le destin : hasard ou necessite
Transcription
le destin : hasard ou necessite
LE DESTIN : HASARD OU NECESSITE ? 1 Jacques van Assche « Nous aurons le destin que nous aurons mérité. » Albert Einstein L'intelligence supérieure d'un individu se mesure à sa capacité d'entretenir simultanément deux pensées contradictoires tout en conservant son aptitude à fonctionner (Francis Scott Fitzgerald) 2 Prolégomènes. Le terme " destin", du latin "destinare" qui signifie " fixer", est l'équivalent du terme "fatalité" et prend le sens de " ce qui est fixé par le sort". Selon Épicure, la croyance philosophique dans le destin aurait pour origine les philosophes qui se sont attaché à expliquer la nature uniquement à l'aide de la matière et en établissant entre les choses un lien de causalité : si tout ce qui existe a une cause rien ne peut naître du néant et rien ne peut y retourner (cf. Lavoisier " tout se transforme"). En outre, la succession des causes et des effets constitue une chaîne dans laquelle chaque maillon est nécessairement lié à l'autre. La causalité implique donc leur nécessité. C'est ce qu'exprime Cicéron dans, Du Destin : " si tout arrive en vertu de causes antécédentes, tous les événements sont étroitement liés, naturellement enchaînés les uns dans les autres et, s'il en est ainsi, tout est soumis à la nécessité." 1 Ce texte est une réactualisation d’une planche « J.van Assche, le Destin, Hasard ou Nécessité » présentée à la RL STELLA MARIS Or de Marseille, 1989. 2 . Freher, Paradoxa Emblemata, manuscrit, XVlllème siècle :Toutes les œuvres du Dieu clément vont pour ainsi dire en cercle et sont parfaites et elles retournent d'où elles viennent.» (Tiré du Rosaire des Philosophes de John Dastin, XIVème siècle, in: Hermetisches ABC, Berlin, 1778 1 Lorsque nous écoutons extrait de l'Opferlied , ( le chant du sacrifice ) de Beethoven, « Ce sourd qui entendait l’infini. » (Victor Hugo) nous réalisons qu’il illustre bien le double destin du compositeur, tragique par le drame de sa surdité, mais qui marche malgré tout vers son destin de gloire et de souffrance et qui, ayant vécu son propre Golgotha, touchera le fond du désespoir, envisageant même l'ultime solution : le suicide ...et destin glorieux, mais dans lequel résonne inéluctablement ce qui manque à son génie, le calme et le bonheur ... « La flamme jaillit, une douce 1ueur rayonne à travers la chênaie sombre, et des senteurs d'encens flottent- dans les airs... Prête moi une oreille indulgente et accepte, ô Très Haut, l'offrande de ton serviteur. Défends et protège toujours la liberté. Que ton souffle de vie doucement pénètre l'air, la terre, le feu et les ondes... Depuis l'adolescence et jusqu'à la vieillesse, ô Jupiter, accorde -moi au foyer paternel le Beau et le Bien... » Cet Opferlied qui, sur des paroles de Matthisson, a accompagné Beethoven tout au long de sa vie, puisque sa troisième et dernière version fut exécutée à Vienne le 4 avril 1824, un mois seulement avant la première audition de la Neuvième Symphonie. Dès 1795, Beethoven en avait composé une première version (un solo avec accompagnement de piano) qui était destinée à une loge franc-maçonne, celle de Wegeler à Bonn. Il la remania sept ans plus tard, et la reprit encore en I824, à deux reprises, tout en travaillant à la Neuvième Symphonie. I1 est d'ailleurs bien évident que ces deux oeuvres ne sont pas sans un certain rapport de pensée, l'ultime version gagnant encore en importance et en profondeur. Comme l'ont observé dans leur Biographie Jean et Brigitte Massin3, c'est dans l'Opferlied que se trouve la « Prière pour tous les temps » de Beethoven, résumée ainsi : « Das Schöne zum Guten » (le Beau et le Bien, le Beau uni au Bien). Beethoven a souvent écrit cette devise pour ses amis avec des mélodies différentes. Il y a aussi l'invocation au Très Haut conjuré de défendre toujours la liberté, lui est proche de certaines phrases de l'Ode â la Joie de Schiller... Il faut préciser que le Chant de sacrifice » pour voix solo et piano-forte, rejoint la maçonnerie d'inspiration antique mise à l'honneur à Vienne dans l'entourage de Mozart (cf. la cantate « Dir 3 Brigitte Massin et Jean Massin Ludwig van Beethoven , Fayard 1992 2 Seele des Weltalls »). Le texte du poète Matthisson évoque les sacrifices des anciennes religions, mais également le symbolisme des quatre éléments (si importants dès le premier grade) et le combat pour la liberté 4. Le musicographe H. de Curzon le qualifie de « ... large et belle page un peu dans le style des chœurs des prêtres d'Isis de La Flûte enchantée ».5 Mais rien ne prouve formellement que Beethoven ait été Franc-maçon, malgré certains indices - à vrai dire fragiles. Parmi ces indices, relevés par Roger Cotte,6 on notera par exemple le suivant : sur une des feuilles d'esquisse de l'adagio de son quatuor n° 7, on relève une inscription manuscrite de la main de Beethoven : un saule pleureur ou un acacia sur la tombe de mon frère. En revanche Philippe Autexier 7 rejette la thèse de l'appartenance maçonnique de Beethoven. Il nous faut nous méfier de ce qu'il nous ferait plaisir de croire, ajoute-t-il. Sans prendre parti dans cette querelle de spécialistes, une chose semble évidente : que Beethoven ait ou non été maçon, il partageait largement les idéaux humanistes de fraternité universelle, de liberté et de justice à l'honneur à l'époque dans l'intelligentsia allemande éclairée et dont la Francmaçonnerie était un porte-drapeau. Beethoven n’a certainement jamais été franc maçon8, tout au plus « sans tablier » ! Je souhaiterais dire que dans le titre " hasard ou nécessité", , une réflexion sur le thème du Destin s’est ajoutée. L’ouvrage de Jacques Monod9, dont on ne peut que respecter la magnifique œuvre scientifique, pour qui les religions sont bien entendu une proie facile pour la « nouvelle critique». Les croyants devront se convaincre qu’il est inutile et vain de chercher la trace de Dieu dans les brins de la double hélice est semble-t-il, complètement passé à côté du sujet. Il s’est borné à un rationalisme pur et dur oubliant Albert Einstein : « deux choses sont infinies : l’Univers et la bêtise humaine. Mais en ce qui concerne l’Univers, je n’en ai pas encore acquis la certitude absolue. » En ce sens que, face à une "science officielle" dans laquelle on associait l’adhérant à la science officielle un ensemble complexe les notions de " causalité , légalité , déterminisme , mécanisme , 4 5 http://mvmm.org/m/docs/beethoven.html http://www.archive.org/details/guidemusicalrevu191157brus 6 Roger Cotte La musique maçonnique et ses musiciens Ed. du Baucens, 1975 (collection Bibliothèque internationale d'études maçonniques) - réédité en 1991 par les Ed. du Borrego au Mans 7 Philippe Autexier ; La Lyre Maçonne Editions Detrad 8 http://www.editions-arqa.com/editions-arqa/spip.php?article1034 9 Jacques Monod, Le hasard et la nécessité, Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, Le Seuil éd. 3 rationalité ," n'a pu ou voulu se rendre compte que surgissait un ensemble de thèmes étrangers à la science classique : la vie , le destin , la liberté , la spontanéité , qui sont des émanations de profondeurs enfouies , et qui se voulaient inaccessibles à la raison ... Il est hélas devenu évident aujourd'hui que notre technologie a dépassé notre humanité. » (Albert Einstein ).Et puis, comment croire que l’on puisse trouver l’existence de Dieu (ou son absence) dans des éprouvettes ! Il ne s’agit pas ici de donner des réponses sur ce que représente cette interrogation permanente, lancinante, obsédante de l'humain , sur son destin , mais plutôt de susciter le questionnement , le doute bien sûr, la réflexion surtout, en essayant de "raisonner maçonniquement ", en particulier devant l'apparente absurdité de la condition humaine, qui a souvent conduit l'Homme à rechercher un " neuroleptique de l'âme ", ou un "imaginaire consolateur " Ainsi, ce travail s'articulera autour des thèmes suivants: Qu'est le destin ? Existe-t- il un Destin concernant l'Humanité, et (ou) des destins et des destinées individuels, intégrés ou non dans un plan d'ensemble ? En d'autres termes , dans la mesure il ne semble pas d'ores et déjà possible de dresser un le tableau complet de toutes les variétés de destins , et encore moins de donner une analyse détaillée des diverses allures qu'il peut prendre , il suffira de se rappeler que le destin peut être bon ou mauvais, étroit ou très large , selon qu'il intéresse peu ou beaucoup d'hommes , altruiste ou égotiste , mais sans doute devrions-nous parler de "rythme" propre . Le destin est-il inéluctable, répondant ainsi à une nécessité ? Ou bien ce que nous nommons destin n'est que le fruit du hasard ? Dans tous les cas, avons-nous une quelconque liberté, ou bien faut-il se référer uniquement au fatidique ? L'apparition de la notion de destin dans la conscience humaine paraît antérieure à toute réflexion philosophique et même à toute religion organisée10. En effet, le besoin de mettre de l'ordre dans le chaos (ORDO AB CHAO) des événements et des phénomènes amène à leur supposer une unité, à ne voir en eux que les effets d'une force unique ou d'un schéma préétabli, expression d'une volonté plus ou moins personnelle ou d'une nécessité inhérente aux choses. 10 M. Eliade, Histoire des croyances et idées religieuses, Payot 4 Cette force peut être envisagée comme s'opposant à la volonté humaine, c'est-à-dire que, contraint par la fatalité, on peut aussi trouver le bonheur dans une soumission volontaire au destin : cette philosophie relève du stoïcisme, ou bien au contraire une telle force peut être un déterminant, allant jusqu'aux actes mêmes par lesquels l'homme croit lutter contre elle, thème que l'on retrouve tout particulièrement développé dans la tragédie grecque : nous y reviendront ... La naissance des religions et la croyance en une volonté divine personnelle n'élimine pas nécessairement une référence au destin ou à la fatalité. En fait , l'idée d'un plan préétabli, même si elle n'intervient pas comme telle dans un dogme en vigueur , peut rester sous-jacente et entraîner l'apparition de points de vue théologiquement différents, comme c'est le cas dans le débat bien connu entre prédestination et liberté humaine, qui a traversé tout le christianisme . D’ailleurs, hors des religions établies, les notions de destin et de fatalité ont toujours joué et jouent encore un rôle important dans les superstitions populaires (contes de fées, magie, divination, astrologie), voire même dans la vie courante. Ces notions sont en fait si profondément ancrées dans l’homme, et celui-ci semblant fortement répugner à admettre l'idée de contingence ou de hasard, qu'on les voit survivre au déclin ou au rejet des religions traditionnelles et tenir, dans la pensée moderne, une place non négligeable sous des formes nouvelles telles que le déterminisme. Le terme "déterminisme" n'était pas encore attesté lorsque Diderot écrivait Jacques le Fataliste11, il ne le sera qu'au début du dix-neuvième siècle, mais ce n'est pas pour autant que Diderot n'était pas un partisan de cette doctrine selon laquelle" tout phénomène est régi par une ou plusieurs lois nécessaires telles que les mêmes causes entraînent dans les mêmes conditions les mêmes effets." Mais à la notion de déterminisme se superpose celle de la Finalité, qui domine l’idée de destin. Finalité ou finalisme, terme qui d’ailleurs hérissait Spinoza : «la doctrine finaliste renverse totalement la Nature et conduit à concevoir Dieu à l’image de l’homme » 12 et qui désigne à la fois l’état final, la disparition, mais aussi le but vers lequel toute chose tend et s’oriente. La finalité, c’est un peu comme « une maîtresse sans laquelle aucun biologiste ne peut vivre, mais qu’il est 11 Denis Diderot Jacques le Fataliste et son maître (http://www.site-magister.com/jacques.htm#ixzz344txLsAE) 12 Commentaire d’un extrait de l’appendice du livre I de l’Ethique de Spinoza http://forum.philagora.net/showthread.php?t=38167 5 honteux de montrer en public » (van den Brücke); pourtant, renoncer au finalisme est-il parfaitement satisfaisant pour l’esprit ? Décrire en finaliste un phénomène, c’est poser l’existence d’une conscience capable d’envisager le tout et l’avenir, d’élaborer un projet organisateur qui sera capable d’agencer harmonieusement les parties pour former un tout. En fait, comment accorder une conscience, sauf en versant dans l’animisme, au « brin d’herbe » à qui Kant attribuait une finalité interne ? La compréhension d’une finalité pour l’homme suppose qu’il y ait une finalité «externe », terme récurrent de l’anthropocentrisme, en vertu duquel tout ce qui existe a été créé pour l’Homme. Elle correspond au principe « anthropique », qui consiste à reconnaître dans le réglage fin des propriétés de l’Univers une sorte de conspiration cosmique, dont le but est l’apparition d’une vie intelligente, sans hasard (n’en déplaise à J. Monod !) mais aussi sans nécessité, si ce n’est que celle de l’Homme. Cette idée, en apparence très vaniteuse, ne peut qu’interpeller le Maçon ! A cet égard la plupart des spécialistes du cerveau pensent que la conscience est produite par l'activité neuronale. Ainsi en est-il du matérialisme sous sa forme habituelle. L'idée que l'Univers, la vie, la conscience aient pu apparaître sous l'effet des seules forces du hasard et de la sélection est une idée intéressante, qui a pu paraître solide mais qui est désormais peu probable et ultra spéculative. 13 L'opinion inverse selon laquelle notre Univers ferait partie d'un processus ayant un sens, voire un but est bien plus probable, lorsqu'on raisonne grâce à la philosophie des sciences, sans avoir recours à la religion! Voilà qui aurait pu conforter un Voltaire déiste, résumant son embarras en ces vers célèbres : L’Univers m’embarrasse, et je ne peux songer, que cette horloge existe et n’ait pas d’horloger … Tout ce dont nous venons de parler conduit à penser, comme le fait Libet, que l'esprit qui nous anime n'est pas uniquement un produit de l'activité neuronale, n’en déplaise à J-P. Changeux 14 le seul que veuille connaître un matérialiste, ou alors de dire n'importe quoi, comme c'est le cas de Crick, nous suggérant que nos joies et nos peines ne sont que des agitations de molécules dans nos neurones ! 13 14 Jean Staune Notre existence a-t-elle un sens ? Presses de la Renaissance J.-P. Changeux , L'Homme neuronal. Fayard Paris1983) 6 En Biologie, la finalité apparente des organismes vivants ne peut être utilisée comme principe explicatif de la simple observation : si la finalité d’un nez est apparemment de permettre de respirer et de sentir, on pourrait aussi dire qu’il a été fait pour porter des lunettes ! 15 Si on estime que les organismes vivants sont des structures finalisées vers la reproduction de leur information génétique, cela revient à dire que la finalité est l’A.D.N. ! Il semble que l’on se limiterait ainsi à une « mécanistique », une notion de déterminisme pure et dure et, à l’extrême, d’inné et d’acquis dont se sont emparés les philosophes et les politiciens. Le Franc-maçon éprouve quelque réticence à adhérer sans restriction à une telle philosophie déterministe ! Destin, réincarnation et prédestination dans les anciennes traditions Avant de continuer dans l'analyse phénoménologique du destin, il nous faut revenir sur une question incontournable qui, elle aussi, a traversé les siècles, est toujours vivace dans bien des civilisations , cultures , croyances ou religions : c'est celle de la réincarnation, appelée aussi métempsychose ou transmigration des âmes, selon laquelle l'âme, ou l'élément psychique ou le corps subtil , se dote lui-même , à chacune des existences successives, d'un corps différent et se trouve ainsi "réincarné". On parlera ainsi de "palingénésie", mot qui paraît chez Diodore de Sicile 16 et dont les Grecs disaient : « palingénésie » (de παλιγγενεσία/palingenesía, de παλίν/palín, « de nouveau » et γένεσις /génesis, « naissance »), c'est-à-dire « nouvelle naissance », « genèse de nouveau » ; ainsi, pour Pythagore, « ce qui a été renaît » (palin ginetaï ) c'est-à-dire de nouvelle naissance. Il est difficile d'établir une chronologie de la préoccupation du destin chez l'homme. Quelques exemples, de natures mythique ou traditionnelle pourtant, sont significatifs de cette préoccupation plusieurs fois millénaire. Dans la religion sumérienne , le destin se dit nam.tar , soit littéralement " ce qui est tranché ", et la décision appartient aux dieux , en particulier à Enlil, dieu de Nippur, "Seigneur de tous les pays" , " pasteur des "têtes noires" ( les sumériens ) ; les rois sont persuadés de détenir le pouvoir , parce qu'ils ont été "élus" par les dieux ; chaque être humain a une vie programmée , avec ses bonheurs et 15 16 J. van Assche, le Scientifique et la Spiritualité PVI N° 139 Porphyre de Tyr, Vie de Pythagore, § 19 7 ses malheurs : la résignation semble être la seule attitude adoptée par les sumériens , qui adressent peu de requêtes aux dieux , ceux-ci ne modifiant pas le cours des choses , sauf éventuellement par caprice !...17 Cette idée de prédestination, c'est à-dire le caractère fatidique de la destinée humaine, se retrouve d’ailleurs dans toutes les civilisations mésopotamiennes, par exemple au travers du mot assyrobabylonien : « shimtu »18, plan d'ensemble voulu comme tel par les dieux qui seuls en disposent , et l'établissent une fois pour toute . On parlera même d'une "mort de shimtu" pour une mort « naturelle », c'est-à-dire conforme aux intentions de son dieu protecteur. Dans la tradition juive ancienne, la doctrine de la réincarnation fait partie du judaïsme traditionnel, orthodoxe19, ce qui ne contredit en rien la notion de résurrection conçue dans le judaïsme (qui est différente de celle conçue par le christianisme, l'islam). L'idée de la réincarnation semble avoir été présente dans les croyances populaires juives. Il semble par exemple que beaucoup de juifs crussent l'âme d'Adam revenue en Seth, puis en Noé, Abraham et Moïse Néanmoins, beaucoup de ces personnages n'étant pas morts mais ayant été "enlevés au ciel", il convient ici de faire la distinction entre assomption (Hénoch par exemple), et réincarnation Le judaïsme fait également plusieurs références (Rois 2:15) au fait pour un prophète d'être "inspiré" par l'esprit d'un autre prophète, ce qui se différencie là encore de la réincarnation. Certains commentaires dans les travaux de l'historien juif romain Flavius Josèphe sont parfois interprétés comme une croyance à la réincarnation. Par exemple dans La guerre des Juifs, dans l'exhortation faite aux soldats juifs à ne pas se suicider (pour éviter d'être capturés par les Romains) : « Les corps, bien sûr, sont mortels chez tous les vivants et constitués d’une matière corruptible, mais l’âme est à jamais immortelle et habite dans les corps comme une parcelle de Dieu… Ne savez-vous pas que ceux qui quittent la vie selon la loi de la nature… y gagnent une gloire éternelle ; que leurs maisons et leurs famille sont affermies ; que leurs âmes restent pures et secourables, qu’elles obtiennent la place la plus sainte dans le ciel d’où, grâce au cycle des âges, elles retournent habiter de nouveau dans des corps saints ? Mais ceux qui ont la folie de porter les 17 Duchesne-Guillemin, La religion de l'Iran ancien, Paris, 1962 18 Jack N. Lawson Le concept du destin dans l'ancienne Mésopotamie du premier millénaire: Vers un accord de "Shimtu" (Orientalia Biblica et Christiana) 19 http://www.leava.fr/cours-torah-judaisme/pensee-juive/946_resurrection-et-reincarnations.php [archive 8 mains sur eux-mêmes, un Hadès plus sombre reçoit leurs âmes..20. Par ailleurs, dans ses célèbres Antiquités judaïques, Flavius Josèphe explique que les Pharisiens, une des écoles de la philosophie juive, semblaient croire à la possibilité d'une nouvelle vie sur terre pour ceux qui auraient été vertueux - c'est-à-dire la réincarnation comme récompense. La communauté des Esséniens qui vivait sous protectorat juif semble également avoir eu des affinités avec l'idée de réincarnation C'est en effet dans la Kabbale, la tradition mystique et ésotérique juive, que la notion de réincarnation est la plus présente. L'ouvrage qui en traite le plus directement est le Sha'ar Ha'Gilgulim (La porte des réincarnations). Il est inspiré du Sefer Ha Zohar (section Mishpatim), le Livre de la Splendeur, l'un des ouvrages les plus importants de la Kabbale. Le concept utilisé en hébreu est celui de Gilgulei Ha Neshamot, ou plus simplement gilgul, signifiant "cycle", neshamot étant le pluriel d'"âmes". L'ouvrage décrit le "cycle" des âmes à travers différentes vies ou incarnations, les raisons de ce cycle, ainsi que les moyens permettant d'accélérer son évolution spirituelle.21 Dans le Zohar ,22 il est bien mentionné que l'âme est immortelle , mais elle n'atteint le bonheur céleste que lorsqu'elle est devenue parfaite , et ce après avoir vécue dans plusieurs corps : il s'agit de réincarnation , et non de métempsycose ; toutes les âmes ont été créées depuis l'origine du monde, et lorsque toutes seront à l'état de perfection , le Messie viendra . Mais si on se réfère au Livre d’Hénoch23, on ne parle pas de destin, mais bien de responsabilité, et non de fatalité, dans l'orientation de l'âme des hommes vers un séjour spécial après leur mort . En résumé, le méchant est le seul auteur de son châtiment, sinon il ne serait pas l'auteur de sa faute .Il est ainsi normal qu'il ne puisse se supporter lui-même et que parfois il se punisse. Par suite, c'est par le repentir que le pécheur devient un autre homme et mérite, en droit, l'indulgence absolue (tel le bon larron)24 20 http://www.hebcal.com/sedrot/mishpatim D'après Léon Ashkenazi, Leçons sur la Torah, éd. Albin Michel, 2007, Coll. Spiritualités vivantes, 22 Le Zohar , le Livre de la Splendeur, tome 1 de Collectif, Charles Mopsik et Bernard Maruani ( mars 1990) Verdier 23 http://myll.over-blog.net/article-le-livre-d-henoch-112233670.html 24 R. Nelli , Les grands arcanes de l' hermétisme occidental , Coll. Microcosmes 21 9 Chez les Celtes la croyance de la réincarnation a été admise, avec quelques nuances, par de nombreux peuples : par exemple, dont César disait :" une de leurs principales maximes est que les âmes ne meurent point, et qu'à la mort , elles passent d'un corps dans un autre ".25 Il en est de même dans le monde grec : chez les Orphiques pour qui le salut de l'homme consiste en la cessation de l'existence : l'âme , à peine sortie du corps , s'incarne à nouveau dans un corps, le sôma , qui est une prison (sêma) , et ce cycle est sans fin pour les non-initiés L'orphisme des origines n'enseigne pas, semble-t-il, la réincarnation ou la métempsycose 26 Proclos (Ve siècle) est le premier à attribuer à Orphée la "doctrine d'un cycle de réincarnations".27 L'orphisme croit plutôt en la palingénésie, au retour à la vie. Toutes les âmes reprennent d'autres formes d'existence, par exemple de père à fils, d'humain à plante et animal à la fois. Les naissances viennent des morts. Pythagore admet la doctrine de la Transmigration des âmes, 28 ou métempsycose (du grec ancien /metempsúkhôsis, déplacement de l'âme, de μετά et ψυχή/psukhḗ) est le passage, le transvasement d'une âme dans un autre corps, qu'elle va animer. Le métempsycosisme est la croyance selon laquelle une même âme peut animer successivement plusieurs corps soit d'humains soit d'animaux, ainsi que de végétaux : la transmigration des âmes peut intervenir non seulement dans l'humain (réincarnation) mais encore dans le non-humain, bêtes ou plantes. Platon parle de certaines âmes qui sont encore susceptibles de s'amender après la mort et de se réincarner, mais sans se souvenir d'existences antérieures. La théorie de la renaissance (ou réincarnation) remonte à l'Orphisme qui la considérait comme une connaissance secrète réservée aux initiés des religions à Mystères. Platon ne la présentait pas comme une hypothèse mythique, mais comme une conviction philosophique. Dans le dialogue de 25 Jules César, La Guerre des Gaules, Livre I Traduction du latin : « Gallia est omnis divisa in partes tres, quarum unam incolunt Belgae, aliam Aquitani, tertiam qui ipsorum lingua Celtae, nostra Galli appellantur. » Iulius Caesar, Commentarii de bello Gallico 26 Pas de métempsycose dans l'orphisme selon Adolf Krüger (1934), Herbert Long (1948), Walter Burkert (1962), Monique Dixsaut (1991). Métempsycose dans l'orphisme selon Erwin Rohde, Martin Nilsson (1950), Erwin Dodds (1951). 27 Proclos, Commentaire sur 'La République' de Platon, II, 338. G. Zuntz, Persephone. Three essays on religion and thought in Magna Graecia, Oxford, 1971, p. 321 et 337. http://fr.wikipedia.org/wiki/Paling%C3%A9n%C3%A9sie 28 Edouard Schuré Les Grands initiés Poche 10 Phédon, il dit que chaque âme use plusieurs corps, surtout si sa vie dure de longues années. Pour le philosophe, cette conviction a pour conséquence logique la mémoire de ces expériences qu'il appelle réminiscence. Insistant sur cette idée, il fait dire à Socrate, dans le dialogue de "Menon", que l’âme de l’homme est immortelle, que tantôt elle s’échappe, ce qu’on appelle mourir, et tantôt reparaît, mais ne périt jamais, et que, pour cette raison, il faut mener une vie la plus sainte possible.29 Socrate prétendait que c’est le dieu qui m’a prescrit cette tâche par des oracles, par des songes et par tous les moyens dont un dieu quelconque peut user pour assigner à un homme une mission à remplir.30 Quand Perséphone a reçu des morts la rançon d’une ancienne faute, elle renvoie leurs âmes vers le soleil d’en haut, à la neuvième année. Et concernant la connaissance, puisque l’âme est immortelle et qu’elle a vécu plusieurs vies, elle a vu tout ce qui se passe tant ici que dans l’Hadès, et il n’est rien qu’elle n’ait appris. Comme tout se tient dans la nature et que l’âme a tout appris, rien d’empêche qu’en se rappelant une seule chose, (ce que les hommes appellent faussement apprendre), elle retrouve d’elle-même toutes les autres, pourvu qu’elle soit courageuse et ne se lasse point de chercher, car chercher c’est bien autre chose que se ressouvenir. "Et je ne puis donc, dit Socrate, t'enseigner aucune chose puisque je soutiens qu'il n'y a pas d'enseignements mais seulement des réminiscences". Plus loin, Socrate insiste. Si l’âme est immortelle, il faut en prendre soin, non seulement pour le temps que nous appelons vivre, mais pour tout le temps à venir, et l'on s’expose à un terrible danger si on la néglige. Si la mort nous délivrait de tout, quelle aubaine pour les méchants d’être débarrassés à la fois de leur corps et de leur méchanceté. 31 Mais pour l’âme immortelle, il n’y a d’autre moyen de se sauver que de devenir la meilleure et la plus sage possible. En quittant le corps, elle ne garde que l’instruction et l’éducation, qui sont ce qui sert ou nuit le plus au mort, quand il part pour l’autre monde. Les gnostiques, le néo-platonisme, repris d'ailleurs à la Renaissance, et les écoles d’Alexandrie,32 reprennent l'idée de la métempsycose ; pour Plotin cette théorie est conforme à la justice, qui consiste à recevoir un corps pour expier les fautes commises dans le passé. 29 Jacques Henri Prévost, Arts et Sciences, Hommes et Dieux, Petit Manuel d’Humanité 30 Platon, Apologie de Socrate, 33c, 30 e, Garnier-Flammarion, pp. 46 et 43. Sagesse d’Orient et d’Occident , L'Homme sage, Philosophie dans la vie, Socrate et les Sophistes http://www.sagesse-marseille.com/lhomme-sage/philosophie-dans-la-vie/socrate-et-les-sophistes/les-trois-visages-desocrate.h 32 G.Rela, Alexandrie, 5ème Cahier 1306 Loge de Recherche Marée Nostrum 2010 31 11 Dans la chrétienté, il est intrigant d'observer que dans les milieux chrétiens des premiers siècles, la doctrine de la réincarnation, qui ne reçoit aucun appui dans les Ecritures, n'a même jamais été soutenue par qui que ce fût. Si Origène admet la création des âmes de toute éternité, et parle pour elles d'épreuves successives, tout en admettent la doctrine chrétienne de la résurrection du corps, le concile de Constantinople, en 542, règlera le problème en condamnant la position d'Origène. L'Occident a, depuis, continué à professer sur l'âme humaine, une doctrine incompatible avec la réincarnation, sauf dans milieux occultistes ou spirites du XIX e siècle. Mais il paraît surprenant que la chrétienté n'ait pas su, ou voulu , utiliser cette croyance pour la rendre plus accessible à ses adeptes , car comment expliquer, dans le Credo des chrétiens , la résurrection de la chair, puisque la thèse ou l'antithèse ne peuvent être démontrées , érigeons ce credo en dogme, et hop, le tour est joué : dogmatisme contre intelligence ! Combien de contestataires ont d'ailleurs rôti sur des bûchers allumés par les inquisiteurs ou autres intolérants qui ne pouvaient supporter l'ombre d'un doute concernant le dogme ! Cette croyance dans la résurrection de la chair n'est d'ailleurs pas l'apanage de la chrétienté , si l'on garde à l'esprit le mazdéisme iranien , dans lequel le prophète Zarathoustra 33 réactualise une croyance ancienne, celle d'une résurrection des morts, effectivement la "re-création" des corps en relation avec l'arrivée du "Vivant" annoncé par le prophète , qui équivaut à une cosmogonie , en vertu d'une conception archaïque commune à de nombreux mythes indo-européens, c'est-à-dire le parallélisme entre microcosme et macrocosme , et qui connaîtra un développement considérable en Iran et aux Indes. Pourtant , dans la dualité esprit-matière , divin ( transcendant ) et anti-divin se retrouvant dans les religions iraniennes telles que le mazdéisme , et qui inspirera largement la gnose manichéenne , le mythe de la chute de l'âme (l'esprit est parcelle divine et le corps , la matière , d'origine démoniaque) : c'est l'incarnation dans un corps, assimilé à une prison, et la certitude de la délivrance ( le "salut" ) , obtenue grâce à la gnose . On retrouve d'ailleurs cette notion de salut au travers de l'assimilation audacieuse de l'imagerie, de la théologie et de la liturgie chrétiennes à la symbolique de l'Arbre du Monde, dans laquelle la 33 J. Varenne, Zarathoustra et la tradition mazdéenne, Coll. Microcosmes 12 Croix, véritable Arbre de Vie, faite du bois du Bien et du Mal, est identifiée à l'Arbre Cosmique. Ainsi, le salut ne fait que reprendre et compléter les notions de rénovation perpétuelle, de régénération cosmique, de fécondité universelle, de sacralité, de réalité absolue, et in-fine, d’immortalité : voilà bien un rappel du soir de notre initiation au cours de laquelle "le vieil homme meurt "... Les doctrines gnostiques étaient variées, mais elles avaient en général pour point commun de considérer que l'incarnation dans la matière était un piège tendu par un esprit malfaisant, et que seule une connaissance initiatique (la gnose, du grec "gnôsis", connaissance) peut permettre à l'âme de se libérer de ce piège et de retrouver sa pureté. Dans ce contexte, la réincarnation a une signification négative : alors que les âmes les plus évoluées, s'étant libérées grâce à la gnose, peuvent rejoindre le divin, les autres sont rejetées vers le bas, tourmentées en enfer, avant d'être soumises à l'oubli de leur vie précédente et renvoyées dans un nouveau corps. Les gnostiques nomment les réincarnations des "transvasements" (métaggismoï), des sortes de transfert de prison en prison, de corps en corps. Dans le manichéisme, la doctrine fondamentale du manichéisme est sa division dualiste de l’Univers, divisé en royaumes du Bien et du Mal : le royaume de Lumière (esprit) où règne Dieu, et le royaume des Ténèbres (matière) où règne Satan. A l’origine, les deux royaumes étaient complètement séparés, mais à la suite d’une catastrophe, le royaume des Ténèbres envahit le royaume de Lumière ; ils se mélangèrent et entamèrent une lutte perpétuelle. Au Commencement, dans le Temps antérieur, les deux "natures" ou "substances", la Lumière et l'Obscurité, le Bien et le Mal, Dieu et Matière coexistent, séparés par une frontière, principes inengendrés de 2 mondes : En haut (au Nord) règne le "Père de la Grandeur" (assimilé au Père des Chrétiens, à Zurvân pour les Iraniens). Le souffle de l'Esprit répand Lumière et Vie sur les cinq éléments qui constituent ce domaine, 5 demeures ou 5 "Arbres lumineux" : Intelligence; Pensée; Réflexion; Volonté, Raison. « Les Royaumes de Dieu, le Père d'une extrême splendeur, ont été si bien fondés sur la bienheureuse Terre de la Lumière que nul ne peut jamais les ébranler ou les renverser", est-il écrit dans « l'Épître du Fondement". Au Sud (en bas) se trouve le Royaume des Ténèbres, dans lequel règne le Prince des Ténèbres (le Diable pour les Chrétiens, Ahriman pour les Iraniens, ou Chattaï), le Prince féroce, 13 rongé par la concupiscence, âme morte de Hulê, la Matière.34 Le "Troisième Temps" est une "finale" eschatologique quelque peu apocalyptique, puisque Mâni emprunte des images familières à l'Asie occidentale et au monde hellénistique : une série d'épreuves (appelées la "Grande Guerre") précèdent le Jugement Dernier, un embrasement général du cosmos (l'incendie doit durer 1468 ans) résultera en une réintégration des particules de lumière dans leur origine. Cette réintégration se fera sous forme d'une "Statue" qui remontera au Ciel: ainsi sera opérée la séparation définitive du Royaume de la Lumière et du Royaume des Ténèbres. Les cathares croient en la réincarnation, et cette croyance impliquera pour eux le végétarisme35. Le catharisme se distingue du reste des courants chrétiens par la valeur absolue qu'il donne à la prohibition du meurtre, et donc par le fait qu'il l'étend aux animaux susceptibles d'avoir reçu une âme céleste. On retrouve ainsi des indications explicites : Deux femmes de Montaillou (Ariège), vers 1300, discutent religion : « ma commère, ce serait un grand péché de tuer cette poule ! – Est-ce un si grand péché de tuer une poule qu'on le dit ? – Oui, car dans notre religion, les âmes humaines, quand elles sont sorties des corps des hommes et des femmes, se mettent ou s'introduisent dans des poules. Le karma 36 Le bouddhisme enseigne l'impermanence : tout phénomène conditionné est éphémère (anicca). Cela l'amène à refuser le concept d'âtman, pour soutenir que chaque chose est "sans soi" (anatta). Transmigration sans chose qui transmigre : la re-naissance se présente alors comme un processus difficile à entendre, de sorte que plusieurs interprétations divergent. Le bouddhisme parle de Punarbhava (sanskrit, pāli : punabbhava), qu'on traduit par "renaissance". "Il y a, dit Matthieu Ricard, 37perpétuation d'une fonction, pas d'une entité concrète… Rien ne renaît, il y a simplement des répercussions d'actes, de paroles et de pensées qui modifient les paramètres de cette onde qu'est la conscience. Si on se réfère à la philosophie du karma, du samsâra (devenu récemment un parfum de femme !), c’est la libération. Le karma, l'action, a subi une évolution considérable du sens : à la période védique ancienne, ce mot est synonyme de rite, en particulier de sacrifice, grâce auquel 34 François Decret Mani et la tradition manichéenne Seuil, 1974 – 36 René Nelli Richard, "Notre 'moi' dure aussi longtemps que notre ignorance", dans Patrice Van Eersel Enquête sur la réincarnation (2001), Albin Michel, coll. "Espaces libres", 2009, p. 43. 36Matthieu 14 l'homme (védique) accède à une vie heureuse dans l'au-delà, devenant ainsi l'égal ses dieux. Plus tard, le Karma perd son action salvatrice , avec l'apparition du bouddhisme : il ne peut plus libérer l'homme ( devenir comme le dieux ne sert à rien !) , et le karma sera un attachement à ce monde actuel et futur . La loi du karma serait celle de la rétribution des actes. Dans l’hindouisme, le Jivatman s'incarne dans plusieurs corps. La transmigration est le voyage d'une âme de vie en vie, avec réincarnation dans un autre corps humain ou métempsycose dans un corps humain ou animal ou végétal ou autre. Les conséquences de cette doctrine sont nombreuses ; retenons la solution la plus radicale : le "nonagir", car ne pas agir est tout de même agir ! ... ou, de façon moins radicale, celle de la BhagavadGîtâ : il faut continuer à agir, mais au travers d'une action désintéressée, qui ne cherche pas les fruits de l'action en ce monde et dans l'au-delà. Dans le Taoïsme, l'alternance constante du principe «féminin» : Yin, et du principe «masculin» : Yang exprime l'unité ultime appelée T'ai chi (Faîte suprême), ou Dào. 38 Pour les taoïstes, la dualité et la multiplicité sont des reflets de l'Un. L'humain, empêtré dans le jeu antinomiste des paires duelles, ne voit pas qu'elles sont la manifestation de ce seul et même principe, ne parvient pas à en réaliser le sens et l'origine, puis à suivre la voie naturelle du «nonagir» qui signifie la fin de l'attachement, des passions, de l'individualité, et finalement, l'harmonisation avec la «vertu efficiente» et spontanée du Dào. Dans les traditions non-dualistes du bouddhisme, par exemple le zen, il est également question du «non-agir» de la nature non-duelle. Des notions telles que non-effort, non -soi, non-méditation, non-pensée, etc. se réfèrent toutes à une transcendance, une mise hors-jeu de la dualité intrinsèque que « pose en s'opposant » n'importe quel concept: agir, avoir, être, le moi, le vrai, le bien. Et bien sûr, nous ne pouvons oublier l'Islam, 39 dont l'idée de prédestination reste proche, d'une certaine façon, du christianisme : la destinée éternelle de l'homme est "écrite" dès l'embryon dans le sein maternel . Mais l'homme reste libre et responsable, car Dieu ne fait jamais le mal. Se pose donc pour l'Islam, sous le titre de Qadar (décret prédestinant) et comme pour beaucoup de religions révélées, le triple problème : 38 J. van Assche Quelques mythes et Légendes fondateurs de la Franc –maçonnerie : de la Dualité à la Non- Dualité ? Loge de recherche Mare Nostrum 22 oct. 2011 39 Le Coran, trad. E. Chouraqui, R.Laffont 15 1. Comment concilier la Toute -Puissance Divine avec la liberté humaine ? 2. Dieu serait-il encore juste s'il rétribuait un homme qui ne serait pas libre et responsable 3. Prédestine-t-il au paradis ou à l'enfer, et qui ? Même si d'autres disent le contraire ni les actes, ni la foi ne relèvent réellement d'une volonté libre (en tout cas en apparence) selon les versets suivants : - « Notre décret ne fait qu’un (avec son objet), comme l’éclair du regard » (Coran LIV, 50) - « Si Dieu avait voulu, Il les aurait remis selon la guidance. Ne sois donc pas parmi les sansloi ». (Coran, 6/35) - « Mais Il égare qui Il veut et Il dirige qui Il veut. » (Coran, 16/93) - « Il n'est donné à une âme de croire qu'avec la permission de Dieu. ». (Coran, 10/100) - «.. Si Dieu l'avait voulu, ils ne se seraient point entre-tués. » (Coran, 2/253) - « .. Si Dieu avait voulu, ils ne l'eussent point fait. » (Coran, 6/137) - Le Prophète (saws) s’adressant à Ibn Abbâs, dit “Sache que même si toute l'humanité se réunissait pour te faire du bien, elle ne pourrait te faire du bien que dans la mesure où Dieu l'a écrit dans le destin pour toi. Et sache que si toute l'humanité se liguait pour te faire du mal, elle ne pourrait te faire du mal que dans la mesure où Dieu l'a écrit dans le destin pour toi. Les plumes ont fini d'écrire, les feuillets ont séché 40 On constatera, bien sûr, quelles déviations ont été apportées ultérieurement : par exemple, chez les Ash'arites, qui affirment fortement que Dieu est le seul agent : il n'y a donc pas de hasard , mais une nécessité , et une absence totale de liberté humaine l'inverse , chez les Mu'tazilites 41, on parle de la "Prédestination conséquente ", c'est-à-dire que l'homme possède la liberté d'être créateur de ses actes, la condition pour reconnaître le "bien" et le "mal" ? La raison oui mais c’est le libre arbitre qui conditionne sa responsabilité. Cela suppose la liberté. 40 Quel sens donnez-vous à la prédestination divine en islam ? http://www.dialogueislam-chretien.com/t2103p40predestination-et-libre-arbitre 41 Le terme Mu'tazilah dérive de l’arabe al-Mu'tazilah, ce qui signifie celui qui sépare. Il a été appliqué à l'école établie en Irak par Wasil b.'Ata (699-749), un élève de l'éminent érudit Hasn al-Basri (642-728). .Au moment de la montée de la Abbassides en 750 de les mutazilites ont commencé à devenir important dans le monde islamique. Au 9ème siècle le calife abbasside al-Ma'mûn Mu'tazilah , a soulevé la question de la doctrine pour le statut de la croyance de l'Etat. Ouvertement soutenu par le califat, les Mu'tazilites est devenu plus intolérant et a commencé à persécuter leurs adversaires. À une occasion, l'éminent savant sunnite et fondateur de l'une des quatre écoles de jurisprudence orthodoxe, Ahmad b.Hanbal, a été soumis à la flagellation et à l’emprisonnement pour son refus de souscrire à la doctrine mo'tazélite que le Coran a été créé dans le passé. 16 Les Mu’tazilites faisaient de la raison (’Aql) le leitmotiv de leur démonstration et le critérium de la Loi. L’homme est « créateur de ses actes » par un pouvoir (qudra) que Dieu a crée en lui. Tandis que les Ash’arites, leurs principaux adversaires, répondaient que c’est Dieu qui crée les actes en l’homme. Les choses sont bonnes ou mauvaises parce que c’est Lui qui les a décrétées. Pour sauver la transcendance divine, les ash’arites diront encore qu’on n’interroge pas Dieu sur ce qu’Il fait. Les Mu’tazilites rétorquèrent : « même si Dieu infini et tout puissant, dans son omniscience ; connaît les actes de ses créatures, sa Toute-puissance, ne prend pas part directement aux actes humains. ». Ils affirmaient donc, qu’il est faux de croire que les actions bonnes ou mauvaises sont telles parce que Dieu les a décrétés ainsi. Dieu les prescrit en raison du bien fondé sur les actes d’obéissance. En réalité selon les mutazilites, c’est par le caractère méritoire des actes et parce qu’ils sont bons que Dieu les prescrit 42 Pourtant, beaucoup de musulmans modernes veulent ignorer un verset (entre autres) du Coran pourtant clair : " Tout bien qui t'arrive vient de Dieu ; tout mal qui t'arrive vient de toi " ( 4,79 ) , pour s'abriter non seulement derrière l' Inch' Allah , ou mieux , le "Allah Akbar " : l'homme est irresponsable de ses actes , tout est volonté divine , ce qui conduit à tous les intégrismes ... Actuellement, l'occultisme et le spiritisme modernes présentent, avec quelques variantes, un schéma conceptuel proche de la notion de karma ; en bref , nous choisirions notre incarnation dans tel ou tel corps (ce qui impliquerait une certaine liberté, et en même temps tendrait à suggérer que nos géniteurs ne sont que les parents biologiques, mais que notre esprit, notre âme, viendraient d'ailleurs), et ceci afin d'accomplir un destin que nous ne savons pas décrypter , pour expier des fautes que nous aurions commises dans des vies antérieures , dont nous n'aurions d'ailleurs pas conscience, et nous améliorer jusqu'à ce que notre âme soit parfaite : toute notre vie terrestre ne servant que de transition. De telles croyances présentent plusieurs caractéristiques d'une certaine "morphologie du fatidique ", selon la terminologie du très cathare René Nelli 43 : - d'abord l'aspect consolateur, que l'on retrouve d'ailleurs dans bien des religions, y compris le christianisme ( mon Royaume n'est pas de ce monde , etc;) : je souffre , certes , mais je 42 43 http://oumma.com/Quel-sens-donnez-vous-a-la R. Nelli , op.cit. 17 l'ai pas volé , ayant fait le mal dans des vies antérieures ; l'injustice de payer une ou des vies dont je n'ai aucun souvenir , est allégrement oblitérée par les spirites : une telle prise de conscience serait dangereuse , alors acceptons l'absurdité ( apparente ) de notre vie humaine - Le salut individuel est possible, mais se mérite ! - mais surtout, nous avons la liberté, à la fois d'avoir choisi notre destin : celui-ci n'aurait rien à voir avec le hasard, il est nécessaire, contingent ...et de l'accepter , ce qui relève d'une grande sagesse ! Poussé à l'extrême , ce psychotrope des " bleus à l'âme" peut conduire à de somptueuses déculpabilisations et à une quasi totale passivité devant cette prédestination : je n'y peux rien , c'est ma nature ( j'étrangle allègrement mon prochain , c'est mon destin ou mon karma , on ne se refait pas, etc.), voire même une "mission" divine, dont se sont crus investis des personnages tristement célèbres, par exemple dans notre histoire moderne riche en inducteurs d'holocaustes plus inspirés par la paranoïa ou l'éthylisme que par une soit-disant mission, tels qu'un Staline , un Hitler (on prétend que lors de son baptême , bien avant qu'il ne devint peintre , caporal puis dictateur, le prénom de Wolfgang fût rajouté à celui d'Adolf, ce qui donna en numérologie 666, la Bête de l'Apocalypse , l'Antéchrist), ou un Pol Pot , un Karadzic, allant de Saint-Just à Mao , de Khomeiny à Milosevic , tous aussi "irresponsables "et "non-coupables" de dizaines de millions de morts , mais les victimes sont nécessaires aux bourreaux et réciproquement , n'est-ce pas ? Toujours est-il que, selon ces croyances, chacun naîtrait avec un certain bagage dont il devra faire usage toute sa vie, mais dont il ne connaît pas le contenu qualitatif et quantitatif : ici, les choses se gâtent si l'on prétend, selon la déclaration des droits de l'Homme , que nous naissons tous égaux en droit : cette égalité est purement illusoire, car qui peut prétendre que naître dans une favela brésilienne, à Soweto ou à Neuilly équivaudrait au même ? Mais si tel est le choix, ou plutôt l'absence de choix, son karma, son destin, il nous faudra bien l'assumer ; avec quoi ? Mais avec ce que nous avons ... Rappelons à ce propos, voici quelques phrases d'un « initié » anonyme : " Le destin est cette valise que nous emportons avec nous lorsque nous descendons sur terre. Dans cette valise, il y a tous les ingrédients possibles pour s'alimenter et progresser. Le problème majeur qui se pose à tout voyageur, est de définir le moment précis auquel il va recourir à ce qui lui semble nécessaire. Ce sera l'eau, dont il a besoin pour étancher sa soif, lorsqu'il traverse ses périodes de désert, mais ne connaissant pas les incertitudes d'aujourd'hui et de demain, et combien de temps durera cette traversée, il faudra apprendre à limiter ses besoins pour mieux se situer dans la 18 pauvreté de l'existence terrestre .Il y a les oasis, bien sûr, mais qui sait ce que l'on y trouvera : l'eau du puits pourra être pure , tarie ou empoisonnée ! « Le destin, grand ou petit, ne peut se vivre que si l'on se pose la question de son devenir, c’està-dire de sa destinée. S'intéresser à sa route, n'est-ce pas regarder des cartes comme un navigateur qui prend la mer et désire arriver à bon port. Le problème est que les caps ne sont pas tous de Bonne Espérance, que dans notre bagage contient beaucoup de cartes, mais qui souvent ne peuvent être lues, nous qui sommes si souvent aveugles, et ne savons même pas ni lire ni écrire, alors quel cap prendre, et où est le port ? Alors, nous ne sommes effectivement pas très avancés, sur la question de savoir s'il existe un destin, si nous pouvons ou non agir sur lui , s'il nous reste une quelconque liberté sous l'horizon du destin , si celui-ci est le jeu du hasard ou d'une nécessité ? ... Nous pouvons, à ce niveau, réfléchir quelque peu sur ce que peut inspirer l'arcane de la 10e Lame du Tarot, la Roue de la Fortune, qui représente un cercle, et dont la doctrine de l'involution et de l'évolution est un lieu commun dans la littérature occultiste en général44. Toutefois, ces notions prennent un tout autre sens lorsque l'involution est prise comme chute, et l'évolution comme salut. Il y a un monde de différence entre les doctrines "orientalisantes ", quasi 44 Méditations sur les 22 Arcanes du Tarot, Ed. Aubier Montaigne 19 automatiques, du processus de l'évolution -involution et la doctrine hermétique, biblique, chrétienne de la chute et du salut. L'évolution-involution, comprise de façon exotérique, se déroule en "processus" organiquement organisé, en existant, par lequel la montée et la descente ne sont que deux phases successives d'une seule vibration cosmique. Qu'est-ce que cela a à voir avec le destin ?… mais tout, ou tout au moins beaucoup : car le mythe cosmique, le drame ésotérique qui est au fond celui du "processus de l'évolution " exotérique, met en avant l'idée du cercle ouvert et du cercle clos. Le cercle ouvert, ou la spirale, est le monde des six jours de la création d'avant la chute, couronné par le 7eme jour, le Sabbat cosmique , et suggère l'idée de progrès illimité .Par contre , le cercle clos n'est qu'une prison , la roue de la répétition éternelle. Trois personnalités historiques ont mis en relief l'idée de la roue cosmique : - Bouddha, parlant de la "roue des réincarnations" révèlera par son illumination, que ce monde est une roue où la naissance, la maladie, la vieillesse et la mort se répètent sans cesse, que son mouvement n'est au fond que souffrance, apprécié comme le "grand malheur".45 - Salomon, le sage et triste roi de Jérusalem, qui eut la vision de la roue de l'existence : le soleil se lève et se couche , le vent se dirige vers le midi, tourne vers le nord, et reprend les mêmes circuits ; tous les fleuves vont à la mer , et la mer n'est pas remplie ; " j'ai vu tout ce qui se fait sous le soleil , et voici , tout est vanité et poursuit le vent " ; ce qui a été , c'est ce qui sera , et ce qui s'est fait, c'est ce qui se fera , il n'y a rien de nouveau sous le soleil ...encore faut-il ouvrir la fenêtre ! Mais quel conseil pratique le roi Salomon donnera-t-il à la postérité ? Celui du désespoir suprême, car il montre le vide - qu'il appelle "vanité des vanités"- du monde du Serpent avant le Christ, et qui met en relief le dilemme, si tout est vanité : suicide, ou salut reçu de Dieu , car au-dessus de la roue tournante de la vanité , il y a Dieu . - Friedrich Nietzsche, qui a vu, compris et même chanté la roue, l'éternel retour du même (ewige Wiederkehr), lui a donné une forme poétique qu'il considérait comme son illumination : c'est le célèbre "circulus vitiosus deus", le cercle des vicissitudes, l'effroyable 45 M. Crépon, Les fleurs du Bouddha, Albin Michel 20 anneau des anneaux qui enserre l'étant dans sa totalité, qui le détermine en tant que monde , et cet anneau serait-il ...Dieu ? 46 - L’eternel retour : parler d’un « éternel retour » laisse supposer que tout ce qui fut sera puisque choses et événements ne seraient que le fruit d’un éternel recommencement. Mais croire en même temps au progrès, c’est croire que les choses évolueront, donc changeront dans un sens positif, c’est se projeter en avant dans un futur plus ou moins lointain. Comment rendre compatibles ces deux notions apparemment contradictoires ? Bien plus, il apparaît que la perception du temps varie selon les traditions dans lesquelles on se place et la notion elle-même de progrès est des plus fluctuantes. Si l’on se penche sur la représentation traditionnelle du temps, on constate que nous sommes toujours en présence d’un temps cyclique (qui s’oppose au temps linéaire)47 : toute société traditionnelle vit au rythme de rites qui ponctuent les moments de la journée (rituel du matin au lever du soleil, rituel du repas, rituel qui accompagne le travail, rituel des cérémonies, etc.). L’origine philologique de ce terme « rituel » nous éclaire sur le sens qu’il faut lui prêter : le mot « rite », issu du latin « ritus » (cérémonie religieuse), vient lui-même du sanscrit « ritli » (allure, disposition, usage) dont on trouve l’origine dans la racine indo-européenne « rî ». Ainsi, le rite est une invite à aller, à suivre un chemin pour se diriger vers un but. Le rituel est une invitation et une célébration qui renvoie l’homme à l’Origine, telle qu’elle a été pensée dans les mythes fondateurs. Le rite effectue la répétition d’un acte sacré. La répétition rituelle, c’est le retour circulaire du temps, l’éternel retour du même, contre le changement dans le Devenir. Dans la religion des Indous, le brahmane, au moment où il récite la prière au soleil, surya namaskar, répète un geste dont l’origine remonte aux temps védiques. Au moment où il accomplit un rituel, il n’est plus dans le devenir ordinaire de la vie, mais dans le temps sacré de la création. La cérémonie du sacre d’un roi, le rajanya, est « la représentation terrestre de l’antique consécration que Varuna, le premier souverain a fait à son profit… si le roi fait 46 F. Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra , Collection bilingue Flammarion. 47 J. van Assche, Temps profane, Temps sacré, PVI 159 21 le même geste, c’est parce que à l’aube des temps, le jour de sa consécration, Varuna a fait le même geste ». 48. In-fine, devant la dualité entre le cercle clos, le serpent qui se mord la queue, l’ouroboros la conservation de l'énergie du monde physique , et le cercle ouvert , la bonne nouvelle annoncée par toute gnose évoluée , est qu'il y a une entrée et une sortie , et que le cercle clos , l'éternel retour , le "monde où il n'y a rien de nouveau sous le soleil ", ne serait rien d'autre que l'enfer cosmique , c'està-dire l'idée d'une existence éternelle dans un cercle clos : celui de l'égoïsme , subjectif et individuel , même si pour Sartre , l'enfer , c'est les autres !. Devant cette vision d'éternité, se pose naturellement la question du lien entre destin et temps, le philosophe Marcel Conche 49 développe bien l'idée que le concept du temps est en nous, mais que nous sommes aussi " dans le temps ", selon Aristote, car il nous est compté . La notion de destin a originellement signifié chez les Grecs : n'avoir qu'une part du temps. Ainsi, le temps, la mort et la destin s'entre-signifient, mais qu'en serait-il si la mort est un évènement destinal ? Car il faut bien admettre que notre seule certitude est bien celle de notre finitude, de notre mort charnelle. De quelle liberté disposerions-nous sous l'horizon du destin vu sous cet angle ? Si la mort transforme la vie en Destin (Malraux), le jour de sa mort est plus important que celui de sa naissance ( Ecclésiaste chap. 7 ; 2, 1er verset » ; c’est l’heure du bilan : à ce moment –là on sait ce 48 49 M. Eliade op.cit. Conche M., Temps & destin, P.U.F. 22 qu’a été sa vie. Il y a un libre arbitre à sa naissance : personne ne sait ce qu’on est après sa mort, vient éventuellement la renommée… (Effectivement, il y avait plus de monde à l’enterrement de Victor Hugo qu’à son baptême !)50 Chez les stoïciens, la notion de destin signifie que les évènements ne peuvent manquer d'arriver , qu'ils sont tous prédéterminés , mais il n'y a d'avenir que dans l'inaccompli . Les stoïciens nommaient « représentation » (phantasia) l'empreinte ou la modification produite dans l'âme par les objets qu'elle représente ; l'empreinte reproduit ce dont elle provient. 51 La représentation est « compréhensive », elle est l'image d'un objet existant – dont elle porte « la marque et l'empreinte » – ; quand on ne peut douter de son exactitude, c'est alors une image claire et distincte, et le critère de la vérité : il s'agit de l'évidence première, sans laquelle aucune certitude ne serait possible Dans cette prédestination de l'avenir, Origène 52 , qui croyait, comme les Hébreux, en la préexistence des âmes, avait aussi apparemment reçu d'eux son système de la prédestination et de la réprobation des hommes, selon lequel il disait que Dieu forme son décret pour sauver ou pour damner, pour récompenser ou pour punir les hommes, sur la connaissance qu'il a des bonnes ou des mauvaises qualités qui sont dans leurs âmes avant leur infusion dans le corps, et du bon ou du mauvais usage qu'elles ont fait de leur liberté avant leur naissance, et de celui qu'elles en doivent faire dans le temps qu'elles vivront sur la terre. Il était persuadé que l'âme avant qu'elle anime le corps, est dans une pleine liberté de bien ou de mal faire ; et que les biens et les maux, les adversités ou les prospérités qui lui arrivent en cette vie, sont des punitions ou des récompenses de ce qu'elle a bien ou mal fait dans une vie précédente. Il a été considéré comme un hérétique, car il avait atténué la doctrine, voulant que les substances individuelles diffèrent par leurs accidents, ou que les individus ne soient pas identiques. Quant à Jean Scot Érigène, aujourd'hui réclamé par certains libres penseurs comme un des leurs, bien que ce terme n'avait aucun sens au IXe siècle ; en effet c'est à lui qu'on attribue en général les idées directrices du mouvement du « Libre-Esprit » (XIIIe) - (XIVe). Mouvement férocement pourchassé par l'Inquisition et dont la première condamnation papale remonte à 1204 !. 50 J. van Assche Mort et Renaissance au travers du REAA Journées d’Etudes des Loges du Sud-Est Région Méditerranée 02/03 Octobre 6004, Toulon 51 http://www.larousse.fr/encyclopedie/divers/sto%C3%AFcisme/93970 52 http://456-bible.123-bible.com/calmet/P/predestination.htm 23 En ce qui concerne la prédestination il a écrit par exemple: Dieu ne prévoit ni peines, ni péchés : ce sont des fictions ; l'enfer n'existe pas, ou alors il se nomme le remords.53 Ainsi la thèse maximaliste du destin abolirait l'avenir. Dans ces conditions, comment concevoir un quelconque liberté, même si pour Chrysippe, la liberté implique l'absence de contraintes , et qu'en même temps , en étant très stoïcien , il estime que les " mouvements de nos âmes ne sont rien d'autre que les instruments des décrets du destin" . Mais cette liberté est illusoire ... En effet, si l'on prend, de façon concrète, l'exemple de l'amant que l'on a enfermé sous clé avec sa bien-aimée dans une chambre, il est très content ! Toutefois, s'il reste volontairement, il ne reste pas librement : lorsque l'homme n'a pas le pouvoir d'agir ou de ne pas agir, il n'est pas libre. Je suis libre signifie : je peux réaliser ou ne pas réaliser telle ou telle action. Mais la liberté chrysipéenne est une dérision : un être sans avenir, dont « l’à-venir" est toujours déjà comme accompli et passé, n'est pas un être libre. Faut-il même parler de destin ? En effet, si le destin est prédétermination de l'avenir, il fait place à la nécessité, s'il n'y a plus d’avenir. Le terme" fatalisme" est formé sur la racine "fatum", qui désigne en latin le "destin" = ce qui a été dit = "le grand rouleau". Est donc "fataliste" celui qui croit à la fatalité, c’est-à-dire à une puissance "surnaturelle" qui régit le cours des choses et des êtres : (cf la référence de Jacques 54 à "l'auteur du grand rouleau"), exclusive de toute liberté et s’imposant irrémédiablement à l’homme. Au sens commun, le fatalisme désigne par conséquent la croyance en la détermination des événements par des causes indépendantes de la volonté humaine, et selon la formule de Jacques " C'était écrit làhaut". On ne voit pas très bien pourquoi le fatalisme de certains peuples d'Orient serait, selon Paul Mazon," contraire à toutes les tendances de l'esprit hellénique», sauf peut-être au travers de la tradition homérique. Celui qui transgresse le destin précipite sa ruine ; il faut donc rester dans les limites que le destin nous fixe, dans la part qui nous est faite, ce qui est notre "lot" ! D'où l'importance du "connais-toi toi-même", qui vaut pour tout le monde. Mais pour obéir au rôle que nous aurait confié le destin, encore faudrait-il le connaître ! Peut-être serait-il raisonnable de se 53 De divina praedestinatione Édition critique par Goulven Madec, “Corpus Christianorum, Continuatio mediaeualis”, vol. 50, Turnhot: Brepols, 1978.cité dans : http://fr.wikipedia.org/wiki/Jean_Scot_%C3%89rig%C3%A8ne 54 Denis Diderot Jacques le Fataliste et son maître, voir également http://www.sitemagister.com/jacques.htm#ixzz344Hol2oQ 24 souvenir d'Epicure55, puisque contre la mort, nous ne pouvons rien :" à cause de la mort , nous , les hommes , nous habitons une cité sans murailles " : voilà bien ce que nous devons réaliser dans les termes " égalité, fraternité " , mais la liberté ? La liberté se place dans la dépendance du destin par le fait même de croire au destin. Celui qui considère sa condition comme un destin ne fera rien pour la changer. Aucune autre possibilité ne semble donc s'offrir, que celle de continuer à être ce que l'on est, ou encore mieux à " devenir ce que l'on est". Pour ceux qui s'empêchent d'être libres, il n'y a pas, en général, d'autre solution que la mort. Mais s'ils meurent, ils sont remplacés par d'autres ! C'est peut-être une des significations profondes de la trilogie révolutionnaire : " Liberté, Egalité, Fraternité, ou la mort ". Les Francmaçons gens de bonnes mœurs, sont par définition libres : s'agit-il de cette liberté- là ? Nous avons parlé précédemment du lien entre temps et destin. C'est le temps de la nature qui entraîne toute chose vers le néant. Or nous sommes partie intégrante de la nature, mais le temps de l'esprit en est la négation, et l'homme, en tant qu'esprit, nie ce qui le nie : la nature du corps ; et la nature a toujours le dernier mot. Si le temps de la nature est le temps primordial, est-il réel ? Aucune définition de la notion de temps n'a reçu, semble -t- il, une approbation unanime de la part des philosophes, des scientifiques " Le temps est une invention, ou il n'est rien du tout ", a dit Bergson56... On se souvient qu'Aristote a défini " le temps comme la mesure du mouvement dans la perspective de l'avant et de l'après ". Le passé n'est plus, l'avenir n'est pas encore, et le présent, qui est fait de passé et d'aveni , se réduit à un instant sans durée : une telle analyse , à laquelle étaient d'ailleurs attachés les noms d'Aristote , du stoïcien Chrysippe et de saint Augustin , vaut pour le temps de la nature .Mais ne pourrait-on pas plutôt dire que le temps est le mouvement de ce qui existe ; à l'intérieur du passé. Le futur qui va devenir du passé a toujours été du passé. C'est pourquoi on ne peut que constater dans ce qu'on est devenu, et l'on est toujours donné à soi-même dans ce qu'on n'est plus. L'instant, bien que happé par le passé, n'est que perpétuel franchissement ! A ce point, on peut affirmer que la physique moderne donne des pistes non seulement sur les notions de temps et de sa réalité au travers de la physique quantique, qui nous fait entrer de plain55 56 Epicure Lettre à Ménecée Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, 1908, 25 pied dans le monde de la science-fiction, et par suite toutes les révolutions humaines et nos modes de pensée ont été- ou vont -être bouleversés le « réel voilé », 57 bien que nous commencions à le dévoiler. Il s'agit, dans cet univers « superlumineux »58, d’un modèle qui implique en particulier une dualité de la réalité et s'apparente à la distinction que faisait Platon entre le monde des Idées et celui des images. 59 La physique quantique est une théorie « sauvage », subversive et dévastatrice, qui a jeté à bas l'édifice échafaudé au cours des siècles par la science traditionnelle. 60 En fait il n’y a que deux façons de concevoir la théorie de la relativité restreinte: celle s’adressant à la théorie de la relativité souslumineuse habituelles et l'autre côté du mur de la lumière, celle super-lumineuse, Quand on atteint une vitesse infinie, on conçoit fort bien que le concept même de vitesse n'a plus de sens. Le temps vécu par un objet, un être, ne s'écoule plus. Autrement dit, il y aurait, pour un être vivant dans l'univers super lumineux, une instantanéité complète de tous les événements constituant sa vie, les notions du passé/présent/futur disparaîtraient.61 Dans cet esprit, la physique quantique ouvre de larges perspectives, car dans ce monde-là, il faut faire l'hypothèse qu'en certaines circonstances, le temps imaginaire serait réversible et que ce futur est comme ce qui est passé, mais peut-t-on remonter le temps dans le monde « physique » ? Cela n'est pas possible à cause du Second Principe de la Thermodynamique de Carnot, car –il y a une irréversibilité, un « interdit » de la flèche du temps cosmique. Le présent -total, l'éternel -présent des mystiques, est la stasis, la non –durée, c’est –à-dire traduit dans le symbolisme spatial, l’immobilité62. Celui "dont la pensée est stable", vit dans cet éternel -présent, dans le nunc stans, qui ne fait plus partie du temps, de la durée. Pour atteindre cet état, "le moment favorable", la Réalité se présente comme un éclair, une illumination, entre deux non -entités. C’est en quelque sorte ce que soulignait Poincaré : tout ce qui n'est pas pensée est pur néant .... La pensée n'est qu'un éclair au milieu d'une longue nuit : mais c'est cet éclair qui est tout ! Le Passé et l’avenir, l’instantanéité (eka-ksana), est comparable à la révélation ou à l'extase mystique, et se prolonge paradoxalement en dehors du temps. 57 B. d'Espagnat, Le réel voilé, Fayard,1994 R. & B. Dutheil L’Homme superlumineux Sand 59 B. Libet, « Conscious vs neural time », Nature, vol. 352, 1991 58 60 . S. Ortoli et J.-P. Pharabod « Cantique des Quantiques »,le monde existe-t-il ? La découverte, Poche J. van Assche Temps Profane, Temps Sacré, op.cit. 62 . Bianchi, Les mystères du dieu Janus, Ed Ivoire Clair,2004 61 26 Le temps vécu par un objet, un être, ne s'écoule plus ! Autrement dit, il y aurait, pour un être vivant dans l'univers super -lumineux, une instantanéité complète de tous les événements constituant sa vie, les notions du passé/présent/futur disparaîtraient. Le calcul montre que, dans l'univers superlumineux, l'ordre augmente en permanence ou, pour parler de manière plus précise, l'entropie diminue constamment (l'entropie étant le désordre) et la néguentropie (l'information) augmente sans cesse : à l’inverse des prévisions des astrophysiciens, nous irions du Chaos à l’Ordre ! Dans ce monde –là, comme dans l’Apocalypse Jean : « il n’y a plus de temps » ! Cette hypothèse ouvre des perspectives insoupçonnées, proches de la fiction, qui permettrait d’éventuellement proposer une alternative au « déjà vu », à la métempsychose, aux prétendus voyages dans le temps, ou encore aux Near Death Experiences (NDE), en français « Expérience de Mort Imminente (E.M.I.). La caractéristique première des E.M.I est qu'elles révèlent d'une réalité inaccessible à nos facultés de perception ordinaires, faculté qui a déjà été vécue par des millions de personnes à travers le monde. De plus, nous pourrions imaginer qu’il existe un monde qui ne pourrait communiquer avec nous, mais qui exciterait dan un temps différent du nôtre et avec lequel il nous serait impossible dans notre univers « sous-lumineux » de communiquer ! Peut-être que l’unique moyen d’atteindre de lointaines galaxies ou d’effectuer des téléportation,63 mais il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Dans ces conditions, notre destin sera : "nous sommes ce qui nous arrive". Il y aurait donc un plan, celui du "futur à venir", où les choses et les évènements sont ce qu'ils signifient avant d'être ce qu'ils sont .Et plutôt que de prétendre " je pense, donc je suis " , devrait-on dire " j'ai pensé , donc je suis celui qui vient d'être ", ou encore mieux " je suis celui qui sera ". De toute façon, l'homme "nouveau" que nous portons en nous, celui que nous devrions reconnaître , annule "l'ancien" , le seul que nous reconnaissions , au moins jusqu'au soir de notre initiation , par la mort symbolique du vieil homme . 63 La téléportation quantique est le transport désincarné de l’état quantique d’un système et de ses corrélations à travers l’espace vers un autre système, où système signifie toute particule de matière ou d’énergie isolée ou groupée telles que les baryons (protons, neutrons, etc.), leptons (électrons, etc.), photons, atomes, ions, etc. » Dans une analyse exhaustive (Rapport AFRL-PR-ED-TR-2003-0034, Teleportation Physics Study, Eric W. Davis, août 2004) de toutes les particules composant l'objet (ou l'être vivant) à transférer, dématérialisation de l'objet, transmission de la matière et des informations quantiques associées et enfin reconstitution de l'objet au point d'arrivée. La méthode inclut la téléportation quantique comme moyen de transport de l'information quantique par le biais de l’intricat (intrication quantique). Le rapport conclut que, malgré l'avancement considérable de la science en matière de téléportation quantique, nous sommes encore très loin de pouvoir transférer des objets complexes, ne serait-ce que de simples cellules. Il propose d'approfondir les différentes recherches actuellement menées dans ce domaine. http://www.fas.org/sgp/eprint/teleport.pdf) 27 Toutefois, il semblerait, dans ce contexte, que si tout est programmé et que, assis sur la flèche du temps, notre destin soit inéluctable, puisque nous n'avons pas les bons logiciels ! Mais avant de sombrer dans le fatalisme le plus sombre, faut-il parier ! Il y a eu de grands philosophes du pari : les Socrate, les Pascal, qui connaissaient si bien l'Homme, qui est en effet déterminé par son caractère à parier sur l'Être ou sur le Néant. Mais, c'est bien joli de parier, si les dés sont « pipés », si nous n'avons aucun choix, aucun « degré de liberté », pour reprendre le langage des statisticiens ! Pourquoi le faire ? Car au fond, dans ce continuum "passé – présent - futur", notre destin serait-il préétabli ? Et pourtant, il existe des êtres qui ont une vision brutale de leur destin (peu enviable !), ou des humains qui possède un don de clairvoyance (pas plus enviable!). En dehors de tous ces charlatans, de ces »boutiquiers du mental », existe bien une catégorie d'êtres ayant un véritable don, capables de se projeter dans le subconscient de ceux qu'ils rencontrent, en voyageant dans l'intemporel, si je puis dire, ainsi qu'une grande perception du corps subtil, et un sens morphopsychologique aiguë du destin qui est inscrit en nous et sur nous (nous sommes ce que nous seront ! ) C'est ce qui nous incite à concevoir le destin comme une forme nécessaire, par l'uniformité des déterminismes que nous subissons : un homme-type a un destin-type. Le destin ne ressemble pas seulement à l'homme qui l'assume, à son physique, à son âme, à son esprit : il ressemble aux choses qui lui arrivent ... Mais il y a les prémonitions soit pour soi-même, soit pour un tiers. Il arrive en effet, que l'on soit averti d'un danger imminent par un rêve, une vision éveillée ou une sorte de voix intérieure (un avion qui explose, un train qui déraille, etc.). Mais il ne faut pas pour autant en conclure que l'homme est libre, car dans les rêves ou les visions, on se représente un évènement fatidique, et que le destin est contingent. La plupart des êtres humains possèdent un sens éphémère de l'avenir immédiat, d'une durée de quelques secondes, tout au plus. (si nous voyons la voiture qui vous précède ralentir à l'approche d'un stop, nous sentons intuitivement qu'elle peut soit s'arrêter, soit continuer sa route, ou bien alors 28 nous sommes capables de terminer la phrase d'un interlocuteur avant qu'il ait achevé d'exprimer sa pensée). Pour ceux-là, le sens de la probabilité des possibles est infiniment plus développé que chez les autres. S’ils sont capables d'anticiper l'avenir d'une quinzaine de secondes, ils voient dans leur tête les dizaines d'éventualités possibles, comme s’ils étaient devant une fenêtre, et qu’ils sélectionnaient les plus probables. D'une certaine façon, leur esprit reçoit une onde. Des équipes scientifiques ont commencé à s'intéresser à cette capacité d'analyse de l'avenir il y a plus d'un demi-siècle, et ils ont alors cherché à la développer par des manipulations génétiques… La physique contemporaine apporte des éléments de réponse : par exemple on peut une référence à l'interprétation de la mécanique quantique proposée par l'école de Copenhague, qui repose sur le constat que l'avenir n'est rien d'autre qu'un champ de probabilités, une multiplicité de possibles qui se concrétisent dans le réel au fur et à mesure des observations que l'on peut réaliser. Il s'agit de l'interprétation habituelle de la mécanique quantique telle qu'on l'enseigne dans les universités... 64 En effet, l'avenir qui ne se réalise pas n'est pas l'avenir, et le destin qui est inchangé n'est pas le destin. Cela signifie que le rêve peut se construire sur une connaissance intuitive de l'avenir comme il se construit sur des matériaux présents et passés, ce qui veut dire que, dans ce cas, il prévoit mais ne change pas la destinée Alors, n'y a t-il pas d'espoir ?... Serions-nous "coincés" dans les mailles du filet de notre destin, petit ou grand ? Faut-il en rire ou faut-il en pleurer ?, je n’ai pas le cœur à le dire …Même si nous pleurons en 64 L’école de Copenhague ou interprétation de Copenhague a été proposée par Niels Bohr, Werner Heisenberg, Pascual Jordan, Max Born porte le nom de Copenhague car l’institut de physique que dirigeait Bohr et où Heisenberg et Pauli étaient de fréquents visiteurs était situé à Copenhague. Cette interprétation sert de référence en physique, même si d’autres interprétations ont été proposées. Il s’agit d’un courant de pensée qui donne une interprétation cohérente de la mécanique quantique. Elle considère que le caractère probabiliste de la mécanique quantique et que les relations d’incertitude de Heisenberg proviennent de l’interaction entre l’appareil de mesure et ce qui est mesuré. On peut rapprocher cette démarche de celle à la base de la théorie de la relativité, consistant à s'abstenir d'attribuer une réalité absolue a priori à un aspect de la manière dont on aurait tendance à imaginer le monde physique, lorsque cet aspect ne correspond pas à quelque chose d'observable. Parmi ces aspects se trouvent les idées de repos absolu ou de temps absolu ; mais on peut voir le premier acte de cette idée de symétrie des lois de la physique débarrassée de paramètres inobservables (repères absolus) dans le principe de Copernic : il n’y a pas d’obligation à considérer l’Homme comme au centre de l’univers, ni même à supposer à celui-ci un centre. 29 général sur nous-mêmes, il nous faut nous souvenir que les larmes font brille, et c'est cette lumière qui nous permet peut-être de descendre au fond de soi et de regarder ses propres étincelles : les larmes sont une lumière , comme les étoiles dans le ciel ... Cela dit, quelle attitude adopter, si nous n'avons toujours pas la réponse ? Sombrer dans le désespoir qui, selon Kierkegaard, "est une maladie de l'esprit, du moi", ce désespoir par lequel le désespéré "est celui qui ne veut pas être lui-même ou celui qui veut l'être " ? 65 Et puis un des préceptes qu’enseigne la Franc maçonnerie est que nous sommes les pierres d'un même édifice, et même s'il semble exister de grands ou de petits destins , nous devons considérer sous un angle égal " les petits , les sans- grades " , les plus humbles , que les "grands" , et aimer , si c'est possible ( et ce n'est pas facile ) , sa concierge aussi bien que le balayeur ou le plombier , ou un Prix Nobel : ils ont tous leur rôle à jouer à la construction de l'Edifice ... Force, Sagesse, Beauté ...Lorsqu’il est dit : " que la sagesse préside à la construction de notre édifice «, et "que la force le soutienne ", le Franc –maçon est en droit de se demander de quelle sagesse pouvons-nous imprégner concernant notre destin ? Le sage ne croit pas que l'on puisse vraiment agir sur son destin, le modifier, mais il doit au contraire essayer de coïncider le plus possible avec lui. D' ordinaire, les hommes acceptent facilement de se confondre avec leur destin lorsqu'il est heureux, mais se retranchent de lui , et le haïssent lorsqu'il ne l'est pas . La seule façon de prouver qu'on est libéré du destin et de soi-même , est de devenir capable de considérer sous le même angle de beauté et le même désintéressement les bonheurs et les malheurs qu'il comporte : imaginons que ce fût peut-être la réaction de Napoléon devant le désastre de Waterloo : " Cette défaite où la gloire du vainqueur sombre dans l'éclat du vaincu " . Cette voie est la plus humaine, qui consiste à tout aimer de ce qui se manifeste à propos de nous, de même que nous aimons tout ce que nous sommes et notre destin comme si nous l'avions choisi. 65 S. Kierkegaard, Traité du désespoir , Folio Essais 30 Il y a une autre attitude qui consiste au contraire à refuser le plus possible notre destin, voie choisie par les philosophes, les religieux qui s'enferment dans leur cellule ou les mystiques épris d’absolu. Cette voie de détachement assortie de la conviction que l'homme n'est que néant, n'exclut pas le destin (elle en serait plutôt la plus haute expression), ni la ressemblance de l'homme avec cela même qui le détermine, la transcendance66. Il existe enfin une 3ème voie, plus ésotérique, qui demeure en quelque sorte " à l'intérieur du destin " : elle est réservée à ceux qui aspirent à se laisser instruire par lui et qui ont atteint au plus haut le sens du fatidique. Toutefois, il y a quelques règles à respecter, en particulier que le destin n'aime pas les changements brusques : c'est dans les failles, les coupures, qu'il frappe ; il est donc nécessaire de s'aménager une transition symbolique, car pour le destin ou pour notre inconscient, le symbole vaut la réalité. Le sage est bien celui qui s'est tellement familiarisé avec le fatidique qu'il ne peut discerner si sa volonté consiste à vouloir ce qui est voulu, ou à ne pas vouloir et à attendre, comme l'enseigne le Ta-Tö-King67, que les évènements et les choses agissent à sa place. En vérité, il n'est pas possible d'avoir un vue relativement claire de son propre devenir fatidique si l'on n'a pas appris à se tenir soit-même pour une conséquence du destin et se situer, par l'imagination, maîtres de vérité, au croisement de ses lignes de forces. Toutefois, nous ne pouvons toujours pas décider si le destin, en particulier le nôtre, est le fruit d'une nécessité, ou d'un hasard ... Mais, au fond, qu'est-ce que le hasard ? On peut même le définir mathématiquement (voir la loi de Poisson), ou trouver qu'il existe un loi des séries, souvent dénommée Loi de Murphy, ou second principe de Le Chatelier 68 : un malheur (ou un bonheur) n'arrive jamais seul (ma belle-mère est venue s'installer à la maison , et nous a donné sa grippe ...) Sans doute peut-on risquer l'hypothèse que l'ordre découle, par hasard ou par nécessité, d'une infinité de désordres qui s'annulent. Si cela était, il faudrait encore constater la présence, à côté du hasard, d'un anti-hasard qui , bien qu'apparent , engloberait , réduirait , limiterait les désordres contingents . L'esprit n'aurait donc le choix qu'entre 2 solutions : ou bien Hasard et Anti- Hasard 66 René Nelli op.cit. Lao Tseu Ta-Tö-King Richard Wilhelm Perot Ed. Librairie de Médicis 68 Le principe de Le Chatelier, énoncé par Henry Le Chatelier en 1884, stipule que: Si on tend à modifier les conditions d'un système en équilibre, il réagit de façon à s'opposer partiellement aux changements qu'on lui impose jusqu'à l'établissement d'un nouvel état d'équilibre.» 67 31 seraient, en fin de compte, une seule et même chose et donc, en quelque sorte , interchangeables ; ou bien il y aurait perpétuel affrontement entre Hasard et Antihasard et , par conséquent , un " Monde du Mélange " ou règnent conjointement un hasard souvent mis en échec et une nécessité toujours menacée 69. L'Antihasard est encore dans le passé irréversible ; c'est grâce à lui que nous sommes la coexistence de l'être et du néant, du passé et du futur, et de la part de fatalité qui nous oppose à nous-mêmes. Nous pensons l'Antihasard. Si dans ce monde le hasard est aux prises avec la nécessité, l'existence d'un Principe Créateur se confond avec celle d'un Antihasard. L'ordre ne serait qu'un cas particulier du chaos, s'il ne correspondait pas à une exigence éternellement stable. Il y a un ordre qui peut sortir du hasard et un autre qui empêche l'ordre de sortir du hasard. Ce dernier ne serait-il pas une certaine perception du GADL’ U? 70 Ainsi, la question, à propos du destin , de savoir s'il y a un hasard ou une nécessité , devient accessoire , j'allais dire presque d'ordre sémantique ... " L'expérience du soi ouvre à l'individu une fenêtre sur l'éternité , en lui permettant de se soustraire à l'entreprise étouffante d'une image intolérable du monde ", écrivait Jung . " Là, l ' Homme, l'éternel toujours en soi, et par cette fenêtre peut du même coup , passer dans le monde lié au temps sous forme d'évènements de synchronicité " . Michel Barat 71 n'appelait-il pas l'Initiation, " une fenêtre sur la transcendance" ? Mais notre vie, dans tout cela, s'il n'y a pas de réponse ? Pourquoi la prendre trop au sérieux, personne n'en est jamais sorti vivant ! " Notre vie vaut ce qu'elle nous a coûté d'efforts ", se plaisait à dire F. Mauriac ; les épreuves que nous subissons dans nos destins respectifs, doivent nous faire grandir et progresser : voici, certes, une sagesse qu'il n'est pas aisé d'atteindre ... 69 René Nelli op.cit. J. van Assche Qu’est qu’un ordre initiatique Conférence Cercle Condorcet Brossolette 11 novembre 2006 71 M. Barat, La conversion du regard Paroles vivantes Albin Michel 70 32 Et puis n'oublions pas que la Franc-maçonnerie suggère, par ses rituels, l'immortalité de l'âme et la chaîne ininterrompue avec ceux qui sont passés à l'OrEternel.. Alors, gardons à l'esprit ces magnifiques paroles du " Chant des Adieux " : Faut-il nous quitter sans espoir , Sans espoir de retour ? Faut-il nous quitter sans espoir , De nous revoir un jour ? Unis par cette douce chaîne d'union , Autour d'un même feu , Unis par cette douce chaîne , Ne faisons point d'adieu . Car l' idéal qui nous rassemble , Vivra dans l'avenir , Car l'idéal qui nous rassemble , Saura nous réunir . 33