Rencontre avec Karen Brandt et Nathalie Salamolard

Transcription

Rencontre avec Karen Brandt et Nathalie Salamolard
L’Association Lire et Ecrire propose un stage avant la prise en charge d’un cours
pour adultes en situation d’illettrisme et une formation spécifique à ce public.
Ainsi, les futur-e-s formateurs-trices de Lire et Ecrire découvrent une réalité en
situation. Quelles sont leurs premières impressions ? Quel regard portent les
stagiaires sur le vécu dans les cours ? Quels sont leurs craintes, leurs espoirs ?
Rencontre avec Karen Brandt et Nathalie Salamolard. Interview menée par
Vincent Darbellay.
Karen Brandt
Nathalie Salamolard
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Vincent. Le stage vous a introduit dans l’Association Lire et Ecrire, quelles particularités y
avez-vous découvertes ?
Karen. Je suis arrivée au stage avec une expérience de formation d’adultes dans le
secteur du français langue étrangère. En arrivant à Lire et Ecrire, j’ai découvert une
association qui est très impliquée dans la recherche des meilleurs outils pour un
enseignement personnalisé. J’ai constaté une grande implication de tous pour
trouver les meilleurs outils pédagogiques personnalisés tout en laissant s’exprimer
la personnalité des formateurs.
Nathalie. Ce qui m’a frappée, dès l’abord, c’est une éthique particulière qui fait la
différence par rapport à une autre institution de formation. Lire et Ecrire développe
une écoute de l’apprenant et de ses besoins, plutôt que de lui fournir des
informations hors contexte. En fait, tout est mis en place pour que l’apprentissage
soit le plus favorable possible pour les apprenants (rythme, nombre de participants
par cours,…).
Ce qui est particulier aussi, outre toutes les ressources pédagogiques, c’est
l’encadrement. On est extrêmement bien entouré : responsable pédagogique,
directrice de section, secrétariat général, responsable des inscriptions, autres
formatrices…
V. Qu’est-ce que le stage vous a apporté ?
K. D’abord la découverte d’apprenants différents de ceux que j’ai rencontrés dans le
FLE. Le cours dans lequel s’est déroulé mon stage avait une particularité : c’était un
petit groupe avec des personnes inscrites à Lire et Ecrire depuis longtemps. Le stage
m’a permis de me positionner, à savoir, trouver comment incorporer les objectifs
personnels des apprenants avec mes méthodes de travail ; trouver comment ces
mêmes objectifs pourraient être servis au mieux tout en donnant aux participants un
véritable acquis en français.
Vu la particularité du public auquel j’avais affaire (petit groupe fixe depuis des
années), j’ai eu l’impression d’arriver dans un espace homogène et chaleureux. J’y ai
découvert une solidarité, une reconnaissance interpersonnelle forte et un cadre
sécurisant où chacun pouvait exprimer sa difficulté avec l’écrit. J’ai été frappée par
le courage qu’ils avaient, et cela créait un lien d’amitié. Dans l’institution de FLE où
j’ai travaillé, il n’y avait pas cet aspect, mais plutôt une sorte de honte particulière à
chacun (ne pas bien connaitre la langue) et un individualisme.
N. J’ai fait la connaissance de ma formatrice de stage. J’ai pu appréhender la
problématique de l’illettrisme : j’ai vu concrètement ce que signifiait vivre dans la
difficulté avec l’écrit. J’ai pu développer, tout à mon aise, ma confiance comme future
formatrice. J’ai pu aussi voir plusieurs façons de faire, en visitant d’autres cours.
V. Quel a été le moment le plus fort du stage ?
K. Le moment où j’ai vu rire spontanément les apprenants face à des phrases
fantaisistes qu’ils avaient créées selon une méthode aléatoire de groupes
sujets/verbes/compléments.
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N. Lors d’une de mes animations, j’avais demandé aux participants de réfléchir à des
mots difficiles pour eux, afin de les amener à une recherche dans le dictionnaire, le
but étant de les familiariser avec cet outil. Une personne a choisi le mot hydrophobe.
J’ai proposé aux apprenants d’essayer de décortiquer ce mot. Grâce à des
associations avec d’autres mots (hydraulique, hydrater, phobie, homophobe,
claustrophobe…) les apprenants ont réussi à trouver que « hydro » était relatif à
l’eau et que le suffixe « phobe » voulait dire « avoir peur de ». Ils ont donc réussi à
comprendre ce mot par eux-mêmes. J’ai trouvé ça magnifique et très encourageant.
V. Le moment le plus déconcertant ?
K. J’ai apporté, lors d’une séance, un texte sur les expressions particulières formées à
partir des fruits et des légumes. J’imaginais l’exercice facile, mais il s’est avéré que la
compréhension était très difficile pour eux. J’ai réalisé, à ce moment-là, l’écart entre
ce qu’ils étaient capables d’exprimer à l’oral et les difficultés à lire et ressentir le 2e
degré à l’écrit.
N. Un des participants aux cours, un Portugais, a envoyé un texte au journal
Ensemble osons !. Dans ce texte, il parlait de son pays, le Portugal, mais avec une
certaine distance, et, par ailleurs, il était élogieux à propos de son pays d’accueil, la
Suisse.
Après la publication il a reçu les réactions de plusieurs de ses concitoyens qui ont
manifesté la déception qu’ils avaient eue à la lecture de ce texte. Selon eux, l’auteur
avait manqué de respect à leur pays en exprimant des réserves.
Le participant, confronté à ces manifestations communautaires, a réagi avec
beaucoup d’émotion. Il se sentait mal compris et pris entre deux logiques.
Du coup, la problématique de l’immigration était palpable dans le cours. Il y a eu une
discussion sur les nationalités, sur les conflits entre pays d’origine et pays d’accueil,
sur le racisme, l’intégration dans un autre pays etc. Un cours Lire et Ecrire est un
espace au cœur duquel se vivent toutes ces questions.
V. Le moment le plus rigolo ?
K. Lors d’une observation de phrases diverses au tableau, un apprenant a fait un jeu
de mots et de sens en mélangeant deux phrases, ce qui a fait rire tout le monde et a
montré qu’en levant le nez du français scolaire, il y avait un monde nouveau à
explorer et avec lequel jouer.
N. En fait, on rigole souvent dans les cours. Une fois, lors d’un exercice de
prononciation sur le son « in », une apprenante nous a fait part d’un quiproquo qui
avait eu lieu entre elle et son mari suite à la mauvaise articulation d’un mot. Cette
anecdote tombait à pic car elle démontrait concrètement l’utilité de connaitre et
d’être attentif à la prononciation des sons. En effet, l’apprenante avait utilisé le mot
« affecté » et son mari avait compris « infecté » à la place, ce qui changeait
sensiblement le sens de sa phrase ! Le résultat était très drôle et nous avons tous
bien ri.
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V. Le moment le plus émouvant ?
K. Deux moments me restent comme particulièrement émouvants, en marge du
cours. J’ai assisté, en cours d’année, au départ d’une participante qui était à Lire et
Ecrire depuis plusieurs années. Les autres lui ont fait un cadeau et j’ai senti comme
elle était touchée par le geste. J’ai senti une sorte de fraternité face à une même
situation de difficultés.
Le deuxième moment concerne la fête de fin d’année, au bord du lac, organisée par la
section. Michèle Meuwly, directrice de la section, a proposé des jeux de présentation.
J’ai été frappée de voir l’extrême sincérité qui s’exprimait, et l’envie de se dire
devant les autres de façon décomplexée. L’école dans laquelle j’ai œuvré pendant
plus de 4 ans ne m’avait pas habituée à un tel partage.
N. Ce qui est émouvant, vu de l’extérieur, c’est la relation réciproque entre la
formatrice et les apprenants, la charge émotionnelle qui se trouve au cœur de cette
relation. Et on sent bien que la confiance mutuelle qui s’exprime améliore le
quotidien des apprenants et leur apprentissage. D’ailleurs, spontanément, les
participants aux cours ont commencé par dire du bien de leur formatrice.
V. Quelles craintes, quels espoirs, avez-vous pour la suite ?
K. Je me dirige vers un changement de dynamique en lien avec ma personnalité.
J’aime travailler avec une matière malaxée, retournée, observée, un travail interactif
où je suis la guide d’une destination au terme de laquelle les participants découvrent
eux-mêmes la solution au problème. Cette manière de faire est en contraste avec ce
que j’ai vu dans les cours durant le stage où l’espace d’apprentissage semblait
devenu, au fil des années, très cocooning, dans un rythme lent et organisé d’une
manière très bonne mais différente de la mienne.
Cela génère une certaine crainte, mais les échanges avec les participants et avec ma
responsable de stage m’ont montré qu’il ne devrait y avoir aucun problème à cette
inflexion due à ma personnalité de formatrice.
N. Ma plus grande crainte serait de ne pas pouvoir répondre la demande d’un
apprenant. Côté espoir, j’aimerais être attentive à prendre en compte l’aspect social
du cours : favoriser la rencontre entre personnes vivant la même situation et un
quotidien similaire, et, ainsi, développer un facteur de socialisation.
V. Vous allez prendre – ou vous avez déjà pris - en charge un cours Lire et Ecrire, sur quoi
pouvez- vous compter, à l’issue du stage. Et comment voyez-vous le cours que vous allez
donner ?
K. Je sais que je peux compter sur l’envie d’apprendre des apprenants qui, par leur
simple présence, démontrent qu’ils ont choisi de se confronter à leurs difficultés.
J’ai de la chance d‘avoir un groupe avec lequel on aborde les choses de manière très
intuitive, on travaille l’aspect technique de la langue au travers de l’observation, du
jeu et de la créativité ; l’intensité, autant au niveau de la matière que du partage, est
au rendez-vous.
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De par mon expérience et leur franchise face à leur difficulté, nous avons rapidement
pu faire émerger, en groupe, la faille ou le point qui semble être la source de leur
problème, ainsi nous avons pu nommer l’objet de leur encouble (qui est souvent,
initialement, psychologique, suite à des expériences vécues comme des traumas, je
pense que c’est un constat chez bien des formateurs). Nous savons donc maintenant
quelle est la pierre d’achoppement pour chacun. Il m’est encore difficile de traduire
ça en objectifs individuels. Ce qui me pose d’ailleurs problème pour remplir les
documents liés aux objectifs personnels. Mais je dois dire que je leur fais une pleine
confiance pour réussir ce dépassement et lever le nez de l’angle problématique de
leur relation au français pour laisser leur part spontanée prendre le dessus sur la
peur. Je sais que même s’ils auront certainement encore des appréhensions, ils
auront suffisamment d’outils et de confiance pour relativiser et passer sur cet
« obstacle » et ça, ça me réjouit et me motive beaucoup !
Ceci dit et c’est peut-être ce qui m’inquiète au final, je n’ai pas encore tout à fait
compris comment fonctionne l’Association dans son ensemble et si je peux
m’identifier à elle tel quelle aujourd’hui. Par exemple j’avoue ne pas avoir pu
identifier quel public répond vraiment aux critères de l’Association ; en tous cas mon
groupe semble faire émerger un certain flou sur ce point. J’apprécie néanmoins
sincèrement l’écoute, la recherche de dialogue et finalement la patience ;-)) dont font
preuve chacun des responsables face à des questions fondamentales et
problématiques pour moi. Beaucoup de demandes de la part de l’Association,
beaucoup de démarches à mon gout très bureaucratiques et extrêmement
chronophages face aux si petits pourcentages que représentent nos heures de cours.
Répondre aux besoins des apprenants est pour moi le point principal et d’ailleurs ce
qui relève le plus d’humanité et de créativité ; la difficulté pour moi maintenant, c’est
de trouver l’équilibre pour répondre aux besoins des apprenants et de l’Association
sans finir par un salaire qui ressemble à du bénévolat !
N. Pour moi, la plus grande qualité à déployer à Lire et Ecrire est la souplesse. Et
aussi l’écoute. Donc, je reste attentive à ne pas avoir une idée trop rigide du cours.
Cela dit, dans l’idéal, je verrais bien un cours en deux parties : une centrée sur les
projets individuels et l’autre, collective, avec lecture, exercices, et discussion. Mais
l’essentiel pour moi c’est la souplesse, l’écoute et le plaisir partagé dans ces
échanges.
Ce que j’aimerais aussi, en ce qui concerne ma personne, c’est avoir un maximum de
plaisir dans les échanges et être la plus utile possible.
J’aimerais encore profiter de remercier toutes les personnes de la section RivieraChablais, en particulier ma formatrice Annie-Claude pour sa bienveillance et Sabina,
responsable et coordinatrice de la section, pour la confiance qu’elle m’a accordée !
V. Merci pour tout ! Et bonne suite pour les cours !
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