Grossesse après by-pass : les problèmes diététiques
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Grossesse après by-pass : les problèmes diététiques
51ème JAND 28 janvier 2011 Grossesse après by pass : les problèmes diététiques Cécile Ciangura Praticien hospitalier, Pôle d’Endocrinologie-diabétologie-Métabolisme-NutritionPrévention vasculaire - Groupe hospitalier Pitié Salpêtrière Paris 1. INTRODUCTION ET CONTEXTE 1.1. Prévalence de l’obésité : exposition des femmes jeunes En France, la prévalence de l’obésité de l’adulte atteint 14,5% en 2009 [1]. Alors que les hommes sont plus touchés par le surpoids, l’obésité est plus fréquente chez les femmes. La différence s’observe surtout pour les formes les plus sévères (1,6% des femmes ont une obésité massive contre 0,6% des hommes) et en termes de progression (+ 82% entre 1997 et 2009 chez les femmes contre 58% chez les hommes). La prévalence de l’obésité chez les femmes enceintes en France n’est pas connue, mais l’étude rétrospective de Ducarme et al., dans une maternité de Seine-Saint-Denis portant sur 5 686 femmes ayant accouché entre 2002 et 2005, montrait une prévalence de l’obésité (IMC > 30 kg/m² avant la grossesse) de 7,5 % [2]. 1.2. Chirurgie bariatrique La chirurgie bariatrique est une méthode efficace pour la prise en charge des obésités massives et/ou compliquées en termes de réduction pondérale sur le long terme [3], d’amélioration des comorbidités et de la qualité de vie [4], et de réduction de la mortalité sur le long terme [3, 5]. Parmi les différentes modalités opératoires, le bypass gastrique (BPG) devient prépondérant en France [6]. Il associe les mécanismes de restriction et de malabsorption par la création d’une petite poche gastrique anastomosée directement à l’intestin grêle par une anse en Y, court-circuitant ainsi la majeure partie de l’estomac, du duodénum et du jéjunum. Le nombre de personnes opérées ne cesse d’augmenter : 21 500 actes en 2009, soit 2 fois plus depuis 2005 [6]. Les femmes en âge de procréer en représentent la majorité: dans l’étude française de la Cnamts en 2002-2003, le sex ratio femmes/hommes était de 6 et le taux de grossesses était de 7 % dans la première année après la chirurgie [7]. 1.3. Obésité et grossesse Pendant la grossesse, l’obésité est associée à un risque plus élevé de complications obstétricales (hypertension artérielle gravidique, prééclampsie, diabète gestationnel, césariennes) et foetales (prématurité, mort foetale in utero, macrosomie, défauts de fermeture du tube neural) et ce d’autant plus que l’obésité est massive [8]. Même si les études sont peu nombreuses et de méthodologie parfois imprécise, une revue récente [9] met en évidence des résultats plutôt concordants et positifs en termes de réduction des risques pour la mère et l’enfant après chirurgie bariatrique: par rapport à des femmes obèses non opérées ou en comparaison aux grossesses précédant la chirurgie, les risques de diabète gestationnel, de prééclampsie, de prématurité ou de retard de croissance sont réduits après chirurgie, sans augmentation du taux de césarienne. Les conséquences d’une grossesse précoce sont variables selon les études et ne permettent pas de tirer de conclusions (notamment sur les poids de naissance et les fausses couches). Sur le plus long terme, une étude conclue à un impact bénéfique de la chirurgie sur l’obésité et les paramètres métaboliques ultérieurs des enfants nés de mère ayant bénéficié au préalable d’une dérivation bilio-pancréatique: la prévalence de l’obésité était significativement réduite (de 52%) chez les enfants nés après chirurgie bariatrique en comparaison aux enfants d’une même fratrie nés avant la chirurgie maternelle et sans augmentation des petits poids de naissance [10]. Si l’obésité est associée à des troubles de la fertilité, la chirurgie permet dans ces situations une amélioration franche de la fertilité et expose ces femmes jusque là « infertiles » à la survenue de grossesses [9]. C. CIANGURA 3 2. La problématique des grossesses après BPG La question est d’envisager les complications habituelles du BPG (nutritionnelles, diététiques et chirurgicales) du point de vue obstétrical, fœtal et maternel et d’envisager des modalités de suivi spécifique. Sur ces sujets, la littérature est encore pauvre. 2.1. Les risques chirurgicaux La complication chirurgicale décrite pendant la grossesse après BPG est le syndrome occlusif (16 publications) [11]. Il s’agit d’événements rares mais potentiellement gravissimes. Les hernies internes sont la cause la plus fréquente d’occlusion du grêle (12 cas/16), et plus rarement un volvulus (3/16), ou une invagination intestinale (2/16). Le risque d’occlusion existe en milieu de grossesse quand l’utérus augmente de volume, à terme lorsque le fœtus descend dans le bassin, et en post-partum par involution rapide de l‘utérus. Dans la majorité des cas, ces occlusions surviennent au 3ème trimestre, lors de la première grossesse après le BPG, indépendamment de l’intervalle de temps écoulé depuis l’opération. Les problèmes concernant cette complication peuvent être : - la présentation clinique précoce parfois peu spécifique pouvant être pris à tort pour des symptômes liés à la grossesse, et l’absence d’examens complémentaires fiables pour confirmer l’occlusion en urgence. Avec la réserve d’utilisation des examens radiologiques pendant la grossesse, l’abdomen sans préparation ou le scanner abdomino-pelvien peuvent être normaux, ou montrer des signes aspécifiques. - le retard diagnostic et la découverte à un stade avancé de péritonite ou de choc septique (3 cas identifiés). Ces complications ont conduit à une césarienne en urgence dans 25% des cas publiés, à un accouchement prématuré dans 44% des cas, au décès de la mère dans 12% des cas et celui du nouveau-né dans 12% des cas. Par ailleurs, il est également décrit un cas de lithiase biliaire pendant la grossesse et nécessitant une hospitalisation [12]. 2.2. Les troubles fonctionnels Sans BPG, les troubles digestifs (nausées et vomissements au premier trimestre, reflux gastrooesophagien, constipation, intolérances alimentaires) sont fréquents pendant la grossesse et accessibles à de « petits moyens » [13]. Toute la difficulté est de faire la part entre ces symptômes bénins et ceux qui traduisent une complication du BPG. Les vomissements doivent évoquer une complication chirurgicale lorsqu’ils sont associés à des douleurs abdominales, sont permanents, et surviennent même aux liquides. Dans tous les cas, devant des douleurs abdominales, a fortiori déclenchées par l’alimentation, un examen obstétrical rassurant doit faire consulter immédiatement le chirurgien viscéral pour écarter une cause digestive. En cas de complication, la rapidité d’intervention chirurgicale conditionne le pronostic. 2.3. Les risques nutritionnels Le BPG expose à des carences nutritionnelles par plusieurs mécanismes : réduction des apports alimentaires, diminution des sécrétions gastriques, exclusion de l’absorption alimentaire du duodénum et du jéjunum proximal, asynergie entre bol alimentaire et sécrétions bilio-pancréatiques. Le BPG peut entraîner un déficit en fer, B12, calcium, acide folique [14] et en protéines [15]. La fréquence des déficits nutritionnels graves semble faible chez les patientes enceintes ayant bénéficié d’une supplémentation. La principale complication redoutée est la carence en folates (vitamine B9). Trois cas d’anomalies de fermeture du tube neural ont été rapportés chez des patientes qui ne prenaient pas de C. CIANGURA 4 supplémentation [16]. La prise de folates doit s’envisager dès la période pré-conceptionnelle. Même si la carence en vitamine B1 est rare, la présence de vomissements importants expose à une (aggravation d’une) carence en vitamine B1, avec un risque d’encéphalopathie de Gayet Wernicke. Deux études rapportent des anémies persistantes sous supplémentation martiale par voie orale, nécessitant un traitement parentéral [17,18]. La carence en fer survient chez plus de 50% des femmes en âge de procréer après BPG [23], et risque d’être accentuée par l’augmentation physiologique des besoins en fer liée à la grossesse. Les cas de carence néonatale en vitamine A décrits sont survenus après dérivations bilio-pancréatiques mais pas après BPG [19]. Trois cas de carence néonatale en vitamine B12 ont été rapportés pour des enfants exclusivement nourris au sein. Par exemple, un nouveau né de 4 mois né d’une mère ayant bénéficié d’un BPG 6 ans auparavant a présenté une pancytopénie avec une anémie macrocytaire, un ralentissement du développement psychomoteur avec une atrophie corticale sur l’imagerie cérébrale en rapport avec une carence profonde en vitamine B12. Les symptômes se sont améliorés avec le traitement par B12 par voie parentérale avec un recul pour le moment de 16 mois [20]. Dans certaines situations, notamment lorsque le BPG survient après une première chirurgie (conversion d’une gastroplastie par exemple), il est possible d’observer des déficits en vitamine B12 particulièrement profonds et précoces. L’allaitement n’apparait pas contre-indiqué, mais la surveillance des dosages vitaminiques et la supplémentation doivent être poursuivies après l’accouchement aux vues de ces carences néonatales en vitamine B12 [20-22]. Enfin, un article rapporte une aggravation des symptômes d’hypoglycémies fonctionnelles post prandiales (dumping syndrome tardif) par majoration de l’hyperinsulinisme pendant la grossesse [23]. 2.4. Les recommandations de bonne pratique existantes Plusieurs recommandations, en particulier les recommandations françaises publiées en 2009 par la Haute Autorité de Santé préconisent [23]: - d’éviter une grossesse après chirurgie bariatrique jusqu’à ce que le poids soit stabilisé (période de 12 à 18 mois), - de rechercher systématiquement une grossesse avant d’opérer et de prévoir systématiquement une supplémentation en folates après l’intervention; la chirurgie bariatrique étant contre-indiquée chez les femmes enceintes. - de réaliser une évaluation diététique avant toute grossesse programmée ou au tout début de la grossesse, de supplémenter les femmes enceintes en fer et folates, vitamine B12, vitamine D ou calcium. Un suivi nutritionnel au sein d’une équipe pluridisciplinaire apparait optimal à chaque trimestre et en post-partum [23]. A ces conclusions, l’expérience clinique incite à souligner quelques points complémentaires : - envisager que les suppléments ne soient pas bien pris par les patientes du fait des troubles fonctionnels liés à la grossesse (aggravation de la constipation par le fer, intolérance aux apports de calcium…) et adapter les formes galéniques autant que possible (gouttes, sirop, voie intramusculaire ou intraveineuse si besoin); prévenir les carences par une alimentation équilibrée et diversifiée selon les repères du PNNS [13] - guider les prescriptions par la qualité de l’alimentation et les dosages sanguins (avant la grossesse ou dès le diagnostic posé, puis de façon trimestrielle par exemple), à titre d’exemple : hémogramme, ferritine, calcium, vitamine D (et PTH en cas de carence en vitamine D), vitamine B9 et B12, vitamine B1 auxquelles on peut ajouter un dosage de vitamine A et E, zinc, selenium, iodurie des 24 heures même si à notre connaissance aucune conséquence fœtale n’a été associée à des carences en ces derniers nutriments après BPG. C. CIANGURA 5 - tenir compte des situations particulières comme des vomissements pour prévenir la carence en B1 et poursuivre la surveillance et les conseils en cas d’allaitement (carence en B12) - envisager à distance du BPG le risque de reprise de poids excessive et maintenir alors un cadre diététique. Exemple de suppléments systématiques à adapter aux éventuelles carences : multivitamines approchant 100% des apports journaliers recommandés (certaines de ces multivitamines apportent spécifiquement des nutriments plus spécifiques comme l’iode, le zinc ou la vitamine A), fer 80 à 160 mg au moins, acide folique 0,4 mg, calcium 1g, vitamine B12 250 µg tous les jours et vitamine D 100 000 unités par trimestre. En cas de carence en certains micronutriments, il est indispensable de la corriger de façon ciblée (pour plus de précisions se reporter au Traité de Nutrition, éditions Flammarion, publié en 2010 et la référence [24]). Dans ce cadre, il faut avoir en tête les vitamines dont un surdosage pourrait être néfaste pour le fœtus : il s’agit de la vitamine A (tératogène) et de la vitamine D (anomalies de formation osseuse). En pratique on ne conseille pas de supplément spécifique en vitamine A pendant la grossesse, mais de choisir parmi les multivitamines celles qui présentent une composition plus intéressante. Concernant l’apport calorique recommandé et l’évolution idéale du poids, il n’existe aucune recommandation spécifique après BPG. Dans une étude rétrospective brésilienne portant sur 14 femmes opérées d’un BPG bandé dans les 5 années précédentes, l’apport calorique moyen était de 1800 kcal par jour, dont 71 ±17 g de protéines [25]. Dans notre unité, l’évaluation des apports caloriques des 20 femmes qui ont eu une grossesse après BPG était en moyenne de 1700 cal/ jour avec un apport protidique de 0,74 g/kg/j (données non publiées). Il parait important de fractionner l’alimentation pour approcher les apports recommandés pendant la grossesse [13] et de mener une évaluation diététique chiffrée en macronutriments, calcium et fer. 3. Conclusions et perspectives L’issue des grossesses après BPG parait favorable en termes de risque maternel, fœtal et obstétrical. Les complications spécifiques au BPG (syndrome occlusif, carences nutritionnelles, notamment en vitamines du groupe B) peuvent être dramatiques mais rares. Ces complications nutritionnelles semblent évitables en assurant une alimentation diversifiée, fractionnée et des compléments vitaminiques guidés par les dosages sanguins, les variations de poids, le délai par rapport à la chirurgie, et les situations cliniques (vomissement par exemple). A l’évidence, les données sont insuffisantes pour préconiser une prise en charge plus détaillée. Le recensement systématique de ces grossesses pourrait permettre de répondre aux questions du délai idéal de la grossesse après BPG, de la supplémentation et prise de poids optimales, du devenir « métabolique » des enfants nés de ces grossesses. Dans tous les cas, l’information des patientes, la mise en place d’une contraception efficace avant de programmer une grossesse restent indispensables. L’anticipation des grossesses est importante et une consultation pré-conceptionnelle devrait permettre d’envisager les modalités de prise en charge pendant la grossesse : équilibre alimentaire, contrôle de la prise de poids, adaptation des suppléments vitaminiques, mise au point sur les comorbidités de l’obésité (notamment hypertension artérielle, diabète gestationnel, éventuelles complications respiratoires). Le suivi pluridisciplinaire, et en particulier par une diététicienne formée au suivi de la chirurgie bariatrique, est un autre élément clé de la prise en charge. 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