LA STRATEGIE DES ANCHOIS Il est des évènements qui marquent

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LA STRATEGIE DES ANCHOIS Il est des évènements qui marquent
LA STRATEGIE DES ANCHOIS
Film documentaire long-métrage – Durée : 1h37
Auteurs : Hervé Grazzini et Bernard Bœspflug
Montage : Eric Renault
PRÉSENTATION
Il est des évènements qui marquent une époque, qui en sont la quintessence. Raconter ces
histoires revient à tenir la chronique de cette époque.
Le long conflit social des ouvriers de Nestlé de l’usine de Saint-Menet à Marseille symbolise
cette année 2005, année du référendum sur la constitution européenne. La désindustrialisation
et les délocalisations étaient au cœur des angoisses de la société française et donnaient la
victoire aux partisans du non.
Toutes les questions portées lors de ce référendum, les ouvriers de Nestlé les vécurent, s’en
emparèrent et en nourrirent leur lutte. Pour eux, la réponse à ces angoissantes interrogations
fut l’action, à corps perdu. Ils étaient les marins d’un navire que le capitaine avait abandonné
arguant qu’il allait sombrer.
Seulement, les marins connaissaient mieux leur bateau que leur capitaine.
Mais au-delà de la lutte, ce que met en lumière l’aventure collective des ouvriers de Nestlé fut
la question de la Démocratie au sein d’un système antidémocratique qu’est l’entreprise et plus
généralement dans un monde en pleine mutation libérale.
Cette problématique majeure ne fut pas juste une simple idée théorique qui traversa le conflit,
elle fut le moteur de ce combat singulier contre la pieuvre de Vevey.
La prise de parole fut l’arme des ouvriers dans ce combat perdu d’avance. Cette parole, qui
circula entre les ouvriers, qui irrigua Marseille et sa région puis la France et l’Europe, fut si
dense qu’elle sera entendue par le pouvoir politique et judiciaire, finit par faire céder le géant
de l’agroalimentaire. Une victoire au goût amer.
Ce verbe haut et digne constitue la colonne vertébrale de La stratégie des anchois.
Ce film documentaire de long-métrage raconte cette histoire en se plaçant au milieu des
ouvriers de Nestlé Saint-Menet. Parmi les lutteurs, car ce conflit a été filmé de l’intérieur par
Hervé Grazzini, fils d’un travailleur de l’usine de Marseille
Dans ce film, nous voulons mettre en avant une parole à la fois singulière et collective et qui,
le temps du conflit, a flirté avec l’utopie d’une classe ouvrière qui prend son destin en main et
qui croit en des lendemains qui chantent.
Cette histoire prend un relief particulier en pleine crise financière. Elle est une fidèle
photographie des conséquences de cette économie virtuelle sur le réel. Cette nouvelle
dimension ouvre d’autres champs de réflexion que nous introduisons dans le récit.
Hervé Grazzini & Bernard Bœspflug
LA STRATEGIE DES ANCHOIS
Film documentaire long-métrage – Durée : 1h37
Auteurs : Hervé Grazzini et Bernard Bœspflug
Montage : Eric Renault
L’HISTOIRE DES NESTLÉ
Le combat des Nestlé de Saint-Menet à Marseille est celui du pot de terre contre le pot de fer,
de David contre Goliath, des salariés face à la toute puissance des nouveaux seigneurs, d’une
certaine idée de la démocratie face à l’arrogance des puissants.
Ce combat dura 643 jours et débuta comme un coup de tonnerre le 12 mai 2004. Une journée
particulière qui fit suite à la disparition, pendant quelques jours, de la direction de l’usine
Nestlé à Marseille qui s’était réuni dans un lieu tenu secret. Ce jour-là, le directeur passa la
journée dans son bureau alors qu’il était attendu par les salariés qu’il avait convoqués pour
une communication importante. Pour trouver le courage d’affronter les salariés, il fallut la
promesse de sa protection par les délégués CGT de l’usine. Lorsqu’il se présenta enfin devant
eux, il était blême et lâcha d’une voix mal assurée :
—« L’usine Nestlé de Saint-Menet doit être fermée le 30 juin 2005, parce qu’elle n’est plus
rentable. »
Ce qui semblait impossible, à ceux qui s’usaient la santé dans cette usine depuis plusieurs
décennies, le devint soudain. Tout le monde fut abasourdi. Certains laissèrent éclater leur
colère, les nerfs lâchèrent pour les uns et les autres semblèrent absents comme déconnectés de
la réalité.
Très vite, la riposte s’organisa du côté des salariés. Un groupe, dit des enragés d’environ 80
personnes sur un peu plus de 450 employés, constitua le noyau dur de la résistance, rejoint
épisodiquement par une centaine de salariés. Les autres avaient déjà renoncé et attendaient
passivement que le couperet tombe.
Un collectif d’une quarantaine d’associations se constitua autour du combat des salariés de
Nestlé, avec comme objectif l’emploi et la sauvegarde du site industriel. L’usine Nestlé
occupait 27 hectares dans la vallée de l’Huveaune et cette donnée pèsera dans le
comportement du maire de Marseille dans l’histoire.
Quelques figures allèrent émerger et se révéler aux autres et à eux-mêmes. Patrick, Patrice,
Jean-Pierre, Elise, Marius, Norbert et bien d’autres encore allèrent être à la pointe de la lutte,
chacun trouvant sa place où chaque talent pu s’exprimer, car en face l’adversaire était de
taille.
Nestlé n’est pas une petite entreprise, multinationale Suisse, elle est la 27émé plus riche
entreprise au monde, possède plus de 400 usines à travers la planète et plus de 270.000
employés.
Nestlé avait tout fait pour faire tomber l’usine de Saint-Menet comme un fruit blet, réalisant
des investissements stériles, délocalisant des chaînes de production vers d’autres sites Nestlé,
ou laissant marcher l’usine en surcapacité, essayant vainement de rendre cette usine
déficitaire. Seulement, le personnel était compétent et trouvait chaque fois des solutions pour
maintenir la qualité et la fabrication des produits.
Une confiance inébranlable dans leur outil de production porta les enragés dans leur combat,
car ils se savaient bons ouvriers, compétents et consciencieux. Ils ne crurent pas Nestlé
déclarant leur usine plus rentable. Habités par cette foi absolue, ils décidèrent de la sauver,
avec ou sans Nestlé :
—« Ça part d’une colère, d’un refus ! »
La puissance d’une colère juste et le mépris des dirigeants de Nestlé pour ses propres ouvriers
ouvra la voie à une lutte syndicale originale et nouvelle, portée par l’utopie de ceux qui
voulaient rester debout, dignes, et se mettre en marche.
Elle fut menée, pensée par des gens qui crurent aux forces du collectif, au respect de la loi,
des personnes et de la démocratie. Les représentants du personnel prirent pleinement leurs
responsabilités d’élus syndicaux et ils appliquèrent de façon stricte, intelligente et avec le plus
grand respect des ouvriers les devoirs que leurs mandats d’élus leur imposèrent. Les délégués
syndicaux s’efforcèrent de mettre en place un dialogue ouvert avec l’ensemble du personnel,
y compris ceux qui avaient renoncé, et d’informer de façon concrète les ouvriers, sans leur
donner de faux espoir et sans leur donner d’information tronquée ou simplifiée. Le respect de
la volonté de chacun fut l’un des point les plus importants sur les enjeux et l’implication de
tous et donna lieu à un mouvement jusqu’alors rare. Ils durent également lutter contre les
mensonges de Nestlé pour diviser.
Les représentants du personnel se donnèrent des objectifs clairs : ne pas attaquer de front ;
gérer le temps, car ils savaient que le combat serait long ; élargir le périmètre de la lutte, en
ouvrant plusieurs fronts en même temps (juridique, social, médiatique, information) ; faire
participer les gens (la démocratie) ; faire adhérer les gens à la philosophie du combat et de ses
objectifs (la sauvegarde des emplois et du site industriel) ; le partage des rôles et des
responsabilités.
Ils s’appuyèrent également sur le mouvement de sympathie dont ils bénéficiaient à Marseille
et sur le collectif des associations sur la sauvegarde de la vallée de l’Huveaune. Ils
cherchèrent à élargir toujours plus le cercle du soutien de la population. À chaque action, ils
trouvèrent l’occasion de discuter avec les gens, de leur expliquer la situation.
Cette lutte syndicale fut d’autant plus remarquable qu’elle se révéla d’une efficacité étonnante
puisqu’ils obtiendront finalement de Nestlé, qu’un repreneur, Net cacao, puisse venir
s’installer sur le site et qu’une poursuite de l’activité industrielle, avec la sauvegarde d’un
savoir faire et des emplois au sein d’une ville déjà rongée par le chômage, ne relève plus
seulement de l’utopie mais d’une réalité.
—« Imagine-t-on ce qu’il faut de détermination, de lucidité, de courage, de capacité
organisationnelle, de patience et de colère pour mettre en échec pendant 643 jours un
monstre de cette taille. » dira d’eux Jean Ziegler, rapporteur spécial à l’ONU sur les questions
de nutrition et qui avait déjà dénoncé les agissements du groupe Nestlé à travers le monde.
L’histoire des ouvriers de Nestlé Marseille ce fut aussi l’histoire de simples ouvriers qui se
plongèrent pendant deux ans dans des considérations industrielles, économiques, politiques et
stratégiques d’un niveau très élevé, et de proposer des solutions politiques, concrètes.
Ces deux années de luttes furent aussi une véritable aventure humaine et collective. Un
groupe d’homme et de femmes qui se soudèrent en se tenant les coudes. Des hommes et des
femmes se découvrirent, se rencontrèrent après avoir passer plus de 10, 20 ou 30 ans pour
certains sans jamais se parler, se connaître.
Dans cette aventure humaine naissait un esprit de corps, une intelligence collective tendue
vers un même but, un même idéal. Mais ce fut une épreuve que ces 643 jours de lutte, car
chaque matin, il fallut trouver l’énergie de se lever, de croire que ce qu’ils faisaient fut juste et
servit à quelque chose, pour eux-mêmes ou leurs enfants.
Les 80 enragés furent les soldats de ce combat. Ce sont eux qui firent douze heures d’autocar
pour occuper toute une journée le siège social de Nestlé France à Noisiel, pour empêcher la
tenue des réunions qui auraient dû déboucher sur le plan social et fermer l’usine, puis aller
dormir à même le sol dans un gymnase mis à la disposition des ouvriers par la mairie de la
ville voisine.
Ce sont eux qui se levèrent à trois heures du matin pour aller bloquer un centre de distribution
Nestlé sous une pluie battante et par une température glaciale.
Ce sont eux encore qui allèrent manifester leur soutien à d’autres ouvriers de d’autres usines
menacées de fermeture.
Ils l’ont fait pendant 643 jours.
Leur lutte fut exemplaire, car leur sang-froid fut mis à rude épreuve par les nombreuses
provocations des vassaux de Nestlé. Sans violence, ni dégradation matérielle, au contraire, ils
mirent du cœur à l’ouvrage pour prouver que leur usine fonctionnait bien, malgré les
sabotages perpétrés par les cadres de Nestlé.
Mais il fallut tout le talent des représentants syndicaux pour tenir et avancer pendant ces longs
mois. Mouvement qui sera même qualifié juridiquement : ils sont les premiers ouvriers à
avoir « occupé » leur usine tout en étant considéré par la justice comme non gréviste, une
première juridique et syndicale.
Autour de ces 80, les soutiens de la population s’élargirent, d’abord auprès des marseillais,
puis des Français et enfin des encouragements vinrent du monde entier – l’avantage
d’appartenir à un grand groupe international. Des syndicalistes européens étaient même venu
les voir, ainsi que quelques figures de la politique française.
Après 643 jours de lutte, le géant de l’agroalimentaire concéda la partie de l’usine dédiée au
chocolat à Net Cacao qui reprenait 180 salariés et sauvait 5 hectares sur les 27 de l‘ancien
site.
Amère victoire pour certains, mais victoire tout de même.
Cette lutte pour l’emploi, qui nous est si familière aujourd’hui, fut bien plus que cela. Un
mouvement qui toucha à la vie, à l’ordre des choses qui semblent si inéluctables, un appel aux
consciences, à l’émancipation. Elle donna aussi de l’espoir à ceux qui s’apprêtaient à être
broyés par la machine économique.
Les acteurs de cette épopée ouvrirent simplement des brèches dans le possible, de nouvelles
façons de vivre ensemble, de faire de la politique tout occupés qu’ils étaient à lutter, à crier
leur colère et leur refus.
Hervé Grazzini & Bernard Bœspflug