Ce que peut... - Nuit Debout
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Ce que peut... - Nuit Debout
Un article de Samuel Laurent et Adrien Sénécat publié par Les Décodeurs le 3 mai 2016. De Nuit debout aux cortèges du 1er mai contre le projet de « loi travail », la France traverse une nouvelle période de troubles sociaux, avec ses figures imposées, et notamment les violences, à la fois des manifestants et des forces de l’ordre. Ces dernières sont accusées d’avoir, depuis quelques jours, une « stratégie de la tension » et essuient des critiques quant à leur action, jugée trop violente. Que dit la loi sur les manifestations ? En France, la liberté de manifestation est un droit consacré par la jurisprudence, qui combine le droit d’aller et venir et le droit d’exprimer ses opinions. La loi estime cependant que ce droit doit être compatible avec la nécessité pour la puissance publique de garantir l’ordre et la sécurité des personnes et des biens. Une manifestation doit donc être déclarée en préfecture (jusqu’à trois jours avant son déroulement) pour être autorisée. Cette déclaration doit inclure le nom et l’adresse d’au moins trois organisateurs du rassemblement, et indiquer les lieux prévus pour la manifestation. La puissance publique conserve le droit d’interdire totalement ou en partie un rassemblement au nom de la sécurité publique, et d’en condamner les responsables si elle se tient malgré tout : le code pénal prévoit un délit en cas d’attroupement non autorisé et susceptible de troubler l’ordre public. Enfin, qu’une manifestation soit autorisée n’empêche pas la police ou la gendarmerie d’intervenir si elles estiment qu’il y a des troubles à l’ordre public. L’état d’urgence change-t-il quelque chose ? Lorsque l’état d’urgence est décrété, comme c’est le cas en France depuis les attaques djihadistes du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis, l’exécutif dispose d’autres possibilités. Chaque préfet peut ainsi restreindre la liberté de circulation (couvre-feu, zones à accès réglementé…). Il peut aussi interdire à une personne « cherchant à entraver de quelque manière que ce soit l’action des pouvoirs publics » l’accès à un endroit donné, ou encore assigner à résidence toute personne « dont l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité ou l’ordre public ». Il peut également interdire « les réunions de nature à provoquer ou entretenir le désordre », donc les manifestations, et faire fermer provisoirement « salles de spectacle, débits de boissons et lieux de réunions ». Mais l’état d’urgence ne donne pas en soi de pouvoirs ou d’impunité supplémentaire aux forces de l’ordre. Quand les forces de l’ordre peuvent-elles faire usage de la force ? « Un attroupement peut être dissipé par la force publique après deux sommations de se disperser restées sans effet [et] adressées dans les conditions prévues par l’article L. 211-9 du code de la sécurité intérieure », dit l’article 412-3 du code pénal. En clair, dès lors qu’un représentant de l’Etat habilité (préfet ou maire, par exemple) ou un officier de police judiciaire estime qu’il y a des raisons d’empêcher un attroupement, et qu’il a, par deux fois et sans succès, demandé aux participants de se disperser, l’emploi de la force est justifié. Les sommations sont, dans l’ordre : « Obéissance à la loi, dispersez-vous », qui les annonce ; puis : « Première sommation : on va faire usage de la force » et « deuxième sommation, on va faire usage de la force ». Elles peuvent être complétées ou remplacées par le lancement d’une fusée rouge. En outre, l’emploi de la force est possible sans sommation dès lors que « des violences ou voies de fait » sont exercées contre les forces de l’ordre ou que ces dernières « ne peuvent défendre autrement le terrain qu’ils occupent ». 2 Qui est chargé du maintien de l’ordre ? Le « maintien de l’ordre » est confié, en France, à deux corps de fonctionnaires spécialisés : les gendarmes mobiles et les compagnies républicaines de sécurité (CRS), qui représentent environ 30 000 hommes à elles deux (17 000 gendarmes mobiles et 14 000 CRS environ). Les deux forces ont des missions assez similaires : la sécurisation de points sensibles et la gestion des rassemblements et manifestations. Gendarmerie mobile : 12 877 équivalents temps plein, répartis en un groupement blindé, 108 escadrons et trois pelotons d’intervention interrégionaux. Chaque escadron compte 117 hommes, qu’on déploie selon deux formations, « Alpha » (« rétablissement » de l’ordre en cas de troubles avérés) et « Bravo » (maintien de l’ordre lorsqu’il n’est pas perturbé). CRS : on compte 60 unités de 130 agents, qui s’organisent en sections d’une quinzaine d’hommes, qui peuvent à leur tour se diviser en deux. Les 67 compagnies de CRS et les 108 escadrons de gendarmes mobiles (dont une vingtaine est stationnée dans les DOM) sont déployés sur tout le territoire et sont sous l’autorité des préfets. Pour ce faire, CRS et gendarmes disposent d’un équipement et d’un entraînement spécifique. Dans quels cas peuvent-ils user de la force ? Le recours à la force est encadré par deux notions : l’absolue nécessité de son emploi et la proportionnalité. Ainsi, dès lors qu’un attroupement est dispersé, le délit qu’il représentait n’est plus constitué et le recours à la force n’est plus justifié. Le « maintien de l’ordre » est par essence complexe : le but n’est évidemment pas de causer de blessés graves ou de décès parmi la foule, mais il est aussi d’éviter que les forces de l’ordre ne soient elles-mêmes blessées. Ce qui explique en partie le recours croissant aux armes à distance, supposées moins susceptibles de blesser gravement qu’une matraque, mais qui peuvent en réalité causer de sévères blessures. Le rapport parlementaire rendu en 2015 par Pascal Popelin sur le maintien de l’ordre évoque quatre phases et actions possibles, selon la situation : le recours à la seule force physique (charge, barrages) ; 3 ce recours à la force peut s’accompagner de l’usage d’armes telles les « bâtons de défense » (matraques), boucliers, « containers lacrymogènes à main » (connus également sous le nom de « bombes à poivre ») ou lanceurs d’eau ; si ce n’est pas suffisant, les forces de l’ordre peuvent utiliser, après une nouvelle sommation (ou toujours sans sommation si elles sont l’objet de violences), les armes à feu, en l’occurrence les grenades lacrymogènes instantanées (sans gaz, mais émettant un effet sonore et de choc), qui peuvent être projetées manuellement ou à l’aide d’un lanceur ; enfin, dans le seul cas « d’ouverture du feu sur les représentants de la force publique », c’est-à-dire si on leur tire dessus, les gendarmes et CRS peuvent riposter au fusil de précision (calibre 7,65 x 51 mm), là encore de manière proportionnée. Quelles armes servent au maintien de l’ordre ? Les armes non classées en tant qu’armes à feu comme les bâtons en bois, en caoutchouc, télescopiques ainsi que les aérosols de gaz lacrymogènes (spray ou grenades à main) peuvent être utilisées avant la deuxième sommation (et toujours sans sommation dès lors que des violences sur les forces de l’ordre sont établies). On parle de « moyens intermédiaires », mais l’usage de la force doit rester proportionné. En 2013, la Cour européenne des droits de l’homme a condamné la France à cause de blessures infligées par des gendarmes avec un bâton télescopique, car la victime avait adopté une attitude de « résistance passive ». Le canon à eau peut également être utilisé pour disperser les manifestants. La police s'en prend à un manifestant après l'annulation de la marche pour le climat le 29 novembre 2015 place de la République à Paris. Les armes à feu, en revanche, ne peuvent être utilisées qu’après sommation, sauf, on l’a dit, si les forces de l’ordre sont attaquées. Parmi elles, on trouve notamment les lanceurs de grenades (lacrymogènes ou assourdissantes), qui peuvent engendrer différents types de mutilations. Un rapport de la Commission nationale de déontologie de la sécurité publié en 2009 évoque notamment le cas d’un manifestant touché à la tête par une grenade lacrymogène dans une manifestation à Toulouse le 7 mars 2006. Le médecin qui l’a examiné a constaté « un traumatisme crânien sans perte de connaissance » et des lésions qui ont entraîné la pose de quarante points de suture. 4 Les grenades dites « offensives », utilisées par le passé, ont été interdites dans les opérations de maintien de l’ordre en novembre 2014. Ces armes étaient censées être utilisées pour disperser des manifestations violentes et armées, par effet de souffle. Mais elles pouvaient se révéler particulièrement dangereuses en cas d’explosion au contact d’une personne, voire entraîner des blessures mortelles : ce sont ces munitions qui sont à l’origine de la mort de Rémi Fraisse sur le site du projet de barrage de Sivens le 26 octobre 2014. Les grenades « assourdissantes » ou de « désencerclement », moins puissantes, sont toujours autorisées. Ces dernières, qui projettent des billes de caoutchouc en explosant, peuvent blesser gravement en cas d’utilisation inappropriée. Les forces de l’ordre ont en principe pour consigne de s’en servir en cas de danger, par exemple lorsqu’elles sont en « situation d’encerclement ou de prise à partie par des bandes armées ». Elles doivent également les lancer au sol. Le lanceur de balles de défense : on retrouve dans cette catégorie le célèbre « FlashBall » ainsi que les LBD 40 et GL-06. Ces armes sont censées faire office d’intermédiaire entre la matraque et l’arme de poing et sont donc fréquemment présentées comme « non létales » ou « sublétales ». Elles ont pourtant engendré des blessures graves (principalement des pertes d’usage de l’œil) qui ont poussé le défenseur des droits à réclamer leur interdiction en 2015. Une demande rejetée par le ministère de l’intérieur qui a dit refuser de « désarmer les forces de l’ordre ». Le pistolet à impulsion électrique (de type Taser) est lui aussi considéré comme une arme non létale, qui peut notamment être employée dans des « situations intermédiaires ». Il est néanmoins déconseillé de l’utiliser contre des personnes qui présentent une « vulnérabilité particulière » comme les personnes âgées ou les femmes enceintes. Le défenseur des droits déplorait en 2013 un usage trop répandu du Taser, dans des situations parfois inappropriées. Selon lui, « recevoir une forte décharge d’électricité conduit à une douleur localisée très intense, ainsi qu’à un traumatisme psychologique à la dignité humaine ». Depuis 2014, une circulaire proscrit son usage dans des opérations de maintien de l’ordre. Les armes qui tirent à « balles réelles », considérées comme létales, ne peuvent être utilisées que dans le cas d’une « ouverture du feu sur les représentants de la force publique ». Et les policiers en civil ? Outre les forces dédiées au maintien de l’ordre, d’autres policiers issus des commissariats agissent dans les cortèges, notamment les brigades anticriminalité. Ils 5 sont en civil afin de ne pas être repérés. Leur but est, le plus souvent, de procéder à des arrestations et d’extraire des individus de la foule. Ces fonctionnaires font l’objet d’une polémique récurrente concernant la présence supposée de « policiers casseurs » qui provoqueraient des troubles. Mais ces allégations n’ont jamais été prouvées, les images publiées autour de la question étant souvent manipulées. Les syndicats de policiers nient par ailleurs vigoureusement, rappelant d’une part que des policiers ne vont pas jeter de pavés sur leurs collègues, et, d’autre part, leur attachement à la liberté de manifester. 6 Un article de Benjamin Bruel publié par Les Décodeurs le 5 mai 2016. A chaque nouvelle journée de mobilisation contre le projet de réforme du code du travail son lot de heurts entre policiers et manifestants. Nous avons évoqué dans un précédent article ce que policiers et gendarmes ont le droit de faire ou non lors d’une manifestation. Et vous avez été nombreux à nous demander la même chose concernant les manifestants. Ce que dit la loi sur les manifestations Dans la législation française, le droit de « manifestation sur la voie publique » n’est pas inscrit dans la Constitution, bien qu’étant présent dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme. Le droit de manifestation est donc régi par des décrets et la jurisprudence, qui combine le droit d’aller et venir et le droit d’exprimer ses opinions. Ce droit doit toutefois être compatible avec la nécessité, pour les pouvoirs publics, d’assurer l’ordre et la sécurité des personnes et des biens. Depuis un décret-loi datant d’octobre 1935, il faut déposer une demande de manifestation sur la voie publique auprès de la préfecture, au plus tard trois jours avant la date de la manifestation. Le but de la manifestation, le nom de trois organisateurs – le minimum de personnes pour une manifestation –, la date et le lieu de la manifestation doivent figurer sur la demande. 7 Sur quels critères les autorités peuvent-elles interdire une manifestation ? Le délai minimal de trois jours demandé aux organisateurs doit permettre aux autorités de valider la demande, le parcours de la manifestation et son encadrement, afin de garantir la sécurité sur la voie publique, d’après une ordonnance de mars 2012. Toutefois, les autorités publiques, c’est-à-dire la préfecture de police à Paris, les maires ou préfets en province, se réservent le droit de discuter ou d’interdire toute manifestation « si les circonstances font craindre des troubles graves à l’ordre public » et des atteintes à la sécurité publique. Concrètement, les motifs d’interdiction sont très larges. Il peut s’agir d’une incapacité pour la police à maintenir la sécurité, ou l’assurance d’un risque important de provocation, en fonction des buts de la manifestation, par exemple. Contactée, la préfecture de police précise : « S’il y a des risques avérés, nous n’avons pas à les dévoiler. » Me Gilles Devers, avocat pénaliste à Lyon et blogueur, considère qu’il « ne suffit pas de dire qu’il y a un risque de trouble à l’ordre public, puisque la manifestation est elle-même faite pour troubler l’ordre public. Il ne suffit pas d’évoquer un risque, il faut lui donner une substance ». Braver cette interdiction revient, pour les organisateurs, à s’exposer à une amende 7 500 euros et six mois d’emprisonnement. Toutefois, les organisateurs de la manifestation peuvent déposer un recours auprès du tribunal administratif en cas d’interdiction. Celui-ci se prononce très rapidement sur la question, avant la date prévue pour la manifestation. Un appel peut même être formé en Conseil d’Etat. A-t-on le droit de participer à une manifestation sauvage ? La manifestation sauvage ou spontanée n’est pas clairement délimitée dans la législation. La référence juridique est, sur cette question, l’article 431-3 du code pénal, qui renvoie à la « participation délictueuse » à ce qui est dénommé comme étant un « attroupement ». Un attroupement, ou un regroupement de personnes, n’est pas illégal en soi, mais il ne bénéficie pas du régime des libertés fondamentales. Il pourra donc être considéré comme « susceptible de troubler l’ordre public » assez rapidement par les forces de l’ordre. Celles-ci, par la voix du préfet ou d’officiers, sont censées effectuer deux 8 sommations de dispersion sans effet, avant d’utiliser la force. Sauf si elles ont été elles-mêmes, préalablement, attaquées. Si la manifestation sauvage a lieu à la suite de l’interdiction d’une manifestation, seuls les organisateurs de la manifestation interdite pourront a priori être poursuivis par la justice. Néanmoins, une loi « renforçant la lutte contre les violences de groupes et la protection des personnes chargées d’une mission de service public », adoptée en 2009 par l’Assemblée nationale, permet aux forces de l’ordre d’interpeller un groupe entier en cas de « préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, de violences volontaires ». Dans quel cadre le manifestant peut-il participer à un sitin ou utiliser la résistance passive pour protester ? Le sit-in, c’est-à-dire l’occupation d’un lieu de manière non violente, généralement en position assise, est considéré de la même manière qu’une manifestation en mouvement : il s’agit d’une réunion organisée sur la voie publique dans le but d’exprimer une conviction collective. Le sit-in est donc régi par les mêmes droits, limites et réglementations. Qu’en est-il si le sit-in est organisé de manière sauvage ou dans un lieu privé ? Là encore, les forces de l’ordre peuvent tout à fait disperser les manifestants en usant de la force. Cet usage doit se faire selon deux critères : la nécessité de son emploi et sa proportionnalité. La France a ainsi été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour un usage disproportionné de la force à la suite de la plainte d’un manifestant, frappé aux jambes à coups de bâton télescopique car il adoptait une attitude de « résistance passive » en refusant de se lever. Peut-on filmer les policiers lors d’une manifestation ? Il est normalement nécessaire de recueillir le consentement d’une personne pour pouvoir diffuser son image, bien qu’il existe des exceptions et des cas particuliers dans le droit à l’image. Notamment lorsqu’il s’agit d’images de groupes ou de manifestations publiques : on considère que l’image ne porte pas atteinte à la vie privée, puisque la personne consent implicitement à être exposée aux regards des autres dans un lieu public. S’agissant des policiers, rien n’interdit aux particuliers ou aux médias de filmer leur action. La commission nationale de déontologie de la sécurité considérait, dans un rapport en 2006, que « le fait d’être photographiés ou filmés durant leurs 9 interventions ne peut constituer aucune gêne pour des policiers soucieux du respect des règles déontologiques ». Les policiers ne bénéficient pas de protection particulière en matière de droit à l’image et ne peuvent pas saisir un appareil photo, une caméra ou leur contenu, à moins qu’il ne s’agisse d’un officier de police judiciaire habilité par le parquet. En cas de casse d’un appareil photo ou vidéo, s’il n’y a pas eu de sommation, « c’est comme pour l’état d’urgence et les perquisitions : on ne peut pas fracasser la porte de chez quelqu’un avant d’avoir sonné et tenté de prévenir », résume Me Devers. Un manifestant peut-il refuser une fouille au corps ou un contrôle d’identité ? Les forces de l’ordre procèdent à des interpellations après avoir délogé les manifestants du mouvement Nuit debout de la place de la République à Paris, le 28 avril. Seul un policier ou un gendarme peut demander légitimement à contrôler les papiers d’identité d’une personne. Personne n’est obligé d’avoir en permanence sa carte d’identité sur soi, mais l’on doit pouvoir justifier de son identité. En cas de refus, les forces de l’ordre ont le pouvoir de conduire l’individu au poste de police pour une vérification d’identité. De même, un policier a le droit de demander à fouiller un sac, en particulier lors d’une manifestation. En cas de refus, il a également le droit d’emmener la personne au poste, mais doit obtenir une réquisition du parquet pour aller plus avant dans la fouille de ses objets. Un procès-verbal doit également être établi, que le manifestant peut refuser de signer. La fouille au corps n’est possible, a priori, que dans trois cas : enquête préliminaire avec accord express de la personne, commission rogatoire ou flagrant délit. Ce dernier cas peut s’appliquer dans le cadre d’une manifestation, si violences il y a. Un policier peut utiliser la palpation de sécurité sur un manifestant, s’il le juge nécessaire. Validée par la jurisprudence, cette mesure est donc assez subjective, mais ne peut se transformer en fouille précise au corps. Quant au prélèvement ADN, demandé par un officier de police judiciaire ou le procureur de la République, il est en droit une obligation s’il existe « des indices graves ou concordants rendant vraisemblable » que la personne en cause ait « commis des infractions » dont la liste, de plus en plus large, est détaillée ici. Ce prélèvement rejoindra ensuite le fichier national des empreintes génétiques. 10 Peut-on se dissimuler le visage lors d’une manifestation ? Non. A la suite de manifestations en 2009, lors d’un sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN) à Strasbourg, un décret, surnommé « anticagoule », a été adopté. Plusieurs syndicats ont alors saisi le Conseil d’Etat, qui a validé la disposition en 2011. On ne peut pas « dissimuler volontairement son visage afin de ne pas être identifié dans des circonstances faisant craindre des atteintes à l’ordre public », selon le décret, qui prévoit une amende d’un maximum de 3 000 euros. Toutefois, le décret n’apporte pas plus de précisions sur les moyens de dissimuler son visage, et une certaine liberté d’interprétation existe. Un manifestant a-t-il le droit d’intervenir face à un casseur ? Tout citoyen peut, en droit, faire obstacle à un délit ou un crime : « N’est pas pénalement responsable la personne qui, pour interrompre l’exécution d’un crime ou d’un délit contre un bien, accomplit un acte de défense, autre qu’un homicide volontaire, lorsque cet acte est strictement nécessaire au but poursuivi, dès lors que les moyens employés sont proportionnés à la gravité de l’infraction », est-il écrit dans le code pénal. Il y a donc un certain nombre de limites à cette règle : on peut retenir une personne pour permettre aux forces de l’ordre de l’arrêter, mais pas la frapper ou la blesser, sous peine d’être à son tour l’objet d’une plainte. Un manifestant peut-il faire usage de la légitime défense face à un policier ? En droit, cette interrogation est en réalité un non-sens : les forces de l’ordre doivent protéger les citoyens et la question de la légitime défense ne devrait pas se poser. « Je ne le prendrais pas sous cet angle, parce que, en temps normal, cette question n’a pas de sens. Le danger devrait être réel et actuel. Mais résister à un usage abusif de la force est un droit. Il est justifiable et, il ne faut pas l’oublier, l’excès d’usage de la force met en cause le policier, mais aussi et surtout l’Etat », souligne Me Devers. Il est de toute façon possible de porter plainte contre des violences policières, à condition de disposer de preuves suffisantes. En mars 2015, un policier a ainsi été condamné à trois ans de prison ferme pour avoir violemment frappé un jeune homme lors de son arrestation, le laissant hémiplégique. 11 En cas d’arrestation, quels sont les droits du manifestant ? Le manifestant a les mêmes droits que toute personne interpellée par les forces de l’ordre, notamment connaître les raisons de sa détention et pouvoir parler à un avocat. Il a également le droit de garder le silence face aux questions des forces de l’ordre. Après une interpellation, un manifestant arrêté sera présenté à un officier de police judiciaire, qui a seul le pouvoir de le placer en garde à vue. La durée de la garde à vue est en principe de quarante-huit heures au maximum, note également le syndicat de la magistrature dans un blog. Si à la fin de la garde à vue le procureur de la République estime disposer d’éléments probants suffisants démontrant que le manifestant a commis une infraction, il est vraisemblable qu’il décide de le déférer devant un tribunal, le plus souvent en comparution immédiate (qu’il est possible de refuser, mais au risque de rester détenu dans l’attente du procès). Ces droits peuvent-ils être restreints, notamment par l’état d’urgence ? Comme nous l’avons déjà souligné, l’état d’urgence ne donne pas en soi de pouvoirs ou d’impunités supplémentaires aux forces de l’ordre. Toutefois, il permet d’interdire à une personne « cherchant à entraver de quelque manière que ce soit l’action des pouvoirs publics » l’accès à un endroit donné, ou encore d’assigner à résidence toute personne « dont l’activité s’avère dangereuse pour la sécurité ou l’ordre public ». Il permet donc aux forces de l’ordre de restreindre plus fortement et avec moins de justifications la liberté de circulation. Il peut également interdire « les réunions de nature à provoquer ou entretenir le désordre », donc les manifestations, et faire fermer provisoirement « salles de spectacle, débits de boissons et lieux de réunions ». Mis en forme pour l’Infokiosque de Nuit Debout Lyon le 9 mai 2016. 12