Demander une réunion extraordinaire - WK-CE

Transcription

Demander une réunion extraordinaire - WK-CE
par
Jurisprudence
Arrêts commentés
Laurène Charra,
Juriste en droit social
Demander une réunion
extraordinaire
Les réunions du CE ont lieu tous les mois ou tous les deux mois selon
l’effectif de l’entreprise. Mais le comité peut aussi demander une
réunion supplémentaire par mois, à l’employeur. On parle alors de
réunions « extraordinaires ». L’employeur peut-il refuser ?
Pas vraiment…
Cass. crim., 11 mars 2008, n° 07-80.169
C
ette affaire s’inscrit dans un contexte d’un plan
de sauvegarde de l’emploi. Le CE demande la
tenue d’une réunion extraordinaire afin de débattre d’un fichier informatique nominatif laissant apparaître une liste de personnes susceptibles d’être
licenciées, parmi lesquelles figurent de nombreux
membres du comité. Le CE formule alors sa demande
à 4 reprises mais se heurte à chaque fois au refus du
président. Pour lui la tenue de cette réunion était sans
objet et la pièce réclamée ne pouvait pas leur être communiquée. Face à ce refus, le comité engage une action contentieuse à l’encontre de son président pour
délit d’entrave au fonctionnement régulier du CE. Après
avoir été condamné en 1ère instance, le président du
comité est relaxé par la Cour d’appel d’Amiens qui estime que la demande du comité est fondée sur un motif insuffisamment explicité dans la question posée et
tend à caractériser, de la part du comité, un abus de
son droit à formuler une telle demande de réunion extraordinaire.
Une position que ne partage pas la Cour de cassation
qui estime « qu’il résulte de l’article L. 2325-17 du Code
du travail que, lorsqu’elle est demandée par la majorité de ses membres, le chef d’établissement a l’obligation d’organiser la réunion supplémentaire avec un
ordre du jour spécial ».
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d’appréciation. Ce caractère impératif découle de la rédaction du Code du travail : « Le comité peut, en outre,
tenir une seconde réunion à la demande de la majorité de ses membres […]. Lorsque le comité d’entreprise se réunit à la demande de la majorité de ses
membres, figurent obligatoirement à l’ordre du jour […] »
(C. trav., art. L. 2325-14). L’utilisation de ces formules
montre que le comité à toute latitude pour décider de
se réunir à nouveau et que la demande régulièrement
formulée entraîne de façon automatique la réunion du
comité.
La Cour de cassation le rappelle clairement dans cet arrêt : « lorsqu’elle est demandée par la majorité de ses
membres, le chef d’établissement a l’obligation d’organiser, en dehors de la réunion mensuelle ordinaire,
une réunion supplémentaire du comité d’entreprise
avec un ordre du jour spécial. » Elle reprend donc la
position qu’elle a toujours adoptée sur la question. Si
l’employeur ne fait pas suite à la demande du CE, il
commet un délit d’entrave. C’est par exemple le cas
de l’employeur qui a refusé de faire suite à la demande
du CE et proposé une réunion quinze jours voir trois
semaines plus tard alors que dès que l’inspecteur du
travail est intervenu, il a finalement convoqué la séance
extraordinaire du CE dès le lendemain (Cass. crim.,
9 mars 1982, n° 81-92.519) !
L’EMPLOYEUR DOIT FAIRE SUITE À
LA DEMANDE DU CE
LES CONDITIONS DE SA CONVOCATION
La réunion extraordinaire régulièrement demandée
s’impose à l’employeur qui ne dispose d’aucun pouvoir
Le législateur n’a rattaché cette prérogative à aucun
contexte particulier. Le texte ne prévoit ni critère d’ur-
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n° 76 - Novembre 2008
gence ni caractère exceptionnel. Aucune autre condition
que celle du vote majoritaire et de la limitation à une
réunion supplémentaire par mois n’étant nécessaire, le
comité n’a pas à justifier sa demande d’une réunion extraordinaire qui est donc de droit. À notre avis, la majorité exigée s’entend, sauf disposition contraire du règlement intérieur, de la majorité des membres ayant voix délibérative à
savoir les élus titulaires et eux uniquement.
À NOTER
Si le CE ne peut demander qu’une réunion supplémentaire
par mois, en revanche une telle limitation n’existe pas pour
le comité central d’entreprise (C. trav., art. L. 2327-13 :
« il peut tenir des réunions exceptionnelles à la demande
de la majorité de ses membres »).
Une fois que le CE a sollicité cette réunion, elle « doit
normalement se tenir sans attendre la prochaine réunion
mensuelle à moins que des circonstances particulières,
tenant notamment à la proximité de la date prévue pour
celle-ci, ne justifient que les deux réunions, tout en demeurant distinctes, puissent, sans inconvénient, être fixées au
même jour » (Cass. crim., 17 janv. 1984, n° 82-94.159).
Ainsi, si la date de la prochaine réunion plénière est proche,
alors l’employeur peut convoquer la réunion extraordinaire
le même jour mais dans ce cas, il devra veiller à ce que les
deux soient distinctes et qu’elles aient chacune un ordre
du jour différent.
DEUX EXCEPTIONS TOUT DE MÊME
La Cour de cassation admet un cas dans lequel l’employeur
peut refuser la tenue d’une réunion : l’existence d’un
obstacle insurmontable (Cass. crim., 14 sept. 1988,
n° 87-91.416). Dans cette affaire, l’employeur avait refusé
d’organiser cette réunion demandée par le comité pour
étudier des questions de formation économique de ses
membres, au motif que le surcroît de travail dû à la reprise
d’activité de la société après la période de vacances ne lui
avait pas permis de la tenir. La Cour de cassation a estimé
que si la reprise des activités à cette période était réelle,
elle n’était pas de nature à justifier à elle seule ce refus car
« le chef d’entreprise, qui n’était pas juge de l’opportunité de la requête lui étant adressée, était tenu, en
l’absence d’obstacle insurmontable, d’organiser la
réunion extraordinaire du comité d’entreprise sollicitée
par la majorité des membres de ce comité ».
Que faut-il entendre par « obstacle insurmontable » ? On
peut rapprocher cette notion des cas de force majeure. Rappelons que la jurisprudence exige, pour qu’un évènement
caractérise la force majeure, qu’il soit imprévisible, irrésistible (c’est-à-dire inévitable) et insurmontable dans ses
conséquences. Ces trois critères sont cumulatifs ; il s’agit
donc d’une notion très restrictive. Cependant, à ce jour,
aucun cas « d’obstacle insurmontable » ne s’est présenté
devant la Cour de cassation qui ne l’a, de ce fait, jamais
caractérisé.
Il existe une autre hypothèse dans laquelle à notre avis l’employeur pourrait refuser de faire suite à la demande du CE :
lorsqu’il abuse de son droit. Dans l’affaire ici commentée,
la Cour d’appel a rejeté la demande du CE et donné raison
à son président en relevant que la demande de tenue d’une
réunion extraordinaire, fondée sur un motif insuffisamment
explicité, « tendait au contraire à placer la direction dans
une situation susceptible de caractériser un abus par ledit
comité de son droit de demande de réunion ». L’abus de
droit peut, à notre avis, être caractérisé pour le CE dont la
majorité des titulaires demande systématiquement, chaque
mois, une réunion extraordinaire.
Ici, aucune de ces deux exceptions ne trouvait à s’appliquer ; dès lors, l’employeur n’avait aucun excuse et se
devait de convoquer le CE en séance extraordinaire. I
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Jurisprudence
Les réponses du juge
> Quel est l’effet de l’annulation d’une
décision de l’inspecteur du travail se
déclarant incompétent pour statuer sur
une demande d’autorisation ?
L’annulation de la décision de l’inspecteur du travail se
déclarant incompétent pour statuer sur une demande
d’autorisation de licenciement au motif que le salarié visé
par la demande n’est plus protégé, est assimilable à
l’annulation d’une décision d’autorisation de licenciement du salarié. La réintégration du salarié à la suite
de cette annulation est de droit si elle est demandée et
ce, même si la notification du licenciement a eu lieu après
la fin de la période de protection.
Cass. soc., 21 oct. 2008, n° 07-42.021 P + B
> Quel est l’effet, sur un licenciement, de
la non-consultation préalable d’un
organisme conventionnel ?
D
L'arrêt n'est pas
assez important
pour être publié
aux bulletins
de la Cour
de cassation
P
L'arrêt est
important et
est publié
au Bulletin
mensuel
de la Cour
de cassation
P+B
L'arrêt sera aussi
publié au Bulletin
d'information
bimensuel de la
Cour de cassation
P+B+R
L'arrêt sera en plus
commenté dans
le rapport annuel
de la Cour
de cassation
P+B+R+I
L'arrêt est aussi mis
en ligne sur le site
internet de la Cour
de cassation
Le licenciement est dépourvu de cause réelle et
sérieuse. En effet, la consultation d’un organisme chargé,
en vertu d’une disposition conventionnelle, de donner
son avis sur une mesure disciplinaire envisagée à l’encontre d’un salarié constitue, pour celui-ci, une garantie
de fond dont l’inobservation prive de cause réelle et
sérieuse le licenciement. Par ailleurs, si une disposition
conventionnelle prévoit que le salarié peut exercer un
recours suspensif devant une telle commission une fois
la décision de son licenciement prise et que l’employeur
ne l’en informe pas, le licenciement prononcé est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Deux décisions
importantes à retenir car il arrive que les conventions collectives prévoient la consultation d’un organe composé
de membres du CE avant toute mesure disciplinaire…
Cass. soc., 16 sept. 2008, n° 07-41.532 P + B
Cass. soc., 21 oct. 2008, n° 07-42.170 P + B
> Les RP peuvent-ils subir une perte de
rémunération du fait de l’exercice de leur
mandat ?
Non. L’utilisation par les représentants du personnel (RP)
des heures de délégation ne doit entraîner aucune perte
de salaire. De fait, si deux RP travaillent habituellement
le week-end et bénéficient à ce titre de majorations
horaires, ils ne peuvent pas en perdre le bénéfice sous
prétexte qu’ils effectuent leurs heures de délégation
pendant la semaine, en raison des nécessités de leur
mandat. L’employeur ne peut donc pas appliquer un coefficient de pondération sur les heures de délégation qu’ils
font sur la semaine par rapport aux heures de travail qu’ils
effectuent le week-end.
Cass. soc., 28 oct. 2008, n° 07-40.524 D
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> Un membre du CE peut-il être licencié
s’il commet une faute ?
Oui, si les faits qui lui sont reprochés sont d’une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte
tenu de l’ensemble des règles applicables à son contrat
de travail, des dispositions relatives à l’exercice du droit
de grève, et des exigences propres à l’exécution normale
du mandat dont il est investi. Tel est le cas par exemple
d’un membre du CE et DP qui met en place, avec un
collègue de travail, un système de faux pointages mutuels de leur temps de travail, sur une période de plusieurs
semaines : il se rend coupable d’une faute jugée, par le
Conseil d’Etat, d’une gravité suffisante pour justifier son
licenciement, car les faits se sont déroulés sur plusieurs
semaines, présentent un caractère organisé, et l’objectif
était de dissimuler des retards importants. En revanche,
le fait qu’un membre du CE utilise le système informatique mis à sa disposition par l’employeur, à des fins
personnelles, ne constitue pas une faute d’une gravité
suffisante dès lors qu’il n’est pas démontré que cela
occasionne une gêne pour l’établissement et son
personnel.
CE, 22 oct. 2008, n° 301603
CE, 13 oct. 2008, n° 299420
LA DÉCISION
DU MOIS
Qui peut designer un
représentant syndical
au CHSCT ?
Seules les organisations syndicales qui sont
représentatives dans l’entreprise ou l’établissement dans lesquels ces désignations doivent prendre effet sont compétentes pour
procéder aux désignations de délégués
syndicaux ou représentants syndicaux légaux
ou conventionnels. Le juge saisi d’une contestation sur la qualité d’un syndicat désignataire d’un RS au CHSCT doit donc avant de
trancher la question, rechercher si le syndicat est représentatif dans l’établissement où
il le désigne. Rappelons que l’existence de RS
au CHSCT est conventionnelle et qu’il n’est
pas protégé.
Cass. soc., 29 oct. 2008, n° 07-43.578 P + B