Commentaires sur le texte El ultimo bastión? de l`Analyse Freudienne
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Commentaires sur le texte El ultimo bastión? de l`Analyse Freudienne
Commentaires sur le texte El ultimo bastión? de l’Analyse Freudienne Par : Liz Nunes Ramos, Association Psychanalytique de Porto Alegre (APPOA), Brésil Tout d’abord, un grand merci pour l’opportunité qui nous est donnée de pouvoir, à travers ce texte et selon la modalité de travail proposée, collaborer au renouvellement du pari du Mouvement Convergencia. L’Analyse Freudienne part d’un extrait du texte Résistances à la psychanalyse de Sigmund Freud pour fonder sa réflexion : « Après dix années de silence, elle [la psychanalyse] devint tout d’un coup d’un intérêt général et déchaîna une tempête de réfutations indignées ». S’il est un fait sans équivoque depuis l’écriture de ce passage, c’est que la psychanalyse ne peut plus être ignorée. Ce sont peut-être les discours qui résistent à la psychanalyse qui ont changé. Le texte interroge les résistances qui existent encore à l’encontre de la découverte de Freud, aborde quelque chose du renouvellement proposé par Lacan et situe d’importantes interrogations autour de la conception actuelle du sujet, aussi bien par la psychanalyse que par les discours résistanciels. Il faut noter d’emblée que l’interrogation qui compose le titre, El ultimo bastión ? [Le dernier bastion ?], devient au fil du texte une proposition : « Quant à nous, nous soutenons que les notions cliniques de névrose, psychose et perversion pourraient être aujourd’hui le dernier bastion pour soutenir le sujet ». Le principal point résistanciel proposé à la discussion semble être le projet de la science, ou pseudo-science ; autrement dit, trouver des causes non psychiques à la souffrance, à la folie ou à l’angoisse, avec le défi de toutes les expliquer. C’est la raison pour laquelle il incombe aux psychanalystes, surtout aujourd’hui, « d’affirmer la théorie psychanalytique et ses apports face aux autres sciences, aux religions, aux philosophies et autres domaines ». Il est vrai qu’à l’heure actuelle on s’interroge sur la conception freudienne des structures cliniques et sur les objectifs classificatoires du DSM, c’est-à-dire « donner un nom à chaque souffrance au lieu de représenter au sujet qui souffre ». Le texte observe que le doute n’est pas le bienvenu en médecine, en psychiatrie, et que ce dessein peut être tranquillisant pour l’analyste. Au cours de plus de 100 ans, nombre de concepts psychanalytiques ont été assimilés à la culture, ce nonobstant notre clinique montre que quelque chose résiste à l’assimilation. Le réel qui émerge dans le transfert, seul lieu où il peut passer par l’expérience et être symbolisé en produisant une singularité, signale l’échec de la logique de l’étiquette diagnostic + médicalisation pour tenter de produire la maîtrise du réel. La virulence des attaques toujours plus infondées avive la tentation de produire une contre-attaque en miroir. Si l’on considère que les idéologies ont besoin de construire un ennemi pour s’affirmer et offrir des promesses de découvertes nouvelles et infaillibles, disponibles pour tous, nous avons le devoir de réfléchir depuis le champ crucial de la critique épistémologique rigoureuse, sans céder à la guerre du marketing qui méconnaît ou nie les fondements de la psychanalyse. L’idéologie masquée de la science (lesdites pseudo-sciences) s’oppose au fait d’amener le sujet à reconnaître son propre savoir inconscient sur ce qui l’atteint. Les pensées structurées comme un langage exigent un déchiffrage ; c’est la raison pour laquelle ce savoir n’advient pas de l’inclusion dans des catégories nosographiques mais de la question sur le rapport entre le sujet et le champ du discours, de l’Autre. Dans la pratique psychanalytique, le diagnostic nosographique n’oriente pas la demande ni la direction de la cure. Les excès de psychotropes ne font pas davantage taire les conflits. Sur ce point, il peut être nécessaire de signaler la validité des avancées scientifiques bienvenues dans les domaines de la psychiatrie, des neurosciences, de la génétique, etc. – des domaines pour lesquels s’impose l’échange transdisciplinaire. La pharmacologie, par exemple, est devenue une ressource indispensable dans plusieurs contextes. Et une fois que les conditions de la demande ont été élucidées, elles ne s’opposent pas au travail sur la vérité propre à la condition humaine. La psychanalyse elle-même ne se place pas dans une position obscurantiste niant les progrès importants de la recherche. D’un autre côté, le discours de la technique a diffusé l’idée de la possibilité d’accéder au bonheur par des voies rapides en supprimant le malaise et en abrégeant le travail de remémoration, de prendre les productions inconscientes sur les voies de la fiction en contrepoint de la subjectivité préprogrammée. Issus de la substitution du savoir inconscient par l’information, les risques de la condition désirante sont réels. Toutefois, on peut se demander si rechercher un bastion, une fortification, une muraille pour la défense du sujet n’attribue pas encore plus de puissance à des discours déjà puissants (parce qu’ils comptent sur l’industrie et les médias, dans la logique de la consommation) mais aussi fallacieux. Les barrières qui situent les impossibles ne sont jamais complètement franchies, contrairement à ce qu’ils promettent. Pour notre référence éthique, nous sommes toujours confrontés au manque de fortification solide. Le désir de l’analyste a besoin de soutenir la traversée dans l’univers du langage, dans lequel règne l’impossibilité du dire. S’il est impossible de mesurer ses effets thérapeutiques, la psychanalyse retire son efficacité et sa puissance de la possibilité de questionner et de comprendre les effets des discours sur nos vies, et ce même si les structures sont des références indispensables dans la pratique clinique et transmettent le réel, l’indicible, l’impossible. S’il fallait un bastion, nous penserions au manque de savoir qui caractérise le psychanalyste. Dans le texte Variantes de la cure type, Lacan (1966) affirme que ce qui peut affecter le plus le champ de l’analyste est de supposer déjà savoir ce que la parole a à dire. D’où l’importance toute particulière de cet extrait de l’Analyse Freudienne : « Il s’agit de soutenir la supposition qu’il y a dans chaque parole une partie du réel et que les symptômes renvoient à la construction d’objets différents et irréductibles... exigeant de prendre le sujet un à un ». Et nous ajoutons : dans le sens contraire à la burocratie ou à la psychologie des masses. La promesse d’une valeur qui serait commune à tous, le collectif organisé par le tout savoir, cherche à établir une mesure commune de jouissance. Le partage de valeurs communes est indispensable au lien social, mais la quête du tout indique un point maximum d’aliénation organisé par ce discours. Dans cette discussion, la question de la jouissance se distingue. Il est important de situer la répétition en tant que circuit à travers lequel se fait l’inscription d’une forme de jouissance. C’est par le biais de la quête de satisfaction que les marques de l’objectalisation majeure du sujet se révèlent et disent de sa fragilité originaire. Il s’agit du réel dont se défendent les discours en tentant de constituer une maîtrise illusoire du corps. La logique classificatoire maintient l’illusion d’une condition intrinsèque à l’objet classifié, qui déterminerait une jouissance commune aux sujets pris dans ladite classe sans interroger les liens langagiers, les circuits parcourus par les pulsions quand elles se sont adressées au champ de l’Autre et reviennent vers le sujet en tant que signification, en établissant une modalité spécifique de jouissance qui se répète. Prenons un bref exemple : une mère emmène sa fille adolescente chez le gynécologiste pour qu’il lui explique le fonctionnement du corps des femmes, lui prescrive la pilule, lui administre le vaccin anti-HPV et l’informe sur la manière de se protéger des maladies sexuellement transmissibles. La jeune fille écoute tout ce qui lui est dit et s’engage à suivre les instructions. Mais peu de temps après elle développe une pratique sexuelle compulsive et s’angoisse à l’idée de tomber enceinte à chaque fois qu’elle a un peu de retard dans son cycle menstruel. Elle fait des crises de panique et des rêves de lacération corporelle. Interrogée par sa mère sur les raisons de sa négligence quant aux soins prescrits, elle répond : « Pourquoi tu demandes ça ? Si je tombe enceinte, le médecin saura quoi faire, non ? ». Cela montre combien l’information/prescription peut produire un clivage entre le sujet et son savoir inconscient ; et dans ce cas, en le déconnectant de toute implication avec son corps et son symptôme, en manque de représentations qui inscrivent la position d’objet de désir caractérisant le féminin pour situer le corps comme objet de jouissance de l’Autre. Cette répétition interroge les limites du savoir médical et parle du vide désirant de la mère, incapable de transmettre quelque chose du féminin. L’analyse de la jeune fille va mettre en cause sa référence à un savoir particulier dépassant l’aliénation au savoir médical, imposé par la demande de la mère, selon lequel la science supprime les risques impliqués dans le désir. Le savoir, la vérité et la connaissance ne s’entrelacent pas n’importe comment dans le champ psychanalytique. Le langage est notre topos, et de ces discours circulants se construit aussi ce que nous concevons comme science, remplie de mythes. En contrepoint de la technique, sans qu’il s’agisse d’un bastion, il nous semble que l’esprit scientifique de la psychanalyse s’affirme pour avoir découvert que la vérité ne peut être dite que comme une fiction. La citation de Freud sur ses observations de malades qui se lisent comme des romans et ne portent pas le cachet sérieux, propre aux écrits des savants, est en cela très précise. Les clefs et les codes de cette vérité se trouvent dans la parole de l’analysant adressée à l’Autre et non pas dans les sigles d’un manuel. La psychanalyse serait-elle aujourd’hui le seul champ où la possibilité de déchiffrage dérive de l’engagement éthique consistant à formuler des doutes et à soutenir de bonnes questions, « en s’obstinant à prendre en compte les lois de l’inconscient » ? Sur la question des représentations, le texte observe que « Freud a édifié un premier modèle pour rendre compte de la représentation et des affects dans leur complexité et de la dynamique du sujet de l’inconscient dans le chapitre VII de L’Interprétation des rêves », tandis que Lacan s’est éloigné de la « vérité scientifique ». Le texte se demande si science rime avec forclusion du sujet et réduction de la vérité à des formules logiques. Et comme l’écrit Freud dans Analyse terminée, analyse interminable, « il ne faut pas oublier que la relation analytique est fondée sur l’amour de la vérité ». À ce stade, deux questions sont posées : Quel est le statut du sujet en psychanalyse ? Quelles sont les opérations nécessaires pour que puisse se produire un sujet à la place du A (Autre) qui le préexiste ? Nous proposons une brève incursion dans le texte freudien Totem et Tabou où l’interrelation est explicite entre le fonctionnement du psychisme à partir de l’inscription de la loi symbolique, et la forme d’organisation sociale dans laquelle est inscrit le sujet. Freud y aborde la construction des croyances, y compris animistes, pour faire face à la crainte d’annihilation. Par la suite, Lacan formule l’état de détresse spécifique de la condition humaine, les religions et les formations de l’inconscient étant organisées par les croyances. Autrement dit, les représentations possibles qui fonctionnent comme un système de croyances viendraient remplacer la marque d’objectalisation du sujet. Ces systèmes viseraient à effacer tout en portant en même temps la mémoire de l’aliénation primaire. C’est le discours en vigueur qui nous indique les possibilités de nous situer dans les liens, d’être représentés par un signifiant et de nous défendre d’une aliénation. Dans la conception analytique, le statut de sujet advient par l’effacement des traits de la condition d’objet dans le monde, par l’effacement de ce qui serait naturel. Cela implique un nouveau type de rapport avec le corps, avec le semblable et avec le monde. C’est le corps-objet qui sera refoulé en constituant un système de représentation pour chacun. L’inscription du trait de représentation d’un objet dans le psychisme, marqué par le langage, éloigne cet objet d’un indice objectif de réalité, de l’indice naturel. C’est cela que le savoir de la science s’attache à rétablir en excluant l’inscription de la perte de jouissance opérée par le langage. Donc, en excluant le sujet. Cette exclusion fait retour sur le corps, exclu du partage des jouissances. L’exclusion de la perte exclut les interdits qui situent les possibilités de jouissance. Freud espérait que la religion soit remplacée par l’objectivité de la science, mais il se trouve qu’elle peut aussi être affectée par nos systèmes de croyances, par les représentations constituées dans l’enfance sur le monde et sur nous-mêmes. Ce qui a échoué par rapport aux expectatives freudiennes, c’est que la science n’a pas dispensé les croyances. À l’heure actuelle, elle opère comme un système religieux, du moins dans la culture occidentale. De nombreux efforts menés pour éliminer la condition de détresse psychique et corporelle ignorent le fait que la condition infantile reviendra toujours, que ce soit par le biais du refoulé ou des phénomènes élémentaires. Une question se pose ici : « Peut-on parler de sujet quand il n’y a pas d’accès possible au fantasme ? ». Le texte répond « probablement oui, néanmoins il faut dire qu’il ne s’agit pas du sujet de l’inconscient au sens freudien du terme ». Nous proposons cette question au débat. L’Analyse Freudienne soumet une autre interrogation : Qu’entendons-nous par sujet pervers quand on considère, de même que Freud, que le sujet est pris dans les trois temps du fantasme ? Parler de fantasme dans la perversion requiert l’inclusion des enseignements de Lacan. Dans Kant avec Sade, il prend le fantasme comme une volonté de jouissance, et à partir de cela il établit une différence avec le fantasme névrotique. « De quel sujet est-il question quand nous parlons de forclusion dans certains cas et de répudiation et déni dans d’autres, sachant que le rapport au discours diffère chez tous ? » C’est à l’analyste d’interroger la manière dont le sujet a traversé les interdictions imposées par le champ de l’Autre pour constituer des bords corporels en face des pulsions, pour se séparer d’un Autre qui l’envahit vu que le fantasme survit en soutenant les craintes ancestrales. Comment fait-il avec la perte de jouissance ? L’écoute psychanalytique cherche à réintroduire la dimension subjective de façon à restaurer une expérience singulière à l’intérieur d’un système de classifications, en reconnaissant le retour de ce qui a été exclu sous la forme du symptôme. Et le texte de s’achever sur l’affirmation selon laquelle Freud a inventé une « science du réel ».