Cancer du canal anal

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Cancer du canal anal
Cancer du canal anal
G. Declety
Introduction
Le cancer du canal anal (CCA) est une tumeur relativement peu fréquente et
se distingue des autres néoplasmes du tube digestif par des particularités anatomiques, histologiques et cliniques. De nombreux progrès ont été faits ces trente
dernières années concernant la connaissance des facteurs de risque et de la prise
en charge des malades.
Épidémiologie
Le CCA représente 1,5 % de l’ensemble des cancers du tractus digestif.
L’incidence annuelle est de 4 000 nouveaux cas par an aux États-Unis, avec une
discrète prédominance féminine, et a doublé en trente ans (1, 2). Cette évolution
est liée à un accroissement de l’infection par le Papillomavirus, à l’augmentation
du nombre de partenaires sexuels et de l’incidence des maladies sexuellement
transmissibles, dont l’infection à VIH, et à la consommation tabagique.
Facteurs de risque
Pathologie anale bénigne et maladie inflammatoire
L’imputabilité de traumatismes physiques et des lésions bénignes à type de
fissure ou de fistule anale a été évoquée dans le développement du CCA. Ces
conditions pourraient entraîner une inflammation chronique responsable d’altérations génétiques. Une étude cas-témoins réalisée en Californie a montré
qu’en analyse multivariée le risque relatif de développer un CCA était de 2,4
(95 %, IC : 1,1-5,2) pour les patients aux antécédents de fissure anale, et de
2,6 (95 % IC : 0,5-4,7) pour les patients ayant présenté plus de douze épisodes
146 Les cancers digestifs
de complications en rapport avec une pathologie hémorroïdaire (3). Frish et al.
ont étudié le risque de CCA chez 68 549 patients hospitalisés au Danemark
entre 1977 et 1989 pour des lésions anales bénignes. Chez ces patients, le
risque relatif de développer un CCA dans la première année après l’hospitalisation était multiplié par 12 (95 %, CI 5,2-23,6) par rapport à une population
témoin, celui-ci diminuait avec le temps et était de 1,8 (95 %, CI : 0,5-4,7)
après cinq ans (4). Les auteurs expliquent cette diminution d’incidence avec le
temps par le fait que les lésions anales bénignes peuvent être des complications
d’un CCA débutant. Ces données suggèrent que les lésions anales bénignes ne
sont probablement pas incriminées dans le développement du CCA.
De nombreux cas rapportés dans la littérature ont évoqué le risque de CCA
chez des patients atteints de maladie inflammatoire chronique de l’intestin
(MICI), en particulier la maladie de Crohn (5). L’étude du registre du cancer
danois n’a pas confirmé cette hypothèse sur une série de 1 160 patients atteints
de MICI, où aucun CCA ne s’est développé (6).
Activité sexuelle
Plusieurs études réalisées dans les années quatre-vingt ont évoqué la possibilité
d’un lien entre le CCA et l’homosexualité masculine. Cette relation a été
confirmée par plusieurs travaux récents et étendue à d’autres facteurs que l’homosexualité.
Daling et al., dans une étude cas-témoins, ont montré que les femmes
présentant un CCA avaient plus d’antécédents de papillomatose génitale
(risque relatif (RR) : 32,5), d’infection herpétique de type 2 (RR : 4,1) et d’infection à Chlamydia trachomatis (RR : 2,3). Chez les hommes, le fait de ne pas
être marié (RR : 8,6), l’homosexualité (RR : 50), la bisexualité (RR : 33), les
antécédents de papillomatose génitale (RR : 27) ou de gonorrhée (RR : 17)
étaient associés au risque de CCA (7).
Une autre étude cas-témoins a comparé 417 patients hétérosexuels présentant un CCA à 534 patients avec un cancer du rectum et 554 témoins. En
analyse multivariée, les facteurs de risque de CCA chez les femmes étaient les
suivants : plus de dix partenaires (RR : 4,5), des antécédents de papillomatose
anale (RR : 11,7) ou génitale (RR : 4,6), des antécédents de gonorrhée
(RR : 3,3), de dysplasie du col utérin (RR : 2,3) et des relations avec des partenaires aux antécédents de maladie sexuellement transmissible (RR : 2,4). Des
relations anales avant l’âge de 30 ans et avec au moins deux partenaires différents étaient également un facteur de risque significatif. Chez les hommes,
plus de dix partenaires (RR : 2,5), des antécédents de papillomatose anale
(RR : 4,9) et de syphilis (RR : 4,0) étaient des facteurs de risque indépendants
de CCA (8).
Un des arguments en faveur du risque de CCA selon l’activité sexuelle est
la relation existante entre cancer du col de l’utérus et CCA (9). Les données du
Cancer du canal anal 147
registre des cancers au Danemark montrent une forte corrélation entre ces
néoplasies, faisant évoquer des facteurs de risque communs (10).
Infection à Papillomavirus humain (HPV)
L’infection à HPV est la maladie sexuellement transmissible la plus fréquente
en Europe et représente une grande partie du lien de causalité entre activité
sexuelle et CCA. Il existe une forte association entre l’HPV ayant des
propriétés pro-oncogéniques et les lésions de dysplasie ou carcinomateuses
retrouvées au niveau de la sphère génitale et de l’anus (10).
L’infection à HPV de l’anus peut être inapparente ou se traduire par l’apparition de condylomes. Les lésions intra-épithéliales épidermoïdes de l’anus
sont les lésions précancéreuses associées à HPV. Morphologiquement, on différencie les lésions présentant une dysplasie de bas et de haut grade. La
progression des lésions intra-épithéliales épidermoïdes vers le cancer de l’anus
est liée à plusieurs facteurs dont l’infection à VIH, un faible nombre de
lymphocytes CD4 et une forte réplication de HPV (11).
Alors que plusieurs types de HPV peuvent être mis en évidence au cours des
infections ano-génitales, le phénotype 16 est le plus souvent incriminé dans la
survenue du CCA. Palefsky et al. ont analysé des biopsies de muqueuse anale
chez 24 sujets atteints ou non de CCA (12). L’ADN de HPV a été mis en
évidence chez 85 % des patients présentant un CCA. Par ailleurs, le phénotype 16 était associé à la présence d’un CCA ou d’une dysplasie de haut grade,
alors que les phénotypes 6 et 11 étaient retrouvés chez les patients présentant
des condylomes ou une dysplasie de bas grade.
Infection par le VIH et immuno-suppression
Plusieurs études sont en faveur d’un accroissement du risque de CCA chez les
patients présentant une séropositivité pour le VIH et ceci quel que soit le mode
de contamination. Il a été montré une plus grande prévalence de l’infection à
HPV et de lésions intra-épithéliales épidermoïdes de haut grade chez des
patients VIH+ par rapport à des témoins VIH- (13, 14). La sévérité et la durée
de l’infection à HPV sont inversement corrélées au taux de CD4.
Malgré ces observations, l’impact réel du statut VIH sur le développement
d’un CCA reste incertain. En effet, dans une étude du National Cancer
Institute, les auteurs ont évalué l’évolution de l’incidence du CCA dans des
États où il existait une forte prévalence du VIH entre 1975 et 1984. Alors qu’ils
notaient une augmentation importante du nombre de lymphomes et de
sarcomes de Kaposi, l’incidence des CCA restait stable (15).
Les autres causes d’immuno-suppression (greffe rénale) pourraient être
associées à l’apparition de CCA. Chez des patients transplantés rénaux, le
risque de CCA était augmenté jusqu’à cent fois (16).
148 Les cancers digestifs
Tabac
Dans une série cas-témoins, le tabagisme était associé de façon significative à
une augmentation de CCA avec un risque relatif de 1,9 après 20 paquet-années
et 5,2 après 50 paquet-années (17).
Anatomie
Le canal anal doit être clairement séparé de la marge anale. Le canal anal a sa
limite supérieure au niveau de l’anneau anorectal (jonction de la portion puborectale du muscle élévateur de l’anus et du sphincter externe). À ce niveau se
situe la ligne pectinée composée d’un épithélium cylindrique mesurant 6 à
12 mm de hauteur et faisant la transition entre la muqueuse glandulaire rectale
et la muqueuse malpighienne anale. La marge anale débute approximativement
au niveau de l’orifice anal et représente la transition de l’épithélium malpighien
de l’anus vers l’épithélium cutané.
La ligne pectinée représente une zone importante en terme de vascularisation
et de drainage lymphatique. Sous cette ligne, la vascularisation provient des
artères rectales moyennes et inférieures, et le drainage veineux se fait par la circulation systémique, alors qu’au-dessus de la ligne pectinée, le drainage veineux se
fait par la veine porte. La circulation lymphatique s’effectue préférentiellement
vers les ganglions péri-rectaux et mésentériques inférieurs pour les tumeurs
situées au-dessus de la ligne pectinée. Pour celles situées en dessous, le drainage
lymphatique est plutôt dirigé vers les ganglions inguinaux et fémoraux.
Histologie
Plusieurs types histologiques peuvent se rencontrer dans les CCA, le carcinome
épidermoïde étant le plus fréquent. Dans une série de 192 patients avec CCA,
on retrouvait 74 % de carcinomes épidermoïdes, 19 % d’adénocarcinomes, 4 %
de mélanomes et 3 % d’autres tumeurs (tumeurs endocrines, Kaposi, léiomyosarcome, lymphome) (18). Il est à noter que les adénocarcinomes survenant au
niveau de l’anus doivent être considérés comme des cancers du rectum et traités
comme tels.
Tumeurs du canal anal
Il n’y a pas de limite nette entre le rectum et le canal anal et, en outre, la zone
transitionnelle a des aspects histologiques variables. Par conséquent, la classification histologique de tumeurs survenant dans cette zone est délicate. Certains
Cancer du canal anal 149
patients ont une transition brutale entre les deux épithéliums et d’autres une
muqueuse transitionnelle pseudo-stratifiée faite de cellules cuboïdes ressemblant à des cellules urothéliales (muqueuse cloacale). Un quart des carcinomes
épidermoïdes de l’anus sont de type transitionnel.
Tumeurs de la marge anale
La distinction entre tumeurs de l’anus et tumeurs cutanées par le clinicien au
niveau de la marge anale est également difficile. L’analyse histologique permet
de différencier les carcinomes épidermoïdes des autres cancers de la peau
(mélanome, maladie de Bowen et maladie de Paget).
Diagnostic
Le diagnostic des CCA peut être difficile malgré leur localisation facilement
accessible. Le symptôme le plus fréquent est le saignement (50 % des cas)
pouvant faire évoquer à tort une pathologie hémorroïdaire. Les autres symptômes sont : la douleur ou une sensation de masse rectale (30 %), un prurit
anal, une modification du transit, un ténesme. Dans 20 % des cas, il n’existe
aucun symptôme. En raison d’une grande similitude dans la présentation
clinique avec des pathologies bénignes de l’anus, un retard au diagnostic est
souvent constaté (un tiers des patients). Chez les patients asymptomatiques,
notamment dans les groupes à risque, l’examen doit être particulièrement
minutieux.
L’inspection de la marge anale, le toucher rectal et l’anuscopie doivent être
réalisés idéalement sous anesthésie générale. Une adénopathie doit être recherchée au niveau des aires ganglionnaires inguinales et fémorales.
Le CCA se présente, au toucher rectal, sous la forme d’une masse indurée
plus ou moins ulcérée. En anuscopie, la tumeur peut être infiltrante, bourgeonnante ou ulcérée. La localisation (marge, canal sous la ligne pectinée ou
au-dessus), la taille en hauteur, la circonférence et l’extension doivent être
notées. La confirmation histologique est obtenue après la réalisation de biopsies au cours de l’anuscopie.
L’écho-endoscopie anale peut être réalisée, à la recherche d’adénopathies
péri-rectales.
Le bilan d’extension comprend une radiographie du thorax, un scanner
abdomino-pelvien et une cytoponction sous échographie si existent une ou
plusieurs adénopathies inguinales palpables.
Une infection à HPV est recherchée sur le prélèvement et un examen gynécologique avec frottis cervicaux à la recherche d’une dysplasie du col est
conseillé. Une sérologie VIH doit être proposée au patient.
150 Les cancers digestifs
Histoire naturelle
Le CCA peut avoir une évolution locale, mais aussi disséminer par voie
lymphatique ou hématogène. L’extension locale aux muscles sphinctériens est
fréquente au stade initial. Avant l’apparition des traitements non chirurgicaux,
l’extension à plus de la moitié de la circonférence de l’anus nécessitait une
amputation abdomino-périnéale. Localement, la tumeur peut s’étendre aux
structures adjacentes telles que le vagin chez la femme, les vésicules séminales,
la prostate et la vessie chez l’homme. La dissémination à distance peut se faire
par la circulation porte ou la veine cave selon la localisation de la tumeur. Au
diagnostic, 5 % à 8 % des patients ont des métastases hépatiques et moins de
5 % ont des métastases pulmonaires et/ou osseuses. L’atteinte lymphatique
inguinale est présente chez 15 % des patients au diagnostic.
Classification TNM
La classification de l’UICC établie en 1997 est basée sur la valeur pronostique
de la taille de la tumeur et de l’envahissement ganglionnaire (tableau I).
La probabilité d’atteinte ganglionnaire est directement liée à la taille de la
tumeur.
Facteurs pronostiques préthérapeutiques
Taille de la tumeur
Plusieurs études ont démontré l’importance de la taille du CCA sur la réponse
au traitement et la survie globale. Frost et al. ont étudié le devenir de
132 patients opérés par amputation abdomino-périnéale pour un CCA (20).
La survie à cinq ans était respectivement de 78 %, 55 % et 40 % pour des
tumeurs de 1-2 cm, de 3-5 cm et de plus de 6 cm. Dans une série de
270 patients présentant un CCA, la répartition selon le stade T et la survie à
cinq ans étaient les suivants (19) :
– T1 9 %, survie 86 % ;
– T2 51 %, survie 86 % ;
– T3 30 %, survie 30 % ;
– T4 10 %, survie 45 % ;
– N+ 13 %, survie 54 % (76 % si N0).
Cancer du canal anal 151
Tableau I – Classification TNM.
Tumeur primitive (T)
T1 : tumeur de moins de 2 cm dans sa plus grande dimension
T2 : tumeur dont la plus grande dimension est comprise entre 2 et 5 cm
T3 : tumeur de plus de 5 cm dans sa plus grande dimension
T4 : tumeur, quelle que soit sa taille, qui envahit un ou plusieurs organes adjacents.
Ganglions lymphatiques régionaux (N)
N0 : pas de métastase ganglionnaire
Nx : ganglions non évalués
pNx : ganglions non évalués ou moins de 12 ganglions examinés sur un curage péri-rectal et
pelvien ou moins de 6 sur un curage inguinal
N1 : ganglions périrectaux
N2 : ganglions iliaque interne et/ou inguinal homo-latéral
N3 : ganglions bilatéraux.
Métastases à distance (M)
M0 : pas de métastase
Mx : métastase non évaluée
M1 : présence de métastases.
UsTN
usT1 : atteinte de la muqueuse et de la sous-muqueuse sans atteinte du sphincter interne
usT2 : atteinte du sphincter interne sans atteinte du sphincter externe
usT3 : atteinte du sphincter externe
usT4 : atteinte d'un organe pelvien de voisinage
usN0 : pas d'adénopathie suspecte
usN+ : adénopathie péri-rectale de 5 à 10 mm de diamètre ayant les caractères de malignité (rond,
hypo-échogène, contours nets) ou mesurant plus de 10 mm de diamètre.
Stades
Stade 0
Stade I
Stade II
Stade IIIA
Stade IIIB
Stade IV
Tis N0
M0
T1 N0
M0
T2 N0
M0
T3 N0
M0
T1 N1
M0
T2 N1
M0
T3 N1
M0
T4 N0
M0
T4 N1
M0
Tous T
N2, N3 M0
Tous T, tous N, M1.
Statut ganglionnaire
Dans la série de Frost, la survie à cinq ans était de 44 % chez les patients
présentant une atteinte ganglionnaire contre 74 % chez ceux sans atteinte
ganglionnaire (p = 0,000009) (20).
Histologie
Parmi les différents types histologiques de cancer épidermoïde de l’anus, il
n’existe pas de différence de pronostic. Les rares cas de mélanomes de l’anus et
de carcinomes à petites cellules ont habituellement un pronostic sombre à
court terme.
152 Les cancers digestifs
Autres facteurs pronostiques
Dans une récente étude randomisée, le sexe féminin était un facteur de bon
pronostic indépendant (21).
Traitement
Traitement chirurgical
En raison des progrès réalisés dans les traitements non chirurgicaux des CCA,
l’amputation abdomino-périnéale, qui était initialement proposée aux patients,
ne doit plus être réalisée d’emblée.
Traitement combiné
En 1973 a été publiée la première série sur 3 patients traités par radio-chimiothérapie exclusive (22). Il s’agissait d’une association de 5-FU (1 000 mg/m2/j
en perfusion continue, de J1 à J4 et de J29 à J33), de mitomycine C
(10 mg/m2/j, J1) et de radiothérapie (30 Gy). Ces données préliminaires ont été
confirmées dans deux grands essais randomisés (UKCCR, EORTC) comparant
la radio-chimiothérapie à la radiothérapie seule. Le protocole FUMIR associe
une perfusion continue de 5-FU à la dose de 750 mg/m2/j pendant cinq jours
de suite, les semaines 1 et 5 de la première séquence de la radiothérapie
pelvienne (45 Gy ; 25 fractions sur cinq semaines), et la mitomycine C administrée uniquement en bolus le premier jour à la dose de 15 mg/m2 (21, 23).
L’essai de l’UKCCCR a inclus 585 patients et, avec un suivi de médian de
quarante-deux mois, les taux de contrôle local étaient respectivement de 64 %
et 41 % dans les bras radio-chimiothérapie et radiothérapie (p < 0,0001).
L’étude de l’EORTC a confirmé ces résultats en randomisant 110 patients
présentant un CCA T3 ou T4 selon les mêmes modalités. L’administration
d’une chimiothérapie concomitante à la radiothérapie permettait d’augmenter
le taux de réponse complète de 54 à 80 % selon le stade. La tolérance était similaire dans les deux groupes.
Ces études ont démontré un bénéfice en terme de contrôle local et de survie
sans colostomie définitive et sans rechute dans le bras FUMIR sans amélioration significative de la survie globale (tableau II).
Dans ces deux études, la supériorité de la combinaison était significative pour
le contrôle local et la survie sans colostomie, mais pas pour la survie brute. La
chimiothérapie n’influençait pas le risque de survenue des métastases qui était
identique dans les deux bras (11 % et 9 % dans l’essai de l’EORTC).
Cancer du canal anal 153
Tableau II – Résultats des essais de radiothérapie combinée à la chimiothérapie.
Étude
Nombre
UKCCCR (23)
585
EORTC (21)
110
RTOG/ECOG(24) 291
Traitement
RC
Contrôle local
Survie à trois ans
RT + CT
39 %
61 %
65 %
RT
30 %
39 %
58 %
p < 0,001
p = 0,25
RT + CT
80 %
71 %
72 %
RT
54 %
52 %
65 %
p = 0,02
p = 0,02
p = 0,17
RT + 5-FU
64 %
59 %
67 %
RT + 5-FU +
mitomycine
82 %
71 %
76 %
p = 0,019 p = 0,001
p = 0,18
RC : réponse complète, CT : chimiothérapie, RT : radiothérapie.
Une troisième étude a démontré l’intérêt de la mitomycine C. Elle a été
conduite par le RTOG (Radiation therapy oncology group) et l’ECOG (Eastern
cooperative oncology group), et a randomisé 310 patients, dont 291 évaluables,
entre un traitement combiné par 5-FU continu seul et radiothérapie (FUR) et
la combinaison 5-FU continu + mitomycine C et radiothérapie (FUMIR) ; la
radiothérapie était administrée à la dose de 45 à 50,4 Gy en cinq semaines. Les
patients étaient réévalués par un examen clinique et une biopsie quatre à six
semaines après cette première séquence (24). En cas de réponse incomplète ou
de biopsie positive, un traitement complémentaire par radiothérapie (9 Gy en
cinq fractions) potentialisé par 5-FU en continu et CDDP était administré
avec une nouvelle réévaluation et, en cas de non-réponse complète, une amputation abdomino-périnéale était indiquée. Dans cette étude, la toxicité de la
combinaison FUMIR était supérieure (grade IV : 23 % versus 7 %) et a entraîné
des décès toxiques (2,7 % versus 0 %), avec un meilleur taux de RC (82 %
versus 64 % ; p = 0,001), moins de colostomie à quatre ans (9 % versus 23 % ;
p = 0,002) (notamment pour les tumeurs de diamètre supérieur à 5 cm classées initialement T3 ou T4 (p = 0,019)) et une meilleure survie sans rechute à
quatre ans (73 % versus 51 % ; p = 0,0003), alors que la survie globale était non
différente (p = 0,18). Dans cette étude, 25 patients ont reçu en traitement de
rattrapage l’association 5-FU-CDDP + radiothérapie, ce qui a permis d’obtenir
une RC histologique dans 55 % des 22 cas rebiopsiés et une survie sans rechute
à quatre ans de 50 % et sans colostomie de 32 %.
Doci et al. ont rapporté une série de 35 patients traités par l’association
5-FU-CDDP + radiothérapie. Le taux de RC était de 94 % et de colostomie de
14 % après un suivi moyen de trois ans (25). L’étude du groupe digestif de
centres de lutte contre le cancer français a confirmé ces bons résultats à partir
d’une série de 30 patients (26). Dans cette étude, les patients ont reçu, après la
chimiothérapie néo-adjuvante, une première séquence d’association de radio-
154 Les cancers digestifs
chimiothérapie (45 Gy en cinq semaines + deux cures de chimiothérapie la
première et la cinquième semaine de l’irradiation associant : 5-FU 1 g/m2/j de
J1 à J4 et CDDP 25 mg/m2 à J1) suivie, six semaines après la fin, d’une seconde
séquence de radiothérapie à la dose de 20 Gy en deux semaines. Ce schéma a
permis d’obtenir 59 % de RC (17/29 patients évaluables) et 31 % de RP (9/29)
après la première séquence, et 96 % de RC après le traitement complet.
Radiothérapie : doses et schémas
Les patients reçoivent une irradiation dont le champ comprend le pelvis sous
le niveau de S1-S2, englobant l’anus et les ganglions lymphatiques inguinaux.
Après l’administration d’une dose de 30 à 35 Gy, le champ est réduit sur la
tumeur primitive. La dose totale recommandée est de 45 à 50 Gy en vingt-cinq
fractions. Le champ d’irradiation situé sous S1 épargne l’intestin grêle, mais
l’incidence des toxicités tardives n’est pas négligeable. Les effets secondaires les
plus fréquents sont les ulcères, les sténoses et les nécroses de l’anus dans plus
d’un tiers des cas. En raison de la toxicité tardive, 6 à 12 % des patients sans
récidive à cinq ans subissent une amputation abdomino-périnéale avec mise en
place d’une colostomie (27). Une plus grande dose par fraction et une dose
totale supérieure à 39 Gy sont associées à une toxicité plus importante.
Malgré un accroissement de la toxicité, des doses d’irradiation supérieures ont
été évaluées en raison de la nécessité d’obtenir un meilleur contrôle local. Une
étude du RTOG a évalué une intensification de 20 Gy en « split-course » après une
irradiation de 39 Gy, associée à une chimiothérapie chez des patients présentant
un CCA T2 ou T3 (28). Les résultats, en terme de contrôle local, n’étaient pas
différents de ceux observés avec une dose classique de 45 Gy. En revanche, 30%
des patients avaient des complications à deux ans nécessitant une colostomie.
Évaluation de la réponse
La réponse au traitement combiné doit être évaluée six à huit semaines après la
fin du traitement. La taille du CCA diminue progressivement et la réponse
peut se poursuivre jusqu’à douze semaines. Il n’y a pas de recommandation
concernant la réalisation de biopsies systématiques lors de l’évaluation ; en
effet, celles-ci peuvent être responsables de phénomènes de nécrose. Elles
doivent être réalisées si existe un doute à l’examen clinique. En l’absence de
maladie résiduelle, un nouvel examen est conseillé à six semaines.
Réponse incomplète ou récidive
En cas de persistance macro- ou microscopique six semaines après la fin du
traitement ou en cas de récidive, la chirurgie est préconisée, même si aucun
essai n’a comparé une approche chirurgicale d’emblée à un complément de
Cancer du canal anal 155
radiothérapie et de chimiothérapie. Dans l’essai du UKCCCR, 29 patients avec
une réponse inférieure à 50 % ont eu une exérèse chirurgicale, dont 83 % R0.
Une récidive était notée chez 42 % des patients. Allah et al. ont évalué
42 patients traités par radio-chimiothérapie présentant une maladie résiduelle
ou une récidive (29). Chez les 26 patients opérés, 11 ont pu avoir une exérèse
RO. Chez ces patients, la survie à cinq ans était de 45 %. Les patients non
opérés sont tous décédés avant cinq ans.
L’efficacité d’une approche non chirurgicale en cas de réponse incomplète
après un traitement combiné est mal connue. L’essai du RTOG/ECOG décrit
plus haut a montré l’intérêt d’une radio-chimiothérapie (9 Gy, 5-FU-CDDP)
de rattrapage permettant d’obtenir 33 % de survie sans récidive et sans colostomie.
Traitement des patients VIH+
Le traitement combiné chez les patients VIH+ a des résultats identiques.
Néanmoins, la toxicité liée au traitement semble plus importante essentiellement pour des doses d’irradiation supérieures à 30 Gy. Dans une étude portant
sur 17 patients VIH+, la tolérance du traitement a été inversement corrélée au
taux de CD4 (< ou > à 200 éléments/mm3) (30).
Traitement des maladies métastatiques
Peu d’études, et comprenant un faible nombre de patients, ont étudié le
devenir de patients traités pour un CCA métastatique (31, 32). Les schémas de
chimiothérapie habituellement prescrits associent du 5-FU au CDDP et
permettent fréquemment d’obtenir des réponses et une survie prolongées.
Faivre a montré, sur une série de 18 patients présentant des métastases
synchrones ou métachrones d’un CCA traités par 5-FU continu et CDDP, un
taux de 66 % de réponse et une survie à un et cinq ans de respectivement 62,2 %
et 32,2 % (31). En cas de bonne réponse à la chimiothérapie des métastases, une
radiothérapie complémentaire sur la tumeur primitive à visée symptomatique
peut être discutée. Néanmoins, les récidives sont quasi constantes.
Surveillance
La surveillance après l’obtention d’une réponse complète à un traitement
combiné comporte un examen proctologique et des aires ganglionnaires tous
les trois mois pendant trois ans. Si la tumeur est supérieure à 4 cm et/ou N+,
la surveillance comprend une échographie abdominale ou un scanner abdomino-pelvien et une radiographie pulmonaire.
156 Les cancers digestifs
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