Arrêt du 8 juin 1993
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Arrêt du 8 juin 1993
L e s f i c h e s d e j u r i s p r u d e n c e d ’ e J u r i s . b e : Im m o b i l i e r – F i s c a l i t é – U r b a n i s m e - C o p r o p r i é t é – C o n s t r u c t i o n Droit des Servitudes Vues sur les propriétés du voisin – Abus de droit n°184 Cour d’appel de Liège (7ème ch. B), Arrêt du 8 juin 1993 Les fiches de Jurisprudence de www.eJuris.be Sièg. Caprasse, Bastin et Lorent ; Avocats : MMes de Beer de Laer et Raxhon I. - La propriété est ordinairement prouvée par la production du titre, lequel doit être explicite sur le droit de propriété du demandeur. II. - Celui qui érige une construction sur une pièce de terre dont, à défaut de titre putatif, il ne peut se croire propriétaire, commet une voie de fait constituant une atteinte au droit de propriété. En exigeant la démolition de la construction, le propriétaire use d'une faculté que lui confère la loi.. La réparation en nature, par la restitution de la parcelle préalablement remise dans son pristin état constitue la sanction naturelle de la violation des droits du propriétaire. III. - Il résulte de l'article 692 du Code civil que seules les servitudes qui sont à la fois continues et apparentes peuvent s'acquérir par la destination du père de famille, alors qu'une servitude d'écoulement des eaux ménagères est discontinue, cet écoulement ne pouvant avoir lieu que par le fait de l'homme. Le voisin sur le fonds duquel on ouvre une vue droite, a le droit de s'y opposer dès lors qu'il n'existe ni titre ni loi qui établisse une servitude, les articles 676 et suivants du Code civil, en raison de leur caractère général, ne permettant aucune distinction arbitraire. IV. - La théorie de l'abus de droit ne trouve pas à s'appliquer lorsque la victime du prétendu abus de droit a commis une faute en excédant les limites de son propre droit (JT 1995, p. 428) . Arrêt du 8 juin 1993 La Cour, (…) Attendu qu'aux termes de la citation introductive d'instance, il est fait grief à l'appelant, propriétaire de l'immeuble sis à Dison, rue Diesayawe, n° 35, d'avoir raccordé à une citerne placée par les intimés sur leur fonds, lequel est contigu à celui de l'appelant, ses conduites d'évacuation d'eaux usées et celles qu'il a installés au profit d'un voisin, lesquelles eaux, est-il allégué, non seulement se caractérisent par des exhalaisons incommodes mais aussi débordent sur un mur de clôture, à tel point que celui-ci menace ruine; Qu'il lui est également reproché d'avoir usurpé une parcelle de terrain appartenant aux intimés, sur laquelle il a édifié un local; Qu'ils demandent la remise en état des lieux, à savoir l'enlèvement des tuyaux d'évacuation desdites eaux et la suppression de la construction élevée sur la bande de terrain qui leur appartient, et ce sous peine d'une astreinte de 1.500 F par jour de retard, laquelle est actuellement réduite à 500 F; Attendu qu'étendant leur demande, les intimés ont demandé la suppression d'une vue qui ne serait pas ouverte à une distance de 19 décimètres de leur fonds, ainsi que l'enlèvement d'un tuyau placé dans le sol du passage dont ils bénéficient pour accéder à l'arrière de leur terrain; Attendu que le jugement dont appel accueille la demande tendant à l'enlèvement de la construction et des tuyaux d'évacuation d'eaux dans la citerne, le tout sous peine d'une astreinte de 300 F par jour de retard, à défaut d'exécution dans le mois de sa signification; Qu'il sursoit à statuer sur la vue litigieuse et, pour le surplus, déboute les intimés; Attendu que l'appelant se prétend propriétaire de la parcelle en cause, dont la contenance est de 19 m2, au motif qu'elle aurait toujours « formé un tout» avec son immeuble, la superficie de 35 m2 mentionnée dans l'acte de vente n'étant d'ailleurs pas garantie; qu'en toute hypothèse, selon cette partie, la propriété de cette bande de terrain aurait été acquise par usucapion, chacun des auteurs de l'appelant l'ayant occupée « à titre de propriétaire apparent et de bonne foi »; Que, subsidiairement, l'appelant invoque l'abus de droit, le préjudice que les intimés entendent lui faire souffrir étant hors de proportion avec l'avantage qu'ils recherchent; Attendu qu'en ce qui concerne les tuyaux d'évacuation, il soutient que cette citerne ne reçoit que de l'eau exempte de toute impureté; qu'il invoque, à toutes fins, l'existence d'une servitude établie par destination du père de famille, Henri Deblauwe, ancien propriétaire des deux héritages concernés, ayant lui-même établi une communication entre sa fosse septique et la citerne appartenant aujourd'hui aux intimés; L e s f i c h e s d e j u r i s p r u d e n c e d ’ e J u r i s . b e : Im m o b i l i e r – F i s c a l i t é – U r b a n i s m e - C o p r o p r i é t é – C o n s t r u c t i o n Droit des Servitudes Les fiches de Jurisprudence de www.eJuris.be Vues sur les propriétés du voisin – Abus de droit n°184 Attendu qu'il prétend que la construction existe «depuis de très nombreuses années » , et qu'elle ne constitue pas, en réalité, un obstacle au passage des intimés, puisque, fût-elle même démolie, encore le passage ne permettrait-il pas à ceux-ci d'accéder à l'arrière de leur terrain qui y forme une pente - sans construire un escalier; que, ce fonds n'étant pas enclavé - car il longe la voie publique -, les intimés ont la possibilité d'atteindre cette partie de leur fonds; Attendu que, sans contester l'existence d'une vue «irrégulière », l'appelant articule que cet ouvrage n'entraîne aucun désagrément pour les intimés et que ces derniers commettraient un abus de droit en en exigeant la suppression; Attendu qu'à tout le moins, l'appelant sollicite l'octroi d'un délai de grâce; Sur la propriété de la parcelle de 19 m2• Attendu qu'il est constant que les deux fonds en cause ont appartenu à Henri Deblauwe, lequel en a, le 4 décembre 1978, vendu une partie à la s.p.r.I. Posteriser, l'autre partie ayant été, le 6 janvier 1983, aliénée aux intimés; Sur la propriété de la parcelle de 19 m2 Attendu qu'il est constant que les deux fonds en cause ont appartenu à Henri Deblauwe, lequel en a, le 4 décembre 1978, vendu une partie à la s.p.r.I. Posteriser, l'autre partie ayant été, le 6 janvier 1983, aliénée aux intimés; Attendu que, le 10 avril 1981, ladite société a ellemême vendu son bien à l'appelant, l'acte authentique de vente mentionnant que la convention a pour objet une maison d'habitation sise rue Diesawaye, 35, cadastrée section A, n° 454/K, d'une contenance de 35 m2; . Attendu que l'acte relatif à la vente immobilière conclue avec les époux Roomans-Hilgers porte les mentions: « Jardin sis rue Diesawaye 19 cadastré section A numéro 454/L d'une contenance de trois cent vingt-cinq mètres carrés ( … ) »; Attendu qu'il apparaît d'un croquis émané de l'administration du cadastre et d'un plan établi par la s.p.r.l. Bureau d'études Arpent que la parcelle cadastrée section A n° 454/K comprend une maison d'habitation, mais non une bande de 19 m2 la longeant sur la droite et l'arrière; Attendu qu'il incombe au demandeur en revendication de rapporter, conformément aux règles des articles 1341 et suivants du Code civil, la preuve de son droit de propriété; Que la propriété est ordinairement prouvée par la production du titre, lequel doit être explicite sur le droit de propriété du demandeur; Qu'il n'est donné préférence à ce titre, sur la possession utile du défendeur, que s'il lui est antérieur, mais que constitue un titre antérieur celui auquel est partie non seulement le demandeur, mais encore son auteur (R.P.D.B., v° « Propriété »', n° 250); Attendu que la s.p.r.I. Posteriser a vendu à l'appelant, pour le prix de 100.000 F, une maison d'habitation d'une contenance de 35 m2; qu'à cette époque, comme en 1978 d'ailleurs, Deblauwe était toujours propriétaire du bien qu'il aliéna aux intimés; Attendu que l'on ne saurait invoquer un commencement de possession utile antérieure au titre, puisqu'avant la vente à la s.p.r.I. Posteriser, les deux fonds concernés appartenaient à une seule personne et que la possession anima domini alléguée est nécessairement postérieure au titre dont aurait pu se prévaloir le dernier propriétaire des deux fonds réunis, savoir la vente d'une maison d'habitation en 1978; Attendu qu'il est sans pertinence que, vers 1946, l'immeuble n° 35 de la rue Diesayawe comprît déjà, comme l'atteste le sieur Flamand, « l'annexe, la citerne, la servitude pour l'écoulement des eaux du numéro 33 »', car les fonds dont question n'avaient pas encore été scindés; Attendu qu'en vain l'appelant soutient-il que, suivant l'acte notarié du 6 janvier 1983, la parcelle cadastrée section A n° 454/L constituait un «jardin >', à l'exclusion de toute construction; Qu'il n'apparaît pas que la parcelle litigieuse de 19 m2 ait alors comporté d'autres ouvrages qu'une cour non couverte et une annexe non fermée; Qu'en raison du peu de valeur de celles-ci, il se conçoit qu'il n'en ait pas été fait mention dans cet instrumentum; Attendu que les énonciations du cadastre peuvent servir de présomptions en vue d'établir le droit de propriété (Cass. fr, 27 mai 1936, Dall. heb., 1936, p. 377); L e s f i c h e s d e j u r i s p r u d e n c e d ’ e J u r i s . b e : Im m o b i l i e r – F i s c a l i t é – U r b a n i s m e - C o p r o p r i é t é – C o n s t r u c t i o n Droit des Servitudes Les fiches de Jurisprudence de www.eJuris.be Vues sur les propriétés du voisin – Abus de droit n°184 Attendu qu'à tort l'appelant invoque-t-il, subsidiairement, la prescription acquisitive résultant du fait que, depuis plus de quarante ans, « les 19 m2 ont toujours été occupés par le propriétaire de la maison », de telle sorte que chacun des propriétaires successifs a occupé cette parcelle « à titre de propriétaire apparent et de bonne foi »; Attendu, en effet, que s'il est exact que, déjà en 1942, les deux fonds en cause appartenaient aux mêmes propriétaires, l'usucapion ne peut bénéficier qu'à un possesseur, et non à un propriétaire; Attendu que l'appelant fait valoir qu'en toute hypothèse, en revendiquant ladite parcelle de 19 m2, alors que celle-ci contient une construction, les intimés entendent exercer un droit sans intérêt raisonnable et suffisant, car le préjudice à lui causé serait sans proportion avec l'avantage recherché ou obtenu par le titulaire du droit; Attendu qu'en l'occurrence, il ne peut être fait application de l'article 555 du Code civil, laquelle disposition protège le possesseur de bonne foi qui a construit sur le terrain d'autrui, en disposant que, dans ce cas, le propriétaire ne peut demander la suppression de ces ouvrages; qu'en effet, l'appelant n'a pu se croire propriétaire de la parcelle dont s'agit, puisqu'il ne détenait pas un titre putatif;, que cette partie a, en érigeant une annexe sur la même pièce de terre, commis une voie de fait constituant une atteinte au droit de propriété; Attendu qu'en revendiquant cette portion et en exigeant la démolition de la construction qui y est incorporée, les intimés usent d'une faculté que leur confère la loi; Sur la suppression des tuyaux d'évacuation. Attendu que l'appelant concède que l'acte authentique de vente du 6 janvier 1983 mentionne l'existence sur le bien vendu d'une citerne destinée à recueillir uniquement de l'eau et qui doit être maintenue telle quelle, qu'il soutient, cependant, qu'une fosse septique ne produit que de l'eau pure; Attendu qu'une telle fosse assure la collecte de matières excrémentielles, même si elle tend à leur aseptisation; Attendu que la communication existant entre la fosse septique de l'appelant et la citerne toute proche ne permet pas de penser que c'est après l'achèvement du processus d'aseptisation que ladite citerne devrait recueillir de l'eau en provenance de la fosse voisine; Que les intimés, partant, sont fondés à réclamer la suppression du conduit qui relie celle-ci à leur citerne; Attendu qu'en vain l'appelant invoque-t-il, à titre subsidiaire, la destination du père de famille, laquelle serait acquisitive à l'égard de la servitude dont il demande le bénéfice; Attendu, en effet, qu'il n'établit pas qu'une installation d'amenée d'eau existait déjà, en état de fonctionnement et fonctionnant, lors de la division des fonds en cause; Qu'au demeurant, il résulte de l'article 692 du Code civil que seules les servitudes qui sont à la fois continues et apparentes peuvent s'acquérir par la destination du père de famille, alors qu'une servitude d'écoulement des eaux ménagères est discontinue, cet écoulement ne pouvant avoir lieu que par le fait de l'homme; Sur la vue droite. Attendu qu'il n'apparaît pas que cette prétention procède d'un mépris total des intérêts d'autrui, ce qui constituerait un quasi-délit (De Bersaques, note sous Gand, 20 nov, 1950, R,CJ,B.; 1953, p. 285, n° 21); Attendu que la dépossession, des intimés ne, peut être qualifiée d'infime ou de dérisoire et qu'il n'est pas contesté qu'ils aient eu le désagrément de devoir payer, en raison de ladite annexe - en 1985 tout au moins - un impôt foncier de 430 F; Attendu que les intimés poursuivent ainsi la réparation en nature, par la restitution de la parcelle en cause, préalablement remise en son pristin état, c'est-à-dire débarrassée des ouvrages qui y furent construits; que cette démolition constitue, dans l'espèce, la sanction naturelle de la violation de leurs droits (voy. Bruxelles; l0 juin 1965, Pas., 1966,-11,159; 16 avril 1980, Pas., 1980, II, 82); Attendu que l'appelant admet n'avoir pas respecté la distance légale de 19 décimètres, mais soutient notamment que l'existence de cette vue droite n'entraîne aucun inconvénient pour les intimés, le terrain n'étant que« broussailles' sur un talus sans construction » et tant la forte pente de leur terrain que la présence d'un mur aux confins de celui-ci impliquant que, même s'ils venaient à construire, ils ne seraient pas gênés par cette vue; Attendu que le voisin sur le fonds duquel on ouvre une vue droite a le droit de s'y opposer dès lors qu'il n'existe ni titre ni loi qui établisse une servitude, les articles 676 et suivants du Code civil, à raison de leur caractère général, ne permettant aucune distinction arbitraire (cons. Laurent, Principes de droit civil, t. VIII, n° 47); L e s f i c h e s d e j u r i s p r u d e n c e d ’ e J u r i s . b e : Im m o b i l i e r – F i s c a l i t é – U r b a n i s m e - C o p r o p r i é t é – C o n s t r u c t i o n Droit des Servitudes Les fiches de Jurisprudence de www.eJuris.be Vues sur les propriétés du voisin – Abus de droit n°184 Qu'il ne convient pas de distinguer selon que le fonds voisin est ou non en pente, encombré de végétation ou clos par un mur qui empêche le regard d'y pénétrer; Que le législateur n'a pas pu entrer dans de telles circonstances de fait qui auraient fait varier le droit d'un jour à l'autre (ibid., n° 44); Attendu qu'on ne peut exclure une modification relative à l'agencement ou à la destination de la propriété des intimés; qu'en outre, en raison de l'ouverture irrégulièrement pratiquée, l'appelant pourrait bénéficier de la prescription - à tout le moins, extinctive - de la servitude légale qui imposait de ne point ouvrir une vue contraire aux exigences du Code (Hansenne, La propriété des choses et les droits réels principaux, P.U.Lg., voL IV, éd. 1977, p. 704); Que les intimés ont, dès lors, un intérêt raisonnable et suffisant à exiger la suppression de cette ouverture et que, ce faisant, ils n'abusent pas de leur droit; Attendu qu'en outre, la théorie de l'abus de droit ne trouve pas à s'appliquer lorsque la victime du prétendu abus de droit a, ainsi qu'en l'espèce, commis une faute en excédant les limites de son propre droit (Mostin, «Les jours et les vues: quelques nouveautés », J.T., 1993, p. 305 et les références en note 44); Attendu qu'il convient d'accueillir, quant à ce, la demande des intimés; Quant au passage. Attendu que la démolition de la construction litigieuse permettra aux intimés d'accéder à l'arrière de leur fonds par le passage qui y conduit; Attendu que l'intégration au sol d'un tuyau de décharge par l'appelant lèse les droits des intimés qui, propriétaires de la bande de terrain concernée, ont le droit de s'opposer à tout empiétement; Sur le terme de grâce sollicité. Attendu que l'appelant ne justifie pas qu'il se trouverait dans l'impossibilité d'exécuter ses obligations sans en éprouver un grave préjudice; Qu'il n'y a pas lieu, par conséquent, d'accorder à l'appelant, pour s'exécuter, un délai supérieur à celui qu'octroie le jugement entrepris; Que l'astreinte prévue par celui-ci en cas d'inexécution paraît adéquate d'autant que la comparution personnelle des parties n'a pas permis le dégagement d'une solution qui eût pu rencontrer l'agrément des parties; Sur les dépens. Attendu que le premier juge a réduit l'indemnité de procédure demandée par les intimés, et ce eu égard à l'objet du litige tel qu'il résulte de l'exploit introductif d'instance; Que l'appelant fait à raison observer que l'indemnité de procédure afférente à l'instance d'appel doit être réduite à 7.400 F; (….)