1 L`historien et les mémoires de la seconde guerre mondiale
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1 L`historien et les mémoires de la seconde guerre mondiale
Thème 1 - Le rapport des sociétés à leur passé Question - 1 L’historien et les mémoires de la seconde guerre mondiale en France Problématique(s): - Comment les mémoires de la Seconde Guerre mondiale ont-elles évolué depuis 1945 ? - Comment l'historien peut-il expliquer que l'immédiat après-guerre n'ait pas permis l'émergence de toutes les mémoires ? - Une écriture plus sereine de l’histoire du conflit est-elle aujourd’hui possible ? I. EMERGENCE ET APOGEE DU MYTHE RESISTANCIALISTE (1945 - fin des années 1960) : Comment le mythe d'une France unanimement et massivement résistante s'est-il imposé après 1945? A. La Libération et l'élaboration du mythe résistancialiste (1944-46) La période de la libération et de l'immédiat après guerre est marquée par deux priorités: - restaurer la légalité républicaine. - reconstruire l'unité nationale. La pluralité des expériences de la guerre: Des Français divisés sous l'Occupation. Après la défaite de 1940, le maréchal Pétain, chef du régime de Vichy, collabore avec l'occupant nazi. La plupart des 42 millions de Français subissent et attendent la fin des « années noires », Certains collaborent activement (55 000 Français se sont engagés dans les forces de Vichy ou allemandes). D'autres entrent dans la Résistance (202.851 Français ont reçu une carte de Combattant de la Résistance). =Collaboration: politique de coopération avec l'Allemagne nazie volontairement engagée par l'Etat français pendant la Seconde Guerre mondiale sur les plans politique, économique et culturel. 200.000 soldats français ainsi que 350.000 civils sont morts durant la Seconde Guerre mondiale. Les expériences de la guerre et de la violence ont été diverses: combats et bombardements (des forces de l'Axe et des Alliés), occupation, emprisonnement, déportation voulue par le Reich et secondée par le régime de Vichy... L'épuration: Dès 1944, l'épuration commence contre ceux qui ont collaboré avec l'occupant et les délateurs. L'épuration est d'abord sauvage, elle provoque l'exécution de 9000 personnes par la foule et la tonte de femmes accusées de « collaboration horizontale ». Le gouvernement du GPRF met en place une épuration légale prise en main par l'État et les tribunaux. Cette épuration légale a pris trois formes: judiciaire, administrative (sanctions et révocations de fonctionnaires), et professionnelle (dirigeants d'entreprise, intellectuels, etc...). Les tribunaux ont instruit plus de 300.000 dossiers (Près d'un Français sur 10 est concerné) et jugé plus de 125.000 personnes, dont 75% ont été condamnées: - 24.000 à des peines de prison, - 50.000 à la dégradation nationale (perte des droits civiques). -1536 collaborateurs sont exécutés à l'issue d'une sentence légale. Pierre Laval, chef du gouvernement à partir de 1942, est exécuté le 15 octobre 1945. Le maréchal Pétain, condamné à mort, voit sa peine commuée en détention à perpétuité. L'épuration est à l'origine d'un conflit mémoriel durable, selon qu'on la jugera excessive ou, au contraire, trop clémente. =Epuration: Répression, légale ou spontanée, de ceux qui furent accusés d'avoir collaboré avec l'ennemi pendant la Seconde Guerre mondiale. = Épuration légale: Jugement des collaborateurs selon les règles du droit. = Épuration sauvage: Traque et châtiment expéditif des personnes accusées de collaboration. 1 La naissance du mythe réconciliateur d'une France unanimement résistante Devant l'ampleur des traumatismes, l'objectif primordial est d'enterrer les épisodes peu glorieux de la guerre en élaborant une politique mémorielle visant à taire et à faire taire les divisions. À la Libération, Charles de Gaulle choisit de faire de Vichy une parenthèse. « Vichy fut toujours et demeure nul et non avenu » (général de Gaulle, Mémoires de guerre, tome 2, 1956). Il veut montrer aux Alliés que l'unité nationale républicaine est restaurée. Dès la libération de Paris, le 26 août 1944, de Gaulle exalte l'image d'une France qui s'est libérée seule et qui a lutté toute entière contre l'occupant. Cette version, bien que fausse, permet de souder les Français, d'effacer leurs différends et de faire en sorte qu'ils se reconnaissent tous dans le gouvernement issu de la Résistance: le gouvernement provisoire de la République française (GPRF). La cérémonie du 11 novembre 1945 célèbre alors la victoire et la concorde nationale; sont honorés quinze Français, victimes du conflit: des résistants, des déportés, des militaires. Pour l'ensemble des forces issues de la Résistance, la priorité, au lendemain de la guerre, est de rétablir l'unité nationale et la puissance de la France. Il convient de faire oublier la défaite de 1940 et l'existence du régime de Vichy, une fois ses principaux responsables condamnés. Toutes les forces politiques issues de la résistance, notamment les gaullistes et les communistes, font de cette période une lecture héroïque. Toute la France est présentée comme résistante. La mémoire officielle aborde peu les crimes du régime de Vichy, en particulier la participation active de l'administration française à la déportation des Juifs de France. Mémoire gaulliste et mémoire communiste, deux mémoires dominantes à prétention hégémonique. Au-delà de leurs divergences politiques, gaullistes et communistes enracinent, après la guerre, le culte d'une France massivement résistante. C'est la naissance du mythe résistancialiste. - La mémoire gaulliste privilégie la dimension militaire de la Résistance et tend à minorer la part prise par les Alliés dans la libération du pays. - En se présentant comme le « parti des 75.000 fusillés », le PCF récupère quant à lui les traditions patriotiques de la gauche française et cherche à faire oublier son approbation du pacte germano-soviétique en 1939. Les historiens ont établi que 30.000 Français ont été exécutés par l'occupant. Ils étaient de différentes tendances politiques, la majorité étant communiste. = Pacte germano-soviétique: signé par l'URSS et l'Allemagne le 23 août 1939, ce traité déclare que les deux puissances ne se feront jamais la guerre. =Résistancialisme: Néologisme forgé par l'historien Henry Rousso pour désigner le mythe, bâti et diffusé par les gaullistes et les communistes, selon lequel les Français auraient massivement et unanimement résisté durant la Seconde Guerre mondiale à l'occupation nazie. B. La IVe République (1946-1958), mène une politique d'apaisement aux résultats inégaux: Sous la IVe République (1946-1958), est menée une politique d'apaisement qui vise à favoriser la réconciliation nationale. Les débats parlementaires autour des lois d'amnistie des condamnations prononcées à la Libération sont très violents et provoquent de vives tensions politiques. Ces lois, surtout souhaitées par les partis de droite, sont vivement contestées à gauche. Après une loi d'amnistie partielle en 1947 concernant les délits secondaires, la droite vote contre la gauche deux lois d'amnistie qui, en 1951 et en 1953 élargissent progressivement l'amnistie à tous les crimes, exceptés les plus graves et libèrent la plupart des personnes encore détenues depuis la guerre. = Lois d'amnistie: Mesure légale qui annule les inculpations pour des catégories de crimes précises. Les lois d'amnistie participent d'une politique de l'oubli. La polémique sur ces lois d'amnistie rebondit en 1953 à l'occasion du procès de 21 membres de la division SS « Das Reich» jugés en France pour le massacre des 642 habitants d'Oradour-sur-Glane. Parmi les accusés, figuraient 12 «malgré-nous» alsaciens qui ont été condamnés, mais aussitôt amnistiés => conflit mémoriel. = « Malgré-nous»: nom donné aux 130.000 Alsaciens-Lorrains incorporés de force dans l'armée allemande. 2 Cette politique d'apaisement passe aussi par un travail législatif pour créer ou compléter les différents statuts destinés à ouvrir aux victimes un droit à reconnaissance et à réparation. Deux statuts sont votés pour les déportés: - "Déportés et internés de la résistance" => voté le 8 août 1948 - " Internés et déportés politiques" = voté le 9 septembre 1948; concerne essentiellement les juifs La loi du 25 mars 1949 précise la qualité de résistant et les moyens pour la faire reconnaître. La loi du 15 mai 1951 fixe le statut des travailleurs requis en Allemagne "personnes contraintes au travail en pays ennemi". Les débuts de la guerre froide renforcent la politisation des mémoires. - 14 mai 1947: renvoi des ministres communistes => fin du tripartisme (PCF, SFIO [socialistes], MRP [démocrates chrétiens / centristes]) - Dans les années 1950, le PCF, sous influence de l'URSS, exploite le ressentiment germanophobe pour mettre en garde contre le réarmement de la RFA (Allemagne de l'Ouest) et s'opposer à la CED. = CED: La Communauté européenne de défense (CED) était un projet, soutenu par les Etats-Unis, de création d'une armée européenne, avec des institutions supranationales, placées sous la supervision du commandant en chef de l'OTAN, qui était lui-même nommé par le président des États-Unis. Dans le contexte de la Guerre froide, le projet devient un traité, signé par 6 États en 1952. Ratifié par la République fédérale d'Allemagne, la Belgique, le Luxembourg et les Pays-Bas, le traité instituant la CED sera rejeté par l'Assemblée nationale française le 30 août 1954. La CED devait permettre le réarmement de l'Allemagne de l'Ouest en fondant une armée européenne intégrée. C. L'éclatement des mémoires de la 2GM dans les années 1950: La pluralité des expériences de la guerre rend difficile la formation d'une mémoire unitaire: Les revendications qui émergent après 1945 viennent de différents groupes. Prisonniers de guerre, résistants, requis du STO (Service du travail obligatoire) tentent de faire reconnaître leurs souffrances et de faire valoir leurs droits matériels et moraux. - Les résistants se rassemblent dans des associations différentes, au gré de leurs affinités politiques. - Les anciens combattants et prisonniers de guerre, qui ne peuvent obtenir la même reconnaissance mémorielle que les poilus de 1914, mettent surtout en avant leurs revendications matérielles (pensions, etc.). - Les requis du STO sont assimilés aux prisonniers de guerre. Or ils revendiquent durant de nombreuses années la qualité de « déportés du travail », ce qui leur est définitivement refusé en 1979. La FNDT devient la Fédération nationale des victimes et rescapés des camps nazis du travail forcé. = STO: Service du travail obligatoire, créé en 1943, qui fait obligation aux jeunes Français de travailler dans les entreprises allemandes. La multiplication des associations rend plus difficile la formation d'une mémoire unitaire de la guerre, en dépit des initiatives prises en ce sens. L'historien Olivier Wieviorka évoque en 2010, pour caractériser ces divisions, une « mémoire désunie ». En 1954, une « journée nationale du souvenir des victimes et des héros de la déportation » est instaurée. Aucune distinction n'est faite entre les différentes catégories de déportés (résistants, juifs). La spécificité de la déportation raciale n'est pas encore reconnue. La mémoire de la déportation raciale: une mémoire refoulée: Le retour des déportés raciaux. En dépit de l'émotion suscitée par le retour des survivants du génocide (à partir d'avril 1945), les responsabilités de Vichy et de l'administration française dans la déportation des juifs de France sont éludées. La communauté juive est abasourdie par la découverte de l'ampleur du génocide. Les rescapés qui, dès cette époque, veulent témoigner, se heurtent à une société qui est peu réceptive à l'évocation de leur souffrance. Ils adoptent souvent le silence face à une société qui n'est pas prête à les entendre. La mémoire juive est ainsi occultée ou confondue dans le souvenir global de la déportation. L'atrocité des crimes commis dans les camps est difficile à réaliser et les Français ne font pas bien la différence entre la déportation raciale et la déportation politique. La parole des résistants l'emporte sur celle des déportés raciaux. 3 La IVe République a souvent choisi de taire les sujets qui fâchent, comme en 1956, lorsque la censure frappe le film Nuit et Brouillard d'Alain Resnais (présenté hors festival à Cannes). La scène montrant un gendarme français surveillant les prisonniers du camp de transit de Pithiviers est censurée. = Déportation: Action d'éloigner et d'isoler un groupe. Les motifs peuvent être politiques (déportation politique comme pour les résistants) ou raciaux (déportation raciale comme celle des Juifs). Une contre-mémoire maréchaliste se structure à partir des années 1950. Elle s'appuie sur la thèse du glaive et du bouclier => Thèse développée par le journaliste Robert Aron en 1954 dans son livre Histoire de Vichy, selon laquelle Pétain cherchait à protéger les Français pour préparer la libération armée par de Gaulle. Une campagne est menée contre le maintien en détention du maréchal Pétain. Après la mort de celui-ci en 1951, l'association pour défendre la mémoire du maréchal Pétain réclame la révision de son procès de 1945 et le transfert de ses cendres à l'ossuaire de Douaumont. = Ossuaire de Douaumont: monument commémoratif élevé sur le site de la bataille de Verdun (1916). D. La république gaullienne instaure une mémoire officielle de la 2nde Guerre mondiale fondée sur le mythe résistancialiste Le retour de De Gaulle au pouvoir en 1958 marque le triomphe de la mémoire gaulliste. Le retour du général de Gaulle au pouvoir en 1958 renforce la place centrale de la Résistance dans la mémoire nationale. De Gaulle développe une politique mémorielle qui consacre le mythe résistancialiste = Politique mémorielle: ensemble des moyens mis en œuvre par les pouvoirs publics pour entretenir et commémorer le souvenir d'un événement, d'une personnalité ou d'un groupe de personnes (mémoriaux, musées, cérémonies officielles, actions éducatives, etc.). De Gaulle s'emploie tout d'abord à confisquer la mémoire résistante au seul profit de son camp politique et au détriment des résistants isolés et particulièrement des communistes dans ce contexte de guerre froide. La mémoire de la Seconde Guerre mondiale se conjugue alors au singulier. Tandis que la mémoire communiste insiste sur l'action centrale du parti dans la Résistance, la mémoire gaulliste préfère gommer les clivages politiques entre résistants et s'appuyer sur une vision unificatrice (mythe du " Tous résistants "). Pour le général de Gaulle, il convient de mettre le régime de Vichy entre parenthèses. Si tous les Français n'ont pas été résistants, l'âme de la France l'était et elle se trouvait à Londres. Le général de Gaulle encourage ainsi la diffusion d'une mémoire officielle de la guerre éminemment sélective. Le souvenir de Vichy, de la collaboration et de la déportation raciale en est occulté. La presse, les commémorations, le cinéma valorisent une vision héroïque de la guerre en insistant sur la Résistance. Certains historiens, dont Henry Rousso, parlent de « mythe résistancialiste » pour qualifier cette croyance. = Mythe résistancialiste: Mythe développé surtout par les gaullistes et les communistes selon lequel les Français auraient unanimement et naturellement résisté depuis le début de la Seconde Guerre mondiale. Formule élaborée par l'historien Henry Rousso pour qualifier le moment mémoriel de mise en avant d'une Résistance unie dont les valeurs auraient été partagées par tous les Français durant la guerre. L'exaltation d'une France unie dans le combat contre le nazisme s'inscrit aussi dans la volonté de surmonter les difficultés de la guerre d'Algérie (1954-1962). La mise en scène de la mémoire gaulliste devenue mémoire officielle. En 1960, le mémorial de la France combattante est inauguré. Plus d'une vingtaine de musées sont construits entre 1960 et 1969, tous consacrés à la France combattante. La cérémonie du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon en décembre 1964 représente le paroxysme de cette politique mémorielle gaulliste célébrant la Résistance. Diffusée en direct à la radio, elle permet de célébrer l'unité de la France combattante à travers Jean Moulin, radical-socialiste rallié à de Gaulle. Cette mémoire officielle, partielle et partiale, apparaît clairement dans le célèbre discours d'André Malraux prononcé à cette occasion: il y assimile toute la Résistance à de Gaulle. Jean Moulin occulte alors 4 les autres figures résistantes non-gaullistes: Pierre Brossolette, Rol-Tanguy (le communiste ayant organisé le soulèvement de Paris en août 1944). "Voir dans l'unité de la Résistance le moyen capital du combat pour l'unité de la nation, c'était peutêtre affirmer ce qu'on a, depuis, appelé le gaullisme. " André Malraux, discours prononcé lors du transfert des cendres de Jean Moulin au Panthéon, 19 décembre 1964. = Jean Moulin (1899-1943): Préfet en 1940, il refuse de se soumettre aux autorités allemandes, et gagne Londres en 1941. Chargé par de Gaulle d'unifier les différents mouvements de Résistance, il forme le Conseil national de la Résistance en 1943. Il est arrêté par la Gestapo et meurt lors de son transfert en Allemagne des suites des tortures subies, ordonnées par le SS Klaus Barbie. Ses cendres sont déposées au Panthéon en 1964. Le concours national de la Résistance (concours scolaire) est créé la même année (1964). Le résistancialisme imprègne également la culture populaire. Si le film de René Clément La Bataille du rail (1946) glorifiait la résistance des cheminots, ce sont les Français moyens qui sont moqués ou valorisés dans La Grande Vadrouille de Gérard Oury (1966). Les nombreux oubliés de la mémoire gaulliste Par ailleurs, la mémoire gaulliste occulte volontairement les pages sombres des « années noires» également selon l'expression d'Henri Rousso. La collaboration et les responsabilités du régime de Vichy sont passées sous silence / occultées. Dans un souci de concorde nationale, on juge donc que l'épuration menée de manière souvent sauvage au sortir de la guerre, les exécutions de Pierre Laval ou de Robert Brasillach (écrivain favorable à la collaboration) par exemple, ont clos l'exigence de justice. Pourtant, le processus d'épuration légale, mené par la justice, a un goût d'inachevé : l'administration a été peu touchée. Un haut fonctionnaire comme Maurice Papon a pu poursuivre sans encombre sa brillante carrière alors que, en poste à la préfecture de la Gironde, il a contribué à la déportation à Auschwitz de plusieurs centaines de juifs. Sont rejetés également les souvenirs et la parole des principales victimes du conflit: les combattants de 1940 et prisonniers de guerre, les déportés juifs. Leur statut de vaincus en fait des antihéros. Si la déportation est évoquée c'est surtout pour mettre en valeur l'expérience inhumaine vécue par les résistants. La spécificité de la déportation des juifs et du génocide est niée. Les témoins sont peu nombreux, leur présence et leurs propos dérangent. Ce déni entre en résonance avec leur propre incapacité à faire le récit de l'expérience des camps. Ces difficultés à entendre toutes les mémoires de la guerre s'illustrent dans le choix délicat d'une journée nationale de commémoration de la victoire. Le 8 mai est férié ou non, au gré des pouvoirs en place de la Ve République, car il n'a jamais fait l'unanimité, à la différence du jour du débarquement ou de la Libération qui sont plus spécifiques à la France. L'immédiat après-guerre, marqué par la figure gaullienne, est donc celui d'une amnésie collective pour permettre le retour de la concorde nationale. Ce n'est qu'après plus de deux décennies que la France accepte de confronter mémoire et histoire et d'avoir un regard plus exact sur la Seconde Guerre mondiale. II - La remise en cause du mythe résistancialiste (fin des années 1960 - années 1980): A. Un contexte politique et social plus favorable à un regard neuf sur les "années noires": Après 1968, la société toute entière est invitée à remettre en cause ses certitudes. Le contexte de la fin des années 1960 permet l'émergence des multiples mémoires de la guerre. - Le général de Gaulle est critiqué => lassitude envers le gaullisme institutionnalisé et dominant (Mai 68): De Gaulle, incarnation d'une Résistance glorieuse, quitte le pouvoir en 1969 et décède en 1970. - le parti communiste décline => remise en cause de l'hégémonie du PCF par la gauche et par les mouvements gauchistes (maoïstes, trotskistes, tiers-mondistes...) qui séduisent la jeunesse. - crise de croissance de la génération des baby-boomers, tout incite à la révision du mythe de l'unanimisme résistant. La génération de mai 1968, parallèlement à une remise en cause de l'autoritarisme du pouvoir et des blocages de la société française, n'a pas connu la guerre => une plus grande objectivité sur la guerre devient possible. 5 Les mémoires diverses occultées par le résistancialisme officiel vont pouvoir s'exprimer. Elles insistent sur l'attentisme des Français, leurs responsabilités voire leur culpabilité. Un passé qui ne passe plus => la mort du général de Gaulle en 1970 change en profondeur la lecture de la guerre. l'accent est alors mis sur les attitudes des Français sous le régime de Vichy et durant l'Occupation. À partir des années 1970, les tabous entretenus jusque-là sur Vichy sautent les uns après les autres .Les successeurs du général de Gaulle éprouvent bien plus de difficultés à justifier les choix de leur politique mémorielle. - En 1972, alors que l'opinion s'émeut de la grâce partielle accordée au milicien Paul Touvier en 1971, le président Pompidou s'en explique en déclarant le moment venu « d'oublier ces temps où les Français ne s'aimaient pas ». - En 1975, Valéry Giscard d'Estaing s'attire les vives critiques des milieux résistants en décidant de ne plus commémorer le 8 mai au nom de l'amitié franco-allemande. = Milicien: membre de la Milice, organisation paramilitaire fasciste et collaborationniste créée et dirigée par Joseph Darnand en 1943, responsable de nombreux assassinats de résistants et de juifs. B. L'image héroïque d'une France massivement résistante s'efface derrière une représentation plus nuancée et moins glorieuse de la France occupée. Les avancées de la recherche historique modifient perception de période de la Seconde Guerre mondiale et de la collaboration: Fondé en 1951, le Comité d'histoire de la Seconde Guerre mondiale oriente surtout ses recherches sur l'histoire de la guerre et de la Résistance. Jusqu'aux années 1960, le régime de Vichy et le maréchal Pétain demeurent largement épargnés par les historiens français. Un renouvellement historiographique. Signe du retard scientifique français causé par les dénis de la conscience nationale sur la mémoire de la guerre, c'est un historien américain, Robert O. Paxton, qui initie les recherches sur Vichy. Dans son livre, La France de Vichy, 1940-1944, traduit en 1973, il opère sur ce plan un renouvellement complet: - il montre l'ampleur de la collaboration du régime et les liens étroits entre Vichy et l'Allemagne nazie: la Révolution nationale et la collaboration ont été des initiatives françaises, assumées aussi bien par Pétain que par Laval. Il insiste sur la volonté de Vichy de mener une politique de rénovation de la société française, indépendante des nazis, notamment une politique antisémite. Il est persuadé que, sans le concours de l'administration et des forces policières de Vichy, jamais le IIIe Reich n'aurait eu les moyens de déporter 76.000 Juifs de France. - Il discrédite aussi la théorie de « l'épée et du bouclier» qui voulait que le régime de Vichy ait protégé les Français tandis que le général de Gaulle combattait. Il prouve au contraire la participation active et zélée de Vichy aux desseins allemands, insistant sur les initiatives françaises dans la collaboration. La passivité et la complicité des Français deviennent alors une des lectures du passé qui sapent le mythe résistancialiste et contribuent à créer un contre-mythe, tout aussi éloigné de la complexité de la réalité historique, celui du "tous collabos". =Collaboration: politique de coopération avec l'Allemagne nazie volontairement engagée par l'Etat français pendant la Seconde Guerre mondiale sur les plans politique, économique et culturel. = Révolution nationale: nom donné par le maréchal Pétain en 1940 à son programme de « régénération» de la France et de réaction contre les principes de 1789. = théorie de « l'épée et du bouclier»: thèse d'un double jeu du régime de Vichy: la collaboration aurait servi à protéger les Français. Les années 1970 et 1980 sont alors fécondes pour la recherche historique grâce notamment aux travaux de François Bedarida, d'Henry Rousso et Jean-Pierre Azéma (La Collaboration : 1940-1944, paru en 1975), par exemple, sur la collaboration. Ces travaux d'historiens permettent le rétablissement des faits historiques en insistant sur la diversité des attitudes des Français: peu résistèrent, peu collaborèrent (5 % environ), la plupart furent attentistes, beaucoup furent pétainistes au début de la guerre et gaullistes à la fin. Le cinéma français, reflet de l'évolution des mémoires de la Seconde Guerre mondiale Le cinéma français a également joué un rôle important. Avec des films comme Le Chagrin et la pitié (1969) ou Lacombe Lucien (1974), le cinéma contribue à la « déshéroïsation » de la guerre. 6 - Le Chagrin et la Pitié (1969) de Marcel Ophüls retrace la vie d'une ville française (Clermont-Ferrand) pendant les années noires de l'Occupation. Il fissure le mythe d'une France massivement résistante et met en avant la passivité ou la collaboration. Il décrit des Français fortement pétainistes et surtout occupés à survivre. Ce documentaire sur l'Occupation et ses compromissions - est interdit de télévision jusqu'en 1981. - En 1973, Lacombe Lucien, le film de Louis Malle, met en scène les ambiguïtés des Français sous l'Occupation. - En revanche, la télévision repasse régulièrement La Grande Vadrouille (1966), succès absolu avec 17 millions d'entrées en salle, et sa vision débonnaire de l'Occupation. C. L'éveil d'une mémoire juive de la déportation À partir des années 1960, s'affirme une mémoire juive qui insiste dorénavant sur le sort spécifique réservé aux juifs durant la guerre. Deux événements jouent un rôle majeur en ce sens: Le procès d'Adolf Eichmann en 1961 en Israël. Officier SS responsable de l'organisation logistique de la Solution finale, ayant fui en Argentine, Adolf Eichmann est enlevé clandestinement par les services secrets israéliens en 1960 et jugé à Jérusalem en 1961, condamné à mort et pendu en 1962. Son procès, intégralement filmé, est l'occasion de libérer la parole des anciens déportés rescapés. Pour la première fois la parole est donnée aux victimes et témoins du génocide. La guerre des Six-Jours, qui a fait craindre une possible destruction de l'État d'Israël. Dès lors, les communautés de la diaspora se mobilisent autour de la commémoration du génocide. En France, le réveil de la mémoire juive de la guerre rompt le silence entretenu sur l'antisémitisme de Vichy. = Diaspora: ensemble des communautés juives dispersées dans le monde, vivant en dehors de l'État d'Israël. La relève des générations. La génération des enfants de déportés a beaucoup œuvré à la reconnaissance de la mémoire du génocide. Elle a mené à partir de la fin des années 1960 un triple travail: Un travail de justice. Les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles depuis 1964. Dès cette époque, Serge Klarsfeld (fils de déporté) et son épouse allemande Beate s'emploient à faire juger en France ou en Allemagne les responsables du génocide. Des plaintes sont déposées contre d'anciens vichystes pour crimes contre l'humanité, comme le milicien Paul Touvier. Un travail d'histoire et de mémoire. En 1978, S. Klarsfeld publie un Mémorial de la déportation des juifs de France, qui recense les noms des victimes françaises de la Shoah. Il fonde l'année suivante l'association des Fils et Filles des déportés juifs de France. Cette mobilisation des nouvelles générations intervient alors que le négationnisme trouve un écho inattendu dans les médias. = Crimes contre l'humanité: nouveau chef d'accusation défini lors du procès de Nuremberg (nov. 1945oct. 1946) comme étant « l'assassinat, l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation et tout autre acte inhumain inspirés par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux et organisés en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile ». L'essor des thèses négationnistes à la fin des années 1970: A la fin des années 1970, les négationnistes commencent à s'exprimer dans les médias. Ainsi en 1978, Darquier de Pellepoix, commissaire général aux questions juives du régime de Vichy, déclare: « à Auschwitz [ ... ] on a gazé les poux. » Témoigner devient alors une nécessité. =Négationnisme: thèse niant l'existence des chambres à gaz et du génocide des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale. Depuis la loi Gayssot (1990), exprimer une telle opinion est un délit. Prétendant « réviser» l'histoire, les négationnistes se qualifient eux-mêmes de « révisionnistes ». Le choc du film Shoah (1985). Cette longue enquête menée par Claude Lanzmann, constituée de témoignages de rescapés et de bourreaux, décrit le fonctionnement précis de ce que l'historien américain Raul Hilberg appelle alors La Destruction des Juifs d'Europe (1985). Les témoignages successifs rendent compte de l'horreur de la déportation raciale et des chambres à gaz. = Shoah: mot hébreu qui signifie « catastrophe » et qui désigne l'extermination des juifs par les nazis. 7 III. Depuis les années 1980: le temps de l'apaisement ? Dans quelle mesure les conflits de mémoire liés au souvenir des "années noires" ont-ils été surmontés ? A. Procès et polémiques des années 1980-1990 Les grands procès pour crime contre l'humanité en France: À la suite du vote, en 1964, d'une loi reconnaissant l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité et grâce aux efforts des associations de déportés et d'enfants de déportés, des criminels de guerre nazis et de hauts fonctionnaires de Vichy, sont poursuivis et jugés en France à partir de la fin des années 1970. - En 1987, Klaus Barbie, chef de la Gestapo à Lyon et tortionnaire de Jean Moulin, est condamné à la réclusion criminelle à perpétuité pour crimes contre l'humanité, notamment pour la rafle des enfants d'Izieu. - Paul Touvier (procès: 1994): Ancien chef de la Milice lyonnaise. Après une longue cavale, il est arrêté à Nice en 1989 puis condamné à la réclusion criminelle à perpétuité en 1994 pour l'exécution de sept otages juifs. - Maurice Papon (procès: 1997-1998): Après 16 années de procédure, l'ancien secrétaire général de la préfecture de la Gironde (Bordeaux) et ministre de 1978 à 1981, accusé d'avoir supervisé la déportation de près de 1700 Juifs vers Drancy, est condamné pour complicité de crimes contre l'humanité, en 1998, à 10 ans de réclusion criminelle et à la privation des droits civiques. - Alois Brunner (Procès: 2001): Ancien officier SS et collaborateur d'Eichmann, responsable du camp de Drancy. La cour d'assises de Paris le condamne en 2001 par contumace à la réclusion criminelle à perpétuité. =Crimes contre l'humanité: Depuis 1964 en France, ces crimes planifiés et réalisés contre des populations civiles sont imprescriptibles. Le pouvoir politique n'avait jusque-là jamais reconnu officiellement la responsabilité de l'État français dans la déportation raciale. Pourtant, Maurice Papon, en 1983, et René Bousquet, en 1991, deux anciens fonctionnaires vichystes, font l'objet d'une inculpation pour « crime contre l'humanité ». Ces affaires sont très médiatisées. Les polémiques de la fin de l'ère Mitterrand: Issu de la Résistance, le président François Mitterrand entretient un rapport complexe avec la période de la seconde Guerre mondiale. Il rétablit la célébration du 8 mai comme jour férié dès 1981. Tout comme de Gaulle, il refuse de reconnaître officiellement la responsabilité de la France, et non plus seulement de Vichy, dans la déportation des juifs (cf. journée nationale de commémoration des victimes des persécutions racistes et antisémites / 1993). Toutefois, le fleurissement annuel de la tombe de Pétain le 11 novembre sur décision François Mitterrand, entre 1984 et 1992, provoque un scandale: en juillet 1992, François Mitterrand est hué lors de la commémoration des 50 ans de la rafle du Vél' d'Hiv. Il était pourtant le premier chef d'État à y assister Les Français découvrent en 1994 avec le livre Pierre Péan, Une jeunesse française, qu'il avait travaillé pour le gouvernement de Vichy avant d'entrer dans la Résistance. Ces révélations sur son attitude pendant la guerre sèment le trouble dans l'opinion publique. Fonctionnaire à Vichy, décoré par Pétain, il était aussi, dès 1943, à la tête d'un mouvement de Résistance. Les historiens qualifient de vichysto-résistants ceux qui, après avoir soutenu Vichy, entrent en Résistance. =Vichysto-résistant : Néologisme inventé par l'historien D. Peschanski pour qualifier ceux qui participent à la Résistance tout en étant attachés aux idées de Vichy. B. Avec les années 1990, le souvenir de la Seconde Guerre mondiale en France se focalise sur la mémoire de la Shoah: Commémorer la déportation s'affirme au cours des années 1990 comme un « devoir de mémoire », c'est-à-dire l'obligation morale de se souvenir d'un événement traumatique afin de rendre hommage aux victimes. Depuis les années 1990, le « devoir de mémoire » est invoqué de façon récurrente par l'État, les associations d'anciens combattants, de résistants, de déportés, par des minorités persécutées ou des 8 victimes civiles de la Seconde Guerre mondiale. Cette exigence nouvelle d'un « devoir de mémoire» s'accompagne d'un recentrage de la mémoire de la guerre sur celle de ses victimes juives. Les procès pour crimes contre l'humanité en France, notamment celui du haut fonctionnaire Maurice Papon en 1997, établissent désormais clairement la complicité de l'appareil d'État dans les déportations. = Devoir de mémoire: expression apparue dans les années 1990, qui désigne l'obligation d'entretenir le souvenir des souffrances endurées par les victimes et de réparer le préjudice moral et matériel qu'elles ont subi. La loi Gayssot (1990) qualifie de délit la contestation de l'existence des crimes contre l'humanité. Elle sanctionne donc l'expression du négationnisme = Lois« mémorielles»: lois qui, sur certains sujets, établissent des vérités historiques officielles et visent à réprimer ceux qui les nient ou les falsifient. En 1993, François Mitterrand institue une « Journée nationale à la mémoire des victimes des persécutions racistes et antisémites commises sous l'autorité de fait dite "gouvernement de l'État français" (1940-1944) », le 16 juillet, date anniversaire de la rafle du Vel d'Hiv (1942). C'est une reconnaissance de la spécificité de la déportation raciale (par rapport aux déportés pour faits de résistance) mais cette formulation montre que F. Mitterrand ne reconnaît pas la responsabilité de la République dans la déportation des juifs. La reconnaissance des crimes de l'État français. En 1995, Jacques Chirac lève les dernières ambiguïtés du discours officiel et fait acte de repentance au nom de la France: « Oui, la folie criminelle de l'occupant a été secondée par des Français, par l'État français. » Il reconnaît ainsi la responsabilité / complicité de l'État français dans la déportation des Juifs de France. Il renonce à la distinction entre la République et le régime de Vichy initiée par le général de Gaulle. Il tient néanmoins à rendre simultanément hommage aux « Justes de France », dont le souvenir est désormais associé à celui des victimes de la déportation. = «Justes»: titre attribué depuis 1953 par le mémorial Yad Vashem de Jérusalem aux personnes non juives (« Justes parmi les nations ») ayant, au péril de leur vie, sauvé des juifs de l'extermination nazie. Au 1er janvier 2013, 3654 Français l'ont reçu, les plus nombreux après les Polonais et les Néerlandais. =Repentance: Manifestation publique de demande de pardon, exprimée par un Etat ou une entreprise envers un Etat ou un groupe de victimes. En 1997, le Premier ministre, Lionel Jospin, met en place une mission d'étude sur la spoliation des Juifs de France pendant l'Occupation afin d'indemniser les familles juives spoliées et les enfants de déportés. Une partie d'entre eux n'avait pas été indemnisée au lendemain de la guerre. En 2004, la journée du 16 juillet (date de la rafle du vel' d'hiv en 1942) devient officiellement dédiée « à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'État français et en hommage aux "Justes" de France ». En 2005, le mémorial de la Shoah est inauguré à Paris par J. Chirac. Dans les programmes scolaires, une place grandissante accordée au génocide juif depuis les années 1990. La République française se montre aujourd'hui soucieuse de transmettre aux jeunes générations une mémoire de la guerre dans laquelle l'ensemble des Français puisse se reconnaître autour de valeurs communes. C. Les enjeux mémoriels des années 2000: N. Sarkozy et F. Hollande ont renoué avec la célébration de la Résistance: L'arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir redonne un statut héroïque à la Résistance, notamment par sa décision de faire lire la lettre de Guy Môquet dans les lycées et par ses déplacements annuels au plateau des Glières. Hostile à la repentance, le président Nicolas Sarkozy a souhaité redonner toute sa place à la mémoire de la Résistance. Toutefois, plusieurs de ses initiatives furent critiquées: - En 2007, une journée nationale fut organisée en l'honneur de Guy Môquet : un choix contesté, car ce jeune militant communiste, fusillé par les Allemands en 1941, avait été arrêté pour ses activités politiques et non pour des faits de Résistance. En demandant que soit lue dans les lycées la dernière lettre de ce jeune militant communiste, le président Nicolas Sarkozy fut accusé d'instrumentaliser l'histoire et la mémoire de la résistance communiste ainsi que de favoriser une approche émotionnelle et non historique du passé. 9 - En 2008, Nicolas Sarkozy proposa que chaque élève de CM2 soit chargé du souvenir d'un enfant déporté, ce qui suscita de vifs débats (Simone Veil, ancienne déportée critiqua cette proposition) et l'abandon de cette proposition. = Repentance: acte par lequel une institution (État, entreprise, Église, etc.) reconnaît officiellement une faute commise dans le passé. En 2013, François Hollande décide de créer une journée du souvenir de la Résistance le 27 mai, en commémoration de la fondation du CNR. = CNR (Conseil national de la Résistance) Organisme fondé en 1943 par Jean Moulin. Il regroupe les mouvements de résistance, les partis politiques et les syndicats hostiles au régime de Vichy et à l'occupation allemande. En février 2014, le président François Hollande annonce l'entrée au Panthéon de quatre résistants qui incarnent différentes formes d'engagement. Une meilleure prise en compte de la pluralité des mémoires: Le 18 janvier 2007, une cérémonie au Panthéon rend officiellement hommage aux « Justes de France », =Justes parmi les nations : Titre décerné par le mémorial Yad Vashem, au nom de l'État d'Israël, en l'honneur de ceux qui ont risqué leur vie pour sauver des Juifs de la Shoah. = Justes: L' expression « justes parmi les nations » est tirée du Talmud, livre sacré des Juifs. Elle désigne, dès les années 1950, les personnes ayant mis leur vie en danger pour sauver des Juifs durant la guerre. D'autres acteurs oubliés de la guerre ont été réintégrés tardivement dans la mémoire nationale, comme les soldats des troupes coloniales originaires d'Afrique noire ou du Maghreb. L'État s'est ainsi montré plus respectueux de la pluralité des mémoires. Les « Malgré-nous » sont officiellement reconnus comme « victimes du nazisme» le 8 mai 2010. = Malgré-nous: Expression qui désigne les Alsaciens et Mosellans incorporés de force dans l'armée allemande pendant la guerre. Les femmes réquisitionnées pour travailler dans les entreprises allemandes sont appelées les « Malgré-elles ». Mais certains groupes sont encore relégués dans la mémoire nationale. C'est le cas notamment des Tziganes qui, victimes d'un génocide, n'ont toujours pas, en France, de journée de commémoration ou d'hommage officiel. Les associations militent pour que le 2 août (près de 3000 tziganes furent gazés à Auschwitz le 2 août 1944) soit officiellement déclaré journée de mémoire du génocide tsigane. Célébrer l'unité européenne et la réconciliation franco-allemande En 2004, Jacques Chirac invite pour la première fois un chancelier allemand, Gerhard Schröder, aux cérémonies d'anniversaire du débarquement de Normandie. En 2013, François Hollande et son homologue allemand Joachim Gauck commémorent ensemble le massacre d'Oradour-sur-Glane. Ces manifestations permettent ainsi de célébrer l'unité européenne et la réconciliation franco-allemande. D. Les historiens face aux nouveaux enjeux des mémoires de la Seconde Guerre mondiale: En 1987, Henry Rousso publie Le Syndrome de Vichy. C'est le premier ouvrage à faire des mémoires de la seconde Guerre mondiale un objet d'histoire à part entière. De nombreux autres historiens suivront cette voie (ex: Pierre Laborie, Le chagrin et le venin, 2011; Olivier Wieviorka, La mémoire désunie, 2010) Lors des procès de Paul Touvier (1994) puis de Maurice Papon (1998), des historiens sont appelés à la barre comme "experts du passé" (Jean-Pierre Azéma, Philippe Burrin, Robert Paxton, Marc-Olivier baruch). Leur intervention fait débat: - Certains considèrent que leur tâche peut être d'éclairer le jury en replaçant dans leur contexte historique les actions des prévenus. - D'autres, comme Henry Rousso, refusent cette fonction: pour eux, le récit historique ne ressaisit pas les comportements individuels dans toutes leurs nuances. Est-ce le rôle de l'historien que d'être un témoin, un juge? De nombreux historiens se sont montrés réticents devant les appels au «devoir de mémoire », estimant que leur rôle est de comprendre et d'expliquer, non de commémorer. Ils considèrent que les interventions de 10 l'État dans le rapport au passé avec les lois mémorielles handicapent leur travail en imposant un discours fondé non pas sur la recherche mais sur le vécu traumatisant des victimes ou de leurs descendants. En effet, dans le sillage la loi Gayssot, un intense travail parlementaire a abouti au vote de nouvelles lois mémorielles: sur la reconnaissance du génocide arménien de 1915 et sur la traite et l'esclavage en tant que crime contre l'humanité (janvier et mai 2001), sur les rapatriés d'Afrique du Nord et sur le « rôle positif » de la colonisation (2005). Devant une telle inflation de lois mémorielles, certains historiens ont même remis en cause l'opportunité de la loi Gayssot (1990). Ils regrettent que cette dernière limite le terrain de recherche scientifique par des vérités incontestables et sanctuarisées : impossible de remettre en question des aspects de ces vérités sous peine de poursuites judiciaires. Pour eux, les thèses des négationniste doivent d'abord être combattues et réfutées sur le terrain scientifique, par la recherche et la rigueur de la méthode historique. En 2008, l'historien Pierre Nora (il a notamment dirigé la publication de Les Lieux de mémoire, 1984-92) crée une association, "Liberté pour l'histoire", qui vise à protéger la liberté des chercheurs. A la suite de son action, une commission parlementaire préconise de ne plus adopter de loi mémorielle. Au-delà de ces polémiques, de nombreux ouvrages, français ou étrangers, rendent compte aujourd'hui de la complexité de la période de l'Occupation: ils contribuent eux aussi à l'apaisement des conflits mémoriels. Conclusion: Concernant la Seconde Guerre mondiale, on peut distinguer deux régimes mémoriels depuis 1944, c'est-à-dire deux périodes pendant lesquelles domine un type de mémoire majoritairement partagé. Jusqu'à la mort du général de Gaulle (1970), le mythe résistancialiste s'impose. A partir des années 1970, cette mémoire centrée sur la résistance est progressivement supplantée par la mémoire du génocide juif, avec une réévaluation des responsabilités de l'État français dans la déportation. La France a en effet réalisé un important travail d'histoire pour mieux connaître la réalité historique complexe de l'Occupation mais aussi un travail de mémoire pour assumer les crimes de l'État français pendant la Seconde Guerre mondiale. L'autonomie de l'histoire et ses usages politiques sont au cœur des relations entre histoire et mémoire, deux notions différentes et pourtant complémentaires. Il revient à l'historien de s'affranchir des pressions politiques mais aussi de répondre au besoin d'histoire des citoyens français. Aujourd'hui, la participation de représentants allemands à des commémorations officielles majeures liées à la 2GM (70e anniversaire du débarquement en Normandie) illustre l'émergence d'une vision partagée et apaisée, à l'échelle franco-allemande voire européenne, du second conflit mondial. Parallèlement, la mémoire du génocide des Juifs semble s'être mondialisée puisque la commémoration du 27 janvier (libération d'Auschwitz) a été adoptée par l'Union européenne et l'ONU. En revanche, en Asie, Chinois et Japonais nourrissent toujours des représentations divergentes de la guerre. Ce conflit mémoriel est entretenu par la rivalité économique et géopolitique croissante entre ces deux pays pour le leadership asiatique. De telles tensions permettent de mesurer le chemin accompli en Europe depuis 1945. 11