Les albums et la production d`écrits

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Les albums et la production d`écrits
IUFM DE BOURGOGNE
Concours de recrutement : professeur des écoles.
Les albums et la production d’écrits
Vicard Julie
Directeur de mémoire : Mr D. Claustre
Année 2003
N° de dossier : 02STA03534
SOMMAIRE
INTRODUCTION
I. Littérature de jeunesse et production d’écrits.
1- définition de la littérature de jeunesse et des
albums.
• la littérature
• les albums
2- la place de la littérature et de la production
d’écrits dans les programmes.
• La littérature
• La production d’écrits
3- l’action de l’écriture sur la lecture.
• La compréhension en lecture
• Ecrire pour comprendre : les écrits de travail
II. Des situations d’écriture à partir d’albums.
1- travailler sur le sens de l’écrit .
a) Présentation de la séquence
b) Analyse de la séquence
2- travailler sur la compréhension grâce à l’écrit.
a) Présentation de la première séquence
b) Analyse de la séquence
c) Présentation de la deuxième séquence
d) Analyse de la séquence
CONCLUSION
Bibliographie
Annexe 1
Annexe 2
Annexe 3
Annexe 4
Annexes 5
Annexe 5 bis
Annexe 6
Annexe 6 bis
p.1
p.2
p.2
p.2
p.2
p.4
p.4
p.5
p.7
p.7
p.8
p.11
p.11
p.11
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p.19
p.20
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p.29
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p.32
p.33
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p.35
p.37
p.38
p.39
INTRODUCTION
- « Les enfants, aujourd’hui, on va faire de l’expression écrite. J’écris le
sujet au tableau : Racontez la plus belle journée de vos dernières vacances. »
C’est à ce genre de sujets que nous avons tous eu à faire face au moins
une fois pendant notre scolarité, cherchant à rassembler nos souvenirs, quelquefois
« embellis » d’événements fictifs pour étoffer un peu le récit, et combler le vide
des pages blanches laissé par la rentrée…
Comme l’explique Claudine Garcia-Debanc dans « la production d’écrits telle
qu’on l’enseigne aujourd’hui », extrait des Etudes de linguistique appliquée, les
sujets d’écriture proposés dans les années 1970/1980, relevaient essentiellement du
type narratif ou descriptif, faisant appel au souvenir d’une expérience personnelle
ou à l’imagination de l’élève en cas de mémoire défaillante... On recherchait alors
le réalisme de la description, la vraisemblance du récit, nécessitant davantage des
qualités d’organisation et d’observation que de réflexion.
Aujourd’hui, on assiste à une diversification des situations d’écriture car on prend
de plus en plus en compte les demandes sociales extérieures à l’école. Ainsi, l’on
rencontre encore des productions de récits, parce qu’elles sont nécessaires, mais
aussi des productions d’écrits sociaux, de type informatif ou explicatif, permettant
à l’élève d’être placé dans des situations d’écrit qui ont du sens. On écrit au maire
pour faire une quelconque demande, on assure la diffusion d’informations sur la
fête de l’école… Mais là encore, il ne s’agit pas de s’enfermer uniquement dans le
rôle social de l’écrit au détriment d’autres horizons. La variété des textes à lire est
un fait avéré. Pourquoi n’en serait-il pas de même pour les textes à écrire ?
Comme le souligne C. Garcia-Debanc dans l’extrait pré-cité, « aider l’élève à
maîtriser la production d’écrits, c’est l’aider à identifier la spécificité des diverses
situations d’écriture auxquelles il peut avoir affaire ». On ne saurait donc se
contenter d’un seul type de production d’écrits.
La diversification de l’écrit peut emprunter diverses voies, au gré des rôles et
fonctions qu’on cherche à faire découvrir et « pratiquer » aux élèves. Ainsi, le
recours à la littérature de jeunesse offre une perspective nouvelle à l’écriture en
l’associant à la lecture.
On peut alors se demander pourquoi et comment les albums, a priori plutôt
exploités en lecture, peuvent-ils être utilisés comme supports à des sujets
d’écriture ?
On tentera dans un premier temps de présenter et d’expliciter cette association
originale entre écriture et littérature de jeunesse, avant de voir et d’analyser dans
un second temps des situations d’écriture à partir d’albums.
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I.
LITTERATURE DE JEUNESSE ET
PRODUCTION D’ECRITS.
1. Définition de la littérature de jeunesse et des
albums.
La littérature de jeunesse
La littérature de jeunesse a longtemps été mal considérée, reléguée à un rôle
mineur de divertissement. Pourtant, comme son nom l’indique, il s’agit d’une vraie
littérature dont la valeur n’est plus aujourd’hui à prouver. De grands auteurs
comme M.Yourcenar ou P.Dumas ont écrit pour les enfants des ouvrages d’une
grande qualité. Car c’est évidemment aux enfants que s’adresse ce type de
littérature, pour leur permettre de découvrir des textes présentant un enjeu littéraire
à leur portée, c’est-à-dire un texte avec sa magie et ses difficultés, et non pas un
extrait « lisse » et dénué de tout intérêt comme on en trouve beaucoup dans les
manuels de lecture.
Pour J. Giasson, un livre de littérature « ajoute à la qualité de la vie, éveille des
sentiments, stimule la pensée et favorise une prise de conscience ». C’est bien pour
cette sensibilisation à l’écrit que la littérature de jeunesse présente un intérêt
majeur.
On trouve des livres de littérature de jeunesse adaptés à tous les âges, variant les
thèmes et les genres. On peut tout aussi bien rencontrer des romans policiers que
des recueils de poèmes. L’avantage de cette littérature est de proposer aux enfants
des situations de lecture authentiques.
De plus, qu’elle reprenne les « classiques » de l’enfance ou qu’elle présente des
œuvres contemporaines, la littérature de jeunesse exploitée en classe offre à chacun
une culture littéraire commune.
Les œuvres de littérature de jeunesse peuvent être éditées sous diverses formes,
notamment en livre de poche classique pour les romans destinés aux plus grands,
mais la présentation la plus fréquemment rencontrée reste celle de l’album, avec la
qualité de ses illustrations et son aspect ludique, garant de succès auprès des plus
jeunes lecteurs.
Les albums
Les albums sont des livres authentiques où le texte littéraire côtoie des images
de qualité, assurant la « stimulation » de l’imaginaire des jeunes lecteurs.
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Les illustrations ne se limitent d’ailleurs pas à une fonction de « décoration », mais
jouent au contraire un rôle important dans la découverte du texte et son
exploitation. Le travail sur la relation entre le texte et l’image est d’ailleurs fort
intéressant à mener, notamment avec des œuvres telles que L’Afrique de Zigomar,
de Corentin, où les illustrations sont en perpétuelle opposition avec le récit.
Les albums peuvent également s’adresser à un public de non lecteur grâce au
système des albums animés et des albums-objets.
Les premiers sont dotés de caches, de tirettes, ou d’images en trois dimensions
rendant la « lecture » interactive, et l’implication du non-lecteur effective.
Les seconds incorporent d’autres éléments que le texte et les illustrations, comme
des fragments de tissus ou diverses textures de papier, offrant ainsi une lecture
sensorielle du texte.
L’accès au texte des albums pour les jeunes élèves de maternelle est de toute façon
rendu possible par la lecture du maître associée à la présentation des illustrations.
Le moment de lecture est alors l’occasion d’échanges et de dialogues entre les
enfants et le maître. Les albums relatant des contes se prêtent particulièrement bien
à cet exercice.
On retrouve en effet dans les albums différents types de conte donnant lieu à
diverses exploitations :
- le conte philosophique ou de sagesse a pour objectif de faire passer un
message. (Ex : Les contes de Nasr Eddin.)
- le conte étiologique ou d’explication donne une version de l’origine de
certains phénomènes du monde comme « pourquoi les zèbres ont des rayures ? »,
« pourquoi la mer est salée ? »… (Ex : Comment le chameau eut sa bosse ?, Kipling)
- le conte d’animaux met en scène des animaux comme les fables
d’Afrique par exemple. (Ex : Contes d’Afrique, Gougaud)
- le conte de randonnée présente une suite d’événements avec
éventuellement un retour en arrière à la fin qui permet de « répéter » sans « redire ».
(Ex : Roule-Galette, N. Caputo et P. Belvès)
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2. La place de la littérature et de la production d’écrits
dans les Programmes.
La littérature
La littérature de jeunesse a depuis quelques temps déjà fait son entrée à l’école,
mais elle est également maintenant largement présente dans Les Nouveaux
Programmes de l’Education Nationale.
On la retrouve dés la maternelle sous la forme de « rendez-vous » quotidiens
avec les albums dans le but d’amorcer une imprégnation de la langue écrite. Le
moment de lecture sera aussi l’occasion « d’engager le dialogue, de redire
l’histoire », comme nous l’avons déjà évoqué plus haut. La littérature de jeunesse
est également une médiatrice vers la culture que chaque enfant se construit à
l’école. Les programmes préconisent l’organisation de « parcours de lecture »
conduisant à « rapprocher des personnages ou des types de personnage, à explorer
des thèmes, à retrouver des illustrateurs ou des auteurs ».
Pour les plus petits, la littérature de jeunesse est surtout présentée par la lecture
magistrale avec reformulation par l’élève, en ses propres termes, de ce qu’il a
entendu, dés que cela est possible (environ vers trois ans). En plus du langage,
cette activité développe des compétences de mémorisation, soutenue par les
illustrations. C’est par l’instauration de ce dialogue que l’enseignant pourra
s’assurer que le récit n’a pas été perçu de manière erronée.
Il est également précisé que « dés cinq ans, des débats sur l’interprétation des
textes peuvent accompagner ce travail rigoureux de compréhension », notamment
grâce au soutient des images qui peuvent être le point d’appui à l’élaboration
d’hypothèses sur le contenu.
D’une manière plus générale, la fréquentation quotidienne des albums et de la
littérature dés la maternelle vise à familiariser l’enfant avec l’écrit et ses
principales fonctions (communication, mémorisation, recueil de l’oral…),
préalable nécessaire à l’entrée dans l’apprentissage de la lecture et de l’écriture.
Pour le cycle 2, il est stipulé que « comme à l’école maternelle, les textes
littéraires doivent être au cœur des activités de l’école élémentaire ». On retrouve
les albums pour les activités de lecture au niveau de la compréhension des textes
narratifs, cependant, « les élèves ne maîtrisant pas encore suffisamment l’écrit pour
pouvoir se poser de véritables problèmes de compréhension, […] c’est donc
prioritairement sur des textes dits à haute voix par l’enseignant que [les stratégies
de compréhension] doivent s’exercer ».
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Dans l’optique d’une poursuite de ce qui a été commencé à l’école maternelle, la
lecture d’albums est toujours l’occasion d’engager un dialogue avec les élèves
« pour construire des représentations claires de ce qui ne l’est pas encore ».
L’exploitation du texte va cependant plus loin dans le sens où la compréhension
des éléments donnés littéralement n’est plus suffisante. On cherchera à faire
retrouver aux élèves les informations implicites qui sont à leur portée.
La littérature de jeunesse est propice au développement d’une attitude
interprétative chez les élèves. C’est en se confrontant aux textes et grâce aux
débats qui suivront l’écoute ou la lecture que les jeunes lecteurs acquerront
progressivement la capacité à s’interroger sur un texte, chacun à des degrés
différents suivant leur niveau de lecture. Les Instructions Officielles soulignent que
« l’essentiel est que l’enfant découvre qu’une œuvre peut-être prise dans de
multiples horizons d’interprétation, reliée à des références culturelles variées ».
Au cycle 3, on retrouve la littérature de jeunesse dans un objectif de
renforcement de la lecture et de la culture commune. C’est « l’aspect de la lecture
littéraire qui [est] privilégié » avec des lectures qui « se constituent […] en
réseaux ordonnés autour d’un personnage, d’un motif, d’un genre, d’un auteur… ».
On cherchera à orienter les élèves du cycle 3 vers une lecture autonome d'ouvrages
de littérature de jeunesse, lecture motivée par le plaisir toujours renouvelé de
découvrir des œuvres nouvelles. Ce plaisir de la lecture continuera de passer par
les lectures à haute voix du maître, ne serait-ce que pour ne pas priver les élèves un
peu plus en difficulté en lecture de la richesse apportée par le rapport au livre et au
texte. L’objectif visé est bien de « donner envie » à l’élève de prendre un livre, et
non pas de l’y obliger.
Le rôle important de la littérature de jeunesse à l’école élémentaire transparaît dans
l’énoncé des compétences devant être acquises en fin de cycle 3. En plus d’être
capables de lire et comprendre un texte littéraire long, on attend des élèves qu’ils
soient en mesure de « participer à un débat sur l’interprétation d’un texte littéraire
en étant susceptible de vérifier dans ce texte ce qui interdit ou permet
l’interprétation défendue ». Au-delà de compétences « techniques » de lecture,
c’est bien une prise de conscience dans leur rapport au texte qu’on cherche à
déclencher chez les élèves. Ainsi, les Instructions concluent par l’objectif suivant :
« avoir compris que le sens d’une œuvre littéraire n’est pas immédiatement
accessible, mais que le travail d’interprétation nécessaire ne peut s’affranchir des
contraintes du texte. ». La compréhension d’un texte peut notamment être
renforcée par le recours à des activités d’écriture.
La production d’écrits
La production d’écrits est présente dés la maternelle avec le recours à la dictée à
l’adulte. Cette activité permet à l’enfant de prendre progressivement conscience de
l’acte d’écriture. Il réalise que ce qu’il dit est transcrit et qu’il a la possibilité de
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revenir dessus pour le modifier s’il le souhaite. Voir prendre forme sous ses yeux,
par le geste de l’adulte, son propre énoncé, lui fait découvrir que sa parole peutêtre fixée par l’écrit, et de ce fait, peut-être communiquée à d’autres.
Très tôt, les enfants peuvent manifester le désir d’écrire malgré l’absence des
compétences nécessaires. En ce sens, la dictée à l’adulte est un bon compromis,
cependant la production d’écrits peut également prendre la forme d’écritures
autonomes, aussi imparfaites soient-elles. Ces productions pourront servir de point
d’appui à l’enseignant pour faire prendre conscience aux élèves de la nécessité de
les améliorer.
Au cycle 2, les activités d’écriture sont articulées avec celles de lecture, et par
conséquent avec les textes de littérature de jeunesse. Les exercices consistent
souvent à prolonger le début d’un texte, à transformer un épisode…Là encore,
l’écriture restant une activité difficile pour les élèves de ce cycle, la production
pourra se faire par la dictée à l’adulte, notamment en collectif, et ce, tant que les
compétences graphiques de base ne sont pas automatisées. Par la suite, la
production d’écrits portera sur des textes d’environ cinq lignes dont les « éléments
constitutifs ont été évoqués et organisés au préalable ».
Au cycle des approfondissements, la production d’écrits est en continuité avec
les apprentissages mis en place au cycle 2. Encore une fois, la littérature est
associée aux exercices d’écriture, « la plupart des genres littéraires rencontrés en
lecture peuvent être le point de départ d’un projet d’écriture ». On retrouvera alors
des exercices du type « prolonger, compléter ou transformer un texte narratif »,
mais aussi de l’écriture poétique sous forme de jeux combinant l’invention et les
contraintes d’écriture.
L’écrit ne se finalise évidemment pas uniquement dans son lien avec la littérature,
et l’apprentissage de l’écrit se déroule à la fois sur tous les cycles, mais également
dans toutes les disciplines. L’objectif ultime étant de construire et d’organiser des
phrases dans un réseau logique en mobilisant les compétences nécessaires, qu’elles
soient langagières, syntaxiques ou culturelles.
Tout au long de cette présentation de la place de la littérature et de la production
d’écrits dans les Instructions Officielles de 2002, nous avons pu nous rendre
compte des liens réciproques qui unissent ces deux disciplines. L’apprentissage de
l’écriture et de la lecture évoluent en parallèle et interagissent l’une sur l’autre.
Dans le paragraphe suivant, toujours dans une optique de « définition », nous nous
intéresserons plus particulièrement à l’action de l’écriture sur la lecture sans
toutefois perdre de vue l’existence d’un rapport réciproque entre les deux.
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3. L’action de l’écriture sur la lecture.
Avant de se pencher sur l’influence que l’écriture peut exercer sur la lecture, il
convient d’abord de présenter les phénomènes de compréhension impliqués dans
l’acte de lire pour mieux saisir sur quels points l’écriture intervient.
La compréhension en lecture.
Pour J. Giasson, « la lecture est un processus de construction du sens »,
c’est-à-dire que le lecteur fait des hypothèses sur le texte et les vérifie. D’ailleurs,
F. Marcoin, dans l’article « Approcher, nommer le littéraire », extrait de Repères
n°13, explique que les lecteurs en difficulté ne sont pas ceux qui ne produisent pas
d’hypothèses sur le texte (consciemment ou non, chacun anticipe sa lecture), mais
ceux qui ne les vérifient ou ne les corrigent pas.
La compréhension en lecture a été l’objet de « débats » entre les adhérents de
théories opposées : le « modèle ascendant » et le « modèle descendant ».
Le premier conçoit la compréhension d’un énoncé comme le résultat de
l’appréhension des différentes unités qui le composent. L’identification des mots
passe par le décodage des unités (= mise en relation du système graphique et du
système phonique) avant de prendre du sens. C’est ce que l’on peut par exemple
observer chez les jeunes lecteurs qui associent les lettres pour former des syllabes
sonores (ex : c-h-a = [ a]; t-o-n = [ton]), puis qui assemblent les syllabes pour
former un mot ( : chaton) auquel ils ne donneront du sens qu’une fois reconstitué
oralement, et ainsi reconnu dans leur capital de mots. Si c’est un mot inconnu, il
sera déchiffré mais ne correspondra à aucune signification.
Le second modèle considère la compréhension comme un accès direct à la
signification par saisie immédiate des formes globales (c’est-à-dire sans
déchiffrage). Le lecteur prélève des indices linguistiques ou extra-linguistiques qui
viennent s’ajouter à un travail d’inférence (= informations que le lecteur doit
induire à partir des données du texte. Ex : si le texte parle de la Seine et de la Tour
Eiffel, l’élève pourra induire que l’action se passe à Paris.) et d’anticipation (=
attentes que le lecteur installe vis-à-vis du texte).
Il semble établi aujourd’hui que la compréhension d’un texte ne peut s’effectuer
que par une interaction constante entre ces deux modèles. Le décodage doit être
automatisé pour permettre de libérer les ressources cognitives pour des tâches
d’accès au sens. C’est ce modèle dit « interactif » que J. Giasson a précisé en cinq
catégories de processus qui consistent d’abord à comprendre les informations
contenues dans une phrase ( : microprocessus), puis assurer le lien entre les phrases
( : processus d’intégration), ensuite accéder à la compréhension globale du texte ( :
macroprocessus), et enfin établir des inférences et des anticipations par rapport au
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texte ( : processus d’élaboration) avant de revenir sur sa propre activité de lecture
( : processus métacognitifs).
L’importance des inférences et des anticipations apparaît également dans la
définition que P. Sève fait de la lecture : « On lit l’écart entre ce qu’on avait en tête
et ce qu’on a sous les yeux […]. Le travail de lecture [consiste] alors […] à
réorganiser les structures et les savoirs dont le [lecteur] dispose déjà et qui
l’avaient amené à anticiper ce à quoi il s’attendait. »
Pour construire le sens d’un texte, le lecteur doit établir des relations entre ce qu’il
connaît déjà et ce qu’il découvre. La compréhension ne pourra s’opérer si le lecteur
ne peut rattacher aucune des informations du texte à des connaissances déjà
acquises. Ainsi, pour Neal et Everson, « lire, c’est une interaction entre le lecteur,
ses expériences et le texte qu’il lit ».
Cette définition de la compréhension en lecture succinctement établie ne rend
compte que d’une compréhension littérale du texte, c’est-à-dire d’une
compréhension que l’on pourrait qualifier être du « premier degré ». Seulement un
lecteur expert doit être capable d’accéder aussi à une lecture « fine » du texte, une
lecture que l’on qualifiera cette fois de « littéraire ». On entre ainsi dans le
domaine de l’interprétation.
Cette lecture littéraire consiste à relever des « indices » et à les mettre en relation
pour construire petit à petit une représentation possible du sens du texte. Il ne s’agit
pas de retrouver à tout prix la conception de l’auteur, mais de tisser sa propre
interprétation en s’appuyant sur les éléments du texte. Ce type de lecture implique
que les élèves doivent intégrer l’idée qu’il n’existe pas une seule interprétation du
texte, mais que chaque lecteur, selon sa personnalité, pourra le percevoir de
manière différente.
On pourra alors différencier la compréhension, produit d’une automatisation
advenant à l’insu du sujet, et l’interprétation, processus conscient de recherche du
sens qui ne se déclenche que si le texte oppose une résistance. D’ailleurs, pour F
.Marcoin, « apprendre à lire, c’est éprouver la résistance du texte ».
Au cours de son apprentissage, l’enfant devra donc apprendre à comprendre, mais
aussi apprendre à interpréter. Le rôle du maître est alors de donner aux élèves les
moyens de s’interroger sur le texte, de le questionner. C’est là qu’intervient la
littérature de jeunesse en proposant des textes riches, denses, pouvant être soumis à
un travail de réflexion, passant notamment par l’écriture.
Ecrire pour comprendre : les écrits de travail.
Par des travaux d’écriture, on pourra amener les élèves à s’interroger sur
le sens d’une œuvre en cours de lecture. Le passage par l’écrit permet notamment
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de « s’arrêter » sur le texte, de le mettre à distance et de prendre le temps de
réfléchir à tel ou tel élément.
Ce retour sur l’oeuvre est rendu possible grâce à des dispositifs de questionnement
du texte qui participent à la construction du sens en lecture.
C. Tauveron déplore dans « Comprendre et interpréter le littéraire à l’école »,
extrait de Repères n°19, que « les manuels des maîtres ne connaissent guère
comme mode d’interrogation du texte littéraire que le questionnement [qui consiste
à vérifier] que les informants principaux et le vocabulaire […] ont été compris […]
et qu’ont été effectuées les inférences les plus élémentaires », ce questionnement
« de base » ne permettant pas d’activer le processus d’interprétation.
Dans l’ouvrage Lire la littérature à l’école, dirigé par C. Tauveron, différents
dispositifs de questionnement du texte sont présentés, comme par exemple les
échanges oraux ou l’utilisation du dessin, mais c’est surtout l’écrit de travail qui est
précisé. Ces écrits sont considérés comme « transitoires et éphémères, au service
de l’élaboration de la pensée et de l’échange des opinions ». Ils ont ensuite été
classés en une typologie d’après leur fonction.
Dans le cadre du sujet qui nous occupe, nous n’en retiendrons et n’en présenterons
ici que quatre qui seront repris en analyse dans la seconde partie.
Ø Des écrits pour rendre les élèves témoins de l’évolution de leur
propre lecture.
Ils consistent à consigner, à partir de la couverture et du titre d’un livre, les attentes
de lecture déclenchées par cette observation, c’est-à-dire quelle sorte d’histoire
l’élève s’attend à rencontrer, ainsi que les éléments qui permettent de motiver ces
attentes.
Cette approche là du texte permet aux élèves de formuler explicitement les
hypothèses et les attentes qu’ils n’ont pas toujours conscience de développer avant
chaque lecture. Elle les amène à s’interroger sur le contenu du texte avant même
d’être confronté à lui, ainsi, ils se préparent à entrer dans l’œuvre avec un regard
plus « attentif ».
Elle permet aussi de servir « d’écrit-témoin », de photographie de l’état d’esprit de
l’élève par rapport au texte qu’il débute. Les élèves pourront s’y référer de
nouveau en cours de lecture pour confronter l’évolution de leurs représentations
avec leurs attentes initiales.
Ø Des écrits pour provoquer des interprétations divergentes sur
des passages problématiques.
Pour ce type d’écrit, l’enseignant sélectionne de courts passages, particulièrement
ouverts et posant des problèmes de compréhension. Il amène ainsi les élèves à se
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pencher sur un obstacle précis qu’ils n’auraient peut-être pas cherché à éclaircir au
cours d’une lecture personnelle.
Les diverses interprétations ainsi recueillies peuvent ensuite faire l’objet
d’échanges et de débats entre les élèves, la vision de chacun, si elle est étayée par
le texte, venant enrichir la lecture de tous.
C’est en s’arrêtant de la sorte sur des passages du texte que les élèves pourront
apprendre à s’interroger et à prendre du recul par rapport à leur lecture.
Ø Des écrits pour faire s’exprimer le souvenir d’une lecture.
C’est cette fois la capacité des élèves à reconstituer globalement l’histoire qui est
visée, qu’il s’agisse de souvenirs immédiats ou un peu plus lointains. Cette
reconstitution peut prendre forme à partir d’un personnage ou d’un événement. Ce
genre d’exercice oblige les élèves à synthétiser leurs connaissances sur l’histoire et
à les organiser. Cela peut-être un bon moyen pour l’enseignant de repérer les
incompréhensions et les contresens liés au texte.
Ø Des écrits pour faire s’exprimer les impressions ultimes.
Le recueil des impressions ultimes permet à l’élève de faire le bilan sur son
parcours de lecture, et permet au maître de voir quelles représentations erronées au
départ ont finalement évolué, ou, au contraire, sont restées ancrées malgré le travail
de réflexion effectué.
L’élève peut réellement prendre conscience de son évolution en confrontant ses
représentations initiales avec ses conclusions, et il peut aussi avoir un retour sur le
texte en analysant a posteriori les éléments qui l’avaient conduit à penser telle ou
telle chose.
On voit ainsi, avec la présentation de ces écrits de travail dont la liste n’est pas
exhaustive, que la production d’écrits peut-être complètement intégrée à
l’élaboration de la construction du sens chez l’élève. L’acte d’écrire vient éclaircir
la lecture en mettant en lumière les obstacles à la compréhension, et surtout en
donnant une occasion de les dépasser.
L’écriture participe au développement d’une lecture littéraire des œuvres. Elle
offre la possibilité d’aller plus loin dans le texte et de réfléchir au-delà d’un simple
récit des faits.
Cette association entre écriture et lecture semble enrichir les deux activités,
apportant à chacune l’occasion de se développer et de s’améliorer. Mais l’action de
l’écriture ne porte pas forcément sur les phénomènes de compréhension en lecture.
Ce peut d’ailleurs être la lecture qui contribue à donner du sens à l’écrit en
devenant le point de départ de projet d’écriture.
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Nous présenterons donc dans la partie suivante diverses situations d’écriture à
partir d’albums, situations tantôt mises au profit de l’écriture, tantôt de la lecture.
II.
DES SITUATIONS D’ECRITURE A PARTIR
D’ALBUMS.
Nous avons donc démontré dans la partie précédente que les albums ne sont pas
exclusivement des supports de lecture puisque la production d’écrits peut lui être
associée dans des objectifs variés, de même que la lecture peut être mise au service
de l’écriture.
Ainsi, on peut notamment travailler sur le sens de l’écrit à partir de la lecture d’un
album.
1. travailler sur le sens de l’écrit
Lors de mon stage en responsabilité dans une classe de grande et moyenne
sections, j’ai travaillé avec les grands sur l’album Chapeau ! pendant plusieurs
séances (cet album décline les personnages de carnaval imaginés par un petit
garçon à partir de leur chapeau), en commençant d’abord par une approche plus
orientée vers la lecture. Je ne décrirai donc pas ces moments consacrés à la
découverte et à la manipulation de mots nouveaux liés au carnaval (thème de la
période), ainsi que le travail sur la notion de phrase.
La séquence consacrée à un projet d’écriture en lien avec cet album avait pour
finalité la rédaction d’une fiche technique destinée à la classe des petits sur la
construction d’un chapeau de carnaval que les grands avaient déjà réalisé en
travaux manuels. De la sorte, ils pouvaient bien se représenter les actions qu’ils
allaient devoir expliquer aux petits.
L’objectif de cette séquence était donc de découvrir une nouvelle fonction de
l’écrit (relevant du domaine fonctionnel d’un « message » transmis) en partant
d’un album dont la fonction est plutôt « ludique ».
a) Présentation de la séquence :
Séance 1
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- Objectifs :
- verbaliser la description des chapeaux.
- Identifier des mots connus grâce à des indices graphiques.
- Déroulement :
Ø Phase 1 : relecture de l’album.
Ø Phase 2 : observation des illustrations avec verbalisation de la description des
chapeaux. L’attention est portée sur les détails en vue de la réalisation de la fiche.
Ø Phase 3 : rédaction d’une phrase avec des mots connus extraits de l’album : « Si
j’avais un chapeau comme ça, je serais magicien. »
§ Séance 2
- Objectifs :
- découvrir la fonction d’une fiche technique en comparaison à un album.
- Découvrir et lister, par dictée à l’adulte, les composantes d’une fiche technique.
- Déroulement
Ø Phase 1 : présentation d’une fiche technique sur la construction d’un oiseau
en papier crépon réalisé en atelier de travaux manuels (annexe 1). A noter que
l’album est placé à la vue des élèves même s’il n’a pas encore fait l’objet d’une
relecture.
Les enfants décrivent la fiche et la commentent avant d’avoir pris connaissance
du contenu. Ils reconnaissent sur les illustrations l’oiseau qu’ils ont fait en travaux
manuels.
Ø Phase 2 : lecture magistrale de la fiche (en suivant avec le doigt pour situer
spatialement ce qui est lu), suivie d’un questionnement sur le contenu : « qu’est-ce
qui est raconté dans cette fiche ? »
L’objectif est de faire formuler aux élèves que cette fiche ne raconte pas une
histoire comme notre album mais qu’elle sert à expliquer comment fabriquer un
oiseau.
Ø Phase 3 : Relecture de l’album à la demande des élèves, puis on établit une
comparaison à l’oral entre l’album et la fiche : « est-ce qu’il y a les mêmes choses
dans le livre et dans la fiche ? »
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Ø Phase 4 : Etablir par dictée à l’adulte « l’inventaire » des éléments propres à la
fiche technique.
Les élèves ont relevé « ce dont on a besoin pour construire l’oiseau », regroupé
sous les appellations « outils » et « matériel » ( : ces termes sont explicitement
présents dans la fiche), ainsi que les étapes de construction numérotées dans l’ordre
et accompagnées de dessins explicatifs.
§ Séance 3
- Objectifs :
- pouvoir restituer la fonction d’une fiche technique.
- Organiser des informations et les transmettre par dictée à l’adulte.
- Déroulement :
Ø Phase 1 : rappel de la séance précédente : « Qu’est-ce qu’on avait lu la dernière
fois ? A quoi ça servait ? ».
Rappel des éléments notés la séance précédente, à savoir les composantes d’une
fiche technique.
Je réécris ces éléments au tableau au fur et à mesure que les élèves s’en
souviennent.
Ø Phase 2 : présentation du projet d’écriture : « Si on voulait faire une fiche pour
expliquer aux petits comment construire l’un de nos chapeaux de carnaval, que
devrait-on écrire ? »
Phase orale : les élèves énoncent de manière informelle ce qu’ils veulent mettre
sur la fiche. Les échanges se passent principalement entre eux :
- « il faut dire bonjour les petits… »
- « ben non, ça sert à rien de mettre ça… »
- « il faut leur dire que c’est un chapeau d’indien… »…
Ø Phase 3 : Mise en ordre des idées. Je leur relis la fiche de l’oiseau : « Est-ce que
dans cette fiche on retrouve les mêmes choses que celles que vous venez de
dire ? ».
Les enfants prennent peu à peu conscience qu’on n’écrit pas une lettre aux
petits mais qu’on veut juste leur expliquer comment construire le chapeau.
On reprend les éléments de la fiche et les élèves commencent à lister ce dont on
aurait besoin pour fabriquer le chapeau. Ils s’appuient beaucoup sur leurs souvenirs
des séances de travaux manuels : « On avait de la peinture et des feuilles… »…
Je liste au tableau sous leur dictée ce dont on a besoin.
13
Ø Phase 4 : Recherche des étapes de construction. On reprend le « fil » des séances
de travaux manuels : « Par quoi on a commencé ? Est-ce qu’on n’avait pas fait
autre chose avant ? Et après, qu’est-ce qui s’est passé ?... ».
Je continue d’écrire au tableau sous leur dictée. (cf. annexe 2 = fiche bilan de
toute la dictée des enfants.)
À la fin de cette séance, les enfants pensent que la fiche est terminée puisqu’ils
ont « tout dit ».
§ Séance 4
- Objectifs :
- réaliser un retour réflexif sur le premier jet de la production, prendre
conscience des inadéquations.
- Adapter son débit et la forme de ses phrases pour améliorer sa production.
- Déroulement :
Ø Phase 1 : Lecture de la première production de la fiche du chapeau.
Dans un premier temps, les élèves sont satisfaits du résultat, ils pensent que les
petits pourront réaliser le chapeau avec leurs indications.
Ø Phase 2 : Relecture de la fiche de l’oiseau, suivie immédiatement de la relecture
de leur production sur le chapeau.
Comparaison entre les deux guidée par un questionnement : « Est-ce que les deux
fiches sont écrites de la même manière ? Est-ce que les phrases se ressemblent ? »
Ce questionnement les amène à prendre du recul, ils réalisent que j’ai copié
exactement ce qu’ils m’avaient dicté et que, par conséquent, « on ne comprend pas
très bien ce qu’il faut faire ».
Ø Phase 3 : Rédaction du deuxième jet. Les enfants se sont mis d’accord pour
« qu’on écrive comme sur l’autre fiche ».
Ils commencent par lister le matériel et les outils après avoir nommé l’une et
l’autre des rubriques. Ils essaient ensuite de remettre les étapes dans l’ordre et de
les expliquer le plus clairement possible. J’interviens cette fois pour les aider à
mettre l’action en mots quand ils éprouvent trop de difficultés à la formuler (par
exemple pour expliquer qu’il y a trois petites bandes verticales tracées au dessus
d’une grande bande horizontale. Cette précision ne sera d’ailleurs pas intégrée dans
la production finale puisque c’est l’enseignante qui trace les bandes, les petits n’en
étant pas capables. Cependant, à ce stade de la production, les élèves avaient
souhaité l’indiquer.).
14
Ø Phase 4 : Relecture de la production. On décide de supprimer l’explication sur
les bandes et de rajouter que c’est la maîtresse qui trace pour la première étape
(annexe 3).
En comparant les deux fiches, les élèves remarquent qu’il manque les dessins
pour expliquer ce qu’on doit faire. La fiche sera donc complétée lors de la dernière
séance.
§ Séance 5 :
Cette séance a consisté uniquement à réaliser les dessins explicatifs sur la fiche
grand format destinée à être présentée aux petits, aucune modification
supplémentaire du texte n’a été apportée.
Chaque item de la fiche ayant été codé par un dessin, les élèves ont pu relire à
plusieurs reprises leur production.
La présentation de la fiche aux petits a eu lieu le lendemain matin lors de la séance
de langage. Les grands et les moyens ont rejoint la classe des petits, et les grands
ont expliqué chacun leur tour un élément de la fiche (correspondant à l’item qu’ils
avaient codé) à leurs camarades ; ils ont pu leur montrer également plusieurs
chapeaux terminés.
b) Analyse de la séquence :
Les élèves de maternelle sont très vite mis en contact avec l’écrit à travers les
albums quotidiennement fréquentés. L’idée que l’écrit sert à s’amuser, à se
divertir, à raconter de « jolies histoires » leur est rapidement familière. La notion
du plaisir de lire était en tout cas largement intégrée dans cette classe, et les élèves
me sollicitaient souvent pour relire des phrases écrites au tableau, ou pour relire
l’album que nous étions en train « d’étudier ».
Ainsi, lors de la séance 2, la comparaison entre la fiche technique et l’album a été
riche parce que les enfants ont très rapidement perçu que ces deux écrits n’avaient
pas la même fonction. Avant même de lire le contenu de la fiche, les élèves ont
souligné la différence avec l’album, de par sa forme, mais également parce qu’ils
ont reconnu l’oiseau réalisé en travail manuel, et de ce fait, ils ont intuitivement
pris conscience que ce n’était pas comme lorsqu’on lit une histoire.
L’aspect fonctionnel de la fiche a ensuite rapidement émergé après la lecture. A la
question « est-ce que cette fiche raconte le même genre de choses que l’album ? »,
j’obtenais la réponse : « non, la fiche ça sert à savoir faire l’oiseau. ». Ainsi,
l’objectif du sujet d’écriture a assez facilement pris du sens pour eux, bien qu’en
cours de rédaction ils aient perdu de vue la particularité de l’écrit qu’ils étaient en
train de produire. Ils avaient bien conscience qu’on ne cherchait pas « à raconter
une histoire », mais le fait que cet écrit soit destiné aux petits a rapidement pris le
pas sur l’aspect « utilitaire » de la fiche. Ils se sont davantage attachés au sens
15
« communicationnel » de l’écrit (on s’adresse aux petits, c’est pour eux qu’on
écrit) qu’à son sens fonctionnel.
A noter qu’il aurait été intéressant de travailler plus en détail sur cette dimension
de la communication de l’écrit. Je n’ai en effet pas souligné la différence entre la
fiche technique de l’oiseau, extraite d’un livre de travail manuel, et de ce fait
s’adressant à une catégorie de personnes mais à personne en particulier, et notre
fiche, spécifiquement rédigée pour la classe des petits. En l’occurrence, je pense
que lors de cette première production, les élèves ont sans doute assimilé notre
exercice à la rédaction d’une lettre, ce qui explique qu’on ait rencontré des
formules comme « bonjour les petits… ».
Le fait de relire ce qui avait été écrit en comparaison à la fiche de l’oiseau leur a
permis de pointer en partie ce qui n’allait pas, et ils ont ainsi reporté leur attention
sur la recherche des éléments « techniques » nécessaires sans toutefois modifier la
forme de leur dictée.
Cet exercice de dictée à l’adulte a beaucoup évolué au cours de cette
séquence. Au début de la production, je leur ai expliqué que c’est moi qui écrirai
au tableau, mais que je ne noterai que ce qu’ils diraient. J’ai dû à plusieurs reprises
leur demander d’attendre, parce que je n’avais pas le temps de tout écrire, et je
pense qu’ils n’avaient pas vraiment conscience que c’était leurs paroles que je
transcrivais. Par la suite, quand j’ai relu le premier jet, certains élèves étaient tout
étonnés de reconnaître ce qu’ils avaient dit un peu plus tôt, s’exclamant : « Maîtresse ! C’est moi qui ai dit ça ! ». Ils ont ensuite mieux adapté leur débit en
faisant bien la distinction entre leur phrase d’introduction et ce qu’ils voulaient qui
soit réellement pris en note : - « Maîtresse, tu écris ça : il faut de la peinture. »…
L’affinement de la production s’est fait progressivement. Ils sont devenus de plus
en plus précis dans leur formulation, et ce à partir du moment où ils ont pleinement
pris conscience du rôle de cet écrit.
Lors de la séance 4, nous avons relu le premier jet, et dans l’échange qui a suivi
pour savoir ce qu’on devait modifier et comment on devait le modifier, c’est
lorsque je leur ai demandé de se mettre à la place des petits qui allaient recevoir ce
« message » qu’ils ont réalisé que leur formulation ne convenait pas (« si vous
étiez les petits, pourriez vous fabriquer l’oiseau en suivant ce qu’on a écrit sur cette
fiche ? »), et qu’ils ont alors pris la décision d’écrire « comme sur l’autre fiche ».
Je pense que tous n’ont pas réussi à prendre le recul nécessaire pour se mettre à la
place de celui qui lit le message. C’est un exercice difficile qui demande une
capacité d’abstraction que tous ne possèdent pas encore, mais le fait que cette
opération se soit déroulée collectivement a permis finalement de concrétiser
l’objectif et d’exploiter concrètement cet aspect fonctionnel de l’écrit. La rédaction
du deuxième jet a été le moment où les élèves se sont le plus approprié le « sens »
de la fiche. Le fait de revenir, de réfléchir ensemble sur le premier jet leur a permis
de vraiment prendre conscience de l’utilité de l’écrit qu’ils étaient en train de
réaliser. Cela est apparu dans leur nouvelle manière d’essayer de formuler
l’explication des étapes de construction. Ils se sont voulus plus directs et plus
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concis dans l’énoncé des actions : - « On a cas juste mettre « colle les plumes et les
figures » ».
Il était également intéressant de faire prendre conscience aux élèves de la
permanence de l’écrit (ils étaient toujours étonnés que je puisse redire avec
exactitude ce qu’on avait écrit la séance précédente), et surtout de la possibilité d’y
revenir et d’apporter des modifications. Je ne sais pas s’ils ont vraiment pris
conscience que notre production finale était un « remodelage » des précédentes, ou
s’ils les ont considérées chacune comme une production indépendante des autres,
mais ils sont en tout cas bien repartis des énoncés déjà écrits pour en formuler de
nouveaux.
Il était intéressant lors de cette séquence finalisée par la production de la
fiche, de partir d’un album que les élèves avaient déjà exploité, parce qu’ils ont pu
voir parallèlement deux rôles différents de l’écrit. L’aspect ludique et plaisant de
l’album, qui est d’ailleurs resté présent tout au long de la séquence puisque nous
relisions fréquemment l’histoire, et l’aspect fonctionnel de l’écrit qu’ils se sont
approprié grâce à la production de la fiche, sans oublier la dimension
« communicationnelle », même si elle est restée dans le domaine de l’intuitif
puisque nous n’avons jamais vraiment verbalisé cette fonction de notre production.
L’association de l’album et de la production d’écrits a donc permis dans cette
séquence de travailler sur le sens de l’écrit. La littérature s’est en quelque sorte
mise au service de l’écrit. Dans de nouvelles situations d’écriture, nous allons voir
que l’on peut aussi écrire à partir d’albums pour mieux les comprendre.
2. travail sur la compréhension grâce à l’écrit.
Comme nous l’avons évoqué précédemment, la forme littéraire des albums peut
devenir une source riche pour « apprendre » à maîtriser l’écrit, mais on peut
également écrire pour faire évoluer la compréhension d’un texte : on « écrit sur »
l’album pour le comprendre mieux.
Nous avons déjà vu que la compréhension d’un texte s’opère à deux niveaux : la
compréhension littérale, c’est-à-dire saisir de quoi parle le texte, et la
compréhension dite « fine » qui relève plus du domaine de l’interprétation. Il est
évident que cette dernière ne peut intervenir que si le contenu du texte est
globalement maîtrisé par le lecteur.
C’est en ce sens que l’écrit peut interférer dans l’élaboration de la compréhension
première du texte, notamment par le biais d’une typologie particulière : écrire pour
faire s’exprimer le souvenir d’une lecture.
17
Le rappel de récit peut en effet permettre de détecter les erreurs de compréhension,
les contresens. Cet exercice oblige l’élève à restituer ses connaissances sur le texte
et à les organiser pour obtenir une représentation structurée du récit en question.
Ainsi, lors d’un atelier pédagogique dans une classe de CE1, nous avons construit
une courte séquence sur deux albums de P. Corentin : L’Afrique de Zigomar et
Zigomar n’aime pas les légumes. Tous les objectifs visés au cours de cette
séquence ne rentrent pas dans le cadre de notre réflexion sur l’association de l’écrit
et des albums, mais une séance de rappel collectif de récit correspond à la
typologie des écrits pour faire s’exprimer le souvenir d’une lecture.
Pour plus de cohérence, je présenterai donc succinctement la totalité de la séquence
avant de revenir plus particulièrement sur la séance en question.
a) Présentation de la première séquence.
§ Séance 1
- Objectif : découvrir deux albums d’un même auteur.
- Déroulement : lecture successive des deux albums avec présentation du texte et
des images.
Les élèves interviennent spontanément sur ce qu’ils ont retenu des albums. En
ce qui concerne L’Afrique de Zigomar, dont la particularité du texte est d’être en
totale contradiction avec les illustrations, les élèves ont été très influencés par les
images et ont conclu que Zigomar était allé au Pôle Nord (ce qu’indiquent les
illustrations) et non pas en Afrique comme le suggèrent le texte et le titre.
Quant au deuxième album, Zigomar n’aime pas les légumes, les avis des élèves
sont partagés sur le fait de savoir si le personnage principal a rêvé ou non.
§ Séance 2
- Objectifs :
- Retrouver les événements d’une histoire et les organiser chronologiquement.
- Construire collectivement un rappel de récit.
- Transmettre ses idées par dictée à l’adulte : oralisation de l’écrit.
- Déroulement :
Ø Phase 1 : Présenter la couverture de l’album L’Afrique de Zigomar.
Ø Phase 2 : Par groupe de trois, reconstituer globalement la trame de l’histoire lue
lors de la séance précédente ; essayer de retrouver les personnages et les principaux
évènements.
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ØPhase 3 : Collectivement, écrire un rappel de récit pour le lire aux CP qui ne
connaissent pas l’histoire.
Le texte est écrit au tableau sous la forme d’une dictée à l’adulte.
Les élèves s’adaptent bien à l’exercice et n’hésitent pas à discuter entre eux
pour décider d’une formulation ou ajouter des éléments.
Remarques : une phase de mise en évidence de la contradiction entre le texte et
l’image était prévue, mais compte tenu du grand investissement des élèves dans la
construction du rappel de récit, cette phase a été supprimée au cours de la séance.
§ Séance 3
- Objectifs :
- Travailler sur le matériel linguistique de l’album Zigomar n’aime pas les légumes.
- Mettre en évidence une utilisation particulière de la langue et l’intention de l’auteur.
- Déroulement :
- Rappel de l’histoire par les élèves.
- Relecture de l’album.
- Effectuer un relevé des particularités du texte.
- Etablir des comparaisons entre les « phrases-légumes » et notre langage ; discuter
ur la cause de l’emploi de ce découpage particulier.
b) Analyse de la séance 2
Comme nous l’avons déjà évoqué, l’intérêt de l’album L’Afrique de
Zigomar réside notamment dans la contradiction entre le texte et les images. Avant
d’envisager l’exploitation de cette particularité, il nous a semblé intéressant de
s’assurer que le récit avait été correctement appréhendé par chacun.
Ainsi, le fait de leur proposer de construire un rappel de récit pour les CP les a
obligé à faire le point sur ce qu’ils avaient retenu de l’histoire, et par conséquent
sur ce qu’ils avaient compris. Le passage à l’écrit par dictée à l’adulte leur permet
d’organiser leurs idées en se corrigeant réciproquement. Par exemple, l’un des
élèves voulait écrire que Zigomar et Pipioli (les personnages principaux) « avaient
dit un lion à la place d’un crocodile », et son camarade de le reprendre : « non,
c’était un lion à la place d’un ours polaire ! ».
De même, le fait d’avoir conscience d’écrire pour des destinataires ignorant
l’histoire (les CP) les a amené à des formulations plus précises qui contribuent à
clarifier leur compréhension du texte. Ainsi, pour la présentation des personnages,
l’un des élèves remarque : « Aussi, moi je suis pas très d’accord, on sait pas qui
c’est le merle et la souris. ». En réponse à son objection, un autre élève corrige en
19
conséquence : « J’ai une idée ! On pourrait écrire : Pipioli c’est une souris et
Zigomar c’est un merle. »
Ce genre de mise au point sur des éléments du texte renforce la compréhension
qu’ils en ont et leur permet ainsi de maîtriser les tenants et les aboutissants du récit.
Plus les élèves sont à l’aise dans le texte, meilleure en sera l’éventuelle
exploitation plus approfondie à suivre.
Le texte final (annexe 4) montre que la production de ce rappel leur a permis de
reconstituer une vision globale du récit. Si l’on excepte les imperfections textuelles
et syntaxiques bien naturelles en CE1, l’ordre chronologique est respecté, les
personnages sont bien resitués, et le problème concernant le lieu a été identifié.
Ce type d’écrit leur a donc non seulement permis de restituer le souvenir d’une
lecture passée (les deux séances étaient espacées d’une semaine), mais également
d’en affiner la compréhension. Le passage par l’écrit nécessite une sorte de
« rigueur » qui participe à l’amélioration du rapport au texte.
Dans ce cas précis, l’écrit était plutôt utilisé pour renforcer la compréhension
première du texte, la compréhension « littérale ». On peut également écrire « sur »
le texte littéraire pour tenter d’en découvrir les subtilités et pour entrer dans une
attitude de lecteur davantage orientée vers l’interprétation.
Ainsi, lors de mon premier stage en responsabilité dans une classe de
CM1/CM2 avons nous travaillé sur l’album de C. Ponti, Georges Lebanc. Cet
album relate les événements ponctuant la journée du banc Georges dans le square
merveilleux d’Albert Duronquarré. Le récit, répondant à une logique intrinsèque à
l’univers particulier de Ponti, peut présenter des « résistances » à la lecture. C’est
par des travaux écrits que nous avons tenté de dépasser ces « obstacles » et de
rendre compte de l’évolution du parcours de lecture des élèves qui ont eu à se
confronter au texte.
c) Présentation de la deuxième séquence
L’essentiel des séances de cette séquence a consisté à tester les typologies des
écrits de travail proposées dans l’ouvrage Lire la littérature à l’école, dirigé par
C. Tauveron, qui visent à faire évoluer la compréhension de textes littéraires.
§ Séance 1
Cette séance est donc la mise en application d’une des typologies des écrits de
travail qui consiste à faire rédiger aux élèves un « écrit-témoin » dans lequel ils
consignent leurs attentes par rapport au texte avant d’entrer dans la lecture. C’est
20
par rapport à cet écrit qu’ils pourront mesurer l’écart entre leurs représentations
initiales et leurs impressions finales sur le texte.
- Objectif : faire formuler par écrit les attentes de lecture.
- Déroulement :
Ø Phase 1 : Sans avoir parlé de l’album auparavant, je présente aux élèves la
page de couverture et le titre. Chacun l’observe aussi longtemps que nécessaire.
Les élèves s’expriment et font des remarques et des commentaires entre eux.
Ø Phase 2 : Proposition du premier sujet d’écriture : « D’après le titre et la
couverture, à votre avis, de quoi va parler l’album ? Que va raconter
l’histoire ? ».
Je ne donne aucune contrainte de longueur car j’ai pu remarqué au cours de
sujets précédents que certains élèves sont « bloqués » à l’idée de devoir produire
un texte long. J’obtiens donc des textes très divers tant par la longueur que par le
contenu.
Certains décrivent ce qu’ils voient en essayant de trouver une explication à la
présence des éléments de la couverture. D’autres construisent un récit autour du
titre, considérant que Georges Lebanc est le personnage principal (annexe 6 bis).
Ø Phase 3 : Toilettage du texte sans commentaire sur le contenu. Je ne confirme
ou n’infirme aucune hypothèse. En revanche, les élèves continuent de
s’échanger leurs idées sur le contenu (« Moi je crois pas que Georges Lebanc ce
soit un banc ! », « Ben si parce que sinon y’aurait pas un banc sur la couverture
du livre ! »…). Le caractère « magique » de l’histoire semble s’être imposé à
tous, même si les opinions divergent…
§ Séance 2
- Objectif : confronter oralement ses attentes aux premières réalités du
texte.
- Déroulement :
Ø Phase 1 : Lecture magistrale du début de l’album, environ jusqu’au tiers.
Ø Phase 2 : Les enfants s’expriment oralement en faisant des comparaisons avec
leurs propres hypothèses (« Ah ! Ben tu vois ! J’t’avais bien dit que Georges
c’était le banc !! »). Ils cherchent dans le texte des indices expliquant la présence
des éléments de la couverture, mais il reste des zones d’ombre.
Cette phase orale permet de donner une première « résonance » à leur
production initiale qui est ainsi mise en perspective. Le fait d’avoir formulé par
écrit leurs attentes les a amené à aborder le texte différemment.
21
§ Séance 3
Il s’agit cette fois de faire produire des écrits pour provoquer des interprétations
divergentes sur un passage problématique, toujours dans le cadre des typologies
déjà évoquées. On entre cette fois dans une lecture « active » du texte qui relève
du domaine de la lecture littéraire et de l’interprétation.
- Objectif : donner une interprétation réfléchie d’un extrait de texte
littéraire.
- Déroulement :
Ø Phase 1 : Je choisis volontairement une double page qui ne faisait pas partie
de la lecture de la séance précédente pour les obliger à rechercher des liens entre
les informations qu’ils possèdent et les éléments nouveaux qu’ils découvrent.
Cette double page, relativement énigmatique (« Midi. Il est midi. D’un côté le
matin, et de l’autre l’après-midi. C’est l’heure des miroirs, l’heure de l’instant
immobile, pendant une toute petite seconde, plus rien ne bouge. »), pose ainsi un
problème d’interprétation, une résistance à la lecture.
La page est lue magistralement, et l’illustration largement observée et
commentée.
Ø Phase 2 : Proposition du nouveau sujet d’écriture et mise en activité : « A
votre avis, qu’est-ce que ça veut dire ? Expliquez-moi ce que vous comprenez en
lisant ces deux pages ? Le texte et les illustrations peuvent être consultés à tout
moment.
Les élèves ont à présent à leur disposition davantage d’informations que lors
de leur premier sujet. Ils connaissent maintenant le personnage principal, le
square et quelques événements qui s’y déroulent. L’atmosphère du texte est
également plus précise.
Ø Phase 3 : Relecture et toilettage du texte.
ØPhase 4 : Production du deuxième jet d’après les remarques apportées pendant
la phase précédente.
A noter que cette phase de réécriture a été différée dans le temps (reportée au
lendemain), notamment pour permettre aux élèves de prendre de la distance par
rapport à leur production.
Ø Phase 5 : Fin de la lecture de l’album. Elle ne sera volontairement pas suivie
de moment de commentaire. Il ne s’agit pour l’instant que d’une « lecture
plaisir ».
22
§ Séance 4
Cette séance a été réalisée plusieurs semaines plus tard.
Elle met en œuvre la typologie de recueil des impressions ultimes, écrit qui
pourra être mis en parallèle avec la première production pour confronter les
écarts entre attentes et réalisations effectives.
- Objectif : faire formuler ses impressions par rapport à la lecture intégrale
d’un album, porter un regard réflexif sur sa lecture.
- Déroulement :
Ø Phase 1 : Relecture de leur production initiale sur le premier sujet proposé, à
savoir quelles étaient leurs attentes de lecture par rapport au titre et à la
couverture.
Ø Phase 2 : Rassemblement pour une relecture intégrale de l’album. Je leur
demande d’être attentif aussi bien au texte qu’aux illustrations dont les détails
sont importants.
Ø Phase 3 : Petit temps d’échange avec expression libre. Chacun livre ses
impressions de façon informelle.
Ø Phase 4 : Après un laps de temps permettant de prendre un peu de recul par
rapport à la lecture, je leur propose un dernier sujet d’écriture. Une fois de plus,
j’insiste sur l’importance du contenu plus que de la forme pour dédramatiser les
appréhensions liées à la correction des textes.
« Maintenant que vous connaissez toute l’histoire, j’aimerais qu’en quelques
lignes vous me fassiez part de vos impressions face à cet album. »
Constatant que la formulation du sujet gêne les élèves, peut-être de par son
imprécision, je leur propose trois axes d’écriture dont ils peuvent se servir :
• Dites-moi d’abord pourquoi vous avez ou non aimé cet album.
• Qu’est-ce qui ne vous a pas surpris dans l’histoire, que vous vous
attendiez à trouver ?
• Qu’est-ce qui au contraire vous a vraiment étonné ? Quel élément
vous a marqué ?
Je n’ai pas eu le temps de mettre en place une confrontation
« institutionnalisée » de leurs représentations initiales et de leurs conclusions. Il
aurait été intéressant de voir directement avec eux ce qu’ils pensaient de leur
évolution personnelle par rapport au texte.
23
d) Analyse de la séquence
Dans cette séquence, l’objectif était d’utiliser des typologies précises
d’écrit de travail pour accompagner les élèves dans leur parcours de lecture d’un
texte littéraire intégral. L’acte d’écrire devait contribuer à faire évoluer leur
compréhension du texte. Si tous les objectifs n’ont pas été atteints, il est pourtant
certain que le passage par l’écrit a modifié leur rapport au texte et à leur
comportement de lecteur.
Lors de la séance 1 sur l’album de Ponti, le premier contact avec le livre n’a pas
eu lieu avec le texte, mais avec l’illustration de la couverture. Ainsi, chacun est
libre de rentrer dans l’histoire par le biais des éléments qui auront le plus retenu
son attention. Ce premier sujet laisse donc libre cours à l’imagination des élèves
qui sont amenés à s’interroger sur leurs attentes vis-à-vis du texte, exercice
qu’ils n’ont pas l’habitude de pratiquer. La difficulté résidait dans le fait que
beaucoup (pour ne pas dire tous) n’avaient pas conscience que la « lecture »
d’un livre débute avant même de découvrir le texte, et il ne leur a pas été facile
de verbaliser des attentes qu’ils n’imaginaient même pas porter en eux.
En ce sens le passage par l’écrit leur a immédiatement fait aborder le texte d’une
manière différente puisqu’ils se sont découverts des « comportements » de
lecteur susceptibles d’apporter quelque chose à leur lecture.
La correction de leur production qui a suivi ne portait donc pas sur le contenu
puisque l’objectif était qu’ils prennent eux-mêmes l’initiative de confronter leurs
hypothèses à la réalité du texte lors de la lecture à la séance suivante.
Cette deuxième séance a donc été un moment de lecture seule, de découverte
effective de l’album. Les élèves ont ainsi pu donner une « orientation » à leurs
hypothèses élaborées précédemment. Le sujet d’écriture suivant n’a été proposé
qu’à la troisième séance pour laisser le temps aux enfants de s’imprégner du
texte et de l’atmosphère de l’album.
En ce qui concerne le deuxième sujet d’écriture (la réflexion sur la double
page), les élèves se sont beaucoup appuyés sur l’illustration pour tenter de
donner un sens à cet extrait. Ils ont essayé de faire le lien entre l’image et le
texte, mais ils n’ont pas forcément relié ce passage avec le début de l’histoire
qu’on avait lu ensemble. Ils n’ont pas cherché à intégrer cette page dans une
succession possible de l’histoire. Ils l’ont plutôt considérée comme un élément
indépendant. Dans ce cas précis, l'écriture leur a bien permis de s’interroger sur
un passage problématique du texte, mais j’aurais dû d’abord l’intégrer à la
lecture de la séance précédente pour qu’il puisse le replacer dans le contexte. Je
pense qu’il était trop difficile d’établir des liens logiques entre ce passage et ce
qu’on avait lu. L’univers particulier de Ponti ne pouvait leur permettre si tôt
(après une seule lecture du début) de restaurer la continuité du récit pour mettre
en perspective cet extrait.
Malgré tout, beaucoup d’élèves ont été sensibles à l’atmosphère poétique
présente dans ces quelques phrases et la plupart de leurs interprétations est
24
empreinte de la même impression de calme dégagée par cette double page
(annexes 5). Quelques élèves ont éprouvé beaucoup de difficultés à entrer dans
cet exercice. Ils n’arrivaient pas à se détacher du texte, à aller au-delà de ce qui
était écrit, et ils se sont alors contentés de paraphraser l’extrait en question
(Annexe 6.). D’autres enfin n’ont pas du tout perçu cet exercice comme une
réflexion sur le texte, et ils ont construit un récit à partir des phrases proposées.
Je pense que cette diversité de réactions face à ce sujet est due à plusieurs
raisons.
D’abord, ce n’était pas un exercice qu’ils avaient l’habitude de pratiquer et
j’aurais donc dû définir davantage ce que j’attendais d’eux. Mon manque de
précision a rendu leur tâche abstraite. Ils se sont alors retranchés derrière un
exercice connu : la production d’un texte narratif (Annexe 5bis). Ensuite, la
formulation et le choix du sujet n’étaient pas de nature à les « lancer »
correctement dans l’exercice. J’aurais pu restreindre le champ de réflexion à une
expression ou deux plutôt qu’à l’ensemble des phrases, et introduire une
contrainte de longueur (pas plus de dix lignes) pour les obliger à synthétiser
leurs idées car certains se sont perdus dans leurs propres explications. Enfin, j’ai
sous-estimé l’engagement « émotionnel » que ce sujet impliquait. Cet exercice
demandait en effet un trop grand investissement personnel dans le sens où je
leur demandais d’exprimer leur avis, leurs sentiments sur ce passage. Or comme
l’une des habitudes de la classe était de lire sa production à ses camarades,
certains élèves ont craint de se « dévoiler » dans cette activité. J’ai donc
« désamorcé » leur anxiété en proposant que seuls les volontaires ne lisent leur
texte, mais cette mise au point aurait due être faite avant le début de la
production pour dédramatiser l’exercice et lever leurs dernières retenues.
En revanche, l’étude de cette page leur a permis, à mon avis, plus que la lecture
du début de l’histoire, à comprendre la particularité de l’univers de Ponti, à
saisir la logique intrinsèque à cet album. L’autre aspect plutôt positif est qu’il
me semble qu’ils ont pris conscience qu’il n’existait pas une seule
« interprétation modèle » de l’album, et que chacun peut comprendre les choses
en fonction de sa personnalité et de sa sensibilité, même si tous ne sont pas
encore prêts à accepter les hypothèses des autres…De la même manière, ils ont
pu se rendre compte que produire un texte, ce n’est pas forcément inventer une
histoire, mais que ça peut être également écrire pour donner son avis ou
exprimer ce qu’on ressent sur un autre texte.
Cette idée n’est pas encore évidente pour tous, mais il était intéressant d’assister
à ce début de prise de conscience qui ne va pas sans leur poser problème.
Pour le dernier sujet concernant le recueil des impressions ultimes, après
lecture des productions, je pense que mon objectif, qui était d'aider les élèves à
se rendre compte que leur rapport au texte avait évolué, n'a pas été atteint.
Ils n'ont pas perçu l'aspect "bilan" de cet exercice, et trop peu ont pensé à faire le
lien avec les productions précédentes. Je pense qu'ils n'ont pas pris conscience
de la continuité entre les différents sujets, et ce pour plusieurs raisons: d'abord, il
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s'est écoulé trop de temps entre les séances d'écriture (plusieurs semaines pour le
dernier sujet), ensuite, la formulation des sujets n'était pas satisfaisante, hésitant
toujours entre imprécision et aspect anecdotique. L’importance des consignes
d’écriture prend ici toute sa dimension. A force de ne pas vouloir « brider »
l’interprétation des élèves, les sujets proposés sont devenus trop ouverts (ou trop
fermés) et j’ai obtenu l’effet inverse. En reformulant et en expliquant oralement
avec eux, ils arrivaient à déterminer ce que j’attendais, mais le sujet seul ne leur
permettait pas forcément de débuter l’activité.
Ils n’ont pas vraiment eu un retour sur l’ensemble de leur lecture, et malgré le
rappel, en début de séance, de leurs attentes initiales, ils n’ont pas cherché à
mesurer l’écart entre leurs représentations et ce qu’ils ont découvert de l’œuvre.
Il est dommage que nous n’ayons pas plus exploité leur première production.
J’aurais pu inclure dans le sujet que je souhaitais qu’ils étayent leur écrit final
par un retour réflexif sur leur premier travail (« en reprenant votre premier sujet,
pouvez-vous essayer de dire ce qui a changé par rapport à vos attentes ? »).
Pourtant, même s’ils n’en n’ont pas pris conscience, il est évident que leur
compréhension du texte a évolué au cours des séances puisqu'ils ont réalisé à la
fin que c'était en fait la narration d'une journée de Georges dans le square alors
qu'ils pensaient au début que ce n'était qu'une juxtaposition d'événements
survenus dans sa vie. Ils ont également établi des liens entre les personnages, et
ont réussi vers la fin à adopter et suivre la logique de Ponti. Cependant, ces
évolutions n'affleurent pas véritablement dans leurs écrits finaux, qui sont restés
trop souvent superficiels.
Les différents sujets proposés sur Georges Lebanc au cours de cette
séquence, malgré leurs lacunes, ont été l'occasion pour les élèves de se
confronter au texte, et par conséquent, de mieux se l'approprier. Ces exercices
d'écriture et de réflexion leur ont fait prendre conscience de certaines
dimensions du texte qu'ils n'avaient pas perçues de prime abord, et en ce sens,
on peut considérer que ces productions d'écrit ont contribué à faire évoluer leur
compréhension de l'album. La mise en œuvre des typologies des écrits de travail
a permis d’amorcer chez les élèves une nouvelle relation au texte et à leur
comportement de lecteur. Ils ont pris conscience qu’on pouvait « lire » un récit
au-delà de ce qu’il comportait littéralement, et que le lecteur pouvait être
« actif » face au texte.
Comme nous avons pu le voir avec la présentation des deux séquences
précédentes, l’utilisation de l’écrit peut être mise au service de la lecture dans le
cadre de la compréhension, qu’il s’agisse de compréhension littérale ou d’une
compréhension plus fine. Le texte littéraire se trouve être une source riche de
sujet d’écriture. Ecrire sur l’album qu’on est en train de lire, c’est à la fois
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s’ouvrir de nouveaux horizons d’écriture et se donner une occasion originale de
mieux comprendre ce qu’on lit, de pratiquer sa lecture sous un angle différent.
Conclusion : l’association de la littérature de jeunesse et de la production
d’écrits peut être mise au profit d’objectifs variés dont seuls quelques exemples
ont été ici présentés.
Les situations d’écriture proposées montrent que l’album peut être exploité en
lecture et en écriture à tous les niveaux de l’école élémentaire. La littérature de
jeunesse offre une variété inépuisable de sujets d’écriture possibles, et ce dés la
maternelle. Ecrire à partir des albums, c’est découvrir un nouvel espace
d’activité dans le domaine de la production d’écrits, espace qui s’ouvre à la
réflexion sur le texte et sur l’acte de lire.
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CONCLUSION
Si l’association des albums et de l’écrit nécessitait une justification, ce
serait sa faculté à apporter de la diversité dans le domaine de la production
d’écrits qui est resté trop longtemps limité aux textes narratifs et descriptifs.
Le premier enrichissement que l’on trouve dans cette association, c’est qu’elle
donne aux élèves l’occasion de sortir des habituels sujets d’imagination. Le
second, c’est qu’elle est profitable à deux disciplines à la fois : l’écriture et la
lecture. Ecrire « sur » le texte oblige à s’interroger sur lui, et de ce fait la lecture
s’en trouve « affinée » ; et écrire pour parler de ce qu’on lit, c’est découvrir une
nouvelle fonction de l’écrit qui consiste à exprimer ses réflexions, et en
l’occurrence, à mettre en mots un retour réflexif sur sa lecture. Lire et écrire sur
des albums, c’est déjà commencer à s’approprier l’univers du texte littéraire.
Au-delà de l’aspect strictement « utile » de cette union entre littérature de
jeunesse et production d’écrits, c’est le côté plaisant qui représente un avantage
supplémentaire parce qu’il est une source de motivation. La lecture d’un album
constitue en effet toujours un moment agréable où élèves et enseignant peuvent
partager ensemble le charme d’un texte littéraire, ouvrant ainsi la porte à un
univers culturel toujours renouvelé.
Travailler l’écrit à partir des albums n’est cependant pas aussi simple qu’il n’y
paraît, que ce soit pour les enfants ou pour l’enseignant.
Ecrire « sur » ou « à partir » d’un texte n’est pas un exercice évident pour les
élèves, d’abord parce qu’ils n’y sont pas habitués, ensuite parce qu’ils doivent
apprendre progressivement à exploiter le texte en fonction de l’objectif
d’écriture visé (on n’aura pas le même rapport à un texte suivant que l’on
cherche à étudier le lien entre texte et images, ou à travailler sur la signification
d’un ou plusieurs passages précis.).
Cet exercice est également « périlleux » pour l’enseignant car il suppose d’abord
une maîtrise et une connaissance complètes du texte en question, et ensuite
parce qu’il demande rigueur et précision dans le choix des axes de travail et dans
la formulation des sujets d’écriture.
Alors pourquoi allier album et production d’écrits ? Parce que cette association
est une promesse de découvertes et d’échanges culturels, ainsi que l’assurance
de développer des compétences de lecteur et « d’écrivain » chez des élèves qui
ne considéreront plus la littérature comme une sphère inaccessible, mais comme
un domaine qu’ils apprendront d’abord à connaître, ensuite à maîtriser, et
finalement à apprécier.
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Bibliographie
Ouvrages
v Etudes de linguistique appliquée, « La production d’écritss telle qu’on
l’enseigne aujourd’hui. » C. Garcia-Debanc.
v Lire la littérature à l’école, C. Tauveron.
v La lecture, de la théorie à la pratique, J. Giasson.
v Instructions Officielles :
- Qu’apprend-on à l’école maternelle ?, Ministère de l’Education
Nationale.
- Qu’apprend-on à l’école élémentaire ?, Ministère de l’Education
Nationale.
Articles
v « Approcher, nommer le littéraire », dans Repères n° 13, F. Marcoin.
v « Comprendre et interpréter le littéraire », dans Repères n°19, C.
Tauveron.
v « Des livres et l’école », article Internet, A. Coste-Grabe.
Albums
v Chapeau !
v Georges Lebanc, C. Ponti.
v L’Afrique de Zigomar, P. Corentin.
v Zigomar n’aime pas les légumes, P. Corentin.
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ANNEXES
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Annexe 1
L’OISEAU RIGOLO
Matériel :
- carton de couleur
- papier crépon de couleur
Outils :
- crayon de papier
- colle
- crayons de couleur
Etapes de construction :
1.
2.
3.
4.
Dessine un oiseau sur le carton de couleur.
Fais des petites boulettes avec le papier crépon.
Colle les boulettes sur l’oiseau.
Décore le fond de la feuille avec tes crayons de couleur.
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Annexe 2
Séance 3 :
Première production de la dictée à l’adulte concernant la liste des outils et
matériel, ainsi que la succession des étapes.
Outil :
- « On s’est servi des pinceaux et pis aussi des ciseaux. »
- « Et à la fin maîtresse t’as pris l’agrafeuse. »
- « T’avais aussi pris un crayon de papier et une règle pour tracer les
traits. »
Matériel :
- « On avait chacun une grande feuille de couleur. »
- « Dessus on a collé des plumes et pis aussi y’avait des petits triangles et
des petits ronds et aussi des rectangles. »
- « On a mis de la peinture et de la colle sur la feuille. »
Etapes de construction :
- « On a collé les plumes et les formes mais j’crois qu’avant on avait peint
la grande bande de la couleur qu’on voulait. »
- « Quand c’était fini, on a mis une agrafe pour fermer, pour que ça tienne
sur notre tête. »
- « Maîtresse t’as tracé les bandes sur nos feuilles pis après on les avait
découpées, les petites. »
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Annexe 3
La fiche technique du chapeau d’indien.
Matériel :
Outils :
-
Une grande feuille de papier couleur.
De la peinture.
Des petites plumes et des formes géométriques en papier.
De la colle.
Des ciseaux.
Une agrafeuse.
Des pinceaux.
Une règle et un crayon de papier.
Etapes de construction :
1. La maîtresse trace les bandes sur une grande feuille de couleur
(accompagné d’un dessin).
2. Découpe les trois petites bandes en suivant les traits.
3. Peins la grande bande de la couleur que tu veux.
4. Colle des plumes et des formes géométriques.
5. Agrafe la feuille pour que ça fasse le tour de ta tête.
Feuille initiale avec les
tracés.
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Annexe 4
Texte final du rappel de récit sur L’Afrique de Zigomar par
les CE1.(dictée à l’adulte)
« Pipioli c’est une souris et Zigomar c’est un merle. Pipioli voulait partie en
Afrique et sa maman elle ne voulait pas. Il part en Afrique mais il est parti au
Pôle Nord. Pipioli et une grenouille disaient toujours : « Je ne voyais pas ça
comme ça ! ». Pour un ours ils croyaient que c’était un lion. Pour les pingouins
ils croyaient que c’était des singes. Pour des éléphants de mer ils croyaient que
c’était des éléphants. Si ils disaient tout le temps : « Je ne voyais pas ça comme
ça ! » il les déposait et ils rentraient à pied. Ils rentrèrent chez Pipioli. La maman
de Pipioli elle disait : « C’était bien l’Afrique ? ». Pipioli il disait : « un peu
bizarre, l’Afrique ! ». ».
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Annexes 5
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36
Annexe 5 bis
37
Annexe 6
38
Annexe 6 bis
39
Les albums et la production
d’écrits
Résumé :
Ce mémoire porte sur l’association entre la littérature de jeunesse et les
activités d’écriture à l’école primaire. Il tente de montrer les intérêts d’écrire à
partir des albums, que ce soit en faveur de la lecture ou de l’écriture. Deux des
axes principaux sont l’influence de l’écrit sur la compréhension en lecture, et
l’utilité de s’appuyer sur la lecture pour progresser en production d’écrits.
Mots clés :
- Littérature de jeunesse.
- Ecrit.
- Lecture.
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