Ce qu`une économie de marché de capitaux n`est pas
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Ce qu`une économie de marché de capitaux n`est pas
Ce qu'une économie de marché de capitaux n'est pas Jézabel COUPPEY-SOUBEYRAN • Université de Paris I – TEAM Dhafer SAIDANE * • Université de Lille 3 – GREMARS & Épargne Sans Frontière Résumé L’objet de cet article n’est pas de rajouter aux invectives déjà lancées contre les institutions financières internationales, mais plutôt de défaire un certain nombre d’idées reçues à propos de la nature des systèmes financiers et de leur évolution. Le propos que nous entendons défendre est le suivant : la thèse de la libéralisation financière, ou tout au moins l’interprétation qui en est souvent restituée, est infondée parce qu’elle s’appuie sur une vision profondément erronée de ce qu’est une économie de marché de capitaux. Pour ce faire, nous nous appliquons ici à présenter ce qu’une économie de marché de capitaux n’est pas. Une définition par la négative déclinée en quatre points : - Une économie de marchés de capitaux n’est pas un modèle uniforme. - Une économie de marchés de capitaux n’est pas le résultat d’un « évolutionnisme financier ». - Une économie de marchés de capitaux n’est pas nécessairement désintermédiée. - Une économie de marchés de capitaux n’est pas nécessairement déréglementée. Introduction L’analyse de la mutation financière est restée très empreinte d’une vision dichotomique des systèmes financiers (orientés banques / orientés marchés), l’idée étant que le développement des marchés devrait nécessairement produire un basculement d’une économie d’endettement à une économie de marchés de capitaux caractérisée par une désintermédiation des financements. Il est courant d’entendre, par exemple à propos du cas de la France, que la modernisation du secteur bancaire et financier français, opérée au cours des années 1980, aurait permis le passage d’une économie d’endettement, censée caractériser la situation du financement de l’économie française au cours de la période 1960-1980, durant laquelle la bancarisation se développe, à une économie * Les auteurs remercient Bernard PARANQUE ainsi que les participants au colloque « Le financement d’une économie émergente », Nabeul (Tunisie) les 22-23 mai 2003 pour leurs remarques sur une version antérieure de ce papier. 32 TFD 74/Mars 2004 de marché de capitaux où le financement intermédié n’occuperait plus qu’une position résiduelle par rapport au financement direct. Cette vision souvent étendue à l’ensemble des systèmes financiers débouche sur une vision déterministe et linéaire du développement des systèmes financiers : en se développant, les systèmes financiers passeraient de systèmes orientés banques à des systèmes orientés marchés. L’idée de convergence financière vers un modèle uniforme orienté marchés, généralement associé à la situation des pays anglo-saxons, s’appuie sur cette vision déterministe. Pourtant, à bien observer les systèmes financiers des pays industrialisés et, en particulier, ceux des pays anglo-saxons (notamment, les Etats-Unis et le Royaume-Uni), s’il est une caractéristique qui ressort, c’est bien l’absence d’uniformité ou tout au moins la mixité de ces systèmes financiers, caractérisés par la coexistence des différents modes de financements (autofinancement, crédit bancaire, financements de marché). La maturité des systèmes financiers n’est donc en rien assimilable à un système « tout marché », d’autant qu’au fur et à mesure que les financements de marchés s’étendent, ils n’excluent nullement les banques et les autres intermédiaires financiers, qui bien au contraire, participent au développement et à l’approfondissement des marchés de capitaux. Le développement des marchés n’exclut pas davantage l’intervention des pouvoirs publics, en raison de la fragilité intrinsèque de la sphère bancaire et financière. Les réglementations évoluent, changent de nature mais la supervision prudentielle de la sphère bancaire et financière, impliquant nécessairement les pouvoirs publics, demeure indispensable au bon fonctionnement de la sphère bancaire et financière. D’autant plus que si la libéralisation financière est porteuse d’efficacité, elle engendre aussi une instabilité accrue qui renforce le besoin de régulation. En bref, rien au sein des pays industrialisés ne vient prouver l’existence d’un modèle d’économie de marché de capitaux uniforme, libéralisé, déréglementé vers lequel les systèmes financiers auraient progressivement convergé après avoir été dominés par des systèmes orientés banques. La thèse de la convergence financière apparaît ainsi peu fondée. Or à la thèse de la convergence est étroitement liée celle de la libéralisation financière selon laquelle, il conviendrait, pour favoriser la croissance et le développement des pays pauvres, d’opérer une mutation financière (libéralisation des mouvements de capitaux, déréglementation bancaire, ouverture de marchés boursiers,…) destinée à y transposer une économie de marché de capitaux. C’est autour de cette thèse que s’est formé le « consensus de Washington ». Ce dernier désigne l’idéologie qui a conduit les grandes institutions internationales (FMI et Banque mondiale) à faire pression sur les pays en développement pour qu’ils libéralisent rapidement leur système bancaire et financier. L’économie de marché de capitaux dont il s’agissait de promouvoir le développement dans ces pays a dès lors été assimilée à une libéralisation financière importée clé en main, sans emprise sur le terrain, c’est-à-dire sans prise en considération des besoins de financement particuliers de l’économie locale selon les caractéristiques de son tissu économique. Cela a conduit à des contorsions douloureuses de la part des pouvoirs publics locaux entre les exigences d’une telle mutation conforme aux préceptes du consensus de Washington et les pratiques locales. Un véritable chemin de croix pour la plupart de ces pays vécu dans le plus grand désarroi social, avec au final pour certains d’entre eux (pays d’Asie du sud-est et d’Amérique Latine) les graves crises financières que l’on sait. Les stratégies de réduction de la pauvreté mises en place par ces institutions sont loin d’être arrivées à bout des problèmes posés par la libéralisation financière 1. L’objet de cet article n’est pas de rajouter aux invectives déjà lancées contre les institutions financières internationales, mais plutôt de défaire un certain nombre d’idées reçues à propos de la nature des systèmes financiers et de leur évolution. Le propos que nous entendons défendre est le suivant : la thèse de la libéralisation financière est infondée parce qu’elle s’appuie sur une vision profondément erronée de ce qu’est une économie de marché de capitaux. Aussi nous appliquerons-nous à présenter ici ce qu’une économie de marché de capitaux n’est pas ! Une économie de marchés de capitaux n’est pas un modèle uniforme Le modèle anglo-saxon correspond-il à un mythe ou à une réalité ? S’agit-il d’un stéréotype ou d’un véritable archétype ? Ce modèle de finance de marché caractérise-t-il plus le Royaume-Uni et les EtatsUnis que le reste des pays de l’OCDE ? Constitue-til un modèle vers lequel seraient censés converger les systèmes orientés banques ? Le modèle anglo-saxon : mythe ou réalité ? Le modèle anglo-saxon réunirait des pays, en particulier le Royaume-Uni et les Etats-Unis, dont le système financier serait « basé sur le marché financier » (Market-based system), c’est-à-dire caractérisé par un marché financier fortement développé 1. Voir le numéro spécial « Les stratégies de réduction de la pauvreté en débat », Techniques financières et développement, n° 69, décembre 2002. TFD 74/Mars 2004 33 Ce qu'une économie de marché de capitaux n'est pas Jézabel COUPPEY-SOUBEYRAN • Université de Paris I – TEAM Dhafer SAIDANE * • Université de Lille 3 – GREMARS & Épargne Sans Frontière Résumé L’objet de cet article n’est pas de rajouter aux invectives déjà lancées contre les institutions financières internationales, mais plutôt de défaire un certain nombre d’idées reçues à propos de la nature des systèmes financiers et de leur évolution. Le propos que nous entendons défendre est le suivant : la thèse de la libéralisation financière, ou tout au moins l’interprétation qui en est souvent restituée, est infondée parce qu’elle s’appuie sur une vision profondément erronée de ce qu’est une économie de marché de capitaux. Pour ce faire, nous nous appliquons ici à présenter ce qu’une économie de marché de capitaux n’est pas. Une définition par la négative déclinée en quatre points : - Une économie de marchés de capitaux n’est pas un modèle uniforme. - Une économie de marchés de capitaux n’est pas le résultat d’un « évolutionnisme financier ». - Une économie de marchés de capitaux n’est pas nécessairement désintermédiée. - Une économie de marchés de capitaux n’est pas nécessairement déréglementée. Introduction L’analyse de la mutation financière est restée très empreinte d’une vision dichotomique des systèmes financiers (orientés banques / orientés marchés), l’idée étant que le développement des marchés devrait nécessairement produire un basculement d’une économie d’endettement à une économie de marchés de capitaux caractérisée par une désintermédiation des financements. Il est courant d’entendre, par exemple à propos du cas de la France, que la modernisation du secteur bancaire et financier français, opérée au cours des années 1980, aurait permis le passage d’une économie d’endettement, censée caractériser la situation du financement de l’économie française au cours de la période 1960-1980, durant laquelle la bancarisation se développe, à une économie * Les auteurs remercient Bernard PARANQUE ainsi que les participants au colloque « Le financement d’une économie émergente », Nabeul (Tunisie) les 22-23 mai 2003 pour leurs remarques sur une version antérieure de ce papier. 32 TFD 74/Mars 2004 de marché de capitaux où le financement intermédié n’occuperait plus qu’une position résiduelle par rapport au financement direct. Cette vision souvent étendue à l’ensemble des systèmes financiers débouche sur une vision déterministe et linéaire du développement des systèmes financiers : en se développant, les systèmes financiers passeraient de systèmes orientés banques à des systèmes orientés marchés. L’idée de convergence financière vers un modèle uniforme orienté marchés, généralement associé à la situation des pays anglo-saxons, s’appuie sur cette vision déterministe. Pourtant, à bien observer les systèmes financiers des pays industrialisés et, en particulier, ceux des pays anglo-saxons (notamment, les Etats-Unis et le Royaume-Uni), s’il est une caractéristique qui ressort, c’est bien l’absence d’uniformité ou tout au moins la mixité de ces systèmes financiers, caractérisés par la coexistence des différents modes de financements (autofinancement, crédit bancaire, financements de marché). La maturité des systèmes financiers n’est donc en rien assimilable à un système « tout marché », d’autant qu’au fur et à mesure que les financements de marchés s’étendent, ils n’excluent nullement les banques et les autres intermédiaires financiers, qui bien au contraire, participent au développement et à l’approfondissement des marchés de capitaux. Le développement des marchés n’exclut pas davantage l’intervention des pouvoirs publics, en raison de la fragilité intrinsèque de la sphère bancaire et financière. Les réglementations évoluent, changent de nature mais la supervision prudentielle de la sphère bancaire et financière, impliquant nécessairement les pouvoirs publics, demeure indispensable au bon fonctionnement de la sphère bancaire et financière. D’autant plus que si la libéralisation financière est porteuse d’efficacité, elle engendre aussi une instabilité accrue qui renforce le besoin de régulation. En bref, rien au sein des pays industrialisés ne vient prouver l’existence d’un modèle d’économie de marché de capitaux uniforme, libéralisé, déréglementé vers lequel les systèmes financiers auraient progressivement convergé après avoir été dominés par des systèmes orientés banques. La thèse de la convergence financière apparaît ainsi peu fondée. Or à la thèse de la convergence est étroitement liée celle de la libéralisation financière selon laquelle, il conviendrait, pour favoriser la croissance et le développement des pays pauvres, d’opérer une mutation financière (libéralisation des mouvements de capitaux, déréglementation bancaire, ouverture de marchés boursiers,…) destinée à y transposer une économie de marché de capitaux. C’est autour de cette thèse que s’est formé le « consensus de Washington ». Ce dernier désigne l’idéologie qui a conduit les grandes institutions internationales (FMI et Banque mondiale) à faire pression sur les pays en développement pour qu’ils libéralisent rapidement leur système bancaire et financier. L’économie de marché de capitaux dont il s’agissait de promouvoir le développement dans ces pays a dès lors été assimilée à une libéralisation financière importée clé en main, sans emprise sur le terrain, c’est-à-dire sans prise en considération des besoins de financement particuliers de l’économie locale selon les caractéristiques de son tissu économique. Cela a conduit à des contorsions douloureuses de la part des pouvoirs publics locaux entre les exigences d’une telle mutation conforme aux préceptes du consensus de Washington et les pratiques locales. Un véritable chemin de croix pour la plupart de ces pays vécu dans le plus grand désarroi social, avec au final pour certains d’entre eux (pays d’Asie du sud-est et d’Amérique Latine) les graves crises financières que l’on sait. Les stratégies de réduction de la pauvreté mises en place par ces institutions sont loin d’être arrivées à bout des problèmes posés par la libéralisation financière 1. L’objet de cet article n’est pas de rajouter aux invectives déjà lancées contre les institutions financières internationales, mais plutôt de défaire un certain nombre d’idées reçues à propos de la nature des systèmes financiers et de leur évolution. Le propos que nous entendons défendre est le suivant : la thèse de la libéralisation financière est infondée parce qu’elle s’appuie sur une vision profondément erronée de ce qu’est une économie de marché de capitaux. Aussi nous appliquerons-nous à présenter ici ce qu’une économie de marché de capitaux n’est pas ! Une économie de marchés de capitaux n’est pas un modèle uniforme Le modèle anglo-saxon correspond-il à un mythe ou à une réalité ? S’agit-il d’un stéréotype ou d’un véritable archétype ? Ce modèle de finance de marché caractérise-t-il plus le Royaume-Uni et les EtatsUnis que le reste des pays de l’OCDE ? Constitue-til un modèle vers lequel seraient censés converger les systèmes orientés banques ? Le modèle anglo-saxon : mythe ou réalité ? Le modèle anglo-saxon réunirait des pays, en particulier le Royaume-Uni et les Etats-Unis, dont le système financier serait « basé sur le marché financier » (Market-based system), c’est-à-dire caractérisé par un marché financier fortement développé 1. Voir le numéro spécial « Les stratégies de réduction de la pauvreté en débat », Techniques financières et développement, n° 69, décembre 2002. TFD 74/Mars 2004 33 et un système bancaire participant faiblement à l’allocation des ressources et à l’acquisition d’actifs financiers. L’essentiel des fonds de long terme serait mobilisé par le marché financier, ce qui favoriserait les fusions et les prises de contrôle. La propriété des firmes serait composée d’un nombre important d’actionnaires (Shareholders) détenant chacun un petit nombre d’actions, d’où une forte dilution du capital. Le contrôle de la firme se ferait de l’extérieur, c’est-à-dire principalement par des investisseurs institutionnels comme les fonds de pension et les compagnies d’assurance. apparente – d’une capacité d’emprunt. Son but n’est alors pas d’étudier l’importance relative de chacun de ces deux secteurs mais de saisir les implications de cette distinction en matière de politique monétaire 2. Il mentionne simplement à cet égard que « dans certains pays – dont [il] présume, les EtatsUnis- le secteur à fonds propres est important et le secteur à découvert, réduit ; dans d’autres, tels que le Royaume-Uni, le secteur à découvert est plus important ». Autrement dit, il note la présence simultanée de ces deux types de secteurs dans « presque toutes les économies » de son époque. A l’opposé se situeraient des pays comme le Japon ou l’Allemagne, où le système financier serait « basé sur la banque » (Bank-based system), avec une forte participation des banques dans l’industrie se traduisant par leur présence marquée dans l’équipe de gestion et dans la surveillance. Un petit nombre de grandes banques financerait des investissements de long terme et jouerait donc un rôle clé dans le processus de croissance. Les firmes seraient ainsi très liées aux banques par les crédits qu’elles contractent plus que par les titres qu’elles émettent sur le marché. Il y aurait très peu de fusions et de prises de contrôle. Le contrôle de la firme se ferait de l’intérieur (stakeholders), c’est-à-dire par les propriétaires représentés par un petit nombre d’actionnaires détenant un nombre important d’actions. La taxinomie traditionnelle des systèmes financiers repose néanmoins sur les deux cas purs évoqués par Hicks, celui d’une économie à fonds propres – sans secteur à découvert – et celui d’une économie à découvert où les entreprises ne détiendraient pas de réserves liquides, et seraient « totalement dépendantes des banques pour leur liquidité ». Cette taxinomie binaire oppose « économie d’endettement » où prédominerait le crédit bancaire (financement indirect) et « économie de marchés de capitaux » où prédominerait l’émission de titre (financement indirect). A l’échelle macroéconomique, le clivage « market based system » versus « bank based system » se rapporte à celui entre « économie de marché de capitaux » et « économie d’endettement ». Cette distinction qui constitue la base de la taxinomie traditionnelle des systèmes financiers est attribuée à John Hicks. Dans The Crisis in Keynesian economics (La crise de l’économie keynésienne), en 1974, Hicks est en effet amené à distinguer entre deux types d’entreprises dont les besoins de liquidités diffèrent et ne sont pas satisfaits de la même manière : les entreprises du secteur à fonds propres (« auto-sector ») et celles du secteur à découvert (« overdraft sector »). Il établit que les entreprises du secteur à fonds propres assurent leur liquidité « principalement grâce à la possession en propre d’actifs liquides » tandis que dans le second, les entreprises pourvoient à leurs besoins de liquidité grâce à l’assurance – au moins 34 TFD 74/Mars 2004 L’hétérogénéité manifeste des structures de financements Lorsqu’on examine la structure du financement des entreprises non financières (ENF), on s’éloigne considérablement de l’idée même d’un tel modèle uniforme et a fortiori d’une convergence financière. L’évolution de cette structure, au cours d’une vingtaine d’années (1970-1994), révèle clairement la coexistence des différents modes de financements, financement interne (autofinancement) et financement externe, et au sein de ce dernier la coexistence du crédit et des financements de marché. L’analyse des flux nets de financements (Amable et Paillard (2002)) reportée dans le tableau 1 confirme la diversité des configurations : 2. Cette distinction lui permet de motiver son rejet d’une conclusion alors largement répandue et hâtive à son sens, selon laquelle, à la lecture de la théorie keynésienne, « on ne peut rien faire d’important avec la politique monétaire ». Hicks s’applique à montrer que « l’impotence relative de la politique monétaire (…) n’a pas un caractère universel » et qu’elle ne vaut que pour une « économie à fonds propres ». Tableau 1 : Structure du financement net des ENF 1970-1994 (en % du total) États-Unis Autofinancement Actions Crédits bancaires 4 Obligations Autres titres de dette 96,1 -7,6 11,1 15,4 -15 Japon Allemagne R. U Italie 69,9 3,5 26,7 4 -4,1 78,9 0,1 11,9 -1 10,1 93,3 -4,6 14,6 4,2 -7,5 59,5 11,5 30,1 -3,4 2,3 France 1 Pays-Bas 2 Suède 3 72,8 5,4 25,7 3,2 -7,1 106,9 -6,2 17,5 0,7 -18,9 77 -3 50,4 -12,8 -11,6 Sources : Amable et Paillard (2002) 1. 1970-1996 2. 1985-1996 3. 1980-1996 4. Pour la France, les Pays-Bas et la Suède, total des emprunts à court et à long terme. L’étude de Amable et Paillard (2002) aboutit à plusieurs résultats intéressants. L’autofinancement est prépondérant dans tous les pays et en particulier dans ceux traditionnellement classés dans les systèmes fondés sur le marché (96 % aux Etats-Unis, 93 % au Royaume-Uni). Le recours aux crédits bancaires est partout plus important que les financements de marché (actions, obligations et titres courts). En Allemagne, censée être l’archétype du système fondé sur la banque, la part du crédit figure parmi les plus faibles et équivaut à celle qui prévaut aux Etats-Unis (environ 11 %). Le niveau relativement faible de recours aux crédits bancaires en Allemagne et le niveau relativement élevé du financement interne (environ 80 %) rapprocheraient ce pays des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Une précision s’impose toutefois dans la mesure où, en Allemagne, seules les PME sont caractérisées par un faible niveau d’autofinancement et un fort endettement auprès des banques (Sauvé et Scheuer (1999)). En revanche, les grandes ENF allemandes financent leurs investissements grâce à leurs fonds propres. Ainsi le « modèle allemand » d’un financement fondé sur la banque correspond essentiellement à celui des PME du pays, distinctes à cet égard des grandes entreprises dont le mode de financement est plus proche du modèle anglo-saxon. En ce qui concerne les appels au marché, ils se révèlent plus faibles que le recours au crédit et sont d’une ampleur équivalente aux Etats-Unis (7,8 %), au Japon (7,5 %), en France (7,6 %) et en Italie (8.1 %). Ils sont négatifs dans tous les autres pays notamment au Royaume-Uni (-0,4 %) : les ENF rachètent leurs propres actions afin d’augmenter la valeur actionna- riale et de se protéger des OPA. Lorsqu’il n’est pas négatif, le flux net des émissions d’actions contribue faiblement au financement des ENF, excepté en Italie. Dans leur ensemble, ces résultats ne soutiennent guère la classification académique habituellement retenue dans la littérature : « Bank based » vs « Market Based ». Cette distinction apparaît en outre d’autant moins bien fondée que la baisse du recours au crédit bancaire traduit bien davantage un ralentissement de l’investissement en capital physique qu’une évolution de la structure des financements. L’examen de la structure de la dette des ENF (Augory et Pansard, 2003) ne remet pas moins en question la validité d’un modèle uniforme de financement anglo-saxon (Cf. Tableau 2) : Tableau 2 - Composition de la dette des ENF (en % hors crédits commerciaux) Titres du marché monétaire Obligations Crédits 1995 2001 1995 2001 1995 2001 Italie 0,4 0,4 3,5 4,0 96,2 95,6 Allemagne 0,3 1,4 6,1 3,1 93,6 95,5 Espagne 2,9 0,9 7,8 3,9 89,3 95,2 France 3,3 5,0 13,7 14,6 83,0 80,4 Royaume-Uni 3,0 2,6 17,5 22,4 79,5 75,0 Etats-Unis 6,0 4,3 51,4 57,6 42,5 38,1 Source : Augory et Pansard (2003) TFD 74/Mars 2004 35 et un système bancaire participant faiblement à l’allocation des ressources et à l’acquisition d’actifs financiers. L’essentiel des fonds de long terme serait mobilisé par le marché financier, ce qui favoriserait les fusions et les prises de contrôle. La propriété des firmes serait composée d’un nombre important d’actionnaires (Shareholders) détenant chacun un petit nombre d’actions, d’où une forte dilution du capital. Le contrôle de la firme se ferait de l’extérieur, c’est-à-dire principalement par des investisseurs institutionnels comme les fonds de pension et les compagnies d’assurance. apparente – d’une capacité d’emprunt. Son but n’est alors pas d’étudier l’importance relative de chacun de ces deux secteurs mais de saisir les implications de cette distinction en matière de politique monétaire 2. Il mentionne simplement à cet égard que « dans certains pays – dont [il] présume, les EtatsUnis- le secteur à fonds propres est important et le secteur à découvert, réduit ; dans d’autres, tels que le Royaume-Uni, le secteur à découvert est plus important ». Autrement dit, il note la présence simultanée de ces deux types de secteurs dans « presque toutes les économies » de son époque. A l’opposé se situeraient des pays comme le Japon ou l’Allemagne, où le système financier serait « basé sur la banque » (Bank-based system), avec une forte participation des banques dans l’industrie se traduisant par leur présence marquée dans l’équipe de gestion et dans la surveillance. Un petit nombre de grandes banques financerait des investissements de long terme et jouerait donc un rôle clé dans le processus de croissance. Les firmes seraient ainsi très liées aux banques par les crédits qu’elles contractent plus que par les titres qu’elles émettent sur le marché. Il y aurait très peu de fusions et de prises de contrôle. Le contrôle de la firme se ferait de l’intérieur (stakeholders), c’est-à-dire par les propriétaires représentés par un petit nombre d’actionnaires détenant un nombre important d’actions. La taxinomie traditionnelle des systèmes financiers repose néanmoins sur les deux cas purs évoqués par Hicks, celui d’une économie à fonds propres – sans secteur à découvert – et celui d’une économie à découvert où les entreprises ne détiendraient pas de réserves liquides, et seraient « totalement dépendantes des banques pour leur liquidité ». Cette taxinomie binaire oppose « économie d’endettement » où prédominerait le crédit bancaire (financement indirect) et « économie de marchés de capitaux » où prédominerait l’émission de titre (financement indirect). A l’échelle macroéconomique, le clivage « market based system » versus « bank based system » se rapporte à celui entre « économie de marché de capitaux » et « économie d’endettement ». Cette distinction qui constitue la base de la taxinomie traditionnelle des systèmes financiers est attribuée à John Hicks. Dans The Crisis in Keynesian economics (La crise de l’économie keynésienne), en 1974, Hicks est en effet amené à distinguer entre deux types d’entreprises dont les besoins de liquidités diffèrent et ne sont pas satisfaits de la même manière : les entreprises du secteur à fonds propres (« auto-sector ») et celles du secteur à découvert (« overdraft sector »). Il établit que les entreprises du secteur à fonds propres assurent leur liquidité « principalement grâce à la possession en propre d’actifs liquides » tandis que dans le second, les entreprises pourvoient à leurs besoins de liquidité grâce à l’assurance – au moins 34 TFD 74/Mars 2004 L’hétérogénéité manifeste des structures de financements Lorsqu’on examine la structure du financement des entreprises non financières (ENF), on s’éloigne considérablement de l’idée même d’un tel modèle uniforme et a fortiori d’une convergence financière. L’évolution de cette structure, au cours d’une vingtaine d’années (1970-1994), révèle clairement la coexistence des différents modes de financements, financement interne (autofinancement) et financement externe, et au sein de ce dernier la coexistence du crédit et des financements de marché. L’analyse des flux nets de financements (Amable et Paillard (2002)) reportée dans le tableau 1 confirme la diversité des configurations : 2. Cette distinction lui permet de motiver son rejet d’une conclusion alors largement répandue et hâtive à son sens, selon laquelle, à la lecture de la théorie keynésienne, « on ne peut rien faire d’important avec la politique monétaire ». Hicks s’applique à montrer que « l’impotence relative de la politique monétaire (…) n’a pas un caractère universel » et qu’elle ne vaut que pour une « économie à fonds propres ». Tableau 1 : Structure du financement net des ENF 1970-1994 (en % du total) États-Unis Autofinancement Actions Crédits bancaires 4 Obligations Autres titres de dette 96,1 -7,6 11,1 15,4 -15 Japon Allemagne R. U Italie 69,9 3,5 26,7 4 -4,1 78,9 0,1 11,9 -1 10,1 93,3 -4,6 14,6 4,2 -7,5 59,5 11,5 30,1 -3,4 2,3 France 1 Pays-Bas 2 Suède 3 72,8 5,4 25,7 3,2 -7,1 106,9 -6,2 17,5 0,7 -18,9 77 -3 50,4 -12,8 -11,6 Sources : Amable et Paillard (2002) 1. 1970-1996 2. 1985-1996 3. 1980-1996 4. Pour la France, les Pays-Bas et la Suède, total des emprunts à court et à long terme. L’étude de Amable et Paillard (2002) aboutit à plusieurs résultats intéressants. L’autofinancement est prépondérant dans tous les pays et en particulier dans ceux traditionnellement classés dans les systèmes fondés sur le marché (96 % aux Etats-Unis, 93 % au Royaume-Uni). Le recours aux crédits bancaires est partout plus important que les financements de marché (actions, obligations et titres courts). En Allemagne, censée être l’archétype du système fondé sur la banque, la part du crédit figure parmi les plus faibles et équivaut à celle qui prévaut aux Etats-Unis (environ 11 %). Le niveau relativement faible de recours aux crédits bancaires en Allemagne et le niveau relativement élevé du financement interne (environ 80 %) rapprocheraient ce pays des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Une précision s’impose toutefois dans la mesure où, en Allemagne, seules les PME sont caractérisées par un faible niveau d’autofinancement et un fort endettement auprès des banques (Sauvé et Scheuer (1999)). En revanche, les grandes ENF allemandes financent leurs investissements grâce à leurs fonds propres. Ainsi le « modèle allemand » d’un financement fondé sur la banque correspond essentiellement à celui des PME du pays, distinctes à cet égard des grandes entreprises dont le mode de financement est plus proche du modèle anglo-saxon. En ce qui concerne les appels au marché, ils se révèlent plus faibles que le recours au crédit et sont d’une ampleur équivalente aux Etats-Unis (7,8 %), au Japon (7,5 %), en France (7,6 %) et en Italie (8.1 %). Ils sont négatifs dans tous les autres pays notamment au Royaume-Uni (-0,4 %) : les ENF rachètent leurs propres actions afin d’augmenter la valeur actionna- riale et de se protéger des OPA. Lorsqu’il n’est pas négatif, le flux net des émissions d’actions contribue faiblement au financement des ENF, excepté en Italie. Dans leur ensemble, ces résultats ne soutiennent guère la classification académique habituellement retenue dans la littérature : « Bank based » vs « Market Based ». Cette distinction apparaît en outre d’autant moins bien fondée que la baisse du recours au crédit bancaire traduit bien davantage un ralentissement de l’investissement en capital physique qu’une évolution de la structure des financements. L’examen de la structure de la dette des ENF (Augory et Pansard, 2003) ne remet pas moins en question la validité d’un modèle uniforme de financement anglo-saxon (Cf. Tableau 2) : Tableau 2 - Composition de la dette des ENF (en % hors crédits commerciaux) Titres du marché monétaire Obligations Crédits 1995 2001 1995 2001 1995 2001 Italie 0,4 0,4 3,5 4,0 96,2 95,6 Allemagne 0,3 1,4 6,1 3,1 93,6 95,5 Espagne 2,9 0,9 7,8 3,9 89,3 95,2 France 3,3 5,0 13,7 14,6 83,0 80,4 Royaume-Uni 3,0 2,6 17,5 22,4 79,5 75,0 Etats-Unis 6,0 4,3 51,4 57,6 42,5 38,1 Source : Augory et Pansard (2003) TFD 74/Mars 2004 35 Seuls les Etats-Unis constituent une véritable exception par rapport au reste des pays. Le Royaume-Uni qu’il est courant d’y associer pour désigner le modèle de financement anglo-saxon ne présente guère de similitudes en réalité. Le rôle des titres dans le financement des ENF est sans commune mesure. Il atteint aux Etats-Unis 62 % alors que pour les ENF britanniques et françaises, il est respectivement de 25 % et 20 %. Dans tous les pays, hormis les Etats-Unis, les prêts bancaires constituent le mode d’endettement privilégié des ENF, traduisant la robustesse sinon la nécessité de la relation de long terme banque-entreprise, notamment pour des ENF n’ayant pas un bon rating sur le marché. Une économie de marchés de capitaux n’est pas le résultat d’un « évolutionnisme financier » La taxinomie traditionnelle des systèmes financiers a malheureusement inspiré le « consensus de Washington ». Or, elle néglige la nécessaire mixité des systèmes financiers fondée sur la complémentarité entre les deux modes de financements externes que sont le marché et l’intermédiation financière. De plus, elle n’intègre pas le fait que la libéralisation financière nécessite du temps et de la tempérance et qu’elle doit s’adapter au tissu économique. La taxinomie traditionnelle a malheureusement inspiré le « consensus de Washington » La taxinomie traditionnelle telle qu’on l’a présentée met en évidence deux catégories de systèmes financiers : celui basé sur la banque (Bank-based) et celui basé sur le marché (Market-based). Dans les catégorisations les plus dichotomiques, le système financier orienté vers la banque est un système administré, c’est-à-dire assisté par l’Etat (State-assisted) ou engendré par l’Etat (State-engendred) (Rybczynski (1984)). Inversement, le système financier orienté vers le marché financier est un système libéralisé. Autrement dit, le financement bancaire est, à 36 TFD 74/Mars 2004 l’extrême, assimilé à un financement réglementé ou administré à l’opposé du financement de marché qui serait déréglementé ou libéralisé. Dans cette logique binaire, la banque signifie nécessairement l’administration, la répression 3 et la réglementation et à l’opposé, le marché financier la libéralisation, la déréglementation. Cette vision des choses sous-tend les thèses évolutionnistes du « gradualisme » (Sequencing financier) selon lesquelles, le système financier devrait évoluer par une succession d’étapes, en partant des banques pour finir par le marché, se défaisant ainsi de la mainmise des Etats (McKinnon, 1991). Ces thèses ont forgé le consensus des grandes institutions financières internationales (FMI et Banque mondiale) autour de la nécessité de libéraliser les systèmes financiers des pays en développement pour les ouvrir aux capitaux extérieurs. Conformément aux vues présentées plus haut, cette politique de libéralisation financière s’est malheureusement focalisée sur le développement du marché financier, sans se préoccuper dans la même mesure du secteur bancaire qu’il aurait pourtant fallu au préalable consolider au moyen de règles et d’exigences prudentielles adéquates. Cette situation n’a fait qu’encourager le marché à évoluer vers des activités spéculatives (ClémentPitiot, 2001). La libéralisation financière nécessite du temps et de la tempérance « [...] dans les pays en développement, l’étendue des réformes ne doit pas nous induire en erreur en pensant que celles-ci peuvent avoir lieu du jour au lendemain. Le processus d’élaboration d’un système financier robuste est une action longue et difficile. De ce fait, nous avons besoin d’être réalistes. Les économies en développement sont moins prédisposées à une régulation financière et plus vulnérables aux chocs financiers. Nous avons besoin de tenir compte de cette vulnérabilité dans nos recommandations en particulier durant le processus d’ouverture 3. La répression financière fait référence aux restrictions gouvernementales se manifestant par la réglementation des taux d’intérêt, la fixation du taux de réserves obligatoires à un niveau élevé, l’orientation administrative de l’offre du crédit et la limitation de la concurrence bancaire. des marchés de capitaux sur le reste du monde ainsi que durant la libéralisation du secteur de la finance » (Stiglitz, 1998 a). Le temps est l’un des obstacles majeurs à la libéralisation financière et à l’instauration d’une économie de marché de capitaux. En effet, l’innovation financière de produits et de processus une fois établie n’est pas adoptée instantanément par les acteurs. Il faut un temps d’apprentissage suivi d’un temps d’évaluation des changements. Le temps nécessaire à l’adaptation, à la formation et à l’adhésion des acteurs locaux aux nouvelles institutions peut être plus long que prévu. Il est en tout cas plus long que le temps exigé par la mise en place des réformes et des textes. En outre, les coûts induits par ce double effort d’apprentissage et d’adaptation sont à évaluer à l’aune des rentes existantes résultant des pratiques locales courantes. Ainsi, même à supposer que les systèmes orientés marchés puissent constituer un standard transposable des pays riches vers les pays pauvres, la prise en compte de ce temps réduit à bien peu la pertinence des scénarios de basculement des systèmes orientés banques vers les systèmes orientés marchés. La libéralisation financière doit s’adapter au tissu économique On s’est attaché à montrer le peu d’emprise empirique d’une vision polaire des systèmes financiers opposant le système orienté banque à celui orienté marché et dont l’évolution se réduirait à une trajectoire linéaire qui irait du premier vers le second. L’hétérogénéité des systèmes financiers est, au contraire, manifeste. Empiriquement, il n’existe aucun modèle standard car chaque système financier présente des spécificités, liées en grande partie à l’apprentissage mutuel de l’industrie et de la finance. Rien n’assure en conséquence qu’une industrie croisse plus rapidement dans un système financier basé sur le marché que dans un système basé sur la banque (Beck et Levine, 2000). L’accent doit être mis sur les besoins de financement des entreprises locales. La configuration des systèmes financiers dépend fondamentalement de la qualité de la réponse financière apportée au tissu économique. Le problème n’est donc pas de savoir comment orienter les pays pauvres vers des systèmes financiers orientés marché, mais plutôt de quels systèmes financiers ont besoin les entreprises d’un pays pauvre afin d’entraîner la croissance et de faire baisser le chômage. Or, si l’on part du principe qu’il s’agit essentiellement de répondre aux besoins de financement d’entreprises jeunes et de petite taille qui, en raison de ces caractéristiques, présentent un risque de signature élevé et parviennent difficilement à se signaler aux marchés, le financement à réaliser est à assimiler à un actif hautement « spécifique » 4 qui confère aux banques (et à d’autres intermédiaires financiers) un avantage comparatif très net sur le marché. C’est dire à nouveau combien il peut être dommageable, dans le cadre d’une politique de développement financier, de concentrer les efforts de modernisation sur les marchés financiers sans l’accompagner d’un effort de même ampleur au niveau du secteur des intermédiaires bancaires et financiers. Une économie de marchés de capitaux n’est pas nécessairement désintermédiée Au cours de l’évolution des systèmes bancaires et financiers, l’intermédiation bancaire et financière peut connaître des phases de repli, mais il n’y a pas lieu de penser, contrairement à l’idée reçue, que cela coïncide avec une période de développement des marchés. L’essor des marchés de capitaux nécessite tout autant les apports massifs de liquidité des intermédiaires financiers, qu’il assure à ces derniers les débouchés de nouvelles activités. La désintermédiation n’est donc pas une conséquence naturelle du développement des marchés, encore moins une condition souhaitable qui faciliterait leur essor. Quel que soit leur degré de maturité, « tous les pays [systèmes financiers] sont orientés vers la banque d’une manière plus ou moins importante » 5. 4. C’est-à-dire un actif difficilement « redéployable » au sens de la théorie des coûts de transaction (Williamson, 1994). 5. Christensen (1992), cité par Goux (1993). TFD 74/Mars 2004 37 Seuls les Etats-Unis constituent une véritable exception par rapport au reste des pays. Le Royaume-Uni qu’il est courant d’y associer pour désigner le modèle de financement anglo-saxon ne présente guère de similitudes en réalité. Le rôle des titres dans le financement des ENF est sans commune mesure. Il atteint aux Etats-Unis 62 % alors que pour les ENF britanniques et françaises, il est respectivement de 25 % et 20 %. Dans tous les pays, hormis les Etats-Unis, les prêts bancaires constituent le mode d’endettement privilégié des ENF, traduisant la robustesse sinon la nécessité de la relation de long terme banque-entreprise, notamment pour des ENF n’ayant pas un bon rating sur le marché. Une économie de marchés de capitaux n’est pas le résultat d’un « évolutionnisme financier » La taxinomie traditionnelle des systèmes financiers a malheureusement inspiré le « consensus de Washington ». Or, elle néglige la nécessaire mixité des systèmes financiers fondée sur la complémentarité entre les deux modes de financements externes que sont le marché et l’intermédiation financière. De plus, elle n’intègre pas le fait que la libéralisation financière nécessite du temps et de la tempérance et qu’elle doit s’adapter au tissu économique. La taxinomie traditionnelle a malheureusement inspiré le « consensus de Washington » La taxinomie traditionnelle telle qu’on l’a présentée met en évidence deux catégories de systèmes financiers : celui basé sur la banque (Bank-based) et celui basé sur le marché (Market-based). Dans les catégorisations les plus dichotomiques, le système financier orienté vers la banque est un système administré, c’est-à-dire assisté par l’Etat (State-assisted) ou engendré par l’Etat (State-engendred) (Rybczynski (1984)). Inversement, le système financier orienté vers le marché financier est un système libéralisé. Autrement dit, le financement bancaire est, à 36 TFD 74/Mars 2004 l’extrême, assimilé à un financement réglementé ou administré à l’opposé du financement de marché qui serait déréglementé ou libéralisé. Dans cette logique binaire, la banque signifie nécessairement l’administration, la répression 3 et la réglementation et à l’opposé, le marché financier la libéralisation, la déréglementation. Cette vision des choses sous-tend les thèses évolutionnistes du « gradualisme » (Sequencing financier) selon lesquelles, le système financier devrait évoluer par une succession d’étapes, en partant des banques pour finir par le marché, se défaisant ainsi de la mainmise des Etats (McKinnon, 1991). Ces thèses ont forgé le consensus des grandes institutions financières internationales (FMI et Banque mondiale) autour de la nécessité de libéraliser les systèmes financiers des pays en développement pour les ouvrir aux capitaux extérieurs. Conformément aux vues présentées plus haut, cette politique de libéralisation financière s’est malheureusement focalisée sur le développement du marché financier, sans se préoccuper dans la même mesure du secteur bancaire qu’il aurait pourtant fallu au préalable consolider au moyen de règles et d’exigences prudentielles adéquates. Cette situation n’a fait qu’encourager le marché à évoluer vers des activités spéculatives (ClémentPitiot, 2001). La libéralisation financière nécessite du temps et de la tempérance « [...] dans les pays en développement, l’étendue des réformes ne doit pas nous induire en erreur en pensant que celles-ci peuvent avoir lieu du jour au lendemain. Le processus d’élaboration d’un système financier robuste est une action longue et difficile. De ce fait, nous avons besoin d’être réalistes. Les économies en développement sont moins prédisposées à une régulation financière et plus vulnérables aux chocs financiers. Nous avons besoin de tenir compte de cette vulnérabilité dans nos recommandations en particulier durant le processus d’ouverture 3. La répression financière fait référence aux restrictions gouvernementales se manifestant par la réglementation des taux d’intérêt, la fixation du taux de réserves obligatoires à un niveau élevé, l’orientation administrative de l’offre du crédit et la limitation de la concurrence bancaire. des marchés de capitaux sur le reste du monde ainsi que durant la libéralisation du secteur de la finance » (Stiglitz, 1998 a). Le temps est l’un des obstacles majeurs à la libéralisation financière et à l’instauration d’une économie de marché de capitaux. En effet, l’innovation financière de produits et de processus une fois établie n’est pas adoptée instantanément par les acteurs. Il faut un temps d’apprentissage suivi d’un temps d’évaluation des changements. Le temps nécessaire à l’adaptation, à la formation et à l’adhésion des acteurs locaux aux nouvelles institutions peut être plus long que prévu. Il est en tout cas plus long que le temps exigé par la mise en place des réformes et des textes. En outre, les coûts induits par ce double effort d’apprentissage et d’adaptation sont à évaluer à l’aune des rentes existantes résultant des pratiques locales courantes. Ainsi, même à supposer que les systèmes orientés marchés puissent constituer un standard transposable des pays riches vers les pays pauvres, la prise en compte de ce temps réduit à bien peu la pertinence des scénarios de basculement des systèmes orientés banques vers les systèmes orientés marchés. La libéralisation financière doit s’adapter au tissu économique On s’est attaché à montrer le peu d’emprise empirique d’une vision polaire des systèmes financiers opposant le système orienté banque à celui orienté marché et dont l’évolution se réduirait à une trajectoire linéaire qui irait du premier vers le second. L’hétérogénéité des systèmes financiers est, au contraire, manifeste. Empiriquement, il n’existe aucun modèle standard car chaque système financier présente des spécificités, liées en grande partie à l’apprentissage mutuel de l’industrie et de la finance. Rien n’assure en conséquence qu’une industrie croisse plus rapidement dans un système financier basé sur le marché que dans un système basé sur la banque (Beck et Levine, 2000). L’accent doit être mis sur les besoins de financement des entreprises locales. La configuration des systèmes financiers dépend fondamentalement de la qualité de la réponse financière apportée au tissu économique. Le problème n’est donc pas de savoir comment orienter les pays pauvres vers des systèmes financiers orientés marché, mais plutôt de quels systèmes financiers ont besoin les entreprises d’un pays pauvre afin d’entraîner la croissance et de faire baisser le chômage. Or, si l’on part du principe qu’il s’agit essentiellement de répondre aux besoins de financement d’entreprises jeunes et de petite taille qui, en raison de ces caractéristiques, présentent un risque de signature élevé et parviennent difficilement à se signaler aux marchés, le financement à réaliser est à assimiler à un actif hautement « spécifique » 4 qui confère aux banques (et à d’autres intermédiaires financiers) un avantage comparatif très net sur le marché. C’est dire à nouveau combien il peut être dommageable, dans le cadre d’une politique de développement financier, de concentrer les efforts de modernisation sur les marchés financiers sans l’accompagner d’un effort de même ampleur au niveau du secteur des intermédiaires bancaires et financiers. Une économie de marchés de capitaux n’est pas nécessairement désintermédiée Au cours de l’évolution des systèmes bancaires et financiers, l’intermédiation bancaire et financière peut connaître des phases de repli, mais il n’y a pas lieu de penser, contrairement à l’idée reçue, que cela coïncide avec une période de développement des marchés. L’essor des marchés de capitaux nécessite tout autant les apports massifs de liquidité des intermédiaires financiers, qu’il assure à ces derniers les débouchés de nouvelles activités. La désintermédiation n’est donc pas une conséquence naturelle du développement des marchés, encore moins une condition souhaitable qui faciliterait leur essor. Quel que soit leur degré de maturité, « tous les pays [systèmes financiers] sont orientés vers la banque d’une manière plus ou moins importante » 5. 4. C’est-à-dire un actif difficilement « redéployable » au sens de la théorie des coûts de transaction (Williamson, 1994). 5. Christensen (1992), cité par Goux (1993). TFD 74/Mars 2004 37 Le développement des marchés s’est accompagné d’un développement concomitant des intermédiaires financiers Le développement des marchés, via l’introduction de nouveaux produits et l’ouverture de nouveaux compartiments de marché, a soutenu une demande croissante de financement de la part des agents non financiers (ANF). Or, une offre de fonds doit nécessairement satisfaire à cette demande. Si la demande de financement des ANF à besoin de financement (sociétés non financières, administrations publiques) ne rencontre pas directement l’offre de financement des ménages (la détention de titres en direct par les ménages demeure faible), c’est nécessairement qu’elle est satisfaite par l’offre de fonds des intermédiaires financiers. Les marchés ne trouvent à se développer qu’en se nourrissant des liquidités dont les intermédiaires financiers sont porteurs ; réciproquement ces derniers développent leur activité à partir des marchés. Cela est vrai de la gestion d’actifs, une activité principalement exercée par des sociétés de gestion (sociétés de gestion de portefeuille, sociétés de gestion d’O.P.C.V.M) dont l’essor a suivi celui des marchés. Les entreprises d’assurance et les fonds de pension ont également considérablement étendu la gestion de leur portefeuille d’actifs financiers au fur et à mesure du développement des marchés. L’essor de leur activité rendu possible par le développement des marchés influence ensuite à son tour considérablement l’orientation des marchés de capitaux. L’activité d’investisseurs institutionnels tels que les fonds de pension dirige par exemple significativement les capitaux vers les marchés d’actions domestiques et les marchés de titres étrangers (Boutillier et alii, 2002). Les banques demeurent des intermédiaires incontournables L’intermédiation bancaire n’a pas subi passivement ces évolutions. Le développement des marchés a, en effet, amené les banques à largement redéployer leur activité. Après avoir subi la concurrence des marchés en plein essor et celle des autres intermédiaires, les banques ont réagi en adossant de plus en plus leurs 38 TFD 74/Mars 2004 activités aux marchés et aux autres activités d’intermédiation (gestion d’actifs, assurance, conseil, etc.). De ce fait, même lorsqu’on constate une forte progression des parts d’OPCVM, de FCP ou encore des contrats d’assurances-vie détenus par les ménages, cela n’implique pas un déclin corrélatif des intermédiaires financiers traditionnels que sont les banques, dans la mesure où ces dernières deviennent les principaux distributeurs de ce type de produits. Ces réflexions ont des implications importantes en matière de développement des systèmes financiers dans les pays en développement. La première d’entre elles est que le développement des marchés au sein d’un pays ne peut s’opérer sans un développement concomitant de l’intermédiation qui puisse drainer au sein de ce même pays les liquidités nécessaires au développement des marchés de capitaux nationaux. Attendre que les marchés se développent en négligeant l’intermédiation financière du pays, au motif que celle-ci caractériserait les systèmes financiers du passé, expose le système financier à une dépendance accrue vis-à-vis des capitaux extérieurs drainés d’ailleurs par des investisseurs institutionnels étrangers. Ne pas négliger l’intermédiation signifie également l’encadrer efficacement au moyen de normes prudentielles et d’institutions de contrôle, sans lesquelles les banques et autres institutions financières du pays se réduisent à de simples passeurs de capitaux qui opèrent une transformation dangereuse de capitaux étrangers (crise asiatique). Le rôle des intermédiaires financiers demeure prépondérant en matière de financement et de placement A la mutation financière est généralement associée la notion de désintermédiation. On entend par là l’essor des financements et des placements de marchés au détriment des financements et des placements intermédiés, plus particulièrement ceux proposés par les banques. Encore faudrait-il cependant parvenir à démontrer empiriquement la désintermédiation des financements et des placements dans les systèmes financiers développés. La caution empirique apportée à la désintermédiation se réduit le plus souvent à la constatation d’une réduction de la part relative des crédits dans le bilan bancaire, et à l’évaluation sur cette base d’un taux d’intermédiation réduisant le financement intermédié au crédit bancaire. Dès lors qu’on étend le champ du financement intermédié à l’ensemble des financements offerts par les intermédiaires (somme des crédits et des titres acquis par les intermédiaires financiers – établissements de crédits, OPCVM, entreprises d’assurances), le financement intermédié demeure largement prédominant sinon complémentaire du financement direct (autour de 60 % en moyenne au cours de la période 1994-2001 pour 13 pays européens -Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Italie, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Suède(Capelle-Blancard et Couppey-Soubeyran, 2003)). Par ailleurs, la tendance baissière que les taux d’intermédiation semblent accuser en valeur se réduit considérablement lorsqu’on procède à des évaluations en volume corrigées des effets de valorisation boursière. En volume (corrigé des effets de valorisation boursière), le taux d’intermédiation des financements demandés (crédits) par les ANF dépasse d’environ 10 points les évaluations en valeur : dans le cas de la France, par exemple, la mesure du taux d’intermédiation des financements demandés en 2000 passe de 22 % en valeur environ à près de 34 % en volume ; le taux d’intermédiation des financements offerts passe la même année de 49 % à 62 % environ. En outre, ce type d’évaluation en volume permet de souligner que la part des crédits bancaires demeure importante sinon pour l’ensemble des ANF, au moins pour les sociétés non financières qui n’ont pas toujours la possibilité, surtout pour celles de taille moyenne, de concrétiser leur accès théoriquement facilité aux marchés. Ce type d’évaluation autorise plusieurs constats. Les financements de marché n’excluent pas les intermédiaires financiers qui souscrivent une large part des titres émis par les ANF. L’essor des financements de marché n’interdit pas le maintien du crédit bancaire dont la part dans le financement externe des ANF et l’évolution dépendent bien davantage de la structure du tissu économique et de la conjoncture que de l’état de maturité des marchés de capitaux. Plus largement, une mutation financière ne bouleverse pas radicalement le comportement financier des ANF dont les déterminants ne se réduisent pas à l’état de développement des marchés. Concernant le degré d’intermédiation des placements, il apparaît également que les intermédiaires financiers continuent de jouer un rôle prépondérant dans la collecte de l’épargne des ménages. Les ménages sont de plus en plus enclins à détenir des produits de placement intermédiés dont le risque est inférieur à celui des actifs de marché ou dont le niveau de risque leur est donné à choisir. Même pour les Etats-Unis, dont on s’applique pourtant souvent à distinguer le comportement financier des ménages de celui des ménages européens, Oheix et Séjourné (2002) évaluent à près de 67 % la part des intermédiaires financiers dans la collecte de l’épargne des ménages. En Europe, la même estimation dépasse les 80 %. Les mêmes évaluations se retrouvent dans l’étude de Boutillier et alii (2002) qui confirme que le choix en faveur de l’épargne intermédiée est majoritaire dans tous les pays qu’ils étudient (Allemagne, Autriche, Espagne, Finlande, France, Italie, PaysBas, Royaume-Uni, Suède pour l’Europe et EtatsUnis). Par conséquent, en termes de placement comme en termes de financement, les intermédiaires financiers demeurent incontournables, tout autant dépendants des marchés pour le développement de leurs activités que les marchés eux-mêmes dépendent d’eux pour l’approfondissement de leur liquidité. La conséquence en est que le développement des marchés ne saurait s’opérer au détriment de celui des intermédiaires financiers. Une économie de marché de capitaux n’est pas nécessairement déréglementée La libéralisation financière et le fonctionnement concurrentiel du marché bancaire ne signifient nullement l’absence d’une supervision par la puissance publique. TFD 74/Mars 2004 39 Le développement des marchés s’est accompagné d’un développement concomitant des intermédiaires financiers Le développement des marchés, via l’introduction de nouveaux produits et l’ouverture de nouveaux compartiments de marché, a soutenu une demande croissante de financement de la part des agents non financiers (ANF). Or, une offre de fonds doit nécessairement satisfaire à cette demande. Si la demande de financement des ANF à besoin de financement (sociétés non financières, administrations publiques) ne rencontre pas directement l’offre de financement des ménages (la détention de titres en direct par les ménages demeure faible), c’est nécessairement qu’elle est satisfaite par l’offre de fonds des intermédiaires financiers. Les marchés ne trouvent à se développer qu’en se nourrissant des liquidités dont les intermédiaires financiers sont porteurs ; réciproquement ces derniers développent leur activité à partir des marchés. Cela est vrai de la gestion d’actifs, une activité principalement exercée par des sociétés de gestion (sociétés de gestion de portefeuille, sociétés de gestion d’O.P.C.V.M) dont l’essor a suivi celui des marchés. Les entreprises d’assurance et les fonds de pension ont également considérablement étendu la gestion de leur portefeuille d’actifs financiers au fur et à mesure du développement des marchés. L’essor de leur activité rendu possible par le développement des marchés influence ensuite à son tour considérablement l’orientation des marchés de capitaux. L’activité d’investisseurs institutionnels tels que les fonds de pension dirige par exemple significativement les capitaux vers les marchés d’actions domestiques et les marchés de titres étrangers (Boutillier et alii, 2002). Les banques demeurent des intermédiaires incontournables L’intermédiation bancaire n’a pas subi passivement ces évolutions. Le développement des marchés a, en effet, amené les banques à largement redéployer leur activité. Après avoir subi la concurrence des marchés en plein essor et celle des autres intermédiaires, les banques ont réagi en adossant de plus en plus leurs 38 TFD 74/Mars 2004 activités aux marchés et aux autres activités d’intermédiation (gestion d’actifs, assurance, conseil, etc.). De ce fait, même lorsqu’on constate une forte progression des parts d’OPCVM, de FCP ou encore des contrats d’assurances-vie détenus par les ménages, cela n’implique pas un déclin corrélatif des intermédiaires financiers traditionnels que sont les banques, dans la mesure où ces dernières deviennent les principaux distributeurs de ce type de produits. Ces réflexions ont des implications importantes en matière de développement des systèmes financiers dans les pays en développement. La première d’entre elles est que le développement des marchés au sein d’un pays ne peut s’opérer sans un développement concomitant de l’intermédiation qui puisse drainer au sein de ce même pays les liquidités nécessaires au développement des marchés de capitaux nationaux. Attendre que les marchés se développent en négligeant l’intermédiation financière du pays, au motif que celle-ci caractériserait les systèmes financiers du passé, expose le système financier à une dépendance accrue vis-à-vis des capitaux extérieurs drainés d’ailleurs par des investisseurs institutionnels étrangers. Ne pas négliger l’intermédiation signifie également l’encadrer efficacement au moyen de normes prudentielles et d’institutions de contrôle, sans lesquelles les banques et autres institutions financières du pays se réduisent à de simples passeurs de capitaux qui opèrent une transformation dangereuse de capitaux étrangers (crise asiatique). Le rôle des intermédiaires financiers demeure prépondérant en matière de financement et de placement A la mutation financière est généralement associée la notion de désintermédiation. On entend par là l’essor des financements et des placements de marchés au détriment des financements et des placements intermédiés, plus particulièrement ceux proposés par les banques. Encore faudrait-il cependant parvenir à démontrer empiriquement la désintermédiation des financements et des placements dans les systèmes financiers développés. La caution empirique apportée à la désintermédiation se réduit le plus souvent à la constatation d’une réduction de la part relative des crédits dans le bilan bancaire, et à l’évaluation sur cette base d’un taux d’intermédiation réduisant le financement intermédié au crédit bancaire. Dès lors qu’on étend le champ du financement intermédié à l’ensemble des financements offerts par les intermédiaires (somme des crédits et des titres acquis par les intermédiaires financiers – établissements de crédits, OPCVM, entreprises d’assurances), le financement intermédié demeure largement prédominant sinon complémentaire du financement direct (autour de 60 % en moyenne au cours de la période 1994-2001 pour 13 pays européens -Allemagne, Autriche, Belgique, Danemark, Espagne, Finlande, France, Italie, Norvège, Pays-Bas, Portugal, Royaume-Uni, Suède(Capelle-Blancard et Couppey-Soubeyran, 2003)). Par ailleurs, la tendance baissière que les taux d’intermédiation semblent accuser en valeur se réduit considérablement lorsqu’on procède à des évaluations en volume corrigées des effets de valorisation boursière. En volume (corrigé des effets de valorisation boursière), le taux d’intermédiation des financements demandés (crédits) par les ANF dépasse d’environ 10 points les évaluations en valeur : dans le cas de la France, par exemple, la mesure du taux d’intermédiation des financements demandés en 2000 passe de 22 % en valeur environ à près de 34 % en volume ; le taux d’intermédiation des financements offerts passe la même année de 49 % à 62 % environ. En outre, ce type d’évaluation en volume permet de souligner que la part des crédits bancaires demeure importante sinon pour l’ensemble des ANF, au moins pour les sociétés non financières qui n’ont pas toujours la possibilité, surtout pour celles de taille moyenne, de concrétiser leur accès théoriquement facilité aux marchés. Ce type d’évaluation autorise plusieurs constats. Les financements de marché n’excluent pas les intermédiaires financiers qui souscrivent une large part des titres émis par les ANF. L’essor des financements de marché n’interdit pas le maintien du crédit bancaire dont la part dans le financement externe des ANF et l’évolution dépendent bien davantage de la structure du tissu économique et de la conjoncture que de l’état de maturité des marchés de capitaux. Plus largement, une mutation financière ne bouleverse pas radicalement le comportement financier des ANF dont les déterminants ne se réduisent pas à l’état de développement des marchés. Concernant le degré d’intermédiation des placements, il apparaît également que les intermédiaires financiers continuent de jouer un rôle prépondérant dans la collecte de l’épargne des ménages. Les ménages sont de plus en plus enclins à détenir des produits de placement intermédiés dont le risque est inférieur à celui des actifs de marché ou dont le niveau de risque leur est donné à choisir. Même pour les Etats-Unis, dont on s’applique pourtant souvent à distinguer le comportement financier des ménages de celui des ménages européens, Oheix et Séjourné (2002) évaluent à près de 67 % la part des intermédiaires financiers dans la collecte de l’épargne des ménages. En Europe, la même estimation dépasse les 80 %. Les mêmes évaluations se retrouvent dans l’étude de Boutillier et alii (2002) qui confirme que le choix en faveur de l’épargne intermédiée est majoritaire dans tous les pays qu’ils étudient (Allemagne, Autriche, Espagne, Finlande, France, Italie, PaysBas, Royaume-Uni, Suède pour l’Europe et EtatsUnis). Par conséquent, en termes de placement comme en termes de financement, les intermédiaires financiers demeurent incontournables, tout autant dépendants des marchés pour le développement de leurs activités que les marchés eux-mêmes dépendent d’eux pour l’approfondissement de leur liquidité. La conséquence en est que le développement des marchés ne saurait s’opérer au détriment de celui des intermédiaires financiers. Une économie de marché de capitaux n’est pas nécessairement déréglementée La libéralisation financière et le fonctionnement concurrentiel du marché bancaire ne signifient nullement l’absence d’une supervision par la puissance publique. TFD 74/Mars 2004 39 Le secteur bancaire et financier nécessite l’intervention des pouvoirs publics quel que soit son degré de maturité Les problèmes d’asymétries d’information inhérents aux relations financières, les externalités associées aux faillites bancaires, les comportements caractéristiques des agents sur les marchés de capitaux (anticipations auto-réalisatrices, mimétisme) constituent autant de sources de défaillances des marchés bancaires et financiers. C’est la raison pour laquelle, même si dans une économie de marché de capitaux, les mécanismes de marché président à l’allocation des ressources (le cours des titres comme le prix du crédit résultent de la confrontation de l’offre et de la demande), l’intervention de la puissance publique est indispensable. Les modalités de cette intervention sont aussi diverses que les objectifs qui lui sont assignés : il s’agit à la fois de prévenir les prises de risques excessives des principaux intervenants, en particulier celles d’acteurs majeurs tels que les banques, d’assurer la protection de l’épargne et de maintenir la confiance des déposants et petits porteurs, d’endiguer enfin la propagation d’une difficulté si les dispositifs préventifs n’ont pas suffi. Dans un ordre d’intervention allant du préventif au curatif, trois grandes catégories d’instruments sont à distinguer. La réglementation prudentielle s’appuie en grande partie sur des ratios de fonds propres (ratio de solvabilité du type ratio Cooke en cours de réforme, ratio de division des risques, de liquidité…) et s’articule de façon croissance à la gestion interne des risques et à la « discipline de marché » via des exigences accrues de communications d’information et de transparence comptable. La garantie des dépôts se situe à mi-chemin entre les dispositifs préventifs précédents et les actions curatives des autorités monétaires. Elle assure aux déposants un remboursement minimal de leurs fonds en cas de faillite de leur établissement bancaire. Enfin, au cas où une difficulté locale dans un établissement bancaire ou financier ou bien sur un segment de marché menace de s’étendre et d’enclencher une crise systémique, l’intervention d’un prêteur en dernier ressort (généralement la banque centrale) constitue l’ultime étage du filet de sécurité financière. 40 TFD 74/Mars 2004 La libéralisation bancaire et financière a rapidement été suivie par la mise en place d’une re-réglementation prudentielle Dans les pays industrialisés, la libéralisation bancaire et financière s’est caractérisée par la suppression d’un grand nombre de réglementations qui administraient les prix (taux créditeurs et débiteurs, commissions) et les volumes (encadrement du crédit) de l’activité bancaire. Dans le même temps, ces pays ont levé les dernières barrières qui faisaient obstacle aux mouvements de capitaux. Cependant ces déréglementations ne signifient pas un désengagement de la puissance publique dans la sphère bancaire et financière. C’est seulement la nature de cette intervention qui a changé. On est, en effet, passé d’une intervention publique qui avait pour objectif de se substituer au marché défaillant à une supervision de nature prudentielle dont le but est d’orienter les comportements des institutions financières vers plus de prudence (au moyen de normes prudentielles à respecter), tout en laissant jouer les mécanismes de marché et en veillant particulièrement au respect de conditions équitables et loyales d’activité (« level playing field »). Des exigences de fonds propres (normes de solvabilité) constituent le pilier majeur de cette réglementation prudentielle. Lorsque le comité de Bâle a recommandé en 1988 le ratio Cooke, l’attention était rivée sur les risques de crédits qu’on considérait alors comme le risque le plus caractéristique de l’activité bancaire. L’évolution de l’activité bancaire a rendu nécessaire une extension de ces exigences aux risques de marché. Cela s’est fait en reconnaissant aux banques la possibilité (sous certaines conditions de validations posées par les autorités de réglementation) d’utiliser leurs modèles internes d’évaluation des risques. Cette intégration croissante du contrôle interne se confirme avec l’actuelle réforme du ratio Cooke qui fera reposer le calibrage des risques de contrepartie (pondérations des engagements) sur les systèmes internes de notation. L’articulation de la réglementation au contrôle interne mais également à la discipline de marché, via une attention croissante portée à la communication d’information, est l’une des principales caractéristiques de l’évolution actuelle des dispositifs de supervision. Les effets des déréglementations diffèrent selon le degré de maturité des systèmes financiers Il convient toutefois de noter que d’anciennes réglementations demeurent. Certains pays maintiennent l’interdiction de rémunérer les dépôts à vue (en échange d’une non tarification des chèques) et de nombreux produits de placements intermédiés sont rémunérés à des taux réglementés. Un certain nombre de contributions se sont d’ailleurs penchées sur les effets de la réglementation des taux créditeurs qui semblent devoir être appréciés en fonction du degré de maturité des systèmes financiers. La libéralisation financière des taux créditeurs produit-elle les mêmes effets dans tous les pays, riches et pauvres ? Dans le cas des pays riches, des études montrent que la réglementation des taux créditeurs est néfaste. Elle conduit à des surcapacités bancaires, un accroissement des dépenses d’infrastructure et à des surinvestissements (Chiappori, Perez-Castrillo et Verdier (1995)). Cette surcapacité est synonyme d’inefficacité. Elle conduit à un maillage plus important du réseau bancaire et affecte l’équilibre du marché bancaire. En effet, en l’absence de concurrence par les taux permettant d’attirer les dépôts, les banques sont conduites à développer une concurrence par les quantités. Elles augmentent alors leur nombre de guichets (course aux guichets), bien au-delà de celui qui prévaut en situation de concurrence. Le maintien de la réglementation des taux dans le cas des pays pauvres peut-il conduire à une inefficacité identique à celle éprouvée par les pays riches ? La déréglementation des taux d’intérêt conduit mécaniquement à une hausse du coût de refinancement bancaire du fait de la hausse généralisée des taux dans l’économie vers le « niveau d’équilibre de marché ». Les banques répercutent alors cette hausse sur les taux débiteurs pouvant altérer davantage, dans les pays pauvres, la qualité des débiteurs et accroître les impayés. On assisterait alors à une accentuation de la sélection adverse des banques et à l’exclusion de certains emprunteurs. Les banques peuvent, en outre, voir leur rentabilité se dégrader du fait de l’accroissement de leurs coûts de surveillance. Dans le cas de pays pauvres, le maintien d’une réglementation des taux créditeurs peut donc apparaître souhaitable dès lors qu’elle permet d’éviter : – l’aggravation de l’exclusion et la « débancarisation » des candidats aux crédits et des petits épargnants ; les premiers fuyant des taux débiteurs élevés, les deuxièmes fuyant les agios et les divers coûts de services, auparavant gratuits ; – une concurrence destructrice par les prix et une surenchère bancaire mettant en danger la stabilité du système économique des pays pauvres ; – une société à deux vitesses creusant davantage le fossé au profit des riches bancarisés titulaires de comptes à vue dont les soldes sont élevés. En ce qui concerne la relation entre le taux d’intérêt et le taux d’épargne dans les pays ayant libéralisé leurs systèmes financiers, les études empiriques n’aboutissent pas à la détermination d’une corrélation positive significative entre les deux variables (Demirgüç-Kunt et Detragiache, 1998). On remarque d’ailleurs qu’en dépit de la hausse des taux d’intérêt réels au cours des années 1980, les taux d’épargne ont reculé dans la plupart des pays de l’OCDE passant en moyenne de 15,2 % en 1980 à 10,8 % en 1997 6. Pour les pays d’Afrique subsaharienne ce taux (en pourcentage du PIB) recule également. Il est passé de 23,3 % entre 1974 et 1980 7 à 16,7 % entre 1988 et 1996. La remontée des taux d’épargne s’est produite ensuite parallèlement à la baisse des taux d’intérêt. Cette absence de corrélation significative incite à conclure que la libéralisation des taux créditeurs ne profite pas nécessairement à l’épargne et par suite à l’investissement et à la croissance selon la séquence classique établie par les tenants de la thèse de la libéralisation financière (McKinnon (1973) et Shaw (1973)). Un besoin accru de régulation se fait sentir à l’échelle internationale A l’échelle internationale, la mutation financière s’est manifestement traduite par une recrudescence 6. Taux d’épargne moyen des ménages en pourcentage du revenu disponible calculé à partir de 6 pays : Etats-Unis, Japon, Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni et Canada. 7. Il s’agit d’un groupe de 50 pays, d’après la CNUCED dans son rapport de 1997 World Investment Report. TFD 74/Mars 2004 41 Le secteur bancaire et financier nécessite l’intervention des pouvoirs publics quel que soit son degré de maturité Les problèmes d’asymétries d’information inhérents aux relations financières, les externalités associées aux faillites bancaires, les comportements caractéristiques des agents sur les marchés de capitaux (anticipations auto-réalisatrices, mimétisme) constituent autant de sources de défaillances des marchés bancaires et financiers. C’est la raison pour laquelle, même si dans une économie de marché de capitaux, les mécanismes de marché président à l’allocation des ressources (le cours des titres comme le prix du crédit résultent de la confrontation de l’offre et de la demande), l’intervention de la puissance publique est indispensable. Les modalités de cette intervention sont aussi diverses que les objectifs qui lui sont assignés : il s’agit à la fois de prévenir les prises de risques excessives des principaux intervenants, en particulier celles d’acteurs majeurs tels que les banques, d’assurer la protection de l’épargne et de maintenir la confiance des déposants et petits porteurs, d’endiguer enfin la propagation d’une difficulté si les dispositifs préventifs n’ont pas suffi. Dans un ordre d’intervention allant du préventif au curatif, trois grandes catégories d’instruments sont à distinguer. La réglementation prudentielle s’appuie en grande partie sur des ratios de fonds propres (ratio de solvabilité du type ratio Cooke en cours de réforme, ratio de division des risques, de liquidité…) et s’articule de façon croissance à la gestion interne des risques et à la « discipline de marché » via des exigences accrues de communications d’information et de transparence comptable. La garantie des dépôts se situe à mi-chemin entre les dispositifs préventifs précédents et les actions curatives des autorités monétaires. Elle assure aux déposants un remboursement minimal de leurs fonds en cas de faillite de leur établissement bancaire. Enfin, au cas où une difficulté locale dans un établissement bancaire ou financier ou bien sur un segment de marché menace de s’étendre et d’enclencher une crise systémique, l’intervention d’un prêteur en dernier ressort (généralement la banque centrale) constitue l’ultime étage du filet de sécurité financière. 40 TFD 74/Mars 2004 La libéralisation bancaire et financière a rapidement été suivie par la mise en place d’une re-réglementation prudentielle Dans les pays industrialisés, la libéralisation bancaire et financière s’est caractérisée par la suppression d’un grand nombre de réglementations qui administraient les prix (taux créditeurs et débiteurs, commissions) et les volumes (encadrement du crédit) de l’activité bancaire. Dans le même temps, ces pays ont levé les dernières barrières qui faisaient obstacle aux mouvements de capitaux. Cependant ces déréglementations ne signifient pas un désengagement de la puissance publique dans la sphère bancaire et financière. C’est seulement la nature de cette intervention qui a changé. On est, en effet, passé d’une intervention publique qui avait pour objectif de se substituer au marché défaillant à une supervision de nature prudentielle dont le but est d’orienter les comportements des institutions financières vers plus de prudence (au moyen de normes prudentielles à respecter), tout en laissant jouer les mécanismes de marché et en veillant particulièrement au respect de conditions équitables et loyales d’activité (« level playing field »). Des exigences de fonds propres (normes de solvabilité) constituent le pilier majeur de cette réglementation prudentielle. Lorsque le comité de Bâle a recommandé en 1988 le ratio Cooke, l’attention était rivée sur les risques de crédits qu’on considérait alors comme le risque le plus caractéristique de l’activité bancaire. L’évolution de l’activité bancaire a rendu nécessaire une extension de ces exigences aux risques de marché. Cela s’est fait en reconnaissant aux banques la possibilité (sous certaines conditions de validations posées par les autorités de réglementation) d’utiliser leurs modèles internes d’évaluation des risques. Cette intégration croissante du contrôle interne se confirme avec l’actuelle réforme du ratio Cooke qui fera reposer le calibrage des risques de contrepartie (pondérations des engagements) sur les systèmes internes de notation. L’articulation de la réglementation au contrôle interne mais également à la discipline de marché, via une attention croissante portée à la communication d’information, est l’une des principales caractéristiques de l’évolution actuelle des dispositifs de supervision. Les effets des déréglementations diffèrent selon le degré de maturité des systèmes financiers Il convient toutefois de noter que d’anciennes réglementations demeurent. Certains pays maintiennent l’interdiction de rémunérer les dépôts à vue (en échange d’une non tarification des chèques) et de nombreux produits de placements intermédiés sont rémunérés à des taux réglementés. Un certain nombre de contributions se sont d’ailleurs penchées sur les effets de la réglementation des taux créditeurs qui semblent devoir être appréciés en fonction du degré de maturité des systèmes financiers. La libéralisation financière des taux créditeurs produit-elle les mêmes effets dans tous les pays, riches et pauvres ? Dans le cas des pays riches, des études montrent que la réglementation des taux créditeurs est néfaste. Elle conduit à des surcapacités bancaires, un accroissement des dépenses d’infrastructure et à des surinvestissements (Chiappori, Perez-Castrillo et Verdier (1995)). Cette surcapacité est synonyme d’inefficacité. Elle conduit à un maillage plus important du réseau bancaire et affecte l’équilibre du marché bancaire. En effet, en l’absence de concurrence par les taux permettant d’attirer les dépôts, les banques sont conduites à développer une concurrence par les quantités. Elles augmentent alors leur nombre de guichets (course aux guichets), bien au-delà de celui qui prévaut en situation de concurrence. Le maintien de la réglementation des taux dans le cas des pays pauvres peut-il conduire à une inefficacité identique à celle éprouvée par les pays riches ? La déréglementation des taux d’intérêt conduit mécaniquement à une hausse du coût de refinancement bancaire du fait de la hausse généralisée des taux dans l’économie vers le « niveau d’équilibre de marché ». Les banques répercutent alors cette hausse sur les taux débiteurs pouvant altérer davantage, dans les pays pauvres, la qualité des débiteurs et accroître les impayés. On assisterait alors à une accentuation de la sélection adverse des banques et à l’exclusion de certains emprunteurs. Les banques peuvent, en outre, voir leur rentabilité se dégrader du fait de l’accroissement de leurs coûts de surveillance. Dans le cas de pays pauvres, le maintien d’une réglementation des taux créditeurs peut donc apparaître souhaitable dès lors qu’elle permet d’éviter : – l’aggravation de l’exclusion et la « débancarisation » des candidats aux crédits et des petits épargnants ; les premiers fuyant des taux débiteurs élevés, les deuxièmes fuyant les agios et les divers coûts de services, auparavant gratuits ; – une concurrence destructrice par les prix et une surenchère bancaire mettant en danger la stabilité du système économique des pays pauvres ; – une société à deux vitesses creusant davantage le fossé au profit des riches bancarisés titulaires de comptes à vue dont les soldes sont élevés. En ce qui concerne la relation entre le taux d’intérêt et le taux d’épargne dans les pays ayant libéralisé leurs systèmes financiers, les études empiriques n’aboutissent pas à la détermination d’une corrélation positive significative entre les deux variables (Demirgüç-Kunt et Detragiache, 1998). On remarque d’ailleurs qu’en dépit de la hausse des taux d’intérêt réels au cours des années 1980, les taux d’épargne ont reculé dans la plupart des pays de l’OCDE passant en moyenne de 15,2 % en 1980 à 10,8 % en 1997 6. Pour les pays d’Afrique subsaharienne ce taux (en pourcentage du PIB) recule également. Il est passé de 23,3 % entre 1974 et 1980 7 à 16,7 % entre 1988 et 1996. La remontée des taux d’épargne s’est produite ensuite parallèlement à la baisse des taux d’intérêt. Cette absence de corrélation significative incite à conclure que la libéralisation des taux créditeurs ne profite pas nécessairement à l’épargne et par suite à l’investissement et à la croissance selon la séquence classique établie par les tenants de la thèse de la libéralisation financière (McKinnon (1973) et Shaw (1973)). Un besoin accru de régulation se fait sentir à l’échelle internationale A l’échelle internationale, la mutation financière s’est manifestement traduite par une recrudescence 6. Taux d’épargne moyen des ménages en pourcentage du revenu disponible calculé à partir de 6 pays : Etats-Unis, Japon, Allemagne, France, Italie, Royaume-Uni et Canada. 7. Il s’agit d’un groupe de 50 pays, d’après la CNUCED dans son rapport de 1997 World Investment Report. TFD 74/Mars 2004 41 de l’instabilité financière. L’intégration internationale croissante favorise, en effet, tout autant la diffusion des progrès (innovations financières,…) que celle des difficultés. Cette instabilité a touché aussi bien les pays émergents, trop brutalement convertis à la libéralisation financière sans structures institutionnelles suffisantes, que les pays industrialisés à travers quelques épisodes retentissants de faillites d’établissements bancaires et financiers (Crédit Lyonnais en France, LTCM aux Etats-Unis), les déboires de la « nouvelle économie » au tournant des années 2000, les scandales financiers d’Enron et Worldcom, ou plus récemment encore l’affaire Parmalat. Le constat qui s’en dégage sans appel : la nécessité de mieux réguler la sphère bancaire et financière. Cela impose des réformes et des consolidations des dispositifs prudentiels dans les pays industrialisés comme dans les pays en développement, adaptées et différenciées selon les cas. Dans les pays industrialisés, la supervision des trois grands métiers de la Finance (banque, assurance, titre) qui s’intègrent de plus en plus avec l’essor des conglomérats financiers n’est guère facilitée par le maintien de dispositifs prudentiels qui demeurent cloisonnés institution par institution. L’internationalisation des activités rend également caduque le maintien de dispositifs nationaux qui font appliquer des normes communes mais laissent subsister d’importantes disparités organisationnelles. La mise en place d’autorités internationales de supervision apparaît à cet égard hautement souhaitable. Si cette réforme des dispositifs prudentiels apparaît nécessaire, il n’est en outre pas sûr qu’elle soit suffisante. Des mesures plus drastiques telles qu’une taxation sur les entrées de capitaux, seules à même de déjouer les mécanismes auto-réalisateurs à l’œuvre dans la gestation des crises financière, sont à envisager et ce tout particulièrement dans le cas des pays émergents encore plus sensibles aux retournements d’anticipations des investisseurs internationaux. Conclusion Un grand nombre d’assimilations dangereuses et sans fondement empirique ont lourdement affecté l’analyse de la mutation financière et les recommandations qui en découlent en matière de développement financier. En particulier, l’idée qu’un système financier développé et garant de la croissance économique serait un système « tout marché » désintermédié, libéralisé et déréglementé aux antipodes d’un système « tout banque » administré, réglementé qui incarnerait le sous-développement en matière financière. Si l’on s’accorde a minima sur l’idée que les systèmes financiers des pays riches correspondent à des économies de marchés de capitaux, alors quelques constats s’imposent sur ce qu’une économie de marché de capitaux n’est pas ! Une économie de marché de capitaux n’est pas un modèle uniforme vers lequel les pays industrialisés auraient convergé. Les systèmes financiers des pays industrialisés demeurent fondamentalement hétérogènes en raison de différences structurelles importantes, de traditions juridiques différentes. Une économie de marchés de capitaux ne se caractérise pas davantage par une désintermédiation des placements et des financements. Le développement des marchés de capitaux se nourrit au contraire de celui des intermédiaires financiers et vice versa. Les systèmes financiers sont à cet égard fondamentalement mixtes, des « économies de marché intermédiés ». De plus, l’intervention des pouvoirs publics demeure indispensable au fonctionnement spécifique de la sphère bancaire et financière selon des modalités qui évoluent au fur et à mesure du développement des activités financières. En conclusion, il n’y a donc aucune raison de considérer qu’il puisse exister un modèle standard et transposable d’économie de marché de capitaux vers lequel il conviendrait de faire basculer les pays pauvres pour leur garantir croissance et développement. Reste, en outre, le fait que le développement financier ne peut assurément pas constituer le seul moteur du développement et de la croissance. BIBLIOGRAPHIE Alphonse P., Ducret J., Séverin E. (2002), « Le financement des PME américaines : analyse et mise en perspective du cas français ». Rapport final présenté au Commissariat général du plan. Amable B. et S. Paillard (2002), « Intégration européenne et systèmes financiers : y a-t-il convergence vers un modèle anglo-saxon ? », dans Ngo Mai, Torre et Tosi (Eds) Intégration européenne et institutions économiques, De Boeck. Augory C. et Pansard F. (2003), « Un panorama des marchés de capitaux dans les années quatre-vingt-dix en Europe et aux Etats-Unis », Lettre économique de la Caisse des Dépôts et Consignation, février, n° 148. Augory C. et F. Pansard, (2000a), L’intermédiation financière en Europe, Epargne et financement, Caisse des Dépôts et Consignation, février. Augory C. et F. Pansard, (2000b), L’intermédiation financière au sein des principaux pays de la zone euro, Lettre Economique de la Caisse des Dépôts et Consignation, mai. Beck Th., Levine R. et Loayza N. (2000), « Finance and the sources of growth », Journal of Financial Economics, (58)1-2, pp. 261-300. Boutillier M., A. Labye, Ch. Lagoutte, N. Lévy, A. Mpacko Priso, V. Oheix, S. Justeau et B. Séjourné, (2002), « Placements des ménages en Europe : le rôle des intermédiaires financiers se transforment en profondeur », Economie et Statistique, p. 354. Boutillier M. et F. Pansard, A. Quéron, (2001), « Le modèle français d’adaptation des banques au nouvel environnement financier », Epargne et financement, juillet, n° 9, Caisse des Dépôts et Consignation. Capelle-Blancard G. et J. Couppey-Soubeyran, (2003), « Les financements des agents non financiers en Europe : le rôle des intermédiaires financier demeure prépondérant », Economie et statistiques, à paraître. Chiappori P.A., Perez-Castrillo D. et Verdier Th. (1995), « Spatial Competition in the Banking System : Localization, Cross Subsidies and the Regulation of interest rate », European Economic Review (39), pp. 889-918. Christensen L. J. (1992), « The role of Finance in National system of Innovation » in Lundvall B. A., pp. 146-168. 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Cela impose des réformes et des consolidations des dispositifs prudentiels dans les pays industrialisés comme dans les pays en développement, adaptées et différenciées selon les cas. Dans les pays industrialisés, la supervision des trois grands métiers de la Finance (banque, assurance, titre) qui s’intègrent de plus en plus avec l’essor des conglomérats financiers n’est guère facilitée par le maintien de dispositifs prudentiels qui demeurent cloisonnés institution par institution. L’internationalisation des activités rend également caduque le maintien de dispositifs nationaux qui font appliquer des normes communes mais laissent subsister d’importantes disparités organisationnelles. La mise en place d’autorités internationales de supervision apparaît à cet égard hautement souhaitable. Si cette réforme des dispositifs prudentiels apparaît nécessaire, il n’est en outre pas sûr qu’elle soit suffisante. Des mesures plus drastiques telles qu’une taxation sur les entrées de capitaux, seules à même de déjouer les mécanismes auto-réalisateurs à l’œuvre dans la gestation des crises financière, sont à envisager et ce tout particulièrement dans le cas des pays émergents encore plus sensibles aux retournements d’anticipations des investisseurs internationaux. Conclusion Un grand nombre d’assimilations dangereuses et sans fondement empirique ont lourdement affecté l’analyse de la mutation financière et les recommandations qui en découlent en matière de développement financier. En particulier, l’idée qu’un système financier développé et garant de la croissance économique serait un système « tout marché » désintermédié, libéralisé et déréglementé aux antipodes d’un système « tout banque » administré, réglementé qui incarnerait le sous-développement en matière financière. Si l’on s’accorde a minima sur l’idée que les systèmes financiers des pays riches correspondent à des économies de marchés de capitaux, alors quelques constats s’imposent sur ce qu’une économie de marché de capitaux n’est pas ! Une économie de marché de capitaux n’est pas un modèle uniforme vers lequel les pays industrialisés auraient convergé. Les systèmes financiers des pays industrialisés demeurent fondamentalement hétérogènes en raison de différences structurelles importantes, de traditions juridiques différentes. Une économie de marchés de capitaux ne se caractérise pas davantage par une désintermédiation des placements et des financements. Le développement des marchés de capitaux se nourrit au contraire de celui des intermédiaires financiers et vice versa. Les systèmes financiers sont à cet égard fondamentalement mixtes, des « économies de marché intermédiés ». De plus, l’intervention des pouvoirs publics demeure indispensable au fonctionnement spécifique de la sphère bancaire et financière selon des modalités qui évoluent au fur et à mesure du développement des activités financières. En conclusion, il n’y a donc aucune raison de considérer qu’il puisse exister un modèle standard et transposable d’économie de marché de capitaux vers lequel il conviendrait de faire basculer les pays pauvres pour leur garantir croissance et développement. Reste, en outre, le fait que le développement financier ne peut assurément pas constituer le seul moteur du développement et de la croissance. BIBLIOGRAPHIE Alphonse P., Ducret J., Séverin E. (2002), « Le financement des PME américaines : analyse et mise en perspective du cas français ». Rapport final présenté au Commissariat général du plan. Amable B. et S. 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