
Le dernier cercle
« Il se sentait de plus en plus encerclé par les circonstances qu’il avait laissées se poser autour
de lui. »53 Cet homme traqué par son destin, c’est Alain, le héros du Feu follet. En deux cents
pages ce court roman va le cerner dans son horizon clos pour ne le lâcher que sur la mort.
Drieu La Rochelle atteint ici son maximum d’efficacité. Le secret de cette réussite tient sans
doute dans le mélange subtil d’objectivité et de confession qui a présidé à l’écriture de
l’ouvrage. Si le modèle d’Alain est avant tout Jacques Rigaut, il est non moins vrai que Drieu La
Rochelle s’est également identifié avec c personnage qui le concernait de si près. Témoin, cette
lettre très explicite à Marcel Arland : « Je l’ai écrit tout d’une traite, pour me débarrasser d’un
poids, en passant par le chemin où l’homme était passé avec son poids, qui est aussi le
mien. »54
Lorsque le 5 novembre 1929, il se tire une balle dans le cœur, Jacques Rigaut a 30 ans. L’âge
où il faut dire adieu à la jeunesse. Le feu follet schématise cette incapacité de passer de
l’adolescence à l’âge adulte. Pour cela le héros a tout tenté : le mariage, l’alcool, le
dépaysement, la drogue, franchissant d’échec en échec tous les cercles de l’enfer jusqu’à celui
qui n’a d’autre issue que la gueule hideuse d’un canon de revolver ou d’un tuyau de gaz
arraché. Au fond de l’impasse des succès mondains et des satisfactions factices, il ne reste
qu’un gosse timide qui reconnaît sa faute : « J’avais de la délicatesse dans le cœur, mais pas
dans les mains. »55 Le feu follet est avant tout le livre d’une jeunesse qui trébuche.
Évidemment on peut juger que le héros du Feu follet était un raté – affreuse expression qui ne
prend sa pleine signification que dans une société bourgeoise et capitaliste. Tout l’accuse. Alain
est « mort, croyant que la terre était peuplé de gens du monde, de domestiques et d’artistes
amis les unes des autres… Il ne se sentait pas emmêlé à quelque chose de plus vaste que lui,
le monde. »56 Il y a dans Le feu follet une atomisation de l’univers en une infinité de parcelles
sans communication les unes avec les autres. Toute cohérence disparaît faute de volonté
organisatrice. Un regard vide se pose sur un univers dénué de sens. Cette méconnaissance
grossière du monde ne peut que se retourner contre le héros : « J’aurais voulu captiver les
gens, les retenir, les attacher. Que rien ne bouge plus autour de moi. Mais tout a toujours foutu
le camp. »57 L’ignorance est réciproque : l’univers en miettes d’Alain ne peut que se dissoudre
devant lui et le nier à son tour. De l’extérieur comme de l’intérieur, le néant menace de toute
part les acteurs pitoyables du Feu follet.
Sans conteste le procès du héros est chargé. Il serait tentant de mobiliser la psychanalyse, la
psychiatrie même, et de brosser un tableau clinique fort rassurant de la situation. Cette solution
de facilité, Drieu La Rochelle l’a rejetée. Tout en stigmatisant les insuffisances de son héros et
ami, il n’en retourne pas moins la question. Alain n’a rien trouvé dans le monde, mais aussi que
pouvait-il y trouver? Ce monde, sa téléologie tient en deux phrases : « La clientèle aussi est
choisie, enrégimentée et dirigée. La publicité devient la science d’adapter la consommation à la
production. »58
Quarante ans avant l’heure (1928), voici une véritable définition de la société de consommation.
Celle-ci se retrouve, omniprésente, jusque dans le décor du dernier cercle : magazines
pornographiques, collections de boîtes d’allumettes, statuettes bariolées… Au XXème siècle la
tragédie elle-même se voit submergée par les gadgets absurdes d’une civilisation de pacotille.
Dans l’esprit de Drieu La Rochelle, le mince drame personnel de Jacques Rigaut s’insère dans
une aventure collective. Il devient le symbole de l’agonie de l’homme européen. C’est l’univers
entier qui appelle à la mort. Le silence des hommes. La dégradation des formes sociales. La
disparition de la foi. Plus de dieux, plus de noblesse, plus d’idéal. « Le soleil ne brillait pas, la
mer ne remuait pas. » La société de l’abondance et de la désolation conduit au monde figé de
l’impossibilité de vivre.
La marche à la mort d’Alain n’a pas une cause qu’il aurait suffi de supprimer pour tout arranger.
L’inaptitude à vivre est la conséquence d’une société ignoble de la même manière que l’inanité
de cette dernière est l’écho d’une faiblesse intime : « une race usée par la civilisation ne peut
croire dans la volonté. »59 Le processus de dégradation est total : il s’étend à tous les niveaux
de la société et de l’individu. La société industrielle n’offre rien à l’individu et celui-ci est à son
tour incapable de lui arracher une raison d’espérer et de continuer à accepter.
À l’opposé d’une liberté, le suicide apparaît ici comme une fatalité polyforme qui se resserre sur
l’individu déjà dépouillé de son humanité : « ce n’était pas ce qu’au cours de sa première
jeunesse il avait voulu. En ce temps-là, il parlait de son suicide. Mais le meurtre ainsi caressé,
c’était un acte volontaire, libre; maintenant, une force étrangère et idiote avait repris à son
compte ce vœu farouche et pur de tout prétexte, qui avait peut-être été une explosion de
vitalité, et cette force le poussait des deux épaules par le couloir monotone de la maladie vers
une mort tardive. »60
Cette ambivalence apparaît également dans Gilles avec le suicide du jeune Paul Morel. D’une
part, le portrait de Paul Morel est encore plus chargé que celui d’Alain. L’accent est mis avec
une insistance accrue sur « cette douceur de l’enfance choyée dont il n’aurait jamais dû
sortir. »61 D’autre part, la critique de la négativité de certaines forces sociales se fait plus
précises. Sont mis en cause, bien sûr, l’ordre opaque, l’ordre bourgeois, mais aussi l’anarchie
révolutionnaire, irresponsable et sans avenir. Cette dernière accélère même le mécanisme de
destitution du monde en détruisant les derniers vestiges d’aristocratie qui avaient résisté au
règne bourgeois. C’est là un schéma typiquement nietzschéen.
La situation de Paul Morel est donc la même que celle d’Alain, mais simplifiée à l’extrême : la
tragédie cède la place au théâtre de marionnettes. Le caractère fatal du suicide n’en apparaît
que plus nettement. C’est la dernière démission d’un univers déchu. Le moi déchiré, en loques,
la société impénétrable, fermée : l’individu est pris entre deux impossibilités. Jamais la condition
humaine n’était apparue plus intenable.
Mais la vision du monde de Gonzague, d’Alain ou de Paul Morel, faite avant tout d’incohérence
et de pauvreté peut sembler suspecte à plus d’un point de vue. Dans quelle mesure peut-elle
prétendre engager autre chose que la fiction littéraire dans laquelle elle s’insère? Jusqu’où la
société peut-elle se reconnaître dans cet acte d’accusation? Questions d’autant plus pertinentes
que suscitées par l’œuvre elle-même. En effet, tout en nous donnant ces personnages pour
exemplaires d’une certaine forme de la sensibilité européenne du XXème siècle, Drieu La
Rochelle n’en marque pas mois la distance qui le sépare d’eux.
Dans La Valise vide et l’Adieu à Gonzague, la voix de l’auteur se sépare même de celle du
héros pour lui donner la réplique et soutenir la thèse adverse. Cela revient à signaler la relativité
des analyses effectuées autour de leurs cas. D’autres solutions sont pressenties. Alain luimême semble le sous-entendre lorsqu’il déplore l’ambiguïté et l’insignifiance de son échec :
« Puisqu’en tout cas, qui qu’on soit, on a envie des mêmes choses que tout le monde, comme
tout le monde, il faut s’occuper de les prendre et les prendre à tout le monde. Ensuite on peut
tout mépriser, choses et gens. Mais pas avant, pas avant. Avant, on est un estropié qui crache
sur les gens qui marchent droit. »62
D’Alain à Gilles, le fossé est analogue à ce qui sépare les estropiés des autres hommes. Ceci
explique la première démarche de Gilles qui est d’aller vers le monde pour accumuler le
maximum possible de richesses, depuis les plus frivoles (le cliché du dandy dans un bar des
Champs-Élysées) jusqu’aux plus intellectuelles (les pamphlets politiques, les recherches
religieuses). C’est `peine transposée, l’illustration de la célèbre formule de Senancour :
« L’homme est périssable. Il se peut; mais périssons en résistant, et si le néant nous est
réservé, ne faisons pas que ce soit une justice. »63 Gilles ne mourra pas avant d’avoir acquis
une dimension qui rende sa chute infiniment plus injuste que celle du Feu follet.
En choisissant de mourir dans une Espagne mythique en proie à une guerre quasi-religieuse,
Gilles renvoie expressément à quelque chose de plus que son simple égoïsme. D’abord, à une
volonté politique et morale : la renaissance d’une dignité humaine à travers le combat. Ensuite
et surtout : une conception métaphysique de la vie. Le suicide (car la mort de Gilles est un
suicide à peine déguisé) dans une arène, cette survivance du paganisme au sein du
christianisme, se donne d’emblée comme riche de sens. Malgré toutes les désintégrations
sociales et individuelles, Gilles a réussi à maintenir un îlot de résistance à l’abri de l’échec
existentiel : la part du vieux Carentan. Ainsi sa mise à mort peut condamner l’expérience d’une
civilisation vécue à son plus haut degré de lucidité.
Nous voyons ainsi se dessiner deux notions du suicide diamétralement opposées : le suicidedéfaite (cf. Alain, Paul Morel) et le suicide-affirmation. Le premier s’inscrit dans une logique de
la civilisation qui, depuis la Renaissance accule l’homme à subir son agressivité naturelle au
lieu de la déployer vers l’extérieur : « le trait capital, ce sont Les confessions : l’aveu de
l’onanisme – physique ou moral, du subjectivisme sentimental. »64 Pour Drieu La Rochelle
l’onanisme est lié à ce suicide-défaite, tout comme l’homosexualité ou la drogue. « Encore une
façon de porter la main sur soi-même » est-il écrit dans Gilles à propos du suicide Paul Morel.
Toutefois, même s’il met en rapport le désir de résorption dans le néant avec un état social
donné, Drieu La Rochelle ne le considère pas moins comme « le cri criminel par excellence ».
Si le malaise de la civilisation peut servir à expliquer la démission de l’homme, il ne saurait la
légitimer. Justement, à partir de la rédaction de Gilles (1937-1939), Drieu La Rochelle a
surmonté ses principales inhibitions, les séquelles de l’humiliation familiale, tout ce qui le
ramenait à « égalité de déchéance et de misère » avec ses personnages les plus désespérés.
Frédéric Grover parle d’une psychothérapie. Ce succès remporté par Gilles au niveau de
l’écriture lui accorde une place toute spéciale dans l’existence de Drieu La Rochelle : « Au fond
de moi-même, je crois à la valeur de mon esprit à travers cette œuvre importante, » écrit-il dans
son Journal.65 C’est la première fois qu’une telle certitude apparaît dans cet univers de remise
en cause permanente. Désormais, la rupture est consommée avec les fuyants feux follets de la
jeunesse. Le héros est prêt pour la mort solitaire à laquelle il aspire.
La fascination qu’a exercée la mort sur Drieu La Rochelle ne sera jamais bien comprise si elle
n’est pas rapprochée de ses idées religieuses. Non chrétien, Drieu La Rochelle ne retenait du
catholicisme que son côté fondamental : le Péché et la Chute, l’Enfer et la Grâce. « Sous les
mots grecs, juifs, il y a l’existence des races, l’expérience la plus ancienne de l’humanité. »66
Cette tentation catholique, Drieu La Rochelle la ressent au plus fort alors qu’il rédige Gilles. Ce
qui le séduit dans le christianisme est l’effort humain vers l’Être – la facilité du mot Dieu lui
répugne même. Or, des générations de prêtres catholiques ont dénaturé cette tension de
l’homme vers le divin avec de sordides préoccupations temporelles : « Ils en ont fait une
médiocre petite histoire morale, alors que c’est un grand poème métaphysique. »67 La seconde
guerre mondiale correspond à un éloignement définitif vis-à-vis du christianisme. « Une race
inscrit sa mesure du divin. C’est la mesure la plus haute. Cette mesure avait été pleinement
prise avant la venue des hommes du Christ. Ici, l’on comprend que le christianisme n’est qu’un
élan entre autres… »68
Le grand poème de la volonté de déité, Drieu La Rochelle le trouve alors dans la pensée
hindoue. Il passe la dernière période de sa vie à étudier les vieux livres sacrés de l’Inde :
Uspanishads, Brahmasutras. La réflexion orientale correspond à quelques idées déjà fortement
ancrées en Drieu La Rochelle : son refus de tout espoir de survie individuelle – une lâcheté,
confiait-il à Emmanuel Berl – sa foi en un au-delà de la vie, en une permanence de Vie, un Tout
où se fondent les individuations passagères.
Dans cette optique la Vie devient une totalité hors du temps qui préside au cycle de vies et des
morts humaines. Une vie ratée est donc ratée dans l’éternité et pour l’éternité. Par contre, la
mort comme volonté consciente, en détruisant la faiblesse de l’insuffisance vécue, peut avoir un
effet purificateur. Pour Drieu La Rochelle le seul péché est le péché contre la Vie, contre ce
qu’elle révèle à travers les individus d’essentiel, de parfait, de fort.69 En effaçant le péché, le
suicide devient le moyen du rachat.70 Il y a une ascèse de la mort chez Drieu La Rochelle.
La mort de Gilles, placée sous le signe des dieux, vieux compagnons de route de l’humanité,
s’inscrit clairement dans ce rapport avec l’universel. Cependant une suspicion n’en continue pas
moins de peser sur la propre fin de Drieu La Rochelle. Tandis que l’explication rassurante du
suicide du Feu follet se voulait d’ordre médical, celle du suicide de Drieu La Rochelle se veut
d’ordre politique :
Drieu La Rochelle, écrivain de droite, a collaboré avec l’ennemi, a mis fin à ses
jours en 1945…
Une telle mort ne concerne plus personne sinon quelques vieux nostalgiques du crématoire.
Cette manière aisée d’éviter la problématique suscitée par une pensée, qui avait toujours refusé
de se résoudre en un système, ne fait que souligner son actualité : c’est quand une œuvre est
déclarée irrecevable par l’establishment qu’elle est vivante. Le véritable problème se pose à un
niveau différent : pourquoi l’insuffisance nihiliste du Feu follet? Pourquoi le fascisme de Drieu La
Rochelle? Or, nous avons vu que ces questions ramenaient l’attention sur les formes sociales
et culturelles du siècle. Le problème est plus embarrassant!
De l’incommunicabilité à l’impossibilité de l’action en passant par la mort de Dieu, l’homme
contemporain ne trouve dans le monde que l’absence de toute raison d’être. La conséquence
immédiate de cette situation est l’insignifiance de l’être humain. La désagrégation de l’univers
du Feu follet, loin de s’atténuer avec les romans plus représentatifs des idées de Drieu La
Rochelle, ne fait que se confirmer. D’une façon générale, tous ses personnages se montrent
incapables de relier leurs diverses activités entre elles.
Nous avons déjà remarqué au passage comment Gilles dissociait la femme en sexe et argent.
Mais la femme adultère, en divisant la vie entre son amant et son mari, confirme objectivement
la division de son être entre vie sociale et vie sexuelle. Le père de Paul Morel est déchiré entre
son devoir familial et son métier. Chaque nation est tiraillée entre la droite et la gauche,
conservatisme et progressisme. Aucun des héros de Drieu La Rochelle ne parvient à trouver
d’harmonie entre ses désirs, entre son action et sa pensée : l’unité du moi ne peut qu’être
détruite par ce mode de vie. « C’était de nouveau Verdun, le moment où l’être humain accablé
ne peut plus supporter la voûte du ciel et la laisse s’écrouler dans un chaos imbécile. »71
Incohérente, divisée par la multiplicité anarchique de ses impératifs économiques et techniques,
incapables de se fonder sur une conception centrale de l’homme, la société moderne provoque
tout naturellement l’éclatement de l’ego.
La violence du réquisitoire de Drieu La Rochelle tient principalement à ce qu’il situe tout sur le
même plan fondamental : la sexualité comme la culture, la seringue d’héroïne comme
l’abondance des biens de consommation. Un président de la République impuissant est aussi
caractéristique de son siècle qu’un gosse malade qui se suicide. Par-delà l’individu, c’est
toujours la société qui est en cause. Une société qui ramène l’homme à lui-même, sans plus, le
résume à sa fatalité biologique d’être fini, mortel, écartelé de néant. Or, un monde règne qui
n’offre rien à l’individu – sinon sa propre dissolution dans le travail et la consommation.
L’engagement mondain ne peut que déboucher sur l’échec. L’action comme moyen de stopper
le retour au néant est une grossière utopie…
Dans la préface de Gilles, Drieu La Rochelle définit son œuvre comme une satire. C’est en effet
par cet angle qu’il faut l’appréhender. Elle ne trouve sa pleine puissance que dans la satire
impitoyable de la civilisation occidentale, de l’impasse où se trouve fourvoyée sa religion morte,
son art brisé, ses valeurs loqueteuses et inacceptables. Partout s’entasse l’argent et le chrome,
mais les rêves stéréotypés et les pyramides industrielles ne parviennent pas à combler le creux
du ciel vide. Cette œuvre ne dit rien d’autre.
D’où le second mouvement de Drieu La Rochelle, souvent esquissé depuis les années de
jeunesse, enfin triomphant à la fin de la deuxième guerre mondiale : la fuite vers une « terre
extrémiste », la quête d’un « royaume improbable ». « Quand je pense qu’il y a un pays qui
s’appelle le Thibet qui étend ses couvents à trois ou quatre mille mètres au-dessus de l’Inde et
de la Chine, et que j’aurais pu aller la`en 1938 au lieu d’user mes derniers jours dans ces
sinistres casernes de la race blanche… »72
Le recours à l’Orient est un moyen de s’évader de cette société européenne qui impose à
l’homme une image déchue de lui-même. La pensée orientale présente l’avantage d’apporter à
Drieu La Rochelle une conception métaphysique de l’être humain que l’Occident a perdue. En
même temps, elle lui propose un travail de dépouillement du moi : un effort pour se déprendre
du monde et rejoindre l’Être. Mais ce rejet idéaliste du monde implique un mode de vie très
passif, tout de contemplation et de recueillement. « Quelle différence y-a-t-il entre l’extase et la
stupeur? » demande alors Drieu La Rochelle, butant ici sur le même obstacle qu’André
Malraux.73 Pour un Occidental, même en rupture de ban, il y a là une équivoque difficilement
admissible. C’est ce qui explique les difficultés de concentration avouées dans le Journal : « I
am not enough a mystic to get out really of life. »74
Le mode de vie oriental marque la limite de l’influence hindoue qui s’est fait sentir sur Drieu La
Rochelle dans la dernière partie de sa vie. Pour lui, le détachement du monde ne doit pas
seulement être pensé, mais vécu. Il est à noter que ses derniers héros – Felipe, le guitariste de
L’homme à cheval, Constant, le solitaire des Chiens de paille, Dirk Raspe, cette réincarnation
romanesque de Van Gogh – sont pauvres, sans femmes et vieux ou laids. Autant de signes de
la volonté de refus physique du monde. L’homme blanc a besoin de gestes pour se convaincre
de son existence. Il a besoin de « creuser de son vivant, autrement qu’avec des idées,
autrement qu’en imagination, le mur de sa prison. »75 Jusqu’à la fin, pour évoquer la condition
humaine, Drieu La Rochelle est obligé de recourir à des images forgées par Pascal. La
représentation orientale de la vie, se jouxtant ainsi à une éthique de l’action, ne pouvait que
déboucher sur le suicide : à la fois acte et rejet du monde. L’Orient, loin d’apporter une raison
de vivre, a précipité la mort de Drieu La Rochelle.
À un certain degré de conscience, l’expérience humaine n’appelle que la mort. Tel; est le
constat d’une vie qui s’est toujours efforcée de poursuivre les interrogations jusque dans leurs
ultimes aboutissements. Partout règne l’improbabilité de l’âme. Pour celui qui interroge la vie au
téléphone à travers une voix de femme indifférente, comme pour celui qui interroge les anciens
dieux souffrants de l’humanité : Dionysos, Christ. Aucune civilisation ne saurait se perpétuer
dans de telles conditions. « Le désert croît », avertissait Nietzsche il y a longtemps déjà.
Heidegger précise : désert, désolation, sont plus graves que destruction. « La désolation est, à
la cadence maxima, le bannissement de Mnémosyne. »76
Au milieu de cette débâcle, la noblesse ne peut s’exprimer que dans le refus. Au nom de
valeurs peut-être terriblement irrationnelles et indécises mais qui font que l’individu s’arrache au
néant. Il ne faut pas se méprendre sur les intentions d’une telle pensée. Drieu La Rochelle s’est
toujours fait une certaine idée de l’homme, entièrement composée de noblesse et de force.
Jamais, il ne renoncera à cette possibilité d’être de l’homme. Sur ce préalable repose sa
réfutation de la société européenne.
Drieu La Rochelle est d’autant plus acharné dans sa volonté de satire qu’il sait que la civilisation
du XXème siècle n’est pas le critère absolu de réussite. Le souvenir de la boue des tranchées
et de la camaraderie du feu est sans cesse présent en lui. Un jour les hommes se sont
dépouillés de leurs habitudes de bourgeois civilisés, de leurs horaires de bureau, de leurs mois
à gagner, pour retrouver un système de vie élémentaire et barbare, pour retrouver « le rêve
soudainement, incroyablement réalisé des enfants fidèles aux origines, des enfants qui jouent
aux sauvages et aux soldats. »77 La guerre, l’enfance et le rêve : la nostalgie est sans doute
absurde, mais elle étaye intimement la conviction intellectuelle que d’autres solutions sont
possibles que la société a négligées jusque là.
Remise en cause d’une société fermée, remise en cause d’une vie futile, le suicide se veut
aussi une affirmation d’espérance. Plus qu’une condamnation supplémentaire de l’arrière, c’est
le retour au front du jeune combattant de Charleroi. Drieu La Rochelle est d’ailleurs conscient
de cet optimisme suprême dont se porte garante son œuvre : « je crois que toute œuvre
sérieuse naît dans le pessimisme mais aussi que toute œuvre sérieuse surmonte ce
pessimisme. »78 Destruction est meilleure que désolation. Ce penseur imbibé d’Orient a la
conviction que toute vie s’alimente des vies qui l’ont précédée. Bien d’avantage qu’un simple
abandon, la mort peut devenir le meurtre de ce qui dans la vie accepte le désert.
Le 15 mars 1945, Drieu La Rochelle s’enferme dans sa « cellule de suicide », donnant ainsi son
existence à l’avenir de l’homme européen : « Geste éternel de toutes les religions, le sacrifice,
le geste du sacrifice qui ne fait que ramasser et styliser le geste de la vie. L’homme ne naît que
pour mourir et il n’est jamais si vivant que lorsqu’il meurt. Mais sa vie n’a de sens que s’il donne
sa vie au lieu d’attendre qu’elle lui soit reprise. »79 Drieu La Rochelle est mort pour que meurent
la faiblesse, l’humiliation et l’angoisse. Que vive quelque chose « de plus beau, de plus fort, de
plus. » Il y a tout juste vingt-cinq ans. Sur le monde la nuit règne toujours.
***
Notes
1
Cesare Pavese, Dialogues avec Leuco, p. 31, éd. Gallimard, Paris 1964.
Pierre Drieu La Rochelle, Gilles, p. 3, éd. Gallimard, Paris 1939.
3
Pierre Andreu, Drieu témoin et visionnaire, p. 116, éd. Grasset, Paris 1952.
4
Jean-Paul Sartre, L’Être et le néant, p. 319, éd. Gallimard, Paris 1943.
5
Gilles, idem, p. 3.
6
Gilles, idem, p. 6.
7
Plainte contre inconnu, p. 17.
8
Gilles, idem, p. 39.
9
Charlotte Corday, Le chef, p. 208.
10
Bien que paru avant Drôle de voyage (1933), Le feu follet (1931) est à mettre à part. C’est en
fait le livre-charnière qui clôt le temps de la jeunesse. Drôle de voyage ne fait que remettre en
vie provisoirement l’univers déjà exécuté par le coup de revolver du Feu follet. Ici, suivre la
chronologie conduirait à la méconnaissance du développement de l’expérience et de la pensée
de l’auteur.
11
L’homme couvert de femmes, p. 61.
12
Notes pour comprendre le siècle, p. 96.
13
L’homme couvert de femmes, p. 184.
14
Plainte contre inconnu, p. 68.
15
Nous ne voulons pas dire que l’instabilité soit un phénomène nouveau. Pas même en
littérature où Rousseau lui a donné droit de cité voilà déjà deux siècles. Drôle de voyage innove
dans la mesure où il peint un moi qui se déchire dans une société elle-même déchirée (plus de
Dieu, plus d’Homme, ou si l’on préfère : plus de conception centrale de l’homme). En parlant
des héros sartriens, Claude-Edmonde Magny écrivait : « Ils ont choisi par exemple entre
résister à certaines impressions, les refouler (c’est à ce prix que l’homme sain maintient
quotidiennement sa normalité) – et se laisser envahir et presque submerger par elles (mais
aussi porter comme par un flot), dans l’espoir d’en découvrir le sens… » (Essai sur les limites
de la littérature, p. 99, Petite Bibliothèque Payot). Les héros de Drieu La Rochelle, eux-aussi,
choisissent « de se laisser couler à pic » dans des sensations que ne musellent plus aucun
concept social, habitude reçue, préjugé facile (ceci, sans vouloir pousser plus loin le
rapprochement; la perspective de Sartre étant d’abord ontologique, celle de Drieu La Rochelle,
éthique). La conséquence de ce choix, écrit encore Claude-Edmonde Magny, « c’est la
révélation brusque que les choses peuvent être n’importe quoi. » Les être humains également.
Tournant le dos au monde rassurant des « salauds », un nouveau monde apparaît que
caractérisent la liberté et l’inquiétude. Or, l’univers romanesque de Drieu La Rochelle inquiète.
Pourtant, ce n’est qu’à partir de là que la vie pourra être fondée hors toute référence aux
fausses valeurs. C’est comme cela aussi qu’il faudra comprendre les réflexions de Drieu La
Rochelle à la fin de sa vie sur le problème de Judas. Pour Drieu La Rochelle, Judas choisit de
trahir. Par son acte, il se coupe délibérément du monde tranquillisant des pharisiens : « Il a l’air
de choisir trente deniers contre sa réputation. Qui peut s’arrêter à ces babioles? Il s’agit de bien
autre chose. Il choisit que le monde remue, que le monde respire. » (Les chiens de paille, p.
117). Judas, personnage inquiétant par excellence, est néanmoins celui qui permet au Christ
d’accomplir la divinité de son destin en le vendant, celui qui ramène les Évangiles au dualisme
fondamental du Bien et du Mal en conjurant le clair-obscur du compromis. Héros négatif, Judas
2
va jusqu’au bout de la négativité et « triche » pour mieux permettre à la Vérité (la divinité du
Christ) de se révéler.
16
Plainte contre inconnu, p. 123.
17
L’homme couvert de femmes, p. 99.
18
Drôle de voyage, p. 222.
19
Lettre à Frédéric Lefèvre, in Les Nouvelles Littéraires, 15 mars 1930.
20
Plainte contre inconnu, p. 87. À rapprocher de la formule de Malraux : « toutes les épaves
d’Europe pensent à l’or. » (La Voie royale, p. 63, Le Livre de poche).
21
À l’origine ce livre devait s’appeler Le crime de la France.
22
Genève ou Moscou (1928), p. 114. Mais l’idéologie européenne est déjà affirmée dans
Mesure de la France (1922) et même, en germe, dès les poèmes d’Interrogation (1917).
23
Plainte contre inconnu, p. 19.
24
L’homme couvert de femmes, p. 185.
25
Le Veda, p. 147, éd. Marabout-Université (tome 1).
26
La comédie de Charleroi, p. 86.
27
La comédie de Charleroi, p. 91 et 94.
28
La comédie de Charleroi, p. 63.
29
In L’Émancipation Nationale, 28 octobre 1938.
30
Julien Benda, « Socialisme fasciste », in N.R.F., janvier 1935.
31
Gilles, p. 421.
32
Lettre à Béloukia (1939), cité par Frédéric Grover dans son livre Drieu La Rochelle, p. 46.
33
Histoires déplaisantes, p. 113.
34
Histoires déplaisantes, p. 111.
35
Victoria Ocampo, « Le cas Drieu La Rochelle », in Sur, octobre 1949, Buenos Aires, cité par
Frédéric Grover dans son livre Drieu La Rochelle, p. 13.
36
Jean-Paul Sartre, Qu’est-ce que la littérature?, p. 81, coll. Idées. Curieusement, tous les
critiques de Drieu La Rochelle, encore une fois réunis, ont reproché à Sartre son « injustice » à
l’encontre de Drieu La Rochelle, se fondant pour cela sur un bref texte anonyme paru dans Les
lettres françaises clandestines de mars 1943. Ce texte de polémique, outre le fait qu’il n’ait
jamais été signé, ne doit pas faire oublier la mise au point de Qu’est-ce que la littérature? dont
voici la première phrase : « Je pense à Drieu La Rochelle : il s’est trompé, mais il était sincère, il
l’a prouvé. » Pour notre part, nous avons surtout été frappé de la similitude de ton entre des
livres comme La Nausée et Les Chiens de paille, par les concordances multiples entre les types
de personnages qu’incarnent Antoine Roquentin et Constant Trubert. Mais surtout, Sartre et
Drieu La Rochelle ont en commun cette tournure d’esprit que l’on qualifie sottement en France
de « germanique » et qui est la faculté de pousser un raisonnement jusque dans ses déductions
ultimes.
37
Récit secret, p. 11.
38
Le jeune Européen, p. 132.
39
Notes pour comprendre le siècle, p. 112.
40
Gilles, p. 108.
41
Gilles, p. 37.
42
Gilles, p. 37.
43
Plainte contre inconnu, p. 40.
44
André Malraux, La condition humaine, p. 46, Le Livre de poche.
45
La condition humaine, p. 185.
46
Gilles, p. 106.
47
Emmanuel Berl, in Défense de l’Occident, numéro spécial consacré à Drieu La Rochelle, No
50-51, fév.-mars 1958.
48
Gilles, p. 22.
49
L’homme couvert de femmes, p. 114.
50
Tous les enfants s’imaginent à un moment ou un autre avoir des parents inconnus, qui ne
sont pas ses parents réels, et qu’il est possible d’orner de rêves multiples. Gilles, p. 49 : « Mes
parents, je peux les imaginer comme je veux. » Cas-type de ce que Freud appelle le « fantasme
du roman familial. » Rimbaud, lui, parle de « changer la vie. » Nietzsche nous confie « qu’il est
parfois dangereux d’être héritier. » Il y a dans l’individu quelques fatalités dont on s’écarte
difficilement.
51
Gilles, p. 101.
Gilles, p. 340.
53
Le Feu follet, p. 38.
54
Sur les écrivains, p. 180.
55
Le Feu follet, p. 180.
56
Le Feu follet, p. 200 et 186.
57
Le Feu follet, p. 181.
58
Genève ou Moscou, p. 173.
59
Le Feu follet, p. 54.
60
Le Feu follet, p. 63.
61
Gilles, p. 249.
62
Le Feu follet, p. 162.
63
Senancour, Obermann, lettre XC, p. 260 (tome II), éd. Arthaud.
64
Notes pour comprendre le siècle, p. 68.
65
Inédit; cité dans le livre de Frédéric Grover, Drieu La Rochelle, p. 48.
66
Gilles, p. 102.
67
L’homme à cheval, p. 290, Club des libraires de France.
68
L’homme à cheval, p. 272.
69
Ainsi l’amour bien fait sera pour Drieu La Rochelle le signe premier de la pureté (cf. épisode
Pauline dans Gilles, pp. 352-425).
70
Il est intéressant de noter que ces idées ont préexisté chez Drieu La Rochelle à la découverte
de la pensée hindoue. Témoin cette lettre à Suarès, datée de 1917 : « Je voulais effacer par la
mort l’être trop faible que je croyais être. » (Sur les écrivains, p. 87).
71
Gilles, p. 413. Drieu La Rochelle prend naturellement Verdun comme symbole historique de
la liquidation du concept Homme.
72
Les chiens de paille, pp. 129-30.
73
Récit secret, p. 43. Rappelons la phrase de Malraux sur le même sujet : « Dans l’extase, le
penseur ne s’identifie pas à l’absolu comme l’enseignent vos sages; il appelle absolu le point
extrême de sa sensibilité. » (La tentation de l’Occident, lettre de A.D. à Ling, pp. 166-7, éd.
Grasset).
74
Récit secret, p. 72.
75
Récit secret, p. 21.
76
Martin Heidegger, Qu’appelle-t-on penser?, P.U.F., p. 36.
77
Gilles, p. 6.
78
Radio-dialogue, cité dans le livre de Frédéric Grover, Drieu La Rochelle, p. 218.
79
L’homme à cheval, p. 285.
52