Université Joseph Fourier

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Université Joseph Fourier
Variations climatiques et hydrologie
Fluctuations des bilans de masse des glaciers des Alpes françaises
depuis le debut du 20e siècle au regard des variations climatiques
Influence of climate change on French glaciers mass balance
over the 20th century
C. Vincent
Laboratoire de Glaciologie et de Géophysique de l’Environnement du CNRS
(associé à l’Université Joseph Fourier),
54 rue Molière, BP 96, 38402 Saint Martin d’Hères Cedex, France
The relationships between mass balance and meteorological data were used to reconstruct the mass balances of six
glaciers back to 1907 using old maps and photogrammetric measurements. Sensitivity analysis shows that a 25 to 30 %
increase in precipitation would compensate a 1˚C temperature rise for the mass balances of glaciers. From these
results, the 20th Century may be divided into four periods : two steady state periods, 1907-1941 and 1954-1981, during
which the mass of glaciers remained almost constant, and two deficit periods, 1942-1953 and 1982-1999, marked by a
sharp reduction in glacier mass. Regarding mean ablation at 2800 m asl, a 22 Wm-2 increase in energy balance is
required to explain the ablation difference between the two most recent periods, 1954-1981 and 1982-1999. According
to the energy balance analysis, the increase in air temperature explains more than 60 % of this ablation rise.
I ■ INTRODUCTION
3 600 m d’altitude sur des expositions variées et ce réseau
inclut désormais des mesures de bilans de masse bi-annuels.
Ce réseau constitue, depuis 2000, un service d’observation
soutenu et financé par l’Observatoire des Sciences de l’Univers de Grenoble (OSUG). Les objectifs de l’étude présentée
ici sont :
1) d’établir les relations entre bilans de masse (hivernaux
et estivaux) et les données climatologiques de vallée (précipitations et températures) (sections III.1 et III.2) ;
2) de reconstituer les bilans de masse de 6 glaciers depuis
le début du XXe siècle, à partir des relations précédentes et
surtout à partir des cartes topographiques et des restitutions
photogrammétriques (section III.3) ;
3) d’analyser les tendances climatiques du XXe siècle et
en particulier les 20 dernières années de très fortes ablations
estivales (section IV).
La sensibilité des bilans de masse glaciaires aux changements climatiques est désormais largement reconnue [1] [2].
Contrairement aux fluctuations des fronts des glaciers très
influencées par les processus d’écoulement des glaciers, les
bilans de masse glaciaires sont d’excellents indicateurs des
variations des bilans d’énergie à leur surface. Dans l’objectif
de préciser les conditions climatiques dans le passé, cet article propose d’une part de déterminer les variations de
volume de six glaciers alpins cours du XXe siècle, et d’autre
part, d’examiner l’influence des changements climatiques sur
les bilans de masse glaciaires. Le seul moyen d’étudier la
sensibilité des bilans de masse au climat sur plusieurs décennies consiste à comparer les bilans de masse aux données
météorologiques de vallée. De telles comparaisons avaient
été faites à partir d’observations sur le glacier d’Argentière
[3] ou sur les glaciers suisses [4], mais les incertitudes de
ces résultats restaient importantes car les observations utilisées étaient des mesures de bilans annuels (et non saisonniers) sur des plages d’altitude très limitées. D’une façon
générale, les observations des bilans hivernaux et estivaux
restent rares [5] [6]. Depuis 1993, dans les Alpes françaises,
le Laboratoire de Glaciologie de Géophysique de l’Environnement a étendu le réseau d’observations des bilans de
masse sur 4 glaciers des Alpes françaises entre 1 600 et
II ■ SITES DE MESURES, MÉTHODE
ET DONNÉES UTILISÉES DANS
LE CADRE DE CETTE ÉTUDE
Dans le cadre de cette étude, six glaciers ont été choisis
dans différents massifs des Alpes françaises : les glaciers de
Saint Sorlin (3 km2) et de Sarennes (0,8 km2) dans le massif
1
LA HOUILLE BLANCHE/N° 8-2002
Variations climatiques et hydrologie
Precipitations et accumulations hivernales (m. eau)
des Grandes Rousses ; le glacier de Gébroulaz (3 km2) dans
le massif de la Vanoise ; les glaciers d’Argentière (19 km2),
de la Mer de Glace (28 km2), et de Lognan (1 km2), dans le
massif du Mont-Blanc. Ces glaciers présentent des expositions très variées (Nord au sud). Ils ont été sélectionnés en
raison de l’existence des séries d’observation des bilans de
masse et des cartes établies par moyens topographiques ou
photogrammétriques réalisées depuis le début du XXe siècle.
Les documents topographiques ou photogrammétriques disponibles sur ces glaciers sont les cartes topographiques du
début du siècle (Flusin, Jacob et Offner, 1905 ; Service Géographique de l’Armée, 1906 ; Vallot, 1910) et les restitutions
photogrammétriques établies à partir des clichés aériens
(Vincent, non publié). Les observations directes et continues
des bilans de masse annuels datent de 1949 pour le glacier
de Sarennes, de 1957 pour le glacier de Saint Sorlin, de
1976 pour le glacier d’Argentière et de 1993 pour les glaciers de la Mer de Glace et de Gébroulaz. Sur le glacier de
Lognan, aucune mesure de bilan de masse n’est disponible
mais des topographies répétées du glacier depuis 1984 permettent de déterminer des bilans volumétriques. Les données
météorologiques utilisées dans cette étude sont 1˚) les températures des stations météorologiques de Lyon-Bron (observées depuis 1922) et de Saint Genis Laval (1881-1922) et de
Chamonix (depuis 1959) (Météo France), 2˚) les précipitations des stations météorologiques de Besse en Oisans
(depuis 1923), de Bourg d’Oisans (1907-1989) et de Chamonix (depuis 1959) (Météo France).
La station de Lyon, utilisée pour les données de températures, peut sembler loin des sites d’observations (à 120 km
de Saint Sorlin, à une altitude de 200 m) mais, pour le massif alpin au moins, les fluctuations de températures sont bien
corrélées à l’échelle de l’ensemble du massif [7]. Le choix
de la station de mesures des précipitations est plus délicat
car la variation spatiale des précipitations est très importante.
Néanmoins, et c’est assez surprenant, une forte corrélation
existe entre les précipitations de Besse et de Chamonix [8].
4
Argentière 2880 m
Mer de Glace 3050 m
Gebroulaz 3200 m
St Sorlin 2950 m
3
2
1
0
1993
1995 1997 1999 2001
Année
Figure 1 : Accumulations hivernales observées sur
4 glaciers des Alpes françaises entre 2 880 et 3 200 m
d’altitude et précipitations hivernales de Besse-en-Oisans
(histogramme blanc) et de Chamonix (histogramme noir).
lui-même. Ainsi, à 3 000 m d’altitude dans le massif du
Mont-Blanc, les bilans hivernaux atteignent près de 3 fois
les valeurs des précipitations observées dans les vallées.
Les variations de précipitations enregistrées dans les vallées sont ainsi largement amplifiées à haute altitude à la surface des glaciers. Pour chaque tranche d’altitude et pour chaque glacier, il est ainsi possible de déterminer, à partir des
observations, un ratio entre le bilan hivernal et les précipitations de vallées, relativement constant dans le temps [9]. Ces
ratios seront utilisés pour reconstituer les bilans de masse
estivaux à partir des données météorologiques (section III.3).
III ■ RÉSULTATS
● III.2 Bilans de masse estivaux et températures
● III.1 Bilans de masse hivernaux et précipitations
Les bilans de masse estivaux sont déterminés à partir de la
mesure de l’émergence des balises d’ablation implantées
dans les trous de forage réalisés au mois de mai en zone
d’accumulation ou à partir des balises implantées directement dans la glace en zone d’ablation à l’aide d’une sonde à
vapeur (instrument à forer). Ces bilans de masse estivaux
ont été comparés aux degrés-jours positifs déduits des données des stations météorologiques (Lyon ou Chamonix).
Pour chaque site d’observation, le cumul des degrés-jours
positifs est la somme des températures positives (calculées à
l’aide d’un gradient de température de 0,6˚C/100 m) obtenue
sur la période d’observation. Ainsi, pour chaque site
d’observation, il est possible d’établir une relation entre le
bilan de masse estival mesuré et le cumul des degrés-jours
positifs [9]. Ces relations sont très linéaires. Les coefficients
de régressions obtenus (ou facteurs degré-jour) définissent
ainsi la sensibilité de l’ablation à la température journalière
(entre 4 et 7 mm d’eau par degré-jour positif). Ces relations
sont en réalité très sensibles à l’albédo de surface ; dans une
étude précédente, il avait été montré, à partir d’observations
détaillées sur le glacier de Sarennes, qu’il y avait une différence très nette entre les relations obtenues à partir de l’abla-
Ce chapitre analyse les relations entre les précipitations
observées dans les vallées (Besse en Oisans ou Chamonix)
et les bilans hivernaux mesurés sur les glaciers d’Argentière,
de la Mer de Glace, de Gébroulaz et de Saint Sorlin depuis
1994. Quinze à 30 carottages sont effectués sur chacun de
ces glaciers au mois de mai pour déterminer les bilans hivernaux. Sur la figure 1, sont reportées d’une part les précipitations hivernales (m. eau) de vallée issues des observations
des stations de Besse et de Chamonix et d’autre part les
bilans hivernaux (en m. eau) observés à 3 000 m d’altitude
sur 4 glaciers. Il apparaît que les accumulations hivernales
mesurées à haute altitude sont considérables en comparaison
des précipitations observées dans les vallées. Bien sûr, cette
différence ne s’explique pas seulement par l’augmentation
des précipitations avec l’altitude (effet orographique) ;
l’accumulation hivernale est en fait très influencée par la
topographie locale et en particulier par les pentes abruptes
qui surplombent les glaciers : par l’effet de la gravité et du
vent, ces pentes peuvent collecter des précipitations solides
sur des surfaces bien plus importantes que celle du glacier
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2
FLUCTUATIONS DES BILANS DE MASSE DES GLACIERS DES ALPES FRANÇAISES DEPUIS LE DEBUT DU 20E SIÈCLE
AU REGARD DES VARIATIONS CLIMATIQUES
les bilans hivernaux et précipitations hivernales de vallée)
sont issus d’une étude précédente [9] ; ils peuvent varier de
1 à 3 suivant les glaciers et l’altitude. Les facteurs degrésjours sont de 0,0044 pour la neige et de 0,0058 m/˚C.jour
pour la glace, déterminés sur la base des données du glacier
de Saint Sorlin [9]. Les séries météorologiques utilisées pour
ces reconstitutions sont les précipitations de Besse en Oisans
et Bourg-d’Oisans et les températures de Lyon. Les changements de surface depuis le début du XXe siècle sont pris en
compte dans le calcul. Ces changements de surface ont un
effet non négligeable sur les résultats (par exemple, de 5 m
d’eau sur la reconstitution du bilan cumulé de St Sorlin entre
1907 et 1999). Il est donc nécessaire d’inclure cette variation
dans le modèle mais une tendance linéaire est suffisante. Les
résultats des reconstitutions des bilans des 6 glaciers sont
reportés sur la figure 3. Ces reconstitutions ont été validées
par les variations de volume calculées grâce aux anciennes
cartes topographiques et aux restitutions photogrammétriques. En réalité, le modèle est très sensible aux paramètres
choisis pour les variables météorologiques (facteur accumulation/précipitation et facteur degrés-jour) : une variation de
tion de neige et celles obtenues avec l’ablation de glace [8].
Afin de déterminer la sensibilité de l’ablation estivale à la
température sur toute la période estivale, chaque facteur
degré-jour a été multiplié par le nombre de jours pour lesquels la température est positive à l’altitude du site d’observation.
Bilans de masse cumulés (m. eau)
2
10
10
0
0
-10
-10
-20
-20
-30
-30
-40
-40
-50
Argentière
-60
-50
1920 1940 1960 1980 2000
1900 1920 1940 1960 1980 2000
An
1.2
0.8
Argentière
St Sorlin
0.4
2400
2800
3200
Bilans de masse cumules (m. eau)
2000
10
0
0
-10
-10
-20
-20
-30
-30
-40
-40
-50
Lognan
-60
0
1600
An
10
Gebroulaz
Mer de Glace
Leschaux
Talefre
3600
Altitude (m )
Figure 2 : Sensibilité de l’ablation annuelle
à la température, en fonction de l’altitude.
-50
Gebroulaz
-60
1900 1920 1940 1960 1980 2000
1900 1920 1940 1960 1980 2000
An
An
10
10
0
0
-10
-10
-20
-20
-30
-30
-40
-40
-50
-50
Sarennes
St Sorlin
-60
-60
● III.3 Reconstitution des bilans de masse
des glaciers au cours du XXe siècle
Mer de Glace
-60
190
1.6
Bilans de masse cumulés (m. eau)
Sensibilite de l'ablation a la température (m eau / degré C)
Les résultats sont reportés sur la figure 2. On peut ainsi
estimer qu’une élévation de température moyenne de 1˚C sur
la saison estivale entraîne une ablation supplémentaire de
1,4 m d’eau à 1 800 m d’altitude (pour une ablation
moyenne de 7,5 m d’eau environ) et de 0,3 m d’eau à
3 200 m (pour une ablation moyenne de 1,3 m d’eau). La
figure 2 indique une plus grande dispersion entre 2 700 et
3 000 m d’altitude aux alentours de la ligne d’équilibre.
Cette large dispersion est liée en particulier à la variation
importante de l’albédo moyen dans cette région (suivant les
années, la surface est en neige ou en glace à la fin de l’été).
A haute altitude, la surface est en neige tout au long de
l’année et l’albédo varie peu d’une année sur l’autre. De la
même façon, à basse altitude, l’ablation de neige est faible
au regard de l’ablation de glace et la surface est pour une
grande partie de l’été en glace. Ces résultats montrent que
les bilans de masse sont très sensibles à basse altitude aux
variations de température. Ainsi, dans le cadre de l’étude des
changements climatiques, il est primordial de disposer
d’observations dans de telles régions.
1900 1920 1940 1960 1980 2000
1900 1920 1940 1960 1980 2000
An
An
Figure 3 : Variations de volume de six glaciers dans les
Alpes Françaises, obtenues à partir des mesures directes
de bilans (petits triangles), des cartes topographiques ou
photogrammétriques (triangles larges), et d’une
reconstitution à l’aide de variables météorologiques
(trait plein). Ces bilans cumulés sont exprimés en m. eau
(variations de volume divisées par la surface du glacier) et
représentent ainsi la variation d’épaisseur (en m. d’eau)
moyenne sur l’ensemble du glacier.
Le but de ce chapitre est de reconstituer les bilans de
masse hivernaux et les bilans de masse estivaux de
6 glaciers depuis 1907, à partir des relations obtenues dans
les sections III.1 et III.2 et de l’hypsométrie de chacun de
ces glaciers. Pour chaque tranche d’altitude de 50 m, les
bilans de masse annuels sont calculés à l’aide des précipitations hivernales (octobre à mai) et des degrés-jours estivaux
(avril à septembre). Les facteurs de précipitation (ratios entre
3
LA HOUILLE BLANCHE/N° 8-2002
Variations climatiques et hydrologie
Ablation
Accumulation
10 % sur les précipitations entraîne une différence de 14 m
d’eau sur les bilans cumulés du glacier de Saint Sorlin en un
siècle. Il est donc illusoire de reconstituer des bilans de
masse cumulés sur un siècle à l’aide des variables météorologiques seules. Pour cette raison, il est absolument nécessaire que la tendance globale de l’évolution de chacun de ces
glaciers soit contrainte par des données topographiques et
photogrammétriques totalement indépendantes. Les résultats
du modèle sont ainsi ajustés d’une part sur les variations de
volume géométriques (topographie et photogrammétrie),
d’autre part sur les mesures directes des bilans de masse
annuels lorsqu’elles sont disponibles.
1900
IV ■ DISCUSSION ET CONCLUSIONS
1920
1940
1960
1980
2000
An
XXe
Les bilans cumulés sur le
siècle (fig. 3) montrent des
évolutions très différentes d’un glacier à l’autre : les glaciers
d’Argentière, de la Mer de Glace et de Gébroulaz ont perdu
environ 13 m d’eau depuis 1907, alors que les glaciers de
Saint Sorlin et Sarennes ont perdu respectivement 31 et
60 m d’eau au cours de la même période. Des tests de sensibilité réalisés sur le glacier de Saint Sorlin à l’aide des précipitations et températures moyennes de 1907-1999 montrent
que le volume du glacier en 1907 serait resté constant avec
des températures moyennes estivales inférieures de 0,75˚C
aux températures observées ou avec des précipitations hivernales supérieures de 20 % aux précipitations observées.
Bien que la réponse ne soit pas linéaire, on peut dire que
25 à 30 % de précipitations supplémentaires peuvent compenser une élévation de température de 1˚C.
La figure 2 montre que la sensibilité de l’ablation annuelle
à la température est d’environ 1,4 m d’eau/˚C à 1 800 m et
de 0,5 m d’eau/˚C à 2 900 m à proximité de la ligne d’équilibre. Ainsi, avec un coefficient d’activité de 0,7 à 0,8 m
d’eau/100 m [10], la sensibilité de la ligne d’équilibre est de
60 à 70 m/˚C. Cette sensibilité est la moitié de la valeur
obtenue par Greene et al. (1999) [11] à partir d’un modèle
climatique ou par Maisch (2000) [12] à partir du calcul de la
variation de l’AAR (accumulation area ratio) entre 1850 et
1973 sur l’ensemble des glaciers suisses. Ainsi, les scénarios
de retrait des glaciers des Alpes établis par Maisch pour le
prochain siècle sont sans doute surestimés d’un facteur 2.
La figure 3 indique que la décroissance des glaciers n’est
pas du tout uniforme au cours du XXe siècle ; deux périodes
de fortes décroissances caractérisent ce siècle : 1942-1953 et
1982-99. Dans le but de mettre en évidence les tendances de
l’évolution des bilans au regard des variations climatiques, le
XXe siècle a été divisé en 4 périodes ; sur la figure 4, sont
reportées les accumulations hivernales et les ablations estivales moyennes calculées sur ces 4 périodes à 2 800 m d’altitude. La forte décrue de la décennie 1940 est la conséquence
d’hivers peu enneigés et d’une importante fusion estivale.
Au cours de cette période, l’ablation estivale était même
plus élevée que celle enregistrée au cours des 18 dernières
années. Une partie de cette ablation est imputable à la diminution de l’albédo de surface. Au contraire, l’avance de la
plupart des glaciers alpins observée entre 1954 et 1981 est
clairement liée aux faibles valeurs d’ablation. Sur la dernière
période (1982-1999), la fusion estivale augmente très significativement et l’accumulation hivernale augmente légèrement. Par ailleurs, les ablations mesurées sur le glacier de
Sarennes [13] ont été reportées sur la figure 4 et permettent
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2
1.5
1
0.5
0
-0.5
-1
-1.5
-2
-2.5
-3
Figure 4 : Accumulation et ablation moyennes sur
chacune des périodes, calculées à 2 800 m d’altitude
(en m. eau) sur le glacier de Saint Sorlin.
Les segments en pointillé correspondent
aux observations de l’ablation de Sarennes [13].
de voir l’excellent accord entre les observations et la reconstitution sur les 2 dernières périodes. Ainsi, l’ablation estivale
a augmenté de 44 % (de 1,9 m à 2,8 m d’eau) à 2 800 m
d’altitude entre 1954-1981 et 1982-1999. A titre de comparaison, la différence de bilan de masse annuel estimée entre
le dernier maximum du Petit Age de Glace (1800-1850) et la
période 1970-1980 est comprise entre 0,5 et 1 m d’eau/an
pour les glaciers des Alpes françaises (Vincent, non publié).
Cette augmentation considérable de la fusion estivale au
cours des 20 dernières années indique une variation du bilan
d’énergie en surface de 284 MJ/m2 (ou de 22 W/m2 sur la
durée de la période estivale). L’analyse des bilans d’énergie
[9] montre que l’augmentation de 22 W/m2 des bilans
d’énergie entre 1954-81 et 1982-99 peut être due soit à une
variation du bilan des radiations courtes longueurs d’onde,
soit à une variation des radiations grandes longueurs d’onde
incidentes, soit à une variation du flux de chaleur sensible
ou à une combinaison de ces trois termes. L’augmentation
de la température de l’air d’environ 0,8˚C sur cette période
dans les Alpes [7] pourrait expliquer plus de 60 % de la
fonte supplémentaire, à travers les changements du flux de
chaleur sensible et la variation des radiations grandes longueurs d’onde incidentes. L’élévation du bilan des radiations
des courtes longueurs d’onde, influencé par une forte
rétroaction de l’albédo de surface, pourrait également expliquer une large part de l’ablation supplémentaire. Elle proviendrait d’une diminution de la nébulosité dans les Alpes
au cours des 20 dernières années, qui reste à vérifier.
REMERCIEMENTS
Nous remercions toutes les personnes qui ont participé à
la collecte des données de terrain. Les observations d’Argentière sont financées par la société hydroélectrique Emosson
S.A (La Batiaz – Suisse), celles de Gébroulaz par le Parc
National de la Vanoise. Cette étude est également soutenue
par l’OSUG (Observatoire des Sciences de l’Univers de Grenoble.
4
FLUCTUATIONS DES BILANS DE MASSE DES GLACIERS DES ALPES FRANÇAISES DEPUIS LE DEBUT DU 20E SIÈCLE
AU REGARD DES VARIATIONS CLIMATIQUES
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