Confessions sur l`antimoine Histoire des sciences

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Confessions sur l`antimoine Histoire des sciences
Confessions sur l’antimoine
1197
par Raymond BAUDUIN
Professeur retraité
et Olivier FRAISSE
Lycée Joliot-Curie - 13400 Aubagne
[email protected]
Le professeur de sciences physiques au travers de son enseignement est souvent
amené à évoquer l’histoire des sciences. Toutefois, les outils de recherche dont il dispose
peuvent parfois le laisser perplexe quant à l’authenticité de certains faits. En effet,
certaines sources peuvent être en désaccord sur différents points comme par exemple,
l’étymologie d’un nom, ou bien encore l’implication d’une personne dans une découverte. Nous allons nous appuyer sur l’exemple de l’antimoine pour illustrer ces difficultés.
RÉSUMÉ
L’approche historique des contenus de nos programmes scolaires est un support de
plus en plus utilisé par les enseignants de sciences physiques. Les nouveaux programmes
du collège [1] vont pleinement dans ce sens. L’histoire des sciences est en effet proposée
dans de nombreuses séquences d’apprentissages et utilisée de multiples façons. On peut
par exemple aborder un nouveau chapitre à partir d’un texte historique ou encore
proposer aux élèves la démarche expérimentale utilisée initialement par les scientifiques.
Afin d’agrémenter ses cours, d’avoir des compléments d’information sur le contenu de
certains exercices et pour faire face aux questions des élèves, le professeur est amené à
consulter diverses sources d’informations. L’histoire des sciences peut dans ces cas se
réduire à une simple anecdote historique. Bien entendu, pour une simple remarque dans son
cours, l’enseignant ne va pas se plonger dans des publications spécialisées aux études fines
et érudites. Ainsi, ses principales sources d’informations sont les livres scolaires, universitaires, les encyclopédies, les dictionnaires et bien sûr Internet. Or selon l’origine de ces
informations, nous pouvons trouver des propos contradictoires.
À travers l’exemple de l’antimoine, cet article a pour but d’illustrer, la difficulté à
laquelle est parfois confronté un enseignant du secondaire dans sa recherche d’une information fiable. À partir des différentes sources consultées, nous nous intéresserons d’abord
aux étymologies proposées, puis aux individus impliqués dans sa découverte et son utilisation. Nous constaterons ainsi que certaines légendes, pour belles qu’elles soient, ne
reposent sur aucun fondement véridique sérieux.
Vol. 102 - Octobre 2008
Raymond BAUDUIN et Olivier FRAISSE
Histoire des sciences
HISTOIRE DES SCIENCES
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UNION DES PROFESSEURS DE PHYSIQUE ET DE CHIMIE
Concernant l’étymologie du mot, les propositions sont nombreuses :
de deux mots grecs anti (contre, opposé) et monos (seul), qui signifieraient que ce
métal ne se trouve jamais isolé dans les minerais qui le contiennent [2] ;
du grec stimmi qui aurait donné antimonium en latin médiéval [3] ;
du grec anthos (fleur) en raison de l’aspect de pétales de fleurs de ses sulfures [4] ;
de l’arabe ailmad ou altimad qui aurait donné par déformation athmodium puis atimodium et enfin antimodium [2] ;
de l’arabe ithmid [5]
du latin stibium, nom donné par Pline L’ANCIEN, qui serait à l’origine du symbole Sb
[6] ;
du Moyen Âge, de l’empoisonnement de religieux par des médicaments (anti-moine).
1. ÉTYMOLOGIE (S)
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La connaissance et l’utilisation de l’antimoine remontent à la plus haute antiquité.
Aux temps bibliques, le sulfure naturel d’antimoine (1) était utilisé pour teinter les sourcils et comme médicament. Des fragments d’un vase en antimoine coulé et pur furent
trouvés dans les mines de Tello, en Chaldée, et semblent remonter aux environs de 4000
avant J.-C. Entre 2000 et 2200 avant J.-C, les Égyptiens utilisaient des articles de cuivre
recouverts d’une couche d’antimoine ; on a retrouvé des pièces ouvragées de la cinquième
ou sixième dynastie en antimoine pur. Les Chinois, les Coréens et les Japonais semblent
avoir connu l’antimoine depuis des temps très reculés. Les Romains savaient extraire le
métal du sulfure naturel, mais ne l’utilisaient pas. Plus tard, les alchimistes l’utilisèrent
couramment et BERTHELOT signale qu’un traité arabe du temps des croisades indique son
introduction dans la préparation de l’or. Vers 1700, Nicolas LEMERY publia un traité scientifique sur l’antimoine [7].
2. HISTORIQUE
Manifestement un homme, Théopraste BOMPAST DE HOHENHEIM dit PARACELSE
(1493-1541), eut malgré lui un rôle central dans l’histoire de l’antimoine. Il fut à la fois
médecin et alchimiste. Il était franchement anticlérical et ne s’en cachait pas. Il fut l’un
des opposants les plus acharnés aux théories galéniques qu’il réfutait totalement [8]. De
l’œuvre de PARACELSE on peut extraire un principe important : l’Iatrochimie (utilisation
des produits chimiques minéraux, métaux et non-métaux ou métalloïdes). PARACELSE
préconisait l’emploi des composés du zinc, du mercure et surtout ceux de l’antimoine
dont il faisait une panacée. Mais le lobby des galéniques s’organisa et l’emploi de l’an3. PARACELSE
(1)
Sb 2 S3 .
Confessions sur l’antimoine
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timoine en médecine fut interdit pendant deux siècles. À sa mort en 1541, l’hostilité des
médecins empêcha la plupart de ses écrits d’être publiés de son vivant. Ils ne le furent
qu’en 1591 et eurent un grand retentissement au-delà des cercles académiques, hors de
portée des docteurs [9].
Dans certains ouvrages [9], on attribue la découverte de l’antimoine au moine Basile
VALENTIN. Il serait né à Erfurt (Allemagne centrale) au début du XVe siècle (ses dates de
naissance et de mort restent mystérieuses). Les ouvrages de Basile VALENTIN, rédigés en
haut allemand, traduits en latin et de là en français, ferait toujours autorité en matière
d’alchimie. Le plus célèbre est Le char triomphal de l’antimoine où il décrit les
propriétés de la plupart des composés usuels à côté de la préparation du métal et de ses
alliages. Partant de la capacité que possède l’antimoine de libérer l’or de ses impuretés,
il lui attribuait les mêmes effets sur l’organisme humain. La légende veut que s’étant
aperçu que les cochons de son couvent engraissaient en mangeant les résidus des gisements répandus dans la région, il entreprit d’en faire absorber aux religieux. Malheureusement, les moines en périrent (ses propriétés chimiques et sa toxicité le rapprochent de
l’arsenic), d’où le nom « anti-moine ».
4. BASILE VALENTIN ET THÖLDE
D’autres sources précisent [10] que c’est un Allemand Johan THÖLDE (1562-1634)
industriel, alchimiste et éditeur qui ayant vécu dans la région d’Erfurt qui a fait connaître
Basile VALENTIN en éditant ses écrits. Mais il semblerait que VALENTIN soit une fiction
inventée par THÖLDE. Plusieurs arguments permettent d’étayer cette hypothèse :
♦ Aucun chercheur n’a trouvé la trace de ce moine dans les archives des couvents de la
région d’Erfurt, ni sur la liste générale de tous les religieux de l’ordre de Saint-Benoît,
auquel il aurait appartenu, déposée aux archives de Rome.
♦ La langue utilisée dans Le char triomphal de l’antimoine était trop moderne pour l’époque
où Basile VALENTIN était censé avoir vécu.
♦ Dans cet ouvrage Basile VALENTIN indiquait que l’antimoine était utilisé dans la fabrication des caractères d’imprimerie. Or GUTENBERG a utilisé ses caractères pour la première
fois en 1455.
♦ Basile VALENTIN y préconisait l’utilisation de l’antimoine pour soigner le « mal français » (syphilis). Cette maladie fut signalée pour la première fois en Espagne en 1495.
Tous ces faits s’ajoutent à la découverte rocambolesque des dits manuscrits. En
effet, THÖLDE aurait découvert en 1600 les manuscrits de Basile VALENTIN lors de l’écroulement d’une colonne de la cathédrale d’Erfurt frappée par la foudre. Pourquoi THÖLDE
aurait-il inventé Basile VALENTIN ? En tant qu’éditeur, il est probable que THÖLDE eut
l’idée de VALENTIN pour assurer un grand succès à la publication de ses œuvres, amoindrissant ainsi l’intérêt de certaines publications de PARACELSE. De plus, THÖLDE évitait le
risque personnel d’indisposer les galéniques et, en choisissant un moine, mettait le clergé,
souvent décrié par PARACELSE, de son côté.
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L’approche historique des sciences peut être un moyen supplémentaire d’attirer des
élèves dans les filières scientifiques, qui comme chacun le sait sont en perte de vitesse.
Mais comme nous venons de le constater les sources d’informations dont dispose un
enseignant du secondaire sont parfois, incomplètes, voire contradictoires. Ainsi selon
certaines recherches le professeur peut transmettre des informations erronées à ses élèves.
Nous pourrions suggérer aux auteurs des programmes, qui ont eu l’excellente idée de
rendre à l’histoire des sciences la place qu’elle mérite dans notre enseignement, de
procurer des documents d’accompagnements fiables dans ce domaine. Ainsi, la réalité des
faits historiques ne serait plus réservée à un microcosme d’érudits.
CONCLUSION
BIBLIOGRAPHIE ET NETOGRAPHIE
[1] BO hors série 19 avril 2007
[2] http://www.encyclopedie-universelle.com
[3] DAUZAT A., DUBOIS J. et MITTERAND H. Nouveau dictionnaire étymologique. Larousse,
1964.
[4] http://www.achats-industriels.com
[5] Le petit Larousse illustré, 2006
[6] http://elements.chimiques.free.fr
[7] BOTHOREL P., DOIQUE R., DOMANGE L. et PASCAL P. Nouveau traité de chimie minérale. Masson et Cie, 1958.
[8] Encyclopédie Encarta 2003
[9] Encyclopédia Universalis.
[10] http://hdelboy.club.fr/emblemes.htm
[11] Dictionnaire encyclopédique Quillet.
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